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[2009] 1 R.C.f.

assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. canada                                                                                                      

A-591-06

A-17-07

2008 FCA 157

L’Association canadienne des radiodiffuseurs (l’association appelante), Groupe TVA Inc., CTV Television Inc., The Sports Network Inc., 2953285 Inc. (s/n Discovery Channel Canada), Le Réseau des Sports (RDS) Inc., The Comedy Network Inc., 1163031 Ontario Inc. (s/n Outdoor Life Network), Canwest Mediaworks Inc., Société en commandite Global Television Network Québec, Prime TV, General Partnership, CHUM Limited, CHUM Ottawa Inc., CHUM Television Vancouver Inc., et Pulse24 General Partnership (les sociétés appelantes) (appelantes)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

et

Bell ExpressVu Inc., Communications Rogers Câble Inc., Cogeco Câble Canada Inc. et Cogeco Câble Québec Inc., et Shaw Communications Inc., Star Choice Television Networks Inc. et Services Satellites Shaw Inc. (intervenantes)

A-590-06

A-18-07

Vidéotron Ltée, Vidéotron (Régional) Ltée, et CF Cable TV Inc. (les appelantes Vidéotron) (appelantes)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Canada (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Létourneau, Pelletier et Ryer, J.C.A.—Ottawa, 4 et 5 décembre 2007 et 28 avril 2008.

Radiodiffusion — Appels et appels incidents à l’encontre de la décision de la Cour fédérale portant que les droits de licence prévus à l’art. 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion (les droits de licence de la partie II) étaient invalides parce qu’ils constituaient une taxe et que l’art. 11 était ultra vires — La Cour fédérale a mal interprété le critère juridique qui doit s’appliquer pour décider si un prélèvement de l’État est une redevance de nature réglementaire — Les droits de licence de la partie II sont « liés aux » coûts du régime de réglementation, soit le système canadien de radiodiffusion — Les revenus issus des droits de licence de la partie II sont largement inférieurs aux coûts du régime de réglementation — Même si les droits de licence de la partie II n’étaient pas « liés aux » coûts du régime de réglementation, ils lui étaient liés d’une autre manière — L’art. 11 de la Loi sur la radiodiffusion confère au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes un pouvoir suffisant pour fixer des droits de licence en contrepartie du privilège d’exercer des activités dans l’industrie — Les droits de licence de la partie II sont donc une redevance de nature réglementaire, pas une taxe — Appels rejetés; appels incidents accueillis (les juges Létourneau et Pelletier, J.C.A., souscrivant à la décision pour des motifs différents).

Droit constitutionnel — Principes fondamentaux — Taxe ou redevance de nature réglementaire — La Cour fédérale a statué que les droits de licence prévus à l’art. 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion (les droits de licence de la partie II) étaient invalides parce qu’ils constituaient une taxe et que l’art. 11 était ultra vires — La Cour fédérale a mal interprété le critère juridique qui doit s’appliquer pour décider si un prélèvement de l’État est une redevance de nature réglementaire — Lorsque l’objet de réglementation du prélèvement a été établi, la relation nécessaire entre le prélèvement et le régime de réglementation existe même si les revenus produits par la redevance excèdent les coûts du régime de réglementation — L’existence du régime de réglementation a été établie en l’espèce grâce aux quatre indices énumérés dans l’arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority — Le prélèvement est une redevance de nature réglementaire si les revenus sont « liés aux » coûts d’un régime de réglementation, c.-à-d. qu’ils sont approximativement égaux ou inférieurs aux coûts totaux du régime de réglementation — Les revenus produits par les droits de licence de la partie II étaient « liés aux » coûts engagés dans le système canadien de radiodiffusion (le régime de réglementation) — Le juge Létourneau, J.C.A. : il n’était pas nécessaire d’établir de relation raisonnable entre le montant du prélèvement et les coûts du régime de réglementation en l’espèce — Le juge Pelletier, J.C.A. : une somme d’argent payée de plein gré au gouvernement en contrepartie d’un droit commercial ou d’un bien n’est pas une taxe.

Pratique — Frais et dépens — La Cour fédérale a statué que les droits de licence prévus à l’art. 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion étaient invalides parce qu’il constituaient une taxe et que l’art. 11 était ultra vires et elle a octroyé des dépens sur la base avocat-client à l’encontre de la Couronne — Rien dans le dossier ne justifiait cette adjudication de dépens.

Les appels et appels incidents réunis découlaient de la décision dans laquelle la Cour fédérale a déclaré que les droits de licence prévus à l’article 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion (les droits de licence de la partie II) sont une taxe, que l’article 11 est ultra vires et que les droits de licence de la partie II sont invalides. Les deux derniers jugements déclaratoires ont été rendus conformément à un arrêt antérieur (Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Canada, 2006 CAF 208), où la Cour a statué que le pouvoir de réglementation des droits de licence conféré au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes par l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion n’autorise pas le Conseil à imposer une taxe. Le jugement déclaratoire portant que les droits de licence de la partie II sont une taxe a été suspendu pour une période de neuf mois. Cette décision faisait l’objet des appels alors que les jugements déclaratoires relatifs aux droits de licence de la partie II faisaient l’objet des appels incidents.

Arrêt : les appels doivent être rejetés; les appels incidents doivent être accueillis.

Le juge Ryer, J.C.A. : Pour conclure que les droits de licence de la partie II sont une taxe plutôt qu’une redevance de nature réglementaire, la Cour fédérale s’est reportée aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Lawson c. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, Succession Eurig (Re) et Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority. Elle a établi qu’un prélèvement particulier constituera une redevance de nature réglementaire s’il existe un rapport raisonnable entre le montant du prélèvement et le coût du service fourni ou du régime de réglementation qui donne lieu au prélèvement. Ce faisant, elle a mal interprété le critère juridique exposé dans l’arrêt Westbank et confirmé dans l’arrêt 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2008] 1 R.C.S. 131 qui doit s’appliquer pour décider si un prélèvement de l’État est une redevance de nature réglementaire sur le fondement de son rapport avec le régime de réglementation. Dans l’arrêt Westbank, le juge Gonthier a conclu que lorsque les revenus produits par une redevance sont « liés aux » coûts du régime de réglementation, la relation nécessaire entre le prélèvement et le régime de réglementation sera présente. Cette relation existera aussi lorsque la redevance a un objet de réglementation. Il s’ensuit donc que lorsque l’objet de réglementation de la redevance est établi, le rapport nécessaire entre cette redevance et le régime de réglementation correspondant existera même dans le cas où le montant des revenus produits par la redevance excède les coûts du régime de réglementation.

La décision relative à l’existence d’un régime de réglementation est prise en fonction des quatre indices énumérés au paragraphe 44 de l’arrêt Westbank. Les deux premiers — un code de réglementation complet et détaillé et un objet de réglementation visant à influer sur le comportement — étaient manifestement présents en l’espèce. En ce qui a trait au troisième indice — la présence de coûts réels ou estimés liés à la réglementation — les coûts en cause englobaient l’ensemble des coûts liés à la mise en œuvre des objectifs de la politique et des autres prescriptions de la Loi et du Règlement. L’examen de ces trois indices a établi que le système canadien de radio­diffusion constitue un régime de réglementation. Le quatrième indice — la présence d’un rapport entre la réglementation et la personne visée par cette réglementation — était facile à démontrer. L’accès au système canadien de radiodiffusion est limité et les personnes qui y ont accès sont à l’abri, dans une très large mesure, de la concurrence. Les quatre indices étant présents, le système canadien de radiodiffusion constituait le régime de réglementation pertinent.

Selon l’arrêt Westbank, un prélèvement est une redevance de nature réglementaire si les revenus produits par l’imposition du prélèvement sont « liés aux » coûts du régime de réglementation identifié. Les revenus issus d’un prélèvement peuvent être considérés comme « liés aux » coûts d’un régime de réglementation identifié dans le cas où ils sont approximativement égaux ou inférieurs aux coûts totaux du régime de réglementation. Les droits de licence de la partie II étaient « liés aux » coûts engagés dans le système canadien de radiodiffusion puisque le gouvernement a versé à la Société Radio-Canada des crédits d’au-delà de 7 milliards de dollars. Ces crédits sont le coût du système canadien de radiodiffusion. Les recettes issues des droits de licence de la partie II sont largement inférieures aux coûts de cette réglementation et, en conséquence, aux coûts totaux du régime de réglementation qui les produit.

Si cette conclusion est erronée et que les droits de licence de la partie II n’étaient pas « liés aux » coûts du régime de réglementation, ils étaient liés d’une autre manière au régime de réglementation énoncé dans la Loi et le Règlement. L’article 11 de la Loi précise que les droits de licence peuvent être calculés en fonction de certains critères. Cette formulation large confère au Conseil un pouvoir suffisant pour fixer des droits de licence en contrepartie ou à l’égard du privilège ou de l’avantage que reçoit un titulaire de licence du fait de la délivrance de la licence. Les droits de licence de la partie II visent un objet de réglementation en imposant aux titulaires de licences l’obligation d’effectuer des paiements en contrepartie du privilège d’exercer leur activité dans une industrie que le régime de réglementation protège des rigueurs de la concurrence tous azimuts.

Pour ces motifs, les droits de licence de la partie II étaient, de par leur caractère véritable, une redevance de nature réglementaire et non une taxe. Pour ce qui est de l’octroi, par la Cour fédérale, de dépens sur la base avocat-client à l’encontre de la Couronne, cet octroi est exceptionnel et ne s’applique généralement que lorsqu’une partie a eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Qui plus est, les parties devraient avoir la possibilité de se faire entendre sur la question des dépens avant l’adjudication. Aucune observation n’a été formulée quant aux dépens, et rien dans le dossier ne justifiait cette adjudication de dépens sur la base avocat-client.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Lorsqu’il existe un régime de réglementation et un objet de réglementation et qu’une redevance est perçue en contrepartie d’un avantage ou d’un privilège comme en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’établir de relation raisonnable ou de lien entre le montant du prélèvement et les coûts du régime de réglementation.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Il n’y a pas d’atteinte au principe selon lequel il ne peut y avoir de taxation sans représentation (article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867) quand un gouvernement offre aux personnes disposées à en payer le prix un droit commercial ou une licence visant une activité qui ne peut être licitement accomplie que par un titulaire de licence. Nul n’est tenu d’acquérir une licence. Une somme d’argent payée de plein gré au gouvernement en contrepartie d’un droit commercial ou d’un bien n’est pas une taxe.

lois et règlements cités

Loi canadienne sur la radiodiffusion, 1936, S.C. 1936, ch. 24, art. 14(1)a).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 53.

Loi de crédits no2 pour 1997-1998, L.C. 1997, ch. 35.

Loi de crédits no2 pour 1998-99, L.C. 1998, ch. 28.

Loi de crédits no4 pour 1998-1999, L.C. 1998, ch. 40.

Loi de crédits no2 pour 1999-2000, L.C. 1999, ch. 30.

Loi de crédits no2 pour 2000-2001, L.C. 2000, ch. 18.

Loi de crédits no2 pour 2001-2002, L.C. 2001, ch. 24.

Loi de crédits no3 pour 2001-2002, L.C. 2001, ch. 39.

Loi de crédits no2 pour 2002-2003, L.C. 2002, ch. 21.

Loi de crédits no4 pour 2002-2003, L.C. 2003, ch. 3.

Loi de crédits no2 pour 2003-2004, L.C. 2003, ch. 13.

Loi de crédits no3 pour 2003-2004, L.C. 2003, ch. 25.

Loi de crédits no4 pour 2003-2004, L.C. 2004, ch. 5.

Loi de crédits no2 pour 2004-2005, L.C. 2004, ch. 27.

Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233.

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 2(1) « licence », « radiodiffusion », 3(1),(2), 5(1), 9 (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 10(F)), 11, 22 (mod. par L.C. 1995, ch. 1, art. 31).

Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-22.

Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion, DORS/97-144, art. 7, 8, 9, 10, 11.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 400 (mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 R.C.F. 367; 2005 CAF 139; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2008] 1 R.C.S. 131; 2008 CSC 7.

décisions examinées :

Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Canada, 2006 CAF 208; Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357; [1931] 2 D.L.R. 193; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60; infirmant pour d’autres motifs La Presse, Ltée, La Compagnie de Publication c. Procureur général du Canada, [1964] R.C.É. 627; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2007] 2 R.C.F. 446; 2006 CAF 252; Mount Cook National Park Board v. Mount Cook Motels Ltd., [1972] NZLR 481 (C.A.); Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; 2002 CSC 42; Allard Contractors Ltd. c. Coquitlam (District), [1993] 4 R.C.S. 371; Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929; Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405; (2002), 245 R.N.-B. (2e) 299; 2002 CSC 13; Finch c. Canada, 2002 CAF 194.

décision citée :

Genex Communications c. Canada (Procureur général), [2006] 2 R.C.F. 199; 2005 CAF 283.

doctrine citée

Règlement de 1997 sur les droits de licence de radio­diffusion, Avis public CRTC 1997-32, 20 mars 1997.

APPELS et APPELS INCIDENTS interjetés à l’encontre de la décision ([2007] 4 R.C.F. 170; 2006 CF 1482) par laquelle la Cour fédérale a statué que les droits de licence prévus à l’article 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion sont une taxe (appels incidents) et de la décision suspendant ce jugement déclaratoire pendant une période de neuf mois (appels). Appels rejetés; appels incidents accueillis.

ont comparu :

Barbara A. McIsaac, c.r. et Howard Fohr pour les appelantes dans les affaires A-591-06 et A-17-07.

Daniel Jutras et Carl J. Souquet pour les appelantes dans les affaires A-590-06 et A-18-07.

Frederick B. Woyiwada pour l’intimée dans les affaires A-591-06 et A-17-07.

Francisco Couto et Alexander Pless pour l’intimée dans les affaires A-590-06 et A-18-07.

Neil Finkelstein, Catherine M. Beagan Flood et Simon Heeney pour les intervenantes Bell ExpressVu Inc., Communications Rogers Câble Inc., Cogeco Câble Canada Inc. et Cogeco Câble Québec Inc. dans les affaires A-591-06 et A-17-07.

Charles F. Scott et Michael J. Sims pour les intervenantes Shaw Communications Inc., Star Choice Television Networks Inc. et Services Satellites Shaw Inc. dans les affaires A-591-06 et A-17-07.

avocats inscrits au dossier :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l, Ottawa, pour les appelantes dans les affaires A-591-06 et A-17-07.

Borden Ladner Gervais s.r.l., s.e.n.c.r.l., Montréal, pour les appelantes dans les affaires A-590-06 et A-18-07.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée dans les affaires A-591-06, A-17-07, A-590-06 et A-18-07.

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l., Toronto, pour les intervenantes Bell ExpressVu Inc., Communications Rogers Câble Inc., Cogeco Câble Canada Inc. et Cogeco Câble Québec Inc. dans les affaires A-591-06 et A-17-07.

Lax O’Sullivan Scott LLP, Toronto, pour les inter­venantes Shaw Communications Inc., Star Choice Television Networks Inc. et Services Satellites Shaw Inc. dans les affaires A-591-06 et A-17-07.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]  Le juge Ryer, J.C.A. : Par souci de commodité, les présents motifs sont organisés sous les titres suivants :*

[2]  Depuis plus de 70 ans, l’industrie de la radio­diffusion canadienne est assujettie à la réglementation fédérale. Les personnes qui souhaitent y participer ont été tenues, et le sont toujours, d’obtenir des licences de radiodiffusion qui les y autorisent et de payer des droits de licence à l’égard des licences qui leur sont accordées. La base servant à établir les droits de licence de radio­diffusion a évolué au cours des années, d’une manière qui n’est pas toujours à la satisfaction des titulaires de licences.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]  La question centrale des appels incidents interjetés par la Couronne et celle qui sous-tend les appels de l’association appelante, des sociétés appelantes et des appelantes Vidéotron est de savoir si les droits de licence que doivent payer les participants licenciés du système canadien de radiodiffusion, conformément à l’article 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion, DORS/97-144 (le Règlement) (les « droits de licence de la partie II »), sont une taxe. Le juge Shore de la Cour fédérale ([2007] 4 R.C.F. 170) a statué que ces droits sont une taxe et, en conformité avec un arrêt antérieur de la Cour, Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Canada (2006 CAF 208) (ACR I), il a déclaré que l’article 11 du Règlement est ultra vires et que les droits de licence imposés en vertu de la partie II du Règlement sont donc invalides.

[4]  Dans les appels incidents, la Couronne interjette également appel de la décision de la Cour fédérale d’attribuer des dépens sur la base avocat-client à l’encontre de la Couronne.

[5]  Dans les appels, les questions soulevées sont de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en suspendant, pour une période de neuf mois, son jugement déclaratoire portant que les droits de licence de la partie II sont une taxe, en refusant le recouvrement des droits de licence de la partie II versés par les appelantes dans les années mentionnées dans les déclarations dont était saisie la Cour fédérale, et en refusant l’autorisation d’apporter certaines modifications à ces déclarations.

[6]  Les appels et les appels incidents ont été réunis conformément à l’ordonnance de la juge Sharlow en date du 1er février 2007.

[7]  Pour les motifs qui suivent, je ne puis souscrire à l’opinion de la Cour fédérale selon laquelle les droits de licence de la partie II sont une taxe. De même, je suis d’avis que la Cour fédérale a commis une erreur en attribuant des dépens à l’encontre de la Couronne sur la base avocat-client. Par conséquent, j’accueillerais les appels incidents. Je n’aurai donc à examiner aucune des questions mentionnées au paragraphe 5 soulevées dans les appels.

LE CONTEXTE

Les parties

[8]  Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le Conseil) est un organisme public autonome constitué par la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-22 (la Loi sur le CRTC). En vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11 (la Loi), le Conseil a le pouvoir de réglementer et de surveiller tous les aspects du système canadien de radiodiffusion, notamment celui de délivrer des licences (les licences), selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi, aux personnes qui souhaitent participer à ce système.

[9]  L’association appelante est une association professionnelle de la radiotélédiffusion qui représente un grand nombre de titulaires de licences actuels et anciens.

[10]  Chacune des sociétés appelantes est membre de l’association appelante, titulaire d’une licence et a versé les droits de licence de la partie II pour une ou plusieurs des années suivant la date d’entrée en vigueur du Règlement.

[11]  Chacune des appelantes Vidéotron est titulaire d’une licence et a versé les droits de licence de la partie II pour une ou plusieurs des années suivant la date d’entrée en vigueur du Règlement.

Les droits de licence de la partie I et de la partie II

[12]  L’article 11 de la Loi confère au Conseil le pouvoir d’établir des règlements sur les droits de licence de radiodiffusion. Les parties pertinentes de cet article disposent :

11. (1) Le Conseil peut, par règlement :

a) avec l’approbation du Conseil du Trésor, fixer les tarifs des droits à acquitter par les titulaires de licences de toute catégorie;

b) à cette fin, établir des catégories de titulaires de licences;

c) prévoir le paiement des droits à acquitter par les titulaires de licences, y compris les modalités de celui-ci;

d) régir le paiement d’intérêt en cas de paiement tardif des droits;

e) prendre toute autre mesure d’application du présent article qu’il estime nécessaire.

(2) Les règlements d’application de l’alinéa (1)a) peuvent prévoir le calcul des droits en fonction de certains critères que le Conseil juge indiqués notamment :

a) les revenus des titulaires de licences;

b) la réalisation par ceux-ci des objectifs fixés par le Conseil, y compris ceux qui concernent la radiodiffusion d’émissions canadiennes;

c) la clientèle desservie par ces titulaires.

(3) Les règlements pris en application du paragraphe (1) ne s’appliquent pas à la Société ou aux titulaires de licences d’exploitation — pour le compte de Sa Majesté du chef d’une province — d’entreprises de programmation.

(4) Les droits imposés au titre du présent article et l’intérêt sur ceux-ci constituent des créances de Sa Majesté du chef du Canada, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant tout tribunal compétent.

[13]  En 1997, la base servant à établir les droits de licence de radiodiffusion a été modifiée lorsque le Règlement est entré en vigueur le 1er avril 1997. Selon les nouvelles dispositions, les droits de licence annuels sont divisés en deux parties. Les articles 7 à 10 du Règlement prévoient les « droits de licence de la partie I » (les droits de licence de la partie I), qui représentent la part proportionnelle de chaque titulaire de licence dans le coût total de la réglementation du Conseil pour une année donnée. L’article 11 du Règlement prévoit les droits de licence de la partie II, qui représentent 1,365 % des recettes brutes de chaque titulaire de licence pour ses activités de radiodiffusion de l’année, sous réserve de certaines exceptions prescrites. Les parties pertinentes du Règlement disposent :

7. Les droits de licence de la partie I se composent :

a) d’un montant de base calculé conformément au paragraphe 8(1);

b) d’un rajustement annuel calculé conformément au paragraphe 8(2).

8. (1) Le Conseil calcule le montant de base au moyen de la formule suivante :

(A/B) × C

A représente l’excédent des recettes désignées du titulaire, pour la dernière année de rapport complète, sur sa franchise pour la même année;

B l’excédent des recettes désignées de tous les titulaires dont les recettes désignées dépassent leur franchise, pour la dernière année de rapport complète, sur le total des franchises de ceux-ci pour la même année;

C le coût total estimatif de la réglementation du Conseil pour l’exercice en cours, calculé conformément à l’article 9.

(2) Le Conseil calcule le rajustement annuel au moyen de la formule suivante :

(A/B) × D

A représente l’excédent des recettes désignées du titulaire, pour la dernière année de rapport complète, sur sa franchise pour la même année;

B l’excédent des recettes désignées de tous les titulaires dont les recettes désignées dépassent leur franchise, pour la dernière année de rapport complète, sur le total des franchises de ceux-ci pour la même année;

D la différence entre le coût total estimatif et le coût total réel de la réglementation du Conseil, calculés conformément à l’article 9.

(3) Le rajustement annuel visé au paragraphe (2) est porté au débit ou au crédit du titulaire lors de la facturation de l’année suivante; il ne peut en aucun cas entraîner un remboursement de la part du Conseil.

9. (1) Le coût total estimatif de la réglementation du Conseil pour l’exercice en cours est la somme des montants suivants, figurant dans le plan de dépenses du Conseil publié dans la partie III du Budget des dépenses du gouvernement du Canada :

a) les frais de l’activité Radiodiffusion du Conseil;

b) la part, attribuable à l’activité Radiodiffusion du Conseil :

(i) des frais des activités administratives du Conseil,

(ii) des autres coûts entrant dans le calcul du coût net du programme du Conseil, à l’exception des coûts de réglementation du spectre de la radiodiffusion.

(2) Le coût total réel de la réglementation du Conseil est calculé conformément au paragraphe (1) à l’aide des montants réels.

[…]

11. Les droits de licence de la partie II sont des droits de licence annuels, calculés en fonction des recettes désignées du titulaire pour l’année de rapport qui s’est terminée au cours de l’année civile courante, ou pour la partie de l’année de rapport au cours de laquelle le titulaire a détenu la licence d’exploitation de l’entreprise, et correspondent à :

a) dans le cas d’une entreprise de distribution ou d’une entreprise de télévision, 1,365 pour cent de l’excédent des recettes désignées sur la franchise applicable;

b) dans le cas d’une entreprise de radio :

(i) sous réserve du sous-alinéa (ii), 1,365 pour cent de l’excédent des recettes désignées sur la franchise applicable,

(ii) dans le cas d’une entreprise de radio conjointe, 1,365 pour cent de l’excédent des recettes désignées combinées sur la franchise applicable.

L’introduction des actions

[14]  Les actions ont été intentées par l’association appelante et les sociétés appelantes (T-2277-03) ainsi que par les appelantes Vidéotron (T-276-04), en vue d’obtenir, notamment, des jugements déclaratoires établissant que l’article 11 du Règlement est ultra vires et que les personnes ayant acquitté les droits de licence de la partie II prescrits par cet article ont droit à la restitution des sommes versées au cours des années indiquées dans les actions. Les actions ont été réunies conformément à l’ordonnance de la protonotaire Tabib en date du 1er août 2006.

Les questions de droit préliminaires

[15]  La Couronne a présenté une requête concernant deux questions de droit préliminaires qui avaient été tranchées dans l’arrêt ACR I. Dans cet arrêt, la Cour a décidé que le pouvoir de réglementation des droits de licence conféré au Conseil par l’article 11 de la Loi n’autorise pas le Conseil à imposer une taxe. La Cour a jugé que s’il était décidé que les droits de licence de la partie II que le Conseil cherchait à prescrire en vertu de l’article 11 du Règlement constituent une taxe, cette disposition outrepasserait le pouvoir conféré au Conseil par l’article 11 de la Loi et les droits de licence de la partie II seraient invalides.

L’autorisation de modifier les déclarations

[16]  Des requêtes ont été présentées en vue d’obtenir l’autorisation de modifier les déclarations des dossiers T-2277-03 et T-276-04 pour étendre les périodes à l’égard desquelles les demanderesses cherchaient à obtenir le recouvrement des droits de licence de la partie II qu’elles ont acquittés. Le juge Shore les a rejetées dans ses motifs oraux rendus le 20 novembre 2006. Des appels dans les dossiers A-17-07 et A-18-07 ont été interjetés par l’association appelante, les sociétés appelantes et les appelantes Vidéotron à l’encontre de cette décision.

L’exposé conjoint des faits

[17]  L’instruction devant la Cour fédérale du Canada a été effectuée sur la base d’un exposé conjoint des faits, dont les éléments saillants sont décrits aux paragraphes suivants. En dépit de la désignation d’exposé conjoint des « faits », une large part de cet exposé conjoint est constituée d’interprétations de diverses dispositions de la Loi et du Règlement.

[18]  La « radiodiffusion », définie au paragraphe 2(1) de la Loi, ne peut se faire légalement au Canada sans la délivrance d’une licence par le Conseil, à moins d’une exemption expresse aux prescriptions de licence obtenue en vertu du paragraphe 9(4) [mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 10(F)] de la Loi.

[19]  Le Conseil a annoncé l’adoption du Règlement dans l’Avis public CRTC 1997-32 [Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion], qui porte notamment :

Le Conseil a rédigé son projet de règlement suite à la décision du Conseil du Trésor de l’autoriser à appliquer la méthode du crédit net à son activité Radiodiffusion. En raison de cette décision, le Conseil exigera désormais qu’une partie des droits de licence soit acquittée au 1er avril de chaque année, afin de financer ses dépenses de fonctionnement.

Lorsqu’il a rédigé le projet de règlement, le Conseil a voulu créer, par rapport à la structure des droits en place, un système suivant lequel l’industrie et chaque entreprise paieraient à peu près le même montant de droits sur une période incluant les trois prochaines années, en prenant pour acquis la stabilité du niveau de financement approuvé.

[… ]

Le nouveau règlement sur les droits de licence renferme deux éléments clés. Le premier est la structure de droits révisée, suivant laquelle chaque titulaire assujettie au règlement versera au Conseil les droits de licence de la partie I, exigibles le 1er avril de chaque année, et les droits de licence de la partie II, exigibles au plus tard le 30 novembre de chaque année. Les droits de licence de la partie I sont basés sur les frais de réglementation de la radiodiffusion engagés chaque année par le Conseil ainsi que par d’autres ministères ou organismes fédéraux, excluant les coûts de gestion du spectre; tandis que les droits de licence de la partie II équivalent à 1,365 % des recettes brutes de la titulaire en sus de la franchise applicable.

[… ]

Le Conseil est convaincu qu’en élaborant le nouveau règlement sur les droits de licence, il a répondu fondamentalement à la décision du Conseil du Trésor de l’autoriser à utiliser la méthode du crédit net, tout en conservant un système qui générera des recettes équivalant à celles qui étaient réalisées en vertu du précédent règlement.

[20]  Les droits de licence de la partie I visent le recouvrement des frais de réglementation et d’administration engagés par le Conseil pour la radiodiffusion.

[21]  Les sommes correspondant aux droits de licence de la partie I touchés par le Conseil au cours de la période allant de la mise en vigueur du Règlement à la fin de la période 2004-2005 (la période visée par les demandes) sont égales ou approximativement égales aux frais de réglementation et d’administration du Conseil pendant cette période.

[22]  Pendant la période visée par les demandes, le Conseil a perçu environ 182 millions de dollars au titre des droits de licence de la partie I et 680 millions de dollars au titre des droits de licence de la partie II.

[23]  Industrie Canada gère tout le spectre de la radio, notamment le spectre consacré à la radiodiffusion (le spectre de la radiodiffusion) et délivre des certificats de radiodiffusion aux titulaires de licences qui utilisent le spectre de la radiodiffusion. Sans une licence et un certificat de radiodiffusion (dans les cas où il faut utiliser le spectre de la radiodiffusion), la radiodiffusion est illégale. Il n’est exigé aucun droit pour la délivrance des certificats de radiodiffusion.

[24]  Les coûts de gestion du spectre de la radiodiffusion encourus par Industrie Canada pour une période légèrement plus courte que la période visée par les demandes sont d’environ 77 millions de dollars. Aucune partie des droits de licence de la partie I n’est affectée aux coûts engagés par Industrie Canada pour la gestion du spectre de la radiodiffusion.

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[25]  La Cour fédérale a statué que les droits de licence de la partie II sont une taxe et, conformément à l’arrêt ACR I de la Cour, a déclaré que l’article 11 du Règlement outrepassait les pouvoirs conférés par l’article 11 de la Loi. Toutefois, la Cour a conclu que les sociétés appelantes et les appelantes Vidéotron n’ont pas le droit de recouvrer les droits de licence de la partie II qu’elles ont acquittés. La Cour fédérale a suspendu l’effet de son jugement déclaratoire d’invalidité pour une période de neuf mois. Enfin, elle a ordonné à la Couronne de payer les dépens sur la base avocat-client.

[26]  Pour conclure que les droits de licence de la partie II sont une taxe, la Cour fédérale s’est reportée aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565 et Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134. Au paragraphe 98 de sa décision, la Cour fédérale a résumé son interprétation de ces facteurs :

Les facteurs qu’il faut évaluer, selon la Cour suprême du Canada, pour déterminer si un prélèvement est une taxe sont ceux de savoir si le prélèvement est : 1) obligatoire et exigé par la loi, 2) imposé sous l’autorité de la législature, 3) perçu par un organisme public, 4) destiné à une fin d’intérêt public, et 5) sans rapport raisonnable entre la somme exigée et le coût du service fourni ou du régime de réglementation qui doit être financé (Lawson, précité; Eurig, précité, aux paragraphes 15 et 21; Westbank, précité, au paragraphe 22).

[27]  La Cour fédérale a accepté sans difficulté que les trois premiers facteurs sont respectés. Elle a conclu que les droits de licence de la partie II sont obligatoires en raison du paragraphe 11(4) de la Loi, qui prévoit que les droits imposés à un titulaire de licence et l’intérêt sur ceux-ci constituent des créances de Sa Majesté du chef du Canada, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant tout tribunal compétent. Comme les droits de licence de la partie II sont imposés et perçus conformément au Règlement censément pris en vertu de l’article 11 de la Loi, il a été jugé que ces droits sont imposés sous l’autorité de la législature. Enfin, la Cour fédérale a conclu que les droits de licence de la partie II sont perçus par le Conseil, organisme public constitué en vertu de la Loi sur le CRTC.

[28]  S’agissant de la question de savoir si le prélèvement était destiné à une fin d’intérêt public, la Cour fédérale a conclu que les droits de licence de la partie II sont perçus à titre de revenu à des fins générales du fait qu’ils sont déposés dans le Trésor et qu’ils ne sont pas « assignés » aux coûts de la réglementation générale du système de la radiodiffusion ou de l’une ou l’autre de ses composantes.

[29]  La Cour fédérale n’a pas accepté que les droits de licence de la partie II servent au financement d’un régime de réglementation. Elle a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel le régime de réglementation est le système canadien de radiodiffusion et selon lequel il est « évident » que les coûts de ce régime sont supérieurs aux droits de licence de la partie II qui sont perçus. Selon la Cour fédérale, la Couronne n’a produit aucun élément de preuve sur ces coûts. La Cour fédérale a conclu que, selon la preuve dont elle était saisie, les seuls coûts se rapportant à un régime de réglementation étaient ceux engagés par le Conseil pour les activités de radiodiffusion, dont le recouvrement s’effectue au moyen des droits de licence de la partie I, et peut-être aussi ceux engagés par Industrie Canada pour gérer le spectre de la radiodiffusion. Elle a estimé que ces derniers coûts étaient très inférieurs aux droits de licence de la partie II qui ont été payés.

[30]  S’agissant du cinquième facteur mentionné au paragraphe 98 de sa décision, la Cour fédérale a ensuite conclu, citant l’arrêt Eurig, qu’il existe un rapport raisonnable s’il y a une corrélation étroite entre le montant des droits de licence et le coût d’administration du régime de réglementation correspondant. Appliquant ce critère aux faits dont elle était saisie, la Cour fédérale a conclu au paragraphe 114 :

Il n’existe aucun lien démontrable entre le montant des droits de licence de la partie II qui est recouvré et tout régime associé de réglementation.

[31]  La Cour fédérale a rejeté l’argument de la Couronne selon lequel les droits de licence de la partie II pouvaient être considérés comme un paiement associé au privilège se rattachant à la radiodiffusion en raison de ses avantages commerciaux. Premièrement, la Cour fédérale n’a pu concilier la justification des droits de licence de la partie II donnée par la Couronne avec le fait qu’un grand nombre de radiodiffuseurs exercent leur activité à des fins commerciales sans être obligés d’acquitter les droits de licence de la partie II, parce que le montant de leurs recettes ou le nombre de leurs abonnés est inférieur à un plancher. En outre, elle a conclu que la Couronne n’avait produit aucun élément de preuve établissant un lien raisonnable entre le montant des droits de licence de la partie II et la valeur du privilège. Même dans l’hypothèse où ce privilège aurait une valeur, la Cour fédérale a reconnu que le privilège avait déjà été payé par les titulaires de licences de nombreuses façons, indépendamment des droits de licence de la partie II. À titre d’exemples, elle a fait remarquer que le Conseil prescrit aux titulaires de licences des conditions leur imposant de radiodiffuser un contenu canadien minimal et de contribuer en vue de la production d’un contenu canadien. Enfin, la Cour fédérale a conclu que la Loi n’autorise pas le Conseil à prescrire des droits de licence en échange d’un privilège.

[32]  La Cour fédérale a rejeté l’argumentation de la Couronne qui faisait valoir que l’arrêt de la Cour suprême du Canada Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60, est déterminant quant à la validité des droits de licence de la partie II. Selon la Cour fédérale, le raisonnement de la Cour de l’Échiquier dans la décision La Presse, Ltée, La Compagnie de Publication c. Procureur Général du Canada (Le) ([1964] R.C.É. 627), confirmé par la Cour suprême du Canada, a reconnu qu’il faut un lien entre le montant de la redevance et les coûts de l’activité réglementée, lien qui n’existait pas, a conclu la Cour fédérale, dans l’affaire dont elle était saisie. La Cour fédérale a ensuite fait observer que, de toute façon, comme les dispositions législatives en cause dans la décision La Presse étaient ambiguës, l’arrêt La Presse de la Cour suprême du Canada ne pouvait pas être concluant eu égard à l’issue de l’espèce.

[33]  La Cour fédérale a également rejeté l’argumentation de la Couronne que l’arrêt 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2007] 2 R.C.F. 446 (C.A.F.), appuie la thèse que les titulaires de licences peuvent se voir imposer des droits parce qu’ils profitent du privilège se rattachant à une licence de radiodiffusion. Selon la Cour fédérale, l’arrêt 620 Connaught dit essentiellement que lorsqu’un organisme de réglementation est autorisé par la loi à exiger un montant donné pour un privilège, l’avantage tiré de l’activité commerciale réglementée peut entrer en ligne de compte afin d’établir un rapport entre le montant des droits et le régime de réglementation. Comme la Loi ne prévoit pas expressément qu’un droit puisse être exigé pour le privilège, la Cour fédérale a conclu que l’arrêt 620 Connaught ne s’applique pas. De plus, elle a fait observer que, contrairement aux droits de licence de la partie II, les droits exigés dans l’affaire 620 Connaught étaient directement réaffectés au régime de réglementation.

[34]  Enfin, la Cour fédérale a jugé que l’arrêt Mount Cook National Park Board v. Mount Cook Motels Ltd., [1972] NZLR 481 (C.A.), n’appuie pas la position de la Couronne que l’avantage tiré par les titulaires de licences de radiodiffusion autorisait l’imposition d’une redevance pour un privilège. Premièrement, elle a conclu que l’arrêt Mount Cook établit seulement que dans le cas où un droit de licence est prélevé pour un privilège, il ne constitue pas une taxe pour autant qu’il reste dans le système auquel il se rattache. En outre, elle a conclu que l’arrêt Mount Cook appuie le droit d’imposer des droits raisonnables et que la Couronne n’avait pas établi que les droits de licence de la partie II sont raisonnables.

[35]  La Cour fédérale a attribué des dépens à l’encontre de la Couronne sur la base avocat-client même si l’association appelante, les sociétés appelantes et les appelantes Vidéotron ne les avaient pas demandés. De plus, l’adjudication des dépens s’est faite sans que la Couronne soit autorisée à présenter des observations sur la question.

L’ANALYSE

[36]  J’examinerai les questions soulevées dans les appels incidents avant celles des appels. Dans la partie qui suit de mes motifs, l’association appelante, les sociétés appelantes et les appelantes Vidéotron sont désignées collectivement comme les appelantes.

LES DROITS DE LICENCE DE LA PARTIE II SONT-ILS UNE TAXE?

La norme de contrôle

[37]  Les normes de contrôle en appel sont exposées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235. La validité de la législation subordonnée fait l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Toutefois, il a déjà été statué dans l’arrêt ACR I que si les droits de licence de la partie II sont une taxe, l’article 11 du Règlement outrepasse les pouvoirs conférés par l’article 11 de la Loi. La question à examiner maintenant est de savoir si les droits de licence de la partie II imposés en vertu de l’article 11 du Règlement sont une taxe ou une redevance de nature réglementaire. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit dont la norme de contrôle a été résumée par le juge en chef de la Cour dans l’arrêt Elders Grain Co. c. Ralph Misener (Le), [2005] 3 R.C.F. 367 (C.A.F.), au paragraphe 12 :

Une décision impliquant l’application d’un critère juridique à un ensemble de faits constitue une question mixte de fait et de droit. Elle est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins que le juge de première instance n’ait clairement commis une erreur de principe isolable en déterminant le critère juridique applicable ou en appliquant ce critère, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit : Housen, au paragraphe 37; R. c. Buhay, [2003] 1 R.C.S. 631, au paragraphe 45. [Non souligné dans l’original.]

[38]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la Cour fédérale a erronément décrit le critère juridique applicable pour établir la distinction entre une taxe et une redevance de nature réglementaire, dans les circonstances examinées, et que cette mauvaise formulation constitue une erreur de droit isolable à l’égard de laquelle s’applique la norme de la décision correcte.

La distinction entre une redevance de nature réglementaire et une taxe

[39]  Dans l’arrêt 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2008] 1 R.C.S. 131 (620 Connaught II), le juge Rothstein a statué que les droits de permis commercial versés annuellement pour le droit de vendre des boissons alcooliques auxquels sont assujettis les hôtels, les restaurants et les bars dans le parc national Jasper sont, de par leur caractère véritable, une redevance de nature réglementaire et non une taxe. Dans son analyse en vue de déterminer si un prélèvement gouvernemental est une taxe ou une redevance de nature réglementaire, le juge Rothstein a résumé ce que doit faire la Cour, aux paragraphes 16 et 17 :

Notre Cour doit décider si les droits versés par les appelantes constituent, de par leur caractère véritable, une taxe ou une redevance de nature réglementaire. Le caractère véritable du prélèvement s’entend de ses principales ou plus importantes caractéristiques, qu’il faut distinguer de ses caractéristiques accessoires (P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. 2007), vol. 1, p. 433-436). Les caractéristiques des droits en cause tiennent à la fois de la taxe et de la redevance de nature réglementaire. La Cour doit déterminer quelles sont les caractéristiques principales et lesquelles sont accessoires.

Pour déterminer si un prélèvement gouvernemental constitue une taxe ou une redevance de nature réglementaire, c’est l’objet principal du régime législatif qui est l’élément déterminant. Bien que le régime législatif puisse produire des effets accessoires, son objet principal permettra de déterminer si le prélèvement constitue une taxe ou une redevance de nature réglementaire. Dans l’arrêt Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, le juge Gonthier a décrit le caractère véritable d’un prélèvement gouvernemental en fonction de son objet principal. Il s’est exprimé ainsi au par. 30 :

Dans tous les cas, le tribunal doit identifier la caractéris­tique principale du prélèvement contesté. […] Même si, dans l’environnement réglementaire d’aujourd’hui, plusieurs redevances comportent des éléments de taxation et des éléments de réglementation, la tâche essentielle du tribunal est de déterminer si, de par son caractère véritable, l’objet principal du prélèvement est : (1) de taxer, c.-à-d., percevoir des revenus à des fins générales; (2) de financer ou de créer un régime de réglementation, c.-à-d., être une redevance de nature réglementaire ou être accessoire ou rattaché à un régime de réglementation; ou, (3) de recevoir paiement pour des services directement rendus, c.-à-d., être des frais d’utilisation. [Soulignement omis.]

[40]  Les droits de licence de la partie II ne sont pas des frais d’utilisation et aucune des parties n’a soutenu qu’ils l’étaient. La seule question est de savoir si, de par leur caractère véritable, les droits de licence de la partie II constituent une taxe ou une redevance de nature réglementaire.

[41]  Dans l’arrêt Lawson, la Cour suprême du Canada avait identifié quatre caractéristiques d’une taxe, mais l’arrêt Westbank a ajouté un cinquième élément de distinction entre une taxe et une redevance de nature réglementaire. Au paragraphe 43 de l’arrêt Westbank, le juge Gonthier a résumé les cinq éléments de la manière suivante :

La redevance est-elle : (1) obligatoire et exigible en vertu d’une loi, (2) imposée sous l’autorité du législateur, (3) perçue par un organisme public, (4) pour une fin d’intérêt public, (5) sans aucun lien avec une forme de régime de réglementation? Si la réponse à toutes ces questions est affirmative, le prélèvement en question sera habituellement qualifié de taxe.

[42]  Le cinquième élément prévoit que même si le prélèvement possède toutes les autres caractéristiques d’une taxe, il sera une redevance de nature réglementaire, et non une taxe, s’il est relié à un régime de réglementation. Dans l’arrêt Westbank, le juge Gonthier a établi une approche en deux étapes pour déterminer si un prélèvement gouvernemental est lié à un régime de réglementation. La première étape consiste à identifier l’existence d’un régime de réglementation pertinent, ce qui implique d’examiner les facteurs suivants, au paragraphe 44 :

Pour conclure à l’existence d’un régime de réglementation, le tribunal doit rechercher la présence d’un ou de plusieurs des indices suivants : (1) un code de réglementation complet, complexe et détaillé; (2) un objet de réglementation qui cherche à influencer un comportement donné; (3) la présence de coûts réels ou estimés liés à la réglementation; (4) un rapport entre la réglementation et la personne visée qui en bénéficie ou qui en a causé le besoin. Cette énumération n’est pas exhaustive.

[43]  Si on conclut à l’existence d’un régime de réglementation, le juge Gonthier a décrit la seconde étape dans son analyse de la façon suivante, au paragraphe 44 :

Pour qu’une redevance soit « liée » ou « rattachée » à ce régime de réglementation, le tribunal doit pouvoir établir une relation entre la redevance et le régime lui-même. Il en est ainsi lorsque les revenus sont liés aux coûts du régime de réglementation ou lorsque les redevances elles-mêmes ont un objet de réglementation, comme la réglementation d’un comportement donné.

Cet extrait met en lumière les deux cas dans lesquels il sera établi l’existence d’une relation entre un prélèvement et un régime de réglementation. Le premier cas est celui dans lequel les revenus produits par le prélèvement sont « liés » aux coûts du régime de réglementation. Le second cas est celui dans lequel les redevances ont un objet de réglementation.

[44]  Au paragraphe 28 de ses motifs dans l’arrêt 620 Connaught II, le juge Rothstein a résumé comme suit les enseignements de l’arrêt Westbank :

Bref, si à la première étape le tribunal a conclu qu’il existe un régime de réglementation et que ce régime est applicable à la personne visée, et à la deuxième étape il a conclu à l’existence d’un lien entre le prélèvement et le régime lui-même, le prélèvement constituera, de par son caractère véritable, une redevance de nature réglementaire et non une taxe. En d’autres termes, ce sont les caractéristiques de réglementation du prélèvement qui constitueront ses principaux attributs. Par conséquent, il faut se demander (1) si les appelantes ont démontré que le prélèvement possède les attributs d’une taxe et (2) si le gouvernement a démontré qu’il existe un lien entre le prélèvement et le régime de réglementation. Pour répondre à la première question, il faut se reporter aux indices énoncés dans l’arrêt Lawson. Pour répondre à la deuxième, il faut procéder à l’analyse en deux étapes proposée dans l’arrêt Westbank.

L’interprétation incorrecte de l’arrêt Westbank

[45]  L’arrêt 620 Connaught II de la Cour suprême du Canada n’était pas rendu au moment de la décision de la Cour fédérale. Toutefois, dans l’arrêt 620 Connaught II, le juge Rothstein a affirmé qu’un prélèvement qui peut être caractérisé comme une redevance de nature réglementaire selon le critère exposé dans l’arrêt Westbank ne constituera pas une taxe. Par conséquent, à mon avis, le critère de distinction entre une redevance de nature réglementaire et une taxe que la Cour fédérale aurait dû appliquer est essentiellement le même qu’avant l’arrêt 620 Connaught II.

[46]  En rejetant l’argumentation de la Couronne que les droits de licence de la partie II sont des redevances de nature réglementaire, la Cour fédérale a formulé dans les termes suivants le critère juridique applicable pour déterminer ce qui constitue une taxe, au paragraphe 98 :

Les facteurs qu’il faut évaluer, selon la Cour suprême du Canada, pour déterminer si un prélèvement est une taxe sont ceux de savoir si le prélèvement est : 1) obligatoire et exigé par la loi, 2) imposé sous l’autorité de la législature, 3) perçu par un organisme public, 4) destiné à une fin d’intérêt public, et 5) sans rapport raisonnable entre la somme exigée et le coût du service fourni ou du régime de réglementation qui doit être financé (Lawson, précité; Eurig, précité, aux paragraphes 15 et 21; Westbank, précité, au paragraphe 22).

Les quatre premiers éléments sont identiques à ceux qu’a décrits le juge Gonthier au paragraphe 43 de l’arrêt Westbank, mais le cinquième élément, l’élément clé de la distinction entre une redevance de nature réglementaire et une taxe, diffère considérablement. Selon mon interprétation du cinquième facteur exposé au paragraphe 98 des motifs de la Cour fédérale, la Cour fédérale a établi qu’un prélèvement particulier constituera une redevance de nature réglementaire s’il existe un rapport raisonnable entre le montant du prélèvement et le coût du service fourni ou du régime de réglementation qui donne lieu au prélèvement.

[47]  La Cour fédérale a développé son interprétation du cinquième élément au paragraphe 113 de ses motifs :

Les régimes de réglementation prévoient habituellement le recouvrement et la dépense de fonds par rapport à des coûts estimatifs justifiés. Les tribunaux n’exigeront pas que les montants recouvrés correspondent exactement au coût du régime, mais il doit exister un lien démontrable raisonnable entre ceux-ci. Si le rapport entre le montant du droit de licence et le coût d’administration du régime de réglementation correspondant n’est pas suffisamment étroit, la redevance constitue une forme de taxation (Eurig, précité, aux paragraphes 5, 21 et 22). [Non souligné dans l’original.]

[48]  Dans l’arrêt Eurig, la Cour suprême du Canada a traité des frais d’utilisation, que le juge Gonthier a décrits dans l’arrêt Westbank comme un sous-ensemble des redevances de nature réglementaire. L’arrêt Eurig nous apprend que les frais d’utilisation ne sont valides que s’il existe un rapport entre le montant des frais d’utilisation et le coût du service fourni. Cependant, comme je l’ai noté précédemment, les droits de licence de la partie II ne sont pas des frais d’utilisation.

[49]  À mon avis, la Cour fédérale a conclu qu’un prélèvement, autre que des frais d’utilisation, ne sera une redevance de nature réglementaire que s’il existe un rapport raisonnable entre le montant du prélèvement et le coût du régime de réglementation correspondant. En toute déférence, je ne puis souscrire à cette interprétation. Au paragraphe 44 de ses motifs, le juge Gonthier a conclu que lorsque les revenus produits par une redevance sont « liés aux » coûts du régime de réglementation, la relation nécessaire entre le prélèvement et le régime de réglementation sera présente. Toutefois, il a ajouté que cette relation nécessaire existera aussi lorsque la redevance a un objet de réglementation. Il s’ensuit donc, à mes yeux, que lorsque l’objet de réglementation de la redevance est établi, le rapport nécessaire entre cette redevance et le régime de réglementation correspondant existera même dans le cas où le montant des revenus produits par la redevance excède les coûts du régime de réglementation qui donne lieu à la redevance.

[50]  Par conséquent, en toute déférence, j’estime que la Cour fédérale a mal interprété le critère juridique exposé dans l’arrêt Westbank et confirmé dans l’arrêt 620 Connaught II, qui doit s’appliquer pour décider si un prélèvement de l’État est une redevance de nature réglementaire (autre que des frais d’utilisation) sur le fondement de son rapport avec le régime de réglementation. À mon avis, cette interprétation incorrecte constitue une erreur de droit isolable qui doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Compte tenu de cette erreur, je donnerai ma propre interprétation des deux aspects du critère et je l’appliquerai ensuite aux faits de l’espèce.

La portée et l’application des arrêts Westbank et 620 Connaught II

[51]  Pour donner mon interprétation et mon application du critère, j’examinerai en premier lieu la question de savoir si le rapport nécessaire avec la réglementation a été établi sur le fondement que les droits de licence de la partie II sont « liés aux » coûts d’un régime de réglementation. Puis, je traiterai de la question de savoir si le rapport nécessaire avec la réglementation a été établi sur le fondement que ces droits ont un objet de réglementation.

[52]  Au départ, je ferai observer qu’il ne s’est pas encore développé une jurisprudence abondante sur la portée des redevances de nature réglementaire. Par conséquent, s’il est vrai que les enseignements de l’arrêt Westbank, et plus récemment de l’arrêt 620 Connaught II, sont éclairants, ils n’embrassent pas toute la question. Cela dit, les arrêts Westbank et 620 Connaught II enseignent qu’une redevance qui répond aux quatre premières caractéristiques d’une taxe décrites au paragraphe 43 de l’arrêt Westbank ne sera toutefois pas considérée comme une taxe si elle est liée à un régime de réglementation et, par conséquent, de par son caractère véritable, est une redevance de nature réglementaire.

[53]  La décision de savoir si une redevance est liée à un régime de réglementation présuppose l’existence d’un régime de réglementation. Le paragraphe 44 de l’arrêt Westbank comporte une liste non exhaustive de quatre facteurs qui indiquent la présence d’un régime de réglementation. Le paragraphe conclut en donnant deux ensembles de circonstances (lorsque la redevance est « liée aux » coûts du régime de réglementation ou lorsque la redevance a un objet de réglementation) qui permettent d’établir le rapport nécessaire entre la redevance en question et un régime de réglementation.

L’identification du régime de réglementation pertinent

[54] La décision relative à l’existence d’un régime de réglementation sera prise en fonction des quatre indices énumérés au paragraphe 44 de l’arrêt Westbank. Dans l’arrêt 620 Connaught II, le juge Rothstein a expliqué que les trois premiers facteurs établissent l’existence d’un régime de réglementation alors que le quatrième facteur établit un rapport entre le régime de réglementation et la personne visée. J’entreprendrai l’examen de ces facteurs, mais j’estime qu’il serait difficile de trouver un exemple plus clair d’un régime global de réglementation que celui qui est constitué dans la Loi et le Règlement, qui prévoient la réglementation et la surveillance de l’ensemble du système de radiodiffusion.

[55]  Le paragraphe 3(1) de la Loi déclare qu’il existe une seule politique canadienne de radiodiffusion définie par des dispositions de loi comportant 20 alinéas. Le paragraphe 3(2) de la Loi déclare en outre que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d’atteindre les 20 objectifs de la politique de radiodiffusion énumérés au paragraphe 3(1) de la Loi consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome. La Cour suprême du Canada a souligné la portée large de la surveillance réglementaire du système canadien de radiodiffusion dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, où le juge Iacobucci a dit au paragraphe 47 :

La politique canadienne de radiodiffusion possède un certain nombre de caractéristiques propres et elle établit une orientation incontestablement axée sur la culture. Il y est déclaré qu’au Canada les radiofréquences sont du domaine public, qu’il est fondamental que le système de radiodiffusion soit la propriété des Canadiens et sous leur contrôle et que la programmation offerte par le système de radiodiffusion est « un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle ». Les alinéas 3(1)d) et t) énoncent un certain nombre d’objectifs de mise en œuvre précis à l’intention du système de radiodiffusion en général, et des entreprises de distribution en particulier (y compris les entreprises de distribution SRD). Enfin, le par. 3(2) dispose que « le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique » dont il convient de confier la réglementation et la surveillance « à un seul organisme public autonome ».

[56]  Expressément considérée comme un acteur important de la mise en œuvre de la politique canadienne unique de radiodiffusion, la Société Radio-Canada, « radiodiffuseur public national », est mandatée à l’alinéa 3(1)l) de la Loi pour offrir des services de radio et de télévision qui comportent une très large programmation (définie à l’alinéa 3(1)m) de la Loi) qui renseigne, éclaire et divertit.

[57]  À mon avis, les deux premiers indices de la présence d’un régime de réglementation — un code de réglementation complet et détaillé et un objet de réglementation visant à influer sur le comportement —sont manifestement présents. Selon la Loi et le Règlement, la surveillance réglementaire s’étend à l’ensemble du système canadien de radiodiffusion. Les prescriptions de la politique comprises dans ces dispositions législatives détaillées imposent des exigences importantes en matière de comportement aux personnes autorisées à participer au système canadien de radiodiffusion, en vertu des licences dont elles ont demandé l’obtention.

[58]  Le troisième indice — la présence de coûts réels ou estimés liés à la réglementation — demande de cibler avec plus de précision la portée d’un hypothétique régime de réglementation. Comment pourrait-on quantifier autrement les coûts réels ou estimés de l’activité réglementée? Par conséquent, la question devient de savoir si les coûts à prendre en compte sous cet indice sont les coûts réels ou estimés liés à la réglementation et à la surveillance de l’ensemble du système canadien de radiodiffusion ou les seuls coûts liés aux activités administratives du Conseil lorsqu’il remplit les obligations que lui confère la Loi et les coûts d’Industrie Canada pour la gestion du spectre de la radiodiffusion.

[59]  À mon avis, il est indûment restrictif de considérer que le régime de réglementation est d’une portée moindre que la totalité de ce qui est assujetti à la réglementation en vertu de la Loi et du Règlement. En d’autres termes, il faut envisager le régime de réglementation comme embrassant les activités réglementées, c’est-à-dire les activités de tous les participants du système canadien de radiodiffusion. Je suis d’avis que le régime de réglementation ne doit pas être limité aux seules activités de l’entité ou des entités mandatées pour assurer la surveillance réglementaire prescrite, soit le Conseil et Industrie Canada, dans sa gestion du spectre de la radiodiffusion.

[60]  On trouve un appui à cette vision large du régime de réglementation dans la décision La Presse de la Cour de l’Échiquier, qui a examiné la validité des droits de licence de radiodiffusion prescrits par le Règlement autorisé en vertu de la Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233, texte que la Loi a remplacé. Dans cette décision, la Cour a conclu que les coûts à prendre en compte étaient ceux de la Société Radio-Canada et non simplement les coûts du personnel administratif du Bureau du gouverneur ou du ministère des Transports, qui était chargé de fournir des services administratifs. À la page 636 de la décision, le juge Dumoulin a écrit :

À toutes ces fins, il est manifeste que Radio-Canada requiert des revenus substantiels afin de subvenir à la bonne expédition de ses tâches multiples, revenus qui doivent s’accroître au rythme même de l’augmentation des nécessités de l’exploitation. L’article 3(1)(a) du chapitre 233 a prévu ces exigences inéluctables en déléguant au gouverneur en conseil, et cela sans restrictions, la faculté « de prescrire le tarif des droits à payer pour les licences […] »

[61]  Par conséquent, je suis d’avis que les coûts à prendre en compte à l’égard de cet indice ne doivent pas se limiter aux seuls coûts engagés par le Conseil et Industrie Canada pour la réalisation de leur mandat respectif en matière de réglementation du système canadien de radiodiffusion. Il faut prendre en considération l’ensemble des coûts liés à la mise en œuvre des objectifs de la politique et des autres prescriptions de la Loi et du Règlement.

[62]  Le dossier dont est saisie la Cour traite de manière adéquate la question des coûts administratifs qu’assument le Conseil et Industrie Canada dans l’accomplissement de leurs obligations administratives respectives. Il est moins exhaustif à l’égard de la question des autres coûts qui ont été engagés pour la mise en œuvre des politiques de réglementation prescrites par la Loi et le Règlement, mais toute lacune potentielle de la preuve sur cette question ne suffit pas à justifier une conclusion d’absence de cet indice d’un régime de réglementation. La question du fardeau de la preuve à l’égard de l’établissement de ces coûts de réglementation additionnels sera examinée de manière plus détaillée plus loin dans les présents motifs.

[63]  J’estime que l’examen de ces trois indices de l’arrêt Westbank, qui sont explicités dans l’arrêt 620 Connaught II, établit que le système canadien de radiodiffusion constitue un régime de réglementation.

[64]  Le quatrième indice — la présence d’un rapport entre la réglementation et la personne visée par cette réglementation — est facile à démontrer. Cet indice prévoit que la personne réglementée bénéficie de la réglementation ou en a causé le besoin. On pourrait élaborer longuement pour établir la présence de cet indice. À mes yeux, toutefois, il suffit d’observer que l’accès au système canadien de radiodiffusion est limité et que les personnes qui y ont accès sont à l’abri, dans une très large mesure, de la concurrence, particulièrement celle des grandes entreprises étrangères de radiodiffusion. L’existence de cet avantage est pratiquement incontestée, bien que le montant de l’avantage varie incontestablement en fonction des circonstances individuelles. Le Conseil assure cet avantage dans les dispositions relatives aux licences qui se trouvent principalement aux articles 9 et 22 [mod. par L.C. 1995, ch. 1, art. 31] de la Loi. Sans une licence de radiodiffusion, la participation au système canadien de radiodiffusion est interdite. Par conséquent, le privilège que détient le titulaire d’une licence est un avantage fourni par le régime de réglementation établi par la Loi. La Cour suprême du Canada a confirmé qu’une licence de radiodiffusion constitue un privilège dans l’arrêt La Presse, à la page 76, où le juge Abbott a déclaré :

[traduction] En l’espèce, comme je l’ai déclaré, l’intimée détenait une licence valide l’autorisant à exploiter pour l’année de licence visée, soit du 1er avril 1960 au 31 mars 1961, une station de radio privée commerciale et à utiliser une certaine radiofréquence spécifiée à cette fin. Comme l’a dit lord Atkin dans l’arrêt Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board ([1938] A.C. 708, à la page 721, 2 W.W.R. 604, 4 D.L.R. 81), une telle licence vise seulement l’autorisation de faire du commerce, sous réserve du respect de certaines conditions. En l’espèce, il n’y avait pas de relation contractuelle entre la Couronne et l’intimée, et l’intimée n’avait aucun droit acquis ni aucun droit de propriété sur la licence dont elle était titulaire. Elle avait seulement un privilège accordé par l’État, lui donnant le pouvoir de faire quelque chose qui, sans cette autorisation, serait illégal. [Non souligné dans l’original.]

(Voir également l’arrêt du juge Létourneau, de la présente Cour, Genex Communications c. Canada (Procureur général), [2006] 2 R.C.F. 199 (C.A.F.), au paragraphe 43.)

[65]  Les quatre indices de l’arrêt Westbank étant présents, je suis d’avis que le système canadien de radiodiffusion, défini dans la Loi et le Règlement, constitue le régime de réglementation pertinent.

Le lien avec la réglementation – Le recouvrement des coûts

[66]  Comme l’indique le paragraphe 44 de l’arrêt Westbank, un prélèvement est une redevance de nature réglementaire si les revenus produits par l’imposition du prélèvement sont « liés aux » coûts du régime de réglementation identifié. Il faut donc examiner ce qu’on entend par « liés aux ».

[67]  À mon avis, les revenus issus d’un prélèvement peuvent être considérés comme « liés aux » coûts d’un régime de réglementation identifié dans le cas où ils sont approximativement égaux ou inférieurs aux coûts totaux du régime de réglementation. Cette interprétation repose sur la prémisse qu’une redevance issue d’un régime de réglementation ne produisant pas de revenus excédant le montant approximatif des coûts engendrés par le régime de réglementation ne peut être considérée comme imposée en vue de percevoir des revenus à des fins générales et ne peut donc, de par son caractère véritable, être une taxe.

[68]  Comme les revenus engendrés par un prélèvement particulier et les coûts d’un régime de réglementation vont varier dans le temps, il se peut que le prélèvement produise des revenus qui excèdent les coûts du régime de réglementation. L’effet d’un tel surplus, dans ce contexte, a été examiné dans l’arrêt Allard Contractors Ltd. c. Coquitlam (District), [1993] 4 R.C.S. 371, tout comme dans l’arrêt 620 Connaught II, où le juge Rothstein a écrit, au paragraphe 40 :

Cependant, comme l’indique l’arrêt Allard, aux p. 411-412, le gouvernement a besoin d’une marge de manœuvre raisonnable en ce qui concerne l’établissement d’une limite des recettes provenant des droits. Bien qu’un surplus important ou dépassant systématiquement les coûts du régime de réglementation soit incompatible avec une redevance de nature réglementaire et porterait fortement à croire que le prélèvement constitue, de par son caractère véritable, une taxe, il en serait autrement d’un petit surplus ou d’un surplus sporadique, pour autant qu’on ait raisonnablement tenté de faire correspondre les recettes provenant des droits aux coûts du régime de réglementation.

[69]  La corrélation entre les revenus provenant du prélèvement et les coûts du régime de réglementation donnant naissance à ces revenus forme, pourrait-on dire, un spectre. À l’une des extrémités du spectre existe un lien relativement clair et direct entre les revenus et les coûts. Cette situation se produit généralement dans le cas où l’on s’efforce d’estimer ou de budgéter les coûts à recouvrer et de choisir pour le prélèvement des caractéristiques qui produiront des revenus approximativement égaux au montant des coûts anticipés. Parmi la jurisprudence illustrant cette approche de lien direct, mentionnons notamment l’arrêt Allard, où une municipalité a déployé des efforts raisonnables pour faire correspondre les droits de permis d’extraction du gravier en fonction du volume aux coûts de réparation des routes, et l’arrêt Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929, où une redevance d’exploitation relative à l’éducation a été imposée aux promoteurs immobiliers en vue de recouvrer les coûts des infrastructures scolaires expressément estimés.

[70]  À l’autre extrémité du spectre, le lien direct entre le montant des revenus issus du prélèvement et les coûts du régime de réglementation applicable est ténu. Dans ces cas, l’absence apparente de tout effort démontrable pour établir à l’avance une correspondance entre les revenus et les coûts totaux du régime de réglementation ne devrait pas, en soi, mener à conclure que ces revenus ne sont pas effectivement « liés aux » coûts de la réglementation, à condition que le montant de ces revenus n’excède pas le montant des coûts réglementaires. Cette approche de lien flou se produira vraisemblablement dans les cas où l’on peut raisonnablement prévoir que les revenus qui sont produits par le prélèvement peuvent être de beaucoup inférieurs aux coûts réglementaires correspondants. On en trouve un exemple dans l’arrêt 620 Connaught II, où le juge a statué que les revenus des droits de licence en cause représentaient environ un demi de un pour cent des coûts du régime de réglementation examiné. Cependant, la relation entre un prélèvement déterminé issu d’un régime de réglementation et les coûts totaux engagés au titre de ce régime ne représente pas nécessairement toute la réalité. Pour reprendre la mise en garde du juge Rothstein dans l’arrêt 620 Connaught II, il faut aussi prendre en compte les revenus qui peuvent être issus d’autres prélèvements auxquels donne lieu le régime de réglementation. Autrement, on ne sera pas en mesure d’établir si l’ensemble des revenus provenant des prélèvements auxquels donne naissance le régime de réglementation excède les coûts totaux du régime.

[71]  Dans les circonstances de l’espèce, aucun élément de preuve ne donne à penser que le Conseil ou tout autre organisme de la Couronne a tenté d’effectuer une planification budgétaire pour établir les droits de licence de la partie II qui serait semblable à la planification qui se trouve dans les affaires Allard et Ontario Home Builders’ Association. La preuve tend tout au plus à indiquer que les modifications de la réglementation qui ont donné lieu aux droits de licence de la partie I et aux droits de licence de la partie II ont été fondées sur l’hypothèse que ces nouveaux droits produiraient approximativement le même montant de revenus que les droits de licence qu’ils remplaçaient. À cet égard, je ne puis conclure que les droits de licence de la partie II sont « liés aux » coûts du système canadien de radiodiffusion selon l’approche du lien direct.

[72]  Il reste à savoir si les droits de licence de la partie II peuvent être considérés comme « liés aux » coûts du système canadien de radiodiffusion selon l’approche du lien flou. Tel serait le cas si, malgré l’absence d’une planification budgétaire explicite, les coûts du système canadien de radiodiffusion étaient inférieurs aux revenus produits par les droits de licence de la partie II pour la période examinée et, comme le juge Rothstein l’a indiqué dans l’arrêt 620 Connaught II, à tous les autres droits provenant du régime de réglementation applicable.

[73]  La preuve établit qu’au cours de la période visée par les demandes, le Conseil a perçu environ 182 millions de dollars au titre des droits de licence de la partie I et environ 680 millions de dollars au titre des droits de licence de la partie II. La preuve établit en outre qu’au cours de cette même période, les frais administratifs engagés par le Conseil ont été approximativement égaux aux droits de licence de la partie I perçus par le Conseil pendant cette période et que les coûts assumés par Industrie Canada pour la gestion du système de radiodiffusion ont été approximativement de 77 millions de dollars.

[74]  Les appelantes soutiennent que comme les droits de licence de la partie I remboursent les frais administratifs du Conseil, les seuls coûts réglementaires restants que les droits de licence de la partie II devraient rembourser sont ceux d’Industrie Canada pour la gestion du spectre de la radiodiffusion. Les appelantes démontrent correctement que les droits de licence de la partie II produits au cours de la période visée par les demandes excèdent de manière importante les coûts correspondants d’Industrie Canada pour cette période. Elles adoptent la position que s’il faut prendre en compte d’autres coûts de réglementation, la Couronne est tenue de fournir des éléments de preuve sur ces coûts et qu’elle ne l’a pas fait. Par conséquent, les appelantes font valoir que le montant excédentaire des droits de licence de la partie II doit être considéré comme un revenu perçu à des fins générales, ce qui mène à conclure que les droits de licence de la partie II sont, de par leur caractère véritable, une taxe. En réponse, la Couronne fait valoir que le fardeau de prouver que le montant des droits de licence de la partie II excède les coûts du régime de réglementation incombe aux appelantes, qui ont intenté des actions pour obtenir un jugement déclaratoire d’invalidité de ces droits du fait qu’il seraient, de par leur caractère véritable, une taxe.

[75]  S’agissant de la question de savoir si d’autres coûts que les frais administratifs du Conseil et d’Industrie Canada, pour sa gestion du spectre de la radiodiffusion, peuvent être pris en considération, la prétention des appelantes ne peut être accueillie. Une fois établi que le régime de réglementation pertinent est l’ensemble du système canadien de radiodiffusion, il s’ensuit, à mon avis, que les coûts pertinents sont les coûts engendrés par la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion, notamment ceux qui concernent la mise en œuvre des objectifs de politique de la Loi et du Règlement. Par conséquent, j’estime que d’autres coûts que ceux du Conseil et d’Industrie Canada dans la réalisation de leurs obligations administratives respectives peuvent à raison être pris en compte. La question qui vient ensuite est de savoir laquelle des parties est tenue d’établir l’existence ou l’absence de coûts de réglementation additionnels.

[76]  Au paragraphe 28 de ses motifs dans l’arrêt 620 Connaught II, le juge Rothstein examine le fardeau de la preuve en se demandant « si le gouvernement a démontré qu’il existe un lien entre le prélèvement et le régime de réglementation », indiquant ainsi que le fardeau de la preuve incombe à la Couronne.

[77]  La Couronne n’a produit aucun élément de preuve visant des coûts de réglementation additionnels, mais elle soutient que les crédits affectés à la Société Radio-Canada sont le coût du système canadien de radiodiffusion, le régime de réglementation visé, et que la Cour n’a qu’à examiner les Lois de crédits adoptées au cours de la période visée par les demandes pour vérifier que la valeur des crédits affectés à la Société Radio-Canada dans cette période excède manifestement les revenus des droits de licence de la partie II pour la même période.

[78]  Je note que, depuis la décision La Presse, il est reconnu que les coûts de la Société Radio-Canada sont du type qui correspond à la réalisation des objectifs de politique du régime de réglementation à l’égard desquels des droits de licence de radiodiffusion sont payables, notamment des objectifs visés aux alinéas 3(1)l) et m) de la Loi. En effet, une indication antérieure en ce sens figure clairement dans un témoignage relatif à Nordicity Group Ltd. que la Couronne avait présenté à la Cour fédérale. Ce témoignage soulignait que l’alinéa 14(1)a) de la Loi canadienne sur la radiodiffusion, 1936, S.C. 1936, ch. 24, qui a créé la Société Radio-Canada en 1936, prévoyait expressément que les droits de licence perçus sur les licences de réception privée et les licences de radiodiffusion des stations privées, déduction faite des coûts administratifs afférents, seraient affectés au financement d’une partie des coûts de la Société Radio-Canada.

[79]  Comme la Couronne l’a indiqué, les crédits gouvernementaux affectés à la Société Radio-Canada sont du domaine public, car ils figurent dans les lois de crédits. Il eût été utile que cette documentation soit versée au dossier, mais j’ai constaté, en faisant le recensement des lois adoptées au cours de la période visée par les demandes, que le gouvernement a versé à la Société Radio-Canada des crédits d’au-delà de 7 milliards de dollars. (Voir la Loi de crédits n° 2 pour 1997-1998, L.C. 1997, ch. 35; Loi de crédits n° 2 pour 1998-99, L.C. 1998, ch. 28; Loi de crédits n° 4 pour 1998-1999, L.C. 1998, ch. 40; Loi de crédits n° 2 pour 1999-2000, L.C. 1999, ch. 30; Loi de crédits n° 2 pour 2000-2001, L.C. 2000, ch. 18; Loi de crédits n° 2 pour 2001-2002, L.C. 2001, ch. 24; Loi de crédits n° 3 pour 2001-2002, L.C. 2001, ch. 39; Loi de crédits n° 2 pour 2002-2003, L.C. 2002, ch. 21; Loi de crédits n° 4 pour 2002-2003, L.C. 2003, ch. 3; Loi de crédits n° 2 pour 2003-2004, L.C. 2003, ch. 13; Loi de crédits n° 3 pour 2003-2004, L.C. 2003, ch. 25; Loi de crédits n° 4 pour 2003-2004, L.C. 2004, ch. 5; Loi de crédits n° 2 pour 2004-2005, L.C. 2004, ch. 27.) Comme je l’ai fait observer précédemment, les droits de licence de la partie II perçus par le Conseil pour la période visée par les demandes totalisent approximativement 680 millions de dollars.

[80]  Les appelantes font valoir que [traduction] « le subventionnement de la SRC par le gouvernement » ne devrait pas être considéré comme un coût de réglementation. Elles invoquent le fait que la Société Radio-Canada n’est pas tenue de verser les droits de licence de la partie II et qu’elle est, dans de nombreux cas, en concurrence avec les titulaires d’une licence privée de radiodiffusion. En toute déférence, je ne puis acquiescer à cette argumentation, comme je l’ai déjà indiqué, parce qu’elle contredit la conclusion de la Cour de l’Échiquier dans la décision La Presse selon laquelle les coûts de la Société Radio-Canada ont à bon droit été définis comme des coûts de réglementation. À mon avis, cette conclusion demeure valide.

[81]  Les appelantes soutiennent en outre que les revenus produits par les droits de licence de la partie II sont déposés dans le Trésor et ne sont pas affectés à un compte ayant une fin déterminée, ce qui entraîne que le produit des droits de licence de la partie II n’est pas directement affecté à des coûts de réglementation, notamment aux crédits attribués à la Société Radio-Canada. Pour cette raison, font valoir les appelantes, les crédits qu’affecte le gouvernement à la Société Radio-Canada ne peuvent être assimilés à des coûts de réglementation compensés en partie par les droits de licence de la partie II.

[82]  À mon avis, l’argumentation portant que les droits de licence de la partie II doivent être directement affectés à des coûts réglementaires liés à un régime de réglementation est irrecevable. Il suffit que les droits de licence de la partie II, issus du régime de réglementation constitué en vertu de la Loi et du Règlement, soient déposés dans le Trésor et que des coûts égaux ou supérieurs engagés au titre de ce régime de réglementation, par exemple les crédits de la Société Radio-Canada, proviennent du Trésor. Exiger que les droits de licence de la partie II soient déposés dans un compte ayant une fin spéciale et que les coûts de réglementation du système canadien de radiodiffusion soient payés sur ce compte à fin spéciale pour que ces droits de licence puissent être considérés comme « liés aux » coûts du régime de réglementation en question serait indûment formaliste et ne serait pas pratique; par conséquent, on ne peut accepter une telle exigence.

[83]  J’estime que la Société Radio-Canada est reconnue, au moins depuis l’époque de la décision La Presse, comme un participant à part entière à la mise en œuvre des objectifs de politique du régime de réglementation constitué par la Loi. Il s’ensuit que les crédits accordés à la Société Radio-Canada au cours de la période visée par les demandes peuvent raisonnablement être considérés comme des coûts de réglementation. Comme les recettes issues des droits de licence de la partie II sont largement inférieures aux coûts particuliers de cette réglementation, il est manifeste qu’elles sont inférieures aux coûts totaux du régime de réglementation qui les produit.

[84]  Le dernier aspect de la question du lien entre le prélèvement et les coûts du régime de réglementation est de savoir s’il a été établi de manière satisfaisante que les revenus provenant des autres prélèvements effectués au titre du système canadien de radiodiffusion, joints à ceux des droits de licence de la partie I et des droits de licence de la partie II, n’excèdent pas les coûts totaux du régime de réglementation.

[85]  Les parties n’ont fait mention d’aucune autre sorte de prélèvement, qu’il s’agisse de taxes potentielles ou de redevances réglementaires, qui seraient pertinents à l’égard des questions dont la Cour était saisie. De plus, d’un point de vue pratique, il semble que le montant des revenus de tous autres prélèvements additionnels devrait excéder 6 milliards de dollars au cours de la période visée par les demandes avant que la somme des revenus des droits de licence de la partie I, des droits de licence de la partie II et de ces prélèvements additionnels puisse potentiellement excéder les coûts (y compris les crédits de la Société Radio-Canada) dont il a été établi qu’ils avaient été engagés au cours de la période visée par les demandes. Par conséquent, je suis disposé à déduire de l’absence d’argumentation des parties au présent appel sur l’existence de tout autre type de prélèvements générateurs de recettes, qu’il n’y a pas de revenus additionnels à prendre en considération, particulièrement des revenus de l’ordre de 6 milliards de dollars au cours de la période visée par les demandes, pour décider si les droits de licence de la partie II sont « liés aux » coûts du système canadien de radiodiffusion selon l’approche du lien flou. Il s’ensuit qu’à mon avis les droits de licence de la partie II sont inférieurs aux coûts du système canadien de radiodiffusion, définis ci-dessus, et qu’à cet égard, ces droits de licence peuvent être considérés comme liés au régime de réglementation visé. Par conséquent, les droits de licence de la partie II sont, de par leur caractère véritable, une redevance de nature réglementaire et non une taxe.

[86]  Si j’ai tort de conclure que les droits de licence de la partie II sont « liés aux » coûts d’un régime de réglementation, ces droits constitueront néanmoins des redevances réglementaires s’ils sont liés d’une autre manière à un régime de réglementation. Par conséquent, je procéderai à l’examen de cette question.

Le lien avec la réglementation – L’objet de réglementation

[87]  Selon le paragraphe 44 de l’arrêt Westbank, les droits de licence de la partie II seront liés à un régime de réglementation, et constituent de ce fait une redevance de nature réglementaire, s’ils ont un objet de réglementation. Cette proposition est conforme à l’opinion majoritaire de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, à la page 1070, formulée de la manière suivante :

Si, par contre, le gouvernement fédéral établit une taxe essentiellement à des fins de réglementation ou si cette taxe est indissociable d’une réglementation plus générale, […] il ne s’agit pas véritablement de « taxation » […]

[88]  Les appelantes soutiennent que du fait que les droits de licence de la partie II excèdent les coûts du régime de réglementation qui ne sont pas compensés par les droits de licence de la partie I, les droits de licence de la partie II doivent être considérés comme ayant été prescrits à des fins de perception de revenus généraux et non pas en vue d’un objet de réglementation.

[89]  La Couronne rejette l’argument et présente une explication plus nuancée de l’objet des droits de licence de la partie II, qui est en conformité avec l’observation du juge Rothstein au paragraphe 20 de l’arrêt 620 Connaught II, selon laquelle les redevances de nature réglementaire « sont habituellement exigées à l’égard de droits ou d’avantages accordés par le gouvernement ». Selon mon interprétation de la position de la Couronne, les droits de licence de la partie II représentent le paiement pour l’octroi du privilège de fonctionner dans le cadre du système canadien de radiodiffusion, en partie protégé de la concurrence tous azimuts par la fonction d’attribution de licences du Conseil, partie intégrante du régime de réglementation constitué en vertu de la Loi. Le fait de limiter le nombre de licences délivrées limite de manière correspondante la participation au système canadien de radiodiffusion. Par conséquent, l’obtention d’une licence constitue un avantage important accordé à chaque entité qui devient titulaire d’une licence. Il s’ensuit, selon la Couronne, que les droits de licence de la partie II ont un objet de réglementation, qui est de veiller à ce que les personnes qui profitent de cet avantage soient tenues de payer en contrepartie plus qu’un montant symbolique.

[90]  Les appelantes ne soutiennent pas que les licences n’ont aucune valeur pour les titulaires de licences. Elles font plutôt valoir que le Conseil doit obtenir un pouvoir législatif exprès pour prescrire des droits en contrepartie ou à l’égard du privilège ou de l’avantage que reçoit un titulaire de licence en raison de l’attribution de la licence. Elles prétendent également que même si le Conseil a le pouvoir d’établir des droits de licence à l’égard de ce privilège ou de cet avantage, il lui incombe d’établir que les montants des redevances équivalent approximative­ment à la valeur du privilège ou de l’avantage, ce que le Conseil n’a pas fait.

[91]  À mon avis, les arguments des appelantes ne peuvent être accueillis. L’article 11 de la Loi précise que les droits de licence peuvent être calculés en fonction de certains critères. Cette formulation large confère au Conseil un pouvoir suffisant pour fixer des droits de licence en contrepartie ou à l’égard du privilège ou de l’avantage que reçoit un titulaire de licence du fait de la délivrance de la licence. Il n’incombe pas au Conseil d’établir la valeur du privilège ou de l’avantage issu de la délivrance de la licence par le Conseil. Une telle exigence imposerait un fardeau lourd et inutile au Conseil, car la valeur du privilège ou de l’avantage varierait, selon toute vraisemblance, d’un titulaire de licence à l’autre. À mon avis, un droit de licence fondé sur les revenus, expressément autorisé en vertu de l’alinéa 11(2)a) de la Loi, peut être considéré comme une approximation raisonnable de la valeur du privilège ou de l’avantage qu’un titulaire de licence reçoit en raison de la délivrance de la licence, étant donné que le montant du droit de licence augmentera ou diminuera en fonction de l’augmentation ou de la diminution des revenus du titulaire de licence.

[92]  À mon avis, la délivrance de licences est une fonction du Conseil qui constitue un élément essentiel du régime de réglementation constitué par la Loi et le Règlement. Dans l’accomplissement de cette fonction, le Conseil est habilité à conférer des avantages importants aux demandeurs de licence dont la demande est accueillie. Ces avantages sont largement attribuables à la limitation du niveau de la concurrence dans l’industrie de la radiodiffusion canadienne. En accordant les avantages issus du privilège d’être un titulaire de licence, le Conseil est conscient, et doit l’être, qu’une conséquence de la limite imposée au niveau de concurrence dans cette industrie sera vraisemblablement de donner aux titulaires de licences la capacité d’obtenir des revenus supérieurs à ceux qu’ils obtiendraient si une concurrence tous azimuts était autorisée dans cette industrie. À mon avis, il s’ensuit que le Conseil a l’obligation de veiller à ce que l’avantage précieux d’une licence ne soit pas « donné » aux titulaires de licences.

[93]  La Cour d’appel de la Nouvelle-Zélande a également adopté cette position dans l’arrêt Mount Cook, où le juge North a déclaré à la page 487 :

[traduction] Deuxièmement, sans égard aux droits de propriété qui lui sont conférés, l’Office reçoit le pouvoir d’accorder à une personne particulière le droit de bénéficier, dans un domaine très restreint de concurrence, d’un privilège commercial. Je ne vois absolument aucune raison justifiant que l’Office n’établisse pas de droit de licence pour ce privilège qui lui reviendra à titre de bénéfice augmentant ses revenus généraux. Si ce n’était pas le cas, il y aurait un résultat plutôt étrange, selon la perspective qu’a privilégiée le juge Wilson, soit que l’Office serait pratiquement forcé de faire cadeau du privilège commercial à une personne choisie […] [Non souligné dans l’original.]

[94]  En toute déférence, je suis aussi d’avis que ce serait « un résultat plutôt étrange » que les appelantes reçoivent pratiquement en cadeau le droit d’exercer leur activité dans un « domaine très restreint de concurrence ». À mon avis, les droits de licence de la partie II visent un objet de réglementation en imposant aux titulaires de licences l’obligation d’effectuer des paiements en contrepartie du privilège d’exercer leur activité dans une industrie que le régime de réglementation protège des rigueurs de la concurrence tous azimuts.

[95]  Les appelantes soutiennent ensuite qu’eu égard aux autres conditions relatives à leurs licences, elles ont pour l’essentiel payé pour cet avantage. En réponse, la Couronne fait mention d’autres avantages mis à la disposition des titulaires de licences. Il s’agit notamment de mesures en matière d’impôt sur le revenu qui encouragent la publicité au Canada, du financement direct du gouvernement d’une certaine programmation télévisuelle canadienne et de la substitution simultanée d’annonces commerciales canadiennes aux annonces de radiodiffuseurs étrangers d’émissions de télévision simultanément diffusées par des titulaires de licences. À mon avis, le fait que d’autres avantages puissent être fournis aux titulaires de licences et que d’autres coûts puissent être engagés par eux sont des questions susceptibles de concerner l’adéquation globale entre les sommes payées et les contreparties reçues par les titulaires de licences pour la demande et l’obtention du privilège de leurs licences. Ces considérations, à mon avis, ne vont pas à l’encontre de ma conclusion que les droits de licence de la partie II visent un objet de réglementation. J’observerais seulement que le marché est vraisemblablement le lieu approprié pour trancher ces questions d’adéquation. J’entends par cela que si, dans un cas donné, un titulaire de licence conclut que le montant des droits de licence de la partie II qui sont exigibles rend sa participation au système canadien de radiodiffusion insoutenable, son retrait du système pourrait être la conséquence d’une pareille conclusion.

[96]  Comme j’ai conclu que les droits de licence de la partie II ont un objet de réglementation, ainsi que je l’ai exposé ci-dessus, il s’ensuit à mon avis que ces redevances sont liées au régime de réglementation constitué par la Loi et le Règlement. Par conséquent, je suis d’avis que les droits de licence de la partie II sont, de par leur caractère véritable, une redevance de nature réglementaire et non une taxe.

LES DÉPENS SUR LA BASE AVOCAT-CLIENT

[97]  La seule question qui reste dans les appels incidents est le caractère approprié de l’attribution par la Cour fédérale de dépens sur la base avocat-client à l’encontre de la Couronne. L’adjudication des dépens est régie par la règle 400 [mod. par DORS/2002-417, art. 25(F)] des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)]. La Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire complet sur les dépens, y compris sur l’adjudication de dépens sur la base avocat-client. Cependant, dans l’arrêt Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances); Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, la Cour suprême du Canada a conclu que l’octroi de dépens sur la base avocat-client est exceptionnelle et ne devrait généralement s’appliquer que lorsqu’une partie a eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante.

[98]  De plus, dans l’arrêt Finch c. Canada, 2002 CAF 194, le juge Noël a conclu qu’il incombait au juge de donner aux parties la possibilité de se faire entendre sur la question des dépens avant l’adjudication sur la base avocat-client. En l’espèce, la Cour fédérale n’a demandé aucune observation avant l’adjudication des dépens. En fait, aucune partie n’a même demandé de dépens sur la base avocat-client.

[99]  À l’audience, les avocats des appelantes ont reconnu que la Couronne n’avait pas eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante et n’ont pas fait opposition aux appels incidents sur la question. J’ai été étonné d’une telle adjudication de dépens par la Cour fédérale, particulièrement en l’absence d’observations des parties sur le sujet. À mon avis, on ne trouve rien dans le dossier qui justifie cette adjudication des dépens sur la base avocat-client. Par conséquent, j’accueillerais les appels incidents sur la question.

DISPOSITIF

[100]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais chaque appel avec dépens en faveur de l’intimée, ces dépens étant limités pour l’audience qui s’est tenue devant nous à un seul mémoire de frais, puisque les appels ont été réunis.

[101]  J’accueillerais les appels incidents avec dépens en faveur de l’intimée et j’annulerais la décision de la Cour fédérale. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je déclarerais que l’article 11 du Règlement est valide et que les droits de licence de la partie II ne sont pas une taxe. Je rejetterais les actions des appelantes avec dépens en faveur de l’intimée.

***

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[102]  Le juge Létourneau, J.C.A. : J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mes collègues, le juge Ryer et le juge Pelletier.

[103]  Je conviens avec le juge Ryer que nous devrions statuer sur l’appel comme il le propose. Cependant, lorsqu’il existe un régime de réglementation et un objet de réglementation et qu’une redevance est perçue en contrepartie d’un avantage ou d’un privilège comme en l’espèce, je pense en toute déférence qu’il n’est pas nécessaire d’établir de relation raisonnable ou de lien entre le montant du prélèvement et les coûts du régime de réglementation, sans égard à l’épithète ou au qualificatif—direct ou indirect, flou ou caractérisé—donné à ce lien. S’il arrivait que des redevances de licences de radiodiffusion soient trop élevées, la concurrence sur ce marché réglera directement la question et les forces en jeu exerceront vraisemblablement un contrôle adéquat sur l’enthousiasme excessif des organes de réglementation.

[104]  Je suis conforté dans cette position par l’approche du juge Pelletier quant aux raisons pour lesquelles les droits visés ne sont pas une taxe. Comme il le souligne, personne en l’espèce n’est tenu de payer la redevance à moins de chercher à se faire octroyer le privilège de l’obtention et de l’exploitation d’une licence de radiodiffusion. Ce régime ne comporte pas l’élément contraignant qui caractérise une taxe. Nous avons affaire à des entreprises commerciales libres, qui cherchent à réaliser des profits et qui peuvent ou non trouver leur intérêt financier dans l’exploitation d’un privilège qu’elles ont demandé. Je n’arrive pas à voir dans ce cas comment la redevance applicable à la licence peut être une taxe.

[105]  Si j’ai tort d’adopter cette approche et que la jurisprudence actuelle exige un lien entre le prélèvement et les coûts du régime de réglementation pour que le prélèvement n’entre pas dans la catégorie d’une « taxe », je souscris alors à la conclusion du juge Ryer selon laquelle les droits de licence de la partie II sont inférieurs aux coûts du système canadien de radiodiffusion.

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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[106]  Le juge Pelletier, J.C.A. : Je souscris à la décision proposée par mon collègue, mais je fonde ma position sur des motifs plus fondamentaux.

[107]  Le fondement juridique de la plainte des appelantes est l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) [(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], qui prévoit :

53. Tout bill ayant pour but l’appropriation d’une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d’impôts, devra originer dans la Chambre des Communes.

[108]  Dans Succession Eurig (Re), la Cour suprême a fait observer ce qui suit sur le principe qui sous-tend l’article 53, au paragraphe 30 :

À mon avis, le fondement de l’art. 53 est un peu plus large. En exigeant que tout projet de loi créant une taxe émane de la législature, cette disposition codifie le principe selon lequel il ne peut y avoir de taxation sans représentation. Mon interprétation de l’art. 53 n’a pas pour effet d’interdire au Parlement ou aux législatures de confier à des délégataires prévus par la loi — tel le lieutenant-gouverneur en conseil — un certain pouvoir sur le détail de la taxe et son mécanisme d’application. Au contraire, elle interdit non seulement au Sénat mais également à tout organisme autre que la législature directement élue d’imposer une taxe de son propre chef.

[109]  L’article 53 concerne la responsabilité démocratique. Il a pour fonction de veiller à ce que seuls les responsables politiques devant les électeurs soient autorisés à imposer à ces derniers un prélèvement obligatoire. Il n’y a pas d’atteinte au principe selon lequel « il ne peut y avoir de taxation sans représentation » quand un gouvernement offre aux personnes disposées à en payer le prix des biens, un droit commercial ou une licence visant une activité qui ne peut être licitement accomplie que par un titulaire de licence. Ces opérations peuvent soulever des questions de responsabilité à l’égard du bien public, mais la responsabilité démocratique n’est pas mise en cause lorsque des citoyens acquièrent du gouvernement des biens ou des droits commerciaux moyennant une contrepartie pécuniaire.

[110]  Il est certain que ce mécanisme comporte une certaine circularité dans la mesure où il appartient au gouvernement de décider des activités qui nécessitent une licence ou n’en nécessitent pas. Malgré cette circularité, il demeure que lorsque le gouvernement confère une licence ou cède un bien ou un droit commercial à une personne à un prix donné, il n’y a pas de prise de biens par une contrainte résultant de la loi. Il s’agit simplement d’un échange commercial. Comme il n’y a pas de dépossession de biens par une contrainte résultant de la loi, la question de la responsabilité démocratique ne se pose pas. Une somme d’argent payée de plein gré au gouvernement en contrepartie d’un droit commercial ou d’un bien n’est pas une taxe.

[111]  À mon avis, il est absolument sans importance que la Chambre des Communes, le gouverneur en conseil ou un ministre de l’État agissant en vertu d’un pouvoir délégué établisse les droits exigibles pour des licences de radiodiffusion. Il demeure incontestable qu’en contrepartie du paiement de droits, la personne qui paie acquiert (ou maintient) le droit d’exercer son activité au sein d’une industrie fortement réglementée, fortement protégée et dotée d’un potentiel important de bénéfice économique. Nul n’est tenu d’acquérir une licence; les personnes qui estiment que les droits en sont trop élevés peuvent s’orienter vers une autre activité commerciale ou vendre leur licence selon les conditions prévues dans le régime de réglementation.

[112]  Il y aura certainement des cas, dans l’infinie diversité des situations qui se produisent dans le cours des événements, où l’on ne verra pas clairement si une opération a un caractère volontaire ou forcé (au sens juridique ou pratique) ou si le droit ou la chose est un objet de valeur. Il n’est pas nécessaire de prévoir ces cas pour rendre une décision en l’espèce. La jurisprudence en la matière, que mon collègue a appliquée rigoureusement à l’espèce, a énormément complexifié le sujet, car elle mêle les questions de fédéralisme (immunité fiscale intergouvernementale) et de responsabilité démocratique. Chacune de ces questions soulève des réflexions distinctes qui ne ressortent pas nécessairement dans la jurisprudence actuelle. L’effet sur un palier de gouvernement des taxes imposées par un autre palier de gouvernement dans le fonctionnement d’un État fédéral est une question différente de celle de la légitimité démocratique de certaines formes de transfert de la richesse des citoyens vers l’État. Les caractéristiques susceptibles de rendre une redevance préjudiciable au fédéralisme ne la rendent pas nécessairement illégitime sur le plan démocratique.

[113]  Mon collègue a correctement exposé le droit actuel et l’a correctement appliqué aux faits de l’espèce. Rien dans la jurisprudence n’empêche de tenir le raisonnement qui m’a fait arriver à la même conclusion que lui en ce qui concerne le sort du présent appel.

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