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[2011] 2 R.C.F 436

A-19-10

A-20-10

2011 CAF 22

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

John H. Craig (défendeur)

Répertorié : Craig c. Canada

Cour d’appel fédérale, juges Evans, Dawson et Stratas, J.C.A.—Toronto, 14 octobre 2010; Ottawa, 21 janvier 2011.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Entreprises agricoles — Appel à l’encontre de la décision de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) accueillant l’appel de l’intimé à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national pour les années d’imposition 2000 et 2001 — Bien qu’il ait tiré la majeure partie de ses revenus de sa pratique de droit, l’intimé exploitait également une entreprise de chevaux — Le ministre avait refusé les pertes déduites par l’intimé pour son entreprise de chevaux pendant les années d’imposition en cause — Pour ce faire, il s’était appuyé sur l’art. 31(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu — L’entreprise de chevaux de l’intimé ne constituait pas sa principale source de revenu pendant les années d’imposition en cause — La C.C.I. avait invoqué la décision rendue par la Cour d’appel fédérale (C.A.F.) dans l’arrêt Gunn c. Canada pour conclure que la principale source de revenu de l’intimé était une combinaison du revenu provenant de ses activités agricoles et de sa pratique du droit, peu importe si le revenu provenant de sa pratique du droit était une source accessoire du revenu qu’il tirait de son entreprise de chevaux — Rejet de l’argument de l’appelante portant que l’arrêt Gunn était incompatible avec une décision rendue par la Cour suprême du Canada (C.S.C.) quant au même point — En tenant pour acquis que la C.A.F. puisse s’écarter de ses décisions antérieures qu’elle juge manifestement erronées, l’arrêt Gunn ne constitue pas ce type de décision — Dans l’arrêt Gunn, la Cour a examiné longuement la décision de la C.S.C. et a adopté en grande partie son cadre analytique, mais s’est éloignée de l’aspect de cet arrêt en cause dans la présente affaire — La C.C.I. n’a pas commis une erreur de droit en appliquant le critère un peu plus souple et généreux de l’arrêt Gunn pour l’application de l’art. 31 de la Loi — Elle a soigneusement examiné les faits de l’espèce et les avait comparés avec les faits d’autres affaires qui lui avaient été signalées — Elle a conclu que l’agriculture était plus qu’une activité d’appoint en l’espèce et que l’art. 31 de la Loi ne s’appliquait pas — Bien que les faits de l’espèce pourraient constituer un cas relativement limite, la décision n’était pas fondée sur une erreur manifeste et dominante — Appel rejeté.

Juges et Tribunaux — Appel à l’encontre de la décision de la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) accueillant l’appel de l’intimé à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national pour les années d’imposition 2000 et 2001 — La C.C.I. avait invoqué la décision rendue par la Cour d’appel fédérale (C.A.F.) dans l’arrêt Gunn c. Canada — L’appelante soutenait que l’arrêt Gunn était incompatible avec une décision rendue par la Cour suprême du Canada (C.S.C.) quant au même point — Dans l’intérêt de la stabilité jurisprudentielle et de la certitude en droit, la C.A.F. est normalement liée par ses décisions antérieures — Cependant, ce principe général ne s’applique pas lorsqu’une décision antérieure a été rendue per incuriam (c.-à-d. sans égard à un précédent qui aurait dû être respecté) — Dans l’arrêt Gunn, la Cour a examiné longuement la décision de la C.S.C. et a adopté en grande partie son cadre analytique, mais s’est éloignée de l’aspect de cet arrêt en cause dans la présente affaire — L’arrêt Gunn n’a aucunement été rendu per incuriam.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt accueillant l’appel de l’intimé à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national pour les années d’imposition 2000 et 2001. Bien qu’il ait gagné la majeure partie de ses revenus durant les années d’imposition 2000 et 2001 à titre d’associé au sein d’un cabinet d’avocats, l’intimé exploitait également une entreprise qui se consacrait à l’achat, à la vente et à l’élevage de chevaux ainsi qu’à des activités relatives aux courses de chevaux de race Standardbred. Le ministre avait refusé les pertes déduites par l’intimé pour son entreprise de chevaux pendant les années d’imposition en cause. Le ministre s’était appuyé sur le paragraphe 31(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour limiter les déductions admises provenant de l’exploitation de l’entreprise de chevaux de l’intimé à 8 750 $ pour chaque année d’imposition. Les parties ont reconnu que les activités relatives aux chevaux de l’intimé constituent de « l’agriculture » aux fins de l’article 31, et une entreprise et une source de revenu à des fins fiscales. Il était également évident que, considérée isolément, l’entreprise de chevaux n’était pas la « source principale de revenu » de l’intimé durant les années d’imposition en question.

Les principales questions litigieuses en l’espèce étaient celles de savoir si la Cour d’appel fédérale, appelée à déterminer si la Cour canadienne de l’impôt avait commis une erreur relativement à sa conclusion à l’égard de l’intimé, était liée par sa décision antérieure dans l’arrêt Gunn c. Canada quant à la combinaison de l’agriculture au paragraphe 31(1) de la Loi et de savoir si la Cour canadienne de l’impôt avait mal appliqué le critère formulé dans l’arrêt Gunn.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La Cour canadienne de l’impôt a invoqué la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’arrêt Gunn comme fondement primordial pour sa conclusion voulant que la principale source de revenu de l’intimé ait été une combinaison du revenu provenant de ses activités agricoles et de sa pratique du droit, peu importe si le revenu provenant de sa pratique du droit était une source accessoire du revenu qu’il tirait de son entreprise de chevaux. On a fait valoir que l’arrêt Gunn est incompatible avec la décision de la Cour suprême du Canada dans Moldowan c. Canada, où la Cour a statué qu’un contribuable ne peut combiner qu’un revenu provenant de l’agriculture et une quelque autre source de revenu accessoire afin d’éviter l’application de l’article 31 de la Loi. Cet argument a été rejeté. Dans l’intérêt de la stabilité jurisprudentielle et de la certitude en droit, la Cour d’appel fédérale est normalement liée par ses décisions antérieures. Ce principe général ne s’applique pas lorsqu’une décision antérieure de la Cour d’appel fédérale a été rendue per incuriam (c.-à-d. sans égard à un précédent qui aurait dû être respecté). Dans l’arrêt Gunn, la Cour d’appel fédérale a examiné longuement l’arrêt Moldowan et a adopté en grande partie son cadre analytique. Elle s’est éloignée de l’aspect de l’arrêt Moldowan en cause dans la présente affaire en statuant que l’agriculture peut être combinée avec quelque autre source de revenu de façon à constituer la principale source de revenu d’un contribuable aux fins de l’article 31, même si, entre les deux sources de revenu, c’est l’agriculture qui était la source accessoire. L’arrêt Gunn n’a aucunement été rendu per incuriam : les précédents pertinents n’ont pas été oubliés. En tenant pour acquis que la Cour d’appel fédérale puisse s’écarter de ses décisions antérieures qu’elle juge manifestement erronées, l’arrêt Gunn ne constitue pas ce type de décision. En outre, les règles jurisprudentielles en matière de précédent diffèrent des autres règles juridiques, en ce sens que la Cour suprême du Canada n’écartera pas la décision d’une cour d’appel intermédiaire au motif que celle-ci n’a pas suivi le principe du stare decisis. En résumé, la Cour canadienne de l’impôt n’a pas commis une erreur de droit en appliquant le critère un peu plus souple et généreux de l’arrêt Gunn pour déterminer les circonstances dans lesquelles l’article 31 permet que des revenus provenant de l’agriculture et d’activités étrangères à l’agriculture soient combinés de sorte que l’agriculture constitue la principale source de revenu d’un contribuable.

La Cour canadienne de l’impôt a soigneusement examiné les faits de l’espèce et les a comparés avec les faits d’autres affaires qui lui avaient été signalées. Elle a conclu, selon les facteurs et le cadre analytique établis dans l’arrêt Gunn, que l’agriculture constituait une partie importante du revenu de l’intimé en 2000 et 2001, et était plus qu’une « activité d’appoint ». Par conséquent, l’article 31 de la Loi ne s’appliquait pas. Bien que les faits de l’espèce pourraient constituer un cas relativement limite, la décision n’était pas fondée sur une erreur manifeste et dominante.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 31 (mod. par L.C. 1995, ch. 21, art. 8).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Gunn c. Canada, 2006 CAF 281, [2007] 3 R.C.F. 57; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

décisions examinées :

Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480; Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370; Young v. Bristol Aeroplane Co., Ld., [1944] K.B. 718 (C.A.); Phoenix Bulk Carriers Ld. c. Kremikovtzi Trade, 2007 CSC 13, [2007] 1 R.C.S. 588.

décision citée :

Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, [2002] 2 R.C.S. 645.

DOCTRINE CITÉE

Cross, Rupert et J. W. Harris. Precedent in English Law, 4e éd. Oxford : Clarendon Press, 1991.

Parkes, Debra. « Precedent Unbound? Contemporary Approaches to Precedent in Canada » (2007), 32 Man. L.J. 135.

Prime, T. et G. Scanlan. « Stare Decisis and the Court of Appeal; Judicial Confusion and Judicial Reform? » (2004), 23 Civil Just. Q. 212.

Shannon, Bradley Scott. « Overruled by Implication » (2009), 33 Seattle U.L. Rev. 151.

  APPEL d’une décision (2009 CCI 617) de la Cour canadienne de l’impôt accueillant l’appel interjeté par l’intimé à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national pour les années d’imposition 2000 et 2001. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Marie-Thérèse Boris pour l’appelante.

Glenn S. Ernst et Sandon Shogilev pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.

Goodmans LLP, Toronto, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

         Le juge Evans, J.C.A. :

Introduction

[1]        Le ministre du Revenu national (le ministre) interjette appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2009 CCI 617), dans laquelle le juge Hershfield (le juge) a accueilli un appel de John H. Craig interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies par le ministre pour les années d’imposition 2000 et 2001. Les présents motifs s’appliquent aux appels interjetés à l’encontre des deux années d’imposition, et une copie sera versée au dossier de la Cour n° A‑19‑10.

[2]        Bien qu’il ait gagné la majeure partie de ses revenus durant les années d’imposition 2000 et 2001 à titre d’associé au sein d’un cabinet d’avocats de Toronto, M. Craig avait également des revenus d’emploi et de placement. De plus, il a exploité une entreprise qui se consacrait à l’achat, à la vente et à l’élevage de chevaux ainsi qu’à des activités relatives aux courses de chevaux de race Standardbred. Le ministre a refusé les pertes déduites par M. Craig pour son entreprise de chevaux.

[3]        S’appuyant sur le paragraphe 31(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, le ministre a limité les déductions admises provenant de l’exploitation de son entreprise de chevaux à 8 750 $ pour chaque année d’imposition. Les passages du paragraphe 31(1) pertinents quant au présent appel sont ainsi rédigés :

31. (1) Lorsque le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source, pour l’application des articles 3 et 111, ses pertes pour l’année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total des montants suivants : [Non souligné dans l’original.]

Pertes provenant d’une activité agricole ne constituant pas la principale source de
 revenu

[4]        Il est convenu que les activités relatives aux chevaux de M. Craig constituent de « l’agriculture » aux fins de l’article 31 [mod. par L.C. 1995, ch. 21, art. 8], et une entreprise et une source de revenu à des fins fiscales au sens de l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46, [2002] 2 R.C.S. 645. Il est également évident que, considérée isolément, l’entreprise de chevaux n’était pas la « source principale de revenu » de M. Craig durant les années d’imposition en question.

[5]        La question en litige dans le présent appel consiste à savoir si « une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source de revenu » (en l’espèce, la pratique du droit de M. Craig) constituait la « principale source de revenu ». Si tel est le cas, l’article 31 ne s’applique pas, et M. Craig n’est pas assujetti aux restrictions imposées par cet article sur les pertes qu’un contribuable peut déduire de l’agriculture.

[6]        Le ministre fonde ses appels sur deux motifs : en premier lieu, le juge a appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer si le revenu provenant de l’agriculture de M. Craig pouvait être combiné avec le revenu provenant de sa pratique du droit; en deuxième lieu, si le juge n’a pas commis d’erreur dans sa formulation du critère juridique pertinent, il a commis une erreur dans l’application du critère aux faits de l’espèce. Pour les motifs qui suivent, le juge n’a, à mon avis, commis aucune erreur sous ni l’un ni l’autre de ces rapports. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

Question 1 : La Cour est‑elle liée par l’arrêt Gunn?

[7]        L’avocate du ministre affirme que le juge a commis une erreur de droit en invoquant l’arrêt Gunn c. Canada, 2006 CAF 281, [2007] 3 R.C.F. 57 (Gunn), comme fondement primordial pour sa conclusion voulant que la principale source de revenu de M. Craig ait été une combinaison du revenu provenant de ses activités agricoles et de sa pratique du droit, peu importe si le revenu provenant de sa pratique du droit était une source accessoire du revenu qu’il tirait de son entreprise de chevaux. L’avocate a fait valoir que l’arrêt Gunn est incompatible avec la décision de la Cour suprême dans Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (Moldowan), où la Cour a statué qu’un contribuable ne peut combiner qu’un revenu provenant de l’agriculture et une quelque autre source de revenu accessoire afin d’éviter l’application de l’article 31.

[8]        L’avocate du ministre a prétendu qu’en permettant à un contribuable d’éviter les effets de l’article 31 par la combinaison d’un revenu provenant d’activités agricoles et d’activités non agricoles, même si le revenu provenant de l’agriculture est accessoire à l’autre source de revenu, la Cour dans l’arrêt Gunn a omis de suivre l’arrêt Moldowan. Ceci, ajoute l’avocate, viole le principe du stare decisis qui veut qu’une cour d’appel intermédiaire soit liée par les décisions de la Cour suprême du Canada. Par conséquent, l’arrêt Gunn est une décision erronée et ne devrait pas être suivie. Je ne suis pas d’accord.

[9]        Premièrement, l’argument selon lequel nous ne devrions pas suivre l’arrêt Gunn ne relève d’aucune des exceptions au principe général formulé dans l’arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370 (Miller), selon lequel, dans l’intérêt de la stabilité jurisprudentielle et de la certitude en droit, une formation de la Cour est normalement liée par ses décisions antérieures.

[10]      La Cour dans l’arrêt Miller (au paragraphe 10) énonce que ce principe général ne s’applique pas lorsqu’une décision antérieure a été rendue sans égard à un précédent qui aurait dû être respecté. À mon avis, cette exception au principe fait référence à une décision de la Cour rendue per incuriam. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[11]      S’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Gunn, la juge Sharlow a examiné longuement l’arrêt Moldowan et a adopté en grande partie son cadre analytique. Cependant, elle s’est éloignée de l’aspect de l’arrêt Moldowan en cause dans la présente affaire. Elle a statué que l’agriculture peut être combinée avec quelque autre source de revenu de façon à constituer la principale source de revenu d’un contribuable aux fins de l’article 31, même si, entre les deux sources de revenu, c’est l’agriculture qui était la source accessoire.

[12]      La juge Sharlow a justifié l’arrêt Gunn sur la foi de son analyse des lacunes découlant de l’exigence de l’arrêt Moldowan selon laquelle les activités agricoles doivent être la source prédominante de revenu pour qu’elles puissent être combinées à une autre source. Elle fonde ses critiques relatives à cet aspect de la décision sur l’historique et l’objectif de l’article 31, les difficultés liées à son application, sa tendance à produire des résultats arbitraires et sur les critiques formulées par les juges et d’autres personnes.

[13]      En outre, la juge Sharlow se fonde sur les décisions rendues par la Cour suprême postérieurement à l’arrêt Moldowan en matière d’interprétation de la loi, plus particulièrement sur les mises en garde contre le danger d’ajouter à un texte législatif (en l’occurrence, exiger que l’agriculture soit « l’occupation principale » du contribuable, l’autre revenu constituant une source « accessoire ») et de ne pas donner au libellé d’une loi fiscale une interprétation textuelle simple (« une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source »).

[14]      L’arrêt Gunn n’a par conséquent aucunement été rendu per incuriam : les précédents pertinents n’ont pas été « oubliés ». De même, la Cour dans l’arrêt Miller (aux paragraphes 11 à 17) a rejeté l’argument voulant que la décision d’une formation antérieure de la Cour n’ait pas été contraignante parce qu’elle n’avait pas tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour suprême du Canada. La Cour a fait remarquer que la formation antérieure a suivi à la lettre cette jurisprudence; la plainte de l’appelante dans cette affaire portait essentiellement sur la façon dont la Cour avait appliqué cette jurisprudence.

[15]      Deuxièmement, l’avocate du ministre s’est fondée sur une déclaration de lord Greene maître des rôles, dans l’arrêt Young v. Bristol Aeroplane Co., Ld., [1944] K.B. 718 (C.A.), à la page 729, selon laquelle la Cour d’appel de l’Angleterre n’est pas liée par une de ses propres décisions qui [traduction] « est incompatible avec une décision postérieure de la Chambre des Lords ». Cependant, il ressort clairement d’une déclaration figurant plus tôt dans la décision (à la page 725) que lord Greene renvoyait à une décision de la Chambre des Lords postérieure à la décision contestée de la Cour d’appel : voir également T. Prime et G. Scanlan, « Stare Decisis and the Court of Appeal; Judicial Confusion and Judicial Reform? » (2004), 23 Civil Just. Q. 212, à la page 213; et voir Rupert Cross et J. W. Harris, Precedent in English Law, 4e éd. (Oxford : Clarendon Press, 1991), aux pages 145 à 148, faisant observer, toutefois, que certains juges ont étendu l’exception de lord Greene pour inclure l’incompatibilité avec les décisions antérieures de la Chambre des Lords.

[16]      Étant donné que l’arrêt Moldowan a été rendu avant l’arrêt Gunn, nous n’avons pas le loisir de nous écarter de l’arrêt Gunn au motif que la décision a été infirmée par la Cour suprême du Canada.

[17]      Troisièmement, une décision par une formation de la Cour sur l’effet que peut avoir, à titre de précédent, une décision antérieure de la Cour suprême du Canada mérite autant de respect de la part d’une formation subséquente de la Cour qu’une décision par une formation antérieure sur toute autre question de droit. Il a été établi dans l’arrêt Miller (au paragraphe 22) qu’une décision antérieure par une formation de la Cour sur l’interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ne devrait pas plus facilement être infirmée qu’une décision concernant un quelque autre aspect du droit. Je ne puis voir pourquoi l’arrêt Gunn, une décision de la Cour qui traite d’une décision antérieure de la Cour suprême du Canada dans une affaire où la Charte n’est pas en cause, devrait être considérée comme ayant un effet moins important à titre de précédent qu’une décision qui aborde des questions liées à la Charte. Les intérêts de la certitude et de la stabilité du droit sont également applicables en l’espèce.

[18]      Quatrièmement, en tenant pour acquis que la Cour puisse s’écarter de ses décisions antérieures qu’elle juge manifestement erronées dans un sens non précisé par l’arrêt Miller, je ne suis pas persuadé, pour les motifs énoncés par la juge Sharlow, que l’arrêt Gunn constitue ce type de décision. De fait, l’avocate du ministre a, devant nous, rendu hommage à ce qu’elle appelle la [traduction] « brillante analyse » de la juge Sharlow dans l’arrêt Gunn. L’avocate a également admis dans son mémoire des faits et du droit (au paragraphe 46) que, compte tenu des décisions postérieures de la Cour suprême du Canada sur l’interprétation des lois fiscales, l’aspect de l’arrêt Moldowan soulevé en l’espèce pourrait être tranché différemment aujourd’hui.

[19]      La principale plainte de l’avocate est que la responsabilité de réexaminer l’arrêt Moldowan était du ressort exclusif de la Cour suprême du Canada. En fait, l’arrêt Gunn envisageait que la Cour suprême du Canada reviendrait sur l’une de ses décisions antérieures, bien qu’il soit hautement improbable, voire impossible, qu’une cour d’appel intermédiaire puisse écarter par anticipation une décision du tribunal de dernier ressort : voir, par exemple, Debra Parkes, « Precedent Unbound? Contemporary Approaches to Precedent in Canada » (2007), 32 Man. L.J. 135, aux pages 144 à 146; cependant, voir Bradley Scott Shannon, « Overruled by Implication » (2009), 33 Seattle U. L. Rev. 151, qui met en doute l’obligation qu’aurait une cour d’appel de suivre un arrêt de la Cour suprême que celle-ci aurait, à son avis, implicitement infirmé.

[20]      Cinquièmement, les règles jurisprudentielles en matière de précédent diffèrent des autres règles juridiques, en ce sens que la Cour suprême du Canada n’écartera pas la décision d’une cour d’appel intermédiaire au motif que celle-ci n’a pas suivi le principe du stare decisis. Lorsque la Cour suprême accorde l’autorisation d’interjeter appel, la question soumise sera plutôt de savoir si la décision du tribunal d’instance inférieure est compatible avec le droit substantiel, y compris les arrêts de la Cour suprême, ou si la Cour suprême devrait modifier sa propre jurisprudence sur le point examiné.

[21]      Dans l’arrêt Phoenix Bulk Carriers Ltd. c. Kremikovtzi Trade, 2007 CSC 13, [2007] 1 R.C.S. 588, la Cour suprême a choisi de n’exprimer aucune opinion sur le bien‑fondé de la pratique voulant que notre Cour se considère normalement liée par ses décisions antérieures, même si elle aurait statué différemment. La Cour suprême a accueilli l’appel au motif substantiel que la décision antérieure de notre Cour était erronée.

[22]      En résumé, je ne suis pas persuadé que le juge a commis une erreur de droit en appliquant le critère un peu plus souple et généreux de l’arrêt Gunn pour déterminer les circonstances dans lesquelles l’article 31 permet que des revenus provenant de l’agriculture et d’activités étrangères à l’agriculture soient combinés de sorte que l’agriculture constitue la principale source de revenu d’un contribuable.

[23]      J’ajouterais simplement que, si cela avait eu un effet déterminant sur la décision, je doute que j’aurais été d’accord avec la conclusion du juge selon laquelle, même en appliquant le critère strict de l’arrêt Moldowan, le revenu de M. Craig provenant de son entreprise de chevaux, combiné au revenu tiré de sa pratique du droit, a constitué sa principale source de revenu en 2000 et en 2001.

Question 2 : Le juge a‑t‑il mal appliqué l’arrêt Gunn?

[24]      En présumant que le juge a correctement considéré que l’arrêt Gunn établissait le critère juridique applicable, le ministre prétend qu’il a commis une erreur en concluant que les faits de la présente affaire répondaient à ce critère. Je ne suis pas d’accord.

[25]      Dans des motifs élaborés, le juge a soigneusement examiné les faits de l’espèce (qui sont décrits de façon détaillée dans ses motifs, ne sont pas contestés et n’ont pas être repris ici), et les a comparés avec les faits d’autres affaires auxquelles l’avocate l’a renvoyé. Le juge a conclu, selon les facteurs et le cadre analytique établis dans l’arrêt Gunn, que l’agriculture constituait une partie importante du revenu de M. Craig en 2000 et en 2001, et était plus qu’une « activité d’appoint ». Par conséquent, l’article 31 ne s’appliquait pas.

[26]      Les faits de l’espèce pourraient constituer un cas relativement limite, et je n’aurais peut‑être pas rendu la même décision que le juge. Cependant, je ne peux pas dire que sa décision se fonde sur une erreur manifeste et dominante qui justifie l’intervention de notre Cour.

[27]      L’avocate du ministre a cherché essentiellement à plaider de nouveau devant nous la cause qu’elle a perdue en première instance et nous a invités à réexaminer les facteurs pris en considération par le juge. Cependant, la Cour suprême du Canada a indiqué clairement dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 28 à 36, que normalement il n’appartient pas à une cour d’appel de remettre en cause la façon dont le juge de première instance a appliqué le droit aux faits en litige. Par conséquent, en l’absence d’une erreur manifeste et dominante dans l’application du critère, ou d’une erreur de droit dans sa formulation, deux éléments dont le ministre n’a pas démontré l’existence en l’espèce, il n’existe aucun élément susceptible de justifier l’intervention de la Cour.

Conclusion

[28]      Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

         La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

         Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.

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