[2011] 3 R.C.F. 155
DES-6-08
2010 CF 224
DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);
ET DANS L’AFFAIRE CONCERNANT le dépôt d’un certificat à la Cour fédérale en vertu du paragraphe 77(1) de la LIPR;
ET DANS L’AFFAIRE CONCERNANT MAHMOUD ES‑SAYYID JABALLAH
Répertorié : Jaballah (Re)
Cour fédérale, juge Dawson—Toronto, 29 et 30 octobre 2009; Ottawa, 26 février 2010.
Il s’agissait d’une requête sollicitant une ordonnance écartant, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, tous les témoignages que M. Jaballah a faits au cours des procédures liées aux certificats de sécurité délivrés auparavant contre lui. Subsidiairement, la requête sollicitait une ordonnance interdisant aux ministres d’utiliser les témoignages que M. Jaballah a faits à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) ou dans les procédures relatives aux certificats de sécurité délivrés contre lui conformément à l’article 13 de la Charte ou, subsidiairement encore, interdisant aux ministres d’utiliser les témoignages que M. Jaballah a faits à la CISR ou dans les procédures relatives aux certificats de sécurité délivrés contre lui auparavant dans le cadre de leur preuve principale, conformément à l’article 13 de la Charte.
Lorsque M. Jaballah, un étranger, est arrivé au Canada, il a demandé l’asile. Par la suite, plusieurs certificats de sécurité ont été délivrés contre lui au motif qu’il était interdit de territoire au Canada pour des motifs liés à la sécurité nationale. Un de ces certificats a été déclaré raisonnable. La requête en l’espèce a été présentée dans le cadre d’un troisième certificat de sécurité désignant M. Jaballah. Il a été déposé à la Cour fédérale, qui était en voie de décider du caractère raisonnable du certificat. Avant la présente instance, M. Jaballah avait demandé sa mise en liberté à plusieurs reprises et avait témoigné aux auditions des motifs de détention qui avaient eu lieu.
Le résumé public modifié publié dans le cadre du troisième certificat de sécurité révélait que, à l’appui de leurs allégations, les ministres s’étaient fondés sur des éléments des témoignages que M. Jaballah avait faits devant la CISR ainsi que devant les juges saisis des procédures antérieures de certificat de sécurité.
Il s’agissait de savoir si M. Jaballah avait droit à réparation aux termes du paragraphe 24(2) ou de l’article 13 de la Charte et si l’affaire se prêtait à l’application de l’alinéa 83(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Jugement : la requête doit être accueillie en partie.
Le premier point qui devait être examiné consistait à savoir si les témoignages antérieurs de M. Jaballah « ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés » garantis par la Charte, comme l’exige le paragraphe 24(2) de la Charte. M. Jaballah soutenait que son droit à une audition équitable, droit que lui garantit l’article 7 de la Charte, avait été violé dans les procédures antérieures de certificat de sécurité car le régime législatif antérieur ne lui permettait pas de connaître la preuve établie contre lui et de la réfuter. Il était difficile d’établir un lien de causalité entre la violation de l’article 7 qu’affirme M. Jaballah et ses témoignages antérieurs. M. Jaballah n’est pas, et n’était pas, un témoin contraignable dans les procédures antérieures de certificat de sécurité. Ses témoignages antérieurs devant la Cour fédérale étaient volontaires. Comme M. Jaballah n’était pas un témoin contraignable, il était impossible que cette preuve soit « obtenu[e] » par les ministres. Il n’a pas établi en quoi l’omission de faire une divulgation complète dans les procédures antérieures de certificat de sécurité aurait eu une incidence sur la fiabilité de ses témoignages volontaires antérieurs, de sorte qu’il est inéquitable de le limiter au contenu de ses témoignages antérieurs. Qui plus est, le droit de connaître la preuve produite contre soi n’est pas absolu. Des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à un intéressé. Par conséquent, M. Jaballah n’était pas parvenu à établir que le paragraphe 24(2) de la Charte s’appliquait aux faits de l’espèce.
En outre, M. Jaballah n’était pas parvenu à établir que l’article 13 de la Charte s’appliquait à la présente instance. Bien que l’article 7 de la Charte puisse contenir des protections résiduelles aptes à excéder celles que confère l’article 13 de la Charte, cela ne modifie pas la protection qu’accorde l’article 13.
L’affaire ne se prêtait pas à l’application de l’alinéa 83(1)h) de la Loi. L’emploi de mots larges et permissifs comme « peut », « qu’il estime » et « digne de foi et utile » confère au juge désigné le vaste pouvoir discrétionnaire de contrôler, d’une manière rationnelle, les informations et les éléments de preuve que reçoit la Cour fédérale. Dans les procédures de certificat de sécurité, le principe de justice fondamentale prépondérant est que les personnes désignées dans un certificat de sécurité doivent bénéficier d’un processus judiciaire équitable. En l’absence de circonstances exceptionnelles qui sont difficiles, voire impossibles, à envisager, si la réception d’un élément de preuve violait les principes de justice fondamentale il ne serait pas indiqué de les recevoir. Les ministres ont raison lorsqu’ils admettent que, par application de l’article 7 de la Charte, M. Jaballah n’est pas un témoin contraignable. Cette conclusion concordait avec le libellé de la Loi, qui ne comporte aucun mécanisme permettant d’obliger la personne désignée à témoigner ou de sanctionner toute omission de témoigner. Tout comme le fait de contraindre M. Jaballah à témoigner violerait les principes de justice fondamentale, celui d’autoriser les ministres à utiliser ses témoignages antérieurs dans le cadre de leur preuve principale aurait aussi le même résultat parce que cela reviendrait à leur permettre de contraindre indirectement M. Jaballah à témoigner. Il s’ensuit qu’il ne serait pas indiqué de recevoir ces éléments en preuve. Si M. Jaballah décidait de témoigner dans la présente instance, les ministres pourraient le contre‑interroger sur toute déclaration antérieure faite lors des procédures antérieures de certificat de sécurité.
La preuve de M. Jaballah devant la CISR est, d’un point de vue qualitatif, différente des témoignages qu’il a faits lors des procédures antérieures de certificat de sécurité. Sa demande d’asile a été entreprise à la suite de la décision personnelle, prise librement par lui, de se lancer dans ce processus. En conséquence, parce qu’il n’y aurait pas atteinte aux principes de justice fondamentale, il serait indiqué que la Cour fédérale reçoive le témoignage que M. Jaballah a fait antérieurement devant la CISR dans le cadre de la preuve des ministres.
Un élément d’information dans le dossier clos déposé à l’appui du certificat de sécurité actuellement en vigueur pourrait constituer une preuve dérivée. Le principe de l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée s’appliquait en l’espèce. De plus, l’information en cause avait un lien de causalité avec les témoignages que M. Jaballah a faits pendant les premières procédures de certificat de sécurité. L’utilisation, par les ministres, de cette information en l’espèce enfreindrait les principes de justice fondamentale.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 8, 9, 10, 11, 13, 24(1),(2).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 83.28(10) (édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4).
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 5 (mod. par L.C. 1997, ch. 18, art. 116).
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), partie I.
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(2).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 34, 77 (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4), 83(1)g) (mod., idem), h) (mod., idem), (1.1) (édicté, idem).
TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, Art. 1E, 1F.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; R. c. Goldhart, [1996] 2 R.C.S. 463; Almrei (Re), 2009 CF 3; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154.
décisions examinées :
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Jaballah, 1999 CanLII 8989 (C.F. 1re inst.); Jaballah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 379; Jaballah (Re), 2003 CFPI 640, [2003] 4 C.F. 345; Jaballah (Re), 2004 CAF 257, [2005] 1 R.C.F. 560; Jaballah (Re), 2006 CF 1230; R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451; Centre de santé mentale de Penetanguishene c. Ontario (Procureur général), 2004 CSC 20, [2004] 1 R.C.S. 498; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.
décisions citées :
British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3; R. c. Darrach, 2000 CSC 46, [2000] 2 R.C.S. 443; R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353.
REQUÊTE en vue d’obtenir une ordonnance écartant, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, tous les témoignages que M. Jaballah a faits au cours des procédures liées aux certificats de sécurité délivrés auparavant contre lui ou, subsidiairement, en vue d’obtenir une ordonnance interdisant aux ministres d’utiliser les témoignages que M. Jaballah a faits à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ou dans les procédures antérieures de certificat de sécurité conformément à l’article 13 de la Charte. Requête accueillie en partie.
ONT COMPARU
Marlys A. Edwardh et Adriel Weaver pour M. Jaballah.
Donald MacIntosh et John Provart pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.
John Norris à titre d’avocat spécial.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Edwardh, Marlys, Barristers Professional Corporation, Toronto, pour M. Jaballah.
Le sous-procureur général du Canada pour le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
[1] La juge Dawson : Mahmoud Jaballah est désigné dans un certificat de sécurité qu’ont signé le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ainsi que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (les ministres). Ce certificat a été déposé à la Cour en vertu du paragraphe 77(1) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi, ou la LIPR) et la Cour est en voie de décider du caractère raisonnable de ce document.
[2] Au cours de la présente instance, M. Jaballah a demandé une ordonnance :
[traduction] Écartant, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte, tous les témoignages que M. Jaballah a faits au cours des procédures engagées dans le cadre des certificats de sécurité délivrés contre lui, et ce, avant la délivrance du présent certificat de sécurité, daté du 22 février 2008, car ces procédures ont été menées d’une manière contraire aux principes de justice fondamentale.
De plus, ou subsidiairement, interdisant aux ministres d’utiliser les témoignages que M. Jaballah a faits à la CISR ou dans les procédures relatives aux certificats de sécurité délivrés contre lui en 1999 et en 2001, conformément à l’article 13 de la Charte.
Subsidiairement encore, interdisant aux ministres d’utiliser les témoignages que M. Jaballah a faits à la CISR ou dans les procédures relatives aux certificats de sécurité délivrés contre lui dans le cadre de leur preuve principale, conformément à l’article 13 de la Charte.
[3] M. Jaballah a retiré une demande initiale visant à faire annuler le certificat de sécurité en vertu du para-graphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).
[4] Les faits pertinents qui sous‑tendent la requête sont les suivants.
1. Le contexte factuel
[5] M. Jaballah n’a pas la citoyenneté canadienne. Sa famille et lui sont arrivés au Canada le 11 mai 1996 et ont demandé l’asile. Une audience a eu lieu devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). M. Jaballah a témoigné à l’appui de cette demande pendant un certain nombre de jours, à partir du mois de mai 1998.
[6] La demande d’asile de M. Jaballah était en instance quand, le 31 mars 1999, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le solliciteur général du Canada ont signé un certificat de sécurité dans lequel ils ont exprimé leur avis que M. Jaballah était interdit de territoire au Canada pour des motifs liés à la sécurité nationale.
[7] M. Jaballah a obtenu un résumé de la preuve présentée contre lui, ainsi que certains documents justificatifs non secrets. Une audience sur le caractère raisonnable du certificat a eu lieu devant le juge Cullen, de la présente Cour. M. Jaballah a témoigné devant ce dernier en juin et en août 1999. Le 2 novembre 1999, le juge Cullen a rendu une ordonnance [Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Jaballah, 1999 CanLII 8989 (C.F. 1re inst.)] motivée dans laquelle il a conclu que le certificat de sécurité n’était pas raisonnable, de sorte que ce dernier a été annulé.
[8] Un deuxième certificat de sécurité a été délivré contre M. Jaballah le 13 août 2001. Ce dernier a une fois de plus reçu un résumé de la preuve présentée contre lui, ainsi que des documents justificatifs non secrets. Ces informations ont par la suite été étoffées et modifiées. Dans des motifs publiés à [Jaballah c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile)] 2007 CF 379 au sujet de M. Jaballah, la juge Layden‑Stevenson a écrit ce qui suit (au paragraphe 44) :
La deuxième raison est le fait que le dossier public est volumineux en l’espèce. Le résumé de la preuve des ministres concernant M. Jaballah est long et a été modifié et étoffé au fil du temps. La différence entre la preuve (les documents et les témoignages produits par les parties et contenus dans le dossier public) et les renseignements (que, pour des raisons pratiques, j’appellerai les renseignements classifiés, même s’il serait plus exact de parler de renseignements définis à l’article 76 de la LIPR) est mince. [Non souligné dans l’original.]
[9] Une audience visant à déterminer le caractère raisonnable du deuxième certificat a eu lieu devant le juge MacKay, de la présente Cour. Sur les conseils de son avocat, M. Jaballah n’a pas témoigné à la deuxième instance et, au cours de l’audience, l’avocat de M. Jaballah s’est retiré. Le 23 mai 2003 [Jaballah (Re), 2003 CFPI 640, [2003] 4 C.F. 345], le juge MacKay a rendu une ordonnance motivée dans laquelle il a conclu que le certificat était raisonnable.
[10] Cette conclusion de raisonnabilité a été infirmée par la Cour d’appel fédérale pour des motifs d’ordre procédural en juillet 2004 [2004 CAF 257, [2005] 1 R.C.F. 560]. L’affaire a été renvoyée à la Cour fédérale et le juge en chef a de nouveau désigné le juge MacKay pour déterminer si le certificat était raisonnable ou non.
[11] Le 24 août 2005, M. Jaballah a demandé sa mise en liberté. Lors de l’audition des motifs de détention, en septembre 2005, M. Jaballah a témoigné pendant quatre jours. Son témoignage et son contre‑interrogatoire ont porté sur des questions liées au caractère raisonnable du certificat. La demande de mise en liberté a été rejetée.
[12] C’est à la suite de cela que l’audience sur le caractère raisonnable du certificat a eu lieu. Le 23 mai 2006, le juge MacKay a ordonné ce qui suit :
[traduction] […] tout témoignage que fera M. Jaballah à ce stade-ci au sujet du certificat de sécurité délivré contre lui en août 2001 servira uniquement aux fins de la présente instance (dossier de la Cour no DES‑04‑01), et ce, jusqu’à ce que la Cour rende une autre ordonnance, après avoir reçu les observations des avocats des parties sur les limites appropriées, s’il y en a, quant à l’usage futur des témoignages maintenant faits par M. Jaballah.
[13] Après avoir entendu les observations des avocats au sujet des limites à imposer à l’utilisation future des témoignages de M. Jaballah, le 18 août 2006 le juge MacKay a ordonné ceci :
[traduction] Le défendeur, M. Jaballah, bénéficiera de l’immunité contre l’utilisation de la preuve et de la preuve dérivée à l’égard des témoignages qu’il a faits en audience publique en mai et en juillet 2006, relativement au caractère raisonnable du certificat de sécurité que les ministres ont délivré en août 2001, dans toute procédure criminelle susceptible d’être engagée contre lui, exception faite de toute poursuite pour parjure ou pour témoignage contradictoire, et aussi, à moins qu’il convienne de leur utilisation, dans toute procédure ultérieure concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité des ministres daté d’août 2001, advenant que la procédure en cours soit avortée ou annulée par suite de la décision anticipée de la Cour suprême du Canada en rapport avec les appels interjetés dans les affaires appelées Almrei, Charkaoui et Harkat.
[14] Au cours des mois de mai et de juillet 2006, M. Jaballah a témoigné à l’audience visant à décider du caractère raisonnable du certificat.
[15] Le 16 octobre 2006 [2006 CF 1230], le juge MacKay a rendu une ordonnance motivée, concluant de nouveau que le certificat de sécurité était raisonnable.
[16] M. Jaballah a présenté une autre demande de mise en liberté. Cette dernière a été entendue par la juge Layden‑Stevenson, alors juge de la présente Cour. M. Jaballah a témoigné devant elle en octobre 2006. Le 2 octobre 2006, la juge Layden‑Stevenson a rendu l’ordonnance suivante :
[traduction] PAR LES PRÉSENTES, LA COUR STATUE que le demandeur, M. Jaballah, bénéficiera de l’immunité contre l’utilisation de la preuve et de la preuve dérivée qui lui a été accordée en audience publique en octobre 2006 à l’égard d’un contrôle des motifs de sa détention par suite du certificat de sécurité délivré par les ministres en août 2001, et ce, dans toute procédure criminelle susceptible d’être contre lui, à l’exception de toute poursuite pour parjure ou pour témoignage contradictoire, et aussi, à moins qu’il convienne de son utilisation, dans toute procédure ultérieure concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité des ministres daté d’août 2001, advenant que la procédure en cours soit avortée ou annulée par suite de la décision anticipée de la Cour suprême du Canada en rapport avec les appels interjetés dans les affaires appelées Almrei, Charkaoui et Harkat. [Souligné dans l’original.]
[17] Le 23 février 2007, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350 (Charkaoui I). La Cour a déclaré que l’article 7 de la Charte trouvait application dans les procédures relatives à un certificat de sécurité et que la procédure que la Loi prévoyait à l’époque au sujet des certificats de sécurité violait l’article 7 de la Charte. Cela était dû au fait que le caractère secret qui était alors exigé en vertu de la Loi privait une personne désignée dans un certificat de sécurité de la possibilité de connaître la preuve présentée contre elle, et donc de la possibilité de contester de façon raisonnable la preuve de l’État.
[18] Les ministres ont délivré un troisième certificat de sécurité concernant M. Jaballah le 22 février 2008. La preuve maintenant avancée contre M. Jaballah est énoncée dans un rapport de renseignements de sécurité secret. Un résumé public ainsi qu’un résumé public modifié de ce rapport de renseignements de sécurité lui ont été remis. Le résumé public modifié révèle que, à l’appui de leurs allégations, les ministres se fondent sur des éléments des témoignages que M. Jaballah a faits devant la CISR, devant le juge Cullen et devant le juge MacKay. Les ministres ne se fondent pas sur le témoignage que M. Jaballah a fait devant la juge Layden‑Stevenson.
2. Les questions en litige
[19] Les présents motifs portent sur les questions suivantes :
a. M. Jaballah a‑t‑il droit à réparation aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte?
b. M. Jaballah a‑t‑il droit à réparation aux termes de l’article 13 de la Charte?
c. L’affaire se prête‑t‑elle à l’application de l’alinéa 83(1)h) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi?
3. M. Jaballah a‑t‑il droit à réparation aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte?
[20] Le paragraphe 24(2) de la Charte indique ce qui suit :
24. […] |
|
(2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. |
Irrecevabilité d’élé-ments de preuve qui risqueraient de déconsidérer l’administration de la justice |
[21] Le premier point que la Cour doit donc examiner consiste à savoir si les témoignages antérieurs de M. Jaballah « ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés » garantis par la Charte.
[22] M. Jaballah soutient qu’il est [traduction] « incontestable » que son droit à une audition équitable, droit que lui garantit l’article 7 de la Charte, a été violé dans les procédures antérieures de certificat de sécurité car le régime législatif antérieur ne lui permettait pas de connaître la preuve établie contre lui et de la réfuter. Il s’ensuit, ajoute‑t‑il, que les témoignages qu’il a faits devant la Cour lors des procédures antérieures ont été obtenus d’une manière qui violait son droit de connaître la preuve établie contre lui et de la réfuter. Il faudrait donc que ces allégations soient exclues de la présente instance. M. Jaballah ne cherche pas à faire exclure pour ce motif les témoignages qu’il a faits devant la CISR.
[23] Les ministres répliquent que M. Jaballah n’a pas établi que, dans ces circonstances, le paragraphe 24(2) de la Charte trouve application car il n’y a aucun lien entre la violation de la Charte à laquelle a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui I et les témoignages que M. Jaballah a faits volontairement et sous serment. À défaut d’une violation pertinente de la Charte lors de la collecte d’éléments de preuve, le paragraphe 24(2) ne s’applique pas.
[24] Les mots « obtenus dans des conditions » ont été analysés par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980. La Cour a fait remarquer qu’en général seuls quelques droits garantis par la Charte, ceux que protègent les articles 8, 9 et 10 de cette dernière, seront pertinents pour la collecte d’éléments de preuve et, de ce fait, pour l’exclusion que prévoit le paragraphe 24(2) de la Charte. La Cour a rejeté l’exigence d’un lien de causalité strict car cela obligerait les tribunaux à faire des conjectures sur le fait de savoir si l’on aurait découvert des éléments de preuve en l’absence de la violation antérieure de la Charte. Aux pages 1005 et 1006 du recueil, la Cour a statué à la majorité ce qui suit :
À mon avis, tous les pièges que pose la question de la causalité peuvent être évités par l’adoption d’un point de vue qui met l’accent sur toute la suite des événements pendant lesquels la violation de la Charte s’est produite et les éléments de preuve ont été obtenus. En conséquence, la première étape de l’examen prévu au par. 24(2) consisterait à déterminer si une violation de la Charte a été commise en recueillant des éléments de preuve. L’existence d’un lien temporel entre la violation de la Charte et la découverte des éléments de preuve revêt une importance particulière dans cette évaluation, surtout lorsque la violation de la Charte et la découverte des éléments de preuve se produisent au cours d’une seule et même opération. Toutefois, la présence d’un lien temporel n’est pas déterminante. Il y aura des cas où les éléments de preuve, bien qu’ils aient été obtenus suite à la violation d’un droit garanti par la Charte, seront trop éloignés de la violation pour avoir été «obtenus dans des conditions» qui portent atteinte à la Charte. À mon avis, ces situations devraient être considérées individuellement. Il ne peut y avoir de règle stricte pour déterminer le moment où les éléments de preuve obtenus par suite de la violation d’un droit garanti par la Charte deviennent trop éloignés. [Non souligné dans l’original.]
[25] La Cour suprême du Canada a analysé de nouveau le paragraphe 24(2) dans l’arrêt R. c. Goldhart, [1996] 2 R.C.S. 463. La question soumise consistait à savoir si le témoignage de vive voix d’un témoin, arrêté à la suite d’une fouille illégale, pouvait faire l’objet d’une analyse fondée sur le paragraphe 24(2). La Cour a conclu à la majorité que ce paragraphe ne s’appliquait pas aux faits soumis à la Cour car il n’y avait aucun lien temporel entre le témoignage de vive voix et la violation de la Charte. De plus, tout lien de causalité était trop éloigné.
[26] À la page 482 du recueil, la Cour a passé en revue sa jurisprudence et écrit ce qui suit :
Bien qu’on ait recommandé, dans les arrêts Therens et Strachan, de ne pas trop s’en remettre au lien de causalité et qu’on y ait préconisé un examen de l’ensemble du rapport entre la violation de la Charte et la preuve contestée, le lien de causalité n’a pas été complètement écarté. Par conséquent, bien qu’un lien temporel suffise souvent, il n’est pas toujours déterminant. Il ne sera pas déterminant si le lien entre l’obtention de la preuve et la violation est éloigné. Par éloigné, je considère que l’on veut dire ténu. Le concept du caractère éloigné s’applique non seulement au lien temporel, mais aussi au lien causal. Il s’ensuit que la seule existence d’un lien temporel n’est pas nécessairement suffisante. Conformément à la directive voulant qu’on examine l’ensemble du rapport entre la violation et la preuve obtenue, il convient que la cour examine la force du rapport causal. Si le lien temporel et le lien causal sont ténus tous les deux, la cour peut très bien conclure que la preuve n’a pas été obtenue dans des conditions qui portent atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte. Par contre, le lien temporel peut être fort à ce point que la violation de la Charte fait partie intégrante d’une seule et même opération. Dans un tel cas, la faiblesse ou même l’absence d’un lien causal sera sans importance. Une fois les principes de droit définis, la force du lien entre la preuve obtenue et la violation de la Charte est une question de fait. Par conséquent, la possibilité d’appliquer le par. 24(2) sera déterminée cas par cas, comme l’a proposé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Strachan. [Non souligné dans l’original.]
[27] Examinant ensuite l’application du droit aux faits soumis à la Cour, cette dernière a écrit ce qui suit, aux pages 483 à 485 du recueil :
Pour apprécier correctement le rapport entre la violation et la preuve contestée, il est important de garder à l’esprit que c’est le témoignage de vive voix de Mayer qui, dit‑on, a été obtenu dans des conditions qui violent la Charte. Il faut faire une distinction entre la découverte d’une personne qui est ensuite arrêtée et accusée d’une infraction et le témoignage que cette personne fait de son plein gré ultérieurement. On ne saurait simplement assimiler la découverte de cette personne à l’obtention, auprès d’elle, d’éléments de preuve favorables au ministère public. L’accusé a le droit de garder le silence et, en pratique, il exercera ce droit sur le conseil de son avocat. La poursuite n’a donc aucune garantie que la personne fournira des renseignements, et encore moins qu’elle présentera un témoignage sous serment favorable au ministère public. À cet égard, c’est à juste titre qu’on a fait remarquer que le témoignage ne saurait être traité de la même manière qu’un objet inanimé. Le juge Brooke fait observer, dans ses motifs de dissidence, à la p. 85 :
[traduction] Le témoignage est le fruit de la pensée d’une personne et il n’est connu que si et lorsque la personne le présente. Il ne peut pas être obtenu ou découvert par quelque autre moyen. Le témoignage qui est entendu pour la première fois quelques mois après une fouille ou perquisition ne saurait être assimilé à un élément de preuve constitué par un objet inanimé trouvé ou saisi lors d’une fouille ou perquisition illégale.
De même, le juge Rehnquist, maintenant Juge en chef, dans l’arrêt United States c. Ceccolini, 435 U.S. 268 (1978), explique ainsi la différence, aux pp. 276 et 277 :
[traduction] Les témoins ne sont pas comme des armes à feu ou des documents qui restent cachés jusqu’à ce que quelqu’un renverse un sofa ou ouvre un classeur. Les gens peuvent venir témoigner tout à fait de leur propre gré, et c’est souvent ce qu’ils font. Et si on l’évalue correctement, on trouvera fort probablement la mesure de libre arbitre nécessaire pour dissiper le vice plus souvent dans le cas d’un témoignage en direct que dans celui d’autres types de témoignage.
Lorsque les éléments de preuve sont correctement qualifiés de la façon indiquée ci‑dessus, l’application des facteurs pertinents entraîne un résultat différent de celui obtenu par le juge du procès et la Cour d’appel à la majorité. Pour conclure à l’existence d’un lien temporel, ce qui est pertinent c’est la décision de Mayer de coopérer avec le ministère public et de témoigner, et non pas son arrestation. En fait, l’existence d’un lien temporel entre la perquisition illégale et l’arrestation de Mayer est quasiment sans importance. En outre, tout lien temporel entre la perquisition illégale et le témoignage est grandement affaibli par les événements intermédiaires constitués par la décision spontanée de Mayer de coopérer avec la police, de plaider coupable et de témoigner. L’application du facteur du lien causal va dans le même sens. Le lien entre la perquisition illégale et la décision de Mayer de témoigner est extrêmement ténu. Compte tenu, par conséquent, de toute la suite des événements, je suis d’avis que le lien entre le témoignage contesté et la violation de la Charte est éloigné. À cet égard, je suis d’accord avec le juge Brooke lorsqu’il affirme, aux pp. 85 et 86 :
[traduction] Il est clair qu’on ne peut pas affirmer que le témoignage de Mayer découle de la violation comme c’était le cas du témoignage de Hall dans l’arrêt R. c. Burlingham […] Il peut y avoir un certain lien avec la preuve de la découverte de marijuana, mais cela ne permet sûrement pas de dire que le témoignage a été découvert ou obtenu grâce à la violation des droits de l’appelant. Il doit y avoir un point où le lien entre la violation et le témoignage est suffisamment affaibli pour que le témoignage ne soit pas vicié et qu’il soit trop éloigné de la violation initiale. Sinon, les ramifications peuvent aller loin en ce qui concerne l’exclusion du témoignage d’un coaccusé lorsque le ministère public tente d’en tirer profit. À mon avis, le lien entre la violation et le témoignage de Mayer ne résiste pas à une analyse du caractère éloigné ou de l’atténuation.
Pour les motifs qui précèdent, le rapport entre la violation de l’art. 8 de la Charte et le témoignage de vive voix de Mayer ne m’amène pas à conclure que ce témoignage a été obtenu dans des conditions qui portent atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte. Par conséquent, le par. 24(2) de la Charte ne s’applique pas et ne peut être invoqué pour faire écarter cet élément de preuve, qui est pertinent et a été régulièrement utilisé au procès. La Cour d’appel à la majorité a erré en annulant les déclarations de culpabilité.
[28] Dans cette analyse, les points importants sont les suivants :
• Un témoignage ne peut pas être traité de la même façon qu’un objet inanimé (comme des accessoires servant à la consommation de drogue, que l’on découvre lors d’une fouille illégale) parce que rien ne garantit qu’une personne témoignera ou fournira des éléments de preuve qui sont contraires à son intérêt;
• Au vu des faits soumis à la Cour, n’importe quel lien temporel était considérablement affaibli par les événements intermédiaires constitués par les décisions du témoin de coopérer avec la police, de plaider coupable et de témoigner.
[29] Comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Strachan, en général rares sont les droits garantis par la Charte qui seront pertinents pour la collecte d’éléments de preuve et, de ce fait, pour le paragraphe 24(2) de la Charte. Cependant, en l’espèce, il n’a pas été soutenu que l’article 7 de la Charte est, en droit, incapable d’étayer une violation de la Charte qui tombe sous le coup du paragraphe 24(2) de cette dernière. Je conviens que l’article 7 peut étayer une réparation en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte. Toutefois, il est juste de dire que les faits maintenant soumis à la Cour présentent un contexte inusité dans lequel examiner le paragraphe 24(2) de la Charte.
[30] Pour cette raison, lors des plaidoiries concernant la présente requête, j’ai examiné avec les avocats ce qui constituerait, dans le présent contexte, des liens temporels ou de causalité pertinents. Les avocats ont convenu qu’un lien de causalité exigerait qu’il y ait un rapport entre les témoignages antérieurs de M. Jaballah et les violations de l’article 7 exposées par la Cour suprême du Canada. Ils ont convenu de plus qu’un lien temporel exigerait l’existence d’un rapport quelconque entre le moment où les éléments de preuve de M. Jaballah ont été obtenus et celui où la violation de la Charte a eu lieu. Voir : notes sténographiques du 30 octobre 2009, pages 260, 261 et 364 à 365.
[31] Pour ce qui est de savoir s’il existe un lien de causalité entre une violation de la Charte et les témoignages antérieurs de M. Jaballah, le point de départ de mon analyse est la formulation, par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui I, de la nature de la conduite qui constitue une violation de la Charte. La Cour a fait les remarques suivantes :
• Une audition équitable exige que l’intéressé soit informé des allégations formulées contre lui et qu’il ait la possibilité d’y répondre (paragraphe 53);
• Sous le régime des dispositions de la Loi qui étaient en vigueur à ce moment‑là, il était possible que la personne désignée n’ait pas accès à la totalité ou à une partie des renseignements produits contre elle, ce qui empêchait la personne désignée dans le certificat de savoir ce qu’elle devait prouver (paragraphe 54);
• En définitive, un juge désigné peut devoir tenir compte de renseignements qui n’ont pas été inclus dans le résumé fourni à l’intéressé. Au bout du compte, ce juge peut être tenu de rendre sa décision entièrement ou en partie sur la foi de renseignements que la personne désignée et son avocat n’ont jamais vus. Il est donc possible que la personne désignée ignore totalement ce qu’on lui reproche. Même si elle a techniquement la possibilité d’être entendue, la personne désignée n’a peut‑être aucune idée de la preuve qu’elle doit présenter (paragraphe 55);
• Sans savoir les renseignements soumis à la Cour, la personne désignée n’est peut‑être pas en mesure de soulever des objections juridiques ou de faire valoir des arguments de droit pertinents. Cela mine la capacité du juge d’arriver à une décision fondée sur tous les faits et éléments de droit pertinents (paragraphes 52 et 65);
• Le droit de connaître la preuve qui pèse contre la personne n’est pas absolu. La Cour suprême a reconnu plutôt, et continue de reconnaître, que des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à l’intéressé (paragraphes 57 et 58);
• Dans certains contextes, des solutions de rechange à la divulgation complète peuvent permettre de satisfaire à l’article 7 de la Charte. Pour ce faire, il faut soit communiquer les renseignements nécessaires à la personne désignée, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel. Ni l’une ni l’autre de ces options n’a eu lieu en vertu de l’ancien régime législatif (paragraphes 59 et 61);
• Les procédures qui étaient alors en vigueur pour déterminer si un certificat était raisonnable ne pouvaient pas être justifiées comme une atteinte minimale aux droits de la personne à une décision judiciaire fondée sur les faits et sur le droit, et à son droit de connaître la preuve qui pesait contre elle et d’y répondre. Des mécanismes créés au Canada et à l’étranger, comme le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité et le système de représentant spécial utilisé au Royaume‑Uni, ont illustré que l’État pouvait faire mieux pour protéger les droits d’une personne désignée dans un certificat de sécurité tout en préservant la confidentialité des renseignements sensibles (paragraphes 71 et 81).
[32] En résumé, dans l’arrêt Charkaoui I la Cour suprême a conclu que l’article 7 de la Charte exige soit qu’une personne désignée dans un certificat de sécurité ait la possibilité de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre, soit que l’on trouve une autre façon importante de fournir des renseignements suffisants.
[33] Voyons maintenant s’il y a un rapport entre la violation de l’article 7 qu’a identifiée la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui I et les témoignages antérieurs de M. Jaballah.
[34] Dans leur plaidoirie, les avocates de M. Jaballah ont convenu que pour pouvoir évaluer s’il y avait un lien quelconque entre la présumée violation de la Charte et le contenu des témoignages antérieurs de leur client, il était nécessaire de connaître la mesure dans laquelle la nature de la preuve à réfuter avait été divulguée à ce dernier au moment où il avait témoigné. Voir : notes sténographiques du 30 octobre 2009, aux pages 358 et 359. Cela dit, la Cour dispose, dans le cadre de la présente requête, de renseignements limités au sujet du contenu des résumés et des éléments de preuve justificatifs qui ont été fournis à M. Jaballah dans les procédures antérieures.
[35] Les avocates de M. Jaballah ont fourni un document de comparaison, produit au cours de la procédure de 2001 sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité et comparant le contenu des résumés initialement fournis en 1999 avec le résumé fourni dans les procédures concernant le certificat de sécurité de 2001. Les avocates de M. Jaballah ont mis ensuite en contraste le manque de renseignements figurant censément dans les résumés et le contenu du contre‑interrogatoire du 13 septembre 2005 de M. Jaballah. Cependant, comme il a été indiqué plus tôt, la juge Layden‑Stevenson a expliqué que le résumé fourni à M. Jaballah en 2001 avait été modifié et étoffé à la longue, de sorte qu’à l’époque de l’audition relative aux motifs de détention de 2006, au moins, il y avait selon elle peu de choses pour faire une distinction entre les éléments de preuve figurant dans le dossier public et les renseignements confidentiels.
[36] Dans le cadre de la présente requête, toutes les transcriptions des témoignages antérieurs de M. Jaballah figurent dans un répertoire produit auprès de la Cour. Cependant, les résumés et les divulgations supplémentaires qui ont été fournis de temps à autre ne le sont pas.
[37] À cause du défaut de fournir la divulgation, il est difficile d’évaluer la mesure dans laquelle M. Jaballah ignorait la preuve qu’il devait réfuter lorsqu’il témoignait de temps à autre, et d’évaluer ensuite de quelle façon cela a pu avoir une incidence, ou non, sur la teneur et l’équité de ses témoignages.
[38] Une seconde difficulté auquel fait face M. Jaballah dans le cadre de l’établissement d’un lien de causalité est que, pour des raisons analysées plus loin, je conclus que ce dernier n’est pas, et n’était pas, un témoin contraignable dans les procédures antérieures de certificat de sécurité. Les témoignages que M. Jaballah a faits antérieurement devant la présente Cour étaient volontaires. En fait, sur les instructions de son avocat de l’époque, M. Jaballah a décidé de ne pas témoigner lors de l’audience de 2001 sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité. Comme l’a souligné la Cour suprême dans l’arrêt Goldhart, il s’ensuit que les ministres n’avaient aucune garantie qu’après la délivrance du certificat M. Jaballah fournirait une preuve, et encore moins une preuve sur laquelle les ministres chercheraient plus tard à se fonder. Comme M. Jaballah n’était pas un témoin contraignable, il était impossible que cette preuve soit « obtenu[e] » par les ministres. Le témoignage de M. Jaballah ne pouvait découler que de sa décision volontaire de témoigner, décision qu’il a prise en consultation avec son avocat.
[39] En outre, le fait que M. Jaballah a pu avoir été privé de la divulgation appropriée de la preuve à réfuter empêcherait de tirer une inférence négative, à savoir qu’il avait omis de produire antérieurement des éléments de preuve sur un point que ni lui ni son avocat ne pouvaient savoir qu’il était pertinent.
[40] Des considérations différentes s’appliquent dans les cas où, avec l’aide de son avocat, M. Jaballah a décidé de fournir des éléments de preuve. Ce dernier n’a pas expliqué en quoi le fait qu’il ne connaissait peut‑être pas toute la preuve à réfuter aurait une incidence sur la fiabilité du témoignage qu’il avait décidé de faire. Autrement dit, M. Jaballah n’a pas établi en quoi l’omission de faire une divulgation complète aurait eu une incidence sur la fiabilité de ses témoignages volontaires antérieurs, de sorte qu’il est inéquitable de le limiter au contenu de ses témoignages antérieurs.
[41] La dernière difficulté que je vois dans l’établissement d’un lien de causalité entre la violation de l’article 7 et le témoignage de M. Jaballah est que, dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême a pris soin de reconnaître que le droit de connaître la preuve produite contre soi n’est pas absolu. Des considérations relatives à la sécurité nationale peuvent limiter l’étendue de la divulgation de renseignements à un intéressé. Il semble que la Cour suprême ait envisagé qu’une personne désignée dans un certificat de sécurité puisse dans l’avenir devoir procéder en l’absence d’une divulgation complète de la preuve à réfuter, tant qu’on offre une solution de rechange importante à cette divulgation manquante (par exemple, les services d’un avocat spécial). Cependant, M. Jaballah soutient que lorsqu’une personne désignée dans un certificat de sécurité ignore la preuve à réfuter, son témoignage sera, en soi, obtenu d’une manière contraire aux droits que lui garantit l’article 7 de la Charte. Cet argument semble contraire à la prémisse de la Cour suprême selon laquelle le droit de connaître la preuve produite n’est pas absolu.
[42] Quant à l’existence d’un lien temporel entre le défaut de divulguer la preuve à réfuter et le témoignage de M. Jaballah, toute omission de divulguer des renseignements suffisants commencerait par la production d’un résumé et de renseignements justificatifs lacunaires. L’omission se poursuivrait jusqu’à ce que l’on fournisse un niveau de divulgation approprié. Le manque de preuves quant à l’état de la divulgation m’empêche d’examiner convenablement l’existence d’un lien temporel, surtout en ce qui a trait aux témoignages ultérieurs de M. Jaballah en 2005 et 2006.
[43] La force du rapport entre les éléments de preuve obtenus et la violation de la Charte est une question de fait. L’applicabilité du paragraphe 24(2) doit être tranchée au cas par cas. Voir : Goldhart, au paragraphe 40. Pour les motifs qui précèdent, M. Jaballah n’a pas établi le lien temporel ou de causalité nécessaire entre les éléments de preuve fournis au moyen de ses témoignages et la présumée violation de la Charte. Je conclus donc que M. Jaballah n’est pas parvenu à établir que le paragraphe 24(2) de la Charte s’appliquait aux faits de l’espèce.
[44] Voyons maintenant les arguments de M. Jaballah sur l’article 13 de la Charte.
4. M. Jaballah a‑t‑il droit à réparation en vertu de l’article 13 de la Charte?
[45] Le texte de l’article 13 de la Charte est le suivant :
13. Chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires. |
Témoignage incriminant |
[46] Aux dires de M. Jaballah, l’article 13 empêche les ministres d’utiliser dans le cadre de la présente instance, et ce, à une fin quelconque, tout témoignage qu’il a donné antérieurement dans les procédures relatives à un certificat de sécurité, ainsi que dans tout témoignage qu’il a fait devant la CISR.
[47] Les ministres répondent que l’article 13 ne s’applique pas à la présente instance.
[48] Pour ce qui est de l’applicabilité de l’article 13, M. Jaballah soutient que l’immunité qu’accorde cette disposition ne se limite pas aux procédures de nature criminelle. Il reconnaît qu’il a été conclu dans des affaires antérieures, en se fondant sur la corrélation entre les articles 13 et 11 de la Charte, que l’article 13 s’appliquait aux instances administratives uniquement lorsqu’elles exposaient l’intéressé à une pénalité ou à une confiscation, ou à de « véritables conséquences pénales ». Selon la définition qu’en donne la Cour suprême, les « véritables conséquences pénales » consistent en une peine d’emprisonnement ou en une amende qui, par son importance, semblerait imposée dans le but de réparer un tort causé à la société en général, plutôt que pour maintenir la discipline, l’intégrité professionnelle et des normes, ou réglementer la conduite dans une sphère d’activités limitée. Cependant, M. Jaballah soutient que [traduction] « cette interprétation stricte et restrictive de l’application de l’article 13 ne donne pas un effet adéquat à la corrélation entre l’article 13 et l’article 7 », et que cette interprétation ne peut être maintenue au vu de la jurisprudence récente de la Cour suprême. Les arrêts sur lesquels il se fonde sont les suivants : Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248 (Re Bagri); Charkaoui I et Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38, [2008] 2 R.C.S. 326 (Charkaoui II).
[49] La pertinence des deux arrêts Charkaoui résiderait dans le fait que la Cour suprême a reconnu les graves conséquences qui peuvent découler de procédures relatives à un certificat de sécurité, et la nécessité subséquente d’un processus équitable qui tient compte de la nature des procédures et des intérêts en jeu.
[50] M. Jaballah soutient qu’il est des plus nécessaires de disposer de protections procédurales et que ces dernières peuvent inclure une immunité contre l’utilisation que les ministres peuvent faire de ses témoignages antérieurs. C’est à cet égard que M. Jaballah se fonde sur l’arrêt Re Bagri.
[51] Dans l’arrêt Re Bagri, la Cour a examiné la constitutionnalité de dispositions du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] qui habilitent un juge, à la suite de la demande d’un agent de la paix, à lancer une investigation judiciaire s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction de terrorisme a été commise et qu’il y a des chances d’obtenir les renseignements qui se rapportent à cette infraction ou au lieu où se trouve le suspect, ou de croire qu’une infraction de terrorisme sera commise et que le témoin a des renseignements directs et pertinents qui se rapportent à l’infraction ou au lieu où se trouve un suspect. En outre, il faut que des efforts raisonnables aient été faits au préalable pour obtenir ces renseignements du témoin. Il peut être ordonné à ce dernier de comparaître, de subir un interrogatoire sous serment et d’apporter toute chose qu’il a en sa possession ou à sa disposition.
[52] Le paragraphe 83.28(10) [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 4] du Code criminel dispose ensuite que nul n’est dispensé de répondre à une question ou de produire une chose pour la raison que la réponse ou la chose remise peut tendre à l’incriminer ou à l’exposer à une procédure ou à une pénalité. Cette disposition confère aussi l’immunité contre l’utilisation de la preuve ainsi que l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée à l’égard de n’importe quelle réponse donnée ou chose produite dans le cadre de toute instance criminelle engagée contre la personne en question.
[53] Le paragraphe 83.28(10) confère donc aux personnes contraintes à témoigner dans une investigation judiciaire des protections qui sont « équivalentes et, dans le cas de l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée, supérieures à celles dont jouissent les témoins contraints à témoigner dans d’autres procédures », y compris les procès criminels. Voir : Re Bagri, au paragraphe 73.
[54] Dans l’arrêt Re Bagri, la Cour suprême a fait remarquer qu’un témoignage fait dans une telle procédure pouvait aussi être utilisée contre un non‑citoyen lors d’audiences en matière d’expulsion tenues en vertu de l’article 34 de la LIPR. Dans ce contexte, la Cour a tiré la conclusion suivante (aux paragraphes 77 à 79) :
Le présent pourvoi nous donne l’occasion d’analyser, pour la première fois, les paramètres du droit de ne pas s’incriminer dans le contexte d’audiences en matière d’expulsion ou d’extradition auxquelles sont exposées, selon les faits de la présente affaire, des personnes visées par l’acte de procédure délivré en vertu de l’art. 83.28. Les affaires antérieures portaient exclusivement sur l’application de l’art. 7 dans le cas où le gouvernement participe à des procédures où le risque de torture ou de peine de mort est un enjeu. La Cour a reconnu que le droit de ne pas s’incriminer en livrant un témoignage forcé n’est pas absolu. En fait, dans les motifs qui précèdent, nous avons confirmé que diverses garanties procédurales sont requises lorsqu’il est question de contrainte à témoigner. La Cour a aussi expressément reconnu que les procédures d’expulsion et d’extradition peuvent avoir des effets désastreux, étant donné les graves conséquences qu’elles ont souvent sur les droits à la liberté et à la sécurité de certaines personnes.
Comme dans bien d’autres domaines du droit, il est nécessaire d’établir un équilibre entre le principe interdisant l’auto‑incrimination et l’intérêt qu’a l’État à enquêter sur des infractions. Nous croyons que l’application des garanties procédurales de l’art. 83.28 aux audiences en matière d’extradition et d’expulsion permet d’établir cet équilibre […]
Pour satisfaire aux exigences de l’art. 7, il faut nécessairement appliquer les garanties procédurales de l’art. 83.28 aux procédures d’extradition et d’expulsion. Dans l’arrêt Branch, précité, par. 5, la Cour a affirmé que l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée peut être revendiquée, à la fois, dans des procédures subséquentes où le témoin est un accusé passible de sanctions pénales et, de façon plus générale, dans toutes procédures qui déclenchent l’application de l’art. 7 de la Charte, telles les audiences en matière d’extradition et d’expulsion. L’effet protecteur du par. 83.28(10) serait sérieusement compromis si l’État pouvait, à sa discrétion, utiliser dans des procédures d’extradition ou d’expulsion subséquentes les renseignements recueillis en vertu de l’art. 83.28. Par conséquent, lorsqu’un tel risque existe, le juge qui préside l’investigation peut établir ou modifier, si nécessaire, les modalités de l’ordonnance de manière à accorder, comme il se doit, l’immunité contre l’utilisation de la preuve et l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée dans les procédures d’extradition ou d’expulsion. [Non souligné dans l’original.]
[55] M. Jaballah se fonde sur cette conclusion pour faire valoir ce qui suit :
[traduction] Même si l’article 13 n’a pas été examiné dans cette affaire, cette disposition n’entrant pas en application au stade de la contrainte initiale à témoigner, M. Jaballah soutient que ces motifs sont néanmoins instructifs quant à la portée et à l’application de cette disposition. En fait, la Cour suprême a prescrit que l’immunité contre l’utilisation prospective de la preuve que prévoit l’article 7 devait englober non seulement les procédures criminelles et quasi criminelles, mais aussi celles qui concernent les cas d’expulsion et d’extradition lorsqu’elles comportent de graves conséquences pour la personne visée. M. Jaballah soutient que, par souci de cohérence, l’immunité contre l’utilisation rétrospective de la preuve que prévoit l’article 13 devrait englober les mêmes choses. Il soutient en outre que cette conclusion est étayée par l’examen des décisions que la Cour suprême a rendues dans deux affaires ultérieures : Charkaoui (no 1), précitée, et Charkaoui (no 2). [Renvoi omis.]
[56] Ceci étant dit avec respect, je ne crois pas qu’une protection conçue en vertu de l’article 7 de la Charte, dans le contexte factuel précis qui était soumis à la Cour dans l’arrêt Re Bagri, peut changer la portée ou l’applicabilité de l’article 13 de la Charte. En d’autres termes, l’article 7 peut contenir des protections résiduelles aptes à excéder celles que confère l’article 13. Voir : R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, au paragraphe 91. Toutefois, cela ne modifie pas la protection qu’accorde l’article 13 de la Charte.
[57] Dans leur plaidoirie, les avocates de M. Jaballah ont reconnu que les procédures de certificat de sécurité ne sont pas de nature criminelle et n’entraînent pas de véritables conséquences pénales. Voir : notes sténographiques du 29 octobre 2009, à la page 112.
[58] Compte tenu de cette reconnaissance, ainsi que de ma conclusion selon laquelle la décision rendue dans Re Bagri ne peut en soi étendre l’application de l’article 13 de la Charte, je conclus que M. Jaballah n’est pas parvenu à établir que cette disposition s’applique à la présente instance.
[59] Il reste à examiner l’alinéa 83(1)h) de la Loi.
5. L’affaire se prête‑t‑elle à l’application de l’alinéa 83(1)h) de la Loi?
[60] L’alinéa 83(1)h) de la Loi indique que dans les procédures relatives à un certificat de sécurité :
83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 : […] h) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui‑ci; |
Protection des renseignements |
[61] Lors des plaidoiries, j’ai demandé aux avocats des parties si l’alinéa 83(1)h) permettait à la Cour de refuser de recevoir des éléments de preuve qui ne seraient pas dignes de foi ou utiles. Les deux parties ont reconnu que oui. Voir : notes sténographiques du 30 octobre 2009, aux pages 328 à 330 et 379 à 381. Pour les motifs qui suivent, je crois que cela est exact.
[62] À première vue, l’alinéa 83(1)h) semble destiné à faciliter l’admission d’éléments de preuve qui seraient par ailleurs inadmissibles. Cette disposition reconnaît le type d’informations et de renseignements que l’on recueille dans le contexte d’une enquête en matière de sécurité nationale. Un exemple de cela serait les informations obtenues d’un organisme étranger digne de confiance. Il est fort possible que la Cour soit convaincue que l’information est digne de foi et utile mais, selon les règles de preuve classiques, elle serait inadmissible car il s’agirait de ouï‑dire.
[63] Indépendamment de cette fin, l’emploi de mots larges et permissifs comme « peut », « qu’il estime » et « digne de foi et utile » confère au juge désigné le vaste pouvoir discrétionnaire de contrôler, d’une manière rationnelle, les informations et les éléments de preuve que reçoit la Cour.
[64] Cette opinion s’appuie sur le paragraphe 83(1.1) [édicté par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] de la Loi, dont le texte est le suivant :
83. […] |
|
(1.1) Pour l’application de l’alinéa (1)h), sont exclus des éléments de preuve dignes de foi et utiles les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture, au sens de l’article 269.1 du Code criminel, ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens de la Convention contre la torture. |
Précision |
[65] L’analyse article par article du projet de loi C‑3 [L.C. 2008, ch. 3] indique que le paragraphe 83(1.1) a été ajouté pour préciser que les éléments de preuve dignes de foi et utiles n’incluent pas les informations qui, a‑t‑on des motifs raisonnables de croire, ont été obtenues sous la torture. Le fait que le paragraphe 83(1.1) soit simplement une « clarification » reflète à mon sens l’intention du législateur selon laquelle la Cour ne devrait pas recevoir d’informations ou d’éléments de preuve entachés par le fait qu’ils ne sont pas dignes de foi ou utiles.
[66] Après avoir caractérisé ainsi l’alinéa 83(1)h) de la Loi, j’examinerai d’abord l’usage qui peut être fait en l’espèce des témoignages antérieurs que M. Jaballah a faits lors de l’audience relative au caractère raisonnable du certificat de sécurité et de l’audience relative aux motifs de détention qui sont associées aux deux premiers certificats. J’examinerai ensuite l’usage qui peut être fait du témoignage qu’il a fait devant la CISR.
a. La preuve qu’a fournie M. Jaballah devant la présente Cour en l’espèce ayant trait aux deux certificats de sécurité antérieurs.
[67] Pour que les témoignages antérieurs de M. Jaballah soient reçus en preuve, il faut qu’ils soient dignes de foi et utiles (ou indiqués). La question qui me préoccupe a trait au caractère indiqué de la réception de ces éléments de preuve.
[68] Dans l’arrêt Centre de santé mentale de Penetanguishene c. Ontario (Procureur général), 2004 CSC 20, [2004] 1 R.C.S. 498, il a été conclu que le mot « indiqué » évoque généralement l’existence d’une très grande latitude et d’un très large pouvoir discrétionnaire. En même temps, ce mot doit tirer son sens du contexte pertinent (voir les paragraphes 48 et 51).
[69] Dans le contexte des procédures de certificat de sécurité, le processus a un tel effet sur le droit à la liberté de la personne désignée qu’il fait entrer en application l’article 7 de la Charte. Voir : Charkaoui I, au paragraphe 18.
[70] L’application de l’article 7 ne dicte aucun processus particulier, mais exige la tenue d’un processus équitable qui tient compte de la nature des procédures et des intérêts en jeu. C’est le contexte qui détermine quelles sont les procédures qui sont requises pour se conformer aux principes de justice fondamentale. La Cour suprême a déclaré que les situations de fait qui se rapprochent davantage d’une procédure criminelle méritent une plus grande vigilance de la part des tribunaux. Dans les procédures de certificat de sécurité, le principe de justice fondamentale prépondérant est que les personnes désignées dans un certificat de sécurité doivent bénéficier d’un processus judiciaire équitable. Voir : Charkaoui I, aux paragraphes 20, 25 et 28.
[71] En l’absence de circonstances exceptionnelles qui sont difficiles, voire impossibles, à envisager, si la réception d’un élément de preuve violait les principes de justice fondamentale il ne serait pas indiqué de les recevoir. Il faut donc déterminer si la réception des témoignages antérieurs que M. Jaballah a faits devant la Cour serait conforme aux principes de justice fondamentale.
[72] Pour savoir s’il est indiqué de recevoir les témoignages antérieurs de M. Jaballah, il est nécessaire de déterminer la nature de cette preuve et l’étendue des protections qu’exige l’article 7. Les parties se sont demandées si M. Jaballah est un témoin contraignable en l’espèce, et cette question a une incidence sur ces deux aspects. En outre, même si j’ai conclu que l’article 13 de la Charte ne s’applique pas en l’espèce, je crois que la teneur de la protection qu’accorde cette disposition a une certaine pertinence pour l’étendue des protections procédurales que requièrent les principes de justice fondamentale.
[73] Les ministres soutiennent dans le cadre de la présente requête que M. Jaballah, en tant que personne désignée dans un certificat de sécurité, n’est pas un témoin contraignable dans les procédures qui se rapportent au certificat. Ils disent que cette conséquence découle de l’application de l’article 7 de la Charte, ainsi que du libellé de l’alinéa 83(1)g) [mod., idem] de la Loi. Voir : notes sténographiques du 30 octobre 2009, à la page 266 et aux pages 300 à 302. Le texte de l’alinéa 83(1)g) est le suivant :
83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 : […] g) il donne à l’intéressé et au ministre la possibilité d’être entendus; |
Protection des renseignements |
[74] M. Jaballah n’est pas d’accord et indique qu’il est un témoin contraignable, de sorte qu’il faudrait traiter ses témoignages antérieurs comme s’ils avaient été forcés. M. Jaballah étaye cet argument en faisant référence à la forte présomption de contraignabilité, tant en common law que dans la structure de la Charte. Il se fonde également sur le commentaire qu’a fait en passant mon collègue, le juge Mosley, dans la décision Almrei (Re), 2009 CF 3, à savoir que M. Almrei pourrait [traduction] « fort bien » être contraint à témoigner à une audience de contrôle des motifs de détention.
[75] À cause des conséquences qui, je crois, découlent d’une conclusion selon laquelle une personne désignée dans un certificat de sécurité n’est pas un témoin contraignable, il est important de régler cette question.
[76] Je reconnais la présomption de contraignabilité en common law et la structure de la Charte selon laquelle l’alinéa 11c) ne protège une personne contre la contrainte que lorsqu’elle est accusée d’une infraction. Je reconnais également que la jurisprudence établit que l’alinéa 11c) de la Charte ne s’applique pas aux pro-cédures d’interdiction de territoire. Voir, par exemple, Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 735, où la Cour a écrit que les dispositions en matière d’expulsion « ne portent pas sur les conséquences pénales des actes de particuliers ».
[77] Cependant, je ne crois pas que l’alinéa 11c) de la Charte épuise les protections qu’offre cette dernière contre la contraignabilité. L’article 7 de la Charte peut offrir une protection résiduelle contre l’auto‑incrimination, mais il peut aussi offrir une protection résiduelle contre la contraignabilité. Les certificats de sécurité impliquent la mise en détention d’un non‑citoyen accessoirement à l’effort que font les ministres pour expulser cet individu du pays. La gravité des droits à la liberté et à la sécurité qu’implique ce processus exige des protections procédurales équivalentes qui satisfont à l’obligation d’équité en common law et aux impératifs de la justice fondamentale.
[78] Les ministres ne tenteraient de contraindre une personne désignée dans le certificat de sécurité à témoigner que dans le but de fournir des preuves sur lesquelles ils pourraient se fonder. À mon avis, contraindre une telle personne à fournir des preuves contraires à son intérêt, dans des circonstances où les droits de cette personne à la liberté et à la sécurité sont à ce point mis en cause, n’accorderait pas à cette personne un processus judiciaire équitable et serait contraire aux principes de justice fondamentale. Il en est ainsi parce que les facteurs qui favorisent l’importance de la recherche de la vérité n’ont pas plus de poids que ceux qui favorisent la protection de la personne contre une contrainte indue de la part de l’État.
[79] Je conclus donc que les ministres ont raison lorsqu’ils admettent que, par application de l’article 7 de la Charte, M. Jaballah n’est pas un témoin contraignable. Je conviens également que cette conclusion concorde avec le libellé de la Loi. L’alinéa 83(1)g) exige du juge qu’« il donne à l’intéressé et au ministre la possibilité d’être entendu ». Ce libellé ne cadre pas avec la capacité de contraindre une partie quelconque à témoigner. De plus, la Loi ne comporte aucun mécanisme permettant d’obliger la personne désignée à témoigner ou de sanctionner toute omission de témoigner.
[80] De plus, comme le font valoir les ministres, une personne désignée dans un certificat peut présenter ses arguments autrement que par son propre témoignage.
[81] Finalement, en ce qui concerne la remarque faite en passant par le juge Mosley dans la décision Almrei, là encore les ministres font remarquer qu’au paragraphe 70 de ses motifs, le juge Mosley a conclu que M. Almrei pouvait décider de ne pas témoigner au contrôle des motifs de sa détention.
[82] Ayant conclu que M. Jaballah n’est pas contraignable, je crois qu’il y a des conséquences qui en découlent.
[83] Dans l’arrêt Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, à la page 353, les juges majoritaires de la Cour suprême ont examiné la valeur que vise à atteindre la règle de la non‑contraignabilité. Je suis d’accord avec les ministres qu’il ne faudrait pas importer en bloc des principes de justice criminelle dans ce qui constitue par ailleurs une affaire d’immigration, mais je crois qu’il est instructif d’examiner la valeur que vise à atteindre la règle de la non‑contraignabilité, surtout quand les ministres admettent que cette règle s’applique.
[84] Dans l’arrêt Dubois, à la page 357, la Cour a admis que la règle de la non‑contraignabilité vise à promouvoir le principe de la preuve à réfuter. La Cour a cité en y souscrivant le passage suivant : « Ce n’est pas le fait que l’accusé ne soit pas obligé de témoigner qui le protège mais le fait que la Couronne soit obligée de prouver l’accusation avant qu’on s’attende à une réaction de sa part ». La Cour suprême a ensuite souligné que le droit initial au silence avait pour corollaire la protection contre l’auto‑incrimination. Aux pages 365 et 366, le juge Lamer (tel était alors son titre) écrit ce qui suit :
Après avoir établi que l’art. 13 confère une forme de protection contre l’auto‑incrimination, il est aussi nécessaire de déterminer si cela signifie qu’un accusé qui a choisi de témoigner doit être protégé à l’occasion du nouveau procès relativement à la même infraction ou à une infraction comprise.
Je ne vois pas comment le témoignage donné par l’accusé pour réfuter la preuve soumise au premier procès pourrait, sans contrevenir à l’al. 11d), et à un degré moindre à l’al. 11c) […]
Permettre à la poursuite d’utiliser, dans le cadre de sa preuve principale, le témoignage antérieur de l’accusé aurait comme conséquence de lui permettre de faire indirectement ce qui lui est interdit de faire directement en vertu de l’al. 11c), c.‑à‑d. contraindre l’accusé de témoigner. Ce serait de plus permettre une violation indirecte du droit de l’accusé d’être présumé innocent et de garder le silence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par la poursuite, droit que lui garantit l’al. 11d) de la Charte. Notre Charte constitutionnelle doit s’interpréter comme un système où « chaque élément contribue au sens de l’ensemble et l’ensemble au sens de chacun des éléments » (comme l’écrit P.A. Côté dans Interprétation des lois (1982), à la p. 257). Les tribunaux doivent interpréter chaque article de la Charte en fonction des autres articles (voir, par exemple, R. v. Carson (1983), 20 M.V.R. 54 (C.A. Ont.); R. v. Konechny, [1984] 2 W.W.R. 481 (C.A.C.‑B.); Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights (1984), 47 O.R. (2d) 1 (C.A.); R. v. Antoine, précité). Conclure qu’un nouveau procès n’est pas une « autre procédure » au sens de l’art. 13 équivaudrait en fait à permettre une interprétation d’un droit conféré par la Charte qui comporte la violation d’un autre droit conféré par la Charte. Il faut éviter un tel résultat. [Non souligné dans l’original.]
[85] La Cour suprême du Canada a récemment confirmé cette opinion dans l’arrêt R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, aux paragraphes 25 à 27 et 39 à 40.
[86] Par souci de cohérence, le fait de permettre aux ministres d’utiliser les témoignages antérieurs de M. Jaballah dans le cadre de leur preuve principale reviendrait à leur permettre de contraindre indirectement ce dernier à témoigner.
[87] Je conclus donc que, si le fait de contraindre M. Jaballah violerait les principes de justice fondamentale, celui d’autoriser les ministres à utiliser ses témoignages antérieurs dans le cadre de leur preuve principale aurait aussi le même résultat. Il s’ensuit qu’il ne serait pas indiqué de recevoir ces éléments en preuve.
[88] L’autre point à examiner est le suivant. Si, dans la présente instance, M. Jaballah décide de témoigner, les ministres peuvent‑ils utiliser ses témoignages antérieurs pour le contre‑interroger? Plus précisément, cela serait‑il conforme aux principes de justice fondamentale?
[89] Comme l’ont signalé les juges majoritaires de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. R.J.S., au paragraphe 108, toute règle qu’exige le principe interdisant l’auto-incrimination et qui impose une limite à la contraignabilité exerce une tension dynamique avec le principe contraire de la justice fondamentale qui indique que, dans la recherche de la vérité, tous les éléments de preuve pertinents doivent être mis à la disposition de la Cour.
[90] Cette tension est, je crois, illustrée dans le passage suivant, extrait de l’arrêt Henry (aux paragraphes 2 et 3) :
Il y a un monde entre l’objet important visé par un droit destiné à protéger contre l’auto‑incrimination forcée et la prétention des appelants, selon laquelle un accusé peut, après avoir donné volontairement une version des faits à son premier procès, l’avoir vue rejetée par le jury et avoir obtenu un nouveau procès pour un motif distinct, soumettre volontairement une version différente et contradictoire à un jury différemment constitué, dans l’espoir que celui‑ci rendra un verdict plus favorable parce que les contradictions avec la première version ne lui seront pas révélées.
La finalité protectrice de l’art. 13 a un contrepoids dont il faut tenir compte, soit la crainte qu’un accusé puisse ajuster son témoignage au cours de procès successifs relativement à la même accusation et ainsi être acquitté à tort, grâce à des mensonges et des contradictions non révélés, ce qui ébranlerait la crédibilité du processus judiciaire lui‑même. Un contre-interrogatoire efficace constitue une composante essentielle d’un procès équitable : R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, p. 608; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, p. 663; R. c. Shearing, [2002] 3 R.C.S. 33, 2002 CSC 58, par. 76; R. c. Lyttle, [2004] 1 R.C.S. 193, 2004 CSC 5, par. 41. Mettre au jour les contradictions dans les déclarations d’un témoin est l’un des éléments principaux d’un contre‑interrogatoire efficace.
[91] Dans l’arrêt Henry, la Cour suprême a passé en revue des éléments jurisprudentiels dans lesquels avait été interprétée la portée de la protection contre l’auto-incrimination que garantit l’article 13 de la Charte. Les circonstances soumises à la Cour dans cette affaire étaient que les accusés avaient témoigné volontairement, tant à leur premier procès qu’à leur nouveau procès ultérieur. Au second procès, ils avaient relaté une version différente des faits et ils avaient été contre‑interrogés sur leurs témoignages incompatibles antérieurs. Ils ont fait valoir devant la Cour suprême que cette utilisation de leurs témoignages antérieurs violait le droit à ne pas s’incriminer que garantissait l’article 13 de la Charte. La Cour a conclu que l’article 13 ne s’appliquait pas pour protéger un accusé qui décidait de témoigner à son nouveau procès sur le même acte d’accusation.
[92] Je crois que les valeurs qui ont éclairé l’analyse faite par la Cour dans l’arrêt Henry devraient éclairer l’examen relatif à la portée de la protection que l’article 7 de la Charte accorde à M. Jaballah. Les droits à la liberté et à la sécurité qui sont en cause dans la présente instance sont importants, mais je ne pense pas qu’ils justifient une protection supérieure à celle que l’on accorderait à un accusé dans une instance criminelle.
[93] Pour cette raison, si M. Jaballah décide de témoigner dans la présente instance, les ministres peuvent le contre‑interroger sur toute déclaration antérieure faite lors des procédures de certificat de sécurité antérieures.
b. Le témoignage fait devant la CISR
[94] M. Jaballah a limité ses observations concernant le témoignage qu’il a fait devant la CISR à l’article 13 de la Charte. Cependant, comme j’ai conclu que l’article 7 de la Charte est pertinent, il est nécessaire que j’examine s’il serait contraire aux principes de justice fondamentale de recevoir des ministres cette preuve à l’appui de leurs arguments.
[95] Dans son analyse concernant l’article 13, les avocates de M. Jaballah ont fait valoir que l’audience de la CISR faisait partie « d’autres procédures » et qu’il était un témoin contraignable devant la CISR. Elles se sont fondées sur le fait qu’à l’époque en cause, le texte de loi qui régissait la question conférait aux membres de la CISR tous les pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la partie I [articles 1 à 5] de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I‑11, y compris celui d’exiger qu’une personne comparaisse et témoigne. Les ministres ont répondu que même si les commissaires de la CISR détenaient effectivement les pouvoirs d’un commissaire d’enquête, il était nécessaire de prendre en considération la nature des procédures de la CISR ainsi que celle du témoignage de M. Jaballah.
[96] Je suis d’accord, et je considère que la preuve de M. Jaballah devant la CISR est, d’un point de vue qualitatif, différente des témoignages qu’il a faits lors des procédures de certificat antérieures.
[97] La demande d’asile de M. Jaballah a été entreprise à la suite de la décision personnelle, prise librement par lui, de se lancer dans ce processus. Avant ou pendant le processus, il aurait appris que pour présenter une demande d’asile il lui fallait produire un formulaire de renseignements personnels, établi sous serment, ainsi que comparaître et témoigner sous serment. M. Jaballah a choisi de faire les deux. Pendant toute la durée de la demande d’asile, M. Jaballah n’a pas été contraint à fournir des preuves. Toute omission de produire un formulaire de renseignements personnels ou de comparaître à une audience n’aurait pas mené à l’imposition d’une pénalité ou à une poursuite pour outrage. Au lieu de cela, on aurait tenu une audience sur l’abandon de la demande d’asile. Dans l’audition de la demande d’asile, M. Jaballah ne se trouvait pas dans une position antagoniste par rapport à l’État. Sauf si le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration était d’avis que les clauses de cessation ou d’exclusion s’appliquaient (en vertu du paragraphe 2(2) de l’ancienne Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] ou de la section E ou F de l’article premier de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6]), les audiences relatives à une demande d’asile qui avaient lieu de la CISR étaient considérées comme non antagonistes, en ce sens que le demandeur n’avait aucune preuve à réfuter. Cela s’expliquait par le fait qu’il n’y avait aucune partie ayant un intérêt opposé à celui du demandeur. Voir : Guide de la SSR, 31 mars 1999, pages 1‑8 à 1‑12.
[98] Dans l’arrêt R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154, la Cour suprême a confirmé que toute limite imposée au principe interdisant l’auto‑incrimination doit être déterminée en se reportant aux deux objets fondamentaux qui sous‑tendent ce principe : premièrement, la protection contre les confessions indignes de foi et, deuxièmement, la protection contre les abus de pouvoir de l’État. Dans l’arrêt Fitzpatrick, la Cour a conclu que l’on ne menacerait ni l’un ni l’autre de ces objets en permettant à la Couronne d’utiliser, dans le cadre d’une poursuite pour surpêche, des documents que la réglementation forçait l’accusé — un pêcheur — à fournir. La Cour suprême a conclu que la protection contre l’auto‑incrimination qu’accorde l’article 7 de la Charte ne conférait pas à tous les dossiers produits sous contrainte légale le statut de témoignage forcé lors d’une audience tenue en matière criminelle ou aux fins d’une enquête.
[99] Je conclus moi aussi que ni l’un ni l’autre des objets fondamentaux n’est menacé si l’on reçoit en preuve le témoignage que M. Jaballah a fait devant la CISR. En ce qui concerne la crainte des confessions indignes de foi, le témoignage que M. Jaballah a fait devant la CISR n’était pas une confession. De plus, je ne vois pas en quoi le fait de permettre que cette preuve soit produite dans le cadre d’une procédure de certificat de sécurité aggraverait le risque d’un faux témoignage devant la CISR. Il existe déjà de sévères sanctions pour ceux qui font un faux témoignage sous serment. Comme dans l’arrêt Fitzpatrick, la crainte d’une incitation accrue à falsifier une preuve n’est pas un motif raisonnable de conclure que le principe interdisant l’auto‑incrimination s’applique en l’espèce.
[100] Quant au second objet fondamental, la protection contre les abus de pouvoir de l’État, il y a selon moi peu de risques que la participation volontaire à une demande d’asile et l’utilisation ultérieure de ce témoignage mènent à une conduite abusive de la part de l’État.
[101] Pour ces motifs, je conclus que l’on ne violerait pas les principes de justice fondamentale et qu’il serait donc indiqué que la Cour reçoive le témoignage que M. Jaballah a fait antérieurement devant la CISR dans le cadre de la preuve des ministres. En outre, si M. Jaballah décide de témoigner en l’espèce, les ministres pourront utiliser le témoignage qu’il a fait devant la CISR en contre‑interrogatoire.
[102] Cette dernière conclusion concorde avec la décision qu’a rendue le juge Mosley dans la décision Almrei, où, aux paragraphes 71 à 75, il a conclu que si M. Almrei décidait de témoigner à une audience relative au contrôle des motifs de sa détention, il pourrait être contre‑interrogé à cette occasion sur la foi de ses déclarations et de ses témoignages antérieurs.
c. L’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée
[103] M. Jaballah soutient que le principe de l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée s’applique en l’espèce. Les ministres ne sont pas en désaccord avec ce point de vue.
[104] Les avocats spéciaux ont relevé, dans le dossier clos déposé à l’appui du certificat de sécurité actuellement en vigueur, un élément d’information particulier qui, disent‑ils, constitue une preuve dérivée. Les ministres conviennent que si la Cour conclut que le fait qu’ils se fondent sur les témoignages antérieurs de M. Jaballah viole un ou plusieurs des droits que la Charte garantit à celui-ci, cet élément d’information peut être considéré comme une preuve dérivée.
[105] Je conviens que le principe de l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée s’applique en l’espèce. Voir : British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 5, et Re Bagri, au paragraphe 79. Je suis également convaincue que les renseignements en question ont un lien de causalité avec les témoignages que M. Jaballah a faits en 1999. Cela étant, on enfreindrait les principes de justice fondamentale si l’on permettait aux ministres d’utiliser cette preuve à l’appui du certificat. Il ne serait pas indiqué de recevoir cette information et ces éléments dans le cadre de la preuve des ministres.
d. La protection qu’accorde l’ordonnance du juge MacKay
[106] L’ordonnance que le juge MacKay a rendue le 18 août 2006 a accordé une immunité contre l’utilisation de la preuve et de la preuve dérivée à M. Jaballah, relativement aux témoignages qu’il avait faits devant lui en mai et en juillet 2006. Mes motifs concernant l’utilisation que les ministres peuvent faire des témoignages antérieurs faits par M. Jaballah devant la Cour font qu’il est inutile d’examiner l’effet qu’a l’ordonnance du juge MacKay, sauf à un égard en particulier. J’ai conclu que si M. Jaballah décidait de témoigner, les ministres pourraient le contre‑interroger sur les témoignages antérieurs qu’il a faits devant la présente Cour. Cette conclusion oblige à examiner si l’ordonnance du juge MacKay a conféré une protection additionnelle au sujet des témoignages faits en 2006.
[107] Les observations supplémentaires que M. Jaballah a faites le 3 décembre 2009 situent le contexte dans lequel l’ordonnance du 18 août 2006 a été rendue, ainsi que son argument quant au motif pour lequel l’immunité accordée contre l’utilisation de la preuve s’étend à l’utilisation qui est faite de cette dernière pour attaquer la crédibilité de M. Jaballah en contre‑interrogatoire. Cette ordonnance a été rendue dans le contexte d’une demande d’ajournement d’autres procédures engagées contre M. Jaballah, en attendant l’issue de la décision de la Cour suprême dans Charkaoui I. En rejetant la demande, le juge MacKay a conclu qu’une ordonnance judiciaire pouvait régler convenablement les préoccupations de M. Jaballah au sujet du tort que pourrait causer le fait que les ministres utilisent ses témoignages lors d’audiences ultérieures. M. Jaballah soutient qu’il ressort clairement du dossier qu’une attaque contre la crédibilité faisait partie du tort possible que l’on cherchait à protéger. Il souligne les observations qu’a faites M. Noriss le 11 juillet 2006 (à la page 812) :
[traduction] M. Jaballah devrait bénéficier de l’immunité contre l’utilisation de la preuve et de la preuve dérivée à l’égard de ces témoignages dans toute autre procédure. C’est‑à‑dire que l’on ne pourrait pas s’en servir pour continuer à étoffer la preuve contre lui lors d’une procédure ultérieure, ou les informations tirées de ses témoignages devraient elles aussi ne pas être à la disposition des ministres ou, de façon plus générale, de la Couronne et du gouvernement du Canada pour étoffer sa preuve contre M. Jaballah, soit directement dans le cadre de sa preuve principale, soit comme fondement à un contre‑interrogatoire de M. Jaballah. [Mis en italique dans l’original.]
D’autres observations ont été faites au sujet de la portée de l’immunité contre l’utilisation de la preuve dont disposent les témoins contraignables, par opposition aux témoins volontaires, sur le fondement de l’arrêt Henry (23 mai 2006, aux pages 276 et 277). Selon ces observations, un témoin contraignable serait à l’abri d’un contre‑interrogatoire portant sur des témoignages antérieurs. M. Jaballah soutient qu’au vu de ce qui précède, et de la conclusion du juge MacKay selon laquelle il était [traduction] « quasi contraint par les circonstances de témoigner s’il devait exercer sa chance d’établir que le certificat des ministres est déraisonnable », il faudrait considérer que l’ordonnance protège non seulement contre l’utilisation de ses témoignages dans la preuve principale des ministres, mais aussi contre leur utilisation en contre‑interrogatoire.
[108] Les ministres répliquent en faisant valoir tout d’abord que la Cour ne devrait pas considérer qu’elle est liée par l’ordonnance du juge MacKay, car cette ordonnance était prématurée. En effet, aux termes de l’article 13 de la Charte, la question de savoir si une preuve est incriminante doit être tranchée au moment où on tente d’utiliser la preuve, et non pas où cette dernière est donnée pour la première fois. Ils soutiennent qu’il ne faudrait pas empêcher la Cour de rendre sa propre décision et, en le faisant, la Cour devrait garder à l’esprit qu’il est un principe de justice fondamentale selon lequel une preuve pertinente doit être mise à la disposition du juge des faits.
[109] Dans leurs observations écrites supplémentaires du 3 décembre 2009, les ministres réitèrent que les témoignages antérieurs de M. Jaballah étaient volontaires et non forcés. Ils signalent qu’une conclusion de [traduction] « quasi‑contrainte » n’est pas une conclusion explicite selon laquelle M. Jaballah était légalement forcé. Ils ajoutent de plus que :
[traduction] […] si la Cour conclut de façon générale que les témoignages de M. Jaballah n’ont pas été forcés, il serait incongru d’interpréter l’ordonnance autrement qu’en disant que la disposition d’immunité contre l’utilisation de la preuve n’empêche pas d’utiliser les témoignages en vue d’attaquer sa crédibilité en contre‑interrogatoire, car ces témoignages n’ont pas été forcés. Les ministres soutiennent que l’ordonnance devrait être interprétée de telle façon que l’avantage que le juge MacKay a conféré en accordant l’immunité contre l’utilisation de la preuve était de confirmer auprès de M. Jaballah que ses témoignages de mai et de juillet 2006 ne seraient pas utilisés lors de procédures ultérieures engagées contre lui en première instance, comme, affirmait‑il, cela était arrivé dans le passé. Il ne faudrait toutefois pas considérer que l’ordonnance empêche d’utiliser ses témoignages pour attaquer sa crédibilité en contre‑interrogatoire car il s’agirait là d’une lecture exagérément large des dispositions de l’ordonnance.
[…]
Il ne faudrait pas considérer que le juge MacKay, en concevant l’ordonnance comme il l’a fait, voulait ou entendait aller plus loin que les solides protections qu’accorde la Charte, la common law et la jurisprudence, qui protègent une personne contre le fait d’être contraint à témoigner.
[110] Tout d’abord, je rejette l’argument des ministres selon lequel la Cour ne devrait pas considérer qu’elle est liée par l’ordonnance du 18 août 2006. Je rejette cet argument car il s’agit d’une contestation incidente inadmissible de l’ordonnance. En outre, la Cour répugnerait à l’idée de revenir sur l’assurance qu’elle a donnée à M. Jaballah en échange de ses témoignages.
[111] En ce qui concerne la portée de la protection accordée, quelques mois avant que l’ordonnance soit rendue, dans l’arrêt Henry la Cour suprême a éclairci la portée de la protection contre l’auto‑incrimination que confère l’article 13 de la Charte. Même si j’ai conclu que cet article ne s’applique pas en l’espèce, je crois qu’il éclaire la façon dont le principe de l’immunité contre l’utilisation de la preuve s’applique en droit canadien. Cela reflète l’opinion qu’ont exprimée un certain nombre de théoriciens, à savoir que l’article 13 de la Charte a rendu superflu l’article 5 [mod. par L.C. 1997, ch. 18, art. 116] de la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5]. (Avant l’adoption de la Charte, l’article 5 de la Loi sur la preuve au Canada offrait une protection plus restreinte contre l’auto‑incrimination.) Voir, par exemple, Paciocco et Steusser, The Law of Evidence, 5e éd. Toronto : Irwin Law, 2008, à la page 288. Cela concorde aussi avec l’opinion exprimée dans l’arrêt Henry, au paragraphe 23, à savoir qu’il y avait consensus sur le fait que l’article 13 visait à élargir l’article 5 de la Loi sur la preuve au Canada.
[112] Dans l’arrêt Henry, la Cour suprême a fait une distinction entre l’étendue de la protection disponible contre l’auto‑incrimination, selon que le témoignage antérieur est forcé ou volontaire. C’est donc dire que si un accusé témoigne volontairement, il peut être contre-interrogé sur son témoignage antérieur. À l’inverse, un témoignage antérieur forcé est inadmissible même s’il est question de contester la crédibilité d’un témoin.
[113] L’étendue de l’immunité demandée était une question très sérieuse quand elle a été soumise au juge MacKay. À mon avis, s’il avait voulu accorder une immunité supérieure à celle qui est disponible dans les procédures criminelles, le juge MacKay aurait expressément indiqué l’étendue de la protection supplémentaire. Il ne l’a pas fait, et je conclus que l’ordonnance confère une protection qui concorde avec celle qui est disponible en vertu de l’article 13 de la Charte dans les procédures de nature criminelle.
[114] M. Jaballah se fonde dans une large mesure sur le fait que le juge MacKay a fait remarquer qu’il était [traduction] « quasi contraint par les circonstances à témoigner ». Cependant, en droit, un témoignage est contraignable ou il ne l’est pas. Le droit ne reconnaît pas la [traduction] « quasi‑contraignabilité ». Je crois que le juge MacKay faisait référence à l’obligation tactique qu’éprouvait peut‑être M. Jaballah à témoigner. Une telle pression tactique serait pertinente pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non une immunité prospective en échange d’un témoignage, mais elle est sans rapport avec la question de savoir si le témoignage était forcé. Voir : R. c. Darrach, 2000 CSC 46, [2000] 2 R.C.S. 443, aux paragraphes 47 à 51.
[115] Pour ces motifs, je conclus que l’étendue de l’immunité accordée à l’égard des témoignages que M. Jaballah a faits en 2006 est la même que celle qui, ai‑je conclu, est par ailleurs assurée à une personne désignée dans un certificat de sécurité. Si M. Jaballah décide de témoigner en l’espèce, il peut être contre-interrogé sur les témoignages qu’il a faits en 2006. Cette conclusion s’appliquerait tout autant à la protection identique que conférait l’ordonnance que la juge Layden‑Stevenson a rendue le 2 octobre 2006.
e. Un dernier commentaire
[116] Pour les motifs qui précèdent, j’ai conclu que si M. Jaballah décidait de témoigner en l’espèce, les ministres pourraient le contre‑interroger sur toute déclaration faite dans le cadre de procédures de certificat de sécurité antérieures ou devant la CISR. Cependant, les ministres ne peuvent pas se servir, dans le cadre de leur preuve principale, des témoignages faits antérieurement devant la Cour.
[117] Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de la tension qui existe entre le principe interdisant l’auto‑incrimination et la recherche de la vérité. En l’espèce, les déclarations que M. Jaballah a pu avoir faites aux autorités avant l’engagement de l’une quelconque des procédures de certificat ne suscitent aucun problème. À l’exception d’un seul élément d’information tiré des témoignages antérieurs de M. Jaballah (et décrit plus tôt, au paragraphe 104), aucune information ou preuve n’est exclue de la preuve des ministres, qui était le produit de l’enquête menée par le Service canadien du renseignement de sécurité. Par conséquent, la preuve exclue n’a pas d’incidence marquée sur la capacité qu’ont les ministres de faire enquête et de préparer une preuve alléguant l’interdiction de territoire.
[118] Cela, je crois, se reflète dans la reconnaissance qu’ont faite les ministres, au cours des plaidoiries concernant l’affaire R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, à savoir que l’exclusion des témoignages antérieurs de M. Jaballah ne serait pas « fatale » à la preuve des ministres. Voir : notes sténographiques du 30 octobre 2009, à la page 290.
[119] La question qui est en litige en l’espèce est une situation fort singulière : quand il y a eu trois audiences relatives au caractère raisonnable d’un certificat de sécurité, ainsi qu’un certain nombre d’audiences connexes, concernant le contrôle des motifs de détention, les ministres peuvent‑ils, plusieurs années plus tard, utiliser contre M. Jaballah les témoignages qu’il a faits antérieurement à l’appui de leur preuve dans la présente instance?
[120] La conclusion selon laquelle la preuve ne peut pas servir à étayer la preuve principale des ministres, mais peut être utilisée en contre‑interrogatoire advenant que M. Jaballah décide de témoigner, représente le point d’équilibre entre la protection du droit de M. Jaballah à une audition équitable et la protection du droit qu’a le public d’avoir toutes les preuves pertinentes disponibles dans le cadre de la recherche de la vérité.
6. Conclusion
[121] La requête de M. Jaballah sera donc accueillie en partie. Il est interdit aux ministres de se fonder, dans le cadre de leur preuve contre M. Jaballah, sur les témoignages que ce dernier a faits lors de ses audiences antérieures concernant un certificat de sécurité. Cependant, si M. Jaballah décide de témoigner dans la présente instance, il peut être contre‑interrogé sur ces mêmes témoignages. Les ministres ne seront pas limités de la même façon dans l’utilisation qu’ils feront de la preuve que M. Jaballah a fournie lors de son audience devant la CISR. Ce témoignage peut être utilisé dans la preuve qu’ils ont contre M. Jaballah ainsi qu’en vue d’un contre-interrogatoire. M. Jaballah bénéficiera de l’immunité contre l’utilisation de la preuve dérivée à l’égard de l’élément d’information figurant dans le dossier clos qui est mentionné dans les présents motifs. La Cour ne recevra pas cette information à l’appui de la preuve des ministres. Enfin, par suite de l’ordonnance que le juge MacKay a rendue le 18 août 2006, M. Jaballah ne bénéficiera, au sujet des témoignages qu’il a faits en mai et en juillet 2006, d’aucune protection supplémentaire à celle à laquelle, ai‑je conclu, il a par ailleurs droit. S’il décide de témoigner dans la présente instance, M. Jaballah pourra également être contre‑interrogé sur cette preuve.
[122] Aucune ordonnance ne sera rendue à ce stade-ci car les parties ont reconnu que la présente décision n’est susceptible d’aucun appel interlocutoire. Les parties auront plus tard la possibilité de proposer une question à certifier.