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[2009] 1 R.C.F.                                                            esquega c. canada                                                                                448

A-434-07

2008 CAF 182

Procureur général du Canada (appelant)

c.

Eugene Esquega, Brian King, Gwendoline King, Hugh King Sr., Rita King, Wayne King, Lawrence Shonias et Owen Barry (intimés)

Répertorié : Esquega c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Linden, Noël et Ryer, J.C.A. Toronto, 8 mai; Ottawa, 15 mai 2008.

                Peuples autochtones — Élections — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a annulé dans son ensemble l’art. 75(1) de la Loi sur les Indiens au motif que la restriction relative à la résidence imposée aux candidats au poste de conseiller est inconstitutionnelle parce qu’elle enfreint les droits à l’égalité garantis par l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés — La portée de la réparation est plus vaste que nécessaire — L’annulation de l’art. 75(1) aurait pour effet de supprimer l’obligation pour tout candidat d’être un « électeur » au sens de l’art. 2(1), permettant ainsi aux personnes de moins de 18 ans, non membres de la bande ou par ailleurs inaptes d’être présentées à un poste électif — L’interprétation atténuante serait préférable parce qu’elle permettrait de présenter des non-résidents à un poste électif conformément à la Charte, tout en maintenant la définition du terme « électeur », qui est importante pour le fonctionnement du système — Appel accueilli.

                Droit constitutionnel — Recours — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a annulé l’art. 75(1) de la Loi sur les Indiens au motif que la restriction relative à la résidence imposée aux candidats au poste de conseiller est inconstitutionnelle parce qu’elle enfreint les droits à l’égalité garantis par l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés — L’interprétation atténuante, qui consiste à donner à une loi une interprétation étroite afin d’éviter les difficultés constitutionnelles qu’en causerait une interprétation large, a plutôt été adoptée.

                lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) « électeur » (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 1), 75(1).

                jurisprudence citée

décisions citées :

Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458; R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120; 2000 CSC 69; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; 2002 CSC 75.

              doctrine citée

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada. 4e éd. (feuilles mobiles). Toronto : Carswell, 1997.

                APPEL de la décision ([2008] 1 R.C.F. 795; 2007 CF 878) par laquelle la Cour fédérale a statué que la restriction énoncée au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens selon laquelle des membres non-résidents d’une bande ne peuvent être présentés au poste de conseiller de la bande était inconstitutionnelle parce qu’elle enfreignait l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Appel accueilli.

              ont comparu :

Michael G. Roach pour l’appelant.

Chantelle J. Bryson pour les intimés.

              avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Buset & Partners LLP, Thunder Bay, pour les intimés.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1] Le Juge Linden, J.C.A. : Il s’agit d’un appel de plus soulevant la question des droits politiques des membres non-résidents des bandes indiennes à la suite de l’arrêt Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.

[2] La question en litige dans l’instance qui a donné lieu au présent appel était de savoir si les membres non- résidents de la Première Nation de Gull Bay pouvaient être présentés au poste de conseiller de bande, malgré la disposition de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 qui paraît l’interdire, soit son paragraphe 75(1), libellé comme suit :

                75. (1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande.

[3] Le juge des demandes [[2008] 1 R.C.F. 795 (C.F.)] a conclu à l’inconstitutionnalité de cette restriction, au motif qu’elle enfreint l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. L’appelant ne conteste pas cette décision au fond devant notre Cour, mais base plutôt son appel sur la portée excessive de la réparation constitutionnelle imposée aux parties.

[4] L’avocat de l’appelant soutient en effet que la portée de la réparation prononcée par le juge des demandes, soit l’annulation du paragraphe 75(1) dans son ensemble, dépasse les besoins. Selon lui, il conviendrait plutôt de donner une interprétation atténuante des parties applicables de cette disposition. La mesure de réparation qu’il propose est un jugement qui se formulerait comme suit : 

[traduction] Le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens enfreint l’article 15 de la Charte, n’est pas légitimé par application de l’article premier de celle-ci et est donc invalide, dans la mesure où il interdit aux électeurs ne résidant pas dans la réserve d’être présentés au poste de conseiller.

[5] L’avocate des intimés soutient de son côté qu’il convient de confirmer la réparation prononcée par le juge des demandes, étant donné qu’elle causerait moins de confusion que celle proposée par l’appelant et inciterait le Parlement à adopter une mesure corrective d’ordre législatif qui serait en fin de compte plus complète et plus transparente. Elle a aussi émis des doutes sur la légitimité de soulever la question de la réparation en appel, mais notre Cour ne voit là aucune difficulté (Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458).

[6] À mon avis, la réparation constitutionnelle prononcée par le juge des demandes est de portée inutilement large. Comme son exposé des motifs n’indique pas qu’il ait envisagé la réparation plus limitée et plus mesurée de l’interprétation atténuante, je ne suis guère disposé à faire preuve de retenue à l’égard de sa décision sur la question de la réparation. L’annulation du paragraphe 75(1) aurait pour effet de supprimer l’obligation pour tout candidat d’être un « électeur », selon la définition du paragraphe 2(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch.32, art.1]. Il s’ensuivrait qu’une personne de moins de 18 ans, non-membre de la bande ou par ailleurs inapte pourrait être présentée à un poste électif. À mon sens, la Cour ne peut pas ne pas tenir compte de tels problèmes éventuels.

[7] L’avocate des intimés fait valoir que l’adoption de l’interprétation atténuante comme réparation pourrait entraîner d’autres conséquences défavorables dans le cas des bandes ayant plus d’une « section électorale », puisqu’on risquerait alors de ne pas très bien savoir qui les conseillers de bande non-résidents seraient élus pour représenter. Cependant, on nous dit qu’un tel effet se limiterait à deux bandes, et l’avocate des intimées nous informe de surcroît que ces deux bandes disposent d’une procédure commode pour adapter leur système électoral à cette éventualité. À mon avis, la confusion qu’on craint de voir découler de l’interprétation atténuante des parties pertinentes de la disposition serait bien moindre que les problèmes que pourrait entraîner la réparation prononcée par le juge des demandes.

[8] Je conclus donc qu’il convient de retenir ici l’interprétation atténuante comme réparation. Peter Hogg a défini cette réparation comme suit dans son ouvrage Constitutional Law of Canada (4e éd. feuilles mobiles. Toronto : Carswell, 1997) [au paragraphe 37.1(g)] :

[traduction] [L’interprétation atténuante] est une méthode de modification judiciaire des lois visant à les rendre conformes à la Constitution […] L’interprétation atténuante […] consiste à donner d’une loi une interprétation étroite afin d’éviter les difficultés constitutionnelles qu’en causerait une interprétation large.

[9] Je note en outre que ce mode de réparation a été retenu dans plusieurs cas analogues; voir : R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, à la page 262; Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice), [2000] 2 R.C.S. 1120, au paragraphe 159; et Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 67. Dans la présente espèce, cette formule est préférable parce qu’elle permettrait de présenter des non-résidents à un poste électif conformément à la Charte, tout en maintenant la définition du terme « électeur », qui est importante pour le fonctionnement du système. Je dois signaler que notre Cour, avant d’arriver à cette décision, a aussi envisagé la séparation comme mesure corrective possible, mais qu’elle pense que l’adoption de cette solution risquerait d’entraîner d’autres difficultés.

[10]         Cela étant, je pense que le jugement du juge des demandes devrait être annulé et remplacé par un jugement formulé suivant la proposition de l’avocat de l’appelant citée plus haut au paragraphe 5.

[11]         Pour ce qui concerne la question du sursis à exécution, l’avocat de l’appelant demande qu’il soit prévu un certain délai pour l’organisation des activités nécessaires d’information, de consultation et d’adaptation, de préférence de neuf mois, encore qu’il ait déclaré qu’un sursis de deux mois serait acceptable. L’avocate des intimés tient à ce que le sursis ne dépasse pas deux mois, de manière que les premières mesures préparatoires aux prochaines élections, prévues pour novembre 2008, puissent être prises en fonction de la nouvelle situation déterminée par l’interprétation atténuante. À mon sens, un sursis de deux mois permettra la mise en application intégrale des droits des personnes concernées avant les prochaines élections de leur bande, tout en donnant aux autres bandes un délai suffisant pour faire les adaptations nécessaires en vue de leurs propres élections dont la préparation est déjà en cours ou sur le point de commencer.

[12]         En résumé, la Cour ordonnera :

1) que l’appel soit accueilli;

2) que le jugement du juge des demandes soit annulé et remplacé par le suivant :

Le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens enfreint l’article 15 de la Charte, n’est pas légitimé par application de l’article premier de celle-ci et est donc invalide, dans la mesure où il interdit aux électeurs ne résidant pas dans la réserve d’être présentés au poste de conseiller.

3) qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement pendant deux mois à compter de sa date;

4) que les dépens de l’appel soient adjugés à l’appelant.

                Le Juge Noël, J.C.A.: Je suis d’accord.

                Le Juge Ryer, J.C.A.: Je suis d’accord.

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