Timberwest Forest Corp. (demanderesse)
c.
Pacific Link Ocean Services Corporation, Union Tug and Barge Ltd., Great Northern Marine Towing Ltd., A.B.C. Company, Warren Sinclair, Marc McLean, Kenneth Hemeon, les propriétaires des navires Sea Commander et Ocean Oregon, et toutes les autres personnes ayant un droit sur ces navires (défendeurs)
Répertorié : Timberwest Forest Corp. c. Pacific Link Services Corp. (C.F.)
Cour fédérale, juge Harrington—Vancouver, 26, 27 et 28 mai; Toronto, 25 juin 2008.
Droit maritime — Transport de marchandises — Action subrogative pour la perte de la majeure partie d’un chargement de billes de bois qui se trouvait sur une barge pendant qu’elle était tirée par un remorqueur jusqu’en Californie — La demanderesse conservait le titre de propriété des billes de bois jusqu’à ce qu’elles aient été livrées et payées par Harwood Products Inc. (Harwood) — Harwood a conclu un contrat avec Pacific Link pour que celle-ci fasse fonction de transporteur des billes de bois — Le contrat de transport comprenait un connaissement — Les billes de bois ont été transportées en pontée — Même si le contrat de transport excluait les responsabilités relatives à la cargaison sur le pont imposées par la Loi sur la responsabilité en matière maritime, annexe 3 (les Règles de la Haye-Visby), les Règles pouvaient néanmoins s’appliquer de plein droit si les exigences qui y sont énoncées étaient remplies — Comme le connaissement dans le contrat de transport applicable à la cargaison précisait que les marchandises transportées en pontée étaient transportées au risque du chargeur, la cargaison ne constituait pas des « marchandises » au sens de l’art. I des Règles — Les Règles ne s’appliquaient donc pas au contrat de transport — Le connaissement faisait en sorte que tous les défendeurs étaient parties au contrat — Qui plus est, le terme « transporteur » a été défini dans le connaissement comme désignant tous les défendeurs par catégories — Le terme « transporteur » est défini à l’art. I des Règles comme comprenant le propriétaire ou l’affréteur qui délivre un connaissement — Rien n’empêche le propriétaire et l’affréteur de s’entendre pour agir comme transporteur.
Droit maritime — Assurance — Action subrogative pour la perte de la majeure partie d’un chargement de billes de bois qui se trouvait sur une barge pendant qu’elle était tirée par un remorqueur jusqu’en Californie — Pacific Link était nommément désignée dans la police d’assurance de la demanderesse comme transporteur — La police d’assurance contenait une clause de renonciation à la subrogation contre le transporteur — La clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link dans la police d’assurance de la demanderesse n’était pas nulle et non avenue par application de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, annexe 3 (les Règles de la Haye-Visby) puisque les Règles ne s’appliquaient pas en l’espèce — Dans les arrêts London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd. et Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., la Cour suprême du Canada a assoupli la règle relative au tiers bénéficiaire du contrat (c.-à-d. les bénéfices d’assurance) lorsque les parties avaient l’intention d’en étendre les bénéfices et les activités exercées sont les activités mêmes qu’est censé viser le contrat — Pacific Link bénéficiait de la clause de renonciation à la subrogation parce qu’elle était nommément désignée dans la police de la demanderesse — L’assouplissement de la règle ne visait pas seulement les employés des défendeurs — La clause de renonciation à la subrogation visait à protéger tous ceux qui étaient parties au contrat de transport — Par conséquent, tous les défendeurs étaient des assurés additionnels et bénéficiaient de la clause de renonciation — Si la jurisprudence est mal interprétée, il conviendrait en l’espèce d’apporter une modification progressive à la loi afin qu’elle corresponde à la réalité commerciale et aux principes de justice et d’équité.
Il s’agissait d’une action subrogative pour la perte de la majeure partie d’un chargement de billes de bois qui se trouvait sur la barge Ocean Oregon pendant qu’elle était tirée par le remorqueur Sea Commander au cours d’un trajet de la Colombie-Britannique jusqu’à la Californie. Les questions donnant matière à procès ont été scindées et cette étape du procès ne portait que sur certaines questions relatives à l’assurance maritime. La demanderesse a conclu des contrats pour la vente de billes de bois à Harwood Products Inc., une société établie en Californie. Conformément à ces contrats, Timberwest conservait le titre de propriété des billes de bois jusqu’à ce qu’elles aient été livrées à Harwood et payées par celle-ci. Harwood a pris les dispositions nécessaires pour assurer le transport des billes de bois, qui devaient être transportées en pontée par Pacific Link, le transporteur. Le contrat de transport portait non seulement sur les billes de bois de la demanderesse, mais également sur des billes de bois appartenant à Harwood et sur lesquelles la demanderesse n’avait aucun droit. Le contrat contenait les clauses habituelles d’exonération de responsabilité à l’égard du transporteur et du chargeur. Le taux de fret mentionné excluait expressément l’assurance de la cargaison. Le contrat de transport intégrait un formulaire de connaissement, qui n’était pas annexé. L’assurance pour le fret maritime de la demanderesse prévoyait, comme condition d’assurance, une renonciation à la subrogation contre Pacific Link.
L’expédition de marchandises par eau depuis les ports canadiens, si elle a été constatée par un connaissement, est obligatoirement assujettie à la Loi sur la responsabilité en matière maritime, annexe 3 (les Règles de la Haye-Visby ou les Règles), sauf s’il s’agit d’animaux vivants ou d’une « cargaison qui, par le contrat de transport, est déclarée comme mise sur le pont et, en fait, est ainsi transportée ». Si les Règles de la Haye-Visby s’appliquent, l’article III, paragraphe 8 de ces Règles précise que toute clause exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité, autrement que ne le prescrivent les Règles, sera nulle et non avenue. Plus précisément, « [u]ne clause cédant le bénéfice de l’assurance au transporteur ou une clause semblable sera considérée comme exonérant le transporteur de sa responsabilité ». Le connaissement n’est pas défini dans les Règles de la Haye-Visby. Cependant, les Règles ne s’appliquent qu’au « contrat de transport constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre ». Les Règles peuvent être incorporées par contrat ou être imposées aux parties de plein droit.
Les questions à trancher étaient celles de savoir si le contrat de transport était régi par les Règles de la Haye-Visby; si la cargaison constituait des « marchandises » au sens des Règles de la Haye-Visby; si la clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link contenue dans la police d’assurance de la demanderesse était devenue nulle et non avenue par l’application des Règles de la Haye-Visby; si les défendeurs autres que Pacific Link pouvaient se prévaloir de la clause de renonciation à la subrogation et si les bénéfices de l’assurance pouvaient être étendus aux défendeurs autres que Pacific Link.
Jugement : des déclarations ont été formulées quant aux questions donnant matière à procès qui ont été scindées.
Le contrat de transport n’était pas régi par les Règles de la Haye-Visby. La demanderesse et son assureur étaient liés par le contrat de transport parce que la demanderesse était le commettant non déclaré de Harwood quant à la partie du chargement qui appartenait à la demanderesse. Même si le contrat indiquait que Pacific Link voulait se prévaloir de tous les avantages des Règles de la Haye-Visby ou de la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis, il stipulait aussi qu’elle n’acceptait aucune des responsabilités imposées à l’égard des cargaisons transportées sur le pont. La Cour devait donc décider si les Règles de la Haye-Visby s’appliquaient de plein droit. Même si toutes les billes de bois étaient transportées en pontée, ce fait devait être indiqué expressément sur le connaissement pour exclure l’application des Règles de la Haye-Visby. Le contrat de transport indiquait qu’il prévoyait un connaissement. Celui-ci précisait que toutes les marchandises seraient transportées en pontée au risque du chargeur et que toutes les marchandises ont été transportées en pontée, à moins que le connaissement ne fasse expressément mention du contraire. Cela laissait entendre que si la mention relative à la cargaison en pontée était retirée, les Règles de la Haye-Visby s’appliqueraient de plein droit, même si les marchandises étaient transportées sur le pont. Par conséquent, la cargaison ne constituait pas des « marchandises » au sens des Règles de la Haye-Visby puisque toute la cargaison a été transportée en pontée et avait été constatée par un connaissement. La clause de renonciation à la subrogation dans la police d’assurance de la demanderesse en faveur de Pacific Link n’était donc pas nulle, non avenue et sans effet par l’application des Règles.
Il est un principe général selon lequel un contrat ne peut ni conférer des droits à des tiers ni leur imposer des obligations. Cette règle, dans la mesure où elle s’attache aux bénéfices, a été assouplie par la Cour suprême du Canada dans la décision qu’elle a rendue en 1992 dans l’arrêt London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd. et en 1999 dans l’arrêt Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd. Ces arrêts permettent d’affirmer qu’un tiers peut bénéficier d’un contrat si les parties audit contrat avaient l’intention d’en étendre les bénéfices et si les activités exercées sont les activités mêmes qu’est censé viser le contrat. Lorsque la perte est survenue, Pacific Link offrait précisément les services qui étaient décrits dans le contrat de transport. Elle était nommément désignée dans la police d’assurance et bénéficiait donc de la renonciation à la subrogation qui y figurait, même si elle n’avait pas exigé l’inclusion de cette clause à la demanderesse et qu’elle ne savait rien de la police d’assurance avant que ne survienne la perte de la demanderesse. Les défendeurs à titre individuel étaient des employés des propriétaires du remorqueur et de la barge. Cependant, comme la Cour suprême l’a fait remarquer dans Fraser, l’assouplissement de l’arrêt London Drugs ne visait pas à ce que seuls les employés bénéficient de l’assouplissement de la règle relative au tiers bénéficiaire. Le connaissement a expressément fait en sorte que tous les défendeurs étaient parties au contrat. Qui plus est, le terme « transporteur » a été défini dans le connaissement comme désignant tous les défendeurs par catégories, y compris « le navire, son propriétaire, l’exploitant, l’armateur, l’affréteur, le capitaine, les officiers, l’équipage, les manutentionnaires et toute personne visée par le transport des marchandises ». Le but recherché par la demanderesse et l’assureur était une renonciation à la subrogation contre le transporteur. Un « transporteur » est défini dans les Règles de la Haye-Visby comme comprenant le propriétaire ou l’affréteur qui délivre un connaissement. Même si le connaissement aurait été délivré par Pacific Link et qu’on aurait présumé que celle-ci, et seulement elle, était le transporteur, rien n’empêche le propriétaire et l’affréteur de s’entendre pour agir comme transporteur. La clause de renonciation à la subrogation visait à protéger tous ceux qui étaient parties au contrat de transport. Tous les défendeurs étaient des assurés additionnels et bénéficiaient de la clause de renonciation à la subrogation.
Enfin, si la jurisprudence existante n’assouplit pas le principe des tiers bénéficiaires de sorte que la clause de renonciation à la subrogation de la police s’applique aux défendeurs autres que Pacific Link, le cas en l’espèce constitue alors un cas opportun pour apporter une modification progressive à la loi afin qu’elle corresponde à la réalité commerciale et aux principes de justice et d’équité. Cette modification serait conforme à la réalité selon laquelle les préposés, agents et sous-traitants, si le texte ou les circonstances le permettent, devraient bénéficier des clauses contractuelles prévues à leur égard. Un assureur ne devrait pas avoir le droit de toucher des primes sans risque.
lois et règlements cités
Carriage of Goods by Sea Act, 46 U.S.C. App. § 1300 (2006).
Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles, 25 août 1924, et protocole conclu à Bruxelles, 23 février 1968 et protocole supplémentaire conclu à Bruxelles, 21 décembre 1979, qui constitue l’annexe 3 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (Règles de La Haye-Visby), art. I « contrat de transport », « marchandises », « transporteur », III.
Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924 (Règles de La Haye).
Harter Act, 46 U.S.C. App. § 190 (2006).
Loi sur l’assurance maritime, L.C. 1993, ch. 22, art. 81.
Loi sur les connaissements, L.R.C. (1985), ch. B-5, art. 2.
jurisprudence citée
décisions appliquées :
London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299; Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108; Pyrene Co. Ld. v. Scindia Navigation Co. Ld., [1954] 2 Q.B. 402; Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210.
décision différenciée :
London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299 (quant à la façon dont les bénéfices d’assurance ont été étendus).
décisions examinées :
Fluor Western, Inc. v. G & H Offshore Towing Co. Inc., 447 F.2d 35 (5th Cir. 1971); St. Lawrence Cement Inc. v. Wakeham & Sons Ltd. (1995), 26 O.R. (2d) 321; 23 B.L.R. (2d) 1; 86 O.A.C. 182 (C.A.); Lennard’s Carrying Co., Ltd. v. Asiatic Petroleum Co., Ltd., [1915] A.C. 705 (H.L.); ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Adler v. Dickson and Another, [1954] 2 Lloyd’s Rep. 267 (C.A.); Union Carbide Corp c. Fednav Ltd., [1997] A.C.F. no 655 (1re inst.) (QL); Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (C.A.); Elbe Maru, The, [1978] 1 Lloyd’s Rep. 206; Bombardier Inc. v. Canadian Pacific Ltd., [1988] O.J. no 1807 (H.C.J.); décision variée (1991), 7 O.R. (3d) 559; 85 D.L.R. (4th) 558; 6 B.L.R. (2d) 166 (C.A.); Ford Aquitaine Industries SAS c. Canmar Pride (Le), 2004 CF 1437; conf. par [2005] 4 R.C.F. 441; 2005 CF 431; Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, [2006] 1 R.C.S. 744; 2006 CSC 21; Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888.
décisions citées :
Simpson v. Thomson (1877), 3 App. Cas. 279 (H.L.); Anticosti Shipping Co. v. St.Amand, [1959] S.C.R. 372; (1959), 19 D.L.R. (2d) 472; St-Siméon Navigation Inc. c. Couturier, [1974] R.C.S. 1176; Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021; Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437; Elder Dempster & Co. Ltd. v. Paterson Zochonis & Co. Ltd., [1924] A.C. 522 (H.L.); Commonwealth Construction Co. Ltd. c. Imperial Oil Ltd. et autre, [1978] 1 R.C.S. 317.
doctrine citée
Fridman, G. H. L. The Law of Agency, 7e éd. Toronto : Butterworths, 1996.
Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 20e éd. par Stuart Boyd et al. Londres : Sweet & Maxwell, 1996.
Strathy, George R. et G. C. Moore. The Law and Practice of Marine Insurance in Canada. Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2003.
Treitel, G. H. et F. M. B. Reynolds. Carver on Bills of Lading, 2e éd. Londres : Sweet & Maxwell, 2005.
ACTION subrogative pour la perte de la majeure partie d’un chargement de billes de bois qui se faisait tirer par un remorqueur au cours d’un trajet de la Colombie-Britannique jusqu’à la Californie. Déclarations sur des questions relatives à l’assurance maritime formulées.
ont comparu :
Christopher J. Giaschi et Elyn M. Underhill pour la demanderesse.
David F. McEwen, c.r. et Emily A. Stock pour les défendeurs autres que A.B.C. Company.
avocats inscrits au dossier :
Giaschi & Margolis, Vancouver, pour la demanderesse.
Alexander, Holburn, Beaudin & Lang LLP pour les défendeurs autres que A.B.C. Company.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Harrington : À première vue, il s’agit d’une demande d’indemnité pour perte de marchandises. La demanderesse a intenté une poursuite pour la perte en mer de la majeure partie de son chargement de billes de bois, qui se trouvait sur la barge Ocean Oregon pendant qu’elle était tirée par le remorqueur Sea Commander au cours d’un trajet du fleuve Fraser à Eureka, en Californie. Les sociétés défenderesses sont Pacific Link [Pacific Link Ocean Services Corp.], le transporteur contractant et l’affréteur du remorqueur et de la barge, qui sont la propriété respective d’Union Tug [Union Tug and Barge Ltd.] et de Great Northern [Great Northern Marine Towing Ltd.]. Les défendeurs à titre individuel sont Kenneth Hemeon, le capitaine du remorqueur, Warren Sinclair et le défunt Marc Mclean, qui ont chargé et arrimé les billes de bois à bord de la barge. A.B.C. Company est une fiction juridique dont nous ferons abstraction.
[2] Vu sous un autre angle, angle sur lequel la Cour est appelée à se prononcer, la présente affaire porte sur le connaissement, l’assurance maritime et la question de savoir si des bénéfices contractuels peuvent être étendus à des tiers et, dans l’affirmative, auxquels des défendeurs. À l’exception d’une franchise de 15 000 $, dont les parties sont disposées à faire abstraction, la demanderesse, Timberwest [Timberwest Forest Corp.], a été indemnisée par son assureur maritime, St. Paul & Marine Insurance Company [St. Paul]. En réalité, il s’agit d’une action subrogatoire dans laquelle St. Paul doit utiliser le nom de Timberwest, la partie qui détient le titre de propriété sur les biens et la partie qui a subi la perte initiale (Simpson v. Thomson (1877), 3 App. Cas. 279 (H.L.)). Or, les conditions expresses de l’assurance comportaient une renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link. Les autres défendeurs font valoir qu’ils sont également bénéficiaires de cette renonciation à la subrogation, ou d’une autre renonciation au même effet, et qu’ils sont de plus des assurés additionnels. Si tel est le cas, l’assureur maritime qui dédommage un assuré ne peut poursuivre les assurés additionnels en recouvrement d’une perte couverte par la police.
[3] Les parties ont convenu, et la Cour a ordonné, que les questions donnant matière à procès soient scindées. La présente étape du procès ne porte ni sur les circonstances qui ont mené à la perte de la cargaison et qui pourraient engager la responsabilité de certains, ou de l’ensemble, des défendeurs, ni sur le montant des dommages-intérêts qui s’élèveraient à environ un million de dollars. Elle se limite plutôt aux questions relatives à l’assurance maritime que les parties ont ramenées aux quatre questions suivantes :
a. Le contrat de transport est-il régi par la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001 [ch. 6], annexe 3 (Règles de La Haye-Visby [ou Règles]) [Convention internationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, conclue à Bruxelles, 25 août 1924, et protocole conlu à Bruxelles, 23 février 1968 et protocole supplémentaire conclu à Bruxelles, 21 décembre 1979]?
b. La cargaison constituait-elle des « marchandises » au sens des Règles de la Haye-Visby [article I]?
c. La clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link contenue dans la police d’assurance de la demanderesse est-elle devenue nulle, non avenue et sans effet par l’application des Règles de La Haye-Visby?
d. Dans la négative, les défendeurs autres que Pacific Link peuvent-ils se prévaloir de la clause de renonciation à la subrogation?
[4] Les questions découlent des principes généraux importants du droit des contrats, ainsi que de certains aspects propres aux contrats de transport et d’assurance. L’expédition de marchandises par eau depuis les ports canadiens est assujettie aux Règles de La Haye-Visby si elle a été constatée par un connaissement, sauf s’il s’agit d’animaux vivants ou d’une « cargaison qui, par le contrat de transport, est déclarée comme mise sur le pont et, en fait, est ainsi transportée ». L’ensemble des billes de bois a été transporté sur le pont du navire. Si aucun connaissement n’a été délivré, le contrat prévoyait la possibilité d’en délivrer un.
[5] Si les Règles de La Haye-Visby s’appliquent, alors il faut tenir compte de l’article III, paragraphe 8 de ces Règles. Selon cette disposition, toute clause exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité, autrement que ne le prescrivent les Règles, sera nulle, non avenue et sans effet. Plus précisément, « Une clause cédant le bénéfice de l’assurance au transporteur ou toute clause semblable sera considérée comme exonérant le trans- porteur de sa responsabilité ».
[6] En ce qui concerne la question de l’assurance, il est un principe général selon lequel un contrat ne peut ni conférer des droits à des tiers ni leur imposer des obligations. Cette règle, dans la mesure où elle s’attache aux bénéfices, a été assouplie par la Cour suprême dans London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299, et de nouveau, dans le contexte de l’assurance maritime, dans Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108. Conscients de ces deux décisions et de l’importance du fait que les réponses aux quatre questions sont en grande partie indépendantes les unes des autres, les avocats ont fait preuve d’une grande inventivité dans leur interprétation respective des contrats sous-jacents, soutenant que je devrais conclure, ou non selon le cas, que le chargement avait été constaté par un connaissement pour une cargaison transportée en cale, qu’une clause de renonciation à la subrogation est un bénéfice de l’assurance — et qu’il s’étend aux préposés, agents ou sous-traitants de Pacific Link — et que la présente affaire relève de l’une des exceptions reconnues à la règle du lien contractuel.
LES ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE
[7] À toutes les époques pertinentes, Timberwest était la propriétaire de la cargaison et la partie qui a subi la perte initiale. Elle convient que, indépendamment de la théorie du droit invoquée, elle est liée par les conditions du contrat de transport que son client, le destinataire et l’acheteur des marchandises, Harwood Products Inc. [Harwood], a conclu avec Pacific Link. Elle fait valoir que le contrat de transport est régi par les Règles de La Haye-Visby, et que si la cargaison a entièrement été transportée en pontée à sa connaissance et avec son consentement, elle constituait néanmoins des « marchandises » au sens des Règles parce que les défendeurs n’ont pas démontré qu’un connaissement avait été délivré pour un chargement transporté sur le pont. La clause de renonciation à la subrogation figurant dans sa police d’assurance souscrite auprès de St. Paul est nulle, non avenue et sans effet en application de l’article III, paragraphe 8 des Règles. Enfin, les autres défendeurs ne bénéficient pas de la clause de renonciation à la subrogation. Subsidiairement, même s’ils en bénéficiaient, la clause serait également nulle, non avenue et sans effet, par application des Règles.
LES ARGUMENTS DES DÉFENDEURS
[8] Les défenseurs reconnaissent le droit de Timberwest dans la cargaison et conviennent qu’elle est liée par les conditions du contrat de transport. Si Timberwest est liée c’est que son client a conclu le contrat en tant qu’agent non déclaré. Bien que le chargement ait été constaté par un connaissement, ce connaissement, s’il avait été délivré, aurait stipulé que toute la cargaison était transportée en pontée, ce qui était effectivement le cas. Ainsi, la cargaison ne répond pas à la définition de « marchandises » figurant aux Règles de La Haye-Visby, et la clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link ne contrevient pas auxdites Règles. Même si elle y contrevenait, les Règles ne s’appliqueraient pas parce que la clause de renonciation figure dans une police d’assurance distincte et indépendante, et non dans le contrat de transport. Quoi qu’il en soit, une clause de renonciation à la subrogation n’est pas une clause cédant le bénéfice de l’assurance au sens des Règles.
[9] Les règles de la common law qui empêchent les tiers de bénéficier d’un contrat ne s’appliquent pas en l’espèce. Pacific Link était expressément désignée comme bénéficiaire et les assureurs maritimes sont liés par l’entente qu’ils ont conclue. Les défendeurs Sinclair, McLean et Hemeon étaient des employés de Pacific Link et, conformément à l’arrêt London Drugs, précité, ils bénéficient également de la clause de renonciation à la subrogation. S’ils n’étaient pas des employés, ils étaient des sous-traitants désignés, tout comme les autres sociétés défenderesses, qui sont liées à Pacific Link, et les assurés additionnels protégés par la police, et bénéficient également de la clause de renonciation à la subrogation.
DÉCISION
[10] Je suis arrivé aux conclusions suivantes :
a. Le contrat de transport n’est pas régi par les Règles de La Haye-Visby;
b. La cargaison ne constitue pas des « marchandises » au sens des Règles de La Haye-Visby. Bien que le chargement ait été « constaté » par un connaissement, ce connaissement, s’il avait été délivré, aurait stipulé que toute la cargaison était transportée en pontée, ce qui était effectivement le cas;
c. La clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link contenue dans la police d’assurance de Timberwest n’est pas devenue nulle, non avenue et sans effet par les Règles de La Haye-Visby. Pacific Link est un tiers bénéficiaire et elle a le droit de se prévaloir de la clause contre St. Paul;
d. Les autres défendeurs sont tous les trois bénéficiaires d’une ou de plusieurs clauses de renonciation à l’assurance, et ont également le droit de s’en prévaloir contre St.-Paul. Ces défendeurs étaient les propriétaires du remorqueur et de la barge, le capitaine du remorqueur, et les membres de l’équipage ou les manutentionnaires travaillant sur la barge. À ce titre, ils étaient tous parties au contrat de transport et bénéficiaient des exonérations et des limitations de responsabilité qui y étaient prévues. D’autre part, ils sont des assurés additionnels bénéficiant d’une renonciation à la subrogation consentie par St. Paul.
[11] J’ai interprété le contrat de transport, le contrat de Timberwest relatif à la vente de la cargaison perdue et la police d’assurance maritime en fonction des termes employés et des déclarations des témoins. J’ai ensuite analysé mes conclusions à la lumière de la règle du lien contractuel et du droit des tiers bénéficiaires à l’exécution des modalités de ces contrats.
PRINCIPES FONDAMENTAUX
[12] J’estime important d’exposer certains des principes légaux sous-jacents, tels que je les comprends.
[13] Bien que le connaissement soit un document important, il n’est défini ni dans les Règles de La Haye-Visby ni dans la Loi sur les connaissements [L.R.C. (1985), ch. B-5]. L’article I des Règles [définition de « contrat de transport »] prévoit qu’elles ne s’appliquent qu’au « contrat de transport constaté par un connaissement ou par tout document similaire formant titre ». Selon les modalités qui y sont prévues, le connaissement peut constituer un effet de commerce négociable. Le fait que le transporteur, ou ses agents, livre la cargaison au détenteur du connaissement est un aspect fondamental du contrat de transport constaté par un connaissement. Ces aspects du connaissement ne sont pas pertinents en l’espèce.
[14] Le connaissement à bord sert d’accusé de réception des marchandises et atteste qu’elles sont effectivement à bord du navire. Le connaissement fait également mention de l’état apparent des marchandises. Il est invariablement délivré après l’embarquement et la conclusion du contrat de transport. Par conséquent, lorsqu’il est en possession de la partie qui a conclu le contrat de transport avec le transporteur, il peut ou non faire foi des modalités de transport. En l’espèce, le connaissement ne constitue qu’une partie du contrat global. Dans le cas où le connaissement fait l’objet d’une consignation ou d’un endossement, l’article 2 de la Loi sur les connaissements prévoit que le consignataire et l’endossataire « entrent en possession et sont saisis des mêmes droits d’action et assujettis aux mêmes obligations à l’égard de cette marchandise que si les conventions contenues dans le connaissement avaient été arrêtées avec ce consignataire ou cet endossataire ». Dans un tel cas, le connaissement tient lieu de contrat. Comme il n’y a ni tiers consignataire ni tiers endos- sataire, le connaissement, qui n’a jamais été délivré, n’aurait pas réellement constitué un document formant titre. Néanmoins, ces éléments sont importants afin de déterminer si le contrat de transport global exigeait que le chargeur souscrive une assurance au bénéfice du transporteur et, le cas échéant, si cette exigence est contraire aux Règles. Certes, cette exigence ne figure pas dans le formulaire de connaissement type du transporteur, mais elle pourrait se trouver dans une autre partie du contrat global.
[15] En ce qui concerne l’allégation des défendeurs voulant que Timberwest soit liée au contrat de transport en tant que commettant non déclaré, rappelons la définition donnée par le professeur Fridman dans son ouvrage The Law of Agency, 7e éd. (Toronto : Butterworths, 1996), à la page 11 :
[traduction] Le mandat est le rapport qui existe entre deux personnes dont l’une, l’agent, est en droit considérée comme la représentante de l’autre, le commettant, si bien que cet agent peut, par la conclusion de contrats ou l’aliénation de biens, influer sur la situation juridique du commettant à l’égard de tierces parties.
[16] Enfin, si le droit de subrogation d’un assureur existe de plein droit, il est bien sûr possible d’y renoncer par contrat. Le paragraphe 81(1) de la Loi sur l’assurance maritime prévoit que : « [l]’assureur qui règle la perte [. . .] acquiert l’intérêt de l’assuré dans tout ou partie de la chose et est subrogé dans tous les droits et recours de l’assuré relatifs à tout ou partie de celle-ci à compter du moment où est survenu le sinistre qui a causé la perte ».
LA PREUVE
[17] La preuve est constituée d’un grand nombre de faits et de documents non contestés, ainsi que des témoignages présentés pendant le procès ou sous forme de transcriptions d’interrogatoires préalables, ou les deux.
[18] Timberwest a fait entendre son courtier d’assurance maritime, Robert Sikorski, de Marsh Canada Ltd., et le souscripteur de St. Paul au moment de la perte, Patricia Wyka. Timberwest a lu des passages de la transcription des interrogatoires préalables auxquels ont participé Peter Brown, qui était le représentant des trois sociétés défenderesses, le capitaine Hemeon et M. Sinclair. Cette lecture visait principalement à établir que l’employeur du capitaine Hemeon était Union Tug et que l’employeur de MM. Sinclair et McLean était Great Northern. Les défendeurs ont fait entendre Michael Holmes, le gestionnaire de Timberwest en matière du commerce de billes de bois, qui avait été leur représentant lors de l’interrogatoire préalable, ainsi que le susdit M. Brown. Il y a eu quelques discussions visant à déterminer si M. Holmes devait être auto- matiquement considéré comme un témoin hostile parce qu’il est toujours à l’emploi de Timberwest. En fin de compte, il ne s’est pas révélé hostile du tout. Les défendeurs ont également fait la lecture d’une partie de son interrogatoire préalable, lequel portait sur des questions qui dépassaient le cadre de ses connaissances personnelles.
[19] Compte tenu de ces éléments de preuve, je conclus ce qui suit :
a. de septembre jusqu’au début du mois de novembre 2003, Timberwest, une société de la Colombie-Britannique, a conclu des contrats pour la vente de 11 463,17 mètres cubes de billes de Douglas taxifolié à Harwood, une société établie en Californie;
b. conformément aux conditions de vente, Timberwest conservait le titre de propriété des billes de bois jusqu’à ce qu’elles aient été livrées à Eureka, en Californie, et payées par Harwood;
c. Harwood a pris les dispositions nécessaires pour assurer le transport des billes de bois depuis leur lieu d’entreposage, dans les environs du fleuve Fraser, jusqu’au lieu de chargement; elle s’est occupée de leur chargement et de leur arrimage sur la barge, de leur transport jusqu’à destination, ainsi que de leur déchargement une fois sur place. Harwood a choisi le transporteur, en l’occurrence Pacific Link;
d. le contrat de transport entre Harwood et Pacific Link portait non seulement sur les billes de bois de Timberwest, mais également sur environ 815 mètres cubes de billes de bois appartenant à Harwood, et sur lesquelles Timberwest n’avait aucun droit. Ainsi, Harwood agissait à la fois comme commettant déclaré et agent non déclaré;
e. Pacific Link, une société de la Barbade constituée en vue d’exercer des activités de transport à l’échelle internationale et de tirer avantage des lois fiscales canadiennes, était l’affréteur à temps du remorqueur Sea Commander et de la barge Ocean Oregon, dont les propriétaires sont des sociétés constituées sous le régime des lois de la Colombie-Britannique. Le remorqueur et la barge sont demeurés en possession de leurs propriétaires respectifs (Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 20e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1996), aux pages 59 et suivantes);
f. Pacific Link, Union Tug et Great Northern sont des sociétés liées. Cinquante pour cent des actions de chacune de ces sociétés appartiennent à Peter Brown et l’autre cinquante pour cent est détenu par Ed Jackson. M. Brown est le président de Pacific Link et d’Union Tug tout en étant le secrétaire de Great Northern. M. Jackson est le président de Great Northern et le vice-président et secrétaire d’Union Tug. Il est aussi président de Pacific Link. Ces entités se présentent ensemble sous le nom de Sea Link Group. Ce fait était connu d’Harwood et j’en déduis qu’il était aussi connu de Timberwest. Une déclaration d’exportation pour un des lots chargé et perdu a été rédigée par le courtier en douane de Timberwest. Le transporteur exportateur y est désigné comme étant « Sea Link Marine Services », et les navires comme étant le remorqueur « Sea Commander » et la barge « Ocean Oregon ». Le titre de propriété de ces deux navires canadiens est inscrit au registre public.
g. Harwood a reçu une copie du formulaire de connaissement de Pacific Link avant 2003.
h. les défendeurs à titre individuel ne sont pas des employés de Pacific Link.
CONTRAT DE TRANSPORT
[20] Le contrat de transport pour le voyage en question tire son origine du contrat de vente conclu entre Timberwest et sa cliente, Harwood. Timberwest a commencé à vendre des billes de bois à Harwood à la fin des années 1990. Il s’agissait au départ de ventes franco à bord (FAB) dont la livraison était effectuée aux lieux d’entreposage de Timberwest, dans les environs du fleuve Fraser. Harwood prenait livraison des marchandises sur place, en acquérait le titre et en assumait le risque; elle s’occupait à ses frais du transport depuis l’estacade flottante jusqu’à une barge, puis jusqu’à Eureka, en Californie. Timberwest n’avait aucun intérêt à assurer les cargaisons, le risque étant nul. Or, au printemps 2002, des changements sont survenus. Sur le plan financier, les contrats sont demeurés FAB (livraison aux lieux d’entreposage de Timberwest), c’est-à-dire que, comme avant, Harwood s’occupait à ses frais du transport jusqu’à Eureka. En revanche, Timberwest conservait la propriété et supportait le risque jusqu’au paiement, qui n’était exigible qu’à la livraison. Ainsi, la vente était « rendu ex ship » et Timberwest avait manifestement un intérêt assurable dans la cargaison.
[21] Le contrat de transport a été conclu entre Harwood et Pacific Link le 6 novembre 2003. Comme je l’ai mentionné, une partie de la cargaison transportée appartenait à Harwood, mais la plus grande partie appartenait à Timberwest. Timberwest n’a vu le contrat qu’après la perte. Son nom ne figure pas sur le contrat, et j’admets que Pacific Link ne savait pas qu’elle avait un quelconque droit sur la cargaison.
[22] Le taux de fret mentionné comprenait un certain nombre d’inclusions et d’exclusions. Le tarif excluait expressément l’assurance de la cargaison. Le contrat intégral, y compris les modalités usuelles de remorquage y annexées, ainsi que les conditions figurant au formulaire de connaissement, lesquelles sont incorporées, mais non annexées, seront analysés plus loin dans les présents motifs.
LA POLICE D’ASSURANCE
[23] Timberwest a tout d’abord commencé par conserver le titre et la responsabilité du risque sur les chargements de billes de bois à destination des États-Unis en novembre 2001. Elle voulait assurer ceux-ci, mais ils n’étaient pas couverts par la police que son courtier, Marsh Canada Ltd., avait négociée avec St. Paul et les autres assureurs maritimes. Le premier de ces chargements était destiné à une autre cliente qu’Harwood. Timberwest a conclu un contrat de transport avec Brusco Tug & Barge Inc., une société américaine. Le contrat prévoyait que ni les navires utilisés ni le transporteur ne pourraient être tenus responsables des pertes ou des dommages causés à la cargaison, ou d’un retard dans la livraison, même s’il était attribuable à l’état d’innavigabilité ou à un manque de diligence raisonnable. Une assurance tous risques pour le fret maritime devait être souscrite par Timberwest en tant que chargeur, désigner le trans- porteur comme assuré additionnel, et comporter une clause de renonciation totale à la subrogation.
[24] Plus précisément, la police d’assurance requise devait désigner le transporteur et ses filiales en tant qu’assurés additionnels et comporter une clause de renonciation à la subrogation contre eux, contre tout navire servant à l’exécution du contrat, et contre le capitaine et l’équipage de ce navire.
[25] Le courtier en assurance maritime de Timberwest, Robert Sikorski, de Marsh Canada Ltd., a obtenu une copie du contrat susmentionné et l’a transmise au souscripteur de St. Paul, Chris Wood, à son bureau de Seattle. Dans un courriel à M. Wood, M. Sikorski a écrit ceci : [traduction] « Nous devrons ajouter le transporteur en tant qu’assuré additionnel pour la cargaison et inclure une clause de renonciation et un préavis de trente jours. Je suppose que cela ne devrait poser aucun problème puisqu’il s’agit d’une pratique courante ». St. Paul a donné son accord et, par l’entremise de l’avenant numéro 1, a ajouté comme condition [traduction] « assuré additionnel bénéficiant d’une clause de renonciation à la subrogation; Brusco Tug & Barge Inc. ». Une prime supplémentaire a été exigée.
[26] La première expédition effectuée à la suite d’un contrat de vente conclu entre Timberwest et Harwood, et dans lequel Timberwest conservait le titre et la responsabilité du risque jusqu’au paiement et à la livraison, a eu lieu en avril 2002. Cependant, dans ce cas, comme dans toutes les expéditions précédentes et subséquentes effectuées pour Harwood, c’est Harwood qui a pris les mesures nécessaires afin d’assurer le transport et c’est elle qui en a assumé les frais. M. Sikorski a demandé a Timberwest de lui fournir une copie du contrat de transport et il l’a obtenue par l’entremise de l’agent d’Harwood en Colombie- Britannique, Robeth Holdings Ltd. La preuve démontre qu’à cette occasion, ni à aucune autre occasion, les employés de Timberwest, y compris son trésorier, John Hanbury, qui était également gestionnaire des risques, n’ont porté attention aux modalités du contrat. Ils se sont simplement fiés à Marsh Canada Ltd. pour qu’elle souscrive les assurances nécessaires.
[27] M. Sikorski a reçu une lettre d’entente entre Pacific Link et Harwood, laquelle ressemblait, sans être identique, à la lettre concernant l’expédition de novembre 2003. À cette lettre étaient jointes les mêmes [traduction] « modalités types de remorquage ». Il n’a pas reçu, et n’a pas demandé à recevoir, de copie du formulaire de connaissement. En effet, ce n’est qu’après la perte qu’il a demandé à en avoir une copie.
[28] À cette époque, St. Paul songeait à rédiger les contrats relevant de Vancouver à son bureau de Vancouver, plutôt qu’à son bureau de Seattle. Le souscripteur de Seattle, Chris Wood, conservait la responsabilité des négociations entourant le renouvel- lement de la police annuelle qui prendrait effet le 1er juillet 2002, mais une copie de la correspondance a été transmise au souscripteur de St. Paul à Vancouver, Patricia Wyka, de façon à lui permettre de mieux connaître l’assuré.
[29] M. Sikorski les a tous les deux informés par courriel qu’il avait reçu une copie du contrat concernant le remorqueur et la barge conclu entre Harwood et Pacific Link, et a confirmé que le contrat contenait les clauses habituelles d’exonération de responsabilité [traduction] « à l’égard du transporteur et du chargeur ». Il a offert d’en transmettre une copie par télécopieur, faisant toutefois remarquer que le texte était difficile à lire. M. Sikorski ne se rappelle pas avoir envoyé une copie du contrat à St. Paul. M. Wood ne travaille plus pour St. Paul depuis quelques années et n’a pas témoigné. Cependant, Mme Wyka a examiné le dossier et n’a pu trouver de copie. De plus, elle a affirmé qu’elle n’avait pas demandé personnellement de copie du document en question.
[30] Dans son témoignage, M. Sikorski a affirmé qu’il ne s’était intéressé qu’aux parties de la police qui présentaient des risques pour le client, des risques contre lesquels le client pouvait, et devait, être assuré. Il ne se rappelle avoir lu que les trois premiers paragraphes des modalités figurant dans la section intitulée [traduction] « Contrats de remorquage, d’amarrage, d’entreposage ou de pilotage de navire ». Ils contiennent effectivement un certain nombre de clauses d’exonération des responsabilités et d’indemnisation. Par ailleurs, il a ajouté ne pas avoir lu la clause numéro 6 de la section intitulée « Contrats de transport » et n’avoir jamais demandé ou reçu de copie du formulaire de connais- sement dont il est question dans cette disposition. J’estime que la non-possession d’une copie du connaissement par Timberwest, Marsh et St. Paul aux époques pertinentes constitue une question de fait. D’un point de vue juridique, j’estime qu’ils sont liés de la même manière que s’ils en avaient eu une.
[31] L’exportation de marchandises devenait une activité commerciale régulière de Timberwest et ne pouvait plus être considérée comme une « opération ponctuelle »; c’est pourquoi à compter de l’année d’assurance commençant le 1er juillet 2002, et de nouveau le 1er juillet 2003, la protection relative à l’exportation de billes de bois a été expressément intégrée à la section sur le fret maritime de la police d’assurance, qui prévoyait comme condition d’assurance [traduction] « une renonciation à la subrogation contre Brusco Tug and Barge Inc., Pacific Link Ocean Services Corporation ».
[32] La police d’assurance maritime numéro MARO3\2394, en vigueur à compter du 1er juillet 2003 et au moment de la perte, protégeait la défenderesse Timberwest en vertu des conditions générales et d’une annexe. L’annexe comptait quatre parties : la coque et les machines, la responsabilité de premier rang en matière maritime, le fret maritime, et la responsabilité complémentaire en matière maritime. Certains passages des conditions générales, ainsi que la partie sur le fret maritime qui traite de l’exportation des billes de bois sont importants, mais avant tout, nous devons nous poser les questions suivantes :
LES RÈGLES DE LA HAYE-VISBY S’APPLIQUENT- ELLES?
[33] La première question posée par les parties comporte trois volets. La défenderesse est-elle liée par les modalités du contrat conclu entre Pacific Link et Harwood? Si oui, le chargement a-t-il été « constaté » par un connaissement, lui-même assujetti aux Règles de La Haye-Visby? Les parties conviennent que Timberwest, et par son entremise, St. Paul, sont liées par le contrat d’Harwood. Pacific Link affirme qu’il en est ainsi parce que Timberwest était le commettant non-déclaré d’Harwood quant à la partie du chargement qui appartenait à Timberwest. Timberwest préférerait ne pas prendre position à cette étape du procès sur la raison précise pour laquelle elle est liée. Elle tient à être liée parce que les Règles de La Haye-Visby prévoient qu’une clause cédant le bénéfice de l’assurance au transporteur est nulle et non avenue. Par ailleurs, une telle clause a force exécutoire en common law à condition que les questions relatives au lien contractuel et aux tiers bénéficiaires soient résolues. Timberwest se heurte à deux arrêts récents de la Cour suprême qui, à première vue, ne semblent pas étayer sa thèse (London Drugs, précité; et Fraser River, précité).
[34] Pacific Link a raison de qualifier Timberwest de commettant non déclaré d’Harwood. Je ne peux que rappeler la définition de « mandat » donnée par le professeur Fridman, et citée ci-dessus, et renvoyer à la décision Pyrene Co. Ld. v. Scindia Navigation Co. Ld., [1954] 2 Q.B. 402. La réalité commerciale veut que Timberwest soit un commettant non-déclaré et soit liée au contrat conclu entre Pacific Link et Harwood. La décision Pyrene consacre le principe selon lequel un vendeur d’une cargaison FAB, endommagée par le transporteur avant le transfert du titre de propriété, est assujetti au contrat de transport en tant que commettant non déclaré. Cette décision permet également d’affirmer qu’un chargement est constaté par un connaissement s’il était prévu qu’il en soit délivré un, même s’il n’a jamais réellement été délivré. Voir également Anticosti Shipping Co. v. St-Amand, [1959] R.C.S. 372.
[35] Les parties ne s’entendent pas quant à la question de savoir si le connaissement est assujetti aux Règles de La Haye-Visby. Celles-ci peuvent être incorporées par contrat ou avoir été imposées aux parties de plein droit. L’incorporation par contrat ne serait pas à l’avantage de Timberwest. Bien que le contrat indique clairement que Pacific Link voulait se prévaloir de tous les avantages des Règles de La Haye-Visby ou de la COGSA des États-Unis [Carriage of Goods by Sea Act, 46 U.S.C. App. § 1300 (2006)], version modifiée de l’ancienne version des Règles de La Haye [Convention inter- nationale pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement et Protocole de signature, Bruxelles, 25 août 1924], il stipule expressément qu’elle n’acceptait aucune des responsabilités imposées à l’égard des cargaisons transportées sur le pont. La Cour doit donc décider si les Règles de La Haye-Visby s’appliquent de plein droit.
[36] Il est bien établi que toutes les billes de bois étaient transportées sur le pont au cours de l’expédition en cause, ainsi qu’au cours des expéditions précédentes. En effet, il a été admis qu’il n’existait aucune autre façon de transporter des billes de bois sur l’Ocean Oregon. Timberwest doit démontrer que le contrat prévoyait la délivrance d’un connaissement. La première partie, la lettre de garantie, est muette à ce sujet, sauf qu’elle inclut ce qu’elle nomme dans une partie [traduction] les « Modalités annexées » et dans une autre, [traduction] « sous réserve des modalités habituelles de remorquage de Pacific Link telles qu’annexées ». Il ne suffit pas qu’Harwood et Timberwest aient su que la cargaison serait transportée en pontée, ou qu’ils y aient consenti. Il faut également que le connaissement le prévoie pour exclure l’application des Règles de La Haye-Visby. Timberwest soutient que le contrat était suffisamment clair pour introduire la notion de la délivrance d’un connaissement, mais il ne l’était pas assez pour exclure l’application des Règles au moyen d’un connaissement délivré pour des marchandises en pontée. Cela laisse croire que plusieurs des clauses d’exclusion et de limitation de responsabilité sont si contradictoires qu’il est impossible d’affirmer avec précision sur quelle base la cargaison a été transportée. C’est un argument qu’il convient de réserver pour l’étape du procès qui portera sur la responsabilité. Je limite mon interprétation du contrat aux questions qui ont été soulevées devant moi, étant donné qu’aucun élément de preuve n’a été produit quant aux circonstances de la perte.
[37] Le document annexé à la lettre d’entente est intitulé [traduction] « Modalités (en vigueur à compter de février 2002) Contrat assujetti aux conditions suivantes » et comporte trois sous-titres. Le premier, [traduction] « Contrats pour le remorquage, l’amarrage, l’entreposage ou la manoeuvre des navires », com- prend les cinq premiers paragraphes. Le deuxième, [traduction] « Contrats de transport », comprend le paragraphe 6, et le troisième, qui comprend le paragraphe 7, traite de questions environnementales.
[38] M. Sikorski n’a lu que les premières clauses de la section traitant du remorquage, de l’amarrage, de l’entreposage et de la manoeuvre des navires. Cette partie fait référence aux contrats d’entreprise, dispose que ni Pacific Link ni ses employés, agents ou sous-traitants ne sont responsables des pertes, qu’elle qu’en soit la cause, même de celles attribuables à la négligence ou à une faute lourde, et contient une clause d’indemnisation, mais seule la clause 6, sous la rubrique [traduction] « Contrats de transport », traite des connaissements. Timberwest ne peut prétendre qu’un connaissement aurait été délivré sans invoquer la clause 6, dont la première partie est ainsi libellée :
[traduction] Tous les contrats de transport sont régis par les modalités contenues dans le formulaire-type de connaissement utilisé par Pacific Link Ocean Services Corp., tel que modifié de temps à autre, et s’appliquent peu importe qu’un connaissement ait été délivré à l’égard de marchandises en particulier. Lorsqu’aucun connaissement n’a été délivré, le client convient que la délivrance du connaissement est prévue par le contrat de transport. Le connaissement est conforme à la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001 ch.6, ou le cas échéant, à la Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis, 46 U.S.C. 1300, et seq. Il est possible de se procurer une copie du connaissement-type par l’entremise des bureaux de Pacific Link Ocean Services Corp. ou par télécopieur au 604-522-5197. Le connaissement comporte des dispositions qui limitent ou excluent la responsabilité de Pacific Link Oceans Services Corp. [. . .]
[39] Le connaissement prévoit, entre autres, en caractères gras au recto :
[traduction] TOUTES LES MARCHANDISES SONT TRANSPORTÉES EN PONTÉE AU RISQUE DU CHARGEUR
(voir clause 9 au verso ou en annexe)
[40] La clause 9, intitulée [traduction] « Cargaison en pontée », prévoit que [traduction] « à moins que le présent connaissement ne fasse expressément mention du contraire, toutes les marchandises sont transportées en pontée ». Dans son témoignage, M. Brown a affirmé que l’Ocean Oregon ne pouvait transporter en cale que du fret liquide dans des réservoirs.
[41] Ainsi, Timberwest ne peut s’appuyer sur le contrat pour faire valoir que le chargement était constaté par un connaissement sans reconnaître par la même occasion que le connaissement aurait été délivré pour une cargaison en pontée. Elle laisse entendre, et elle a raison, que si l’on retirait la mention « cargaison en pontée », les Règles de La Haye-Visby s’appliqueraient de plein droit, et ce, même si les marchandises étaient transportées sur le pont. Cependant, la clause 9 prévoit que la cargaison est transportée en pontée à moins qu’il ne soit expressément fait mention du contraire. Une mention expresse selon laquelle la cargaison a été transportée dans la cale constituerait une fraude envers l’acheteur innocent qui pourrait vouloir se porter acquéreur du connaissement, puisqu’il s’agit d’un titre négociable. Supprimer la mention « transportée en pontée » au recto du connaissement reviendrait à modifier un contrat déjà conclu, modification à laquelle, dans les circonstances, les parties n’ont manifestement pas consenti.
[42] Par conséquent, je conclus sans difficulté que la clause de renonciation à la subrogation n’est pas nulle, non avenue et sans effet par l’application des Règles de La Haye-Visby. Pacific Link fait valoir que, dans tous les cas, une telle renonciation ne constitue pas un bénéfice de l’assurance. Mis à part le fait que Pacific Link est également un assuré additionnel, comme je l’expliquerai plus loin, je ne peux souscrire à cet argument, tiré de l’arrêt Fluor Western, Inc. v. G & H Offshore Towing Co. Inc., 447 F.2d 35 (5th Cir. 1971) de la United States Court of Appeals, Fifth Circuit. Cette affaire portait sur la perte d’une cargaison qui n’était pas assujettie à la COGSA ou à la Harter Act [46 U.S.C. App. § 190 (2006)] des États-Unis. Par conséquent, elle ne permet pas de conclure qu’une clause de renonciation à la subrogation n’est pas invalidée par les Règles de La Haye-Visby. Elle permet par contre de conclure que la renonciation est valide si les assureurs maritimes renoncent à leur droit de subrogation, non pas par contrat de transport, mais uniquement par un accord indépendant conclu ultérieurement avec le propriétaire de la cargaison. Comme je suis arrivé à cette conclusion par un raisonnement différent, j’estime qu’il vaut mieux ne pas prendre cet élément en considération. Que serait-il arrivé si, par exemple, Timberwest avait endossé le connaissement en faveur d’un tiers innocent contre valeur sur une base FAB plutôt que sur une base CAF [coût, assurance et fret]? Dans ce cas, le certificat d’assurance n’aurait pas été endossé en faveur de l’acheteur parce que ce dernier aurait plutôt contracté sa propre assurance, qui n’aurait sans doute pas comporté de clause de renonciation à la subrogation.
[43] De plus, Pacific Link soutient qu’elle n’a pas du tout le statut de tiers bénéficiaire. Elle fait valoir que le contrat de transport exigeait que le chargeur souscrive une assurance en sa faveur. Elle s’appuie sur des décisions comme celle rendue par la Cour d’appel de l’Ontario dans St. Lawrence Cement Inc. v. Wakeham & Sons Ltd. (1995), 26 O.R. (3d) 321. Dans cette affaire, une barge s’est échouée à cause de la négligence du pilote du remorqueur. Le propriétaire de la barge avait contracté une assurance pour la barge et la cargaison, laquelle incluait une protection contre la négligence du pilote du remorqueur. Le contrat du remorqueur prévoyait que le propriétaire de la barge serait [traduction] « responsable de l’assurance de la barge et de sa cargaison ». Dans ce contexte, la Cour d’appel de l’Ontario a estimé qu’il convenait de conclure que les parties voulaient que le pilote du remorqueur soit un coassuré.
[44] En l’espèce, le contrat d’assurance mentionne seulement : « Le tarif n’inclut pas [. . .] l’assurance pour la cargaison. » Ces mots signifient exactement ce qu’ils sous-entendent. Dans son témoignage, M. Brown, le président de Pacific Link, a affirmé qu’il arrivait que certains clients ne désiraient pas utiliser leur propre assurance; c’est pourquoi Pacific Link, par courtoisie, s’occupait de souscrire une assurance en tant que mandataire et facturait les coûts séparément. Comme je l’ai dit, Pacific Link ne savait pas que Timberwest avait un droit sur la cargaison et l’avait désignée dans sa police d’assurance maritime.
[45] La lettre d’entente conclue entre Pacific Link et Harwood pour l’expédition du mois d’avril 2002 est un peu plus ambiguë. Il y est mentionné ce qui suit :
[traduction] Le tarif n’inclut pas :
- l’assurance pour la cargaison, excepté ce qui suit : les frais associés à l’assurance et à la franchise seront séparés également entre Harwood et Pacific Link si Harwood ne peut assurer la cargaison selon les modalités initiales prévues à la lettre de garantie du 28 décembre 2001.
[46] Cependant, la lettre de décembre 2001 n’a pas été soumise en preuve. La preuve démontre plutôt qu’Harwood est parvenue à souscrire une assurance. Cette police ne figure pas parmi les éléments de preuve, et je ne suis pas disposé à conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’Harwood (de son propre chef ou en tant que mandataire de Timberwest) ait vraiment accepté de souscrire une assurance au bénéfice de Pacific Link.
[47] Cependant, dans le cas où j’aurais mal interprété le contrat de transport, à savoir que la mention selon laquelle le tarif n’incluait pas l’assurance était en vérité une exigence voulant que l’expéditeur souscrive une police d’assurance au bénéfice du transporteur, et si le connaissement n’avait pas indiqué que la cargaison était transportée en pontée, alors, même si le connaissement n’avait pas été cédé à un tiers sans préavis, la clause de renonciation serait invalide (St-Siméon Navigation Inc. c. Couturier, [1974] R.C.S. 1176).
[48] Comme il n’existe aucune jurisprudence canadienne sur ce point (en fait, l’avocat n’a trouvé aucune jurisprudence d’ailleurs non plus), j’estime que cette question mérite d’être commentée. Dans l’ouvrage de Strathy (maintenant juge) et Moore, The Law and Practice of Marine Insurance in Canada (Markham : LexisNexis Butterworths, 2003), aux pages 202 et 250, les auteurs expriment l’opinion qu’une clause cédant le bénéfice de l’assurance est invalide parce qu’elle contrevient aux Règles de La Haye-Visby. En effet, c’est pour cette raison précise que les défendeurs soutiennent que le chargement n’était pas assujetti aux Règles. Dans Carver on Bills of Lading, 2e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 2005), les auteurs affirment simplement, à la page 602, paragraphe 9-201, que la clause cédant le bénéfice de l’assurance ne vise pas seulement les clauses qui permettraient au transporteur de bénéficier de l’assurance du propriétaire de la cargaison, mais également les exceptions applicables aux pertes pouvant être couvertes par l’assurance et les clauses qui exonéreraient les transporteurs de toute responsabilité en cas de pertes remboursées par les assureurs de la cargaison. Dans Scrutton, susmentionné, à la page 441, il est écrit qu’une clause cédant le bénéfice de l’assurance est une clause qui permet au propriétaire d’un navire de bénéficier de toute assurance souscrite par le propriétaire des marchandises. Ces trois auteurs éminents ne citent aucune décision portant précisément sur cette question. Cependant, je souscris à leur raisonnement. En effet, il y a lieu de croire que la proposition va de soi.
LES DÉFENDEURS BÉNÉFICIENT-ILS DE LA POLICE D’ASSURANCE?
[49] Les questions soumises conjointement par les parties laissent entendre que si le procès atteignait la présente étape, il s’agirait seulement de déterminer si les défendeurs, autres que Pacific Link, bénéficient de la police d’assurance de Timberwest; or, les circonstances sont telles que la question s’applique également à Pacific Link.
[50] Pacific Link a été nommément désignée dans la police de St. Paul et bénéficie donc de la renonciation à la subrogation figurant dans la partie de la section 3 de la police qui porte sur l’exportation des billes de bois. Timberwest, par l’intermédiaire de son courtier, M. Sikorski, a expressément demandé à ce que cette clause de renonciation figure dans la police. Lorsque la perte est survenue, Pacific Link offrait précisément les services qui étaient décrits dans le contrat de transport. Ainsi, elle est manifestement un tiers bénéficiaire et elle peut de plein droit se prévaloir de la clause de renonciation à la subrogation, conformément aux arrêts London Drugs et Fraser River, et ce, même si elle n’avait pas exigé l’inclusion de cette clause à Timberwest et qu’elle ne savait rien de la police d’assurance avant que ne survienne la perte. Dans Fraser River, la bénéficiaire, Can-Dive, ignorait également l’existence de la police d’assurance. De plus, elle n’appartenait qu’à une catégorie générale, celle des « affréteurs ». En l’espèce, Pacific Link a été nom- mément désignée. Cependant, il reste à décider si les autres défendeurs ont également le droit de bénéficier de la police de Timberwest.
[51] Je me pencherai d’abord sur le cas des défendeurs à titre individuel : le capitaine Hemeon, MM. Sinclair et McLean. Il a été décidé dans London Drugs qu’une clause limitative de responsabilité en faveur de la défenderesse, Kuehne & Nagel, en tant qu’« entreposeur » s’étendait implicitement à ses employés puisqu’elle devait nécessairement faire appel à eux pour entreposer les marchandises. En effet, les contrats de dépôt, soit d’entreposage ou de transport, supposent la participation de personnes en chair et en os. Comme l’a dit il y a longtemps le vicomte Haldane dans Lennard’s Carrying Co., Ltd. v. Asiatic Petroleum Co., Ltd., [1915] A.C. 705 (H.L.), à la page 713: [traduction] « une compagnie est une abstraction. Dénuée de corps et d’esprit ». La disposition du contrat de transport stipulant que Pacific Link fournirait les opérateurs de grue signifiait simplement que, entre elle et ses clients, Pacific Link assumait la responsabilité des travaux nécessitant l’utilisation de grues. Ce qui ne veut pas dire que les opérateurs de grue, même s’ils travaillaient sous son autorité, étaient ses employés. La preuve démontre clairement que les défendeurs à titre individuel étaient des employés des propriétaires du remorqueur et de la barge. Ces derniers étaient des sociétés canadiennes et il était important, pour des questions d’indemnisation en matière d’accidents de travail et d’assurance-emploi, qu’ils travaillent pour des sociétés canadiennes. Aux fins de l’impôt canadien, Pacific Link était une société de la Barbade dont les activités sont internationales. Bien que les trois sociétés défenderesses soient liées, je ne suis pas disposé à percer le voile corporatif, encore moins à le déchirer. Des raisons commerciales valables justifiaient MM. Brown et Jackson d’exploiter plusieurs sociétés distinctes.
[52] Ainsi, selon une interprétation stricte de l’arrêt London Drugs, ni les défendeurs à titre individuel ni les autres sociétés défenderesses ne sont des employés. Cependant, comme la Cour suprême l’a subséquemment fait remarquer dans Fraser River, l’arrêt London Drugs ne visait pas à ce que seuls les employés bénéficient de l’assouplissement de la règle relative au tiers bénéficiaire. Dans Fraser River, le tiers bénéficiaire, Can-Dive, n’avait pas de lien de dépendance avec le demandeur. Cependant, il convient de noter que les employés ou les entrepreneurs indépendants auxquels Can-Dive peut avoir fait appel pour exécuter le contrat n’ont pas été poursuivis, contrairement à la situation en l’espèce.
[53] Les arrêts London Drugs et Fraser River doivent être analysés à la lumière de leur grand précurseur, ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S.752 (Buenos Aires Maru). Cet arrêt a sanctionné la clause Himalaya. Dans Adler v. Dickson and Another, [1954] 2 Lloyd’s Rep 267 (C.A.) (l’affaire Himalaya), Mme Adler, passagère du navire à vapeur Himalaya, s’est blessée en montant à bord. Les conditions inscrites sur son billet semblaient exonérer le transporteur de toute responsabilité. Elle a donc poursuivi le capitaine et le maître d’équipage pour négligence personnelle. Lord Denning a conclu que la loi permettait au transporteur de prévoir des exonérations de responsabilité non seulement à son égard, mais également à l’égard des personnes engagées pour l’exécution du contrat, et que cela pouvait être fait par déduction nécessaire ou par disposition expresse. Or, dans cette affaire, le transporteur n’avait pas eu l’intention de stipuler au bénéfice des personnes ayant réellement participé à l’exécution du contrat, de sorte que le capitaine et le maître d’équipage ne pouvaient pas se prévaloir des exceptions inscrites sur le billet de la passagère.
[54] Depuis, les bénéfices ont été successivement étendus aux employés, préposés, agents et sous-traitants grâce à la clause Himalaya. La clause 14 du con- naissement est une version abrégée de cette dernière. Elle est libellée comme suit :
[traduction] Les employés, agents et entrepreneurs indépendants du transporteur, ainsi que les propriétaires, exploitants, armateurs, affréteurs, capitaines, officiers et membres d’équipage de tout autre navire qui est la propriété d’une société liée ou non, ou dont une telle société assure l’exploitation, les manutentionnaires, débardeurs et toute autre personne employée par le transporteur pour l’exécution de ses travaux ou services sont bénéficiaires du présent connaissement et ont droit à tout moyen de défense, exemption et immunité découlant de l’exonération de responsabilité accordée au transporteur par le présent connaissement et, dans la mesure des présentes dispositions, le transporteur conclut le présent contrat non seulement en son propre nom, mais également en qualité de mandataire et de fiduciaire de chacune des personnes et des sociétés décrites aux présentes, chacune d’elles étant réputée être partie au contrat constaté par le présent connaissement.
[55] Cette approche fondée sur le mandat fait que tous les défendeurs sont parties au contrat constaté par connaissement de Pacific Link. Les questions du lien contractuel et du tiers bénéficiaire sont par conséquent réglées, bien que de manière un peu artificielle. London Drugs portait sur l’extension implicite des bénéfices, et non sur leur extension par le libellé explicite de la clause Himalaya.
[56] Timberwest soutient vigoureusement que plusieurs clauses du contrat de transport sont con- tradictoires. Cependant, il est préférable de traiter de cet argument à l’étape du procès qui portera sur la responsabilité. Je n’en parle que pour déterminer si la mention de Pacific Link dans la police d’assurance se limite à Pacific Link, ou si elle s’étend aux codéfendeurs en leur qualité de propriétaires, capitaine, officiers, membres d’équipage et manutentionnaires ayant participé au transport de la cargaison.
[57] Deux arguments sont soulevés afin d’expliquer pourquoi les défendeurs, autres que Pacific Link, bénéficient de l’assurance de Timberwest. Comme je l’ai mentionné, le premier est que le libellé suivant de la section 3 D [traduction] « Exportation des billes de bois », s’applique à eux par déduction nécessaire :
[traduction] Incluant la clause de renonciation à la subrogation contre :
-Brusco Tug & Barge Inc.
-Pacific Link Ocean Services Corporation
Le deuxième veut que ces défendeurs soient des assurés additionnels et bénéficient d’une clause de renonciation à la subrogation en vertu des clauses 6 et 19 des « Conditions générales ».
[58] En ce qui concerne le premier argument, qui n’a pas été soulevé devant la Cour suprême dans Fraser River, précisons que, pour mieux comprendre la clause Himalaya, le terme « transporteur » a été défini dans le connaissement comme désignant tous les défendeurs par catégories. [traduction] « Le terme “transporteur” désigne le navire, son propriétaire, l’exploitant, l’armateur, l’affréteur, le capitaine, les officiers, l’équipage, les manutentionnaires et toute personne visée par le transport des marchandises ».
[59] Voici un extrait de la correspondance échangée entre le courtier et les assureurs maritimes :
[traduction]
- Sikorski : « Le contrat comprend les clauses habituelles d’exonération de responsabilité à l’égard du transporteur et du chargeur »;
- Wood : « Le remorqueur demande qu’une clause d’exonération de responsabilité figure dans le contrat de remorquage »;
- Wood : « Nous pensons que tant et aussi longtemps que le transporteur n’acceptera aucune responsabilité pour le remorquage des billes de bois, les assureurs maritimes auront besoin de protections indépendantes garantissant que le remorqueur sera piloté convenablement ».
[60] Après la perte, les assureurs maritimes ont d’abord cru que le transporteur n’avait pas accepté la responsabilité. Lorsqu’ils ont compris que Pacific Link n’avait pas demandé expressément à être désignée dans la police de Timberwest, qui comportait une clause de renonciation à la subrogation, Marsh Canada Inc. a préparé un avenant consécutif à la perte annulant cette disposition. Le premier avenant transmis à St. Paul comportait, par erreur, une date antérieure à la perte. D’où le courriel suivant écrit par Mme Wyka à M. Sikorski :
[traduction] Comme vous le savez, nous avons subi une perte importante sans pouvoir bénéficier d’un droit à la subrogation contre le remorqueur parce que c’est ce que stipulait la police que nous avons souscrite. Maintenant, l’avenant que vous m’envoyez signifie-t-il que vous êtes désolé, mais qu’en fin de compte le remorqueur n’était pas visé par la renonciation?
[61] Il appert que les mots « transporteur » et « remorqueur » étaient utilisés de manière inter- changeable. Le but recherché par Marsh Canada Inc., pour le compte de Timberwest, et St. Paul était que St. Paul renonce à la subrogation contre le transporteur. Si St. Paul, agissant à la place de Timberwest, pouvait poursuivre les autres, ou à tout le moins le propriétaire de la barge, Great Northern, en tant que transporteur, la clause de renonciation n’avait alors que peu de valeur, voire aucune.
[62] Le « transporteur » est défini dans les Règles de La Haye-Visby comme comprenant le propriétaire ou l’affréteur qui délivre un connaissement. En l’espèce, le connaissement aurait été délivré par Pacific Link, l’affréteur. En l’absence d’une disposition à l’effet contraire, on présume que Pacific Link, et seulement elle, était le transporteur. Cependant, rien n’empêche le propriétaire et l’affréteur de s’entendre pour agir comme transporteur. Les décisions Union Carbide Corp. c. Fednav Ltd., [1997] A.C.F. no 655 (1re inst.) (QL), et Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (C.A.), ne permettent pas d’affirmer qu’il ne peut y avoir plus d’un transporteur. Ces décisions portaient sur l’« identité du transporteur » ou la « clause de dévolution », alors qu’un connaissement des affréteurs désignait le propriétaire, ou l’affréteur d’un navire affrété coque-nue, en tant que transporteur.
[63] Il est important de se rappeler que le libellé de la clause de renonciation en faveur de Pacific Link est le même que celui de la clause de renonciation en faveur de Brusco Tug et Barge Inc. Brusco a expressément demandé à ce qu’elle, ses navires, ses entrepreneurs et les personnes employées pour l’exécution du contrat bénéficient de l’assurance. Si le bénéfice ne s’étendait qu’à Brusco, Timberwest contreviendrait alors au contrat, et si, dans le cas d’une perte, St. Paul faisait valoir ses droits subrogés, les employés et les sous-traitants de Brusco pourraient lui opposer une demande d’indemnisation valide.
[64] Je conclus donc que le fait [traduction] « d’inclure la clause de renonciation à la subrogation contre Pacific Link Ocean Services Corporation » visait à protéger tous ceux qui étaient parties au contrat de transport. Il s’ensuit qu’en vertu de la clause 6 des « Conditions générales », tous les défendeurs étaient des assurés additionnels et bénéficiaient de la clause de renonciation à la subrogation. La clause 6 prévoyait que, outre les assurés nommément désignés, la police protégeait également :
[traduction]
d. Les autres entités désignées dans les sections de la présente police d’assurance et ses avenants.
[. . .]
Il est généralement accepté que les assureurs maritimes renoncent à leurs droits de subrogation contre les assurés additionnels.
[65] Je ne pense pas que la clause 19, qui traite aussi de la subrogation, aide les défendeurs. Elle vise essentiellement à ce que l’acceptation par Timberwest de connaissements à responsabilité limitée ne porte pas atteinte à la protection, et à ce que les assureurs maritimes ne soient subrogés dans aucun droit auquel l’assuré a expressément renoncé par écrit avant la perte. Cependant, il ne s’agit que d’une interprétation de l’article 81 de la Loi sur l’assurance maritime. Même sans cette disposition, les assureurs maritimes n’auraient pas plus de droits contre le transporteur que n’en aurait Timberwest. La question de savoir si Timberwest peut poursuivre, c.-à-d. en ce qui touche la franchise, sera abordée à la deuxième étape du procès.
[66] Enfin, il s’agit de savoir si ces bénéfices sont prévus par la jurisprudence existante. Dans la négative, l’extension des bénéfices de l’assurance aux défendeurs, autres que Pacific Link, représenterait-elle une modifica- tion progressive à laquelle un juge pourrait consentir ou constituerait-elle une modification importante qu’il vaudrait mieux laisser au législateur le soin d’apporter? À mon avis, le fait d’accorder le bénéfice de l’assurance aux autres défendeurs ne va pas à l’encontre de l’arrêt Fraser River. Si je fais erreur, j’estime que l’extension des bénéfices à ces défendeurs constituerait une mo- dification progressive acceptable de la common law qui serait, non seulement en accord avec l’arrêt London Drugs, mais également avec des décisions de droit maritime telles que Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Norsk Pacific Steamship Co., [1992] 1 R.C.S. 1021; Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210; et Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437.
[67] Les décisions rendues dans London Drugs et Fraser River permettent d’affirmer qu’un tiers peut bénéficier d’un contrat si les parties audit contrat avaient l’intention d’en étendre les bénéfices et si les activités exercées sont les activités mêmes qu’est censé viser le contrat. Le droit se cristallise lorsque l’événement se produit indépendamment du fait que le bénéficiaire n’ait été mis au courant qu’après les faits. Il n’est pas nécessaire que le bénéficiaire soit un employé, ni même une société liée. On a jugé qu’un entrepreneur indépendant, tel que Can-Dive, était un bénéficiaire.
[68] Au paragraphe 42 de Fraser River, le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit :
Lorsque des parties commerciales averties concluent un contrat d’assurance qui étend expressément l’application d’une clause de renonciation à la subrogation à une catégorie vérifiable de tiers bénéficiaires, toute condition censée limiter l’étendue de cette application ou ses modalités doit être clairement exprimée. La raison d’être de cette exigence est que l’obligation d’inclure des clauses exceptionnelles dans un contrat incombe très logiquement aux parties dont les intentions sont incompatibles avec ce que je présume être la pratique commerciale normale. Sinon, malgré la règle du lien contractuel, les tribunaux feront exécuter le marché conclu par les parties et n’entreprendront pas de récrire les modalités de l’entente.
[69] En matière maritime, les tribunaux ont toujours perçu négativement les efforts que certains déploient pour se soustraire aux clauses d’exonération et de limitation de responsabilité en poursuivant les préposés, les mandataires et les sous-traitants de la partie adverse (Elder Dempster & Co. Ltd. c. Paterson Zochonis & Co. Ltd, [1924] A.C. 522 (H.L.)). Il est conforme à la pratique commerciale, depuis au moins la décision de lord Denning dans l’affaire Himalaya, d’essayer, d’une façon ou d’une autre, de protéger par contrat les employés, les préposés, les agents et les sous-traitants qui exécutent un contrat maritime. Outre la clause Himalaya, le droit maritime s’est également doté des clauses d’abstention de poursuivre et d’indemnité circulaire selon lesquelles le chargeur promet de ne pas poursuivre les sous-traitants et, si quelqu’un d’autre les poursuivait, d’indemniser complètement le transporteur. La validité de ces clauses a été confirmée en Angleterre dans la décision Elbe Maru, The, [1978] 1 Lloyd’s Rep. 206. La clause d’indemnité circulaire a été jugée valide par le juge Chadwick de la Haute Cour de justice de l’Ontario dans Bombardier Inc. c. Canadian Pacific Ltd., [1988] O.J. no 1807 (QL). Sa décision a été variée en appel par (1991), 7 O.R. (3d) 559, de sorte que la Cour d’appel n’a pas eu à se pencher sur la clause.
[70] Plus récemment, le protonotaire Morneau a confirmé la validité de la clause d’abstention de poursuivre dans Ford Aquitaine Industries SAS c. Canmar Pride (Le), 2004 CF 1437. Sa décision a été confirmée en appel, mais le juge Lemieux ne s’est pas penché sur cette question, [2005] 4 F.C.R. 441 (C.F.). Étendre les bénéfices de l’assurance aux sous-traitants par mention expresse, ou du moins par voie de déduction nécessaire, est une pratique bien connue dans l’industrie de la construction (Commonwealth Construction Co. Ltd. c. Imperial Oil Ltd. et autre, [1978] 1 R.C.S. 317).
[71] Cependant, si l’on interprète Fraser River comme n’étendant les bénéfices conférés aux tiers qu’à ceux qui sont directement liés à l’assuré, comme Can-Dive et Pacific Link, et non à ceux dont le lien contractuel est moins immédiat, tel que par l’entremise de la clause Himalaya, il faut alors se demander, comme l’indique l’arrêt Bow Valley Husky, précité, aux paragraphes 93 et suivants, si l’extension des principes existants à l’affaire dont nous sommes saisis est nécessaire pour que le droit suive « l’évolution et le dynamisme de la société ». Dans Bow Valley Husky, l’abolition de la règle de common law relative à la négligence contributive ne devait représenter qu’une modification progressive, mais il ne fait aucun doute qu’elle a des conséquences beaucoup plus importantes que l’extension du bénéfice de l’assurance aux employés, préposés, agents et sous-traitants d’un bénéficiaire désigné.
[72] Au paragraphe 102 de l’arrêt Bow Valley Husky, la juge McLachlin [tel était alors son titre] dit ceci :
Je conclus qu’il s’agit d’un cas où il convient que notre Cour apporte un changement progressif à la common law conformément aux exigences de la justice et de l’équité. La négligence contributive peut réduire l’indemnité, mais elle ne constitue pas une fin de non-recevoir à la réclamation présentée par la demanderesse.
Il en va de même en l’espèce.
[73] Dans Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, [2006] 1 R.C.S. 744, au paragraphe 29, le juge LeBel cite l’arrêt Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888 :
Deuxièmement, les tribunaux doivent tenter de donner effet aux attentes raisonnables des parties tout en se gardant de favoriser l’une d’elles. Essentiellement, « les cours devraient être réticentes à appuyer une interprétation qui permettrait soit à l’assureur de toucher une prime sans risque soit à l’assuré d’obtenir une indemnité que l’on n’a pas pu raisonnablement rechercher ni escompter au moment du contrat » [. . .]
[74] Moyennant contrepartie de valeur par Timberwest, St. Paul a convenu que tous les défendeurs étaient des assurés additionnels et elle a renoncé à exercer ses droits de subrogation contre eux. Ce serait faire fi de la réalité commerciale et des bonnes pratiques en matière d’assurance que de lui permettre de poursuivre ses propres assurés afin de recouvrer des pertes couvertes par la police d’assurance.
[75] Bref, sur la foi des décisions rendues dans Buenos Aires Maru et Fraser River, les défendeurs autres que Pacific Link bénéficient de la clause de renonciation à la subrogation contenue dans la police de Timberwest. Si ces décisions n’assouplissent pas le principe des tiers bénéficiaires de sorte qu’il s’applique à eux, j’estime qu’il convient en l’espèce d’apporter une modification progressive à la loi afin qu’elle corresponde à la réalité commerciale et aux principes de justice et d’équité. Cette modification serait conforme à la réalité selon laquelle les préposés, agents et sous-traitants, si le texte ou les circonstances le permettent, devraient bénéficier des clauses contractuelles prévues à leur égard. De plus, un assureur ne devrait pas avoir le droit de toucher des primes sans risque.
[76] La présente décision réduit le montant des dommages-intérêts d’environ un million de dollars à la franchise de 15 000 $. Il se pourrait bien que les parties ne souhaitent pas poursuivre l’instance au sujet de ce montant. Les dépens pourront être débattus.
JUGEMENT
LA COUR DÉCLARE ce qui suit :
1. Le contrat de transport n’est pas régi par les Règles de La Haye-Visby.
2. La cargaison ne constitue pas des « marchandises » au sens des Règles de La Haye-Visby, puisque toute la cargaison a été transportée en pontée et avait été constatée par un connaissement.
3. La clause de renonciation à la subrogation en faveur de Pacific Link dans la police d’assurance de Timberwest n’est pas devenue nulle, non avenue et sans effet par l’application des Règles de La Haye-Visby, ou par la common law.
4. Les autres défendeurs ont aussi le droit de se prévaloir de la clause de renonciation à l’assurance.