Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2011] 2 R.C.F. 221

2010 CAF 56

A-129-08

A-130-08

Alliance de la Fonction publique du Canada (appelante)

c.

Société canadienne des postes et Commission canadienne des droits de la personne (intimées)

A-139-08

Commission canadienne des droits de la personne (appelante)

c.

Société canadienne des postes et Alliance de la Fonction publique du Canada (intimées)

Répertorié : Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Evans et Ryer, J.C.A.—Ottawa, 3 novembre 2009 et 22 février 2010.

Droits de la personne — Appels interjetés à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli des demandes de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne portant que la Société canadienne des postes (la SCP) avait enfreint l’art. 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement les employés du groupe des opérations postales, qui est à prédominance masculine (le groupe PO), que les employés du Groupe commis aux écritures et règlements, à prédominance féminine (le groupe CR) pour des fonctions équivalentes — Le Tribunal a examiné les quatre éléments nécessaires pour établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence prima facie d’une preuve de discrimination salariale — L’un de ces éléments était que les salariés appartenant aux groupes CR et PO devaient accomplir des fonctions équivalentes (l’élément des fonctions équivalentes) — La Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait mal appliqué la norme de la preuve en adoptant une norme utilisée pour évaluer le préjudice subi et avait commis une erreur de droit en appliquant une norme de preuve qui constituait un seuil moins élevé que la norme de la prépondérance des probabilités relativement à la fiabilité des renseignements sur les emplois — Les questions litigieuses principales étaient celles de savoir si le Tribunal avait omis de formuler une conclusion sur la question de savoir si l’élément des fonctions équivalentes avait été établi; et si la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que le Tribunal n’avait pas appliqué la bonne norme de preuve — 1) Le Tribunal n’a pas conclu que l’élément des fonctions équivalentes avait été établi selon la prépondérance des probabilités — Il a mis fin à l’analyse requise pour déterminer si l’élément a été satisfait après avoir examiné la fiabilité de la preuve relative à cet élément — Le Tribunal n’a pas interprété l’expression « fonctions équivalentes » et n’a pas expliqué comment cette expression s’appliquait eu égard aux circonstances de l’espèce — L’existence d’éléments de preuve fiables sur les renseignements sur les emplois, le plan d’évaluation et la méthode d’évaluation ne signifiait pas que l’élément des fonctions équivalentes avait été établi — Le Tribunal a confondu la conclusion qu’il devait tirer avec les trois éléments qui devaient être établis pour pouvoir tirer cette conclusion — L’application de la norme de la prépondérance des probabilités ainsi que des « sous-fourchettes de fiabilité raisonnable » était inusitée — Les conclusions selon lesquelles les éléments de preuve méritaient d’être examinés ne portaient toutefois pas nécessairement à la conclusion que l’élément des fonctions équivalentes avait été établi — 2) Les conclusions du Tribunal relativement aux renseignements sur les emplois, le plan d’évaluation et la méthode d’évaluation n’ont pas été établies selon la prépondérance des probabilités — Le Tribunal semblait chercher à justifier un certain assouplissement des principes établis en ce qui concerne la charge de la preuve et la norme de preuve — Appels rejetés — Le juge Evans, J.C.A. (dissident) : 1) Le Tribunal n’a pas commis d’erreur à l’égard de la sélection d’un groupe de comparaison — La sélection du groupe PO n’allait pas à l’encontre de l’objet de l’art. 11 de la Loi — La présence de femmes au sein d’un groupe de comparaison à prédominance masculine était acceptable — Le fait que certaines femmes étaient relativement bien payées à la SCP n’excluait pas nécessairement l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le sexe ailleurs au sein de cette société — 2) Le Tribunal n’a pas dilué la norme de preuve lorsqu’il a utilisé les expressions « selon toute vraisemblance » et « suffisamment adéquats », il s’attaquait tout simplement à la tâche qui lui incombait de vérifier si les éléments de preuve étaient suffisants — Le fait que la somme accordée avait été réduite ne signifiait pas que la preuve ne satisfaisait pas à la norme de la prépondérance des probabilités — 3) Le choix d’une méthodologie visant à déterminer l’existence et l’ampleur de tout écart de rémunération relevait du pouvoir discrétionnaire du Tribunal — 4) Il était loisible au Tribunal de réduire le montant de l’indemnité.

Il s’agissait de trois appels interjetés à l’encontre d’une décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli deux demandes de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne portant que la Société canadienne des postes (la SCP) s’était livrée à un acte discriminatoire en violation de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement les employés du groupe des opérations postales, qui est à prédominance masculine (le groupe PO), que les employés du Groupe commis aux écritures et règlements, à prédominance féminine (le groupe CR) pour des fonctions équivalentes. Dans les dossiers A-129-08 et A-139-08, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) et la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) ont interjeté appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a annulé la décision du Tribunal. Dans le dossier A-130-08, l’AFPC a interjeté appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal qui réduisait de moitié le montant des dommages-intérêts auxquels la SCP avait été condamnée.

Dans sa décision de 2005 dans laquelle il a fait droit à la plainte, le Tribunal a examiné les quatre éléments nécessaires pour établir, selon la prépondérance des probabilités, l’existence prima facie d’une preuve de discrimination salariale. Il a conclu que 1) le groupe professionnel plaignant, soit le groupe CR, est à prédominance féminine, et que le groupe professionnel de comparaison, soit le groupe PO, est à prédominance masculine; 2) les deux groupes étaient composés d’employés qui travaillent dans le même établissement; 3) une analyse de la valeur du travail comparé entre les deux groupes a établi que le travail comparé est de valeur égale; et 4) une comparaison entre les salaires des deux groupes a démontré que le groupe CR était moins bien rémunéré que le groupe PO. La Cour fédérale s’était penchée sur la question de savoir si le Tribunal avait appliqué la bonne norme de contrôle à l’égard du troisième élément, soit la fiabilité des renseignements sur les emplois appartenant aux groupes professionnels comparés. La Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait reconnu que la prépondérance des probabilités était la norme de preuve applicable pour établir l’élément essentiel des fonctions équivalentes, mais qu’il avait mal appliqué la norme en adoptant une norme utilisée pour évaluer le préjudice subi. En outre, la Cour fédérale a conclu que le Tribunal avait commis une erreur de droit en appliquant une norme de preuve inusitée relativement à la fiabilité des renseignements sur les emplois, qui constitue un seuil moins élevé que la norme de la prépondérance des probabilités et qui ressemblait davantage à celle de la « justification raisonnable ».

Les questions principales à trancher étaient celles de savoir si 1) le Tribunal avait omis de formuler une conclusion sur la question de savoir si le troisième élément de la preuve prima facie de discrimination salariale avait été établi et, dans l’affirmative, cette omission avait pour effet de vicier la décision du Tribunal suivant laquelle il a été établi que la SCP s’est rendue coupable de discrimination salariale; et 2) la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que le Tribunal n’avait pas appliqué la bonne norme de preuve en ce qui concerne ses conclusions sur les éléments requis pour établir une preuve prima facie de discrimination.

Arrêt (le juge Evans, J.C.A., dissident) : les appels doivent être rejetés.

Les juges Sexton et Ryer, J.C.A. : 1) Le Tribunal n’avait pas tiré la conclusion requise portant que le troisième élément, ou le « fait en litige », avait été établi. Plus précisément, le Tribunal avait mis fin à son analyse du troisième élément après avoir examiné la fiabilité des éléments de preuve relatifs à cet élément et il n’avait pas conclu que cet élément avait été établi selon la prépondérance des probabilités. Le Tribunal devait franchir trois étapes, soit des questions de preuve, pour satisfaire à chaque élément : il devait se prononcer sur l’admissibilité des éléments de preuve, déterminer la valeur à accorder aux éléments de preuve admissibles et déterminer si les éléments de preuve admissibles, compte tenu de leur fiabilité, établissaient l’existence de l’élément selon la norme de preuve appropriée, soit la prépondérance des probabilités. Le Tribunal n’avait pas interprété l’expression « fonctions équivalentes » pour répondre à la question de savoir si la comparaison des fonctions exécutées par le groupe CR et le groupe PO démontrait que les salariés qui faisaient partie de ces deux groupes exécutaient des fonctions équivalentes et il n’avait pas expliqué comment cette expression s’appliquait eu égard aux circonstances de la plainte. Pareille explication s’imposait avant que le Tribunal puisse se prononcer sur la question de savoir si le troisième élément avait été établi. Malgré ces omissions, le Tribunal a estimé que les éléments de preuve sur les renseignements sur les emplois, le plan d’évaluation et la méthode d’évaluation étaient fiables. Cependant, l’existence de tels éléments de preuve fiables ne porte pas automatiquement à la conclusion que le troisième élément a été établi; il s’agit plutôt d’une condition préalable nécessaire. Au lieu de conclure que le troisième élément avait été établi, le Tribunal a confondu la conclusion qu’il devait tirer avec les trois éléments qui doivent être établis pour pouvoir tirer cette conclusion.

S’agissant de l’évaluation du Tribunal quant à la fiabilité raisonnable des renseignements sur les emplois, l’application de la norme de la prépondérance des probabilités ainsi que des « sous-fourchettes de fiabilité raisonnable » était inusitée. Les conclusions tirées par le Tribunal au sujet de la fiabilité des éléments de preuve se rapportant aux renseignements sur les emplois, au plan d’évaluation et à la méthode d’évaluation ne sont rien de plus que des conclusions suivant lesquelles ces éléments de preuve avaient une certaine valeur probante et méritaient d’être examinés. Ces conclusions ne portent toutefois pas nécessairement à la conclusion que le troisième élément a été établi. Le fait que le Tribunal avait fait défaut de tirer cette conclusion constituait un motif suffisant pour rejeter la plainte.

2) La présomption que le Tribunal avait appliqué la bonne norme de preuve a été amplement réfutée. En premier lieu, la norme de la prépondérance des probabilités exige l’établissement d’un « fait en litige ». Suivant la formule binaire, telle qu’elle a été décrite dans l’affaire In re B (Children) (Fc), [2008] UKHL 35, la valeur obtenue est soit zéro, soit un. La conclusion n’est forcément pas une « valeur raisonnablement fiable », une « valeur proche de un » ou une « valeur qui se rapproche davantage de un que de zéro ». Deuxièmement, le fait que le Tribunal avait adopté le principe selon lequel, lorsqu’il évalue le préjudice subi, le tribunal doit faire de son mieux à la lumière des éléments de preuve dont il dispose, donne à penser que le Tribunal avait des réserves en ce qui concerne le dossier de la preuve qui lui était soumis. Il n’était pas acceptable de la part du Tribunal de se fonder sur cette méthode pour tirer des conclusions sur ces éléments, lorsque ces derniers constituent des « faits en litige » qui doivent être établis selon la prépondérance des probabilités. Enfin, en faisant allusion à plusieurs reprises aux circonstances difficiles, inusitées ou litigieuses de l’affaire, le Tribunal semblait chercher à justifier un certain assouplissement des principes établis depuis longtemps en ce qui concerne la charge de la preuve et la norme de preuve en matière civile. Cette impression était confirmée par le fait que le Tribunal a retenu des « fourchettes » et des « sous-fourchettes » d’acceptabilité ou de fiabilité raisonnable. Le Tribunal n’a donc pas conclu, comme il était tenu de le faire, que le troisième élément avait été établi selon la prépondérance des probabilités.

Le juge Evans, J.C.A. (dissident) : Quatre questions litigieuses se posaient en l’espèce : 1) Le choix du groupe de comparaison était-il déraisonnable parce que ce groupe comprenait un nombre élevé de femmes bien rémunérées? 2) Le Tribunal avait-t-il appliqué la bonne norme de preuve en concluant que les membres du groupe plaignant et du groupe de comparaison exerçaient des fonctions équivalentes? 3) Le Tribunal avait-t-il commis une erreur susceptible de révision en concluant que les salariés du groupe CR étaient moins rémunérés que ceux du groupe PO pour des fonctions équivalentes? 4) Le Tribunal avait-t-il commis une erreur de droit en accordant à l’AFPC une indemnité correspondant à la moitié du salaire perdu par les employés du groupe CR en fonction de l’écart de rémunération retenu?

1) La Cour fédérale a commis une erreur de droit en concluant que le Tribunal avait commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour dans la façon dont il avait exercé son pouvoir discrétionnaire en matière de sélection d’un groupe de comparaison. La présence d’un nombre important de femmes relativement bien rémunérées au sein du groupe de comparaison n’a pas eu pour effet de miner la plainte de discrimination systémique fondée sur le sexe du groupe CR. La sélection du groupe PO n’allait donc pas à l’encontre de l’objet visé par l’article 11 de la Loi. L’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (l’Ordonnance) prévoit explicitement la présence de femmes au sein d’un groupe de comparaison à prédominance masculine. De même, le fait que certaines femmes étaient relativement bien payées à la SCP n’excluait pas nécessairement l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le sexe ailleurs au sein de cette société. Enfin, personne n’a fait référence à un principe qui exigeait que l’on supprime certains membres d’un groupe professionnel du groupe de comparaison. L’Ordonnance ne propose pas d’utiliser qu’une partie d’un groupe professionnel.

2) Le Tribunal n’a pas dilué la norme de preuve lorsqu’il s’est demandé si « selon toute vraisemblance », les renseignements sur les emplois, le plan d’évaluation et la méthode d’évaluation étaient « suffisamment adéquats » pour que l’on puisse arriver à une « conclusion juste et raisonnable » quant à savoir s’il existait une différence entre les salaires des employés des deux groupes pour l’exécution de fonctions équivalentes. Le Tribunal s’attaquait tout simplement à la tâche qui lui incombait de vérifier si les éléments de preuve dont il disposait étaient suffisants pour lui permettre de tirer une « conclusion juste et équitable ». On ne peut pas déduire du fait que le Tribunal a réduit la somme accordée en la faisant équivaloir à 50 p. 100 du salaire perdu que le Tribunal estimait pour autant que la preuve ne satisfaisait pas à la norme de la prépondérance des probabilités.

3) Diverses méthodologies visant à déterminer l’existence et l’ampleur de tout écart de rémunération ont été soumises au Tribunal et celui-ci a choisi celle qui lui a été proposée par la CCDP, qui soulignait le contenu du travail effectué. Le choix d’une méthodologie appropriée relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal et ce choix commande un degré élevé de déférence. On ne saurait affirmer que seule la méthodologie proposée par la SCP était raisonnablement compatible avec les objectifs de l’article 11 de la Loi ou encore que la méthodologie proposée par la CCDP était déraisonnable.

4) Les tribunaux spécialisés ont droit à un degré particulièrement élevé de déférence en ce qui concerne l’exercice qu’ils font du vaste pouvoir discrétionnaire que leur confère la loi de concevoir la réparation appropriée. Le Tribunal ne s’est pas mépris sur les règles de droit applicables lorsqu’il a déclaré qu’une condamnation à une indemnité devrait viser à accorder une réparation intégrale aux victimes. Il était toutefois aussi loisible au Tribunal d’étendre par analogie les principes utilisés pour tenir compte des incertitudes futures aux incertitudes au sujet du passé et de réduire ainsi le montant de l’indemnité.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code ontarien des droits de la personne, L.R.O. 1980, ch. 340.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 11, 27(2) (mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 20), 49(1) (mod., idem), 50(3) (mod., idem), 53(2)c) (mod., idem, art. 27).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.3(3)b) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27),(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 52b) (mod., idem, art. 50).

Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082, art. 12 à 15.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

In re B (Children) (Fc), [2008] UKHL 35; F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41.

décisions examinées :

Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.); Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, [2006] 3 R.C.F. 610; Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; Canada (Alliance de la fonction publique) c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] D.C.D.P. no 2 (QL).

décisions citées :

Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, 2004 CAF 113, [2004] 3 R.C.F. 663; Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (C.A.); Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, 2004 TCDP 27, conf. par sub nom. Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, [2008] 2 R.C.F. 393; Singh c. Statistique Canada, [1998] D.C.D.P. n7 (QL); Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, [2003] 1 R.C.S. 884, 257 R.N.-B. (2e) 207; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, 2006 CSC 1, [2006] 1 R.C.S. 3.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Comité sur l’équité salariale. L’équité salariale : une nouvelle approche à un droit fondamental, Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux, 2004.

Dyzenhaus, David. « The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy », dans Michael Taggart, dir. The Province of Administrative Law, Oxford : Hart Publishing, 1997.

Waddams, S. M. The Law of Damages, édition à feuilles mobiles, Toronto : Canada Law Book Inc., 2004.

Appels interjetés à l’encontre d’une décision (2008 cf 223, [2008] 4 r.c.f. 648) par laquelle la cour fédérale a accueilli deux demandes de contrôle judiciaire d’une décision (2005 tcdp 39) du tribunal canadien des droits de la personne portant que la société canadienne des postes s’était livrée à un acte discriminatoire en violation de l’article 11 de la loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement les employés d’un groupe à prédominance masculine que les employés d’un groupe à prédominance féminine pour des fonctions équivalentes. Appels rejetés, le juge evans, j.c.a. étant dissident.

ONT COMPARU

James G. Cameron, David G. Yazbeck et Kim N. Patenaude pour l’appelante/l’intimée l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

Philippe Dufresne et Daniel Poulin pour l’intimée/l’appelante la Commission canadienne des droits de la personne.

Peter A. Gall et Robert W. Grant pour l’intimée la Société canadienne des postes.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l., Ottawa, pour l’appelante/l’intimée l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour l’intimée/l’appelante la Commission canadienne des droits de la personne.

Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., SRL, Montréal, pour l’intimée la Société canadienne des postes.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Les juges Sexton et Ryer, J.C.A. :

I. INTRODUCTION

[1] Par souci de commodité, les présents motifs sont regroupés sous les rubriques suivantes :

Paragraphe

I.    Introduction .........................................................................................                    1

II.   Historique procédural.........................................................................                  11

III.  Dispositions législatives applicables...............................................                  14

IV. Contexte...............................................................................................                  15

A. L’enquête sur la plaine................................................................                  15

B. L’enquête du Tribunal..................................................................                  25

V.  Décisions des tribunaux inférieurs.................................................                  32

A. Tribunal canadien des droits de la personne..........................                  32

a) Premier élément — Groupe de comparaison .....................                  35

b) Deuxième élément — Employés travaillant dans le même établissement        ...................................................................................................... 39

c) Troisième élément — Fonctions équivalentes....................                  41

d) Quatrième élément — Écart de rémunération.....................                  60

e) Réparation.................................................................................                  64

B. La Cour fédérale...........................................................................                  68

a) Applicabilité de l’Ordonnance de 1986 ...............................                  69

b) Norme de preuve .....................................................................                  70

c) Groupe de comparaison .........................................................                  78

d) Présomption .............................................................................                  79

e) Dommages-intérêts .................................................................                  80

f) Dispositif ....................................................................................                  81

VI. Questions en litige.............................................................................                  82

VII. Analyse...............................................................................................                  84

A. Rôle de la Cour dans le présent appel......................................                  84

B. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en ne tirant pas une conclusion nécessaire?                                                                ............................................ 85

a) Norme de contrôle....................................................................                  87

b) Méthode générale d’analyse des éléments d’un cas de discrimination salariale..........................................................................................................                  88

c) Méthode employée par le Tribunal pour conclure à l’existence des éléments d’un cas de discrimination salariale...........................................                  98

(i) Premier élément — Groupe de comparaison....................                  99

(ii) Deuxième élément — Employés travaillant dans le même établissement     .................................................................................................. 101

(iii) Troisième élément — Fonctions équivalentes ...............                103

C. Le Tribunal a-t-il appliqué une norme de preuve incorrecte?                       128

a) Norme de contrôle....................................................................                130

b) Le Tribunal a-t-il appliqué la bonne norme de preuve?....                131

VIII. Conclusion et dispositif..................................................................                142

[2] En 1983, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC) a déposé contre la Société canadienne des postes (la SCP) une plainte (la plainte) dans laquelle elle alléguait que la SCP s’était rendue coupable de discrimination contre [traduction] « les employés du groupe Commis aux écritures et règlements, lequel est à prédominance féminine » en rémunérant plus généreusement [traduction] « les employés du groupe des Opérations postales, lequel est à prédominance masculine », que les employés du groupe Commis aux écritures et règlements, à prédominance féminine, pour des fonctions équivalentes, contrevenant ainsi à l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6].

[3] En 2005, le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) a finalement rendu une décision dans laquelle il a fait droit à la plainte [Alliance de la Fonction publique du Canada c. Société canadienne des postes, 2005 TCDP 39].

[4] En 2008, la Cour fédérale a accueilli une demande de contrôle judiciaire présentée par la SCP et ordonné que la plainte soit rejetée.

[5] Le Tribunal a expliqué — et personne n’a contesté ses explications — que, pour pouvoir faire droit à la plainte, il devait conclure que l’existence des quatre éléments permettant de conclure à une discrimination salariale avait été établie. Le Tribunal a défini les quatre éléments en question dans ses motifs. Le troisième élément est une conclusion suivant laquelle la comparaison du travail effectué par les membres des deux groupes révèle qu’ils exercent des fonctions équivalentes. Là encore, il n’est pas contesté que l’AFPC doit faire cette preuve selon la prépondérance des probabilités.

[6] Le Tribunal doit franchir trois étapes pour déterminer si chaque élément nécessaire est satisfait. À la première étape, le Tribunal doit déterminer si les éléments de preuve concernant cet élément sont admissibles. À la deuxième étape, le Tribunal doit déterminer la valeur à accorder aux éléments de preuve admissibles. Cette valeur dépend de la fiabilité des éléments de preuve admissibles. Enfin, à la troisième étape, le Tribunal doit déterminer si, compte tenu de leur fiabilité, ces éléments de preuve établissent l’existence de cet élément selon la norme de preuve appropriée. En l’espèce, le Tribunal a commis une erreur en ne déterminant pas si, compte tenu de leur fiabilité, les éléments de preuve admissibles établissaient l’existence du troisième élément selon la prépondérance des probabilités. Le Tribunal a mis fin prématurément à son analyse du troisième élément à la deuxième étape après avoir examiné la question de l’admissibilité et celle de la valeur à accorder à la preuve.

[7] Au lieu d’examiner si l’existence du troisième élément avait été établie selon la prépondérance des probabilités, le Tribunal a prétendu appliquer la norme de la prépondérance des probabilités pour décider que les renseignements sur les emplois faisant l’objet de la comparaison, qui constituaient un élément essentiel de la condition relative aux fonctions équivalentes, étaient [au paragraphe 700] « raisonnablement fiables, bien que situés au niveau de la “sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable” ». Le Tribunal a fixé le degré de fiabilité à 50 p. 100. Même si les mots employés par le Tribunal pourraient d’une certaine façon être interprétés comme une conclusion portant sur les fonctions équivalentes — ce que nous ne croyons pas —, force est de constater qu’en fixant à 50 p. 100 le degré de fiabilité, le Tribunal n’a pas tiré sa conclusion selon la prépondérance des probabilités, qui exige une preuve supérieure à 50 p. 100.

[8] Il ne s’agit pas d’une affaire portant sur des concepts jurisprudentiels fondamentaux de parité salariale. Il s’agit plutôt d’une affaire dans laquelle un tribunal administratif a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision en condamnant à des dommages-intérêts sans qu’aucune responsabilité n’ait été établie. Plus précisément, la responsabilité n’a pas été établie parce qu’après avoir bien précisé que l’existence des quatre éléments devait être établie pour qu’on puisse conclure à la discrimination salariale, le Tribunal n’a constaté l’existence que de trois des quatre éléments en question.

[9] Nous relevons par ailleurs que ni le dossier et ni les motifs du Tribunal ne sont suffisants en l’espèce pour permettre à une juridiction d’appel de se prononcer comme il se doit sur des concepts jurisprudentiels fondamentaux en matière de parité salariale. En plus de ne tirer aucune conclusion au sujet du troisième élément, le Tribunal a également commis une erreur en ne définissant pas la notion de fonctions équivalentes et en ne précisant pas comment ce concept s’appliquait en l’espèce. Une telle explication est nécessaire pour arriver à une conclusion au sujet de la responsabilité et pour pouvoir accorder des dommages-intérêts. Une juridiction d’appel ne devrait pas être forcée de définir la notion de « fonctions équivalentes » et de préciser comment elle s’applique en l’espèce, alors que les tribunaux inférieurs n’ont pas abordé la question. En l’espèce, le dossier ne se prête pas à l’énonciation de déclarations péremptoires sur ces concepts.

[10] Comme le Tribunal n’a pas tiré de conclusion sur le troisième élément permettant de conclure à une discrimination salariale et comme le Tribunal et notre Cour estiment tous les deux qu’une telle conclusion est absolument nécessaire pour pouvoir faire droit à la plainte, les appels devraient par conséquent être rejetés.

II. HISTORIQUE PROCÉDURAL

[11] Les trois appels (A-129-08, A-130-08 et A-139-08) dont la Cour est saisie se rapportent à deux demandes de contrôle judiciaire de la décision (la décision du Tribunal, 2005 TCDP 39) par laquelle le Tribunal a conclu que l’intimée, la SCP, s’était livrée à un acte discriminatoire, au sens de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), en rémunérant plus généreusement les employés du groupe des Opérations postales, lequel est à prédominance masculine (le groupe PO), que les employés du groupe Commis aux écritures et règlements, à prédominance féminine (le groupe CR). Les deux demandes de contrôle judiciaire ont été instruites ensemble par le juge Kelen (le juge de première instance), de la Cour fédérale (Société canadienne des postes c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CF 223, [2008] 4 R.C.F. 648).

[12] Dans les dossiers A-129-08 et A-139-08, l’AFPC et la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) interjettent appel de la décision par laquelle le juge de première instance (la décision de la Cour fédérale) a annulé la décision du Tribunal. Dans le dossier A-130-08, l’AFPC interjette appel de la décision par laquelle le juge de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’AFPC relativement à la partie de la décision du Tribunal qui réduisait de moitié le montant des dommages-intérêts auxquels la SCP avait été condamnée.

[13] Notre Cour a instruit les trois appels conjointement. Les présents motifs s’appliqueront à chacun des appels. Une copie des présents motifs sera versée au dossier de la Cour pour chacun des appels afin de servir de motifs du jugement.

III. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[14] Les dispositions législatives qui sont pertinentes dans les présents appels sont l’article 11 et les paragraphes 27(2) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 20], 49(1) [mod., idem] et 50(3) [mod., idem] de la Loi, les alinéas 18.1(3)b) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] et 52b) [mod., idem, art. 50] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], et les articles 12 à 15 de l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082 (l’Ordonnance de 1986 ou l’OPS de 1986). Ces dispositions sont reproduites dans l’annexe jointe aux présents motifs.

IV. CONTEXTE

A. L’enquête sur la plainte

[15] Le 24 août 1983, l’AFPC a déposé auprès de la CCDP une plainte qui était ainsi libellée :

[traduction] Il est allégué que la Société canadienne des postes, à titre d’employeur, a contrevenu à l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement les employés du Groupe des opérations postales, lequel est à prédominance masculine, que les employés du Groupe commis aux écritures et règlements, lequel est à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale. Les taux de rémunération du Groupe des opérations postales, à prédominance masculine, peuvent être jusqu’à 58,9 p. 100 plus élevés que ceux du Groupe commis aux écritures et règlements, à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale. Il est allégué que la composition des deux groupes quant au sexe a occasionné de la discrimination sur le plan salarial contre le Groupe commis aux écritures et règlements, et ce, en contravention de l’article 11.

La mesure corrective :

1.  Que tous les employés du Groupe CR à l’emploi de la Société canadienne des postes reçoivent des salaires, tel que ce mot est défini au paragraphe 11(6) (maintenant le paragraphe 11(7)) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, égaux aux salaires des employés du Groupe PO qui effectuent un travail de valeur égale.

2.  Que cette mesure corrective s’applique rétroactivement au 16 octobre 1981.

[16] Le groupe CR est composé d’employés de bureau et de réglementation. Parmi les titres de postes les plus courants au sein du groupe CR, mentionnons ceux de commis aux avantages sociaux, commis aux écritures et commis aux comptes créditeurs. Le groupe PO est composé quant à lui d’employés chargés de trier et de livrer le courrier. Parmi les titres de postes les plus courants au sein du groupe CR, mentionnons ceux de facteur, de préposé à la manutention du courrier et de préposé au tri manuel.

[17] Il est essentiellement allégué dans la plainte que les employés du groupe PO, à prédominance masculine, sont payés plus généreusement que ceux du groupe CR, à prédominance féminine, pour des fonctions équivalentes. Pour établir l’équivalence des fonctions exécutées par les salariés de ces deux groupes, on applique un critère consistant à doser les qualifications, efforts et responsabilités nécessaires à leur exécution, compte tenu des conditions de travail. L’évaluation des emplois est une méthode d’analyse par laquelle des spécialistes dans le domaine procèdent à un type de qualification du travail appelé « évaluation des emplois ». La méthode suivie pour procéder à ce type d’analyse est désignée sous le nom d’« évaluation ». L’évaluation des emplois est le fruit d’un processus dans le cadre duquel une méthodologie, qui est souvent qualifiée de « plan », est appliquée aux données recueillies au sujet de la nature des fonctions faisant l’objet de l’évaluation.

[18] Avant de déposer la plainte, l’AFPC et la SCP avaient travaillé conjointement à l’élaboration d’un plan d’évaluation des emplois connu sous le nom de « System One », qui était censé permettre d’évaluer les postes de tous les salariés de la SCP qui étaient représentés par l’AFPC. Pendant toute l’année 1984 et une partie de 1985, la CCDP a attendu de connaître le résultat de ce processus dans l’espoir que System One puisse être utile à l’examen de la plainte.

[19] En raison des retards que connaissait l’élaboration du System One, la CCPD a, à compter d’octobre 1985, poursuivi plus activement son enquête au sujet de la plainte. À cette fin, la CCDP a élaboré un questionnaire (la feuille de données sur l’emploi) devant servir à la cueillette, auprès du groupe CR et du groupe PO, de données sur les qualifications, efforts, responsabilités et conditions de travail nécessaires pour l’exécution de leurs fonctions.

[20] Au cours de l’été 1986, entre 246 et 355 employés du groupe CR se sont vu remettre des feuilles de données sur l’emploi. La CCDP a reçu 194 feuilles de données sur l’emploi remplies et utilisables. La CCDP a créé un guide d’entrevue (le guide d’entrevue) pour clarifier les réponses figurant dans les feuilles de données sur l’emploi. Jusqu’en décembre 1986, des entrevues de suivi ont été réalisées conformément au guide d’entrevue auprès des personnes qui avaient rempli la feuille de données sur l’emploi. Entre avril et septembre 1987, la CCDP a évalué l’échantillon de 194 postes CR en utilisant System One pour évaluer les données recueillies grâce aux feuilles de données sur l’emploi et aux renseignements obtenus lors des entrevues, malgré le fait qu’il s’agissait d’un plan non achevé et que l’ACFP avait déconseillé son utilisation à des fins d’évaluation. Ces évaluations ont éventuellement été rejetées et n’ont pas été utilisées dans le processus d’enquête final.

[21] Contrairement à son intention initiale, la CCDP ne s’est pas servie des feuilles de données sur l’emploi et du guide d’entrevue pour recueillir auprès des employés du groupe PO des données semblables à celles qu’elle avait obtenues des employés du groupe CR. Cette décision tenait en partie au fait que la SCP avait émis des doutes quant à la taille de l’échantillon et avait refusé que les employés PO remplissent la feuille de données sur l’emploi durant leurs heures de travail. De plus, les employés du groupe PO n’étaient pas représentés par l’AFPC, mais par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (le STTP), qui refusait d’accéder à la demande de la CCDP qui voulait que les employés du groupe PO remplissent les feuilles de données sur l’emploi en dehors de leurs heures de travail.

[22] Pour compenser le manque de données concrètes sur les fonctions exécutées par les employés du groupe PO, la CCDP a, entre juillet et octobre 1991, défini 10 particularités génériques d’emplois du groupe PO en se fondant sur les données fournies par la SCP en 1990 et 1991. Malgré le fait que les échantillons des titulaires de poste CR englobaient des superviseurs au niveau CR-5, les fonctions des superviseurs du sous‑groupe PO (les PO-SUP) n’étaient pas visées par les particularités génériques d’emplois, parce que la SCP estimait qu’il serait trop onéreux de faire entrer la vaste gamme de fonctions exercées par les employés PO‑SUP dans les particularités génériques d’emplois.

[23] En juillet 1991, à l’aide des 194 réponses des employés du groupe CR, des entrevues des employés du groupe CR et des particularités génériques d’emplois spécifiques du groupe PO, la CCDP a entrepris une évaluation en se servant d’un plan clés en main, le plan XYZ Hay, en vue d’évaluer les emplois aux fins d’une analyse de parité salariale. Ce plan a été choisi en partie parce qu’on ne pouvait utiliser le System One que pour évaluer les postes dont les titulaires étaient représentés par l’AFPC et parce qu’un certain nombre des employés du groupe PO étaient représentés par le STTP. Par conséquent, l’évaluation effectuée à l’aide de ce plan ne se fondait pas sur l’évaluation antérieurement réalisée par la CCDP à l’aide du System One. Pour faciliter l’évaluation, la CCDP a ramené à 93 l’échantillon des employés du groupe CR en septembre 1991.

[24] La CCDP a terminé son évaluation (l’évaluation de la CCDP) en novembre 1991. La CCDP s’est servie de cette évaluation pour rédiger son rapport d’enquête final (le rapport), daté du 24 janvier 1992, dans lequel elle concluait qu’il existait, comme il était allégué dans la plainte, une différence dans les salaires lorsqu’on comparait les salaires et les valeurs des emplois du groupe CR et du groupe CO. Après avoir examiné le rapport, les commissaires de la CCDP ont, le 16 mars 1992, renvoyé la plainte au Tribunal pour enquête conformément au paragraphe 49(1) de la Loi.

B. L’enquête du Tribunal

[25] La formation du Tribunal a été constituée le 11 mai 1992 et les audiences ont commencé le 25 novembre 1992. La présentation des observations écrites et orales s’est terminée le 27 août 2003. En juin 2004, le président de ce Tribunal a pris sa retraite. Des observations écrites complémentaires ont été présentées en août 2004. La décision du Tribunal a été rendue le 7 octobre 2005, plus de deux ans après la clôture des audiences.

[26] Après avoir commencé à entendre la preuve, le Tribunal a constaté l’existence de graves lacunes dans l’évaluation de la CCDP. L’AFPC a par conséquent engagé une équipe d’évaluateurs d’emplois professionnels composée de trois personnes (l’équipe professionnelle) : M. Bernard Ingster, M. Martin G. Wolf et Mme Judith Davidson-Palmer. M. Wolf était le porte-parole du groupe; le Tribunal l’a qualifié d’expert tant à l’égard du processus Hay en matière d’évaluation des emplois qu’en ce qui concerne le processus Hay en matière de rémunération. L’AFPC a demandé à l’équipe professionnelle de procéder à un examen spécialisé de l’évaluation de la CCDP et de faire des évaluations indépendantes. En fin de compte, la CCDP et l’AFPC se sont fiées uniquement à l’évaluation de l’équipe professionnelle pour vérifier le bien-fondé de la plainte.

[27] En mai et juin 1993, l’équipe professionnelle a procédé à son évaluation initiale (l’évaluation de la phase 1). Pour procéder à cette évaluation, l’équipe professionnelle a complété les renseignements utilisés lors de l’évaluation de la CCDP par les renseignements qu’elle avait elle-même recueillis à la suite des entrevues des employés du groupe CR qu’elle avait réalisées en mai 1993. Lorsqu’elle n’arrivait pas à joindre une des personnes qui avaient répondu au questionnaire, l’équipe faisait des démarches pour interroger une autre personne à sa place. On ne sait pas avec certitude combien d’entrevues l’équipe professionnelle a réalisées auprès de remplaçants, mais le Tribunal a conclu que sur une totalité de 93 entrevues téléphoniques possibles, 59 avaient été réalisées.

[28] En septembre 1994, l’équipe professionnelle a tenté de faire des entrevues téléphoniques avec les 97 titulaires de poste CR qui avaient été omis de l’évaluation de la CCDP et 55 entrevues ont été réalisées. L’équipe professionnelle s’est servie en novembre et en décembre 1994 des renseignements obtenus lors des entrevues ainsi que de ceux recueillis par la CCDP pour évaluer les 97 postes CR qui avaient été omis lors de l’évaluation de la CCDP. Cette deuxième évaluation a été appelée « évaluation de la phase 2 ».

[29] Se fondant sur leurs évaluations de la phase 1 et de la phase 2, les membres de l’équipe professionnelle ont préparé deux rapports. Le premier rapport (le rapport d’évaluation professionnelle), daté de janvier 1995, a été préparé par M. Wolf en collaboration avec M. Ingster et Mme Davidson-Palmer. Voici la conclusion que l’on trouve à la page 6 du rapport d’évaluation professionnelle :

[traduction] Suivant les pointages totaux des évaluations effectuées à la phase 1 et à la phase 2, les consultants concluent qu’en appliquant rigoureusement la méthode des barèmes d’évaluation Hay, on obtient de solides éléments de preuve permettant de penser que 122 des 194 titulaires de postes CR visés par la présente étude (soit 62,9 % d’entre eux) accomplissent des fonctions qui débordent le cadre d’un ou de plusieurs des dix postes PO faisant l’objet de ces analyses.

À la lumière des renseignements complémentaires fournis par la SCP, l’équipe professionnelle a par la suite ramené le chiffre de 62,9 à 34,2 p. 100.

[30] Le second rapport (le rapport professionnel sur l’écart de rémunération), publié en février 1995, a été rédigé par M. Wolf seul. Le rapport professionnel sur l’écart de rémunération calcule le rapport entre les taux horaires de rémunération appliqués pour les postes du groupe PO et la valeur des postes du groupe PO, tels que l’équipe professionnelle les avait déterminés lors des évaluations de 1983, 1989 et de 1995, à l’aide de diverses méthodes. Le rapport professionnel sur l’écart de rémunération conclut ce qui suit : [traduction] « toutes ces méthodes révèlent l’existence d’un écart important entre les salaires versés aux CR et ceux versés aux PO qui exécutent des fonctions équivalentes ».

[31] Pour étayer sa thèse suivant laquelle les méthodes appliquées par la CCDP et l’équipe professionnelle étaient insuffisantes pour établir le bien-fondé de la plainte, la SCP a fait entendre trois témoins experts, Mme Nadine Winter, M. Norman Willis et M. P. G. Wallace. Les critiques que les trois experts ont formulées au sujet de la méthode suivie par l’équipe professionnelle ont permis de constater que l’équipe professionnelle n’avait pas suivi la norme de l’industrie en ce qui concerne l’application du plan Hay et que ce plan ne pouvait s’appliquer aux postes d’employé de bureau et de cols bleus.

V. DÉcisions DES TRIBUNAUX INFÉRIEURS

A. Tribunal canadien des droits de la personne

[32] Dans ses motifs, le Tribunal a examiné les quatre questions fondamentales suivantes :

a) Le fait que la CCDP a le pouvoir de prendre des ordonnances sur la parité salariale qui lient le Tribunal suscite-t-il une crainte raisonnable de partialité?

b) L’Ordonnance de 1986 peut-elle s’appliquer à la plainte, même si celle-ci a été déposée en 1983?

c) La présomption selon laquelle, l’écart salarial des femmes et des hommes qui exécutent des fonctions équivalentes est fondé sur le sexe est-elle réfutable par des éléments autres que ceux qui sont mentionnés dans l’Ordonnance de 1986?

d) La plaignante a-t-elle établi prima facie l’existence, selon la prépondérance des probabilités, d’un acte discriminatoire prévu à l’article 11 de la Loi?

[33] Compte tenu de la façon dont nous tranchons le présent appel, il suffit d’examiner l’analyse que le Tribunal a faite de la dernière question.

[34] Au paragraphe 254 de ses motifs, le Tribunal a déclaré que chacun des éléments prévus à l’article 11 devait être justifié, selon la prépondérance des probabilités, pour pouvoir établir le bien-fondé de la plainte. Le Tribunal a expliqué au paragraphe 255 de ses motifs que, pour établir la valeur attribuée aux fonctions faisant l’objet de la comparaison, il fallait recourir au critère prévu au paragraphe 11(2) de la Loi, en l’occurrence un dosage des qualifications, des efforts et des responsabilités nécessaire pour l’exécution des fonctions en question, compte tenu des conditions de travail. Le Tribunal a poursuivi en affirmant, au paragraphe 256 de ses motifs, que l’on présume l’existence d’une discrimination fondée sur le sexe lorsque l’on a conclu qu’il existe une disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. Au paragraphe 257 de ses motifs, le Tribunal énonce les quatre éléments qui doivent être prouvés, selon la prépondérance des probabilités, pour établir prima facie que l’acte discriminatoire allégué dans la plainte a été commis :

(1) Le groupe professionnel plaignant est composé majoritairement de membres appartenant au même sexe et le groupe professionnel de comparaison est composé majoritairement de membres de l’autre sexe. Dans la présente plainte, cela signifie que le groupe des CR plaignants doit être à prédominance féminine et le groupe de comparaison PO doit être à prédominance masculine.

(2) Le groupe professionnel à prédominance féminine et le groupe professionnel à prédominance masculine qui sont comparés sont composés d’employés qui travaillent dans le même établissement.

(3) La valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. L’évaluation qui s’ensuit établit que le travail comparé est de valeur égale.

(4) Une comparaison faite entre les salaires versés aux employés des deux groupes professionnels pour des fonctions équivalentes démontre qu’il existe une différence entre les salaires versés entre les deux groupes, le groupe professionnel à prédominance féminine [étant] moins bien rémunéré que le groupe professionnel à prédominance masculine. Cette disparité salariale est communément appelée « écart de rémunération ».

Dans les présents motifs, ces quatre éléments sont désignés respectivement comme étant le « premier élément », le « deuxième élément », le « troisième élément » et le « quatrième élément ».

a) Premier élément — Groupe de comparaison

[35] Se fondant sur les articles 12 et 13 de l’Ordonnance de 1986, le Tribunal a jugé que le groupe PO était un groupe professionnel à prédominance masculine et que le groupe CR était un groupe professionnel à prédominance féminine. Le Tribunal a conclu qu’en 1983, un peu plus de 80 p. 100 des 2 316 employés du groupe CR étaient des femmes et qu’au même moment, un peu plus de 75 p. 100 du groupe PO (qui comptait 50 912 employés) était composé d’employés de sexe masculin. Au moment du renvoi de la plainte au Tribunal en 1992, le groupe CR était toujours à prédominance féminine dans une proportion de plus de 83 p. 100 et le groupe PO était à prédominance masculine dans une proportion de plus de 71 p. 100.

[36] La SCP a contesté le choix du groupe PO comme groupe de comparaison au motif que les employés du groupe PO ne devaient pas être considérés comme formant un seul groupe. Elle s’est opposée à l’utilisation d’un groupe de comparaison trié sur le volet par l’AFPC et qui se caractérisait par le groupe d’employés de sexe féminin les mieux rémunérés de la SCP. La SCP a plutôt laissé entendre qu’il fallait utiliser les employés du niveau PO-4 du groupe PO comme groupe de comparaison étant donné que c’était eux qui étaient les plus représentatifs du groupe PO. Comme 53 p. 100 des employés classés au niveau PO-4 étaient des hommes et 47 p. 100 étaient des femmes, il ne s’agissait pas d’un groupe à « prédominance masculine » au sens de l’Ordonnance de 1986. La SCP estimait donc que le premier élément requis pour établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination n’était pas établi. La SCP soutenait en outre que l’AFPC avait retenu le groupe PO comme groupe de comparaison parce que ce groupe était généreusement rémunéré et que ce choix constituait une « sélection aléatoire » inacceptable.

[37] Le Tribunal a rejeté l’argument que le groupe PO ne devait pas être considéré comme formant un seul et même groupe parce que le système de classification des postes du gouvernement fédéral dont la SCP avait hérité du ministère des Postes du gouvernement du Canada joue un rôle important lorsqu’il s’agit de qualifier un groupe de « groupe professionnel » au sens de l’Ordonnance de 1986. Le Tribunal a également écarté l’idée de la SCP suivant laquelle le groupe de comparaison de la plaignante serait une « sélection aléatoire ». Il a fait observer que le groupe PO représentait environ 80 p. 100 de l’effectif total de la SCP, de sorte que le choix de ce groupe ne pouvait, de par sa taille, constituer une « sélection aléatoire ». Par ailleurs, les autres groupes qui auraient pu être retenus, à savoir les groupes professionnels Manœuvres et hommes de métier et Services divers, ne représentaient qu’un faible pourcentage des employés de la SCP, et rien ne permettait de penser que le travail effectué par les membres de ces groupes était semblable à celui des membres du groupe CR.

[38] Au paragraphe 283 de sa décision, le Tribunal a énoncé sa conclusion en ce qui concerne le premier élément du critère prévu au paragraphe 11(1) de la Loi :

Par conséquent, le Tribunal conclut que le groupe plaignant, un groupe professionnel à prédominance féminine et que le groupe de comparaison, un groupe professionnel à prédominance masculine, sont désignés de façon appropriée en vertu de l’article 11 de la Loi et de l’OPS de 1986 comme groupes représentatifs pour la comparaison des fonctions généralement exécutées par des femmes et des fonctions généralement exécutées par des hommes. Par conséquent, le premier critère nécessaire à l’établissement d’une preuve prima facie en vertu de l’article 11 de la Loi a été rencontré. [Non souligné dans l’original.]

b) Deuxième élément — Employés travaillant dans le même établissement

[39] Le Tribunal s’est ensuite penché sur la question de savoir si les employés du groupe CR et du groupe PO travaillaient dans le même établissement et, en particulier, si l’on devait retenir une définition géographique ou une définition fonctionnelle. Suivant le Tribunal, des employés travaillent dans le même établissement au sens géographique lorsqu’ils travaillent dans le même immeuble, la même municipalité ou la même région. En revanche, on considère que des employés font partie du même établissement au sens fonctionnel lorsqu’ils sont visés par un ensemble commun de politiques en matière de personnel et de rémunération. Se fondant sur l’arrêt de notre Cour Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée., 2004 CAF 113, [2004] 3 R.C.F. 663, le Tribunal a écarté une définition géographique de l’établissement pour retenir plutôt une définition fonctionnelle.

[40] Le Tribunal a ensuite expliqué que les éléments de preuve portés à sa connaissance démontraient que la SCP était une entreprise bien intégrée dotée de nombreuses directives organisationnelles, ce qui l’a conduit à formuler sa conclusion au sujet de cet élément. Plus précisément, aux paragraphes 353 et 354 respectivement, le Tribunal a écrit :

Par conséquent, le Tribunal conclut que l’ensemble des employés de Postes Canada ont été, selon le cas, soumis aux mêmes diverses directives générales sur les politiques communes émises par la Société, notamment les directives qui avaient trait aux politiques du personnel et de la rémunération. Donc, le Tribunal conclut que, aux fins de l’article 11 de la Loi, les groupes d’employés représentant le groupe plaignant et le groupe de comparaison travaillent dans le même établissement.

Ce faisant, le deuxième élément nécessaire à l’établissement d’une preuve prima facie en vertu de l’article 11 de la Loi a été établi. [Non souligné dans l’original.]

c) Troisième élément — Fonctions équivalentes

[41] Suivant le Tribunal, la question qui se posait au sujet de cet élément était celle de savoir si la comparaison des fonctions exécutées par les employés du groupe plaignant par rapport à celles du groupe de comparaison démontrait que le travail faisant l’objet de la comparaison était de valeur égale. Le Tribunal a en outre déclaré, au paragraphe 355 de ses motifs :

Si l’on veut arriver à une conclusion raisonnable quant à la valeur du travail effectué par le groupe professionnel plaignant et quant à celui effectué par le groupe professionnel de comparaison, le processus d’évaluation doit être fiable dans son ensemble, et ce, selon la prépondérance des probabilités.

[42] Le Tribunal a reconnu l’importance de procéder à des évaluations des emplois avec des renseignements sur les emplois et un plan d’évaluation fiables. Au paragraphe 358 de ses motifs, le Tribunal reproduit un extrait d’un livret intitulé « Mise en œuvre de la parité salariale dans la sphère de compétence fédérale » qui avait été soumis en preuve par la CCDP. Le Tribunal a estimé que ce livret constituait un guide général d’orientation quant à la collecte de renseignements fiables et quant au traitement de ces renseignements d’une manière qui, compte tenu d’un plan d’évaluation des emplois acceptable et d’évaluateurs compétents, devait conduire à l’établissement de valeurs fiables quant au travail évalué et comparé. Voici la première phrase du livret que le Tribunal reproduit au paragraphe 358 de ses motifs :

Le plan d’évaluation des emplois est l’élément clé pour déterminer ce qui constitue « des fonctions équivalentes ».

On trouve plus loin la phrase suivante :

Parce que la parité salariale repose sur l’hypothèse qu’il faut comparer différentes fonctions au sein d’un même organisme pour en établir l’équivalence, il est essentiel d’utiliser un seul et même plan pour évaluer tous les postes.

[43] Le Tribunal a également fait observer que livret n’avait pas été conçu pour servir dans un contexte litigieux.

[44] Le Tribunal a ensuite précisé, au paragraphe 362 de ses motifs, les questions qu’il entendait traiter relativement à cet élément des conditions du paragraphe 11(1) de la Loi :

Par conséquent, les questions qui seront traitées sont les suivantes :

1.  Quel système ou plan d’évaluation des emplois a été utilisé pour faire l’évaluation des emplois/postes CR et PO et dans quelle mesure était-il fiable?

2.  Quel processus a été utilisé et dans quelle mesure était-il fiable quant à l’analyse des données recueillies sur les emplois aux fins de l’attribution de critères d’équivalence des fonctions aux emplois/postes CR et PO examinés?

3.  Quelles données sur les emplois/postes ont été recueillis [sic], de quelles sources provenaient-elles, dans quelle mesure sont-elles fiables?

4.  Quels critères d’équivalence ont été attribués aux divers emplois/postes CR et PO et dans quelle mesure étaient-ils fiables?

[45] Le Tribunal s’est ensuite demandé de quelle manière il devait s’y prendre pour résoudre ces questions, déclarant, au paragraphe 410 de ses motifs, qu’une certaine jurisprudence qui favorisait « une approche flexible, au cas par cas, pour décider comment appliquer le concept de rémunération égale pour un travail de valeur égale ».

[46] Au paragraphe 411 de ses motifs, le Tribunal a cité un extrait de l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.), dans lequel le juge Hugessen explique que le fardeau qui incombe au plaignant dans un différend portant sur la parité salariale est la norme qui s’applique habituellement en matière civile, soit celle de la prépondérance des probabilités. Au paragraphe 412, le Tribunal a formulé ainsi la question qui lui était soumise :

Ces décisions appuient le choix de la norme de la décision raisonnable car il n’existe pas de norme de fiabilité absolue. L’application d’une telle norme dépendra en grande partie du contexte de la situation à l’étude. La question, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire dont le Tribunal est saisi, consiste à savoir si, selon toute vraisemblance, les renseignements sur l’emploi, compte tenu de leurs diverses sources, le système d’évaluation, le processus utilisé et les évaluations qui en ont résulté, malgré leurs lacunes, [sont] suffisamment adéquats pour que l’on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable, quant à savoir, en vertu de l’article 11 de la Loi, s’il existait une différence entre les salaires des employés du groupe plaignant et les salaires des employés du groupe de comparaison pour l’exécution de fonctions équivalentes?

[47] Dans ce paragraphe, qui se trouve dans la partie de ses motifs où il aborde la question de savoir si les fonctions qui sont comparées sont équivalentes, le Tribunal explique que la question est celle de savoir si les quatre éléments, à savoir les renseignements sur les emplois, le système d’évaluation, le processus utilisé et les évaluations qui en ont résulté, sont suffisamment adéquats pour que l’on puisse parvenir à une conclusion quant à savoir s’il existe une différence entre les salaires des employés du groupe plaignant et les salaires des employés du groupe de comparaison pour l’exécution de fonctions équivalentes. Le Tribunal s’attache en particulier à la question de savoir si ces quatre éléments sont raisonnablement fiables.

[48] Au paragraphe 555 de ses motifs, le Tribunal réaffirme l’importance qu’il accorde à la « fiabilité raisonnable », déclarant ce qui suit :

Chacun des éléments nécessaires à la vérification de la fiabilité raisonnable doit être examiné. En d’autres mots, le système d’évaluation des emplois choisi devrait être raisonnablement fiable, le processus et la méthode utilisés lors de l’évaluation des emplois et (ou) postes pertinents devraient être raisonnablement fiables et les renseignements sur l’emploi ainsi que leurs sources devraient être raisonnablement fiables. Les conclusions du Tribunal devraient être fondées sur la norme de la prépondérance des probabilités, laquelle est appliquée en matière civile.

Il convient de signaler que le Tribunal n’a pas mentionné le quatrième élément qu’il avait cité au paragraphe 412 de ses motifs, soit celui des « évaluations qui en ont résulté ».

[49] Le Tribunal a poursuivi en se demandant si l’on pouvait conclure à une fiabilité raisonnable, selon la prépondérance des probabilités.

[50] S’agissant du système et du processus d’évaluation des emplois, le Tribunal a déclaré, respectivement aux paragraphes 571 et 593 :

Par conséquent, le Tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, le plan Hay, qu’il soit utilisé selon sa configuration de la méthode de comparaison des facteurs ou selon d’autres configurations, est, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme c’était le cas des membres de l’Équipe professionnelle, une méthode d’évaluation des emplois acceptable dans son ensemble qui permettra de traiter les questions soulevées dans la présente plainte en matière de « parité salariale » d’une manière raisonnablement fiable.

[…]

En ce faisant, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus d’évaluation que l’Équipe professionnelle a utilisé dans le cadre de son travail était raisonnablement fiable.

[51] Le Tribunal a reconnu que l’appréciation de la question de la fiabilité raisonnable des renseignements sur les emplois s’était révélée un défi de taille. Au paragraphe 673, il a formulé la question comme suit :

Mais, compte tenu des circonstances quelque peu pénibles et prolongées de la présente instance dont le Tribunal est saisi, les renseignements sur les emplois étaient-ils « suffisants », selon la prépondérance des probabilités, pour produire des pointages raisonnablement fiables quant aux emplois/postes qui, à leur tour, pouvaient être utilisés pour établir s’il y avait oui ou non un écart de rémunération?

[52] Pour l’aider à résoudre la question de savoir si les renseignements sur les emplois utilisés par l’équipe professionnelle étaient raisonnablement fiables, le Tribunal a cité, au paragraphe 679 de ses motifs, le passage suivant de l’ouvrage de S. M. Waddams, The Law of Damages, édition à feuilles mobiles, Toronto : Canada Law Book Inc., 2004, à la page 13-1 :

[traduction] […] en droit anglo-canadien, [...] les tribunaux ont statué de façon constante que dans les cas où la partie demanderesse établit qu’une perte a probablement été subie, la difficulté d’en déterminer le montant ne peut jamais permettre à l’auteur du préjudice de se soustraire au paiement de dommages-intérêts. Si ce montant est difficile à estimer, le tribunal doit simplement faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose; évidemment, si la partie demanderesse n’a pas produit une preuve dont on aurait pu s’attendre qu’elle soit produite si la demande était bien fondée, son omission sera interprétée en sa défaveur. 

Dans Ratcliffe c. Evans, le juge Bower a affirmé ce qui suit :

[traduction] On doit insister sur le plus de certitude et le plus de particularité possible lorsque l’on plaide l’existence d’un préjudice, comme il est raisonnable, compte tenu des circonstances et de la nature des gestes eux-mêmes par lesquels le préjudice est causé. Insister sur moins équivaudrait à assouplir de vieux principes clairs. Insister sur plus équivaudrait à de la pédanterie inutile.

[53] Inspiré par l’idée de tirer le meilleur parti possible des éléments de preuve soumis au décideur, le Tribunal a parlé, en ce qui concerne la fiabilité raisonnable, d’un « spectre » suivant lequel les éléments de preuve étaient considérés comme étamt très fiables à une extrémité, et peu fiables, à l’autre extrémité. Recourant à l’analogie du spectre, le Tribunal a déclaré ce qui suit, au paragraphe 683 de ses motifs : « Bien que, il se peut que les renseignements sur les emplois ne rencontrent pas le degré de fiabilité qui est normalement exigé dans une situation de “parité salariale”, “sont-ils adéquats” […] pour la présente situation? » Le Tribunal a ensuite analysé les renseignements qui lui étaient soumis et a conclu, au paragraphe 689 :

Le Tribunal doit avouer que naviguer au travers des renseignements sur les emplois par les détroits de la « fiabilité raisonnable » n’a pas été un exercice de tout repos. Cependant, en évaluant la preuve présentée par l’ensemble des parties et les témoins experts, et en vertu des circonstances uniques de l’espèce dans le domaine des motifs de distinction illicite des lois sur les droits de la personne, le Tribunal conclut que les renseignements sur les emplois qui étaient entre les mains de l’Équipe professionnelle, étaient, selon toute vraisemblance, « raisonnablement fiables » ou « adéquats » comme l’Équipe les a décrits, et ce, malgré certaines imperfections.

[54] Bien qu’il semble qu’il avait déjà conclu que la plaignante s’était acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir la fiabilité, le Tribunal a poursuivi en proposant d’autres réflexions sur le sens de l’expression « fiabilité raisonnable ». Au paragraphe 693 de ses motifs, il a défini comme suit la notion de « fiabilité raisonnable » : « des renseignements sur les emplois qui sont constamment relativement fiables ou dans lesquelles on peut avoir une confiance modérée ». Le Tribunal a ensuite expliqué il n’y avait pas un seul point précis qui représentait la « fiabilité raisonnable », mais qu’il fallait plutôt envisager la fiabilité de façon générale comme une fourchette d’acceptabilité. Le Tribunal a retenu trois sous-fourchettes possibles : la « fiabilité raisonnable supérieure », la « fiabilité raisonnable médiane » et la « fiabilité raisonnable inférieure » (décision du Tribunal, au paragraphe 696). Suivant le Tribunal, les trois sous-fourchettes en question répondaient toutes à la norme de la « fiabilité raisonnable », mais la fourchette supérieure était celle qui devait être privilégiée.

[55] À l’aide de ces sous-fourchettes, le Tribunal a estimé que les éléments de preuve dont il disposait entraient dans la catégorie de la fiabilité raisonnable inférieure. Le Tribunal était donc en mesure de réitérer la conclusion à laquelle il était arrivé au paragraphe 689 de ses motifs, et a déclaré ce qui suit, au paragraphe 700 de ses motifs :

En conséquence […] selon toute vraisemblance, les renseignements sur les emplois utilisés par l’Équipe professionnelle lorsqu’elle a effectué ses évaluations des postes/emplois CR et PO pertinents en l’espèce, étaient raisonnablement fiables, bien que situés au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable ».

[56] La section suivante des motifs est coiffée du titre suivant « VII. L’ÉCART DE RÉMUNÉRATION ET MÉTHODE DE RAJUSTEMENT DES SALAIRES ». Au paragraphe 701 de ses motifs, le Tribunal a énoncé les questions qu’il entendait examiner :

Ayant conclu, selon toute vraisemblance, que la méthode Hay « ordinaire », laquelle est utilisée dans le cadre de la méthode traditionnelle de comparaison des facteurs, que le processus suivi ainsi que les renseignements sur l’emploi utilisés par l’Équipe professionnelle lorsqu’elle a effectué ses évaluations des postes/emplois CR et PO étaient raisonnablement fiables, les prochaines questions que l’on doit maintenant aborder sont les suivantes :

Dans quelle mesure les valeurs des évaluations des emplois attribuées par l’Équipe professionnelle aux postes CR et aux emplois PO concernés étaient-elles fiables?

A-t-on fait la preuve de l’existence d’un « écart de rémunération » entre les groupes à prédominance féminine et les groupes à prédominance masculine exécutant des fonctions équivalentes?

[57] Compte tenu de la première question posée par le Tribunal, il est évident que, dans ses motifs, le Tribunal n’avait pas encore tiré de conclusion au sujet du troisième élément mentionné au paragraphe 257 de ses motifs, contrairement à ce qu’il avait fait aux paragraphes 283 et 354 de ses motifs relativement aux deux premiers éléments cités au paragraphe 257 de ses motifs.

[58] Se contentant d’affirmer que la crédibilité de l’équipe professionnelle avait été démontrée et que M. Wolf était un expert en ce qui concerne le plan Hay, le Tribunal a tiré la conclusion suivante, au paragraphe 703 de ses motifs :

Par conséquent, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus Hay ainsi que les renseignements sur les emplois raisonnablement fiables susmentionnés, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme l’étaient les membres de l’Équipe professionnelle, permettraient l’attribution de valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables aux travaux exécutés par les employés CR et par les employés PO.

[59] Le Tribunal a repris en des termes pratiquement identiques la même conclusion au paragraphe 798 de ses motifs.

d) Quatrième élément — Écart de rémunération

[60] Le Tribunal a estimé, au paragraphe 801 de ses motifs, que les éléments de preuve qui lui avaient été présentés étaient suffisants, selon la prépondérance des probabilités, pour démontrer l’existence d’un écart de rémunération, concluant ainsi que le dernier élément exigé par le paragraphe 11(1) de la Loi était respecté.

[61] Pour ce qui est de l’ampleur de l’écart de rémunération, le Tribunal a accepté la proposition qui avait été soumise à la CCDP. Le Tribunal s’est ensuite penché sur l’argument de la SCP suivant lequel cet élément ne pouvait être rempli du fait de l’insuffisance de la preuve sur les formes de rémunération indirecte reçue par les employés du groupe CR et du groupe PO.

[62] Le Tribunal a accepté le témoignage de M. Lee qui affirmait, pour le compte des plaignants, que les formes de rémunération indirecte reçue par les deux groupes d’employés étaient à peu près équivalentes. Pour ce faire, le Tribunal a fait observer, au paragraphe 926 de ses motifs, qu’en conséquence de son embauche tardive, M. Lee n’avait pas eu les coudées franches, et qu’« il avait fait du mieux qu’il a pu, compte tenu de la situation à laquelle il était confronté ».

[63] Au paragraphe 927 de ses motifs, le Tribunal a conclu que le rapport de M. Lee était « d’une fiabilité raisonnable inférieure ». En conséquence, suivant le Tribunal, l’AFPC avait réussi à établir qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la rémunération indirecte pour décider s’il existait une disparité salariale entre les employés du groupe CR et ceux du groupe PO aux fins de l’analyse à effectuer selon l’article 11 de la Loi.

e) Réparation

[64] Le Tribunal s’est ensuite demandé jusqu’à quel point la réparation accordée devait correspondre à l’ampleur de l’écart de rémunération. Il a commencé par évoquer le rôle que jouent les dommages-intérêts en droit de la personne en comparaison à celui qu’ils jouent en droit de la responsabilité délictuelle, signalant que, dans les deux cas, on cherche à permettre à la victime d’obtenir une réparation intégrale. En l’espèce, « obtenir une réparation intégrale » signifiait que « la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s’était pas produit » (décision du Tribunal, au paragraphe 934).

[65] Se fondant sur les décisions Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (C.A.); Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, 2004 TCDP 27, conf. par sub nom. Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, [2008] 2 R.C.F 393, et Singh c. Statistique Canada, [1998] D.C.D.P. no 7 (QL), le Tribunal a estimé qu’il pouvait réduire le montant des dommages-intérêts lorsque l’ampleur du préjudice était incertaine. Le Tribunal a conclu que l’ampleur du préjudice était incertaine en l’espèce, parce que les renseignements sur les emplois et les éléments de preuve se rapportant aux formes de rémunération indirecte étaient seulement « d’une fiabilité raisonnable inférieure ».

[66] Tenant compte de ce qui précède, le Tribunal a jugé que, lorsque les renseignements sur les emplois et les éléments de preuve se rapportant aux formes de rémunération indirecte sont qualifiés de renseignements relevant de la sous-fourchette de la « fiabilité raisonnable supérieure », les dommages-intérêts devaient correspondre à 100 p. 100 de l’écart de rémunération, et que lorsqu’ils relevaient de la sous-fourchette de la « fiabilité raisonnable inférieure », ils devraient correspondre à 50 p. 100 ou moins de l’écart constaté. Le Tribunal a par conséquent réduit de 50 p. 100 le montant adjugé aux plaignants.

[67] En ce qui concerne la période de temps retenue pour le calcul du salaire perdu, le Tribunal a décidé que la période de rémunération devait commencer le 24 août 1982, soit un an avant la date du dépôt de la plainte, et non le 16 octobre 1981, comme le demandait la plaignante. La période en question s’est terminée le 2 juin 2002, lorsque l’écart de rémunération a été supprimé.

B. La Cour fédérale

[68] Le juge de première instance était saisi de deux demandes. Dans la première, la SCP demandait le contrôle judiciaire de la décision faisant droit à la plainte. Dans la deuxième, l’AFPC demandait le contrôle judiciaire de la décision réduisant de 50 p. 100 le montant accordé à titre de dommages-intérêts. Dans ses motifs, le juge de première instance a examiné les cinq questions suivantes :

1)

Le Tribunal a-t-il erré en appliquant l’OPS de 1986?

2)

Le Tribunal a-t-il erré en appliquant une norme de preuve incorrecte?

3)

Le Tribunal a-t-il erré en déterminant le groupe de comparaison?

4)

Le Tribunal a-t-il erré en statuant que, dès lors qu’une disparité salariale est établie, la présomption de discrimination peut seulement être réfutée par des motifs énumérés dans l’OPS de 1986?

5)

Le Tribunal a-t-il erré en réduisant les dommages-intérêts de 50 p. 100?

a) Applicabilité de l’Ordonnance de 1986

[69] Le juge de première instance a estimé que, s’agissant de la question de savoir si le Tribunal avait commis une erreur en appliquant rétroactivement l’Ordonnance de 1986, la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable simpliciter (l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’avait pas encore été rendu). Le juge de première instance a estimé que, dans les circonstances de l’espèce, l’Ordonnance de 1986 avait été appliquée de façon raisonnable par le Tribunal et qu’elle n’avait pas été appliquée rétroactivement.

b) Norme de preuve

[70] Le juge de première instance a également conclu que la norme de contrôle qui s’appliquait à cette question était celle de la décision raisonnable simpliciter.

[71] Le juge de première instance a expliqué que la charge de preuve dont on devait s’acquitter pour démontrer qu’un acte discriminatoire avait été commis au sens du paragraphe 11(1) de la Loi était la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités. Il a conclu que le Tribunal avait reconnu que c’était la norme de preuve qui s’appliquait, mais il a ajouté que le Tribunal avait mal appliqué cette norme.

[72] Le juge de première instance a mentionné les quatre éléments qui étaient considérés comme essentiels pour établir l’existence d’une preuve prima facie de discrimination au sens du paragraphe 11(1) de la Loi. Il a déclaré que les parties qui comparaissaient devant lui avaient convenu que la question de savoir si le Tribunal avait appliqué la bonne norme de contrôle se rattachait au troisième élément. Au paragraphe 122 de ses motifs, le juge de première instance a cerné avec encore plus de précision l’objet de son analyse. Il a déclaré :

À l’audience, les parties ont cerné trois faits pertinents au regard de l’évaluation des fonctions comparées :

1) la fiabilité des renseignements sur les emplois appartenant aux groupes professionnels comparés, y compris les sources d’où provenaient ces renseignements sur les emplois;

2) la fiabilité de la méthodologie d’évaluation employée pour réaliser les évaluations;

3) la fiabilité du processus d’évaluation réalisé lui-même.

Après avoir soigneusement examiné les observations des parties relativement à ces trois faits pertinents, la Cour concentrera son analyse relative à la norme de preuve sur le premier fait pertinent.

[73] En ce qui concerne la question des renseignements sur les emplois, le juge de première instance s’est référé à la preuve et aux conclusions du Tribunal. Voici ce qu’il a écrit, aux paragraphes 131 et 132 :

Au paragraphe 673, le Tribunal a statué qu’il faisait peu de doute que les renseignements sur les emplois utilisés pour réaliser les évaluations « n’ont pas satisfait à la norme à laquelle on est normalement en droit de s’attendre dans le cadre d’une étude conjointe employeur-employé en matière de “parité salariale” ». Après avoir dit cela, le Tribunal a poursuivi en demandant :

[…] les renseignements sur les emplois étaient-ils « suffisants », selon la prépondérance des probabilités, pour produire des pointages raisonnablement fiables quant aux emplois/ postes qui, à leur tour, pouvaient être utilisés pour établir s’il y avait oui ou non un écart de rémunération?

À ce stade-ci, la Cour note que le Tribunal semble être sur le point d’appliquer la prépondérance des probabilités comme norme de preuve applicable pour établir l’élément essentiel des fonctions équivalentes. [Non souligné dans l’original.]

[74] Le juge de première instance a conclu que le Tribunal s’était égaré en faisant sien le passage de l’ouvrage du professeur Waddams reproduit au paragraphe 133 de ses motifs concernant le principe selon lequel, lorsqu’il évalue le préjudice subi, un tribunal doit faire de son mieux à la lumière des éléments de preuve dont il dispose. Le juge de première instance a également conclu que le Tribunal avait ajouté une part d’ambiguïté dans l’application de la norme de preuve en introduisant la notion d’analyse spectrale.

[75] Au paragraphe 155 de ses motifs, le juge de première instance a répété qu’il incombe au plaignant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il existe des différences de salaire pour des fonctions équivalentes entre le groupe de plaignants et le groupe de comparaison. Il a ensuite déclaré, aux paragraphes 156 à 158 de ses motifs :

Le Tribunal a erré en droit en appliquant une norme de preuve confuse, inventée et inédite relativement à la fiabilité des renseignements sur les emplois afin de conclure à la responsabilité de Postes Canada. Une preuve relative aux renseignements sur les emplois qui, selon le Tribunal, était « raisonnablement fiable » au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable » est moins probante qu’une preuve fiable selon la prépondérance des probabilités.

La conclusion de la Cour selon laquelle le Tribunal n’a pas conclu que les renseignements sur les emplois étaient fiables selon la prépondérance des probabilités est confirmée indirectement par la décision du Tribunal de réduire les dommages-intérêts de 50 p. 100. Le Tribunal a décidé de réduire les dommages‑intérêts de 50 p. 100 parce que les « renseignements sur l’emploi » utilisés pour déterminer l’écart salarial et la rémunération non salariale satisfaisaient seulement à la norme de la « fiabilité raisonnable inférieure » de la fourchette de responsabilité. Le Tribunal a statué, aux paragraphes 948 et 949 :

Suite à l’analyse spectrale qui a été effectuée quant à ces deux éléments de l’incertitude, le Tribunal conclut qu’un écart de rémunération fondé sur une preuve de « fiabilité raisonnable supérieure » devrait, logiquement, donner lieu à une adjudication à 100 p. 100 de la perte de salaire, une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable moyenne » à une adjudication de 75 p. 100, et une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable inférieure » à une adjudication de 50 p. 100 ou moins.

Par conséquent, le Tribunal conclut que la proposition définitive d’adjudication au titre de la perte de salaire pour chaque employé CR admissible, peu importe la méthode utilisée, devrait être réduite de 50 p. 100 en conformité avec l’état de « fiabilité raisonnable inférieure » des renseignements sur l’emploi pertinents et des formes de rémunération indirecte.

Cette conclusion démontre que le Tribunal était tellement incertain de la fiabilité des éléments de preuve relatifs aux renseignements sur les emplois qu’il a seulement accordé à la plaignante 50 p. 100 de ses dommages-intérêts. En droit, le Tribunal ne peut pas décider d’accorder à la plaignante seulement 50 p. 100 de ses dommages-intérêts s’il n’est pas convaincu que la preuve relative à la responsabilité était probablement fiable. Une partie ne peut pas être à moitié responsable — à moitié responsable signifie que la preuve était moins que probable. En réduisant l’adjudication de dommages-intérêts de 50 p. 100, le Tribunal confirme indirectement qu’il ne pensait pas que les éléments de preuve étaient fiables selon la prépondérance des probabilités. Au terme de l’audience, si la preuve relative à la responsabilité est également partagée, il n’y a pas prépondérance de la preuve en faveur de la partie plaignante, et la plainte doit être rejetée.

[76] Le juge de première instance a écarté les arguments de l’AFPC et de la CCDP suivant lesquels le Tribunal avait conclu que le seuil de la prépondérance des probabilités avait été atteint en ce qui concerne l’élément des fonctions équivalentes. À cet égard, le juge de première instance a rejeté la prétention que la conclusion énoncée au paragraphe 801 des motifs du Tribunal était suffisante pour répondre à cette question. Au paragraphe 160 de ses motifs, le juge a cité la conclusion tirée par le Tribunal au paragraphe 703 de ses motifs :

Par exemple, au paragraphe 703, le Tribunal énonce la question dont il est saisi — à savoir si les faits pertinents sont « raisonnablement fiables » :

Par conséquent, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus Hay ainsi que les renseignements sur les emplois raisonnablement fiables susmentionnés, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme l’étaient les membres de l’Équipe professionnelle, permettraient l’attribution de valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables aux travaux exécutés par les employés CR et par les employés PO.

En concluant que les faits pertinents doivent produire des évaluations d’emplois « raisonnablement fiables », le Tribunal applique une norme de preuve moins exigeante que la prépondérance des probabilités. [Non souligné dans l’original.]

[77] Enfin, le juge de première instance a fait observer que la norme de preuve que le Tribunal a effectivement appliquée ressemblait davantage à celle de la « justification raisonnable » qui constitue un seuil moins élevé que la norme de la prépondérance des probabilités.

c) Groupe de comparaison

[78] Le juge de première instance s’est ensuite demandé si le Tribunal avait commis une erreur en concluant que le groupe PO était un groupe de comparaison approprié. Sa conclusion sur cette question se trouve au paragraphe 207 de ses motifs :

Bien que le Tribunal ait analysé les éléments de preuve concernant le caractère approprié du groupe PO comme groupe de comparaison, la Cour estime qu’il était déraisonnable pour le Tribunal de méconnaître le fait que le plus grand groupe de femmes chez Postes Canada était les 10 000 femmes qui travaillaient comme « trieuses de courrier » au sein du groupe PO, et que ces 10 000 femmes étaient les employées syndiquées les mieux payées chez Postes Canada. La Cour trouve déraisonnable de choisir un groupe de comparaison qui masque les 10 000 femmes, et qui a pour effet de les considérer comme des hommes pour l’application de l’article 11. Cela est à la fois contraire à l’objet de l’article 11 et illogique. De plus, il est évident qu’il n’y avait pas de discrimination salariale systémique à l’encontre des femmes employées chez Postes Canada puisque le plus grand groupe de femmes chez Postes Canada était le mieux payé de tous les employés syndiqués. [Souligné dans l’original.]

d) Présomption

[79] Le juge de première instance s’est ensuite penché sur la question de savoir si le Tribunal avait commis une erreur en statuant que seuls les facteurs énumérés dans l’Ordonnance de 1986 pouvaient être utilisés pour réfuter la présomption de discrimination fondée sur le sexe. Il a conclu que, vu ses conclusions sur la question de la norme de preuve et de celle du caractère approprié du groupe de comparaison, la question de la présomption légale ne se posait pas.

e) Dommages-intérêts

[80] Le juge de première instance a estimé qu’aucuns dommages-intérêts n’auraient dû être accordés étant donné que le bien-fondé de la plainte n’avait pas été établi selon la prépondérance des probabilités. Enfin, le juge de première instance a déploré la longueur des procédures.

f) Dispositif

[81] Le juge de première instance a ordonné que la plainte soit renvoyée au Tribunal avec comme instruction de rejeter la plainte au motif qu’elle n’était pas bien fondée selon la norme légale de preuve.

VI. QUESTIONS EN LITIGE

[82] Dans les dossiers A-129-08 et A-139-08, l’AFPC et la CCDP interjettent appel de la décision par laquelle le juge de première instance a annulé la décision du Tribunal. Dans le dossier A-130-08, l’AFPC interjette appel de la décision par laquelle le juge de première instance a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’AFPC concernant la partie de la décision du Tribunal réduisant de 50 p. 100 le montant des dommages‑intérêts auxquels la SCP avait été condamnée.

[83] Les présents appels soulèvent les questions suivantes :

a) Le Tribunal a-t-il omis de formuler une conclusion sur la question de savoir si le troisième élément de la preuve prima facie de discrimination salariale avait été établi et, dans l’affirmative, cette omission aurait-elle pour effet de vicier la décision du Tribunal suivant laquelle il a été établi que la SCP s’est rendue coupable de discrimination salariale?

b) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en concluant que le Tribunal n’avait pas appliqué la bonne norme de preuve en ce qui concerne ses conclusions sur les éléments requis pour établir une preuve prima facie de discrimination?

c) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en ne faisant pas preuve de suffisamment de déférence envers le Tribunal pour déterminer si le groupe PO était un groupe de comparaison approprié?

d) Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en renvoyant la plainte au Tribunal avec pour instruction de rejeter la plainte?

e) Le Tribunal a-t-il commis une erreur en réduisant le montant des dommages-intérêts?

Nous sommes d’avis que le présent appel peut être tranché en répondant aux deux premières questions. Pour les motifs qui suivent, nous sommes d’accord avec le dispositif du juge de première instance.

VII. ANALYSE

A. rôle de la Cour dans le présent appel

[84] Il est maintenant bien établi que lorsque notre Cour statue sur l’appel d’une décision rendue par la Cour fédérale à la suite d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision d’un tribunal administratif, sa tâche consiste à déterminer si le juge qui était saisi de la demande de contrôle judiciaire a défini la bonne norme de contrôle et l’a appliquée correctement lors du contrôle de la décision du tribunal administratif (Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23). Ainsi que l’explique le juge Rothstein (alors juge à la Cour d’appel fédérale) dans l’arrêt Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, [2006] 3 R.C.F. 610, au paragraphe 14, « [c]oncrètement, cela signifie que la cour d’appel elle‑même révise la décision administrative en appliquant la norme de contrôle appropriée. » Nous réviserons donc la décision du Tribunal en ce qui concerne les deux questions susmentionnées.

B. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en ne tirant pas une conclusion nécessaire?

[85] Au cours des audiences tenues au sujet des présents appels, la Cour a invité les parties à formuler des observations au sujet de la question de savoir si le Tribunal avait effectivement conclu que le troisième élément de la preuve prima facie de discrimination salariale avait été établi. Il était acquis aux débats, et nous sommes du même avis, que pareille omission serait suffisante pour vicier la décision du Tribunal. Étant donné que le juge de première instance n’a pas analysé cette question, nous allons entreprendre cette analyse.

[86] Pour les motifs qui suivent, nous concluons que le Tribunal n’a pas tiré la conclusion requise. Plus précisément, nous sommes d’avis que le Tribunal a mis fin à son analyse du troisième élément après avoir examiné la fiabilité des éléments de preuve relatifs à cet élément et qu’il n’a pas conclu que cet élément avait été établi selon la prépondérance des probabilités.

a) Norme de contrôle

[87] La question de savoir si le défaut de tirer une conclusion sur chacun des quatre éléments de la preuve prima facie de discrimination salariale vicierait la conclusion que cette preuve avait été faite contre la SCP serait, selon toute vraisemblance, une pure question de droit dont le contrôle s’effectuerait selon la norme de la décision correcte. Cette question n’est toutefois pas en litige. La question qui se pose est plutôt celle de savoir si, en interprétant de façon objective les motifs du Tribunal, on peut affirmer que le Tribunal a effectivement omis de tirer la conclusion requise en ce qui concerne le troisième élément. Pour examiner cette question, il faut interpréter certains principes généraux de droit ainsi que les dispositions applicables de la Loi et de l’Ordonnance de 1986 et les appliquer aux faits constatés par le Tribunal. La question peut donc être considérée comme une question mixte de fait et de droit. Le contrôle de cette question doit donc s’effectuer selon la norme de la décision raisonnable, à moins que l’on puisse aisément scinder la composante juridique de la composante factuelle. Il se peut fort bien que l’on puisse dissocier la composante juridique, de sorte que la norme de contrôle applicable à la question ainsi dissociée serait celle de la décision correcte. Toutefois, eu égard aux circonstances de l’espèce, nous refusons d’entreprendre la tâche d’essayer d’extraire une composante juridique distincte de la question. C’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’appliquera.

b) Méthode générale d’analyse des éléments d’un cas de discrimination salariale

[88] La plaignante accuse la SCP d’avoir contrevenu à l’article 11 de la Loi en rémunérant, pour des fonctions équivalentes, plus généreusement les employés du groupe PO, à prédominance masculine, que ceux du groupe CR, à prédominance féminine.

[89] Les règles à suivre pour démontrer qu’une telle violation s’est produite sont bien résumées dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpson Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, dans lequel la Cour suprême du Canada a jugé que l’obligation imposée à tous les employés de travailler le samedi pouvait être discriminatoire au sens du Code ontarien des droits de la personne, L.R.O. 1980, ch. 340, et ce, même si l’employeur n’avait aucune intention discriminatoire. À la page 558, le juge McIntyre écrit :

Pour commencer, l’expérience a montré qu’en matière de règlement judiciaire des différends, l’attribution du fardeau de la preuve à l’une ou l’autre partie est un élément essentiel. Ce fardeau n’est pas toujours nécessairement lourd — il varie en fonction de chaque cas — et il se peut qu’il n’incombe pas à une partie pour tous les points de l’affaire; il peut passer d’une partie à l’autre. Mais, faute de mieux en pratique, on a jugé nécessaire, pour assurer une solution claire dans toute instance judiciaire, d’attribuer le fardeau de la preuve à l’une ou l’autre partie, pour les départager. Par conséquent, je suis d’accord avec la commission d’enquête pour dire que chaque cas se ramène à une question de preuve et donc que, dans ces affaires comme dans toute instance civile, il doit y avoir reconnaissance et attribution claires et nettes du fardeau de la preuve. À qui doit‑il incomber? Suivant la règle bien établie en matière civile, ce fardeau incombe au demandeur. Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Donc, selon la règle énoncée dans l’arrêt Etobicoke quant au fardeau de la preuve, savoir faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de l’existence d’un cas de discrimination, je ne vois aucune raison pour laquelle cela ne devrait pas s’appliquer dans les cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. [Non souligné dans l’original.]

[90] Comme nous l’avons déjà expliqué, dans les présents appels, il est acquis aux débats qu’eu égard aux circonstances de la plainte, l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination salariale oblige la plaignante à établir l’existence de quatre éléments selon la prépondérance des probabilités. On trouve au paragraphe 257 des motifs du Tribunal un exposé de ses éléments qui n’est pas contesté par les parties.

[91] En ce qui concerne la façon de faire la preuve de ces éléments, il convient de citer l’extrait suivant des motifs de lord Hoffmann dans l’arrêt In re B (Children) (Fc), [2008] UKHL 35, au paragraphe 2 (l’un des arrêts du Royaume-Uni cité par le juge Rothstein dans l’arrêt F.H. [infra]) :

[traduction] Lorsqu’une règle de droit exige la preuve d’un fait (le « fait en litige »), le juge ou le jury doit déterminer si le fait s’est ou non produit. Il ne saurait conclure qu’il a pu se produire. Le droit est un système binaire, les seules valeurs possibles étant zéro et un. Ou bien le fait s’est produit, ou bien il ne s’est pas produit. Lorsqu’un doute subsiste, la règle selon laquelle le fardeau de la preuve incombe à l’une ou l’autre des parties permet de trancher. Lorsque la partie à laquelle incombe la preuve ne s’acquitte pas de son obligation, la valeur est de zéro et le fait est réputé ne pas avoir eu lieu. Lorsqu’elle s’en acquitte, la valeur est de un, et le fait est réputé s’être produit.

[92] Dans ces conditions, chacun des éléments exigés peut être considéré comme un « fait en litige » qui doit être établi selon la prépondérance des probabilités. Lorsque le Tribunal conclut qu’un élément a été prouvé, la valeur ainsi obtenue est de un selon le système binaire de lord Hoffmann. Toutefois, lorsque le degré de preuve exigé n’est pas respecté, la preuve du « fait en litige » ou de l’élément n’a pas été faite et, toujours selon le système binaire de lord Hoffmann, la valeur obtenue est de zéro.

[93] Dans son analyse factuelle des quatre éléments ou « faits en litige », le Tribunal devait franchir les trois étapes suivantes (les « étapes requises pour constater un “fait en litige” »).

[94] À la première étape, le Tribunal doit se prononcer sur l’admissibilité des éléments de preuve se rapportant au « fait en litige » concerné, laquelle dépend de la réponse à la question de savoir si les éléments de preuve en question satisfont à certaines règles de common law ou principes élaborés par le Tribunal.

[95] À la deuxième étape, le Tribunal doit déterminer la valeur à accorder aux éléments de preuve admissibles relativement au « fait en litige » concerné. Ici, la fiabilité de ces éléments de preuve joue un rôle central pour ce qui est de la valeur à leur attribuer.

[96] Enfin, à la troisième étape, le Tribunal doit déterminer si la norme de preuve générale a été respectée pour ce qui est du « fait en litige ». En matière civile, la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités. À notre avis, cette norme a été arrêtée de façon péremptoire par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41, dans lequel, aux paragraphes 40 et 49 respectivement, le juge Rothstein a déclaré :

Comme l’a fait la Chambre des lords, notre Cour devrait selon moi affirmer une fois pour toutes qu’il n’existe au Canada, en common law, qu’une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités. Le contexte constitue évidemment un élément important et le juge ne doit pas faire abstraction, lorsque les circonstances s’y prêtent, de la probabilité ou de l’improbabilité intrinsèque des faits allégués non plus que de la gravité des allégations ou de leurs conséquences. Toutefois, ces considérations ne modifient en rien la norme de preuve. À mon humble avis, pour les motifs qui suivent, il faut écarter les approches énumérées précédemment.

[…]

En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

Le juge Rothstein a poursuivi, au paragraphe 54 :

[Lorsque le juge du procès] énonce expressément la bonne norme de preuve, il est présumé l’avoir appliquée. Dans le cas où le juge ne renvoie à aucune norme de preuve particulière, on présume également qu’il a appliqué la bonne.

[97] Comme les quatre éléments sont essentiels à l’établissement d’une preuve prima facie de discrimination salariale, une valeur de un doit être attribuée à chacun de ces éléments. En d’autres termes, si la norme de preuve exigée n’est pas respectée en ce qui concerne l’un ou l’autre de ces éléments, la plainte doit être rejetée faute de preuves.

c) Méthode employée par le Tribunal pour conclure à l’existence des éléments d’un cas de discrimination salariale

[98] Avant d’aborder la question de savoir si le Tribunal n’a pas tiré la conclusion requise en ce qui concerne le troisième élément, nous souhaitons nous arrêter à la façon dont le Tribunal a analysé les deux premiers éléments. Compte tenu de la façon dont nous tranchons les présents appels, il n’est pas nécessaire d’examiner comment le Tribunal a traité le quatrième élément.

i) Premier élément — Groupe de comparaison

[99] Le Tribunal a examiné les éléments de preuve qui lui avaient été soumis en fonction des articles 12 et 13 de l’Ordonnance de 1986 et il a conclu que le groupe professionnel plaignant, le groupe CR, était un groupe à prédominance féminine et que le groupe professionnel de comparaison, le groupe PO, était un groupe professionnel à prédominance masculine pour l’application des dispositions en question. Ayant tiré cette conclusion, le Tribunal a poursuivi en concluant, au paragraphe 283 de ses motifs, que ces deux groupes

… sont désignés de façon appropriée en vertu de l’article 11 de la Loi et de l’OPS de 1986 comme groupes représentatifs pour la comparaison des fonctions généralement exécutées par des femmes et des fonctions généralement exécutées par des hommes. Par conséquent, le premier critère nécessaire à l’établissement d’une preuve prima facie en vertu de l’article 11 de la Loi a été rencontré. [Non souligné dans l’original.]

[100] Nous soulignons cette conclusion, sans nous prononcer sur sa sagesse, pour illustrer le fait que le Tribunal a examiné les exigences de cet élément et conclu qu’elles étaient satisfaites. Nous signalons également que, si l’on utilise le système binaire proposé par lord Hoffmann, on obtient, avec une telle conclusion, une valeur de un pour ce qui est de l’établissement de cet élément.

ii) Deuxième élément — Employés travaillant dans le même établissement

[101] Comme il l’avait fait lors de son examen du premier élément, le Tribunal a une fois de plus commencé par définir les exigences de cet élément, pour ensuite examiner les éléments de preuve dont il disposait pour conclure, enfin, que les groupes d’employés qui représentaient la plaignante et le groupe de comparaison travaillaient dans le même établissement. Au paragraphe  354 de ses motifs, le Tribunal a ensuite déclaré ce qui suit : « Ce faisant, le deuxième élément nécessaire à l’établissement d’une preuve prima facie en vertu de l’article 11 de la Loi a été établi » (non souligné dans l’original).

[102] Là encore, nous soulignons le caractère non équivoque de la conclusion tirée par le Tribunal relativement à cet élément. Nous répétons par ailleurs que, selon le système binaire de lord Hoffmann, on obtient avec cette conclusion une valeur de un en ce qui concerne la question de savoir si cet élément a été établi.

iii) Troisième élément — Fonctions équivalentes

[103] Par souci de commodité, nous reproduisons les explications que le Tribunal a données, au paragraphe 257 de ses motifs, au sujet des éléments 3 et 4 :

(3) La valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. L’évaluation qui s’ensuit établit que le travail comparé est de valeur égale.

(4) Une comparaison faite entre les salaires versés aux employés des deux groupes professionnels pour des fonctions équivalentes démontre qu’il existe une différence entre les salaires versés entre les deux groupes, le groupe professionnel à prédominance féminine [étant] moins bien rémunéré que le groupe professionnel à prédominance masculine. Cette disparité salariale est communément appelée « écart de rémunération ». [Non souligné dans l’original.]

[104] Après avoir tiré sa conclusion au sujet du deuxième élément, le Tribunal est passé à l’examen du troisième en se posant les deux questions suivantes [au paragraphe 354] :

D.

La comparaison entre le travail effectué par le groupe plaignant et le travail effectué par le groupe de comparaison démontre-t-elle que le travail comparé est de valeur égale?

Les données sur les postes/emplois et le processus de comparaison entre le travail du groupe plaignant et le travail du groupe de comparaison sont-ils fiables?

[105] La première de ces questions montre bien que le Tribunal estimait que, pour établir cet élément, il fallait d’abord conclure que la comparaison des fonctions exécutées par chacun de ces deux groupes démontrait que les salariés qui faisaient partie de ces deux groupes exécutaient des fonctions équivalentes dans le même établissement. Le Tribunal n’a toutefois pas donné d’explications au sujet de la substance de cet élément ni proposé d’interprétation en ce qui concerne l’expression « fonctions équivalentes » pour répondre à la question qu’il se posait.

[106] Outre cette omission, le Tribunal n’a pas non plus expliqué comment l’expression « fonctions équivalentes » s’appliquait, eu égard aux circonstances de la plainte. Pareille explication serait nécessaire avant que le Tribunal puisse se prononcer sur la question de savoir si le troisième élément avait été établi.

[107] À défaut de pareilles explications, la Cour se voit réduite à se livrer à des spéculations sur ce que le Tribunal pensait du sens de l’expression « fonctions équivalentes » ou à tenter elle-même d’entreprendre cette analyse. À notre avis, la première hypothèse est inacceptable et la seconde n’est pas réaliste, vu le dossier qui nous est soumis. Cela étant dit, nous oserions dire qu’une analyse approfondie de l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « fonctions équivalentes » qui reposerait sur un dossier adéquat et sur l’application du critère prévu au paragraphe 11(2) de la Loi permettrait de conclure que, dans les cas portant sur une comparaison des fonctions exercées par des groupes professionnels, l’équivalence des fonctions comparées pourrait être déterminée de façon relative. En d’autres termes, il serait possible de comparer, pour l’application du paragraphe 11(1), les fonctions exercées par les membres des groupes professionnels visés, et ce, même si la valeur de leur travail était carrément différente. Par exemple, on pourrait dire que le troisième élément a été établi si l’on conclut que deux unités du travail effectué par le groupe professionnel plaignant ont la même valeur qu’une unité du travail réalisé par le groupe professionnel de comparaison.

[108] Malgré le fait qu’il n’a donné aucune explication au sujet des exigences que comporte le troisième élément, le Tribunal a estimé que, pour tirer une conclusion sur la valeur du travail exécuté par le groupe professionnel plaignant et le groupe professionnel de comparaison, le Tribunal devait disposer d’éléments de preuve sur :

a) les fonctions qui sont exécutées par les salariés des deux groupes (les renseignements sur les emplois);

b) le plan ou la méthodologie à utiliser pour examiner et évaluer les renseignements sur les emplois (le plan d’évaluation);

c) le processus effectivement utilisé pour procéder à l’évaluation (la méthode d’évaluation).

[109] Le Tribunal a ensuite précisé que les éléments de preuve portant sur les renseignements sur les emplois, le plan d’évaluation et la méthode d’évaluation devaient être fiables.

[110] Nous n’avons rien à redire sur cette conclusion du Tribunal. Nous sommes toutefois d’avis que ce n’est pas parce qu’il existe des éléments de preuve fiables au sujet de ces trois questions qu’on doive nécessairement conclure que le troisième élément a été établi. L’appréciation de la fiabilité n’est que la deuxième des étapes qu’il faut franchir pour pouvoir tirer une conclusion sur un « fait en litige ». À notre avis, l’existence de tels éléments de preuve est une condition préalable qui doit nécessairement être remplie pour qu’on puisse conclure que cet élément a été établi. D’ailleurs, on trouve l’affirmation suivante dans le livret sur lequel le Tribunal s’est fondé (voir les motifs du Tribunal, au paragraphe 358) : « Le plan d’évaluation des emplois est l’élément clé pour déterminer ce qui constitue “des fonctions équivalentes”. »

[111] Ainsi, dès lors que cette condition préalable obligatoire est remplie, le Tribunal serait en mesure de conclure que le troisième élément a été établi. Malheureusement, il nous a été impossible de repérer dans les motifs du Tribunal un passage où il aurait tiré une conclusion sur cet élément.

[112] À notre humble avis, le Tribunal s’est embrouillé et a par conséquent commis une erreur en confondant la conclusion qu’il devait tirer au sujet du troisième élément — en l’occurrence que le travail des deux groupes faisant l’objet de la comparaison était, relativement parlant, de valeur égale — avec les trois éléments qui doivent être établis pour pouvoir tirer cette conclusion. Cette confusion est évidente au paragraphe 362 des motifs où le Tribunal formule les quatre questions qu’il souhaitait examiner. Par souci de commodité, nous reproduisons le paragraphe 362 :

Par conséquent, les questions qui seront traitées sont les suivantes :

1.

Quel système ou plan d’évaluation des emplois a été utilisé pour faire l’évaluation des emplois/postes CR et PO et dans quelle mesure était-il fiable?

2.

Quel processus a été utilisé et dans quelle mesure était-il fiable quant à l’analyse des données recueillies sur les emplois aux fins de l’attribution de critères d’équivalence des fonctions aux emplois/postes CR et PO examinés?

3.

Quelles données sur les emplois/postes ont été recueillies, de quelles sources provenaient-elles, dans quelle mesure sont‑elles fiables?

4.

Quels critères d’équivalence ont été attribués aux divers emplois/postes CR et PO et dans quelle mesure étaient-ils fiables?

[113] À notre avis, les conclusions qui doivent être tirées au sujet des trois premières questions précisées par le Tribunal — l’existence d’éléments de preuve portant sur le plan d’évaluation, la méthode d’évaluation et les renseignements sur les emplois, et la fiabilité de ces éléments de preuve — sont des éléments essentiels qui doivent être réunis avant de pouvoir tirer une conclusion sur la question de savoir si, relativement parlant, le travail faisant l’objet de la comparaison est de valeur égale. Nous estimons toutefois que les « critères d’équivalence », mentionnés à la quatrième question, correspondent en fait à la conclusion que le Tribunal doit tirer relativement au troisième élément. Ce sont ces critères d’équivalence qui permettent de conclure, que le travail exécuté par les salariés des deux groupes est de valeur égale, relativement parlant. Et, comme nous l’avons déjà dit, la conclusion à tirer quant à cet élément ou « fait en litige » doit être établie selon la prépondérance des probabilités.

[114] On trouve un autre indice de cette confusion du Tribunal au paragraphe 412 de ses motifs, et en particulier dans l’extrait suivant :

La question, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire dont le Tribunal est saisi, consiste à savoir si, selon toute vraisemblance, les renseignements sur l’emploi, compte tenu de leurs diverses sources, le système d’évaluation, le processus utilisé et les évaluations qui en ont résulté, malgré leurs lacunes, sont-ils suffisamment adéquats pour que l’on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable, quant à savoir, en vertu de l’article 11 de la Loi, s’il existait une différence entre les salaires des employés du groupe plaignant et les salaires des employés du groupe de comparaison pour l’exécution de fonctions équivalentes? [Non souligné dans l’original.]

À notre avis, les « évaluations qui en ont résulté » sont la conclusion que le Tribunal est tenu de tirer en ce qui concerne cet élément et elles ne doivent pas être entremêlées avec les conclusions portant sur la fiabilité. En d’autres termes, une conclusion du Tribunal suivant laquelle les éléments de preuve soumis au sujet de la détermination de la valeur relative du travail faisant l’objet de la comparaison sont fiables ne saurait être assimilée à une conclusion du Tribunal suivant laquelle, vu l’ensemble des éléments de preuve dont il dispose, les fonctions faisant l’objet de la comparaison sont, relativement parlant, équivalentes, au sens du paragraphe 11(1) de la Loi.

[115] Au paragraphe 555, le Tribunal a expliqué qu’il doit évaluer, apprécier ou soupeser les éléments nécessaires à la vérification de la fiabilité raisonnable des renseignements sur les emplois, du plan d’évaluation et de la méthode d’évaluation, à l’aide de la « norme de la prépondérance des probabilités, laquelle est appliquée en matière civile ». Le Tribunal a poursuivi en tirant les conclusions qui suivent au sujet du plan d’évaluation et de la méthode d’évaluation. Il a déclaré, aux paragraphes 571 et 593 respectivement :

Par conséquent, le Tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, le plan Hay, qu’il soit utilisé selon sa configuration de la méthode de comparaison des facteurs ou selon d’autres configurations, est, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme c’était le cas des membres de l’Équipe professionnelle, une méthode d’évaluation des emplois acceptable dans son ensemble qui permettra de traiter les questions soulevées dans la présente plainte en matière de « parité salariale » d’une manière raisonnablement fiable.

[…]

En ce faisant, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus d’évaluation que l’Équipe professionnelle a utilisé dans le cadre de son travail était raisonnablement fiable. [Non souligné dans l’original.]

[116] Le Tribunal s’est ensuite attaqué au « défi de taille » d’évaluer la fiabilité raisonnable des renseignements sur les emplois. Reconnaissant la difficulté que comporte l’appréciation de ces éléments de preuve, le Tribunal a trouvé utile d’examiner l’approche retenue par le professeur Waddams (reproduite au paragraphe 679 des motifs du Tribunal) pour établir le préjudice subi, à savoir que le tribunal doit faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose.

[117] Le Tribunal a en outre estimé que, pour pouvoir déterminer si les renseignements sur les emplois étaient raisonnablement fiables, il convenait d’envisager « trois sous-fourchettes de fiabilité raisonnable ». Appliquant ce concept, le Tribunal a estimé que les renseignements sur les emplois étaient néanmoins raisonnablement fiables. Voici ce qu’il a écrit, au paragraphe 700 :

En conséquence, le Tribunal a conclu que, comme il a été précisé au paragraphe [689], selon toute vraisemblance, les renseignements sur les emplois utilisés par l’Équipe professionnelle lorsqu’elle a effectué ses évaluations des postes/emplois CR et PO pertinents en l’espèce, étaient raisonnablement fiables, bien que situés au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable ».

[118] En toute déférence, nous trouvons inusitée cette façon d’appliquer la norme de la prépondérance des probabilités pour évaluer la fiabilité d’éléments de preuve portant sur des faits intermédiaires et nous considérons encore plus inusité le recours à des « sous-fourchettes de fiabilité raisonnable » à cette fin. À notre avis, les conclusions tirées par le Tribunal au sujet de la fiabilité des éléments de preuve se rapportant aux renseignements sur les emplois, au plan d’évaluation et à la méthode d’évaluation ne sont rien de plus que des conclusions suivant lesquelles ces éléments de preuve avaient une certaine valeur probante et méritaient d’être examinés par le Tribunal. Ce n’est cependant pas parce qu’on conclut que ces éléments de preuve sont fiables ou qu’ils méritent d’être examinés qu’on conclut nécessairement que ces éléments de preuve ont une valeur probante suffisante pour établir le troisième élément, en l’occurrence le « fait en litige » à l’égard duquel ces éléments de preuve ont été présentés. Là encore, nous estimons que le Tribunal n’a pas franchi la troisième des étapes qu’il devait suivre pour tirer une conclusion au sujet d’un « fait en litige » et nous estimons qu’il a mis fin à son analyse dès la deuxième étape.

[119] Ayant conclu que les éléments de preuve portant sur les renseignements sur les emplois étaient raisonnablement fiables, le Tribunal s’est posé la question suivante, au paragraphe 701 de ses motifs : « Dans quelle mesure les valeurs des évaluations des emplois attribuées par l’Équipe professionnelle aux postes CR et aux emplois PO concernés étaient-elles fiables? »

[120] Le Tribunal a répondu de la façon suivante à cette question au paragraphe 703 de ses motifs :

Par conséquent, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus Hay ainsi que les renseignements sur les emplois raisonnablement fiables susmentionnés, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme l’étaient les membres de l’Équipe professionnelle, permettraient l’attribution de valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables aux travaux exécutés par les employés CR et par les employés PO.

[121] Le juge de première instance a conclu que la conclusion tirée dans ce paragraphe par le Tribunal au sujet des valeurs d’évaluation raisonnablement fiables n’équivalait pas à la conclusion que le troisième élément avait été établi selon la prépondérance des probabilités. Nous souscrivons à la conclusion du juge à cet égard.

[122] Encore une fois, l’établissement du troisième élément exige que l’on conclue que l’appréciation de la valeur du travail exécuté par les deux groupes démontre, selon la prépondérance des probabilités, que, relativement parlant, les fonctions faisant l’objet de la comparaison sont équivalentes. En toute déférence, on ne saurait raisonnablement considérer que la conclusion que la valeur attribuée au travail faisant l’objet de la comparaison est raisonnablement fiable est une conclusion suivant laquelle les fonctions qui faisaient l’objet de la comparaison étaient effectivement des fonctions équivalentes.

[123] Nous acceptons le fait que, parce que le Tribunal a correctement énoncé la norme de preuve, il a le droit d’être présumé avoir appliqué la bonne norme de preuve. Cependant, cette présomption ne saurait raisonnablement permettre de transformer sa conclusion que la valeur attribuée au travail faisant l’objet de la comparaison est raisonnablement fiable en une conclusion que les fonctions faisant l’objet de la comparaison sont équivalentes. La présomption permet tout au plus de penser que le Tribunal a conclu que la valeur attribuée au travail faisant l’objet de la comparaison est raisonnablement fiable selon la prépondérance des probabilités, ce qui n’est suffisant que pour franchir la deuxième étape exigée pour établir un « fait en litige ». En conséquence, il nous est impossible de conclure que l’on peut raisonnablement considérer qu’on trouve au paragraphe 703 des motifs du Tribunal la conclusion que le troisième élément a été établi. Ce paragraphe n’est certainement pas rédigé de façon aussi claire que les paragraphes 283 et 354 des motifs du Tribunal, où ce dernier précise bien que le premier et le deuxième éléments sont établis.

[124] Dans le même ordre d’idées, nous ne croyons pas que l’on puisse raisonnablement considérer que la première phrase du paragraphe 801 des motifs du Tribunal démontre que le troisième élément a été établi. Voici le texte de cette phrase :

Le Tribunal accepte que la preuve de l’Équipe professionnelle, qu’il s’agisse du témoignage de vive voix de M. Wolf ou qu’il s’agisse des rapports présentés par l’Équipe au Tribunal, suffit, selon la prépondérance des probabilités, à démontrer l’existence d’un écart de rémunération lorsque, à Postes Canada, le travail exécuté par le groupe des CR à prédominance féminine est comparé au travail de valeur égale exécuté par le groupe des PO à prédominance masculine.

Interprétée comme il se doit, cette phrase ne concerne que l’acceptation, par le Tribunal, du fait que le quatrième élément, qui se rapporte au salaire versé aux employés des deux groupes, a été établi. Qui plus est, le paragraphe 801 se trouve dans la section VII des motifs du Tribunal intitulée « VII. L’ÉCART DE RÉMUNÉRATION ET MÉTHODE DE RAJUSTEMENT DES SALAIRES », qui suit la section des motifs où l’on se serait attendu à ce que le Tribunal tire une conclusion au sujet du troisième élément.

[125] De toute évidence, le Tribunal était conscient du fait qu’il était tenu de tirer des conclusions relativement à chacun des quatre éléments permettant de conclure à une preuve prima facie de discrimination salariale. D’ailleurs, aux paragraphes 283 et 354 de ses motifs, le Tribunal a formulé dans des termes clairs et sans équivoque ce genre de conclusion au sujet du premier et du deuxième éléments. Le défaut du Tribunal de conclure de façon tout aussi claire et non équivoque que le troisième élément avait été établi nous apparaît tout aussi évident que la conclusion du Tribunal suivant laquelle les deux premiers éléments avaient été établis.

[126] Le Tribunal n’a pas motivé son défaut de conclure que le troisième élément avait été établi. Nous estimons d’ailleurs qu’il ne pouvait avancer de motifs justifiables, transparents ou intelligibles pour justifier cette omission. Qui plus est, compte tenu du fait que le Tribunal était conscient du fait qu’il devait tirer de telles conclusions au sujet de chacun de quatre éléments et du fait qu’il a effectivement tiré une telle conclusion sur deux de ces éléments, et ce, en des termes clairs et sans équivoque, nous avons du mal à conclure que l’omission de conclure que cet élément important était établi a été commise par inadvertance ou que cette conclusion devrait être considérée comme étant implicitement exprimée dans les motifs du Tribunal.

[127] Nous sommes par conséquent d’avis que le Tribunal ne peut raisonnablement être considéré comme ayant conclu que le troisième élément d’une preuve prima facie de discrimination salariale a été établi. Il s’ensuit, selon nous, que le fait que le Tribunal a fait défaut de tirer cette conclusion constitue un motif suffisant pour rejeter la plainte. Pour reprendre le système binaire de lord Hoffmann, on obtient une valeur de zéro en raison du défaut du Tribunal de conclure que cet élément avait été établi.

C. Le Tribunal a-t-il appliqué une norme de preuve incorrecte?

[128] Le juge de première instance a conclu que c’était à bon droit que le Tribunal avait déclaré que la norme de preuve applicable en ce qui concerne les quatre éléments en question était celle de la prépondérance des probabilités. Nul ne conteste cette conclusion. De plus, compte tenu de la présomption citée par le juge Rothstein dans l’arrêt F.H., le Tribunal est présumé avoir appliqué la bonne norme de preuve. Il s’agit donc de savoir si l’on peut dire que cette présomption a été réfutée, vu l’ensemble des motifs du Tribunal.

[129] Le juge de première instance a examiné cette question lors de son analyse du troisième élément et c’est également sous cet angle que nous allons l’aborder.

a) Norme de contrôle

[130] La question de savoir si le Tribunal a appliqué la bonne norme de preuve est une question mixte de fait et de droit dont on pourrait aisément isoler une question de droit. Cette question est par conséquent soumise à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

b) Le Tribunal a-t-il appliqué la bonne norme de preuve?

[131] Plus tôt dans les présents motifs, nous avons conclu que le Tribunal avait commis une erreur dans la mesure où il avait estimé que l’établissement du troisième élément découlerait automatiquement de la conclusion que des éléments de preuve raisonnablement fiables avaient été présentés relativement à l’évaluation des emplois, au plan d’évaluation et à la méthode d’évaluation.

[132] Dans la mesure où l’opinion du Tribunal est valide, il faudrait considérer chacune des trois questions de preuve, non pas comme un fait intermédiaire, mais plutôt comme un élément essentiel ou un « fait en litige », dont il faudrait faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. Dans cette hypothèse, la plainte serait quand même vouée à l’échec. À notre avis, les conclusions que le Tribunal a tirées au sujet de chacune de ces questions, aux paragraphes 571, 593 et 700 de ses motifs, étaient « raisonnablement fiables » constituent des conclusions qui ne satisfont pas à la norme de la preuve prépondérante exigée.

[133] Ayant conclu, au paragraphe 700 de ses motifs, que les éléments de preuve présentés relativement aux renseignements sur les emplois étaient raisonnablement fiables, le Tribunal s’est posé la question suivante, au paragraphe 701 : « Dans quelle mesure les valeurs des évaluations des emplois attribuées par l’Équipe professionnelle aux postes CR et aux emplois PO concernés étaient-elles fiables? »

[134] Le Tribunal a répondu comme suit à cette question, au paragraphe 703 de ses motifs :

Par conséquent, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus Hay ainsi que les renseignements sur les emplois raisonnablement fiables susmentionnés, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme l’étaient les membres de l’Équipe professionnelle, permettraient l’attribution de valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables aux travaux exécutés par les employés CR et par les employés PO.

[135] Le juge de première instance a conclu que, malgré sa conclusion au sujet de l’existence de valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables dans ce paragraphe, le Tribunal n’était pas allé jusqu’à conclure que le troisième élément avait été établi selon la prépondérance des probabilités. Nous souscrivons à sa conclusion à cet égard.

[136] Nous constatons par ailleurs qu’aux paragraphes 699 et 941 de ses motifs, le Tribunal a conclu que les renseignements sur les emplois utilisés pour évaluer les postes CR et les postes PO appartenaient à la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable », ce qui a amené le Tribunal à conclure qu’il existait « un degré important d’incertitude » en ce qui concernait les renseignements sur les emplois. Le Tribunal a ensuite formulé les observations suivantes aux paragraphes 943, 944, 948 et 949 :

Si on tient compte de ces éléments d’incertitude qui ont une incidence sur l’aspect très important de l’appréciation de l’ampleur de l’écart de rémunération, le Tribunal cro[i]t que, selon toute vraisemblance, si les renseignements sur l’emploi et les formes de rémunération indirecte avaient été d’une « fiabilité raisonnable supérieure », l’écart de rémunération aurait été plus conforme à la réalité. En d’autres mots, plus les renseignements sur l’emploi et les formes de rémunération indirecte sont fiables, plus la détermination de l’écart de rémunération est précise. Cette détermination est cruciale quant à l’importance des dommages‑intérêts qui seront adjugés.

Reconnaissant ces éléments d’incertitude dans l’état des renseignements sur l’emploi et dans les documents sur les formes de rémunération indirecte, le Tribunal conclut qu’il ne peut pas accepter, en totalité, l’écart de rémunération établie par l’Alliance et endossée par la Commission.

[…]

Suite à l’analyse spectrale qui a été effectuée quant à ces deux éléments de l’incertitude [renseignements sur les emplois, paragraphe 941, et formes de rémunération indirecte, paragraphe 942], le Tribunal conclut qu’un écart de rémunération fondé sur une preuve de « fiabilité raisonnable supérieure » devrait, logiquement, donner lieu à une adjudication à 100 p. 100 de la perte de salaire, une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable moyenne » à une adjudication de 75 p. 100, et une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable inférieure » à une adjudication de 50 p. 100 ou moins.

Par conséquent, le Tribunal conclut que la proposition définitive d’adjudication au titre de la perte de salaire pour chaque employé CR admissible, peu importe la méthode utilisée, devrait être réduite de 50 p. 100 en conformité avec l’état de « fiabilité raisonnable inférieure » des renseignements sur l’emploi pertinents et des formes de rémunération indirecte.

[137] Ainsi, au paragraphe 949 de ses motifs, le Tribunal a réduit de 50 p. 100 le montant accordé au titre de la perte de salaire « en conformité avec l’état de “fiabilité raisonnable inférieure” des renseignements sur l’emploi pertinents et des formes de rémunération indirecte ». Nous sommes d’avis que, ce faisant, le Tribunal a considéré que les renseignements sur l’emploi qui appartenaient à la catégorie de la « fiabilité raisonnable inférieure » étaient sûrs à 50 p. 100. À notre avis, il ressort clairement de cette conclusion que le Tribunal a appliqué au troisième élément une norme de preuve moins exigeante que celle de la prépondérance des probabilités.

[138] À notre avis, la présomption que le Tribunal a appliqué la bonne norme de preuve a été amplement réfutée et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, la norme de la prépondérance des probabilités exige l’établissement d’un « fait en litige ». Suivant la formule binaire, la valeur obtenue est soit zéro, soit un. La conclusion n’est forcément pas une « valeur raisonnablement fiable », une « valeur proche de un » ou une « valeur qui se rapproche davantage de un que de zéro ».

[139] Deuxièmement, le fait que le Tribunal se fonde sur l’affirmation du professeur Waddams selon laquelle, lorsqu’il évalue le préjudice subi, le tribunal doit faire de son mieux à la lumière des éléments de preuve dont il dispose, nous porte à penser que le Tribunal avait des réserves en ce qui concerne le dossier de la preuve qui lui était soumis. Il n’est pas nécessaire que nous nous demandions si c’est à juste titre que le Tribunal s’est inspiré de la méthode proposée par le professeur Waddams pour tenter de déterminer la fiabilité des éléments de preuve portant sur les renseignements sur les emplois, le plan d’évaluation et la méthode d’évaluation lorsque ces éléments constituent des faits intermédiaires sur lesquelles reposent les conclusions relatives aux « faits en litige ». Nous estimons toutefois qu’il n’était pas acceptable de la part du Tribunal de se fonder sur cette méthode pour tirer des conclusions sur ces éléments, lorsque ces derniers constituent des « faits en litige » qui doivent être établis selon la prépondérance des probabilités.

[140] Troisièmement, le Tribunal a fait allusion à plusieurs reprises (voir les paragraphes 573, 574, 581, 673 et 683 des motifs du Tribunal) au fait que les circonstances de l’espèce sont difficiles, inusitées ou litigieuses, comme s’il cherchait à justifier un certain assouplissement des principes établis depuis longtemps en ce qui concerne la charge de la preuve et la norme de preuve en matière civile. Cette impression est confirmée par le fait que le Tribunal a retenu des « fourchettes » et des « sous-fourchettes » d’acceptabilité ou de fiabilité raisonnable.

[141] Toutes ces justifications du Tribunal nous démontrent qu’il n’a pas conclu, comme il était tenu de le faire, que le troisième élément avait été établi selon la prépondérance des probabilités. À notre avis, ces justifications réfutent clairement la présomption que le Tribunal a effectivement tiré cette conclusion. Nous souscrivons donc à la solution proposée par le juge de première instance sur cette question et nous concluons qu’il s’agit là d’un motif suffisant pour pouvoir rejeter l’appel.

VIII. CONCLUSION ET DISPOSITIF

[142] Nous concluons que le Tribunal a commis deux erreurs et que chacune d’entre elles suffit pour vicier sa décision. En ce qui concerne la première question, qui n’a pas été directement examinée par le juge de première instance, nous concluons qu’on ne peut pas raisonnablement considérer que le Tribunal a conclu que le troisième élément de la preuve prima facie de discrimination avait été établi. À défaut de cette conclusion essentielle, il est impossible de faire droit à la plainte.

[143] S’agissant de la deuxième question, nous sommes d’accord avec le juge de première instance pour dire que les conclusions tirées par le Tribunal en ce qui concerne le troisième élément d’une preuve prima facie de discrimination salariale ne correspondent pas au degré de preuve exigé selon la norme de la prépondérance des probabilités. Il était donc déraisonnable de la part du Tribunal de faire droit à la plainte alors que le degré de preuve requis n’était pas respecté, s’agissant de cet élément essentiel.

[144] Pour les motifs qui ont déjà été exposés, nous sommes d’accord avec le juge de première instance pour dire que le degré de preuve atteint en ce qui concerne au moins un des quatre éléments ne dépassait pas 50 p. 100, de sorte qu’il n’atteignait pas le degré de preuve exigé, en l’occurrence plus de 50 p. 100. Nous sommes par conséquent d’avis que c’est à bon droit que le juge de première instance a estimé que l’affaire devait être renvoyée au Tribunal avec pour instruction de rejeter la plainte au motif que son bien‑fondé n’avait pas été démontré. Nous sommes également d’avis qu’il serait inutile de renvoyer l’affaire au Tribunal pour réexamen, étant donné que nous estimons que les conclusions tirées par le Tribunal relativement à chacun des quatre éléments ne respectaient pas le degré de preuve prépondérante exigé.

[145] À l’instar du juge de première instance, nous constatons également qu’une somme exceptionnelle de temps et de ressources a été consacrée à la présente affaire. Les audiences du Tribunal se sont à elles seules échelonnées sur 11 années, et 26 ans se sont écoulés depuis le dépôt de la plainte. Ainsi que le juge de première instance le fait observer au paragraphe 274 : « Une audience sans discipline ni échéanciers retarde la justice et constitue un déni de justice ». La somme considérable de temps et d’argent qui a été consacrée à la présente affaire n’influence cependant pas notre choix en ce qui concerne les mesures de réparation à accorder.

[146] Pour les motifs qui précèdent, nous rejetterions les appels, le tout sans frais.

ANNEXE

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6

11. (1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur d’instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.

Disparité salariale discriminatoire

(2) Le critère permettant d’établir l’équivalence des fonctions exécutées par des salariés dans le même établissement est le dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail.

Critère

(3) Les établissements distincts qu’un employeur aménage ou maintient dans le but principal de justifier une disparité salariale entre hommes et femmes sont réputés, pour l’application du présent article, ne constituer qu’un seul et même établissement.

Établissements distincts

(4) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 27(2).

Disparité salariale non discriminatoire

(5) Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiver la disparité salariale.

Idem

(6) Il est interdit à l’employeur de procéder à des diminutions salariales pour mettre fin aux actes discriminatoires visés au présent article.

Diminutions de salaire interdites

(7) Pour l’application du présent article, « salaire » s’entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment :

a) des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement et des primes;

b) de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement;

c) des rétributions en nature;

d) des cotisations de l’employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d’assurance contre l’invalidité prolongée et aux régimes d’assurance-maladie de toute nature;

e) des autres avantages reçus directement ou indirectement de l’employeur.

[…]

27. […]

Définition de
« salaire »

(2) Dans une catégorie de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser, par ordonnance, les limites et les modalités de l’application de la présente loi.

[…]

Directives

49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l’instruction est justifiée.

[…]

50. […]

Instruction

(3) Pour la tenue de ses audiences, le membre instructeur a le pouvoir :

a) d’assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les pièces qu’il juge indispensables à l’examen complet de la plainte, au même titre qu’une cour supérieure d’archives;

b) de faire prêter serment;

c) de recevoir, sous réserve des paragraphes (4) et (5), des éléments de preuve ou des renseignements par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu’il estime indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire;

d) de modifier les délais prévus par les règles de pratique;

e) de trancher toute question de procédure ou de preuve.

Pouvoirs

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7

18.1 […]

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

[…]

Pouvoirs de la Cour fédérale

52. La Cour d’appel fédérale peut :

[…]

b) dans le cas d’un appel d’une décision de la Cour fédérale :

(i) soit rejeter l’appel ou rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre et prendre toutes mesures d’exécution ou autres que celle-ci aurait dû prendre,

(ii) soit, à son appréciation, ordonner un nouveau procès, si l’intérêt de la justice paraît l’exiger,

(iii) soit énoncer, dans une déclaration, les conclusions auxquelles la Cour fédérale aurait dû arriver sur les points qu’elle a tranchés et lui renvoyer l’affaire pour poursuite de l’instruction, à la lumière de cette déclaration, sur les points en suspens […]

Pouvoirs de la Cour d’appel fédérale

Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082

12. Lorsqu’une plainte dénonçant une situation de disparité salariale est déposée par un groupe professionnel identifiable ou en son nom, ce groupe doit être composé majoritairement de membres d’un sexe et le groupe auquel il est comparé doit être composé majoritairement de membres de l’autre sexe.

13. Pour l’application de l’article 12, un groupe professionnel est composé majoritairement de membres d’un sexe si, dans l’année précédant la date du dépôt de la plainte, le nombre de membres de ce sexe représentait au moins :

a) 70 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d’un groupe comptant moins de 100 membres;

b) 60 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d’un groupe comptant de 100 à 500 membres;

c) 55 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d’un groupe comptant plus de 500 membres.

14. Si le groupe professionnel ayant déposé la plainte est comparé à plusieurs autres groupes professionnels, ceux-ci sont considérés comme un seul groupe.

15. (1) Pour l’application de l’article 11 de la Loi, lorsque la plainte déposée dénonce une situation de disparité salariale entre un groupe professionnel et un autre groupe professionnel et qu’une comparaison directe de ces deux groupes ne peut être faite quant à l’équivalence des fonctions et aux salaires des employés, une comparaison indirecte de ces éléments peut être faite.

(2) Pour la comparaison des salaires des employés des groupes professionnels visés au paragraphe (1), la courbe des salaires du groupe professionnel mentionné en second lieu doit être utilisée pour établir l’écart, s’il y a lieu, entre les salaires des employés du groupe professionnel en faveur de qui la plainte est déposée et de l’autre groupe professionnel.   

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. (dissident) :

A. INTRODUCTION

[147] La présente affaire concerne une plainte en matière de parité salariale qui a été déposée il y a 27 ans. Des sommes considérables de temps et d’argent, provenant tant du secteur public que du secteur privé, ont été consacrées à l’instruction et au règlement de la plainte. Pour les membres de l’appelante, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC), l’enjeu est le règlement d’une plainte relative à une situation de discrimination fondée sur le sexe qui existerait depuis longtemps. Pour la Société canadienne des postes (la SCP), les incidences financières de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) sont incontestablement considérables.

[148] Le présent appel soulève trois questions importantes en ce qui concerne la mise en application du principe juridique selon lequel un employeur ne peut pas rémunérer différemment les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes. Premièrement, dans le cas d’une plainte en matière de parité salariale présentée par un groupe professionnel à prédominance féminine, le Tribunal peut-il sélectionner un groupe de comparaison à prédominance masculine qui comprend un nombre significatif de femmes relativement bien rémunérées? Deuxièmement, lorsque le Tribunal affirme qu’il applique la norme de preuve qui existe en matière civile, quel poids doit-on accorder à la présomption que c’est effectivement la norme qu’il a appliquée? Troisièmement, après que les postes des membres de la plaignante et ceux du groupe de comparaison ont été évalués, quelles conclusions doit-on tirer avant de pouvoir comparer le salaire des membres de chacun des groupes en question pour déterminer s’ils reçoivent une rémunération différente pour des fonctions équivalentes?

[149] J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des motifs de mes collègues, les juges Sexton et Ryer. Je regrette de ne pouvoir conclure, comme eux, que les appels interjetés par l’AFPC et la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) dans les dossiers A-129-08 et A‑139‑08 devraient être rejetés. À mon avis, le Tribunal n’a pas commis d’erreur qui justifierait notre intervention lorsqu’il a fait droit à la plainte en matière de parité salariale présentée par l’AFPC au nom du groupe professionnel des Commis aux écritures et règlements, lequel est à prédominance féminine (le groupe CR), pour la période comprise entre le 24 août 1982 et le 2 juin 2002.

[150] Le 2 juin 2002, la SCP a adopté un nouveau plan d’évaluation des emplois et accordé une hausse salariale de 15 p. 100 aux membres du groupe CR, tout en limitant à environ 1,5 p. 100 les hausses salariales consenties aux autres groupes. L’AFPC a considéré que le nouveau plan d’évaluation des emplois et la hausse salariale de 15 p. 100 excluaient pour l’avenir toute contravention à l’article 11 de la Loi. La SCP nie cependant que le groupe CR ait été auparavant moins bien rémunéré que le groupe de comparaison indiqué dans la plainte en matière de parité salariale, soit le groupe professionnel des Opérations postales (le groupe PO), pour l’exécution de fonctions équivalentes.

[151] À mon humble avis, lorsqu’on interprète ses motifs dans leur ensemble et à la lumière des témoignages des experts sur lesquels il s’est fondé, on constate que le Tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les membres du groupe CR étaient moins bien rémunérés que ceux du groupe PO pour des fonctions équivalentes.

[152] Pour pouvoir conclure qu’on a contrevenu à l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), le Tribunal qui est saisi d’une plainte collective en matière de parité salariale doit conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les fonctions exécutées par les membres des groupes en question ont été correctement évaluées. À mon avis, le Tribunal était en droit de tirer une telle inférence sur le fondement de ses conclusions que les éléments de preuve sur la nature des fonctions étaient raisonnablement fiables et que la méthode Hay en matière d’évaluation des emplois était un outil raisonnablement fiable pour évaluer les données recueillies sur les emplois (la question de la méthodologie) et que les évaluateurs l’avaient appliquée de manière raisonnablement fiable (la question du processus).

[153] Une fois que les fonctions exécutées par les membres des deux groupes ont été évaluées, on compare les facteurs d’équivalence attribués aux divers postes. Si une partie importante des postes du groupe plaignant sont d’une valeur égale ou supérieure à un ou à plusieurs des postes du groupe de comparaison, on peut alors comparer leur salaire respectif pour déterminer si le groupe plaignant est moins bien rémunéré que le groupe de comparaison pour des fonctions équivalentes.

[154] En 1993, l’AFPC a engagé trois évaluateurs d’emplois professionnels : M. Bernard Ingster, M. G. Wolf et Mme Davidson-Palmer (l’équipe professionnelle) pour leur confier, à titre d’experts, la révision des évaluations entreprises par la CCDP en 1991 et, sur le fondement d’une évaluation indépendante des postes, pour leur faire identifier toute différence entre le salaire payé respectivement aux membres de chacun des deux groupes pour des fonctions équivalentes.

[155] Ayant évalué les postes CR et les postes PO selon la méthode Hay, l’équipe professionnelle a constaté qu’une partie importante des postes CR étaient d’une valeur égale ou supérieure à un ou à plusieurs des postes du groupe PO ou, en d’autres termes, qu’ils correspondaient à la courbe salariale des employés PO. On pouvait donc légitimement comparer le salaire des membres des deux groupes pour déterminer si le groupe plaignant avait établi l’existence d’un écart de rémunération pour des fonctions équivalentes en violation de l’article 11. Le Tribunal (aux paragraphes 799 et 801) a fait siennes les conclusions de l’équipe professionnelle.

[156] À l’instar de mes collègues, je suis d’avis de rejeter l’appel interjeté par l’AFPC dans le dossier de la Cour no A-130-08 de la décision par laquelle le juge Kelen a rejeté sa demande de contrôle judiciaire relative au montant de l’indemnité que le Tribunal lui avait accordé. Toutefois, comme je suis d’avis de faire droit à l’appel de l’AFPC en ce qui a trait à la violation de l’article 11, j’ai dû statuer sur le fond de l’appel portant sur le montant de l’indemnité. Je ne suis pas convaincu que la somme accordée par le Tribunal était déraisonnable.

[157] En revanche, il n’est pas nécessaire que je décide si, comme l’affirment l’AFPC et la CCDP, le juge de première instance a commis une erreur de droit en annulant la décision du Tribunal et en ne renvoyant pas l’affaire à ce dernier pour qu’il rende une nouvelle décision au motif que, suivant le juge, la preuve ne permettait pas de conclure à une violation de l’article 11 selon la prépondérance des probabilités.

B. CONTEXTE FACTUEL

[158] C’est avec reconnaissance que j’adopte la description des faits à l’origine du litige et l’historique des instances judiciaires ayant mené au présent appel faits par mes collègues. Je n’ajouterai que les quelques précisions suivantes pour situer mes motifs dans leur contexte.

[159] Premièrement, signalons qu’il s’agit d’une autre illustration de ce procès-fleuve qui a entravé le règlement des plaintes en matière de parité salariale au niveau fédéral. Les dates repères de ce procès sont tellement exceptionnelles qu’il vaut la peine de les répéter.

• 24 août 1983 : l’AFPC dépose une plainte en matière de parité salariale en vertu de l’article 11 de la Loi au nom du groupe CR travaillant pour la SCP, société d’État créée en 1981 pour assumer les fonctions auparavant exercées par le ministère des Postes;

• 16 mars 1992 : la CCDP renvoie la plainte de l’AFPC au Tribunal pour instruction;

• entre le 25 novembre 1992 et août 2003 : les audiences du Tribunal s’échelonnent sur plus de 10 ans et comptent 410 jours d’audience;

7 octobre 2005 : le Tribunal rend sa décision;

• 21 février 2008 : la Cour fédérale annule la décision du Tribunal;

• 22 février 2010 : la Cour d’appel fédérale rejette l’appel.

[160] Deuxièmement, l’AFPC et la SCP n’ont pas réussi à travailler ensemble à une étude conjointe syndicale-patronale en vue de la production d’une évaluation commune des fonctions exécutées par les membres du groupe CR et du groupe professionnel retenu comme groupe de comparaison salariale, le groupe PO. Les renseignements dont disposait le Tribunal au sujet de la nature du travail effectué par les membres de ces groupes et les éléments non pécuniaires de leur salaire étaient par conséquent considérablement limités.

[161] Ces lacunes s’expliquent notamment par le fait que, dès le départ, les parties ont adopté une attitude antagoniste, que la CCDP n’a pas obligé la SCP à produire tous les documents pertinents et par le fait qu’il existait une rivalité sous-jacente entre, d’une part, l’AFPC, l’agent négociateur des employés du groupe CR et les deux petits groupes professionnels à prédominance masculine de Poste Canada, à savoir les Manœuvres et hommes de métier et les Services divers, et, d’autre part, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, l’agent négociateur de la plupart des employés du groupe PO.

[162] Troisièmement, les tribunaux n’interviennent jamais à la légère dans un processus administratif, tant parce qu’ils font preuve de déférence envers l’expertise des tribunaux spécialisés que parce qu’ils reconnaissent que les cours de révision ne peuvent bénéficier d’une perspective aussi large sur le problème soumis au tribunal administratif. De plus, annuler une décision administrative entraîne inévitablement un gaspillage de ressources, et ce, peu importe que l’affaire soit renvoyée ou non au tribunal administratif en vue de la tenue d’une nouvelle audience.

[163] Ces considérations sont particulièrement appropriées en l’espèce : l’objet de la présente instance est complexe et comporte certains aspects très techniques et, comme nous l’avons déjà signalé, les ressources du secteur public et du secteur privé qui ont déjà été consacrées au présent litige sont énormes. Tout au long des 1016 paragraphes que comptent ses motifs, le Tribunal n’est pas toujours aussi clair qu’il aurait pu l’être, confronté comme il l’était à la masse de détails, d’éléments de preuve et d’analyses techniques qui lui étaient soumis. Comme nous l’avons déjà signalé, le défi auquel le Tribunal était confronté était de taille, d’autant plus que les parties ne lui avaient pas soumis d’étude conjointe portant sur les facteurs d’équivalence attribués aux postes et sur le salaire total versé au cours de la période visée par la plainte. On ne s’attendait toutefois pas à de la perfection de sa part et, lorsqu’on les examine à la lumière des éléments de preuve dont il disposait et de la nature de la tâche que la loi lui confie, on constate que les motifs du Tribunal expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision.

[164] Il ressort à mon avis des motifs du Tribunal qu’il comprenait bien les règles de droit applicables et qu’il a abordé les questions de preuve complexes qui lui étaient soumises d’une façon attentive et soignée. Ses motifs démontrent suffisamment « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47). Dans l’arrêt Dunsmuir (au paragraphe 48) la Cour a également souscrit à l’opinion du professeur Dyzenhaus (« The Politics of Deference: Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, dir., The Province of Administrative Law (Oxford : Hart Publishing, 1997), 279, à la page 286), suivant laquelle, lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de raisonnabilité, la cour doit faire preuve d’une [traduction] « attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (non souligné dans l’original). Les mots soulignés indiquent qu’on ne doit pas aborder le contrôle judiciaire sous un angle trop formaliste. Ainsi, dans la mesure où le Tribunal n’explique pas pleinement certains aspects de sa décision, la Cour peut se reporter aux éléments de preuve cités par le Tribunal pour étoffer ses motifs. Je ne considère cependant pas l’arrêt Dunsmuir comme une invitation faite à la cour de révision d’usurper le rôle qui incombe au tribunal de justifier ses décisions.

[165] Le règlement d’une plainte en matière de parité salariale suppose un savant dosage d’art, de science, de droits de la personne et de relations de travail. Il peut s’avérer difficile de faire entrer des enquêtes multidisciplinaires de cette nature dans le cadre défini par la loi : les spécialistes en sciences sociales et les conseillers en gestion ne s’expriment pas toujours de la même façon que les juristes sur des questions de preuve, par exemple.

[166] Quatrièmement, l’article 11 de la Loi vise essentiellement à éliminer les conséquences, sur le plan financier, de la discrimination systémique fondée sur le sexe qui existe sur le marché du travail en raison de la ségrégation professionnelle fondée sur le sexe. Toutefois, avec le recul, il semble maintenant que le législateur fédéral a fait fausse route en soumettant les questions de parité salariale au régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lequel est axé sur le dépôt de plainte, la confrontation et le respect des droits de la personne.

[167] Il y a beaucoup à apprendre de l’expérience des régimes provinciaux de parité salariale, qui semblent ne pas avoir été affligés par les mêmes problèmes de procès interminables que ceux du régime fédéral. Dans l’intérêt de tous, il est nécessaire d’élaborer un nouveau modèle pour mettre en application le principe de la parité salariale dans la sphère fédérale. Pour prendre connaissance des critiques adressées au régime actuel et de recommandations en vue d’une réforme, voir le rapport final du Comité sur l’équité salariale intitulé L’équité salariale : une nouvelle approche à un droit fondamental (Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2004).

C. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

[168] Il est acquis aux débats que les normes de contrôle applicables aux diverses questions en litige dans la présente affaire sont celles de la décision correcte, quant au choix de la norme de preuve arrêté par le Tribunal, et la décision raisonnable (dont l’application est, comme il se doit, mise en contexte) pour les conclusions de fait et les décisions discrétionnaires du Tribunal, dont son choix de groupe de comparaison et de mesures de réparation. Ainsi que mes collègues le soulignent, la tâche qui incombe à notre Cour, dans le cadre du présent appel, est de décider si le juge de première instance a sélectionné la bonne norme de contrôle et s’il l’a appliquée correctement.

[169] Les trois principaux sujets d’étude que les avocats ont explorés dans le présent appel ont trait au choix que le Tribunal a fait du groupe PO comme groupe de comparaison, à la norme de preuve que le Tribunal a appliquée pour conclure que les membres du groupe CR étaient moins bien rémunérés que ceux du groupe PO pour des fonctions équivalentes et, enfin, à la réparation que le Tribunal a accordée. Plus particulièrement, les débats ont été axés sur la question de savoir si le Tribunal avait appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités lorsqu’il a accepté l’évaluation des emplois réalisée par l’équipe professionnelle sur le groupe de la plaignante et sur le groupe de comparaison, et sur la question de savoir si les éléments de preuve sur lesquels le Tribunal s’est fondé pour conclure à un écart de rémunération étaient suffisants.

[170] De plus, les avocats de la SCP ont soutenu que l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (l’Ordonnance) ne s’appliquait pas à la plainte pour la période comprise entre 1983 et la date à laquelle l’Ordonnance a été publiée, parce que sinon on donnerait un effet rétroactif à l’Ordonnance. Essentiellement pour les mêmes motifs que ceux qu’a exposés le juge de première instance, je suis d’accord pour dire que cet argument ne saurait être retenu. Il me suffit d’ajouter ce qui suit.

[171] Premièrement, lorsqu’elle a affirmé que le pouvoir de la CCDP de prendre des ordonnances ne pouvait être exercé rétroactivement, la Cour suprême du Canada a donné comme exemple le cas d’une ordonnance prise alors qu’une affaire est en cours d’instance devant un tribunal administratif (Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36, [2003] 1 R.C.S. 884, au paragraphe 47). Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce : l’Ordonnance a été prise alors que la CCDP n’en était encore qu’aux premières étapes de l’enquête qu’elle menait au sujet de la plainte de l’AFPC et longtemps avant que le Tribunal n’en soit saisi.

[172] Deuxièmement, il n’y a rien qui permette de penser que la prise de l’Ordonnance a modifié le fondement de l’enquête de la CCDP. Dans l’ensemble, l’Ordonnance semble avoir simplement codifié la politique déjà existante de la CCDP portant notamment sur les pourcentages requis pour considérer des groupes professionnels de diverses tailles comme étant composés majoritairement de personnes du même sexe.

[173] Troisièmement, l’Ordonnance a modifié la loi en précisant la façon de démontrer une contravention à l’article 11 de la Loi, et non en modifiant la définition des actes discriminatoires. Elle n’a pas supprimé les droits acquis de la SCP.

PREMIÈRE QUESTION : Le choix du groupe de comparaison était-il déraisonnable parce que ce groupe comprenait un nombre élevé de femmes bien rémunérées?

[174] L’AFPC a proposé de comparer le groupe plaignant CR, qui comptait environ 2 300 employés au cours de la période en litige, avec le groupe PO, qui comprenait approximativement 40 000 employés et qui représentait 80 p. 100 de l’effectif de la SCP. L’existence de cet important groupe professionnel, qui compte des employés qui s’acquittent de tâches postales internes et externes, ainsi que de fonctions de supervision, remonte à l’époque où, en tant que ministère du gouvernement fédéral, le ministère des Postes était l’organisme chargé du courrier. Tous les employés de ce ministère qui s’occupaient du courrier étaient regroupés au sein d’une entité plus large, la fonction publique fédérale. Les autres employés du ministère des Postes, y compris les membres du groupe CR, dont le travail n’était pas propre au ministère des Postes, faisaient partie de groupes professionnels relevant d’autres ministères de l’administration fédérale. Ces groupes professionnels ont été reconduits par l’employeur après 1981, année où les fonctions assumées par le ministère des Postes ont été transférées à la SCP, qui était une nouvelle société d’État.

[175] La SCP a plaidé devant notre Cour que le Tribunal avait exercé de façon déraisonnable son pouvoir discrétionnaire de choisir un groupe de comparaison en incluant dans celui-ci les trieurs de courrier (de niveau PO-4, niveau interne), des employés de niveau interne faisant partie du groupe PO. Les employés du niveau interne PO-4, dont le nombre s’élève à environ 20 000 et qui correspond à 40 p. 100 du groupe PO total, étaient relativement bien rémunérés, et comprenaient environ 10 000 femmes.

[176] Le tri du courrier était habituellement un « travail de femme ». La SCP a expliqué que l’AFPC avait « trié sur le volet » son groupe de comparaison proposé pour inclure des postes relativement bien rémunérés et pour créer ainsi artificiellement un écart de rémunération ou pour le creuser. De plus, la présence d’un nombre élevé d’employées relativement bien payées démontrait qu’il n’y avait pas de discrimination systémique fondée sur le sexe au sein de la SCP. Les avocats ont également soutenu que l’AFPC avait délibérément omis d’inclure dans le groupe de comparaison deux petits groupes professionnels, à prédominance masculine, qu’elle représentait et dont les membres étaient relativement peu rémunérés.

[177] La loi est plutôt laconique sur la sélection du groupe de comparaison dans le cas des plaintes en matière de parité salariale. Il faut satisfaire à deux conditions : le groupe de comparaison doit être un groupe professionnel (article 12 de l’Ordonnance) et il doit être composé majoritairement de membres du sexe opposé à celui des membres du groupe plaignant. L’article 13 de l’Ordonnance précise dans quels cas un groupe est composé majoritairement de personnes du même sexe au sens de l’Ordonnance. Si un groupe compte moins de 100 membres, 70 p. 100 d’entre eux doivent être du même sexe; si le groupe compte entre 100 et 500 membres, il suffit que 60 p. 100 d’entre eux soient du même sexe et si le groupe compte plus de 500 membres, 55 p. 100 suffisent.

[178] À part de l’obligation suivant laquelle le groupe de comparaison doit être un groupe professionnel et doit être composé majoritairement de membres du sexe opposé à celui des membres du groupe plaignant, au sens de l’article 13, il n’y a pas de critères prévus par la loi dont on doive tenir compte pour la sélection du groupe de comparaison. Ce choix est laissé à la discrétion de la CCDP et du Tribunal.

[179] Lors des débats, on a laissé entendre que le groupe PO n’était pas un groupe professionnel parce que les fonctions que ses membres exécutent sont différentes : fonctions internes (surtout le tri du courrier), externes (surtout la livraison du courrier) et supervision.

[180] Toutefois, même si cette prétention est vraie, nous ne sommes pas plus avancés pour autant. L’article 14 de l’Ordonnance prévoit que, lorsque le groupe professionnel qui a déposé la plainte est comparé à plusieurs autres groupes professionnels, ceux-ci sont considérés comme un seul groupe. En conséquence, si le groupe PO ne peut constituer un groupe de comparaison aux fins d’une plainte de parité salariale, les trois groupes professionnels distincts (employés internes, externes et de surveillance) qui le composent doivent être considérés comme un seul groupe. Il est acquis aux débats que tant le groupe PO dans son ensemble que chacun des trois sous‑groupes le composant satisfaisaient à la condition suivant laquelle ils devaient être composés majoritairement de membres de sexe masculin.

[181] La question à trancher est celle de savoir si le Tribunal a abusé du pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi en choisissant le groupe PO comme groupe de comparaison. Une cour de révision devrait aborder cette question avec beaucoup de prudence. Pour déterminer si le choix du groupe de comparaison était déraisonnable dans le cas qui nous occupe, la Cour doit examiner tant les motifs du Tribunal que la solution qu’il a retenue (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[182] L’application de la norme de la décision déraisonnable exige que l’on tienne compte du contexte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59). Dans le cas qui nous occupe, le contexte comprend le fait que le pouvoir discrétionnaire que la loi confère au Tribunal est large et qu’il n’est assujetti à aucune contrainte explicite. Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a déclaré que le rôle consistant à choisir le groupe de comparaison approprié faisait partie des fonctions essentielles de la CCDP et du Tribunal (Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, 2006 CSC 1, [2006] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 42). Dans ces conditions, il convient de faire preuve d’un degré élevé de retenue judiciaire envers la façon dont le Tribunal a exercé son pouvoir discrétionnaire.

[183] Les salariés du niveau interne PO-4 (les trieurs de courrier) faisaient partie d’un groupe interne composé à peu près en parts égales d’hommes et de femmes et il n’était donc pas composé majoritairement d’hommes ou de femmes. Toutefois, cette situation n’empêchait pas nécessairement les membres du niveau interne PO-4 d’être inclus dans un groupe de comparaison plus large, en l’occurrence les salariés internes du groupe PO dans son ensemble.

[184] La SCP soutient plutôt que, comme les salariés du niveau interne PO-4 constituent 40 p. 100 du groupe professionnel PO et ses membres étaient relativement bien rémunérés, il était déraisonnable de la part du Tribunal d’inclure les salariés PO-4 dans le groupe de comparaison parce que leur présence créerait artificiellement un écart de rémunération entre les hommes et les femmes ou contribuerait à creuser cet écart. De plus, l’inclusion des salariés du niveau interne PO-4 irait à l’encontre de l’objet visé par l’article 11, en l’occurrence l’élimination de toute discrimination systémique fondée sur le sexe. Comment, a-t-on demandé, pourrait-on parler de discrimination systémique contre les employées de la SCP alors qu’un nombre aussi élevé d’entre elles sont si bien rémunérées?

[185] L’Ordonnance de 1986 reconnaît expressément qu’un groupe de comparaison composé majoritairement d’hommes peut compter une minorité de femmes. Les femmes qui appartiennent au groupe de comparaison ne sont pas pour autant « occultées » ou assimilées à des hommes. L’Ordonnance part de l’hypothèse que les femmes minoritaires au sein d’un groupe professionnel déterminé peuvent toucher un salaire plus élevé en raison de la prédominance masculine. À l’inverse, les hommes qui sont minoritaires sont susceptibles d’être défavorisés du fait qu’ils appartiennent à un groupe professionnel composé majoritairement de femmes.

[186] Pour accepter le groupe professionnel PO comme groupe de comparaison, comme le proposait l’AFPC et comme la CCDP l’avait confirmé, le Tribunal a fait observer (au paragraphe 281) que ce groupe représentait environ 80 p. 100 de l’effectif total de la SCP. Le choix d’un groupe professionnel plus grand était un choix plus fiable que celui d’un groupe plus petit pour déterminer l’existence d’un écart salarial entre les hommes et les femmes exécutant des fonctions équivalentes. Le Tribunal a également souligné que les fonctions exercées par certains des membres du groupe PO étaient semblables à celles effectuées par certains membres du groupe CR. De plus, une partie du travail exécuté par les employés appartenant à ces deux groupes était similaire en termes de qualifications, d’efforts, de responsabilités et de conditions de travail.

[187] Ayant donc constaté l’existence de bonnes raisons de choisir le groupe PO comme groupe de comparaison, le Tribunal a rejeté l’argument de la SCP selon lequel le groupe PO avait été « trié sur le volet » par l’AFPC pour fausser la comparaison en choisissant un groupe d’employés relativement bien rémunérés. À mon avis, on trouve dans les motifs du Tribunal un fondement logique qui justifie l’exercice qu’il a fait de son pouvoir discrétionnaire et l’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

[188] Je ne suis pas non plus convaincu que l’inclusion des employés du groupe interne PO-4 dans le sous‑groupe des salariés internes a eu pour effet de vicier le choix de groupe de comparaison du Tribunal au motif que la présence d’un nombre important de femmes relativement bien rémunérées au sein de l’effectif de la SCP a eu pour effet de miner la plainte de discrimination systémique fondée sur le sexe du groupe CR. Je ne suis pas d’accord pour dire que, parce que le groupe PO comprend un nombre important de femmes bien rémunérées (les salariées PO-4), la sélection du groupe PO comme groupe de comparaison va à l’encontre de l’objet visé par l’article 11, à savoir l’élimination de la discrimination systémique fondée sur le sexe sur le marché du travail.

[189] Premièrement, l’Ordonnance prévoit explicitement la présence de femmes au sein d’un groupe de comparaison à prédominance masculine et vice versa. La présence de femmes bien rémunérées au sein du groupe PO n’est pas « occultée ». Et, comme je l’ai déjà signalé, tant le groupe PO dans son ensemble que le sous-groupe interne PO sont composés majoritairement d’hommes au sens de l’Ordonnance.

[190] Deuxièmement, le fait que certaines femmes étaient relativement bien payées à la SCP n’exclut pas nécessairement l’existence d’une discrimination systémique fondée sur le sexe ailleurs au sein de cette société. Par discrimination systémique fondée sur le sexe, on veut dire que le travail effectué par les femmes a tendance à être sous-évalué, et non que ce soit nécessairement le cas dans chaque situation. Le fait que le niveau interne PO-4 soit désormais composé à parts égales d’hommes et de femmes, de sorte que le tri du courrier ne peut plus être qualifié de « travail de femme » et le fait que ce travail soit effectué par des employés appartenant à un groupe professionnel à prédominance masculine peut bien expliquer la raison pour laquelle les femmes du niveau interne PO-4 sont relativement bien rémunérées.

[191] Troisièmement, les avocats ne nous ont cité aucun principe qui exigerait que l’on supprime certains membres d’un groupe professionnel du groupe de comparaison. Bien que l’Ordonnance prévoie l’utilisation de plusieurs groupes professionnels comme groupe de comparaison, elle ne propose pas de n’utiliser qu’une partie d’un groupe professionnel.

[192] La SCP soutient également que les salariés PO-4 devraient eux-mêmes constituer le groupe de comparaison. Cet argument comporte plusieurs difficultés. Premièrement, bien que le niveau interne PO-4 compte environ 80 p. 100 du sous-groupe des employés internes, et plus de 40 p. 100 du groupe PO dans son ensemble, il ne s’agit pas du groupe professionnel désigné par l’employeur, mais seulement d’un des niveaux du sous-groupe des employés internes du groupe PO. Les « niveaux » correspondent aux salaires différents versés aux membres du même groupe professionnel. Comme le salaire versé aux employés d’un niveau est établi en fonction des autres, le salaire correspondant à un niveau ne peut être examiné sans tenir compte des autres employés du groupe professionnel qui, comme il a déjà été signalé, était composé majoritairement d’employés de sexe masculin dans le cas qui nous occupe.

[193] Deuxièmement, le niveau interne PO-4 était composé à peu près en parts égales d’hommes et de femmes, de sorte qu’il était « neutre sur le plan du sexe ». Il ne pouvait donc pas servir de groupe de comparaison, parce qu’il n’était pas composé majoritairement de membres du sexe opposé à celui du groupe CR, lequel était à prédominance féminine.

[194] Le Tribunal a également écarté l’argument selon lequel les groupes professionnels Manœuvres et hommes de métier et Services divers, qui étaient représentés par l’ACFP lors des négociations collectives, étaient des groupes de comparaison plus appropriés. Ces groupes ne représentaient qu’un faible pourcentage des employés de la SCP et ils n’effectuaient pas un travail semblable à celui des membres du groupe CR.

[195] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que le choix de groupe de comparaison qu’a effectué le Tribunal était déraisonnable ou qu’il allait à l’encontre de l’objectif visé par la Loi. À mon humble avis, le juge de première instance a commis une erreur de droit en concluant que le Tribunal avait commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour dans la façon dont il avait exercé son vaste pouvoir discrétionnaire en matière de sélection d’un groupe de comparaison.

DEUXIÈME QUESTION : Le Tribunal a-t-il appliqué la bonne norme de preuve en concluant que les membres du groupe plaignant et du groupe de comparaison exerçaient des fonctions équivalentes?

i) Faits en litige

[196] Pour déterminer si les membres du groupe plaignant sont moins bien rémunérés que ceux du groupe de comparaison pour des fonctions équivalentes, le Tribunal doit tirer deux conclusions au sujet des fonctions qu’ils exercent.

[197] Il doit tout d’abord établir l’équivalence des fonctions exécutées par les salariés des groupes en question. Le paragraphe 11(2) de la Loi prévoit que le critère à appliquer pour établir l’équivalence des fonctions est le dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. Le Tribunal doit apprécier les éléments de preuve dont il dispose sur ces aspects du travail et déterminer s’ils sont suffisamment convaincants pour lui permettre de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les fonctions ont été correctement évaluées.

[198] Comme il peut être peu pratique de recueillir les données nécessaires pour toutes les fonctions exécutées par les membres de ces groupes, il suffit d’évaluer le travail effectué par des échantillons représentants les groupes en question. Le Tribunal disposera normalement d’évaluations des emplois qui lui auront été soumises pour le compte des parties à la suite d’une étude conjointe patronale-syndicale. En l’espèce toutefois, les évaluations d’emplois ont été soumises uniquement pour le compte des plaignants. Le Tribunal s’est fondé sur les rapports des membres de l’équipe professionnelle retenus par l’AFPC et sur le témoignage du « porte-parole » de l’équipe, M. Wolf, pour adopter l’évaluation que l’équipe avait faite des fonctions exécutées par les membres des groupes en cause.

[199] Deuxièmement, sur le fondement de l’évaluation des emplois, le Tribunal doit ensuite décider si un nombre suffisant de membres du groupe plaignant effectuaient des fonctions d’une valeur égale ou supérieure à celle des membres du groupe de comparaison pour lui permettre de déterminer s’il existait un écart de rémunération fondée sur le sexe, et ce, en violation de l’article 11. Ainsi qu’il a déjà été indiqué, suivant les membres de l’équipe professionnelle, si une partie importante des postes CR avaient une valeur égale ou supérieure à un ou à plusieurs des postes PO, on pouvait alors comparer le salaire des membres de chacun des groupes en question pour déterminer s’ils recevaient une rémunération différente pour des fonctions équivalentes.

[200] Dans un rapport soumis en 1995 (AFPC-29), l’équipe professionnelle concluait que 62,9 p. 100 des postes du groupe CR étaient d’une valeur égale ou supérieure à un ou à plusieurs des postes du groupe PO ou, en d’autres termes, qu’ils équivalaient à ces derniers. Toutefois, dans son rapport de juin 2000 (AFPC-180), l’équipe professionnelle est revenue sur son évaluation précédente à la lumière des éléments de preuve ultérieurement présentés par la SCP et qui concernaient principalement les postes PO.

[201] Dans ce dernier rapport, l’équipe professionnelle a conclu que, même si les nouveaux renseignements ne changeaient pas grand-chose à la plupart des évaluations, deux postes génériques PO avaient subi des modifications significatives quant à leur pointage : le poste de messager suppléant du service du courrier avait vu son pointage diminuer, alors que celui de commis au comptoir avait vu son pointage augmenter, ce qui avait eu pour effet de réduire de presque la moitié le nombre de postes CR entrant dans la catégorie PO.

[202] Néanmoins, l’équipe professionnelle considérait de toute évidence le chiffre de 34 p. 100 comme une « proportion importante » des membres du groupe plaignant qui correspondaient à ceux du groupe de comparaison, de sorte qu’on pouvait comparer le salaire des membres des deux groupes pour déterminer si le groupe CR était moins bien rémunéré que le groupe PO pour des fonctions équivalentes. La SCP n’a pas prétendu que 34 p. 100 était un pourcentage trop faible pour pouvoir tirer cette conclusion.

[203] Évidemment, si les postes ne sont pas évalués de façon fiable conformément aux critères prévus par la loi, on ne peut établir, selon la prépondérance des probabilités, que les membres du groupe plaignant étaient moins bien rémunérés que ceux du groupe de comparaison pour des fonctions équivalentes.

[204] Je tiens cependant à ajouter ce qui suit. Historiquement, les femmes qui exerçaient des professions à prédominance féminine étaient, en règle générale, moins bien rémunérées que les hommes pour des fonctions équivalentes, y compris au sein de la fonction publique fédérale. Il ne serait donc guère étonnant de conclure que les membres du groupe CR étaient moins bien rémunérés que ceux du groupe PO pour des fonctions équivalentes, d’autant plus que le travail de bureau était traditionnellement un « travail de femme » et que les femmes représentaient plus de 80 p. 100 du groupe CR. D’ailleurs, la conclusion qui aurait été étonnante aurait été celle suivant laquelle la SCP se démarquait en ne suivant pas la tendance historique consistant à sous-évaluer le « travail des femmes ». Quoi qu’il en soit, l’AFPC et la CCDP n’étaient pas pour autant dispensées de l’obligation de présenter des éléments de preuve pour démontrer au Tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que la SCP avait contrevenu à l’article 11.

ii) Norme de preuve

[205]  Les règles de droit applicables à cette question sont claires et ne sont pas contestées dans le présent appel. Devant le Tribunal canadien des droits de la personne, les plaignants ont la charge de prouver, prima facie, que le défendeur a commis un acte discriminatoire contre eux en violation de la Loi (voir, par exemple, Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] 3 C.F. 789 (C.A.) (Ministère de la Défense nationale), au paragraphe 33). À défaut de dispositions législatives spéciales, la prépondérance des probabilités est la norme de preuve qui s’applique aux instances civiles au Canada (F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 R.C.S. 41 (McDougall)). Les instances introduites devant les tribunaux des droits de la personne sont assimilées à des « instances civiles » (Ministère de la Défense nationale, au paragraphe 33).

[206] Après avoir signalé que, suivant certains précédents judiciaires, la norme de preuve civile admettait différents degrés d’examen de la preuve selon la gravité de l’affaire et l’importance des intérêts en jeu, le juge Rothstein a déclaré ce qui suit, dans l’arrêt McDougall (au paragraphe 44) :

À mon avis, la seule façon possible d’arriver à une conclusion de fait dans une instance civile consiste à déterminer si, selon toute vraisemblance, l’événement a eu lieu.

Il a également fait observer ce qui suit (au paragraphe 54) :

Lorsqu’il [le juge du procès] énonce expressément la bonne norme de preuve, il est présumé l’avoir appliquée. Dans le cas où le juge ne renvoie à aucune norme de preuve particulière, on présume également qu’il a appliqué la bonne.

J’en déduis que, tout comme la norme de preuve elle-même, cette présomption s’applique aux décisions du Tribunal canadien des droits de la personne.

[207] La question de savoir si le Tribunal a, en l’espèce, commis une erreur justifiant notre intervention dans la façon dont il a appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités aux éléments dont il disposait est, évidemment, une question différente. Il suffit que je dise, à cette étape-ci, que, lorsqu’il s’agit de tirer des conclusions au sujet des faits, surtout lorsqu’on a affaire à des questions techniques difficiles comme celles qui sont en cause dans le présent différend en matière de parité salariale, le Tribunal se trouve au cœur même de sa compétence spécialisée et les conclusions de fait qu’il tire appellent un degré élevé de déférence, comme il ressort clairement de l’alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 46).

[208] Les faits en litige sont des faits que le demandeur doit nécessairement établir pour pouvoir obtenir gain de cause. Ils doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités. En l’espèce, les faits en litige sont la valeur des postes et, si la distribution de la valeur du travail exécuté par le groupe plaignant et par le groupe de comparaison le permet, le salaire payé pour des fonctions équivalentes. Toutefois, établir la valeur ou, pour être peut-être plus exact, la valeur relative du travail, n’est pas un exercice purement scientifique, qui n’admettrait qu’une seule bonne réponse. Il fait appel au jugement de l’évaluateur. Ce ne sont pas tous les évaluateurs qui adopteraient nécessairement la même méthodologie pour évaluer des postes ou qui attribueraient la même valeur à des postes déterminés. Ceux qui sont chargés d’attribuer une valeur à un poste doivent pouvoir bénéficier d’une marge de manœuvre lorsqu’il s’agit d’appliquer la méthodologie appropriée aux données portant sur des postes déterminés.

[209] Il convient également d’établir une distinction entre les faits en litige et les éléments de preuve ou les faits intermédiaires sur lesquels les conclusions tirées au sujet des faits en litige sont fondées. Il est inutile et, à mon avis, nuisible d’introduire le concept de la prépondérance des probabilités lorsqu’on apprécie des éléments de preuve pour en déterminer la valeur probante. Il vaut mieux pour l’arbitre des faits de ne recourir à la « prépondérance des probabilités » que comme norme permettant de déterminer si, vu l’ensemble de la preuve, un fait en litige a été prouvé.

[210] Toutefois, cela ne veut pas dire que la valeur à accorder à des éléments de preuve n’a rien à voir avec la question de savoir si un fait en litige a été prouvé selon la prépondérance des probabilités. L’arbitre des faits ne peut conclure qu’un fait en litige a été prouvé selon la prépondérance des probabilités si les seuls éléments de preuve dont il dispose ne sont pas fiables. En revanche, je ne peux imaginer que l’arbitre des faits considérerait comme fiables des éléments de preuve s’il n’est pas plus vraisemblable qu’ils sont véridiques, ou qu’il qualifierait de « raisonnablement fiables » les éléments de preuve qui, selon toute vraisemblance, sont faux.

[211] Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal disposait de trois types d’éléments de preuve qui lui permettaient de déterminer si l’équipe professionnelle avait apprécié avec exactitude la valeur du travail exécuté par le groupe CR et par le groupe PO. Premièrement, il a examiné les renseignements sur les emplois portant sur la nature du travail et le salaire payé pour ce travail. Deuxièmement, il s’est demandé si la méthode Hay utilisée par l’équipe professionnelle était une méthode appropriée pour apprécier la valeur du travail effectué par le groupe CR et par le groupe PO en fonction des critères prévus par la loi, à savoir le dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. Troisièmement, il s’est demandé si les évaluateurs avaient adopté le bon processus pour appliquer la méthodologie aux données.

[212] Ayant conclu que les trois seuls éléments de preuve qui lui permettaient de décider si l’évaluation des postes réalisée par l’équipe professionnelle était raisonnablement fiable, le Tribunal pouvait conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les postes avaient été correctement évalués.

[213] Dans ses motifs, le Tribunal a cité à l’occasion la norme de la « prépondérance des probabilités » ou son équivalent, la notion de la « vraisemblance » pour apprécier la fiabilité des éléments de preuve. Il peut être redondant de demander, comme il l’a fait, si, selon toute vraisemblance, certains éléments de preuve étaient raisonnablement fiables. En agissant ainsi, le Tribunal n’a pas, à mon avis, commis d’erreur de droit qui démontrerait qu’il s’est écarté de la tâche qu’il s’était lui-même fixée, en l’occurrence d’évaluer la fiabilité de chacun des éléments de preuve en question et de se demander si, dans l’ensemble, ils établissaient selon la prépondérance des probabilités que l’équipe professionnelle avait correctement évalué le travail.

iii) Les motifs du Tribunal

[214] Je passe maintenant aux motifs du Tribunal pour déterminer s’il a appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités pour tirer ses conclusions au sujet des faits en litige. Le premier fait en litige est l’évaluation des postes. Si le Tribunal était convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cette évaluation était correcte et si une partie importante des postes CR avait une valeur au moins aussi élevée que le poste PO ayant la valeur la moins élevée, le Tribunal pouvait alors déterminer si les plaignants étaient moins bien rémunérés que les membres du groupe de comparaison pour des fonctions équivalentes, contrairement à l’article 11. Dans son mémoire des faits et du droit, la SCP n’a pas contesté que cette méthode était appropriée pour comparer le salaire des deux groupes afin de déterminer si les membres du groupe CR étaient moins bien rémunérés que ceux du groupe PO pour des fonctions équivalentes.

[215] Dans son survol des principes juridiques régissant les plaintes en matière de droits de la personne, le Tribunal affirme à juste titre (au paragraphe 69) que la preuve prima facie de discrimination doit être établie selon « la norme civile, la prépondérance des probabilités ». Examinant plus loin la question de savoir s’il existe en l’espèce une preuve prima facie de discrimination contraire à l’article 11, le Tribunal explique comme suit sa démarche au lecteur (au paragraphe 257) :

Par conséquent, lorsque l’on traite de l’article 11 dans le contexte de la plainte dont le Tribunal est saisi, chacun des éléments suivants doit être prouvé, selon la prépondérance des probabilités. Les éléments figurent à l’article 11 de la Loi et dans les directives qui sont offertes concernant les précisions de l’article dans les ordonnances prises par la Commission en vertu du mandat qui lui est conféré en vertu de l’article 27 de la Loi :

(1) Le groupe professionnel plaignant est composé majoritairement de membres appartenant au même sexe et le groupe professionnel de comparaison est composé majoritairement de membres de l’autre sexe. Dans la présente plainte, cela signifie que le groupe des CR plaignants doit être à prédominance féminine et le groupe de comparaison PO doit être à prédominance masculine.

(2) Le groupe professionnel à prédominance féminine et le groupe professionnel à prédominance masculine qui sont comparés sont composés d’employés qui travaillent dans le même établissement.

(3) La valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d’efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. L’évaluation qui s’ensuit établit que le travail comparé est de valeur égale.

(4) Une comparaison faite entre les salaires versés aux employés des deux groupes professionnels pour des fonctions équivalentes démontre qu’il existe une différence entre les salaires versés entre les deux groupes, le groupe professionnel à prédominance féminine qui est moins bien rémunéré que le groupe professionnel à prédominance masculine. Cette disparité salariale est communément appelée « écart de rémunération ». [Non souligné dans l’original.]

[216] À mon avis, dans ce paragraphe, le Tribunal a correctement cerné les faits en litige et la norme de preuve applicable. Je vais m’attarder sur le troisième élément parce que c’est sur ce point que mes collègues affirment que le Tribunal a commis une erreur. Je ne trouve non plus rien à redire au sujet de l’affirmation du Tribunal suivant laquelle les plaignants doivent établir, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur du travail a été appréciée de façon « fiable ».

[217] L’affirmation du Tribunal suivant laquelle l’évaluation qui a été faite établit que le travail effectué par les membres des groupes qui ont été comparés est de valeur égale est également correcte. Étant donné qu’une partie importante des postes CR avaient une valeur plus élevée que le poste PO s’étant vu attribuer la valeur la plus faible, il était possible de comparer le salaire versé aux membres du groupe PO et à ceux du groupe CR pour déterminer s’ils étaient rémunérés différemment pour l’exécution de fonctions équivalentes.

[218] Plus loin dans ses motifs, le Tribunal répète qu’il a retenu la norme de la prépondérance des probabilités comme norme à appliquer pour faire la preuve des faits en litige, cette fois pour faire la preuve de l’existence d’un écart de rémunération (aux paragraphes 801 et 803) :

Le Tribunal accepte que la preuve de l’Équipe professionnelle, qu’il s’agisse du témoignage de vive voix de M. Wolf ou qu’il s’agisse des rapports présentés par l’Équipe au Tribunal, suffit, selon la prépondérance des probabilités, à démontrer l’existence d’un écart de rémunération lorsque, à Postes Canada, le travail exécuté par le groupe des CR à prédominance féminine est comparé au travail de valeur égale exécuté par le groupe des PO à prédominance masculine.

[…]

Ayant accepté, dans la présente plainte en matière de « parité salariale », qu’il y a eu écart de rémunération et qu’il existe une preuve, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu discrimination systémique, la prochaine étape consiste à choisir la méthode de rajustement des salaires la plus appropriée quant au calcul d’une indemnité pour perte de salaires et quant à l’élimination de l’écart. [Non souligné dans l’original.]

[219] À mon avis, ces extraits démontrent amplement que le Tribunal a retenu la norme de la prépondérance des probabilités comme norme de preuve à utiliser pour les faits en litige. Il a donc droit à la présomption de l’arrêt McDougall, c’est-à-dire qu’il a le droit d’être présumé avoir effectivement appliqué cette norme. La question à trancher est donc celle de savoir si d’autres aspects des motifs du Tribunal sont discordants au point de réfuter la présomption et pour nous amener à la conclusion que, contrairement à son affirmation catégorique, le Tribunal a effectivement appliqué une norme moins exigeante.

[220] Sans entrer trop dans le détail des motifs du Tribunal, je vais citer les paragraphes qui semblent avoir soulevé le plus de préoccupations sur la question de savoir si le Tribunal avait appliqué la norme de la prépondérance des probabilités aux faits en litige, en l’occurrence pour déterminer si la comparaison entre le salaire versé aux salariés du groupe CR et à ceux du groupe PO se rapportait à des fonctions équivalentes (au paragraphe 412) :

Ces décisions [dans les trois cas précités] appuient le choix de la norme de la décision raisonnable car il n’existe pas de norme de fiabilité absolue. L’application d’une telle norme dépendra en grande partie du contexte de la situation à l’étude. La question, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire dont le Tribunal est saisi, consiste à savoir si, selon toute vraisemblance, les renseignements sur l’emploi, compte tenu de leurs diverses sources, le système d’évaluation, le processus utilisé et les évaluations qui en ont résulté, malgré leurs lacunes, sont-ils suffisamment adéquats pour que l’on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable, quant à savoir, en vertu de l’article 11 de la Loi, s’il existait une différence entre les salaires des employés du groupe plaignant et les salaires des employés du groupe de comparaison pour l’exécution de fonctions équivalentes?

[221] La difficulté que soulève ce paragraphe, selon mes collègues, réside dans le fait qu’en se concentrant sur la fiabilité des renseignements sur les emplois et sur la méthodologie et le processus utilisés pour évaluer les emplois, le Tribunal s’est écarté de la tâche qui lui incombait de décider s’il avait été établi selon la prépondérance des probabilités que les membres du groupe CR étaient moins bien rémunérés que ceux du groupe PO pour des fonctions équivalentes.

[222] En particulier, on pourrait soutenir que, dans ce paragraphe, le Tribunal dilue la norme de preuve lorsqu’il se demande si « selon toute vraisemblance », les renseignements sont « suffisamment adéquats » pour que l’on puisse arriver à une « conclusion juste et raisonnable » quant à savoir s’il existait une différence entre les salaires des employés des deux groupes pour l’exécution de fonctions équivalentes. Je ne suis pas de cet avis.

[223] À mon sens, ce paragraphe n’est pas suffisant pour réfuter la présomption que le Tribunal a appliqué la norme de preuve qu’il affirmait appliquer. À cette étape de ses motifs, le Tribunal s’attaque tout simplement à la tâche qui lui incombait de vérifier si les éléments de preuve dont il disposait étaient suffisants pour lui permettre de tirer une « conclusion juste et équitable » sur la question de savoir si le salaire versé pour des fonctions équivalentes était différent selon les employés concernés. Il ne formulait pas de norme de preuve.

[224] D’ailleurs, au paragraphe précédent, le Tribunal avait cité un passage des motifs du juge Hugessen, qui écrivait au nom de la Cour dans la décision Ministère de la Défense nationale. Au paragraphe 33, le juge Hugessen réitérait que, dans les instances introduites devant le Tribunal canadien des droits de la personne, la prépondérance des probabilités est la norme de preuve, une norme qui, a-t-il fait observer, « se situe loin de la certitude ». À mon avis, il est très peu probable qu’en écrivant au paragraphe 412 que les éléments de preuve doivent être suffisamment adéquats pour que l’on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable quant à savoir si l’on a contrevenu à l’article 11 de la Loi, le Tribunal cherchait à contredire l’affirmation qu’il venait tout juste de reproduire au sujet de la norme de preuve qu’il doit appliquer.

[225] Les mots « conclusion juste et raisonnable » au paragraphe 412 des motifs du Tribunal trouvent leur origine dans une décision antérieure rendue en matière de parité, Canada (Alliance de la fonction publique) c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] D.C.D.P. no 2 (QL) (Conseil du Trésor), que le Tribunal cite au paragraphe 409 dans la présente affaire. Le Tribunal s’est dit d’avis que dans l’affaire Conseil du Trésor (au paragraphe 187) que, comme une neutralité parfaite sur le plan du sexe était probablement irréalisable et qu’il est impossible de mesurer de façon précise l’égalité de rémunération, « on devrait donc se satisfaire de résultats raisonnablement satisfaisants fondés sur ce qui, selon le bon sens, constitue un règlement juste et équitable de tout écart discriminatoire entre les salaires payés aux hommes et ceux versés aux femmes pour des fonctions équivalentes » (non souligné dans l’original).

[226] Lorsqu’on la situe dans son contexte (et que l’on tient notamment compte du passage où le Tribunal explique que la prépondérance des probabilités est la norme de preuve applicable), l’expression « conclusion juste et équitable » dans la présente affaire s’apparente davantage à une énonciation de l’objectif général que doivent viser ceux qui sont chargés de mettre en application les mesures législatives portant sur la parité salariale qu’à une articulation de la question juridique plus étroite de la norme de preuve applicable. On ne saurait à mon avis en conclure que le Tribunal avait perdu de vue sa tâche ultime, à savoir celle de décider, selon la prépondérance des probabilités, s’il y avait eu une violation de l’article 11. En tout état de cause, qui ne pourrait être d’accord pour dire que le Tribunal devrait avoir pour objectif de trouver une « solution juste et raisonnable » au différend?

[227] Mes collègues citent également les paragraphes suivants des motifs du Tribunal pour affirmer qu’ils indiquent que le Tribunal n’a pas appliqué la bonne norme de preuve aux faits en litige (au paragraphe 703) :

Par conséquent, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus Hay ainsi que les renseignements sur les emplois raisonnablement fiables susmentionnés, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme l’étaient les membres de l’Équipe professionnelle, permettraient l’attribution de valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables aux travaux exécutés par les employés CR et par les employés PO.

Le Tribunal reprend la même conclusion dans le paragraphe suivant (au paragraphe 798) :

Le Tribunal a déjà conclu que, selon toute vraisemblance, l’utilisation par l’Équipe professionnelle compétente du plan Hay, du processus ainsi que des renseignements sur l’emploi, lesquels sont raisonnablement fiables, aurait comme résultat que des valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables seraient attribuées au travail exécuté par les employés CR et par les employés PO (paragraphe [703]). En déterminant la valeur du travail exécuté par ces employés, l’Équipe professionnelle a appliqué le dosage de qualifications, d’effort et de responsabilité nécessaires pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail, conformément aux exigences du paragraphe 11(2) de la Loi.

[228] Il y aurait lieu, dit-on, d’établir une distinction entre, d’une part, le fait que les éléments de preuve dont disposait le Tribunal permettaient d’attribuer des « valeurs d’évaluation des emplois raisonnablement fiables » et, d’autre part, le fait de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les fonctions faisant l’objet de la comparaison étaient équivalentes. Toutefois, si l’évaluation des postes était « raisonnablement fiable » et qu’une partie importante des postes CR étaient d’une valeur égale ou supérieure au poste PO ayant la valeur la moins élevée, je ne vois pas quelle autre preuve ou conclusion était nécessaire pour pouvoir établir que la comparaison salariale portait sur des fonctions équivalentes. Ainsi que je l’ai déjà signalé, le Tribunal a accepté les éléments de preuve de l’équipe professionnelle suivant lesquels « une partie importante des postes CR étaient d’une valeur égale ou supérieure à celle des emplois PO » (au paragraphe 799).

[229] Le fait que le Tribunal ait créé des sous-fourchettes pour établir la fiabilité raisonnable des éléments de preuve à la lumière desquels les postes étaient évalués soulève aussi la question de savoir si le Tribunal a appliqué une norme de preuve moins exigeante que celle de la prépondérance des probabilités. Bien que l’élaboration de ces « sous-fourchettes » puisse avoir été inutile, elle indique que le Tribunal était bien conscient des limites des éléments de preuve et qu’il les a évalués très attentivement. Ainsi qu’il a déjà été signalé, les problèmes que comportait la preuve s’expliquent en grande partie par le fait que les parties n’ont pas produit d’étude conjointe sur la parité salariale pour évaluer le travail effectué et pour déterminer le salaire payé, par le défaut de la CCDP d’exercer ses pouvoirs de manière à obliger la SCP à produire des renseignements et par le contexte antagoniste dans lequel cette activité s’est déroulée.

[230] À mon avis, le Tribunal a évité d’employer le mot « fiable » comme norme utilisée pour apprécier la preuve et pour établir l’équivalence des fonctions parce qu’il a assimilé la « fiabilité » à « l’exactitude absolue », la norme qui était proposée par Mme Winter, un des témoins de la SCP, et que le Tribunal avait à juste titre écartée. Le Tribunal a conclu qu’à toutes fins utiles, une telle norme était inatteignable et il a opté plutôt pour la norme des éléments « raisonnablement fiables » qui à ses yeux supposait un degré moins élevé de certitude ou d’exactitude et qui, comme il l’a à juste titre précisé, n’était pas exigée par la prépondérance des probabilités.

[231] Le Tribunal n’explicite pas ce qu’il entend par « raisonnablement fiable ». Toutefois, on ne peut certainement qualifier des éléments de preuve ou une conclusion sur un fait en litige de « raisonnablement fiables » que s’ils sont, en toute vraisemblance, vrais, indépendamment du point exact sur lequel ces éléments de preuve ou cette évaluation d’un emploi peuvent se situer sur le « spectre de la fiabilité ». La « fiabilité raisonnable inférieure » est quand même une « fiabilité raisonnable ». Bien que le Tribunal eût de toute évidence préféré que les éléments de preuve présentés dans une affaire de parité salariale répondent à une « sous‑fourchette » supérieure de fiabilité raisonnable, il s’est également dit d’avis que les éléments de preuve qui ne satisfaisaient qu’à la fourchette inférieure étaient quand même raisonnablement fiables. Il a déclaré ce qui suit (au paragraphe 698) : « Par conséquent, bien que les trois sous-fourchettes satisfassent au critère de la “fiabilité raisonnable” ». Le Tribunal a fait une observation dans le même sens au paragraphe 700.

[232] L’analyse que le Tribunal a faite (aux paragraphes 919 et 927 à 930) des valeurs équivalentes en salaire des éléments non pécuniaires de la rémunération des groupes CR et PO permet par ailleurs de mieux saisir comment le Tribunal envisageait le rapport entre « la prépondérance des probabilités » et la « sous-fourchette inférieure de fiabilité raisonnable ». Bien qu’il ait estimé que le rapport d’un expert appartenait seulement à la « sous-fourchette inférieure de fiabilité raisonnable », le Tribunal a néanmoins conclu que le rapport démontrait, selon la prépondérance des probabilités, une équivalence entre la valeur en salaire des éléments non pécuniaires de la rémunération des deux groupes.

[233] Dans le même ordre d’idées, ayant conclu que la preuve, la méthodologie et le processus étaient raisonnablement fiables, le Tribunal pouvait inférer, selon la prépondérance des probabilités, que les postes avaient été correctement évalués. Comme une partie importante des postes CR équivalaient aux postes du groupe PO, on pouvait décider, encore une fois selon la prépondérance des probabilités, si les employés CR étaient moins rémunérés que les employés PO pour des fonctions équivalentes, contrairement à l’article 11.

[234] Je ne suis pas non plus convaincu qu’on puisse déduire du fait que le Tribunal a réduit la somme accordée en la faisant équivaloir à 50 p. 100 du salaire perdu, selon l’écart de rémunération identifié par l’équipe professionnelle, que le Tribunal estimait pour autant que la preuve ne satisfaisait pas à la norme de la prépondérance des probabilités. À mon avis, il est tout aussi plausible que le Tribunal ait été convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les employés du groupe CR étaient moins rémunérés pour des fonctions équivalentes, mais qu’il n’ait pas été convaincu, compte tenu des limites de la preuve et du différend sur la méthodologie appropriée pour mesurer l’écart de rémunération, qu’il devait considérer comme exacte la mesure que l’équipe professionnelle avait faite de l’écart de rémunération. La réduction de 50 p. 100 constitue plutôt, à mon sens, une simple « approximation à la baisse ». Le fait que le Tribunal ait retenu le chiffre de 50 p. 100 plutôt que, disons, celui de 49 p. 100, ne me semble pas tirer à conséquence, du moins en ce qui concerne l’application de la norme de preuve.

[235] La SCP affirme aussi qu’un autre indice permettant de penser que le Tribunal a appliqué une norme de preuve moins exigeante pour évaluer le travail, lequel constituait un fait en litige, est le fait qu’il cite l’extrait de son ouvrage The Law of Damages, édition à feuilles mobiles (Toronto : Canada Law Book, 2004) au paragraphe 13-30, dans lequel l’auteur, S. M. Waddams, déclare que lorsqu’il est difficile d’évaluer le montant de la perte, [traduction] « le tribunal doit simplement faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose ». Je ne partage pas son opinion à ce sujet. Le Tribunal dit seulement (au paragraphe 680) que cet extrait « porte sur une approche qui est peut-être semblable à ce que le Tribunal estime être le spectre de la fiabilité raisonnable [non souligné dans l’original] ». À mon avis, le Tribunal ne transposait pas de façon inconsidérée à la preuve de la responsabilité des observations portant sur les difficultés, sur le plan de la preuve, de calculer les dommages-intérêts. Le Tribunal signalait simplement que l’adoption par lui de la norme de la « raisonnabilité » en ce qui concerne la fiabilité du système d’évaluation des emplois choisi était appropriée, et non que Mme Winters avait raison d’insister pour dire que rien de moins qu’une exactitude totale suffirait.

[236] Pour résumer, je ne suis pas convaincu que la SCP a réfuté la présomption que le Tribunal a appliqué la norme de preuve qu’il avait clairement indiqué être la norme applicable, soit celle de la prépondérance des probabilités. À mon avis, ayant conclu que l’évaluation que l’équipe professionnelle avait faite des postes était raisonnable fiable, et ayant accepté que les éléments de preuve présentés par l’équipe professionnelle au sujet du degré nécessaire de « chevauchement » entre les facteurs d’équivalence des fonctions du groupe CR et du groupe PO, le Tribunal a tiré les conclusions de fait nécessaires et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les salaires visés par la comparaison correspondaient à des fonctions équivalentes.

TROISIÈME QUESTION : Le Tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de révision en concluant que les salariés du groupe CR étaient moins rémunérés que ceux du groupe PO pour des fonctions équivalentes?

i) Vue d’ensemble

[237] Ayant fait droit à la demande de contrôle judiciaire de la SCP sur les questions que nous avons examinées, le juge de première instance n’avait pas à décider si le Tribunal aurait commis une erreur susceptible de révision en concluant que la norme de preuve était respectée, en supposant qu’il avait appliqué la norme de preuve de la prépondérance des probabilités. En conséquence, l’AFPC n’aborde pas cette question dans son mémoire des faits et du droit.

[238] Toutefois, lors de l’instruction de l’appel les deux parties ont traité assez longuement de la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels le Tribunal avait fondé sa décision. Compte tenu de la conclusion de mes collègues suivant laquelle l’appel doit être rejeté au motif que le Tribunal n’a pas appliqué la bonne norme de preuve, je vais tâcher de traiter brièvement de la question de savoir si le Tribunal a commis une erreur justifiant notre intervention dans la façon dont il appliqué la norme de preuve civile aux éléments de preuve.

[239] La SCP soutient dans son mémoire des faits et du droit (au paragraphe 118) que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que les éléments de preuve satisfaisaient à la norme de preuve de la prépondérance des probabilités. Je ne suis pas de cet avis. La question de savoir si une norme de preuve a été satisfaite est essentiellement une question de fait, au sujet de laquelle le Tribunal a droit à un degré élevé de déférence. Lorsqu’elle contrôle des conclusions de fait pour vérifier si elles sont raisonnables, la Cour ne peut tirer ses propres conclusions de fait, réévaluer la preuve ou ne retenir que les éléments de preuve qu’elle juge les meilleurs. Dès lors qu’il existait des éléments de preuve sur lesquels le Tribunal pouvait raisonnablement faire reposer sa conclusion, la Cour ne peut pousser plus loin son enquête.

[240] La preuve soumise au Tribunal en l’espèce comporte trois aspects qui peuvent nous aider à situer dans son contexte l’application de la norme de la décision déraisonnable.

[241] Premièrement, une grande partie des éléments de preuve détaillés qui ont été présentés tant verbalement que par écrit au sujet de l’évaluation des postes et du calcul de l’écart de rémunération sont très techniques, controversés et difficiles à évaluer parce qu’ils n’étaient pas d’une qualité comme celle que l’on voit normalement dans les affaires de parité salariale dans lesquelles une étude conjointe patronale-syndicale a été menée.

[242] Deuxièmement, au cours des plus de 400 jours d’audiences et des deux ans qu’il a pris pour examiner la preuve et pour produire ses motifs, le Tribunal a eu l’occasion d’acquérir une connaissance, qu’aucune cour de révision ne saurait espérer atteindre, du principe d’une simplicité séduisante de l’égalité de rémunération pour fonctions équivalentes et du défi colossal que représente l’application de ce principe dans le cas qui nous occupe.

[243] Troisièmement, le Tribunal a tiré, au sujet de la crédibilité, d’importantes conclusions qui imprègnent ses conclusions de fait, en énumérant (au paragraphe 419) sept critères à utiliser « pour l’examen [systématique] des témoignages des témoins experts ».

[244] Le Tribunal s’est dit impressionné par les éléments de preuve présentés par l’équipe professionnelle de l’AFPC et, en particulier, par le témoignage de son « porte-parole », M. Martin Wolf, qui possédait une vaste expérience en matière d’évaluation des emplois dans divers milieux de travail, et notamment dans celui des employés de bureau et des cols bleus. Il n’a pas mésestimé les aspects problématiques de la preuve, surtout en ce qui concerne les données sur les emplois. Ainsi, il a convenu que les renseignements étaient incomplets et qu’ils avaient été recueillis à diverses occasions. M. Wolf a expliqué que, pour cette raison, il avait adopté une méthode très rigoureuse pour procéder à son évaluation des postes et qu’en cas de doute, il avait opté pour une évaluation généreuse, dans le cas des postes PO, et pour une évaluation plus conservatrice, dans le cas des postes CR. Il a expliqué qu’en conséquence (au paragraphe 487) l’évaluation des postes de l’équipe professionnelle

[traduction] […] rencontre certainement au moins, et selon moi surpasse probablement, la norme commerciale habituelle, c’est-à-dire ce que les experts de Hay ou d’autres sociétés d’experts-conseils font pour leurs clients.

[245] Toutefois, après avoir franchement reconnu les limites de la preuve, M. Wolf a conclu, à la lumière de son expérience comme évaluateur d’emplois, qu’il y avait suffisamment de données pour lui permettre de procéder à une évaluation professionnelle de la valeur relative des postes en question. Il a d’ailleurs affirmé que la somme de renseignements auxquels il avait eu accès dépassait ce à quoi il se serait normalement attendu.

[246] Le Tribunal a jugé M. Wolf très crédible, et ce, même si, comme la SCP l’avait fait observer, l’équipe professionnelle n’avait pas de connaissances pratiques du travail postal. En revanche, le Tribunal s’est dit relativement peu impressionné par les témoins experts de la SCP. Il a notamment trouvé Mme Winter rigide et a estimé que ses opinions étaient trop tranchées. Elle semblait aussi inutilement antagoniste aux yeux du Tribunal. Le Tribunal n’a pas tenu compte de son témoignage. Il a signalé que les deux autres experts, MM. Wallace et Willis, n’avaient pas vu tous les documents pertinents et n’avaient pas eux-mêmes tenté d’évaluer les postes avec les données disponibles.

[247] Les conclusions que le Tribunal a tirées au sujet de la crédibilité des divers témoins experts en disent long au sujet des raisons pour lesquelles il a fait sienne une grande partie de l’analyse de l’équipe professionnelle et a écarté celle des experts de la SCP, pour conclure finalement que la SCP avait contrevenu à l’article 11.

[248] Ainsi que le Tribunal l’a déclaré en toute franchise, l’évaluation de la preuve et des opinions contradictoires des experts représentait un défi de taille. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, d’analyser en profondeur les éléments de preuve ou de revenir sur les conclusions que le Tribunal a tirées au sujet de la crédibilité. La Cour doit simplement s’assurer que les conclusions du Tribunal étaient raisonnablement fondées sur la preuve.

[249] Il y a un dernier aspect de la preuve qu’il convient de signaler pour bien comprendre la nature de la mission du Tribunal. La SCP a choisi, comme elle en avait le droit, de ne pas soumettre au Tribunal ses propres éléments de preuve au sujet de la valeur des postes. Ses experts se sont plutôt bornés essentiellement à contester le travail de l’équipe professionnelle et des autres témoins experts convoqués par l’AFPC et la CCDP. On n’a donc pas soumis à l’examen du Tribunal une autre version des faits. La seule question que le Tribunal était appelé à trancher était celle de savoir s’il était convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’équipe professionnelle avait établi la valeur des postes et mesuré avec exactitude tout écart dans le salaire payé aux membres des deux groupes pour des fonctions équivalentes.

ii) Méthodologie

[250] M. Wolf a expliqué succinctement ce que tout plan d’évaluation des emplois mesure : ce qu’on sait, ce qu’on fait et ce avec quoi il faut composer. L’AFPC et la SCP se sont toutes les deux demandé si la méthode Hay en matière d’évaluation des emplois était un outil qui convenait pour évaluer le travail des deux groupes principalement pour le motif que, comme elle tend à accorder trop peu d’importance au facteur des conditions de travail, elle ne constitue pas une méthode appropriée pour évaluer le travail effectué par des cols bleus ou par des employés de bureau. Un débat a également eu lieu sur la justesse de la méthode de la comparaison des facteurs dans le cas de la méthode Hay utilisée par l’équipe professionnelle.

[251] Suivant les éléments de preuve dont disposait le Tribunal au sujet de la méthodologie, la méthode Hay en matière d’évaluation des emplois était l’outil d’évaluation des emplois le plus couramment utilisé et il avait déjà été utilisé pour évaluer des postes de « cols bleus ». M. Wolf a déclaré qu’il l’avait utilisé abondamment dans de nombreux contextes de travail différents et qu’entre les mains d’évaluateurs expérimentés, le plan Hay pouvait très bien convenir aux emplois d’employés de bureau ainsi qu’aux emplois de « cols bleus », comme en l’espèce, notamment avec le « facteur renforcé des conditions de travail » (au paragraphe 563).

[252] Signalant (au paragraphe 566) la connaissance historique approfondie que possédait M. Wolf quant au plan Hay et à son évolution au cours de ses nombreuses années d’application, le Tribunal a conclu (au paragraphe 571) :

[…] selon la prépondérance des probabilités, le plan Hay, qu’il soit utilisé selon sa configuration de la méthode de comparaison des facteurs ou selon d’autres configurations, est, entre les mains d’évaluateurs compétents, comme c’était le cas des membres de l’Équipe professionnelle, une méthode d’évaluation des emplois acceptable dans son ensemble qui permettra de traiter les questions soulevées dans la présente plainte en matière de « parité salariale » d’une manière raisonnablement fiable.

[253] À mon avis, la conclusion du Tribunal suivant laquelle la méthodologie qui avait été retenue était raisonnablement fiable n’était pas déraisonnable vu l’ensemble de la preuve dont il disposait.

iii) Processus

[254] La SCP a également critiqué certains aspects du processus suivi par l’équipe professionnelle, en l’occurrence la façon dont elle a appliqué la méthode Hay en matière d’évaluation des emplois aux éléments dont elle disposait. La SCP s’est notamment dite préoccupée par l’absence de « piste de vérification » qui aurait permis de vérifier le travail de l’équipe professionnelle, par l’absence d’expérience directe de celle-ci avec les opérations postales et par un certain manque de rigueur dans l’examen que l’équipe avait fait des résultats de l’évaluation.

[255] Le Tribunal a conclu que, même s’il n’était pas d’une qualité correspondant à celle à laquelle on s’attend normalement dans le cas d’évaluations produites à la suite d’une étude conjointe patronale-syndicale, le processus était néanmoins raisonnablement fiable. Premièrement, un des membres de l’équipe, Mme Davidson-Palmer, avait déjà travaillé à la SCP dans le domaine de la gestion et du développement organisationnel, de sorte qu’elle connaissait déjà la société. Deuxièmement, les circonstances inusitées auxquelles l’équipe professionnelle devait faire face, notamment le contexte litigieux dans lequel l’évaluation devait s’effectuer et le peu de temps dont disposait l’équipe, obligeaient cette dernière à rajuster sa façon de faire. Troisièmement, pour les motifs déjà exposés, le Tribunal a conclu que l’équipe professionnelle était plus crédible que les experts de la SCP. Quatrièmement, selon la pratique courante, l’équipe fonctionnait comme une entité et prenait ses décisions sur la valeur des emplois soit à l’unanimité, soit par consensus.

[256] Vu l’ensemble des éléments dont il disposait et compte tenu des motifs qu’il a exposés, la conclusion du Tribunal suivant laquelle le processus était raisonnablement fiable ne saurait, à mon avis, être qualifiée de déraisonnable.

iv) Renseignements sur les postes

[257] La SCP soutenait que les éléments de preuve sur lesquels l’équipe professionnelle avait fondé son évaluation du travail des employés du groupe CR et du groupe PO comportaient tellement de lacunes qu’ils ne pouvaient raisonnablement appuyer la conclusion du Tribunal suivant laquelle ils étaient raisonnablement fiables. La SCP a déclaré, en conséquence, que la décision du Tribunal suivant laquelle, selon la prépondérance des probabilités, les postes avaient été bien évalués ne peut être confirmée.

[258] Les aspects de la preuve qui ont appelé en particulier des réserves de la part de la SCP étaient les suivants : l’utilisation des feuilles sur les données sur l’emploi pour recueillir des renseignements au sujet du groupe CR, les techniques employées pour établir des échantillons des postes CR, la comparaison des 10 postes PO génériques et des 194 véritables postes CR et le fait que les données sur l’emploi des deux groupes n’avaient pas toutes été recueillies au même moment.

[259] Il convient de rappeler deux points préliminaires avant de passer aux questions précises posées par la SCP. En premier lieu, il n’appartient pas à la Cour de juger à nouveau les faits. La SCP avait soumis au Tribunal les points susmentionnés, mais le Tribunal ne les avait pas acceptés. La charge qui incombe à l’auteur d’une demande de contrôle judiciaire qui soutient qu’un tribunal administratif a commis une erreur dans ses conclusions de fait est lourde : il doit établir qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve sur lesquels le tribunal pouvait raisonnablement se fonder pour tirer une conclusion au sujet d’un fait important. Deuxièmement, la cour de révision ne doit pas remettre en question les conclusions motivées du tribunal sur la crédibilité. En l’espèce, les conclusions tirées par le Tribunal au sujet de la crédibilité des témoins experts qu’il avait entendus au cours de ces audiences-fleuves constituent une partie importante du fondement sur lequel reposaient ses conclusions de fait.

a) Feuilles de données sur l’emploi

[260] Dans l’enquête qu’elle a menée entre 1984 et 1992 au sujet de la plainte de parité salariale de l’ACFP, la CCPC a élaboré une « feuille de données sur l’emploi », qui est un questionnaire visant à recueillir des renseignements auprès des membres du groupe PO et du groupe CR au sujet de la nature des postes qu’ils occupaient. Il est acquis aux débats que ces feuilles de données sur l’emploi ne respectaient pas les normes professionnelles généralement reconnues en matière d’évaluation d’emplois. Par exemple, au lieu de se contenter de réclamer des renseignements des employés au sujet de leur poste, les enquêteurs ont également demandé aux intimés d’évaluer leur poste. De plus, les renseignements devaient servir à une analyse effectuée selon une autre méthode que la méthode Hay.

[261] Lorsqu’il est devenu évident que les données recueillies grâce aux feuilles de données sur l’emploi comportaient des problèmes, l’AFPC a engagé l’équipe professionnelle pour compléter les renseignements et réévaluer les postes. M. Wolf a convenu que la qualité des feuilles de données sur l’emploi était « abominable » et qu’elle ne convenait pas pour l’évaluation des emplois, en grande partie parce qu’on avait demandé aux employés d’évaluer et de décrire leur poste. En conséquence, l’équipe professionnelle a interrogé 114 membres du groupe CR. Elle a réévalué les postes CR et PO en se fondant tant sur les données recueillies grâce aux feuilles de données sur l’emploi (à l’exclusion de l’auto-évaluation que les employés avaient faite de leur poste) et aux renseignements complémentaires obtenus lors des entrevues et fournis par la SCP.

[262] Sans passer sous silence les problèmes relevés au sujet de l’exactitude, de la cohérence et de l’exhaustivité des données, M. Wolf a expliqué que, d’après la longue expérience qu’il avait acquise en ce qui concerne la méthode Hay en matière d’évaluation des emplois, il était d’avis que les données étaient suffisantes pour permettre à l’équipe professionnelle d’évaluer les postes en question.

[263] Le Tribunal a conclu que, même si elles n’étaient pas de la même qualité que celle des données normalement obtenues à la suite d’une étude conjointe patronale-syndicale sur la parité salariale, les renseignements sur les emplois étaient néanmoins, dans le cas qui nous occupe, « raisonnablement fiables », mais uniquement selon la « sous-fourchette inférieure ». Pour les motifs déjà exposés, le Tribunal a considéré M. Wolf comme un expert très crédible, mais s’est dit beaucoup moins impressionné par les experts de la SCP. Le Tribunal a relevé que l’équipe professionnelle avait été préparée pour palier les lacunes des données, en écartant par exemple les renseignements sur les emplois qu’elle considérait peu fiables. Le Tribunal a également fait observer que le réexamen, par l’équipe professionnelle, des évaluations de 2000 à la lumière des renseignements supplémentaires fournis par la SCP avait, avec deux exceptions dans le cas des postes PO, eu peu d’incidence sur les résultats auxquels elle était antérieurement parvenue.

[264] À mon avis, il était raisonnablement loisible au Tribunal, vu l’ensemble des éléments de preuve dont il disposait, de conclure que les renseignements qui avaient été recueillis grâce aux feuilles de données sur l’emploi et qui avaient été complétés par les entrevues et analysés par des professionnels expérimentés étaient suffisants pour permettre d’évaluer de façon raisonnablement fiable le travail des employés du groupe CR et de ceux du groupe PO.

b) Techniques d’échantillonnage

[265] La CCDP n’a pas cherché à obtenir des renseignements sur les emplois de tous les quelque 2 300 membres du groupe professionnel CR, pas plus que de la part de ceux, beaucoup plus nombreux, du groupe PO. Elle a plutôt envoyé des questionnaires à environ 400 membres du groupe CR et a reçu des réponses de 194 d’entre eux, ou 45 p. 100, et a recueilli des renseignements sur les 10 postes génériques PO.

[266] Le témoin de la SCP, M. David Bellhouse, un expert en statistique spécialisé en échantillonnage d’enquête, a critiqué les techniques d’échantillonnage de la CCDP, en soulignant que l’échantillon avait au départ était mis au point par un agent de la CCDP qui manquait de connaissances dans le domaine et qui n’avait pas été supervisé par une personne compétente. Suivant M. Bellhouse, la conception de l’échantillon du groupe CR et le faible taux de réponse risquaient d’avoir biaisé les résultats. M. Willis allait dans l’ensemble dans le sens de M. Bellhouse sur cette question.

[267] La CCDP a fait témoigner M. John Kervin, un sociologue spécialisé en cueillette de données et en utilisation et analyse de statistiques dans le contexte des relations industrielles, notamment en ce qui concerne les préjugés sexistes et la parité salariale. Il a expliqué qu’à son avis, rien ne permettait de conclure que la conception de l’échantillonnage ou les réponses obtenues étaient viciées ou que les résultats étaient faussés. Il a estimé que l’échantillon du groupe CR était suffisamment représentatif pour les besoins de l’étude. Il a également déclaré que M. Bellhouse n’avait pas tenu compte du contexte de la parité salariale dans lequel les données avaient été recueillies et de la qualité d’une partie de l’analyse des postes. M. Kervin a affirmé que M. Bellhouse avait plutôt abordé la question strictement du point de vue d’un statisticien qui recherchait l’exactitude scientifique, sans tenir compte de l’aspect moins formel des enquêtes en matière de parité salariale.

[268] Après avoir examiné assez en détail les témoignages contradictoires de ces deux experts, qui avaient abordé ces questions sous des angles quelque peu différents, le Tribunal a conclu que le témoignage de M. Kervin avait davantage rapport aux questions soumises au Tribunal. Il était en droit d’accepter son témoignage.

c) Comparaison des « emplois » PO et des « postes » CR

[269] La SCP affirme que toute comparaison du travail effectué par les employés des deux groupes était sans valeur en raison des différences entre ce qui faisait l’objet de la comparaison. La SCP affirme en particulier que les renseignements sur les emplois recueillis au sujet des véritables postes CR ne pouvaient être comparés avec les renseignements recueillis sur les 10 emplois PO génériques ou composites qui, selon le Tribunal (au paragraphe 472), étaient « un amalgame de fonctions pour les 10 types d’emplois les plus répandus » au sein du groupe PO.

[270] La CCDP s’était fondée sur les postes génériques parce que les membres du groupe PO n’avaient pas rempli les feuilles de données sur l’emploi. La SCP ne leur avait pas permis de remplir les questionnaires pendant leurs heures de travail à la SCP et leur syndicat avait refusé de leur permettre de les remplir, sans rémunération, en dehors de leurs heures de travail. Ces postes génériques ont été évalués en recourant à des descriptions de postes et des profils d’emploi, dont certains pouvaient ne plus être à jour ou être incomplets.

[271] M. Bellhouse s’est dit d’avis que, parce que le groupe CR avait été évalué en fonction des véritables postes et d’une description des fonctions exercées par leurs titulaires, et comme le groupe PO avait été évalué d’après une sélection de titres de fonctions, on ne pouvait procéder à une comparaison appropriée de la valeur de leur travail respectif.

[272] M. Kervin n’était pas de cet avis. Il a expliqué que, même s’il ne s’agissait pas d’un échantillon aléatoire, les 10 postes PO génériques étaient susceptibles de constituer un point de repère raisonnablement exact pour procéder à la comparaison des fonctions sur le plan de la parité salariale. Il a également déclaré que le fait que les renseignements relatifs au groupe PO étaient fondés sur les titres de postes plutôt que sur les postes eux-mêmes n’était pas un problème grave, d’autant plus que les particularités de l’emploi utilisées pour les postes PO étaient semblables, à certains égards, aux feuilles de données sur l’emploi des postes CR. En ce qui concerne l’écart entre les titres d’emploi pour les PO et les postes pour les CR, M. Kervin a classé cela comme une « différence dans l’unité d’analyse et non comme une différence dans la mesure » et il a ajouté que cette situation pouvait facilement être corrigée (au paragraphe 470).

[273] Malgré ce désaccord entre les experts, le Tribunal ne se prononce nulle part sur l’opinion qu’il accepte et sur les raisons pour lesquelles il l’accepte. Bien que le Tribunal ait déclaré préférer le témoignage de M. Kervin sur la question de l’échantillonnage, en grande partie, semble-t-il, en raison du fait que son expertise portait plus directement sur les questions de parité salariale, le Tribunal n’a pas tiré de conclusion semblable sur la question des « emplois versus les postes ».

[274] Les passages où le Tribunal semble s’approcher le plus d’une tentative d’aborder cette question sont ceux où il évoque (par exemple au paragraphe 660) à quel point l’équipe professionnelle a pu mieux comprendre la teneur des postes PO après avoir reçu des renseignements supplémentaires de la SCP, ainsi qu’il est précisé dans son rapport de juin 2000. Sinon, il faut inférer de la conclusion du Tribunal suivant laquelle les renseignements sur les emplois étaient raisonnablement fiables que le Tribunal s’est rangé à l’opinion de M. Kervin au sujet de la question « emplois versus postes » ainsi qu’au sujet de l’échantillonnage.

d) Choix du moment

[275] La SCP soutient que le fait que les renseignements sur les emplois se rapportant au groupe CR et au groupe PO n’ont pas été recueillis au même moment minait leur fiabilité dans un contexte de parité salariale. La nature des postes peut changer avec le temps par suite, par exemple, de l’introduction d’une nouvelle technologie susceptible d’avoir des incidences sur les compétences requises pour le travail, sans parler des conditions de travail. M. Willis a expliqué que, pour être valable, une comparaison devrait être fondée sur des renseignements contemporains au sujet du travail qui est effectué.

[276] Il semble que ni l’AFPC ni la CCDP n’ait abordé expressément et précisément cette question devant le Tribunal. Il se peut toutefois qu’elles l’aient fait indirectement en attaquant la crédibilité des experts de la SCP, MM. Willis et Wallace, au motif qu’ils n’avaient ni lu tous les documents pertinents et ni tenté d’évaluer les postes à la lumière des renseignements disponibles.

[277] Le Tribunal ne tire pas non plus de conclusion sur la question du choix du moment. Il semble qu’il ait englobé dans son acceptation en bloc de l’analyse de l’équipe professionnelle et de son opinion relativement moins favorable au sujet des experts de la SCP.

e) Conclusion

[278] Pour terminer cet examen de la conclusion du Tribunal suivant laquelle l’évaluation que l’équipe professionnelle a faite des postes du groupe plaignant et du groupe de comparaison était raisonnablement fiable, je reconnais que le Tribunal n’explique pas toujours aussi complètement qu’il aurait pu le faire les raisons pour lesquelles il préfère une opinion de la preuve à une autre, surtout en ce qui concerne la question du moment choisi pour recueillir les données et la difficulté de comparer les emplois PO et les postes CR. Toutefois, les lacunes que peuvent comporter les motifs du Tribunal à cet égard ne rendent pas, selon moi, sa décision déraisonnable au motif qu’elle ne serait pas suffisamment transparente.

[279] On peut déduire, à la lecture des explications complètes et approfondies que le Tribunal a données au sujet des avis contradictoires des experts qu’il comprenait bien les questions en litige et qu’il saisissait les forces et les faiblesses de chacune d’entre elles. Dans la mesure où il ne tire pas de conclusion définitive motivée sur une ou plusieurs des questions qui ont déjà été examinées, le Tribunal peut être présumé avoir fait sienne l’opinion de l’expert en cause et d’avoir adopté le raisonnement sous-jacent. J’ai déjà souligné l’importance des conclusions tirées par le Tribunal au sujet de la crédibilité des principaux témoins experts des parties.

[280] Je ne suis pas non plus convaincu que la décision du Tribunal de faire droit à la plainte en matière de parité salariale de l’AFPC est viciée par ses conclusions de fait. Lorsqu’on l’examine dans son ensemble, la preuve comportait à mon avis un fondement raisonnable à l’appui des conclusions du Tribunal.

v) Écart de rémunération

[281] Ayant conclu que le salaire des employés CR et des postes composés ou « génériques » PO pouvaient être comparés parce qu’une partie importante des postes CR équivalaient aux postes du groupe PO, le Tribunal a poursuivi en déterminant s’il y avait un écart de rémunération entre les deux groupes pour des fonctions équivalentes. Le paragraphe 11(7) de la Loi donne une définition large du mot « salaire » de manière à englober toute rémunération pécuniaire ou non pécuniaire. Ainsi, après avoir énuméré les formes de rémunération qui peuvent être assimilées à un « salaire », le paragraphe 11(7) comporte une disposition « fourre-tout », l’alinéa c) :

11. […]

(7) Pour l’application du présent article, « salaire » s’entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment :

[…]

c) des rétributions en nature;

Définition de « salaire »

[282] Le Tribunal doit donc répondre à trois questions en ce qui concerne l’écart de rémunération : i) le montant de l’élément pécuniaire du salaire; ii) la valeur des éléments non pécuniaires du salaire; iii) la méthodologie utilisée pour identifier et mesurer tout écart de rémunération constaté en ce qui concerne des fonctions équivalentes. Comme il semble exister un consensus sur la première question, je vais me concentrer sur les deux autres.

a) Éléments non pécuniaires du salaire

[283] L’évaluation d’éléments non pécuniaires, tels que les avantages, soulève certains problèmes techniques. Comme dans le cas de l’évaluation des postes, les difficultés entraînées par le calcul de la valeur des éléments non pécuniaires du « salaire » découlent aussi des problèmes de preuve causés par l’absence d’étude conjointe de la part des parties.

[284] En 1995, l’AFPC a engagé M. Don Lee, expert en analyse de contrats et en évaluation de rémunération indirecte, pour comparer les éléments non pécuniaires du salaire de 1983, année où la plainte a été déposée, à 1995. M. Lee a fondé son rapport sur un examen de 14 conventions collectives couvrant cette période de 12 ans, ainsi que sur divers régimes d’avantages spéciaux du gouvernement fédéral qui n’avaient pas été incorporés dans les conventions collectives en question. Il a été en mesure de procéder à une analyse détaillée des avantages pour l’année 1995, et a notamment pu déterminer dans quelle mesure les employés s’étaient effectivement prévalus de ces avantages.

[285] Toutefois, pour calculer la valeur non pécuniaire de ces avantages, M. Lee n’a pas tenu compte, dans le cas des deux groupes, de la sécurité d’emploi, pas plus que des indemnités accordées aux employés PO pour les uniformes et les vêtements de protection. Il a conclu que les différences qui pouvaient exister entre la valeur des avantages dont bénéficiaient les employés des deux groupes étaient soit inexistantes, soit négligeables et qu’elles ne tiraient pas à conséquence pour ce qui était de la parité salariale. Il n’a pas tenu compte des différences de moins de 0,1 p. 100 du salaire, les considérant comme négligeables.

[286] M. Lee n’a pas été en mesure de procéder à une analyse aussi détaillée pour les années 1983 à 1994, se contentant d’examiner les termes des conventions collectives pour ces années. À la suite de son examen, il a conclu que les différences constatées au sujet de la valeur des avantages consentis aux employés étaient mineures et temporaires. Il n’a pas jugé nécessaire d’essayer, à cette fin, d’obtenir de la SCP un dossier complet pour chaque employé. Il a également déclaré qu’en cas de doute, il avait surestimé l’importance des différences qui favorisaient les avantages non monétaires du groupe CR et sous-estimé celles du groupe PO.

[287] Le rapport de M. Lee a été contesté par M. Robert Bass, expert en établissement de coûts de rémunération, dont la SCP avait retenu les services à cette fin. M. Bass a relevé certaines lacunes dans la méthodologie employée par M. Lee, lacunes qu’il a qualifiées de « fatales ». Il a notamment fait valoir que l’analyse aurait dû être fondée sur les avantages fournis en 1983 et non en 1995. Selon lui, c’était une erreur de la part de M. Lee de rejeter les différences individuelles en avantages spéciaux de moins de 0,1 p. 100 du salaire parce que la somme de ces différences pouvait, lorsque celles-ci s’accumulaient, devenir importante. M. Bass s’est également dit d’avis que les dispositions généreuses en matière de sécurité d’emploi dans les conventions collectives étaient suffisamment importantes pour justifier d’établir le coût de la sécurité d’emploi. M. Bass ne s’est toutefois pas prononcé sur la valeur des éléments non pécuniaires du salaire des employés, en 1995 ou au cours des années précédentes.

[288] Le Tribunal a attentivement examiné ces critiques. Le Tribunal a tout d’abord convenu qu’en théorie, il aurait été préférable d’utiliser l’année 1983 comme année de référence; toutefois, certains des éléments de preuve pertinents n’étaient apparemment pas disponibles. Deuxièmement, le Tribunal a fait remarquer que M. Bass n’avait soumis aucune preuve concrète pour illustrer quelle incidence l’inclusion d’avantages équivalant à moins 0,1 p. 100 du salaire aurait pu avoir et il a donc donné peu de poids à cet aspect de son rapport. Troisièmement, compte tenu de la crédibilité des deux experts et « de la nature nébuleuse de l’établissement du coût de la sécurité d’emploi » (au paragraphe 910), le Tribunal a conclu qu’il était peu probable que la différence entre la valeur de la sécurité d’emploi pour les employés du groupe PO et du groupe CR soit significative.

[289] Le Tribunal a conclu (au paragraphe 918) que le rapport de M. Lee démontrait, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur de la rémunération indirecte du groupe plaignant et celle du groupe de comparaison étaient équivalentes, et que cette valeur était « liée, dans un modèle de négociation, à la valeur des salaires versés aux deux groupes ». Le Tribunal a conclu (au paragraphe 919) que le manque de données convenables pour pouvoir procéder à des calculs plus précis ne signifiait pas que M. Lee n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la rémunération indirecte du groupe plaignant et celle du groupe de comparaison étaient équivalentes. Le Tribunal a accepté la conclusion de M. Lee suivant laquelle la valeur de la rémunération indirecte dont bénéficiaient le groupe plaignant et le groupe de comparaison était généralement équivalente. Le Tribunal a toutefois conclu que le rapport de M. Lee était « d’une fiabilité raisonnable inférieure ».

[290] À mon avis, compte tenu des conclusions que M. Lee avait été en mesure de tirer sur le fondement des renseignements dont il disposait, il n’était pas déraisonnable de la part du Tribunal de conclure que, si des données supplémentaires étaient disponibles pour les années antérieures à 1995, elles ne révéleraient pas que les avantages avaient une valeur beaucoup plus élevée pour un groupe que pour l’autre.

b) Méthodologies

[291] Les parties ont soumis au Tribunal diverses méthodologies visant à déterminer l’existence et l’ampleur de tout écart de rémunération. Qu’il suffise de dire que l’AFPC et la SCP ont proposé des méthodologies qui semblaient être susceptibles d’être plus favorables à leur thèse respective. Il semble probable que la méthode privilégiée par la CCDP produise un résultat qui se situe entre les deux extrêmes. Elle a proposé de regrouper les 194 postes CR faisant partie de l’échantillon en des postes présentant des caractéristiques semblables, ce qui, a-t-elle expliqué, faciliterait la comparaison avec les groupes PO génériques ou « composites », lesquels comprenaient des fonctions opérationnelles internes et externes, mais aucune fonction de supervision.

[292] Après avoir exposé les raisons invoquées par la SCP pour justifier la méthodologie qu’elle proposait, le Tribunal a opté pour celle de la CCDP, au motif qu’elle convenait dans un contexte de parité salariale pour souligner le contenu du travail effectué, plutôt que la définition du poste occupé par l’employé. Toutefois, le Tribunal n’a pas considéré concluantes les valeurs pécuniaires avancées par les parties, estimant qu’il était nécessaire de consulter les dossiers individuels des employés, en collaboration avec la SCP, pour arriver à une conclusion définitive.

[293] À mon avis, le choix d’une méthodologie appropriée pour déterminer l’existence et l’ampleur d’un écart de rémunération relève du pouvoir discrétionnaire du Tribunal, et il est susceptible de faire l’objet d’un contrôle portant sur son caractère raisonnable. Compte tenu à la fois de ses aspects techniques et de l’absence de critères dans la loi, le choix du Tribunal commande un degré élevé de déférence. Je ne suis pas convaincu que seule la méthodologie proposée par la SCP peut raisonnablement être considérée comme compatible avec les objectifs de l’article 11 de la Loi ou encore que la méthodologie proposée par la CCDP, et adoptée par le Tribunal, était déraisonnable.

QUATRIÈME QUESTION : Le Tribunal a-t-il commis une erreur de droit en accordant à l’AFPC une indemnité correspondant à la moitié du salaire perdu par les employés du groupe CR en fonction de l’écart de rémunération retenu?

[294] L’AFPC a déposé une demande visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le Tribunal avait indemnisé les plaignants en leur accordant la moitié du salaire qu’ils avaient perdu selon l’écart de rémunération obtenu selon la méthodologie proposée par la CCDP et accepté par le Tribunal. L’AFPC affirme que cette décision n’est pas appuyée par la preuve dont disposait le Tribunal. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle était théorique, étant donné qu’elle faisait droit à la demande de contrôle judiciaire de la CCDP et qu’elle annulait la décision dans laquelle le Tribunal avait conclu que la SCP avait contrevenu à l’article 11 de la Loi.

[295] Les pouvoirs de réparation du Tribunal qui nous intéressent dans le présent appel se trouvent à l’alinéa 53(2)c) [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 27] de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui dispose :

53. […]

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

Plainte jugée fondée

Il est acquis aux débats que cette disposition régit l’adjudication d’une indemnité en cas de contravention à l’article 11.

[296] La loi confère au Tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de concevoir la réparation appropriée. Ainsi, le paragraphe 53(2) prévoit que le membre instructeur qui juge la plainte fondée, « peut […] ordonner, selon les circonstances » [non souligné dans l’original] une des nombreuses mesures qui y sont énumérées. L’alinéa c) permet au membre instructeur « d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire » [non souligné dans l’original] entraînées par l’acte discriminatoire.

[297] Comme d’autres décisions discrétionnaires, la condamnation par le Tribunal à une indemnité est assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Dunsmuir, au paragraphe 53). Bien que la cour de révision se fonde surtout sur les motifs du Tribunal pour déterminer s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire administratif de manière déraisonnable, la cour peut aussi se demander si l’issue de l’affaire est raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[298] Le Tribunal a jugé qu’une indemnité devait être accordée pour le salaire perdu entre le 24 août 1982 (c’est-à-dire un an après la création de la SCP et un an avant que l’AFPC ne dépose sa plainte auprès de la CCDP) et le 2 juin 2002, date à laquelle la SCP a accordé une hausse salariale aux employés CR et à laquelle la mise en œuvre d’un nouveau plan d’évaluation des emplois a eu pour effet de supprimer tout écart de rémunération entre le groupe CR et le groupe PO.

[299] Le Tribunal a affirmé que l’objectif de la condamnation à une indemnité prévue à l’alinéa 53(2)c) de la Loi est d’accorder « une réparation intégrale » aux victimes de discrimination. Il a cependant aussi fait observer que les cours de justice avait réduit le montant des dommages-intérêts accordés pour tenir compte de l’incertitude entourant la détermination de la perte exacte. Il n’y a pas eu d’incertitude en ce qui concerne les événements à venir qui pouvaient avoir une incidence sur le montant du salaire déjà perdu par le groupe CR, mais le Tribunal est revenu à sa conclusion que l’évaluation des postes et l’élément non pécuniaire du salaire ne relevaient que de la « sous-fourchette inférieure » de fiabilité raisonnable. Pour ce motif, le Tribunal a réduit de 50 p. 100 le montant correspondant à l’écart de rémunération relevé par la CCDP.

[300] L’AFPC affirme que la réduction de l’indemnité accordée par le Tribunal était déraisonnable. Elle soutient en premier lieu que les mêmes données et la même méthodologie établissaient à la fois l’existence et l’ampleur de l’écart de rémunération. Ayant accepté que la preuve établissait qu’il existait un écart de rémunération, le Tribunal ne pouvait logiquement conclure qu’elle ne permettait pas aussi de mesurer l’ampleur de cet écart. Deuxièmement, si le Tribunal pouvait tenir compte des incertitudes que comportait la preuve lorsqu’il s’agissait de déterminer le montant de l’indemnité payable, il n’avait aucune raison de conclure que la preuve avait pour effet de surestimer, au lieu de sous-estimer, l’ampleur de l’écart de rémunération réel. Les avocats ont fait observer que M. Wolf avait expliqué que l’équipe professionnelle avait tenu compte des limites de la preuve pour évaluer les postes : en cas de doute, elle avait surestimé les postes PO et sous-estimé les postes CR, sous-estimant ainsi l’ampleur de l’écart de rémunération.

[301] Je ne suis pas de cet avis. Les tribunaux spécialisés ont droit à un degré particulièrement élevé de déférence en ce qui concerne l’exercice qu’ils font du vaste pouvoir discrétionnaire que leur confère la loi de concevoir la réparation appropriée. Le Tribunal ne s’est pas mépris sur les règles de droit applicables lorsqu’il a déclaré qu’une condamnation à une indemnité devrait viser à accorder une réparation intégrale aux victimes. Il était toutefois aussi loisible, à mon avis, au Tribunal d’étendre par analogie les principes utilisés pour tenir compte des incertitudes futures aux incertitudes au sujet du passé et de réduire ainsi le montant de l’indemnité. C’est d’ailleurs ce que la Cour a fait dans des circonstances quelque peu semblables dans lesquelles on ne pouvait affirmer avec certitude qu’une personne aurait obtenu un emploi si elle ne se l’était pas vue refuser en raison de l’acte discriminatoire illégal commis par l’employeur (Canada (Procureur général) c. Morgan, [1992] 2 C.F. 401 (C.A.), à la page 412).

[302] Il n’était pas déraisonnable non plus de la part du Tribunal de conclure que, bien que la preuve était suffisamment valable pour établir l’existence d’un écart de rémunération, elle n’était pas suffisamment bonne pour qu’on puisse le mesurer avec précision. Il incombait à l’AFPC de prouver, selon la prépondérance des probabilités, à la fois l’existence et l’ampleur de l’écart de rémunération. En conséquence, si le Tribunal n’était pas convaincu que l’AFPC s’était acquittée de son fardeau de la preuve en prouvant, selon la prépondérance des probabilités, le montant de salaire perdu, elle aurait raisonnablement pu accorder un montant moins élevé que celui qu’indiquaient les éléments de preuve présentés par l’AFPC.

[303] Le passage suivant de l’ouvrage du professeur Waddams, The Law of Damages (au paragraphe 13-30), est particulièrement approprié dans le présent contexte :

[traduction] Si ce montant [le montant de la perte] est difficile à estimer, le tribunal doit simplement faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose; évidemment, si la partie demanderesse n’a pas produit une preuve dont on aurait pu s’attendre qu’elle soit produite si la demande était bien fondée, son omission sera interprétée en sa défaveur.

Ainsi que je l’ai déjà signalé, ni l’AFPC ni la CCDP ne pouvaient se laver les mains en ce qui concerne l’état de la preuve.

[304] Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que le montant de l’indemnité que le Tribunal a accordée devrait être annulé parce qu’il serait déraisonnable.

D. DISPOSITIF

[305] Pour tous ces motifs, j’accueillerais les appels interjetés par l’AFPC et par la CCDP dans les dossiers A-129-08 et A-139-08, annulerais la décision de la Cour fédérale, sauf en ce qui concerne les dépens, et rejetterais la demande de contrôle judiciaire de la SCP. La Cour fédérale n’a pas adjugé de dépens et je ne modifierais pas cette conclusion. J’adjugerais à l’AFPC ses dépens dans le présent appel. La CCDP n’a pas réclamé de dépens et aucuns ne lui sont adjugés. Je rejetterais avec dépens l’appel interjeté par l’AFPC dans le dossier A-130-08.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.