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[2011] 4 R.C.F. 66

A-218-09

2010 CAF 124

Lehigh Cement Limited (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Lehigh Cement Limited c. Canada

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Dawson et Trudel, J.C.A.—Vancouver, 10 mars; Ottawa, 17 mai 2010.

Impôt sur le revenu — Non-résidents — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt confirmant une cotisation établie en vertu de l’art. 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de la retenue d’impôt des non-résidents non payée — L’obligation de l’appelante a été vendue à une société étrangère — Après la restructuration de l’obligation, un tiers a acheté le droit de recevoir les intérêts sur le prêt — L’appelante n’a pas retenu d’impôt au motif que l’exemption prévue à l’art. 212(1)b)(vii) de la Loi avait été respectée — La Cour de l’impôt a statué que l’absence d’un prêteur non-résident donnait à penser que l’opération constituait un abus de l’art. 212(1)b)(vii) — L’intimée a affirmé que l’exemption prévue à l’art. 212(1)b)(vii) de la Loi n’a pas pour objet de permettre à un non-résident de tirer parti d’une opération dans laquelle le droit de recevoir les intérêts est séparé du droit de recevoir le principal et que l’opération était incompatible avec la raison d’être sous-jacente de l’art. 212(1)b)(vii) — Il s’agissait de savoir si la retenue d’impôt des non-résidents sur les intérêts était justifiée par la règle anti-évitement — Il incombait à l’intimée d’établir à partir d’une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique qu’il y avait abus de l’exemption — L’intimée n’a produit qu’une phrase tirée d’un document budgétaire pour expliquer la raison d’être sous-jacente de l’art. 212(1)b)(vii) — La phrase n’abordait pas la question de savoir si le fait de recourir à l’art. 212(1)b)(vii) constituait un abus — Il est impossible de dégager la politique fiscale alléguée de l’intimée de l’art. 212(1)b)(vii), du régime législatif ou de toute autre disposition — Le droit à l’exemption n’est pas assujetti à des conditions législatives explicites ou à une condition selon laquelle l’existence d’une politique fiscale imposée implicitement, attestée uniquement par une phrase expliquant les motifs de l’adoption de l’exemption — L’art. 212(1)b)(vii) n’a pas été rédigé en vue d’être appliqué uniquement dans le cas où un résident du Canada a accès aux marchés des capitaux — L’acheteur étranger de l’obligation peut tirer parti de l’exemption s’il est satisfait au critère d’une relation sans lien de dépendance et à celui des cinq années — Le législateur voulait que l’exemption soit accordée uniquement lorsqu’il y a une garantie que le taux d’intérêt correspondrait à un juste taux du marché — Le taux d’intérêt en l’espèce ne constituait pas un abus — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt confirmant une cotisation établie aux termes de la règle générale anti-évitement prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de la retenue d’impôt des non-résidents non payée sur des intérêts.

L’appelante, un fabricant de matériaux de construction, est une société canadienne. L’obligation de l’appelante a été vendue à une société étrangère et la retenue d’impôt des non-résidents sur les intérêts a été remise à la Couronne comme prévu en vertu de l’alinéa 212(1)b) de la Loi. Par la suite, l’appelante a restructuré son obligation afin d’éviter la retenue d’impôt des non-résidents en établissant, entre autres, le taux d’intérêt à un taux supérieur pendant cinq ans et en conférant au responsable de l’obligation le droit de vendre la totalité ou une partie du droit aux intérêts sur le prêt. Un tiers a acheté le droit de recevoir tous les paiements d’intérêts sur l’obligation de l’appelante. Cette dernière a versé au tiers tous les intérêts payables sur l’obligation, mais elle n’a pas retenu de sommes sur les paiements d’intérêt en vue de la retenue d’impôt des non-résidents au motif que le critère d’une relation sans lien de dépendance et des cinq années de l’exemption prévue au sous-alinéa 212(1)b)(vii) avaient été respectés. La Cour de l’impôt a statué que l’absence d’un prêteur non-résident donnait à penser que l’opération de vente entre le responsable de l’obligation et le tiers constituait un abus du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

L’appelante a reconnu que l’opération en cause constituait une opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi, mais elle a soutenu que la règle générale anti-évitement ne pouvait s’appliquer parce que l’opération ne constituait pas un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

L’intimée a affirmé que le sous-alinéa 212(1)b)(vii) n’avait pas pour objet d’avantager un non-résident qui a le droit légal à l’intérêt sur une obligation par suite d’une opération dans laquelle le droit de recevoir les intérêts est séparé du droit de recevoir le principal. Plus précisément, l’intimée a prétendu que l’opération était incompatible avec la raison d’être sous-jacente du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

La question à trancher était celle de savoir si la retenue d’impôt des non-résidents sur les intérêts était justifiée par la règle anti-évitement.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Il incombait à l’intimée d’établir à partir d’une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique que l’opération contestée constituait un abus de l’exemption. L’intimée n’a pas produit d’éléments de preuve visant à expliquer la raison d’être sous-jacente du sous-alinéa 212(1)b)(vii), autre qu’une phrase tirée d’un document budgétaire diffusé par le ministère des Finances et précisant que la retenue d’impôt vise à faciliter l’accès aux marchés internationaux des capitaux. En outre, elle n’a cité aucune source faisant autorité à l’appui de la thèse selon laquelle une opération qui fractionne l’obligation de payer les intérêts et l’obligation de rembourser le principal aurait été jugée contraire à l’objectif de politique fiscale visé par le sous-alinéa 212(1)b)(vii) lorsqu’il a été promulgué. La phrase est une fondation fragile pour une cotisation établie sur le fondement de la règle générale anti-évitement. Elle n’aborde pas la question de savoir si le fait pour l’appelante de recourir à l’exemption constitue un abus de cette disposition. L’intimée ne peut pas s’acquitter du fardeau qui lui incombe simplement en affirmant que l’opération n’était pas prévue ou qu’elle tire profit d’une lacune législative passée inaperçue jusqu’alors. On ne peut dégager ou déduire la politique fiscale alléguée du sous-alinéa 212(1)b)(vii), du régime législatif ou de toute autre disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu. On ne peut donc pas conclure que le droit à l’exemption est assujetti aux conditions législatives explicites et à une condition selon laquelle l’existence d’une politique fiscale impose implicitement, attestée uniquement par une phrase expliquant les motifs de l’adoption de l’exemption. Si l’obligation de l’appelante avait été vendue au tiers de façon à comprendre le droit de recevoir à la fois le principal et les intérêts, l’exemption s’appliquerait et il n’y aurait aucun motif d’invoquer la règle générale anti-évitement. Une telle vente hypothétique ne donnerait pas à l’appelante accès aux marchés internationaux des capitaux. Le sous-alinéa 212(1)b)(vii) n’a pas été rédigé en vue d’être appliqué uniquement dans le cas où un résident du Canada a accès aux marchés internationaux des capitaux. L’acheteur étranger de l’obligation peut tirer parti de l’exemption s’il est satisfait au critère d’une relation sans lien de dépendance et à celui des cinq années. Il n’y a pas de distinction, en ce qui concerne la justification sous-jacente du sous-alinéa 212(1)b)(vii), entre la vente hypothétique envisagée et l’opération effectuée en l’espèce. Enfin, la condition prévue par la loi selon laquelle l’exemption ne s’applique que si le payeur et le bénéficiaire n’ont entre eux aucun lien de dépendance révèle que le législateur voulait que l’exemption soit accordée uniquement lorsqu’il y a une garantie que le taux d’intérêt correspondrait à un juste taux du marché. À partir des faits en l’espèce, il n’aurait pas été raisonnable de conclure que le taux d’intérêt équivalait à un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de 2002 pour la mise en œuvre de conventions fiscales, L.C. 2002, ch. 24.

Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97, art. 9B.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5suppl.), ch. 1, art. 212(1)b) (mod. par L.C. 2007, ch. 35, art. 59), (3) (édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 97; 2007, ch. 35, art. 59), 215(1) (mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 174), (6), 240, 245 (mod. par L.C. 2005, ch. 19, art. 52).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, art. 96(1)b) (mod. par S.C. 1953, ch. 40, art. 36).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 212(1)b)(vii) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 71, art. 11).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, art. 106(1)b), 132A (édicté par S.C. 1960-61, ch. 17, art. 13).

Loi de mise en œuvre des conventions conclues entre le Canada et la France, entre le Canada et la Belgique et entre le Canada et Israël, tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu, S.C. 1974-75-76, ch. 104.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention entre le Canada et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu, S.C. 1974-75-76, ch. 104, ann. II.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Ministère des Finances. Budget : faits saillant et renseignements supplémentaires. Ottawa : 23 juin 1975.

appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2009 CCI 237) confirmant une cotisation établie aux termes de la règle générale anti-évitement prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu au titre de la retenue d’impôt des non-résidents non payée sur des intérêts. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Warren J. A. Mitchell, c.r. et Matthew G. Williams pour l’appelante.

Daniel Bourgeois et Geneviève Léveillé pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Thorsteinssons LLP, Vancouver, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Sharlow, J.C.A. : L’appelante, Lehigh Cement Limited (Lehigh), une société résidant au Canada, interjette appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) (2009 CCI 237) confirmant des cotisations conformément à la partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. Les cotisations établies à l’égard de Lehigh visaient une retenue d’impôt des non-résidents non payée sur des intérêts versés à la société Banque Bruxelles Lambert (la banque belge) pendant les années 1998 à 2002. Il s’agit en l’espèce d’établir si les cotisations étaient justifiées par la règle générale anti-évitement prévue à l’article 245 [mod. par L.C. 2005, ch. 19, art. 52] de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Le régime législatif

[2]        La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit la perception d’un impôt sur le revenu d’une personne résidant au Canada et sur certains revenus de source canadienne d’une personne ne résidant pas au Canada. Le paragraphe 212(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu est l’une des dispositions qui prévoient un impôt sur le revenu de source canadienne d’un non-résident. Règle générale, le paragraphe 212(1) s’applique aux revenus de placement et à d’autres revenus hors exploitation (y compris les intérêts, les dividendes et les loyers) fournis par un résident du Canada à un non-résident. L’alinéa 212(1)b) traite des revenus d’intérêt.

[3]        L’alinéa 212(1)b) a une longue histoire. La première disposition, de toutes celles qui l’ont précédé, fut l’article 9B de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, ch. 97. Ce paragraphe a été remplacé par l’alinéa 96(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1948, ch. 52, puis par l’alinéa 106(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148. Par suite d’une modification adoptée dans les S.C. 1953, ch. 40, paragraphe 81(1), la structure de l’alinéa 106(1)b) a été modifiée de sorte que les exemptions incorporées au texte des dispositions d’imposition ont plutôt été énumérées aux sous-alinéas 106(1)b)(i), (ii) et (iii). L’alinéa 106(1)b) a été remplacé par l’alinéa 212(1)b) (voir la Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63). En 1974, 6 exemptions étaient prévues. En 2007, il y en avait 11.

[4]        L’exemption en cause en l’espèce est la septième, celle qui figure au sous-alinéa 212(1)b)(vii). La version originale de cette disposition a été adoptée par l’article 11 du ch. 71 des S.C. 1974-75-76; elle est applicable à tout titre de créance émis après le 23 juin 1975. La disposition prévoyait l’exemption de la retenue d’impôt des non-résidents à l’égard des intérêts payables par une société résidant au Canada à un non-résident, sous réserve de deux conditions principales. Premièrement, le résident du Canada et la personne à laquelle l’intérêt était payable devaient traiter entre eux sans lien de dépendance (le critère d’une relation sans lien de dépendance). Deuxièmement, le résident du Canada ne pouvait être tenu de verser plus de 25 pour 100 du principal de l’obligation dans les cinq années de l’émission du titre de créance, sauf en cas de défaut (le critère des cinq années).

[5]        Le sous-alinéa 212(1)b)(vii) a été modifié à de nombreuses reprises depuis 1975, mais aucune des modifications n’est pertinente eu égard aux questions soulevées en l’espèce. En effet, le critère d’une relation sans lien de dépendance et le critère des cinq années sont demeurés les deux principales conditions du bénéfice de l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) pendant toute la période visée par le présent appel.

[6]        Voici, pour les années visées par le présent appel, les extraits pertinents de l’alinéa 212(1)b) et l’exemption en cause, soit le sous-alinéa 212(1)b)(vii) :

212. (1) Toute personne non-résidente doit payer un impôt sur le revenu de 25 % sur toute somme qu’une personne résidant au Canada lui paie ou porte à son crédit, ou est réputée en vertu de la partie I lui payer ou porter à son crédit, au titre ou en paiement intégral ou partiel :

[...]

Impôt

b) d’intérêts, sauf :

[...]

(vii) les intérêts payables sur un titre par une société résidant au Canada à une personne avec laquelle cette société n’a aucun lien de dépendance, lorsque le titre de créance a été émis par cette société après le 23 juin 1975, si, selon les modalités du titre ou d’une convention s’y rapportant, la société ne peut, en aucun cas, être tenue de verser plus de 25 % :

[...]

      (B) [...] du montant du principal de l’obligation,

dans les 5 années suivant la date de l’émission [...] de cette obligation [...]

Intérêts

[7]        Le taux d’imposition de 25 pour 100 énoncé au paragraphe 212(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu peut être réduit par une convention fiscale internationale. Au cours de la période visée par le présent appel, le taux d’imposition des intérêts payés à un résident de la Belgique a été réduit de 15 pour 100 en vertu de la Convention fiscale entre le Canada et la Belgique de 1976 [Convention entre le Canada et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu, S.C. 1974-75-76, ch. 104, ann. II], ratifiée au Canada par la Loi de mise en œuvre des conventions conclues entre le Canada et la France, entre le Canada et la Belgique et entre le Canada et Israël, tendant à éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu, S.C. 1974-75-76, ch. 104. (La convention de 1976 a été remplacée et la nouvelle version est en vigueur depuis 2004 (voir Loi de 2002 pour la mise en œuvre de conventions fiscales, L.C. 2002, ch. 24).)

[8]        Je souligne en passant que le contenu de l’alinéa 212(1)b) a été modifié substantiellement par le paragraphe 59(2) du ch. 35 des L.C. 2007 et que ce changement est applicable après 2007. En effet, l’alinéa 212(1)b) prévoit maintenant deux catégories d’intérêts soumises à la retenue d’impôt des non-résidents. L’une des catégories est celle des « intérêts sur des créances participatives », définis au paragraphe 212(3) [édicté par L.C. 1994, ch. 21, art. 97; 2007, ch. 35, art. 59] comme des intérêts payables conditionnellement à la production ou à l’utilisation de biens (sous réserve de nombreuses exceptions). L’autre catégorie est celle des intérêts qui ne sont pas entièrement exonérés (au sens de l’expression « intérêts entièrement exonérés » au paragraphe 212(3)) si les intérêts sont payés ou payables à une personne avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance. La définition du terme « intérêts entièrement exonérés » englobe certaines des exemptions qui avaient déjà figuré dans une des versions de l’alinéa 212(1)b), mais non l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii). Il semble donc que, après 2007, les intérêts (sauf les « intérêts sur des créances participatives ») ne soient pas soumis à la retenue d’impôt des non-résidents s’ils sont payés par un résident du Canada à une personne non-résidente avec laquelle le résident du Canada n’a aucun lien de dépendance. personne n’a soutenu dans le cadre du présent appel que les modifications de 2007 pouvaient jeter un éclairage nouveau sur les questions soulevées en l’espèce.

[9]        La cotisation visée par le présent appel a été établie conformément à la règle générale anti-évitement de l’article 245 [mod. par L.C. 2005, ch. 19, art. 52] de la Loi de l’impôt sur le revenu. Voici les extraits pertinents de l’article 245 :

245. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

« attribut fiscal » S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, [...] impôt ou autre montant payable par cette personne [...] en application de la présente loi [...]

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi [...]

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

Définitions

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

Disposition générale anti-évitement

(3) L’opération d’évitement s’entend :

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

Opération d’évitement

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(i) la présente loi,

[...]

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

Application du par. (2)

Les faits

[10]      Les faits ne sont pas contestés. Lehigh est une société canadienne qui exerce ses activités au Canada comme fabricant de ciment et d’autres matériaux de construction. Au cours de la période visée par les cotisations dont il est fait appel, Lehigh était membre d’un groupe de sociétés liées (le groupe HZ) dirigé par une société allemande, Heidelberger Zement. Le groupe HZ comprenait une société belge appelée CBR International Services S.A. (International Services) qui faisait office de centre de trésorerie pour le groupe HZ.

[11]      En 1986, Lehigh a emprunté 140 millions de dollars d’un consortium de banques canadiennes. Le prêt (l’obligation de Lehigh) a par la suite été vendu à une des sociétés du groupe HZ au moyen du financement fourni par l’une des sociétés étrangères du groupe HZ. La responsabilité de l’obligation de Lehigh est passée d’une société à une autre jusqu’au mois d’août 1997, mais est toujours demeurée à l’intérieur du groupe HZ. En août 1997, International Services était responsable de l’obligation de Lehigh. Malgré que la responsabilité de l’obligation de Lehigh ait été assumée par une société étrangère membre du groupe HZ, les intérêts étaient soumis à la retenue d’impôt des non-résidents de 15 pour 100 aux termes de l’alinéa 212(1)b). Lehigh retenait l’impôt de la façon prévue et le remettait à la Couronne.

[12]      Jusqu’au mois d’août 1997, l’obligation de Lehigh portait intérêt à un taux flottant variant selon le taux préférentiel au Canada. En août 1997, le taux d’intérêt payable sur l’obligation de Lehigh s’établissait à un creux historique de 4,75 pour 100, mais devait monter à 6 pour 100. L’échéance pour le remboursement de l’obligation de Lehigh était fixée au 15 septembre 2009, sous réserve de l’option dont disposait Lehigh de la prolonger de périodes successives de cinq ans.

[13]      En janvier 1997, Lehigh a commencé à chercher des moyens de restructurer l’obligation de Lehigh afin d’éviter la retenue d’impôt des non-résidents. Une analyse effectuée au printemps 1997 a permis d’établir que, selon le taux d’intérêt choisi, la valeur actualisée de l’économie d’impôt qui pourrait être obtenue par l’évitement de la retenue d’impôt des non-résidents oscillerait entre 13,1 et 19,7 millions de dollars. Selon les calculs effectués par le groupe HZ et acceptés par le ministre, le taux d’intérêt sur le marché de l’obligation de Lehigh s’établissait à 7 pour 100.

[14]      En août 1997, les conditions de l’obligation de Lehigh ont été modifiées comme suit :

a) Le taux d’intérêt, qui était jusque-là le taux préférentiel canadien, a été remplacé par un taux fixe de 7 pour 100 pour les cinq premières années.

b) Sauf en cas de défaut, Lehigh n’était pas tenue de rembourser plus de 25 pour 100 du principal dans les cinq ans de la date de l’acceptation des nouvelles conditions.

c) Le responsable de l’obligation de Lehigh (à l’époque International Services) a obtenu le droit de vendre à un tiers la totalité ou une partie du droit aux intérêts sur le prêt.

d) Une clause de majoration relative à la retenue d’impôt était ajoutée. En vertu de cette clause, Lehigh, en cas d’assujettissement des intérêts à une retenue d’impôt, assumerait l’augmentation de coût.

[15]      Le même mois, la banque belge achetait d’International Services, en contrepartie de quelque 42,7 millions de dollars, le droit de recevoir tous les paiements d’intérêt sur l’obligation de Lehigh avant le 16 septembre 2002, soit au total quelque 49,5 millions de dollars.

[16]      Comme condition de l’achat du droit de recevoir tous les intérêts sur l’obligation de Lehigh, la banque belge exigeait deux moyens d’atténuation du risque. Premièrement, elle demandait la conclusion d’une entente selon laquelle, en cas de défaut de Lehigh, International Services serait tenue d’acheter de la banque belge, selon un prix déterminé, le droit de recevoir les paiements d’intérêt. Deuxièmement, International Services a obtenu en faveur de la banque belge une garantie de provisionnement protégeant cette dernière contre les pertes de couverture pouvant résulter d’un paiement anticipé d’intérêts. Selon la Couronne, aucune de ces mesures d’atténuation du risque n’est pertinente quant à l’application de la règle générale anti-évitement.

[17]      À partir du mois d’août 1997, Lehigh versait directement à la banque belge tous les intérêts payables sur l’obligation de Lehigh. Les parties reconnaissent que le critère d’une relation sans lien de dépendance et celui des cinq années du sous-alinéa 212(1)b)(vii) étaient alors respectés. Dans ce contexte, Lehigh n’a pas retenu de sommes sur les paiements d’intérêt en vue de la retenue d’impôt des non-résidents.

[18]      Le ministre a soutenu que même si les intérêts payables à la banque belge sur l’obligation de Lehigh étaient visés par l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii), la retenue d’impôt des non-résidents était payable sur les intérêts du fait de l’application de la règle générale anti-évitement de l’article 245. Si le ministre invoque à raison la règle générale anti-évitement, Lehigh devait légalement retenir l’impôt sur les paiements d’intérêt et remettre les montants ainsi retenus pour le compte de la banque belge, à défaut de quoi Lehigh elle-même serait tenue de verser la somme qui aurait dû être retenue (voir les paragraphes 215(1) [mod. par L.C. 2001, ch. 17, art. 174] et (6) de la Loi de l’impôt sur le revenu).

[19]      L’argument qu’a exposé la Couronne devant la C.C.I. et la Cour est essentiellement le même. Le juge de la C.C.I. a accepté cet argument. Il a rejeté l’appel de Lehigh pour les raisons tirées des extraits suivants des paragraphes 39, 45 et 46 de ses motifs (non souligné dans l’original) :

   Le sous-alinéa (vii) est relativement facile à saisir. Il n’est pas rédigé dans le style impénétrable qui si souvent caractérise d’autres parties de la Loi. Laissé à moi-même, j’aurais fort bien pu conclure que cette exemption avait pour objet d’aider les sociétés canadiennes à emprunter auprès de prêteurs étrangers sans lien de dépendance avec elles, qui recevraient alors des intérêts non soumis à la retenue fiscale. Après examen des articles cités aux paragraphes 37 et 38 ci-dessus, je suis d’avis que l’objet du sous-alinéa (vii) est d’aider les sociétés canadiennes en quête de capitaux, et cela en leur rendant plus accessibles les marchés internationaux de capitaux. Le coût de la retenue fiscale frappant les intérêts payés aux prêteurs étrangers est souvent répercuté sur l’emprunteur canadien, ce qui a pour effet d’accroître pour celui-ci le coût du capital. L’exemption de retenue fiscale pour les emprunts contractés auprès de prêteurs étrangers sans lien de dépendance rend de tels emprunts plus concurrentiels par rapport aux emprunts contractés sur le marché canadien.

[...]

À mon avis, l’avantage fiscal, au sous-alinéa (vii), qui consiste à payer des intérêts exempts de retenue fiscale à une personne non résidente ne s’applique qu’à l’emprunt contracté auprès d’un prêteur non résident dans le cadre d’une opération entre parties sans lien de dépendance. Il s’agit là de l’opération « ayant un certain objet commercial ». Dans le présent appel, [Lehigh] n’a pas emprunté d’argent à [la banque belge] ni à aucun autre prêteur non résident. L’absence d’un prêteur non résident me conduit à dire que l’opération conclue entre [International Services et la banque belge] a constitué un abus du sous-alinéa (vii).

[...]

Je suis d’avis que la relation entre [International Services et la banque belge] au regard de la vente, pour 42 millions de dollars, de 20 paiements trimestriels d’intérêts, et la relation entre [Lehigh et la banque belge] au regard de ces 20 paiements trimestriels d’intérêts, n’ont absolument rien en commun avec la relation sans lien de dépendance emprunteur‑prêteur envisagée par le sous-alinéa (vii). L’opération de vente conclue entre [International Services et la banque belge] a contrecarré l’esprit et l’objet du sous-alinéa (vii).

L’analyse

a) L’affaire Canada Trustco et le paragraphe 245(4)

[20]      Lehigh reconnaît que l’opération en cause en l’espèce constituait une opération d’évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’elle avait pour objet d’obtenir l’avantage fiscal découlant du droit d’invoquer l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) pour éviter l’obligation de prélever la retenue d’impôt des non-résidents. Cependant, Lehigh soutient que la règle générale anti-évitement ne peut s’appliquer parce que l’opération ne constituait pas un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii) au sens du paragraphe 245(4).

[21]      En ce qui concerne l’application de la règle générale anti-évitement au Canada, l’arrêt clé est celui qui a été rendu dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601. Les principes relatifs au paragraphe 245(4) sont résumés au paragraphe 66 de cet arrêt. Une bonne partie de l’analyse sur le paragraphe 245(4) vise à expliquer le sens des expressions « abus dans l’application des dispositions » de la Loi de l’impôt sur le revenu et « abus dans l’application de ces dispositions [...] lues dans leur ensemble ». En l’espèce, la Couronne allègue un abus dans l’application d’une seule disposition, soit celle du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

[22]      Suivant l’arrêt Hypothèques Trustco, Lehigh a droit au bénéfice de l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii), sauf si l’attribution d’un avantage fiscal ne serait pas conforme à l’objet ou à l’esprit de ces dispositions. La Cour suprême n’explique pas en détail le sens des termes « l’objet ou l’esprit » mais, dans le contexte de l’espèce, je l’interprète comme une allusion à l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii), selon une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique.

[23]      Il incombe au ministre de définir l’objet du sous-alinéa 212(1)b)(vii) et de démontrer qu’accorder à Lehigh l’avantage de l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) constituerait un abus dans l’application de ladite disposition, dans le sens qu’elle permettrait d’obtenir un résultat que le sous-alinéa 212(1)b)(vii) a pour objet d’éviter ou un résultat qu’il n’a pas pour objet d’autoriser. Or, plus important encore, s’il existe le moindre doute quant à la question de savoir si l’opération en cause entraîne un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii), Lehigh a droit au bénéfice de ce doute.

b) Les thèses des parties

[24]      Je résume comme suit l’argument de Lehigh. L’objet du sous-alinéa 212(1)b)(vii) doit être dégagé de son libellé, interprété de façon textuelle, contextuelle et téléologique. Selon le libellé du sous-alinéa 212(1)b)(vii), l’intérêt payable sur l’obligation de Lehigh est libre de toute retenue d’impôt des non-résidents s’il a été satisfait au critère d’une relation sans lien de dépendance et à celui des cinq années. Il a été satisfait aux deux critères en l’espèce et aucun élément de l’opération en cause ne détourne pas de son objet ou ne pourrait détourner de son objet l’un ou l’autre de ces critères. L’application du critère des cinq années a pour objectif de faire en sorte que la durée de l’obligation soit de moyen à long terme, comme c’est nettement le cas pour l’obligation en cause. Quant au critère d’une relation sans lien de dépendance, il vise à garantir que les modalités contractuelles régissant l’obligation, particulièrement le taux d’intérêt, reflètent équitablement le marché pertinent. La Couronne reconnaît que le taux d’intérêt en l’espèce est le taux du marché et elle ne prétend pas non plus qu’il existe des conditions contractuelles faisant en sorte que l’obligation de Lehigh ou l’opération en cause sont incompatibles de quelque façon que ce soit avec les pratiques commerciales habituelles. Étant donné que les conditions prévues au sous-alinéa 212(1)b)(vii) ont été remplies, tant sur le plan juridique qu’économique, rien ne permet à la Couronne de conclure que l’opération a débouché sur un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

[25]      La Couronne reconnaît qu’en l’espèce les conditions que la loi impose pour l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii) sont respectées, tant sur le plan de la forme que sur celui du fond. Cependant, elle soutient que l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) n’a pas pour objet d’avantager une personne non-résidente qui a le droit légal à l’intérêt sur une obligation par suite d’une opération dans le cadre de laquelle le droit de recevoir les intérêts est séparé du droit de recevoir le principal. Plus précisément, selon la Couronne, étant donné que l’opération en l’espèce n’a pas permis à Lehigh [traduction] « d’avoir accès à des fonds sur un marché des capitaux international », elle est incompatible avec la raison d’être sous-jacente du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

c) La synthèse

[26]      Cinq observations peuvent être formulées au sujet de la portée du sous-alinéa 212(1)b)(vii) et de la nature de l’opération qui a donné lieu au présent appel.

[27]      Premièrement, les parties reconnaissent que le sous-alinéa 212(1)b)(vii) prévoit une exemption à la perception de la retenue d’impôt des non-résidents sur les intérêts payables par une société résidant au Canada à un non-résident. Elles reconnaissent aussi que la portée de l’exemption peut être dégagée uniquement du libellé du sous-alinéa et que l’examen de toute autre exemption ne peut apporter un éclairage utile.

[28]      Deuxièmement, le sous-alinéa 212(1)b)(vii) est libellé en termes suffisamment larges pour englober tout intérêt payable par une société résidant au Canada à un non-résident, peu importe la façon dont le non-résident peut avoir obtenu le droit de recevoir ledit intérêt. En effet, ce droit pourrait naître de bien des façons — prêt à intérêt à une société résidant au Canada, vente d’un bien à une société résidant au Canada dans le cadre de laquelle la portion impayée du prix d’achat porte intérêt ou achat du droit de recevoir des intérêts sur un titre de créance d’une société résidant au Canada, avec ou sans droit au principal de l’obligation.

[29]      Troisièmement, selon la formulation du sous-alinéa 212(1)b)(vii), c’est la relation entre la personne qui doit payer l’intérêt et la personne qui a droit à cet intérêt qui est visée pour établir s’il a été satisfait au critère d’une relation sans lien de dépendance. Le sous-alinéa n’exige pas que le critère d’une relation sans lien de dépendance s’applique aussi à la relation entre la personne qui est tenue de payer le principal de l’obligation et la personne qui y a droit. Si, en matière de politique fiscale, le législateur avait voulu faire en sorte que l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) s’applique uniquement lorsque la même personne avait droit à la fois aux intérêts et au principal, il aurait été facile pour lui de l’énoncer.

[30]      Quatrièmement, la scission entre l’intérêt et le principal est depuis longtemps un aspect habituel des opérations financières à caractère commercial, y compris les opérations visant les titres de créance de l’État comme les bons du Trésor. La Couronne n’a fourni aucun élément de preuve démontrant que, sur le fond ou sur la forme, l’opération de fractionnement en cause est inhabituelle sur le plan commercial.

[31]      Cinquièmement, dans le contexte précis de la retenue d’impôt des non-résidents, le législateur était au fait de cette pratique de fractionnement d’opérations en 1975 au moment de l’adoption de la première version du sous-alinéa 212(1)b)(vii). En effet, le détachement de coupons d’intérêt fait l’objet de l’article 13 du ch. 17 des S.C. 1960-61, lequel prévoyait l’adoption du paragraphe 132A de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, ch. 148, disposition qui allait devenir l’article 240 de la Loi de l’impôt sur le revenu dans sa version actuelle. Le paragraphe 240 traite d’un bon ou d’un autre titre semblable où le droit à l’intérêt est démontré par un coupon ou un autre écrit qui ne fait pas partie, ou peut être détaché, du titre de créance. Il exige que ces coupons d’intérêt portent une marque au moyen des lettres « AX » si l’intérêt est soumis à la retenue d’impôt des non-résidents parce que versé à une personne non-résidente et, sinon, au moyen de la lettre « F », à défaut de quoi l’émetteur du titre de créance serait passible d’une amende administrative.

[32]      La thèse de la Couronne n’est fondée ni sur une interprétation du sous-alinéa 212(1)b)(vii) ni sur le régime législatif dont il relève. Elle n’est pas non plus fondée sur une disposition légale ou sur la jurisprudence. Elle reflète plutôt une phrase dans un document budgétaire diffusé par le ministère des Finances en 1975, au moment où l’adoption de la première version du sous-alinéa 212(1)b)(vii) était proposée. La publication était intitulée Budget : faits saillants et renseignements supplémentaires, 23 juin 1975. L’extrait suivant est tiré de la page 24 de cette publication (non souligné dans l’original) :

EXEMPTION DE LA RETENUE À LA SOURCE

Le budget propose de faciliter aux entreprises canadiennes le recours aux capitaux étrangers grâce à une exemption de la retenue à la source sur les intérêts versés aux non-résidents.

Une exemption analogue avait déjà été instituée cette année dans le cas des titres émis d’ici 1979 par les administrations publiques – fédérales, provinciales ou municipales.

Ces deux mesures complètent l’abrogation, le 27 février 1975, des Lignes directrices concernant les emprunts à l’étranger en vertu desquelles les emprunteurs canadiens devaient, depuis 1970, avoir épuisé les ressources du marché intérieur avant de placer une émission hors des frontières.

Cette nouvelle exemption ne vise que les intérêts versés par une société résidant au Canada à un prêteur dit « indépendant » sur des obligations, débentures ou autres titres de créance comportant une échéance fixe non inférieure à cinq ans émis entre la date de présentation du budget et 1979.

La notion d’« indépendance », bien définie en droit fiscal, désigne généralement la situation de deux personnes n’ayant aucun lien entre elles.

Cette nouvelle mesure vise à donner une plus grande liberté d’action aux entreprises canadiennes qui établissent des plans de financement à long terme ainsi qu’à leur faciliter l’accès aux marchés internationaux des capitaux.

(La Couronne souligne le contresens « non-arms’ length » au lieu de « arms’ length » au quatrième paragraphe de la version anglaise. Ce contresens avait été corrigé dans la version française : « [...] prêteur dit “indépendant” [...] ».)

[33]      La Couronne n’a produit aucune autre publication du ministère des Finances et aucun document parlementaire visant à expliquer la raison d’être sous-jacente du sous-alinéa 212(1)b)(vii) ou la dernière phrase de l’extrait cité dans ce document budgétaire de 1975. Je suppose qu’il n’existe pas de publication de ce genre.

[34]      Même si la Couronne a cité bon nombre d’articles qui traitent de la portée du sous-alinéa 212(1)b)(vii), certains de façon très approfondie et très détaillée, ces articles ne nous informent pas au sujet de la politique fiscale sous-jacente à l’adoption de ladite disposition, sinon pour répéter ce qu’en disait le document budgétaire de 1975. Un survol des publications relatives à l’impôt sur le revenu révèle que le sous-alinéa 212(1)b)(vii) a donné naissance à une masse de commentaires, mais la Couronne n’a cité aucune source faisant autorité qui soutient, expressément ou implicitement, sa thèse selon laquelle une opération qui fractionne l’obligation de payer les intérêts et l’obligation de rembourser le principal entre créanciers différents, comme ce fut le cas en l’espèce, aurait été jugée, en 1975 ou à quelque moment que ce soit par la suite, contraire à l’objectif de politique fiscale visé par le sous-alinéa 212(1)b)(vii).

[35]      Il s’ensuit que l’argument de la Couronne doit être apprécié uniquement en fonction de l’extrait cité ci-dessus du document budgétaire de 1975 et des inférences que l’on peut raisonnablement tirer de la phrase où l’on trouve l’expression « l’accès aux marchés internationaux des capitaux ». À mon avis, cette phrase est une fondation bien fragile pour une cotisation établie sur le fondement de la règle générale anti-évitement de l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[36]      Je reconnais que le document budgétaire de 1975 traite un peu de l’historique du sous-alinéa 212(1)b)(vii) et de la situation dans le monde des affaires en 1975 qui a débouché sur son adoption. Cependant, à mon avis, il n’aborde aucunement la question qui est au cœur de la présente affaire, à savoir si le fait pour Lehigh de recourir à l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) constitue un abus dans l’application de cette disposition du seul fait que la banque belge avait acquis le droit de recevoir les intérêts, mais non le principal de l’obligation de Lehigh.

[37]      Lorsque le législateur ajoute une exemption à la Loi de l’impôt sur le revenu, même une exemption aussi détaillée et précise que celle du sous-alinéa 212(1)b)(vii), il ne peut décrire toutes les opérations, qu’elles relèvent ou non du champ d’application de ladite exemption. Il est donc possible qu’une opération donne lieu à un abus dans l’application d’une exemption législative comprenant un critère ou plusieurs critères évident(s) comme, en l’espèce, le critère d’une relation sans lien de dépendance et celui des cinq années. Cependant, le fait qu’une exemption soit invoquée d’une façon qui n’avait pas été prévue ou d’une façon novatrice, comme c’était peut-être le cas en l’espèce, ne signifie pas nécessairement qu’il y a eu abus dans l’application de l’exemption. Il s’ensuit que la Couronne ne peut s’acquitter du fardeau d’établir qu’une opération donne lieu à un abus dans l’application d’une exemption simplement en affirmant que l’opération n’était pas prévue ou qu’elle tire profit d’une lacune législative passée inaperçue jusqu’alors. Selon mon interprétation de l’arrêt Hypothèques Trustco, la Couronne doit établir par des éléments de preuve et des arguments motivés que le résultat de l’opération en cause n’est pas conforme à l’objet de l’exemption, à partir d’une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique de l’exemption.

[38]      En l’espèce, la Couronne invite la Cour à conclure que le droit à l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) est assujetti non seulement aux conditions législatives explicites, mais aussi à une condition que l’existence d’une politique fiscale impose implicitement, attestée uniquement par une phrase dans un document budgétaire de 1975 censé expliquer les motifs de l’adoption de l’exemption. À mon avis, selon les principes énoncés dans l’arrêt Hypothèques Trustco, cette invitation doit être rejetée.

[39]      Je tire cette conclusion parce qu’il est impossible de dégager ou de déduire raisonnablement l’existence de ladite politique fiscale alléguée du sous-alinéa 212(1)b)(vii) lui-même, du régime législatif dont relève le sous-alinéa 212(1)b)(vii) ou de toute autre disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu qui pourrait être pertinente dans le contexte d’une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique du sous-alinéa 212(1)b)(vii). J’estime que l’argument de la Couronne sur l’abus dans l’application de l’exemption se trouve irrémédiablement invalidé du fait qu’il n’est appuyé par aucune disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu, aucune décision, ou aucune autre source affirmant ou donnant à penser que le fractionnement des obligations relatives aux intérêts et au principal d’une créance a des incidences fiscales en relation avec le sous-alinéa 212(1)b)(vii), une disposition analogue ou un régime législatif pertinent.

[40]      J’ajouterais que l’argument de la Couronne semble aussi présenter une contradiction impossible à résoudre. Elle reconnaît que si International Services (la société belge liée à Lehigh) avait vendu à la banque belge le droit de recevoir à la fois le principal de l’obligation de Lehigh et les intérêts, le sous-alinéa 212(1)b)(vii) s’appliquerait pour exempter les intérêts de la retenue d’impôt des non-résidents et qu’il n’y aurait alors aucun motif d’invoquer la règle générale anti-évitement. Cette façon de voir est conforme à l’interprétation bien établie de la portée du sous-alinéa 212(1)b)(vii). Malgré cela, je ne vois pas de quelle façon cette vente hypothétique pourrait être considérée comme une opération donnant à Lehigh « l’accès aux marchés internationaux des capitaux ». Dans le cadre de cette vente hypothétique, l’argent aurait circulé uniquement à partir de l’acheteur étranger, la banque belge, vers le vendeur étranger, International Services. La situation financière de Lehigh n’aurait pas changé du tout et aucuns capitaux étrangers n’auraient été dirigés vers une société canadienne.

[41]      Si le sous-alinéa 212(1)b)(vii) avait été réellement rédigé en vue d’être appliqué uniquement dans les cas où un résident du Canada a « accès » aux marchés internationaux des capitaux, la Couronne n’aurait probablement pas à reconnaître que cette opération de vente hypothétique ne constitue pas un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii). Malgré cela, il est établi depuis de nombreuses années que ce type d’opération de vente donne à l’acheteur étranger de l’obligation le droit aux avantages de l’exemption du sous-alinéa212(1)b)(vii) s’il est satisfait au critère d’une relation sans lien de dépendance et à celui des cinq années après la vente. Je ne perçois aucune distinction pertinente, en ce qui concerne la justification sous-jacente que l’on veut prêter au sous-alinéa 212(1)b)(vii), entre la vente hypothétique susmentionnée et l’opération effectuée en l’espèce.

[42]      La Couronne soutient aussi que l’opération en cause en l’espèce constitue un abus dans l’application de l’exemption parce que le groupe HZ a pu obtenir une partie des profits de source canadienne de Lehigh à l’abri de l’impôt canadien, ce qui n’est pas un des objectifs visés par le sous-alinéa 212(1)b)(vii). Cet argument laisse entendre que les paiements d’intérêt, de façon générale, sont financés à même les profits et que la contrepartie que la banque belge a versée à International Services pour obtenir le droit aux paiements des intérêts est en quelque sorte financée par le transfert de profit de Lehigh à la banque belge. Même si j’acceptais ces hypothèses, il me semble encore une fois qu’il n’existe pas de distinction pertinente entre l’opération hypothétique acceptable décrite ci-dessus et l’opération visée en l’espèce, censée constituer un abus dans l’application de l’exemption. Les intérêts sont payés et, en droit, sont payables, à la banque belge et non à un membre du groupe HZ. Il est vrai que la banque belge a indemnisé le groupe HZ pour obtenir le droit aux paiements d’intérêt. Cependant, la banque belge aurait aussi indemnisé le groupe HZ si elle avait acquis le droit de recevoir à la fois le principal et les intérêts, même si les prix auraient sûrement été différents à cause de la différence en matière de risque.

[43]      Comme dernier argument, la Couronne soutient que l’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) devait réduire le coût d’emprunt mais, en l’espèce, l’intérêt payé par Lehigh a été augmenté, passant du taux flottant (4,75 pour 100 en août 1997) à un taux fixe de 7 pour 100 pour cinq ans. Essentiellement, l’argument tient au fait que ce changement des taux d’intérêt révèle un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii). Or, cet argument n’est pas fondé. L’exemption du sous-alinéa 212(1)b)(vii) s’applique uniquement si le payeur et le bénéficiaire de l’intérêt n’ont entre eux aucun lien de dépendance. À mon avis, cette condition prévue par la loi révèle que le législateur voulait que l’exemption soit accordée uniquement lorsque la relation entre le payeur et le bénéficiaire s’accompagne d’une certaine garantie que le taux d’intérêt correspondrait à un juste taux du marché. En l’espèce, le payeur et le bénéficiaire des intérêts n’avaient aucun lien de dépendance entre eux et, plus important encore, le taux d’intérêt de 7 pour 100 était en fait le juste taux du marché pour l’obligation de 140 millions de dollars de Lehigh (un fait reconnu par la Couronne). À partir de ces faits, il n’est pas raisonnable de conclure que le taux d’intérêt de 7 pour 100 équivaut à un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii).

[44]      Pour ces motifs, j’ai conclu que la Couronne ne s’est pas acquittée du fardeau d’établir que l’opération en cause a donné lieu à un abus dans l’application du sous-alinéa 212(1)b)(vii). Il s’ensuit que la nouvelle cotisation visée par le présent appel ne peut se justifier par la règle générale anti-évitement de l’article 245.

Conclusion

[45]      J’accueillerais le présent appel avec dépens devant notre Cour et devant la C.C.I. J’annulerais le jugement de la C.C.I. et, prononçant le jugement qui aurait dû être rendu, j’autoriserais l’appel et je renverrais l’affaire au Ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation en conformité avec les présents motifs.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.

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