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[2009] 2 R.C.F.                                           barreau du haut-canada c. canada                                                          466

A-57-07

2008 CAF 243

Le Barreau du Haut-Canada (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, la Société canadienne de consultants en immigration et le procureur général du Canada (intimés)

et

La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada (intervenante)

Répertorié : Barreau du Haut-Canada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Blais et Evans, J.C.A.—Toronto, 11 juin; Ottawa, 18 juillet 2008.

    Droit constitutionnel — Principes fondamentaux — Appel de la décision rejetant une demande en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), qui met en oeuvre le régime pour encadrer les consultants en immigration, est ultra vires — L’art. 13.1 du Règlement, pris par le gouverneur en conseil en application des art. 5(1) et 91 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), prévoit que seuls les « représentant[s] autorisé[s] » sont habilités, « contre rémunération », à représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou à faire office de conseil, au palier administratif — Exception faite des avocats, stagiaires en droit et notaires, les représentants autorisés doivent être membres de la Société canadienne de consultants en immigration (SCCI), créée pour encadrer les consultants en immigration — 1) Le Règlement ne porte pas atteinte à l’indépendance du barreau — 2) L’art. 91 de la LIPR autorise la prise du Règlement — 3) Le Règlement ne compromet pas le secret professionnel de l’avocat — 4) Le Règlement constitue une subdélégation implicite de pouvoirs à la SCCI — Appel rejeté.

    Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Le Règlement pris en application des art. 5(1) et 91 de la LIPR qui met en œuvre un régime pour encadrer les consultants en immigration est intra vires.

      Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande présentée par le Barreau du Haut-Canada en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), qui met en œuvre le régime pour encadrer les consultants en immigration, est ultra vires et a certifié une question grave de portée générale quant à la validité du Règlement.

      L’article 13.1 du Règlement, pris par le gouverneur en conseil en application du paragraphe 5(1) et de l’article 91 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), prévoit que seuls les « représentant[s] autorisé[s] » sont habilités, « contre rémunération », à représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou à faire office de conseil, au palier administratif. L’expression « représentant autorisé » s’entend d’un membre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne de consultants en immigration (la SCCI), l’organisme créé pour réglementer les consultants en immigration. Les stagiaires en droit font l’objet d’une exception.

      Les questions à trancher étaient celles de savoir si : 1) le Règlement porte inconstitutionnellement atteinte à l’indépendance du barreau, s’appliquant implicitement aux consultants en immigration; 2) l’article 91 de la LIPR autorise l’établissement d’un régime pour réglementer une profession; 3) le Règlement est ultra vires parce qu’il permet de violer le secret professionnel de l’avocat; et 4) le Règlement, en définissant un « représentant autorisé » comme comprenant un membre de la SCCI, constitue une subdélégation non autorisée de pouvoirs du gouverneur en conseil à la SCCI de déterminer qui peut ou ne peut pas conseiller et représenter des personnes dans les affaires en immigration devant les tribunaux administratifs.

      Arrêt : l’appel doit être rejeté.

      1) Si l’on tient pour acquis que l’indépendance du barreau est garantie par la Constitution et qu’elle s’applique en l’espèce, force est de constater qu’aucune atteinte n’y a été portée. La structure de gouvernance de la SCCI garantit que les consultants en immigration ne subiront de la part de l’organisme qui les réglemente aucune pression innoportune lorsqu’ils représentent leurs clients. Le fait que le gouverneur en conseil ait le pouvoir de modifier le Règlement pour supprimer le rôle de réglementation de la SCCI ou pour permettre au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’intervenir encore plus dans ses affaires ne prive pas la SCCI ou les consultants en immigration de leur indépendance.

      2) L’article 91 de la LIPR précise que « [l]es règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter une personne, dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission [de l’immigration et du statut de réfugié], ou faire office de conseil ». Il ressort nettement du libellé de l’article 91 de la LIPR que celui-ci permet de prendre des règlements sur l’objet même du Règlement. Rien ne justifie d’interpoler dans le texte de l’article 91 des restrictions importantes.

      3) Les membres de la SCCI ne peuvent être forcés de divulguer des « renseignements confidentiels » qui sont également protégés par le secret professionnel de l’avocat. Les avocats ne sont pas par ailleurs dépourvus de moyens pratiques et juridiques pour empêcher que des renseignements confidentiels ne soient divulgués à la SCCI.

      4) L’article 91 de la LIPR autorise implicitement la subdélégation de pouvoirs à la SCCI qui découle du Règlement. Le Règlement a pour effet de laisser à la SCCI, par le biais de ses règlements, y compris ceux prescrivant les conditions à remplir pour pouvoir devenir membre, le soin de définir les exigences à respecter pour être considéré comme un membre en règle de la SCCI et, partant, comme un « représentant autorisé ». L’opportunité de garder une certaine distance entre le pouvoir exécutif et la réglementation de la profession par un organisme de réglementation indépendant est suffisamment importante pour réfuter la présomption interdisant la subdélégation.

    lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Legal Profession Act, S.B.C. 1998, ch. 9, art. 1 « practice of law », 26(1).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92(13),(14),(25), 96, 97, 98, 99, 100.

Loi sur le Barreau, L.R.O. 1990, ch. L.8, art. 50.

Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C-32, Partie II.

Loi sur l’exercice des compétences légales, L.R.O. 1990, ch. S.22, art. 10 (mod. par L.O. 2006, ch. 21, annexe C, art. 134).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 30 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 19), 69(1) (mod., idem, art. 59), 114(1)v) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 29).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 74d), 91, 167(1).          

Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2004-59.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 2 « représentant autorisé » (édicté par DORS/2004-59, art. 1), 13.1(1) (édicté, idem, art. 3), (3) (édicté, idem).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 119.

    jurisprudence citée

décisions appliquées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Wilder v. Ontario Securities Commission (2001), 53 O.R. (3d) 519; 197 D.L.R. (4th) 193; 142 O.A.C. 300 (C.A.).

décision examinée :

Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113; 2001 CSC 67.

décisions citées :

Law Society of Upper Canada v. Stoangi (2003), 64 O.R. (3d) 122 (C.A.); Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; R. c. Campbell; R. c. Ekmecic; R. c. Wickman; Manitoba Provincial Judges Assn. c. Manitoba (Ministre de la Justice), [1997] 3 R.C.S. 3; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; 2001 CSC 52; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574; 2008 CSC 44; Re Peralta et al. and the Queen in right of Ontario et al. (1985), 49 O.R. (2d) 705; 16 D.L.R. (4th) 259; 7 O.A.C. 283 (C.A.).

doctrine citée

Canada. Comité consultatif sur la réglementation des activités des consultants en immigration. Rapport du Comité consultatif sur la réglementation des activités des consultants en immigration. Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2003.

Canada. Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Les conseillers en immigration : le temps est venu d’agir : neuvième rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration. Ottawa : Imprimeur de la Reine, 1995.

Commission de réforme du droit du Canada. The Determination of Refugee Status in Canada: A Review of the Procedure: Draft Final Report. Ottawa : La Commission, 1992.

Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Gaz. C. 2003.I.3955.

Société canadienne de consultants en immigration. Code de déontologie, règles 5.1, 5.2, en ligne : <http://www. csic-scci.ca/fr/content/professional_conduct>.

Société canadienne de consultants en immigration. Règlements administratifs, prenant effet le 22 mars 2006, en ligne : <http://csic-scci.ca/fr/content/bylaws>.

Willis, John. « Delegatus Non Potest Delegare » (1943), 21 R. du B. can. 257.

    APPEL à l’encontre de la décision ([2007] 4 R.C.F. 132; 2006 CF 1489) par laquelle la Cour fédérale a rejeté une demande en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés est ultra vires. Appel rejeté.

    ont comparu :

Bryan Finlay, c.r., Marie-Andrée Vermette et Caroline E. Abela pour l’appelant.

Marianne Zoric et Catherine C. Vasilaros pour les intimés le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le procureur général du Canada.

John E. Callaghan et Benjamin Na pour l’intimée la Société canadienne de consultants en immigration.

Chris G. Paliare et Andrew K. Lokan pour l’intervenante.

    avocats inscrits au dossier :

WeirFoulds LLP, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le procureur général du Canada.

Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Toronto, pour l’intimée la Société canadienne de consultants en immigration.

Paliare Roland Rosenberg Rothstein LLP, Toronto, pour l’intervenante.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

    Le juge Evans, J.C.A. :

A. INTRODUCTION

[1]     Le présent appel porte sur la validité du régime que le gouvernement fédéral a mis sur pied en 2004 pour encadrer les consultants en immigration. L’organisme créé pour réglementer les consultants en immigration est-il suffisamment indépendant par rapport au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) et suscite-t-il des conflits inévitables entre le régime qui réglemente les consultants et celui qui régit les avocats? Ou le régime d’autoréglementation établi par le Règlement constitue-t-il une réponse légitime aux préoccupations exprimées depuis longtemps par le public au sujet de l’incompétence, des honoraires abusifs et des autres pratiques peu scrupuleuses observées chez certains consultants en immigration qui n’étaient auparavant assujettis à aucune réglementation?

[2]     Ces questions nous sont soumises dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour fédérale ([2007] 4 R.C.F. 132) par laquelle le juge Hughes a rejeté une demande de contrôle judiciaire présentée par le Barreau du Haut-Canada en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2004-59 (le Règlement), qui met en œuvre le régime de réglementa- tion, est ultra vires. Le Barreau du Haut- Canada est appuyé par une intervenante, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada (la Fédération) qui craint surtout que le régime ne compromette la confidentialité des communications privilégiées entre les avocats et leurs clients. Le ministre conteste l’appel, tout comme la Société canadienne des consultants en immigration (SCCI), l’organisme chargé de réglementer les consultants en immigration.

[3]     À mon avis, le Règlement ne viole pas la Constitution, ne compromet pas le secret professionnel de l’avocat et n’outrepasse pas par ailleurs les vastes pouvoirs législatifs délégués au gouverneur en conseil par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, article 91 (la LIPR). Je suis par conséquent d’avis de rejeter l’appel.

B. CONTEXTE FACTUEL ET JURIDIQUE

    (i) Avant l’entrée en vigueur du Règlement

[4]     Aucun régime administratif n’a autant de répercussions profondes sur la vie des citoyens canadiens que celui qui régit l’immigration et la détermination du statut de réfugié. Pour faciliter l’accès au processus, on reconnaît que les avocats ne devraient pas exercer de monopole lorsqu’il s’agit de conseiller et de représenter des personnes devant les tribunaux administratifs en matière d’immigration et de protection des réfugiés.

[5]     Bien que des services d’aide juridique soient offerts dans certaines affaires, les consultants en immigration ont un rôle important à jouer pour aider les personnes disposant de ressources limitées à s’y retrouver dans le dédale de la procédure juridique et administrative complexe du système d’immigration. En outre, le fait qu’un consultant ait les mêmes origines ethniques que son client et qu’il puisse communiquer avec celui-ci dans la même langue peut être rassurant pour la personne prise dans l’engrenage du système d’immigration et utile pour celui qui est appelé à se prononcer sur son cas.

[6]     Force est toutefois de reconnaître que, par le passé, trop de consultants ont fait preuve d’incompétence ou se sont livrés à une exploitation éhontée de leurs clients. Depuis longtemps, on estime essentiel de prévoir une certaine forme de réglementation pour protéger les personnes vulnérables, aider les personnes appelées à rendre des décisions à leur sujet et assurer la confiance du public envers le système canadien de l’immigration (voir, par exemple, Commission de réforme du droit du Canada, The Determination of Refugee Status in Canada: A Review of the Procedure: Draft Final Report (1992) (dossier d’appel, vol. 10, pages 2542 et 2543); Canada, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Les conseillers en immigration : le temps est venu d’agir : neuvième rapport (1995) (dossier d’appel, vol. 10, page 2504); Rapport du Comité consultatif sur la réglementation des activités des consultants en immigration (2003) (dossier d’appel, vol. 1, pages 86, 87 et 88)).

[7]     Une forme indirecte de réglementation est exercée sur les consultants qui sont engagés par des avocats, lesquels doivent répondre de la conduite de leurs employés devant leur propre organisme d’autoréglementation et qui, si les choses tournent mal, peuvent se voir infliger des sanctions disciplinaires pour cause de supervision inadéquate. Les barreaux n’ont toutefois pas le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires contre des non-juristes. Un cabinet d’avocats peut, évidemment, congédier un employé pour inconduite. Mais si l’on envisage la question sous l’angle de la protection du consommateur, cette sanction a une valeur limitée car, à défaut de règlement, les consultants en immigration congédiés peuvent toujours tenter de continuer à exercer leurs activités auprès d’autres avocats ou d’autres consultants en immigration ou pour leur propre compte.

[8]     Le fondement légal du rôle des consultants en immigration se trouve au paragraphe 167(1) de la LIPR, qui permet aux personnes qui comparaissent devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) de se faire représenter « par un avocat ou un autre conseil » [non souligné dans l’original]. Dans le présent contexte, on entend par « autre conseil » des personnes qui ne sont pas des juristes. La représentation par des non-juristes devant les tribunaux administratifs est monnaie courante (voir, par exemple, le code de procédure administrative général de l’Ontario, en l’occurrence la Loi sur l’exercice des compétences légales, L.R.O. 1990, ch. S.22, article 10 [mod. par L.O. 2006, ch. 12, annexe C, art. 134]).

[9]     Le paragraphe 167(1) de la LIPR ne s’applique pas à la représentation en matière d’immigration devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale. En conséquence, les personnes qui n’agissent pas pour leur propre compte ne peuvent normalement se faire représenter que par un avocat dans une instance en contrôle judiciaire (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], règle 119).

[10]     La validité des dispositions qui ont précédé le paragraphe 167(1) de la LIPR, en l’occurrence l’article 30 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 19] et le paragraphe 69(1) [mod., idem, art. 59] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, a été contestée dans l’arrêt Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113 (Mangat). Le Barreau de la Colombie-Britannique plaidait que l’exercice du droit relevait de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils et sur l’administration de la justice dans la province (Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], paragraphes 92(13) et 92(14)).

[11]     Suivant la définition que l’on trouve à l’article 1 de la Legal Profession Act, S.B.C. 1998, ch. 9, l’exercice du droit comprend la comparution à titre d’avocat moyennant rétribution. Le paragraphe 26(1) confère ce droit exclusivement aux membres en règle du Barreau. Dans cette affaire, le Barreau de la Colombie- Britannique soutenait en conséquence que l’article 30 et le paragraphe 69(1) de la Loi sur l’immigration étaient invalides dans la mesure où ils étaient censés permettre à des non-avocats de représenter des clients devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en Colombie-Britannique, de leur donner des conseils juridiques et de préparer des documents devant être utilisés dans les instances en question.

[12]     La Cour suprême du Canada n’a pas été de cet avis. Sous la plume du juge Gonthier, elle a jugé que, de par leur caractère véritable, l’article 30 et le paragraphe 69(1) avaient pour objet d’accorder certains droits aux étrangers dans le processus administratif d’immigration, matière qui relevait de la compétence relative à la naturalisation et aux aubains que le Parlement possède en vertu du paragraphe 91(25) de la Loi constitutionnelle de 1867. Le juge Gonthier a ajouté que les provinces ont le pouvoir de réglementer l’exercice du droit en vertu du paragraphe 92(13). Comme les avocats font partie intégrante de l’administration de la justice, il était porté à penser que le pouvoir des provinces d’adopter des lois relatives aux avocats pouvait tout aussi bien découler du paragraphe 92(14). Il n’était cependant pas nécessaire de se prononcer sur cette question pour trancher le pourvoi (voir le paragraphe 46).

[13]     Après avoir conclu que l’article 30 et le paragraphe 69(1) de la Loi sur l’immigration comportaient un « double aspect », c’est-à-dire que ces deux dispositions avaient tant un aspect fédéral qu’un aspect provincial d’importance équivalente (d’une part, les aubains et la naturalisation et, d’autre part, la propriété et les droits civils), le juge Gonthier a appliqué la règle de la prépondérance et a donné préséance aux dispositions législatives fédérales sur les dispositions législatives provinciales incompatibles. L’interdiction pour les non-avocats d’exercer le droit prévue dans la Legal Profession Act était constitutionnellement inapplicable aux personnes qui représentent et conseillent des clients en vertu de la Loi sur l’immigration.

[14]     Enfin, la Cour a fait observer que la loi conférait au gouverneur en conseil le pouvoir, aux termes de l’alinéa 114(1)v) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 29] de la Loi sur l’immigration, de prendre des règlements pour réglementer les « autre[s] conseil[s] » qui pouvaient comparaître devant la Commission en exigeant qu’ils soient titulaires d’une autorisation délivrée par les autorités habilitées à le faire. La Cour a toutefois conclu que, même si la réglementation des consultants en immigration pouvait être souhaitable, l’exercice du pouvoir prévu à l’alinéa 114(1)v) ne constituait pas une condition préalable à la validité de l’article 30 et du paragraphe 69(1).

[15]     Je signale entre parenthèses que la Loi sur le Barreau de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. L.8, ne renferme pas de définition générale semblable de la pratique du droit, réservée aux seuls avocats. Les tribunaux ont toutefois défini la portée du monopole dans les instances judiciaires pour déterminer si une personne avait contrevenu à l’article 50 de la Loi en agissant « en qualité d’avocat » (voir, par exemple, l’arrêt Law Society of Upper Canada v. Stoangi (2003), 64 O.R. (3d) 122 (C.A.)).

    (ii) Le régime réglementaire

          a) origine

[16]     En partie par suite de la confirmation, dans l’arrêt Mangat, du pouvoir légal du gouvernement fédéral d’exiger que les consultants en immigration détiennent une autorisation délivrée par les autorités habilitées à le faire aux termes des règlements, le ministre a mis sur pied, en octobre 2002, un comité consultatif indépen- dant pour le conseiller au sujet de la réglementation des consultants en immigration. Le comité était chargé de définir les différents problèmes et de formuler des recommandations sur la façon d’améliorer le professionnalisme de ces consultants. Le comité était notamment composé d’avocats spécialisés en immigration et en droit d’asile, de professeurs de droit, de consultants en immigration, de représentants d’organisations non gouvernementales et du secrétaire général de la Commission. Après avoir relaté les tentatives infructueuses qui avaient été faites en vue de répondre aux préoccupations maintes fois exprimées au sujet de la compétence et de l’éthique des consultants en immigration, le comité a recommandé que l’on prenne un règlement pour préciser qui peut conseiller et représenter des clients dans le cadre du processus d’immigration au niveau administratif et pour identifier les organismes reconnus chargés de réglementer ces personnes.

[17]     Après avoir analysé les modèles de régimes réglementaires qui existent dans d’autres pays, le comité a proposé diverses solutions, en exposant leurs avantages et inconvénients respectifs. Il s’est dit d’avis que l’article 91 de la LIPR conférait l’assise légale nécessaire à la création d’un organisme indépendant et souple chargé de réglementer les activités des consultants en immigration et, à cette fin, il a recommandé la constitution, sous le régime de la Partie II de la Loi sur les corporations canadiennes [S.R.C. 1970, ch. C-32], d’une société sans capital-actions chargée de réglementer les activités de ces consultants.

[18]     Le comité a également formulé des recom- mandations plus détaillées au sujet de la désignation des membres du conseil d’administration de la société projetée et de la composition de ce conseil, soulignant la nécessité de lui accorder des pouvoirs étendus lui permettant de prendre des règlements prévoyant notamment l’établissement d’un code de déontologie et d’un mécanisme régissant le traitement des plaintes et les mesures disciplinaires, la création d’un fonds d’indemnisation, l’établissement d’une assurance- responsabilité et la mise sur pied de programmes de formation permanente. Enfin, il a recommandé que le ministre offre un fonds de démarrage devant servir à rémunérer les administrateurs et le personnel de la société en attendant que celle-ci atteigne l’autonomie financière au moyen des droits d’adhésion versés par ses membres.

          b) mise en œuvre

[19]     Le ministre a adopté les recommandations du comité et, en juin 2003, il a mis sur pied le Secrétariat ministériel sur la réglementation des consultants en immigration, qu’il a chargé de la mise en œuvre de ces recommandations. En conséquence, en octobre 2003, à la suite des discussions échangées avec des fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), y compris le secrétaire général du Secrétariat, quatre anciens membres du comité consultatif du ministre ont constitué une société sans capital-actions, la SCCI, sous le régime de la Partie II de la Loi sur les corporations canadiennes. Ils en sont également devenus les premiers administrateurs. Voici la mission principale que s’est donnée cette société :

[traduction] [. . .] réglementer, dans l’intérêt public, les activités des personnes admissibles qui sont membres de la Société et qui conseillent ou représentent des personnes physiques, des groupes et des entités dans le cadre du processus d’immigration canadien (les consultants en immigration) conformément aux politiques et procédures publiées par la société.

[20]     Il a également été convenu que CIC fournirait un financement provisoire et qu’il chercherait à faire modifier le Règlement [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR)] pour autoriser les membres de la SCCI ainsi que les membres des ordres professionnels de juristes (barreaux du Canada et la Chambre des notaires du Québec) à offrir des services rémunérés de consultation et de représentation des personnes dans les affaires d’immigration devant les tribunaux administratifs.

[21]     En décembre 2003, les modifications proposées au Règlement [RIPR] ont fait l’objet d’une publication préalable à la partie I de la Gazette du Canada [no 50]. Elles étaient accompagnées d’un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (RÉIR) [Gaz. C. 2003.I.3955]. À la suite de consultations publiques, le texte modifié du Règlement est entré en vigueur en avril 2004. On peut faire deux observations à son sujet à ce stade.

[22]     Premièrement, la SCCI, en tant que personne morale constituée sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes, n’a pas de pouvoirs légaux. Le Règlement renforce quelque peu le système de réglementation en prévoyant que seuls les membres de la SCCI sont autorisés à représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, les agents de CIC ou la Commission, ou faire office de conseil, contre rémunération. Suivant le RÉIR, les agents de CIC et de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et la Commission refuseront de faire affaire avec des consultants qui ne sont pas des « représentants autorisés ». La demande soumise à CIC ou à l’ASFC par une personne qui n’est pas un « représentant autorisé » pourra être retournée au demandeur ou être refusée. Le représentant qui n’est pas autorisé ne s’expose toutefois à aucune sanction en pareil cas, et quiconque peut continuer à se présenter comme un consultant en immigration.

[23]     Deuxièmement, au terme des vastes consultations qui ont été menées, le Barreau du Haut-Canada, la Fédération et l’Association du Barreau canadien ont convaincu le ministre de modifier le texte définitif du Règlement en ajoutant à la liste des « représentants autorisés » les stagiaires en droit agissant sous la supervision d’un avocat ou d’un notaire. Les stagiaires en droit ne sont donc pas tenus de devenir membres de la SCCI pour être en mesure de conseiller et de représenter des clients dans les affaires portant sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[24]     Le ministre a toutefois refusé d’ajouter d’autres employés des cabinets d’avocats et des études de notaires à la définition des « représentants autorisés ». Néanmoins, les employés de ces bureaux qui assistent un juriste qui représente un client dans une affaire en immigration ne sont pas obligés de devenir membres de la SCCI pour pouvoir poursuivre leur travail, à condition qu’ils se gardent de conseiller ou de représenter des clients dans les affaires en immigration.

[25]     L’avocat du Barreau du Haut-Canada a expliqué à la Cour que, si le ministre avait dispensé tous les employés des avocats de l’obligation d’adhérer à la SCCI, le Barreau n’aurait probablement pas introduit la présente instance. Toutefois, comme il a décidé de saisir la Cour de la question, le Barreau du Haut-Canada ne limite pas sa contestation de la constitutionnalité du Règlement à la seule question de ses incidences sur les employés des cabinets d’avocats.

[26]     Malgré sa franchise, cet aveu tranche un peu avec le rôle que le Barreau du Haut-Canada prétend jouer comme défenseur de façon générale de l’indépendance des consultants en immigration, dont l’immense majorité ne sont pas employés par des avocats. Aucun consultant ne s’est associé à la contestation que le Barreau du Haut-Canada fait de la validité du régime réglementaire. D’ailleurs, la SCCI, l’organisme de réglementation dont plus de 1 300 consultants en immigration faisaient partie en 2006, s’oppose au Barreau du Haut-Canada dans la présente instance.

          c) Relation entre la SCCI et le ministre

[27]     Il est acquis aux débats que le ministre a joué un rôle actif dans la création, les débuts et la surveillance de la SCCI. Si l’on tient compte du fait que le public est depuis longtemps préoccupé de la conduite et de la compétence des consultants en immigration et que le ministre a le devoir de répondre à ces préoccupations, la participation du Ministère dans la création et à la mise en œuvre du régime réglementaire n’est, à première vue, ni étonnante ni inquiétante.

[28]     Cependant, outre le rôle qu’a joué le ministre en prenant l’initiative de proposer un régime d’auto- réglementation pour les consultants en immigration, le Barreau du Haut-Canada se fonde sur les aspects suivants des rapports entre le ministre et la SCCI pour démontrer que l’organisme de réglementation en question est assujetti au contrôle du ministre, avec lequel les clients des consultants en immigration se retrouvent souvent en situation de conflit.

[29]     Premièrement, en octobre 2003, le ministre a conclu une « entente de contribution » avec la SCCI. La « contribution » comportait deux volets : en premier lieu, l’octroi d’une somme maximale de 700 000 $ pour payer les frais juridiques relatifs à la constitution de la SCCI en personne morale et les frais de « démarrage » qu’elle a engagés entre le 1er décembre 2003 et le 31 mars 2004; en second lieu, un prêt maximal de 500 000 $ destiné à couvrir les frais d’exploitation de la SCCI entre le 1er avril 2004 et le 31 mars 2005.

[30]     En échange, la SCCI s’est engagée à produire à CIC une série complète d’états financiers de clôture d’exercice ainsi que des comptes rendus mensuels des activités comportant une liste des membres et des pays où ils entendaient exercer leurs activités. De plus, la SCCI était tenue de rendre compte de ses progrès en ce qui concerne les « résultats attendus », tels que : stimuler la confiance du public envers la SCCI et sa structure de gouvernance et établir un code de déontologie, un mécanisme régissant le traitement des plaintes et les mesures disciplinaires crédible, un programme de formation permanente, des exigences en matière d’adhésion et une assurance-responsabilité en cas d’erreurs ou d’omissions.

[31]     Deuxièmement, CIC a élaboré pour la SCCI un Cadre de gestion et de responsabilisation axé sur les résultats (CGRR), daté du 1er décembre 2003. Le CGRR est un outil dont le Conseil du Trésor se sert pour aider les gestionnaires de la fonction publique fédérale à mesurer les résultats d’une politique, d’un programme ou d’une autre initiative gouvernementale et à en rendre compte. Le CGRR relatif à la SCCI fournit notamment des renseignements sur les points suivants : la nature du problème à l’origine de la création de la SCCI; les objectifs et la structure de gouvernance de celle-ci (y compris la présence d’un représentant d’office de CIC, sans droit de vote, au conseil d’administration de la SCCI, qui compte dix membres); les contributions financières faites par CIC et les activités qu’elles sont censées financer; les obligations de la SCCI en matière de reddition de comptes.

[32]     L’accord de contribution et le CGRR prévoient que CIC continuera à surveiller la SCCI tant que le prêt de 500 000 $ n’aura pas été remboursé, ce qui ne peut survenir plus tard que douze mois après la date à laquelle la SCCI aura informé CIC qu’elle compte 3 000 membres inscrits.

          d) Fonctionnement de la SCCI

[33]     Depuis sa création, la SCCI a réalisé des progrès appréciables quant aux « résultats attendus ». Ainsi, elle a notamment élaboré un règlement, défini des normes d’adhésion, établi des règles de déontologie, défini une procédure de traitement des plaintes et élaboré des mesures disciplinaires et satisfait aux exigences en matière d’assurance-responsabilité en cas d’erreurs ou d’omissions.

[34]     La SCCI a également adopté un plan d’activités pour les années 2003 à 2005 en partant du principe qu’elle compterait 3 000 membres en avril 2004. Dans les faits, elle est loin d’avoir atteint cet objectif. En septembre 2006, elle ne comptait que 1 354 membres, ce qui a amené certains membres de son conseil d’administration à exprimer leurs inquiétudes au sujet de la viabilité financière de la société. Toutefois, l’ombre au tableau que représente la contestation de la validité de ce régime par le Barreau du Haut-Canada peut expliquer en partie ce faible recrutement.

[35]     La SCCI a rendu compte de ses activités à CIC comme l’exigeait l’entente de contribution, et une vérification annuelle indépendante de la SCCI a été entreprise en 2005 et en 2006. En revanche, malgré la disposition du CGRR, CIC n’a aucun représentant au sein du conseil d’administration de la SCCI depuis avril 2005, par suite, à ses dires, d’un revirement d’opinion au sein du gouvernement quant à l’opportunité pour elle de participer aux affaires d’organisations indépendantes. Par le passé, des fonctionnaires de CIC avaient assisté à des réunions du conseil d’administration de la SCCI. En mars 2005, on a procédé à la dissolution du Secrétariat chargé de réglementer les consultants en immigration.

C. CADRE LÉGISLATIF

[36]     Le paragraphe 5(1) de la LIPR fait du gouverneur en conseil le dépositaire des pouvoirs de réglementation conférés par la Loi, sous réserve des autres dispositions de la Loi.

    5. (1) Le gouverneur en conseil peut, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, prendre les règlements d’application de la présente loi et toute autre mesure d’ordre réglementaire qu’elle prévoit.

[37]     Le pouvoir de réglementation qui nous intéresse en l’espèce est celui qui est prévu à l’article 91 de la LIPR.

    91. Les règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter une personne, dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou faire office de conseil

La « Commission » dont il est question à l’article 91 est la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[38]     Les dispositions réglementaires prises en application de l’article 91 prévoient que seuls les « représentant[s] autorisé[s] » sont habilités, « contre rémunération », à représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou à faire office de conseil au palier administratif et qu’exception faite des avocats, des stagiaires en droit et, au Québec, des notaires, il faut être membre de la SCCI pour être un « représentant autorisé » [RIPR, art. 2 « représentant autorisé » (édicté par DORS/2004-59, art. 1), 13.1 (édicté, idem, art. 3)].

    2. [. . .]

    « représentant autorisé » Membre en règle du barreau d’une province, de la Chambre des notaires du Québec ou de la Société canadienne de consultants en immigration constituée aux termes de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes le 8 octobre 2003.

[. . .]

    13.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque n’est pas un représentant autorisé de représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou de faire office de conseil, contre rémunération.

[. . .]

    (3) Pour l’application du paragraphe (1), un stagiaire en droit n’est pas considéré comme représentant une personne ou faisant office de conseil contre rémunération s’il agit sous la supervision d’un membre en règle du barreau d’une province ou de la Chambre des notaires du Québec qui représente cette personne dans toute affaire ou qui fait office de conseil. [Non souligné dans l’original.]

D. DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[39]     On peut résumer comme suit les motifs du juge Hughes :

(i) L’intervention restreinte du ministre dans les affaires de la SCCI à la suite du prêt initial que le ministre a légitimement consenti à la SCCI n’était ni excessive ni injustifiée (paragraphe 16). Le Règlement ne peut être invalidé au motif qu’il va à l’encontre du principe de la primauté du droit, un principe constitutionnel non écrit.

(ii) Le fait d’autoriser les membres d’une société existante, la SCCI, à agir comme consultants en immigration ne constitue pas une subdélégation illicite par le gouverneur en conseil de ses pouvoirs de prendre des règlements prévoyant qui peut ou ne peut pas représenter une personne dans toute affaire devant le ministre, un agent des visas ou la Commission, ou faire office de conseil.

(iii) Le fait que le régime réglementaire ne considère pas les employés des cabinets d’avocats comme des « représentants autorisés » ne constitue pas un traitement discriminatoire et ne donne pas lieu à des situations dans lesquelles on devrait manquer au secret professionnel de l’avocat.

(iv) Le pouvoir de réglementation est suffisamment large pour permettre la prise de règlements prévoyant la création d’un régime réglementaire visant les consultants en immigration.

[40]     Conformément à l’alinéa 74d) de la LIPR, le juge Hughes a certifié la question suivante en vue d’un appel :

[traduction] Le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/ 2004-59, qui a été pris en application de l’article 91 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, est-il ultra vires?

E. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE

[41]     Comme la présente affaire porte sur la légalité du Règlement et que les moyens invoqués pour le contester reposent à la fois sur la Constitution et la loi, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 58 et 59). Les parties s’entendent sur ce point.

Question 1 : Le Règlement porte-t-il inconstitutionnelle- ment atteinte à l’indépendance du barreau?

[42]     Selon le Barreau du Haut-Canada, en vertu de la primauté du droit, l’indépendance de la magistrature constitue un principe fondamental de tout gouvernement démocratique. Au Canada, l’indépendance des juges des cours supérieures est expressément garantie par les articles 96 à 100 de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, la protection constitutionnelle de l’indépendance de l’autorité judiciaire s’étend aussi à d’autres juges, en tant que principe constitutionnel non écrit (Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; R c. Campbell; R c. Ekmecic; R c. Wickman; Manitoba Provincial Judges Assn. c. Manitoba (Ministre de la Justice), [1997] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 107, 108 et 109).

[43]     Le Barreau du Haut-Canada fait valoir que l’indépendance du barreau est indissociable de celle de la magistrature puisque les membres du barreau jouent un rôle clé dans l’administration de la justice. Dans un système fondé sur le principe du débat contradictoire, les juges s’en remettent en grande partie aux avocats pour que ceux-ci défendent le mieux possible les intérêts de ceux qui leur confient leur cause. Pour ce faire, les avocats doivent pouvoir agir en toute liberté et à l’abri de toute pression extérieure inopportune. Pour cette raison, le barreau est autonome et les organismes chargés de réglementer l’exercice de la profession d’avocat sont constitués par voie législative et exercent leurs activités indépendamment du gouvernement.

[44]     L’avocat du Barreau du Haut-Canada soutient en outre que la protection constitutionnelle non écrite accordée à l’indépendance du barreau s’applique implicitement aux consultants en immigration. Il a été établi, dans l’arrêt Mangat, au paragraphe 38, qu’ils exercent le droit lorsque, contre rémunération, ils conseillent et représentent des clients dans des affaires concernant l’immigration devant les tribunaux administratifs. Pour étayer son argument que les consultants en immigration bénéficient de la protection de l’indépendance du barreau, l’avocat souligne l’importance des droits en jeu dans une instance en matière d’immigration et de protection des réfugiés, y compris ceux qui sont garantis à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[45]     L’indépendance de l’organisme chargé de réglementer les consultants en immigration par rapport à toute influence du pouvoir exécutif serait par ailleurs importante parce que le ministre ou le fonctionnaire de CIC joue normalement soit le rôle de partie dont les intérêts sont opposés à ceux du client du consultant en immigration, soit celui d’autorité chargée de prendre une décision. L’avocat soutient en conséquence que l’acte qui constitue la SCCI doit bien préciser que celle-ci est un organisme d’autoréglementation qui jouit, par rapport au ministre, d’un degré d’indépendance suffisant pour qu’aucune personne raisonnable ne puisse penser que les consultants en immigration subissent des pressions inopportunes au détriment de la qualité du service qu’ils offrent à leurs clients.

[46]     L’avocat affirme que la SCCI ne peut être considérée comme un organisme indépendant en raison du rôle que le ministre et ses fonctionnaires ont joué dans sa création, son financement et sa surveillance. De plus, le cadre réglementaire est notamment constitué de règlements qui ne peuvent être pris et être modifiés que par le pouvoir exécutif. Comme le législateur fédéral joue un rôle limité dans le processus d’élaboration des règlements, l’indépendance de la SCCI est compromise.

[47]     Je ne suis pas de cet avis. Bien que l’avocat n’ait pas été en mesure de citer de source à l’appui de sa thèse, je présume, aux fins du débat, que l’indépendance du barreau est un principe constitutionnel non écrit qui découle en grande partie de la garantie constitutionnelle de l’indépendance de la magistrature, composante de la primauté du droit. Toutefois, si un tel principe existe — ce que je n’ai pas à décider —, son application au cas qui nous occupe se heurte à deux obstacles de taille.

[48]     Premièrement, il faudrait étendre ce droit aux non-juristes lorsqu’ils conseillent ou représentent des clients contre rémunération devant le ministre, des agents de CIC ou la Commission. À mon avis, ce n’est pas parce que la Cour suprême a estimé, dans l’arrêt Mangat, que les consultants en immigration exerçaient le droit, au sens des lois de la Colombie-Britannique, que l’appelant a réussi à prouver son point. Il n’est pas non plus sans intérêt que les personnes qui disposent des moyens nécessaires peuvent choisir de retenir les services d’un avocat pour les conseiller et les représenter dans une affaire en matière d’immigration.

[49]     Deuxièmement, comme l’indépendance du barreau en tant qu’aspect de la primauté du droit tirerait en grande partie sa source de l’indépendance de la magistrature, il est difficile de voir pourquoi elle devrait s’appliquer aux instances se déroulant devant le ministre et les agents de CIC, même lorsque ceux-ci exercent des pouvoirs légaux assujettis au devoir d’agir avec équité. Il n’est pas non plus évident que ce principe s’appliquerait à la Commission, qui est un tribunal administratif sans lien de dépendance dont l’autonomie par rapport au pouvoir exécutif n’est peut-être pas garantie par la Constitution (Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie- Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781), et ce, même si certaines de ses décisions peuvent faire intervenir des droits prévus par la Charte.

[50]     En tout état de cause, je suis d’avis qu’une personne raisonnable qui aurait réfléchi à la question avec un esprit pratique n’aurait pas conclu que le régime réglementaire prive la SCCI de son indépendance par rapport au pouvoir exécutif d’une manière qui empêche illégitimement les consultants en immigration de conseiller et de représenter le mieux possible leurs clients sans crainte de sanctions de la part de leur organisme de réglementation.

[51]     Premièrement, il était entièrement approprié de la part du ministre chargé de l’administration du système d’immigration de prendre l’initiative de concevoir et de mettre en place les moyens légaux, financiers et institutionnels nécessaires pour s’attaquer aux sérieux problèmes d’ordre public que posait la non-réglementation des consultants en immigration.

[52]     Deuxièmement, la surveillance permanente de la SCCI par le ministre vise en grande partie à s’assurer que la SCCI rende compte de la façon dont elle dépense les deniers publics qui lui sont confiés. Les questions sur lesquelles la SCCI a dû rendre des comptes, en l’occurrence sa gestion et d’autres aspects institutionnels de ses activités, ne constituent pas une ingérence dans son fonctionnement quotidien qui aurait pour effet de nuire à la capacité des consultants en immigration de fournir un service professionnel à leurs clients.

[53]     À l’appui de leur argument selon lequel la réception de fonds publics et l’obligation corollaire de rendre compte de la façon dont ils sont dépensés ne sont pas incompatibles avec une réglementation professionnelle indépendante, le ministre et la SCCI soulignent que le Barreau du Haut-Canada a récem- ment réclamé 3,3 millions de dollars du gouvernement de l’Ontario pour financer sa réglementation des techniciens parajuridiques et ils rappellent qu’il devra rendre compte au procureur général de la province de la façon dont cet argent a été dépensé et dont il a mis en œuvre le mandat qui lui a été confié en ce qui concerne l’encadrement de ces techniciens.

[54]     Troisièmement, nul ne laisse entendre que le ministre a tenté d’exercer sur la SCCI quelque influence qui viserait à restreindre l’indépendance dont les consultants en immigration ont besoin pour être des défenseurs efficaces lorsqu’ils agissent devant ou contre le ministre et les fonctionnaires de CIC ou qu’ils comparaissent devant la Commission.

[55]     En résumé, si l’on tient pour acquis que l’indépendance du barreau est garantie par la Constitution et qu’elle s’applique au cas qui nous occupe, force est de constater qu’aucune atteinte n’y a été portée en l’espèce. Le Règlement confie à l’organisme d’autoréglementation constitué sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes le soin d’encadrer au jour le jour les consultants en immigration. La structure de gouvernance de la SCCI garantit que les consultants en immigration ne subiront de la part de l’organisme qui les règlemente aucune pression inopportune lorsqu’ils représentent leurs clients. Le fait que le gouverneur en conseil ait le pouvoir de modifier le Règlement [RIPR] pour supprimer le rôle de réglementation de la SCCI ou pour permettre au ministre d’intervenir encore plus dans ses affaires ne prive pas, à mon avis, la SCCI ou les consultants en immigration de leur indépendance.

Question 2 : L’article 91 autorise-t-il l’établissement d’un régime pour réglementer une profession?

[56]     Le Barreau du Haut-Canada soutient que les régimes de réglementation des professions découlent normalement de la loi édictée par l’assemblée législative compétente. Comme les organismes d’autoréglementation des professions sont les gardiens de droits et d’obligations importants liés à l’exercice d’une profession et que l’intérêt du public est en jeu pour ce qui est de la protection du consommateur et de la concurrence, le libellé général de l’article 91 de la LIPR ne devrait pas être interprété comme autorisant la prise de règlements visant à créer un régime réglementant les consultants en immigration.

[57]     Je ne partage pas cet avis. Par souci de commodité, je reproduis de nouveau la disposition habilitante de la LIRP.

    91. Les règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter une personne, dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou faire office de conseil.

[58]     Il ressort nettement du libellé de l’article 91 que celui-ci permet de prendre des règlements sur l’objet même du Règlement en litige en l’espèce. Pour que le Barreau du Haut-Canada puisse obtenir gain de cause sur ce point, il est nécessaire d’interpoler dans le texte de l’article 91 des restrictions importantes au pouvoir qui est délégué. À mon avis, rien ne justifie une telle mesure. Le gouverneur en conseil ne visait aucun objectif étranger à la LIPR lorsqu’il a édicté ce Règlement, qui favorise l’autoréglementation professionnelle tant pour protéger les personnes qui comparaissent devant un tribunal de l’immigration contre les consultants en immigration incompétents et peu scrupuleux que pour assurer l’intégrité du système d’immigration canadien. La nature du cadre de la LIPR constitue une autre raison pour laquelle il ne conviendrait pas que la Cour apporte par interpolation des restrictions implicites à un pouvoir qui est exprimé en des termes larges mais quand même assez précis.

[59]     Le Barreau du Haut-Canada affirme que le pouvoir conféré par l’article 91 est moins précis que celui qui était prévu dans la disposition correspondante de la Loi sur l’immigration, qui a été examinée dans l’affaire Mangat, mais qui n’a pas été reprise dans la LIPR.

    114. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

[. . .]

    v) exiger de quiconque comparaît devant un arbitre, la section du statut ou la section d’appel en qualité de procureur rétribué sans être membre du barreau d’une province, qu’il soit titulaire d’une autorisation délivrée à cet effet par les autorités habilitées à le faire aux termes des règlements.

[60]     Il est vrai que cette disposition prévoit expressément la délivrance d’une autorisation par « les autorités habilitées à le faire », tandis que l’article 91 parle, de façon moins précise, de règlements qui « peuvent prévoir qui peut ou ne peut » pas représenter une personne, dans toute affaire en immigration devant un tribunal administratif, ou faire office de conseil. Je ne suis toutefois pas convaincu qu’en changeant ainsi la formulation, le législateur fédéral souhaitait restreindre la portée des mesures réglementaires dont dispose le gouverneur en conseil, et que cela justifie d’inférer que les mots comportent des restrictions implicites.

[61]     À défaut d’indication dans le dossier législatif, le pouvoir délégué par l’article 91 devrait être défini d’abord et avant tout en fonction du texte de cette disposition et des objectifs qu’il vise. Le libellé général de l’article 91 offre un plus grand nombre d’options de réglementation au gouverneur en conseil que ne le faisait l’alinéa 114(1)v) de la Loi sur l’immigration, qui a été abrogée. Je ne vois pas pourquoi l’on devrait considérer que le modèle de réglementation prévu à l’alinéa 114(1)v) est implicitement exclu de l’article 91.

[62]     La question de savoir s’il aurait été préférable que le ministre écarte la recommandation de son comité consultatif et qu’il crée un régime d’autoréglementation professionnelle qui soit fondé sur une loi fédérale est une question d’orientation générale qui déborde le cadre plutôt limité du contrôle judiciaire de la légalité d’un règlement.

Question 3 : Le Règlement est-il ultra vires parce qu’il permet de violer le secret professionnel de l’avocat? 

[63]     La thèse de la Fédération est que le Règlement porte atteinte au privilège du secret professionnel de l’avocat. Elle soutient qu’on ne peut imputer au législateur fédéral l’intention d’avoir voulu, par le libellé général de l’article 91 de la LIPR, autoriser la prise d’un règlement qui fragilise un pilier aussi important de l’administration de la justice.

[64]     Le problème s’expliquerait par le fait que le Règlement contraint les employés non juristes des cabinets d’avocats à adhérer à la SCCI s’ils désirent conseiller ou représenter des clients en matière d’immigration. Advenant le cas où un tel employé ferait l’objet d’une enquête de la part de la SCCI à la suite d’une plainte d’un client, la SCCI pourrait le forcer à divulguer des renseignements confidentiels ayant trait aux communications échangées avec son client, y compris des éléments protégés par le secret professionnel.

[65]     La règle 5.1 du Code de déontologie (le Code) de la SCCI traite de l’obligation de confidentialité des membres. Il impose au consultant en immigration l’obligation générale de ne divulguer aucun renseigne- ment relatif aux affaires personnelles et professionnelles obtenu du client dans le cadre de ses activités professionnelles « sauf si cette divulgation est autorisée expressément ou tacitement par le client, imposée par la loi ou permise par les présentes règles » [non souligné dans l’original]. Les commentaires qui accompagnent le Code précisent qu’aux termes de cet article, le membre qui fait l’objet d’une enquête de la part de la SCCI à la suite de la plainte d’un client peut être tenu de divulguer des « renseignements confidentiels ». Toutefois, comme aucune disposition n’a encore été élaborée en ce sens, on ne peut pas dire que les mots de la règle 5.1 que j’ai soulignés autorisent la divulgation de « renseignements confidentiels » et encore moins ceux qui sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[66]     La Fédération cite par ailleurs le règlement no 13 des Règlements administratifs de la SCCI, qui porte sur les compétences professionnelles [sous le titre de Déontologie et compétences professionnelles]. Dans certains cas, et notamment lorsque la conduite d’un de ses membres fait l’objet d’une enquête, la SCCI peut, en vertu du règlement 13.1, exiger de ce membre qu’il lui donne certains renseignements sur la qualité des services professionnels qu’il offre à ses clients, ce qui, suivant la Fédération, peut comprendre des renseignements protégés par le secret professionnel.

[67]     Indépendamment de la réponse à la question de savoir si des membres peuvent être tenus de communiquer à la SCCI des « renseignements confidentiels » au sens de la règle 5.1, ils ne peuvent être forcés de divulguer des « renseignements confidentiels » qui sont également protégés par le secret professionnel de l’avocat. Ni la règle 5.1 du Code de déontologie ni le règlement no 13 ne visent expressément à exiger la divulgation de renseignements protégés. D’ailleurs, un tribunal écarterait du revers de la main tout argument par lequel la SCCI prétendrait qu’elle a ou aurait pu avoir le pouvoir d’exiger d’un de ses membres qu’il lui communique de tels renseignements (Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.S.C. 574).

[68]     Les avocats ne sont pas par ailleurs dépourvus de moyens pratiques et juridiques pour empêcher que des renseignements confidentiels ne soient divulgués à la SCCI. Ainsi, un cabinet d’avocats peut donner pour instruction à ses employés de renvoyer à l’avocat compétent du cabinet toute demande de renseignements soumise par la SCCI, pour que cet avocat puisse déterminer s’il convient de s’opposer à leur divulgation en invoquant le secret professionnel. Le fait que le règlement 13.2 oblige la SCCI à soumettre au membre une liste détaillée des renseignements qu’il doit lui fournir permet à l’avocat d’examiner les renseignements réclamés pour déterminer s’ils sont protégés par le secret professionnel.

[69]     Si le cabinet d’avocats a donné pour instructions à l’employé de ne pas divulguer certains renseignements en raison de l’existence d’un privilège reconnu par la loi, mais que la SCCI persiste dans sa demande et qu’elle menace d’infliger des sanctions disciplinaires à ce membre pour défaut de donner suite à sa demande de renseignements, le cabinet peut demander à une cour d’interdire à la SCCI d’exiger la divulgation de renseignements qu’elle n’avait pas le droit de réclamer en droit parce qu’ils sont protégés par le secret professionnel. Dans l’arrêt Wilder v. Ontario Securities Commission (2001), 53 O.R. (3d) 519 (C.A.), au paragraphe 34, le juge Sharpe a déclaré ce qui suit au sujet de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario :

[traduction] [. . .] à l’instar de tout autre organe public à qui la loi confère des pouvoirs, elle doit s’assurer dans chaque cas que le droit formel au secret professionnel de l’avocat, qui est reconnu par la loi, est respecté.

Cette proposition s’applique à plus forte raison à la SCCI, à qui la loi ne confère pas de pouvoirs.

[70]     De plus, ainsi que le juge Hughes l’a expliqué, il est loisible à la SCCI et au Barreau du Haut-Canada de collaborer lorsque les renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat sont utiles pour l’enquête menée par la SCCI au sujet d’un de ses membres qui travaille pour un cabinet d’avocats.

[71]     J’estime donc que la crainte de la Fédération que le régime réglementaire ne compromette le caractère confidentiel des renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat en obligeant les employés des cabinets d’avocats à se plier aux demandes de renseignements de la SCCI n’a aucun fondement en fait ou en droit. On ne saurait donc invalider le Règlement pour ce motif.

Question 4 : Le Règlement constitue-t-il une subdéléga- tion non autorisée de pouvoirs à la SCCI?

[72]     La thèse du Barreau du Haut-Canada est que le Règlement est invalide parce qu’en considérant les membres de la SCCI comme des « représentants autorisés », le Règlement subdélègue à la SCCI le pouvoir que la loi confère au gouverneur en conseil de déterminer qui, outre un avocat, un notaire ou un stagiaire en droit, peut conseiller et représenter des personnes dans les affaires en immigration devant les tribunaux administratifs.

[73]     J’accepte qu’en considérant les membres en règle de la SCCI comme des « représentants autorisés », le Règlement subdélègue le pouvoir législatif du gouverneur en conseil. Le Règlement a pour effet de laisser à la SCCI, par le biais de ses règlements, y compris ceux prescrivant les conditions à remplir pour pouvoir devenir membre, le soin de définir les exigences à respecter pour être considéré comme un membre en règle de la SCCI et, partant, comme un « représentant autorisé ». De même, en qualifiant de « représentant autorisé » le membre en règle d’un barreau provincial, le Règlement a pour effet de subdéléguer à l’organe directeur du barreau le pouvoir de déterminer qui est admissible à exercer comme consultant en immigration dans le cadre d’une instance administrative.

[74]     Toutefois, la présomption interdisant la subdélégation de pouvoirs conférés par la loi n’est rien de plus qu’une présomption, et il est possible de déduire, à partir du contexte et de l’objet de la loi, que la disposition habilitante autorise implicitement la subdélégation (voir, de façon générale, John Willis, « Delegatus Non Potest Delegare » (1943), 21 R. du B. can. 257. À mon avis, l’article 91 [de la LIPR] autorise implicitement la subdélégation particulière découlant du Règlement.

[75]     Suivant le Barreau du Haut-Canada, l’article 91 devrait être interprété comme obligeant le gouverneur en conseil à préciser dans le Règlement les règles et les normes relatives à l’adhésion à la SCCI et, probablement, d’autres aspects du régime réglementaire. Cet argument contredit cependant la prétention du Barreau du Haut-Canada suivant laquelle l’exécutif ne devrait pas participer trop étroitement à l’élaboration et à la mise en œuvre du régime auquel sont assujettis les consultants en immigration.

[76]     À mon avis, l’opportunité de garder une certaine distance entre le pouvoir exécutif et la réglementation de la profession par un organisme de réglementation indépendant est suffisamment importante pour réfuter la présomption interdisant la subdélégation (comparer avec Re Peralta et al. and the Queen in right of Ontario et al. (1985), 49 O.R. (2d) 705 (C.A.)).

[77]     Il est vrai qu’à la différence des organismes de réglementation des avocats, l’organe chargé d’encadrer les consultants en immigration est nouveau et n’a adopté que récemment des règlements administratifs portant, par exemple, sur les conditions d’adhésion, les programmes de perfectionnement et les mesures disciplinaires. Quoi qu’il en soit, la mission de la SCCI, ainsi que ses règlements administratifs et la nature des rapports qu’elle entretient avec le ministre en font un organe approprié pour agir comme gardien de la profession de consultant en immigration.

[78]     Le Barreau du Haut-Canada se fonde aussi sur le libellé de l’article 91, qui permet de prendre des règlements prévoyant « qui peut ou ne peut représenter une personne » (« govern » dans la version anglaise), dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou faire office de conseil. Signalant que la formulation diffère de celle de l’alinéa 114(1)v) de la Loi sur l’immigration, le Barreau du Haut-Canada soutient que le mot « govern » que l’on trouve dans la version anglaise permet de penser que le règlement lui-même doit prescrire les éléments essentiels du régime réglementaire.

[79]     Je ne suis pas d’accord. À mon avis, le mot anglais « govern » n’a pas le sens que lui attribue le Barreau du Haut-Canada. Dans le présent contexte, le verbe anglais « govern » s’entend au sens plus général de « en ce qui concerne », « en ce qui a trait à » et il n’exige pas que le règlement renferme les détails du régime réglementaire. D’ailleurs, la version française de l’article 91, « [l]es règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter », n’exige pas que le Règlement lui-même précise notamment les règles d’appartenance à la SCCI. Dans ce contexte, le verbe « prévoir » correspond en anglais au verbe « to provide ».

[80]     En résumé, les avantages que comporte le fait de permettre à un organisme d’autoréglementation indépendant de définir les modalités du régime pour répondre rapidement aux problèmes au fur et à mesure qu’ils surgissent sont suffisamment convaincants pour nous amener à conclure que l’article 91 autorise implicitement la subdélégation de pouvoirs à la SCCI qui découle du Règlement.

F. DISPOSITIF

[81]     Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel et de répondre comme suit à la question certifiée :

Le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2004-59, pris en application de l’article 91 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, est valide.

    Le juge Sexton, J.C.A. : Je suis d’accord.

    Le juge Blais, J.C.A. : Je suis d’accord.

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