[2011] 4 R.C.F. 425
A-277-09
A-318-09
2010 CAF 158
Administration de l’aéroport international de Vancouver et YVR Project Management Ltd. (demanderesses)
c.
Alliance de la fonction publique du Canada (défenderesse)
Répertorié : Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la Fonction publique du Canada
Cour d’appel fédérale, Létourneau, Pelletier et Stratas, J.C.A.—Vancouver, 2 juin; Ottawa, 12 juin 2010.
Relations du travail — Contrôle judiciaire des conclusions du Conseil canadien des relations industrielles sur la question de savoir si des postes faisaient partie d’une unité de négociation — Les demanderesses ont soutenu que le Conseil n’avait pas suffisamment motivé ses conclusions — Les motifs d’un décideur administratif doivent remplir des objectifs fondamentaux — Les tribunaux doivent garder à l’esprit certains principes lorsqu’ils évaluent ces motifs — En l’espèce, les motifs du Conseil, évalués en fonction d’objectifs et de principes fondamentaux, étaient insuffisants — La présence de facteurs qui peuvent influencer l’évaluation de la Cour du caractère suffisant ne peut réduire à néant l’obligation du Conseil de motiver suffisamment ses décisions et de se pencher sur les objectifs fondamentaux — Les objectifs qui sous-tendent l’exigence de donner des motifs suffisants auraient pu être remplis sans difficulté par le Conseil — Rien dans la preuve documentaire n’aide à justifier la décision du Conseil — Celui-ci aurait pu fonder ses conclusions sur des parties du dossier, mais il ne l’a pas fait — Demandes accueillies.
Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire réunies des conclusions du Conseil canadien des relations industrielles sur la question de savoir si les nouveaux postes créés par les demanderesses faisaient partie de l’unité de négociation représentée par la défenderesse.
Les demanderesses ont soutenu que le Conseil n’avait pas suffisamment motivé ses conclusions quant à la question de savoir si certains postes faisaient partie de l’unité de négociation. La défenderesse a affirmé que les parties connaissaient les principes applicables et que le Conseil avait publié un rapport d’enquête très détaillé sur les principes et les conclusions de fait.
Il s’agissait de savoir si les motifs du Conseil étaient suffisants.
Arrêt : les demandes doivent être accueillies.
Les motifs d’un décideur administratif doivent remplir, à tout le moins, les quatre objectifs fondamentaux suivants, soit les objectifs sur les plans : 1) du fond, 2) de la procédure, 3) de la responsabilité judiciaire, et 4) de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité. Lorsqu’ils évaluent si ces objectifs ont été remplis, les tribunaux doivent aussi garder à l’esprit la pertinence de la preuve extrinsèque, le caractère suffisant des motifs, la pertinence de l’intention du législateur et du domaine administratif et la retenue judiciaire. En l’espèce, les motifs du Conseil, évalués en fonction de ces objectifs et principes fondamentaux, étaient insuffisants. La Cour n’était pas en mesure de mener un rôle de surveillance significatif et il n’y a aucune transparence, justification ou intelligibilité dans les motifs du Conseil. Le fait que le Conseil a adopté des principes bien élaborés et compris par les parties, et le fait qu’il faut faire attention de ne pas nuire à la capacité du Conseil de fonctionner efficacement sont des facteurs qui peuvent influencer l’évaluation de la Cour du caractère suffisant des motifs du Conseil. Cependant, les objectifs fondamentaux qui sous-tendent le caractère suffisant des motifs doivent tout de même être remplis. L’obligation du Conseil de motiver suffisamment ses décisions et de se pencher sur les objectifs fondamentaux ne peut être réduite à néant. Les objectifs qui sous-tendent l’exigence de donner des motifs suffisants auraient pu être remplis sans difficulté, conformément aux réalités pratiques du Conseil. S’agissant de la preuve extrinsèque, rien dans la preuve documentaire, y compris dans le rapport d’enquête, n’aidait à justifier la décision du Conseil. Celui-ci aurait pu fonder ses conclusions sur des parties du dossier, mais il ne l’a pas fait.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions examinées :
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.); Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2006 CAF 337; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761.
décisions citées :
Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392; R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869; R. c. Braich, 2002 CSC 27, [2002] 1 R.C.S. 903; R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129; Clifford v. Ontario (Attorney General), 2009 ONCA 670, 98 O.R. (3d) 210, 312 D.L.R. (4th) 70.
DOCTRINE CITÉE
Ombudsman Saskatchewan. Practice Essentials for Administrative Tribunals, Saskatchewan : Ministry of Justice and Attorney General, 2009, en ligne : <http://www.ombudsman.sk.ca/uploads/document/files/omb-tribunal-guide_web-en-1.pdf>.
DEMANDES de contrôle judiciaire des conclusions du Conseil canadien des relations industrielles (Administration de l’aéroport international de Vancouver, 2009 CCRI LD 2148; Administration de l’aéroport international de Vancouver, 2009 CCRI LD 2172) sur la question de savoir si certains nouveaux postes créés par les demanderesses faisaient partie de l’unité de négociation représentée par la défenderesse. Demandes accueillies.
ONT COMPARU
R. Paul Fairweather pour les demanderesses.
Edith Bramwell pour la défenderesse.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Harris & Company LLP, Vancouver, pour les demanderesses.
Alliance de la Fonction publique du Canada, Ottawa, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Stratas, J.C.A. : Les demanderesses soutiennent principalement que le Conseil canadien des relations industrielles [Conseil] n’a pas suffisamment motivé certaines conclusions qui leur étaient défavorables. Ces conclusions figurent dans deux décisions du Conseil : une datée du 3 juin 2009 (2009 CCRI LD 2148; dossier A-277-09 en l’espèce) et une autre datée du 24 juillet 2009 (2009 CCRI LD 2172; dossier A-318-09 en l’espèce). Pour les motifs suivants, je suis d’accord avec les demanderesses. Les motifs du Conseil sont insuffisants.
[2] Le Conseil devait trancher la question de savoir si certains nouveaux postes créés par les demanderesses faisaient partie de l’unité de négociation représentée par la défenderesse. Dans ses deux décisions, le Conseil s’est prononcé sur 66 postes. Il a conclu que 43 postes devaient être exclus de l’unité de négociation et que 23 postes devaient en faire partie.
[3] Devant notre Cour, les demanderesses ont présenté deux demandes de contrôle judiciaire à l’encontre des deux décisions, dans lesquelles elles contestaient les 23 postes ajoutés. La défenderesse n’a pas demandé le contrôle judiciaire des décisions du Conseil. Par conséquent, notre Cour n’est saisie que des décisions portant sur les 23 postes ajoutés.
[4] Avant que cette affaire ne soit portée devant notre Cour, les demanderesses ont demandé au Conseil de réexaminer ses décisions, ce qu’il a refusé de faire. Devant notre Cour, les parties ont accepté que les deux décisions du Conseil soient maintenues telles qu’elles ont été rendues. Ils ont convenu que notre Cour devrait instruire et trancher les demandes de contrôle judiciaire, qui sont désormais réunies.
A. Les observations des parties
[5] Dès le départ, les parties se sont entendues sur le fait que le Conseil était obligé de motiver ses conclusions dans cette affaire.
[6] Je suis d’accord. Le Conseil était obligé d’assurer l’équité procédurale aux parties. Il s’est prononcé sur des questions de fait et de droit importantes pour les parties concernées, à savoir si certains postes faisaient partie ou étaient exclus de l’unité de négociation.
[7] Rien dans les présents motifs ne doit être interprété comme signifiant que les décideurs administratifs doivent motiver leurs décisions dans toutes les circonstances. Cela dépend. Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême, au paragraphe 43, a considéré l’obligation de common law de donner des motifs comme un sous‑ensemble de l’obligation d’équité procédurale envers les parties. Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que le ministre statuant sur la demande d’asile avait une obligation d’équité procédurale envers la demanderesse. Comme la décision revêtait une grande importance pour elle, la demanderesse devait savoir pourquoi sa demande avait été rejetée. Dans l’arrêt Baker, le juge souligne, aux paragraphes 23 à 28, que l’obligation d’équité procédurale dépend des circonstances et peut aller de l’absence totale d’obligation à une obligation élevée. Finalement, les décideurs administratifs ne sont pas tous tenus d’agir équitablement : Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, à la page 670.
[8] S’agissant de la question principale relative au caractère suffisant des motifs, les demanderesses ont soutenu qu’après avoir lu les motifs du Conseil, elles ne savent pas pourquoi 23 postes ont été inclus dans l’unité de négociation. À l’égard de nombreux postes, le Conseil n’a fourni qu’une simple conclusion abrupte, sans plus.
[9] La défenderesse n’est pas d’accord. Bien que les motifs étaient brefs, les parties pouvaient comprendre pourquoi le Conseil avait pris cette décision. Les parties connaissaient les principes applicables, car ils avaient fait l’objet d’un long débat au fil des ans, et un employé du Conseil avait publié un rapport très détaillé sur les principes et les conclusions de fait. S’appuyant sur l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, de notre Cour, la défenderesse affirme que ce rapport devrait être considéré comme une partie du raisonnement suivi par le Conseil pour rendre sa décision.
[10] Une hypothèse sous‑tend les observations de la défenderesse : pour savoir si les motifs sont suffisants, il faut se demander s’ils remplissent, de façon minimale, certains objectifs et certaines fonctions. Essentiellement, la défenderesse affirme que l’objectif principal des motifs est de faire en sorte que les parties sachent pourquoi le Conseil a tranché les questions ainsi.
B. Analyse
1) Introduction
[11] Je reconnais que le caractère suffisant des motifs doit être apprécié au regard des objectifs qui sous‑tendent l’obligation de donner des motifs. Autrement dit, « des motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée » : VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), au paragraphe 21. La Cour suprême et notre Cour avons adopté cette approche constante : R. c. Sheppard, 2002 CSC 26, [2002] 1 R.C.S. 869; R. c. Braich, 2002 CSC 27, [2002] 1 R.C.S. 903; R. c. R.E.M., 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3; Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2006 CAF 337.
[12] Toutefois, comme nous allons le voir, je ne partage pas l’avis de la défenderesse selon laquelle les motifs des décideurs administratifs sont suffisants simplement parce que les parties savent pourquoi elles ont eu gain de cause ou ont été déboutées. Les motifs des décideurs administratifs doivent également remplir d’autres objectifs. En l’espèce, les motifs du Conseil sont insuffisants parce qu’ils ne remplissent pas, même de façon minimale, bon nombre de ces objectifs.
2) Les objectifs qui sous‑tendent l’obligation de donner des motifs en droit administratif
[13] La Cour suprême a relevé certains objectifs qui sous‑tendent l’obligation de donner des motifs en droit administratif, quoique dans seulement trois arrêts et brièvement. Ces objectifs comprennent « l’équité envers les parties » et « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » : Baker, précité, au paragraphe 43; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47. En ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire du ministre en matière d’extradition, la Cour suprême a indiqué, au paragraphe 46 de l’arrêt Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, que les motifs doivent informer les parties de la raison pour laquelle la décision a été prise. Ils doivent également permettre au tribunal de révision d’examiner la décision.
[14] Notre Cour a conclu que les motifs en droit administratif doivent garantir aux parties que leurs observations ont été prises en considération, permettre au tribunal de révision de mener un examen valable et être transparents afin de fournir une ligne de conduite aux personnes réglementées : Assoc. canadienne des radiodiffuseurs, précité, au paragraphe 11; VIA Rail Canada Inc., précité, aux paragraphes 17 à 22.
[15] En droit criminel, la Cour suprême a élaboré de façon plus approfondie les objectifs qui sous‑tendent l’obligation de donner des motifs. Ces objectifs ne devraient pas être importés tout bonnement en droit administratif, puisque les deux domaines sont très différents. Néanmoins, les objectifs et les fonctions susmentionnés se chevauchent à certains endroits. Les motifs doivent être suffisants pour permettre aux parties de décider s’il convient ou non d’exercer leurs droits de révision, le tribunal de révision doit pouvoir examiner la décision et le public doit pouvoir analyser ce qui a été décidé : Sheppard, précité, aux paragraphes 15 et 24; R.E.M., précité.
[16] Lorsqu’un décideur administratif, agissant conformément à une obligation procédurale de recevoir et d’examiner toutes les observations, se prononce comme en l’espèce sur une question importante, quel genre de motifs doit‑il donner? Suivant les décisions susmentionnées, et gardant à l’esprit certains principes fondamentaux en droit administratif, le caractère suffisant des motifs du décideur dans de telles situations doit être évalué à la lumière de quatre objectifs fondamentaux :
a) L’objectif sur le plan du fond. Au moins de façon minimale, le fond de la décision doit être compris au même titre que la raison pour laquelle le décideur administratif a pris une telle décision.
b) L’objectif sur le plan de la procédure. Les parties doivent être en mesure de décider s’il convient ou non d’exercer leurs droits de demander le contrôle judiciaire de la décision à un tribunal de révision. Il s’agit d’un aspect de l’équité procédurale en droit administratif. Si les motifs sur lesquels repose la décision ne sont pas indiqués, les parties ne peuvent évaluer s’ils donnent ouverture au contrôle judiciaire.
c) L’objectif sur le plan de la responsabilité judiciaire. La décision et ses fondements doivent comporter suffisamment de renseignements pour permettre au tribunal de révision d’évaluer, valablement, si le décideur a satisfait aux normes minimales de la légalité. Ce rôle des tribunaux de révision est un aspect important de la règle de droit et doit être respecté : Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 27 à 31. Dans des cas où la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, le tribunal de révision doit évaluer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. Si le tribunal de révision n’a pas pu évaluer cet aspect parce que la décision comporte trop peu de renseignements, les motifs sont insuffisants : voir, p. ex., Assoc. canadienne des radiodiffuseurs, précité, au paragraphe 11.
d) L’objectif sur le plan de la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » : Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. Cet objectif chevauche dans une certaine mesure l’objectif sur le plan du fond. La décision est justifiée et intelligible lorsque son fondement est précisé et qu’il est compréhensible, rationnel et logique. La transparence fait référence à la capacité des observateurs à analyser et à comprendre la décision d’un décideur administratif et les motifs de sa décision. En l’espèce, les observateurs seraient les parties engagées dans l’affaire, les employés dont les postes sont en cause et les employés, employeurs, syndicats et entreprises qui pourraient se heurter à des problèmes semblables à l’avenir. La transparence ne se limite toutefois pas simplement aux observateurs qui ont un intérêt précis dans la décision. Le public en général a également un intérêt dans la transparence : en l’espèce, le Conseil est une institution publique gouvernementale et fait partie de notre structure de gouvernance démocratique.
[17] Les motifs d’un décideur administratif dans de telles situations doivent remplir ces objectifs de façon minimale. Comme les tribunaux évaluent si ces objectifs ont été remplis, il faut fermement garder à l’esprit certains principes importants établis par la jurisprudence :
a) La pertinence de la preuve extrinsèque. La défenderesse souligne que les renseignements concernant les motifs de la décision du décideur administratif peuvent parfois figurer dans le dossier présenté au tribunal et le contexte périphérique. C’est vrai. Les motifs font partie d’un contexte général. Les renseignements qui remplissent les objectifs susmentionnés peuvent provenir de différentes sources. Par exemple, les motifs oraux ou écrits du décideur peuvent être détaillés ou précisés par la preuve extrinsèque, comme les notes qu’il a prises et d’autres questions portées au dossier. Même lorsqu’aucun motif n’a été donné, la preuve extrinsèque peut suffire si elle peut être invoquée pour exprimer le fondement d’une décision. L’arrêt Baker, précité, en donne un bon exemple puisque la Cour suprême a conclu que les notes dans le dossier administratif exprimaient suffisamment le fondement de la décision. Voir également le paragraphe 101 de l’arrêt Hill c. Commission des services policiers de la municipalité régionale de Hamilton-Wentworth, 2007 CSC 41, [2007] 3 R.C.S. 129, pour le rôle de la preuve extrinsèque dans l’évaluation du caractère suffisant des motifs.
b) Le caractère suffisant des motifs ne se mesure pas par la quantité. Il ne s’agit pas de compter le nombre de mots ou de peser la quantité d’encre répandue sur la page. Il s’agit plutôt de se demander si les motifs, en tenant compte de leur contexte et de la preuve documentaire, remplissent, de façon minimale, les objectifs fondamentaux susmentionnés. Un petit nombre de mots bien choisis peuvent souvent être suffisants. À cet égard, la défenderesse souligne que des motifs très brefs énoncés par des expressions abrégées peuvent être suffisants. C’est vrai, pourvu que les objectifs fondamentaux susmentionnés soient remplis de façon minimale. À cet égard, la défenderesse a cité comme exemple que le Conseil prononce parfois des ordonnances sans donner de motifs. La question de savoir si ces ordonnances sont suffisantes dépend des faits particuliers de l’affaire, mais la méthode pour évaluer le caractère suffisant est claire : les préambules, les attendus et les dispositions des ordonnances, lorsqu’interprétés en tenant compte de leur contexte et de la preuve documentaire, doivent remplir, de façon minimale, les objectifs fondamentaux susmentionnés.
c) La pertinence de l’intention du législateur et du domaine administratif. Les décisions rendues par un juge sur le caractère suffisant des motifs ne doivent pas servir à contrecarrer l’intention du législateur de renvoyer les questions à un décideur spécialisé en droit administratif. Dans bon nombre de cas, le législateur a élaboré des procédures ou a donné le pouvoir au décideur d’élaborer des procédures adaptées à sa spécialisation, afin qu’il puisse rendre justice en temps opportun et de manière efficiente. Lorsqu’ils examinent le caractère suffisant des motifs, les tribunaux devraient tenir compte de la « réalité quotidienne » des tribunaux administratifs, dont un certain nombre sont dotés de non‑juristes : Baker, précité, au paragraphe 44; Clifford v. Ontario (Attorney General), 2009 ONCA 670, 98 O.R. (3d) 210, au paragraphe 27. Ils devraient également tenir compte des modes d’expression abrégés ancrés dans les compétences du décideur administratif. Toutefois, la réalité quotidienne des décideurs et leurs modes d’expression ne devraient pas servir à s’éloigner des normes. Les motifs doivent remplir des objectifs fondamentaux — objectifs qui, comme nous l’avons vu, reposent sur des principes fondamentaux comme la responsabilité judiciaire, la règle de droit, l’équité procédurale et la transparence.
d) Retenue judiciaire. Lorsqu’il évalue les motifs, le tribunal s’assure uniquement que les objectifs sont remplis de façon minimale; cette évaluation ne constitue pas un contrôle de la rédaction ou une critique littéraire. Voir l’arrêt Sheppard, précité, au paragraphe 26.
[18] Rien dans mes propos sur les objectifs et les principes ne doit être interprété comme ayant pour effet d’encourager les décideurs administratifs à ne viser que les exigences minimales, sans plus. Les décideurs administratifs devraient s’efforcer d’adopter les meilleures pratiques afin de bien servir le public, notamment en fournissant des motifs exemplaires de haute qualité : pour un exemple de bonnes pratiques, voir Ombudsman Saskatchewan, Practice Essentials for Administrative Tribunals, Saskatchewan : Ministry of Justice and Attorney General, 2009, en ligne : <http://www.ombudsman.sk.ca/uploads/document/files/omb-tribunal-guide_web-en-1.pdf>.
3) Application de ces principes à l’espèce
[19] Évalués en fonction des objectifs et des principes fondamentaux susmentionnés, les motifs du Conseil sont nettement insuffisants.
[20] À l’égard de 13 des 23 postes jugés comme faisant partie de l’unité de négociation, le Conseil a simplement donné les motifs suivants : « Il n’y a aucune raison d’exclure ce poste étant donné ses fonctions », « [c]ompte tenu des renseignements fournis, il n’y a aucune raison d’exclure ce poste de l’unité de négociation » ou « [l]es fonctions de ce poste ne nécessitent pas son exclusion ». Le Conseil a‑t‑il appliqué l’un ou l’autre des principes dans ces conclusions? Dans l’affirmative, quels sont‑ils? Nul ne le sait. En effet, les demanderesses ne savent pas pourquoi elles ont été déboutées et ne peuvent valablement évaluer si un contrôle judiciaire est justifié ni formuler des motifs à cet égard dans le cas de ces 13 postes, notre Cour n’est pas en mesure de mener tout rôle de surveillance significatif et il n’y a aucune transparence, justification ou intelligibilité dans les motifs susmentionnés. Tout ce dont nous disposons sont les conclusions, remarquablement définitives, mais terriblement obscures.
[21] En fait, s’agissant de ces 13 postes, le Conseil dit carrément aux parties, à notre Cour et à tous les autres : « Faites-moi confiance, j’ai pris la bonne décision ». À cet égard, l’espèce est très similaire à l’affaire Assoc. canadienne des radiodiffuseurs, précitée, où le décideur administratif a tiré une conclusion élémentaire sans motifs à l’appui, protégeant sa décision contre tout contrôle et se dégageant de toute responsabilité judiciaire.
[22] À l’égard de 6 des 23 postes jugés comme faisant partie de l’unité de négociation, le Conseil a donné à peine plus d’un simple motif à l’appui de sa décision. Il a inclus un poste dans l’unité de négociation parce qu’il était « au même échelon de l’organigramme » ou parce qu’il était similaire, pour une raison non mentionnée, à un poste dans l’unité de négociation. Pourquoi l’échelon de l’organigramme ou le poste particulier ont‑ils mené à cette conclusion? Nul ne le sait. En fait, c’est comme si le Conseil nous disait : « Faites-moi confiance, mais voici un indice ». Mais l’indice ne jette pas la lumière sur les fondements de sa décision.
[23] La défenderesse a impudemment tenté d’appuyer les motifs du Conseil, aussi sommaires soient‑ils. Elle a souligné que les principes normalement adoptés par le Conseil dans des cas comme celui qui nous occupe sont relativement bien élaborés et compris par beaucoup d’employeurs, de syndicats et d’observateurs dans ce domaine du droit. De plus, un nombre relativement élevé de postes était en cause (66), chacun visant des faits très précis. La défenderesse a insisté sur le fait qu’il faut faire attention de ne pas imposer au Conseil une obligation de fournir des motifs trop élevée, car cela nuirait à sa capacité de fonctionner efficacement.
[24] Je reconnais que ces facteurs peuvent influencer l’évaluation de notre Cour du caractère suffisant des motifs du Conseil. Ces facteurs concernent la question de savoir si on devrait tenir compte des réalités pratiques et quotidiennes du décideur administratif. Mais les objectifs fondamentaux qui sous‑tendent le caractère suffisant des motifs, comme les préoccupations liées à la transparence et à la révision, doivent tout de même être remplis de façon minimale. L’obligation du Conseil de motiver suffisamment ses décisions et de se pencher sur les objectifs fondamentaux ne peut être réduite à néant.
[25] En l’espèce, les objectifs qui sous‑tendent l’exigence de donner des motifs suffisants auraient pu être remplis sans difficulté, conformément aux réalités pratiques du Conseil. Avec seulement un petit nombre de mots,— « Tout au long de cette décision, nous appliquerons les principes de [l’affaire] » — le Conseil aurait pu démontrer qu’il avait suivi certains principes. À partir de là, le Conseil aurait pu écrire une phrase ou deux pour indiquer comment il allait appliquer ces principes à chacun des postes ou à des groupes de postes qui soulèvent des considérations similaires. En une phrase ou deux, conjointement avec le dossier en l’espèce, le Conseil aurait pu motiver sa décision et remplir tous les objectifs fondamentaux qui sous‑tendent l’obligation de donner des motifs suffisants.
[26] Jusqu’à présent, je me suis penché sur 19 des 23 postes que le Conseil a inclus dans l’unité de négociation. Dans le cas des quatre autres postes, soit « adjoint à la paye », « conseiller en ressources humaines », « gestionnaire de contrats » et « gestionnaire de projet », le Conseil a bien écrit une phrase ou deux. Mais les fondements énoncés dans ces phrases semblent contredire ceux établis pour exclure les autres postes : parfois, un certain facteur est déterminant, d’autres fois, un facteur entièrement différent semble déterminant. La préoccupation principale en l’espèce est l’intelligibilité. Dans un simple paragraphe, peut‑être au début des motifs, le Conseil aurait pu énoncer les principes à suivre ainsi que les décisions faisant autorité. La méthode qu’il a adoptée, soit d’exposer ses motifs en une phrase ou deux, aurait alors été entièrement suffisante. Elle aurait pu répondre aux préoccupations sur le plan de l’intelligibilité en éliminant toute inconsistance apparente en principe.
[27] S’agissant de la preuve extrinsèque, elle n’aide en rien à comprendre les motifs du Conseil. Dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de l’insuffisance des motifs du Conseil, rien dans la preuve documentaire, y compris dans le rapport d’enquête, n’aide à justifier sa décision. Le Conseil aurait pu fonder ses conclusions, expressément ou implicitement, sur des parties du dossier (voir Sketchley, précité, au paragraphe 37), mais il ne l’a pas fait.
4) Autres motifs de contrôle
[28] Les demanderesses ont soulevé d’autres motifs de contrôle de la décision du Conseil, découlant principalement du fait qu’il a fait référence à des postes de l’organigramme à l’appui de certaines conclusions. Cette conclusion a amené les demanderesses à signaler qu’un poste de l’organigramme, en soi, ne peut mener en principe à la conclusion qu’un poste devrait faire partie d’une unité de négociation. Selon les demanderesses, cette conclusion a entraîné deux motifs légitimes de contrôle judiciaire : la prise en considération d’un facteur sans importance et le défaut de prendre en considération des facteurs importants.
[29] Nous ne pouvons évaluer ces motifs de contrôle judiciaire en raison de l’insuffisance des motifs du Conseil. Les facteurs et les principes que le Conseil a pris en considération, qu’ils soient pertinents ou non, ne sont tout simplement pas suffisamment démontrés. Dans tous les cas, il est inutile de se pencher sur ces autres motifs de contrôle en l’espèce.
C. Dispositif
[30] Les décisions du Conseil d’inclure 23 postes dans l’unité de négociation devraient être annulées, car les motifs énoncés à l’appui sont insuffisants.
[31] Les demanderesses ont demandé à ce que l’affaire soit renvoyée à un comité du Conseil différemment constitué. Je renverrais l’affaire au Conseil, mais rien ne justifie de renvoyer l’affaire à un comité différemment constitué. En effet, une telle exigence s’impose lorsqu’il y a des préoccupations concernant la capacité, l’aptitude, l’équité ou la propriété du comité initial à se pencher sur l’affaire si elle devait lui être renvoyée. Selon notre évaluation des motifs sommaires du Conseil et des observations des parties, aucune préoccupation de la sorte n’existe en l’espèce.
[32] Par conséquent, j’accueillerais les deux demandes de contrôle judiciaire, avec dépens dans le dossier A-318-09 jusqu’à la date de réunion (19 septembre 2009) et avec dépens devant toutes les cours dans le dossier A-277-09. J’annulerais les décisions du Conseil (2009 CCRI LD 2148 et 2009 CCRI LD 2172) relativement aux 23 postes qu’il a inclus dans l’unité de négociation. Je renverrais la question de ces 23 postes au Conseil pour nouvel examen.
Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.