[2009] 2 R.C.F. emall.ca inc. c. cheaptickets and travel inc. 43
A-182-07
2008 CAF 50
Cheaptickets and Travel Inc. (appelante)
c.
Emall.ca Inc. et Emall Inc., faisant affaires sous la raison sociale de Cheaptickets.ca (intimées)
Répertorié : Emall.ca Inc. c. Cheaptickets and travel Inc. (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Décary, Sharlow et Trudel, J.C.A.—Vancouver, 5 et 7 février 2008.
Marques de commerce — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande présentée par les intimées en vue d’obtenir la radiation des marques de commerce déposées « Cheap Tickets » et « Cheap Tickets and Travel & Design » au motif que l’enregistrement était invalide par l’effet combiné de l’art. 12(1)b) (la marque de commerce n’est pas enregistrable si elle donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises ou services) et de l’art 18(1)a) (l’enregistrement est invalide si la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement) de la Loi sur les marques de commerce — Le moyen de défense pouvant être invoqué dans le cadre d’une procédure en radiation énoncée à l’art. 18(2) de la Loi et qui a trait au caractère distinctif au moment de l’enregistrement n’empêchait pas l’appelante d’invoquer l’exception prévue à l’art. 12(2) de la Loi à l’art. 12(1), c.-à-d. que la marque de commerce est enregistrable si elle est devenue distinctive à la date de production d’une demande d’enregistrement — Aucun élément de preuve n’étayait toutefois l’argument fondé sur l’art. 12(2) — Appel rejeté.
Compétence de la Cour d’appel fédérale — Le registraire des marques de commerce a donné suite à l’ordonnance de radiation des marques de commerce avant l’expiration du délai d’appel — L’art. 52b)(i) de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la Cour d’appel fédérale peut rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre — Lors d’un appel d’une ordonnance de radiation, la Cour d’appel fédérale peut accueillir l’appel et ainsi rejeter la demande en radiation — Le registraire est alors tenu de rétablir l’inscription des marques de commerce.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 45 (mod. par L.C. 2001, ch. 10, art. 1).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 27(1)a) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 7; 2002, ch. 8, art. 34), 52 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 17; 2002, ch. 8, art. 50).
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 12(1)b) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 59(F)), (2), 18(1),(2), 19 (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60), 57.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions examinées :
General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc., [2001] 1 C.F. 665 (C.A.F.); Unitel Communications Inc. c. Bell Canada, [1995] A.C.F. no 613 (1re inst.) (QL); Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 1 R.C.S. 153; 2002 CSC 77.
DOCTRINE CITÉE
Hughes, Roger T. et T. P. Ashton. Hughes on Trade Marks, feuilles mobiles. Toronto : Butterworths, 1984.
Hughes, Roger T. Hughes on Trade Marks, 2e éd., feuilles mobiles. Markham : LexisNexis Canada, 2005.
APPEL de la décision (2007 CF 243) par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande présentée par les intimées en vue d’obtenir la radiation de deux marques de commerce déposées appartenant à l’appelante. Appel rejeté.
ONT COMPARU :
Gregory N. Harney et Andrew P. Morrison pour l’appelante.
Zak A. Muscovitch et D. Scott Lamb pour les intimées.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Shields Harney, Victoria (Colombie-Britannique), pour l’appelante.
Muscovitch & Associates, Toronto, pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] La juge Sharlow, J.C.A. : L’appel vise le jugement (2007 CF 243), en date du 2 mars 2007, par lequel le juge Strayer a accueilli la demande présentée par les intimées Emall.ca Inc. et Emall Inc. (Emall) en vue d’obtenir la radiation de deux marques de commerce appartenant à l’appelante, Cheaptickets and Travel Inc. (Cheaptickets). Les marques de commerce déposées en cause sont « Cheap Tickets », (LMC 564905), et « Cheap Tickets and Travel & Design », (LMC 564432).
Question préliminaire sur la compétence
[2] Le registraire des marques de commerce a donné suite à l’ordonnance de radiation environ 17 jours après sa délivrance, soit avant l’expiration du délai d’appel. Cheaptickets n’avait pas demandé au juge Strayer ou à notre Cour qu’il soit sursis à l’exécution de l’ordonnance. Il appert que, contrairement à ce que croyait Cheaptickets, le registraire n’a pas pour politique de reporter l’exécution d’une ordonnance de radiation jusqu’à ce que tous les droits d’appel soient épuisés.
[3] Emall fait valoir que, même si l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, accorde à la Cour fédérale la compétence initiale exclusive pour ordonner la radiation d’une marque de commerce déposée, aucune disposition de la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], n’accorde expressément à notre Cour le pouvoir d’ordonner le rétablissement d’une marque de commerce qui a été radiée à la suite d’une ordonnance de la Cour fédérale. Si cet argument est juste, l’appel devient théorique.
[4] Je ne souscris pas à l’argument avancé par Emall. À mon avis, la Cour a compétence pour accorder la réparation demandée par Cheaptickets dans le présent appel. J’arrive à cette conclusion pour les motifs exposés ci-dessous.
[5] Le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce est rédigé comme suit :
57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.
[6] La radiation d’une marque de commerce déposée est en fait, pour reprendre la formulation de l’article 57, le biffage d’une inscription dans le registre des marques de commerce.
[7] Une ordonnance en radiation d’une marque de commerce déposée est un jugement définitif de la Cour fédérale. Le défendeur dans la procédure en radiation a le droit, en vertu de l’alinéa 27(1)a) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 7; 2002, ch. 8, art. 34] de la Loi sur les Cours fédérales, d’interjeter appel de l’ordonnance de radiation devant notre Cour.
[8] L’article 52 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 17; 2002, ch. 8, art. 50] de la Loi sur les Cours fédérales énonce les pouvoirs de la Cour à l’égard des appels. Dans le cas d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, le sous-alinéa 52b)(i) prévoit que la Cour peut :
52. […]
b) […]
(i) soit rejeter l’appel ou rendre le jugement que la Cour fédérale aurait dû rendre et prendre toutes mesures d’exécution ou autres que celle-ci aurait dû prendre,
[9] Selon mon interprétation du sous-alinéa 52b)(i), lorsque l’ordonnance frappée d’appel est une ordonnance de radiation, la Cour peut soit rejeter l’appel, auquel cas l’ordonnance de radiation est maintenue, soit y faire droit. Si l’appel est accueilli, la Cour peut aller plus loin et, en rendant l’ordonnance que la Cour fédérale aurait dû rendre, elle peut rejeter la demande en radiation. Si cette ordonnance est rendue après l’exécution de la radiation, le registraire des marques de commerce est tenu, dès réception de l’avis de l’ordonnance, d’annuler la radiation et, en fait, de rétablir l’inscription de la marque de commerce.
La présomption de validité de l’inscription d’une marque de commerce
[10] Cheaptickets a fait valoir, dans plusieurs contextes différents, que l’inscription d’une marque de commerce est présumée valide. Emall ne conteste pas l’existence de cette présomption et il ne fait aucun doute que le juge Strayer la connaissait. Il me semble toutefois que Cheaptickets essaie de donner à cette présomption une importance déraisonnable.
[11] L’existence de la présomption de validité est confirmée dans la décision General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc., [2001] 1 C.F. 665 (C.A.) (au paragraphe 31). La source citée à l’appui de l’existence de cette présomption est Hughes on Trade Marks, feuilles mobiles (Toronto : Butterworths, 1984, à la page 556). Dans l’édition la plus récente à feuilles mobiles de cette publication, Hughes on Trade Marks (2e éd., Markham : LexisNexis Canada), la présomption de validité est analysée au paragraphe 56 (page 817). D’après la jurisprudence citée, en particulier la décision Unitel Communications Inc. c. Bell Canada, [1995] A.C.F. n° 613 (1re inst.) (QL), à la page 27, la présomption aurait pour origine la disposition législative qui a précédé l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce. L’article 19 [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 60] est rédigé comme suit :
19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.
[12] La présomption de validité établie par l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce est semblable à la présomption de validité d’un brevet établie à l’article 45 [mod. par L.C. 2001, ch. 10, art. 1] de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. Dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, le juge Binnie a estimé que la formulation de la présomption était plutôt faible et expliqué (au paragraphe 43) que la présomption augmente peu la charge qui incombe déjà, de la manière habituelle, à la partie qui attaque la validité du brevet. Cela signifie, à mon avis, qu’une demande de radiation sera accueillie seulement si l’examen de toute la preuve présentée à la Cour fédérale permet d’établir que la marque de commerce n’était pas enregistrable à l’époque pertinente. La présomption de validité ne sert à rien de plus.
La question de savoir si les marques de commerce donnaient une description claire à la période pertinente
[13] La demande de radiation était fondée sur le paragraphe 18(1) de la Loi sur les marques de commerce, dont les dispositions pertinentes sont reproduites ci-dessous (non souligné dans l’original) :
18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :
a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;
b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;
[14] Une demande de radiation fondée sur l’alinéa 18(1)a) fait nécessairement jouer le paragraphe 12(1) [mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 59(F)], dont les dispositions pertinentes sont rédigées comme suit :
12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :
[…]
b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;
[15] Le juge Strayer a conclu que les marques de commerce donnaient une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises ou des services en liaison avec lesquels elles étaient employées par Cheaptickets, qui est une agence de voyages. Il a conclu sur ce fondement que, par l’effet combiné de l’alinéa 18(1)a) et de l’alinéa 12(1)b), l’enregistrement était invalide.
[16] Cheaptickets allègue que le juge Strayer a fait erreur en concluant que les marques de commerce donnaient « une description claire » au sens de l’alinéa 12(1)b), parce qu’elles évoquent tout au plus simplement la nature ou la qualité des services offerts par Cheaptickets. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui ne sera pas réexaminée en appel en l’absence d’une erreur manifeste et dominante ou d’une erreur de droit facilement isolable. Mon examen du dossier et les observations des avocats ne révèlent aucune erreur de droit de la part du juge Strayer, ni aucune erreur de fait manifeste et dominante.
La disposition d’exception du paragraphe 12(2)
[17] Cheaptickets allègue que le juge Strayer n’a pas envisagé l’application du paragraphe 12(2) de la Loi sur les marques de commerce, formulé comme suit (non souligné dans l’original) :
12. […]
(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.
[18] Emall prétend que le paragraphe 12(2) peut être invoqué lors du processus d’enregistrement d’une marque de commerce, et non à l’occasion d’une procédure en radiation. Elle soutient que, dans une procédure en radiation, la disposition pertinente est le paragraphe 18(2), rédigé comme suit (non souligné dans l’original) :
18. […]
(2) Nul enregistrement d’une marque de commerce qui était employée au Canada par l’inscrivant ou son prédécesseur en titre, au point d’être devenue distinctive à la date d’enregistrement, ne peut être considéré comme invalide pour la seule raison que la preuve de ce caractère distinctif n’a pas été soumise à l’autorité ou au tribunal compétent avant l’octroi de cet enregistrement.
[19] Le paragraphe 18(2) offre au titulaire d’une marque de commerce déposée un moyen de défense particulier pouvant être invoqué dans le cadre d’une procédure en radiation si la marque de commerce possédait un caractère distinctif au moment où le processus d’enregistrement a pris fin, même si le registraire des marques de commerce n’a pas reçu de preuve de ce fait.
[20] La conséquence de l’argument formulé par Emall est que, si Cheaptickets n’est pas en mesure d’établir que le caractère distinctif existait à la fin du processus d’enregistrement, comme le prévoit le paragraphe 18(2), elle n’aurait même pas la possibilité de tenter d’établir qu’il existait au début de ce processus. Emall n’a cité aucune source à l’appui d’une interprétation aussi restrictive du paragraphe 12(2), et je ne vois aucune raison d’accepter cette interprétation. À mon avis, l’existence du paragraphe 18(2) n’empêche pas Cheaptickets d’invoquer le paragraphe 12(2) dans la procédure en radiation.
[21] Cheaptickets a raison de dire que le juge Strayer n’a pas fait état du paragraphe 12(2). Il peut s’agir d’une erreur ou d’une omission de sa part ou cela peut indiquer qu’il a estimé qu’il n’était pas important d’en parler. Dans l’un ou l’autre des cas, l’omission est sans conséquence. Le dossier ne comporte aucun élément de preuve qui peut raisonnablement appuyer l’argument de Cheaptickets suivant lequel les marques de commerce avaient acquis un caractère distinctif à la date à laquelle les demandes d’enregistrement ont été déposées.
[22] Selon Cheaptickets, le paragraphe 16 des motifs de l’ordonnance du juge Strayer indique qu’il a en réalité conclu que les marques de commerce étaient distinctives à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, parce qu’il parle de l’absence d’éléments de preuve démontrant qu’elles avaient cessé d’être distinctives après cette date. Je ne puis accepter cette interprétation du paragraphe 16. Suivant mon interprétation, le paragraphe 16 vise à expliquer que, parce que le juge Strayer avait conclu que la demande de radiation présentée par Emall avait été accueillie sur le fondement de l’alinéa 18(1)a), il n’était pas nécessaire d’examiner la partie de la demande de radiation qui était fondée sur l’alinéa 18(1)b). Le juge Strayer a alors formulé l’opinion incidente que la demande fondée sur l’alinéa 18(1)b) aurait de toute façon échoué en raison de l’insuffisance de la preuve.
Examen distinct du dessin-marque
[23] Cheaptickets allègue que le juge Strayer n’a pas examiné les aspects uniques et distinctifs de la marque « Cheap Tickets and Travel & Design » séparément de la marque « Cheap Tickets ». À mon avis, cette observation est sans fondement. La contestation de l’enregistrabilité des marques de commerce reposait sur l’emploi des mots « Cheap Tickets » comme partie intégrante des marques de commerce déposées de Cheaptickets. Rien dans la preuve n’indique que Cheaptickets a déjà renoncé ou manifesté la volonté de renoncer à revendiquer les mots « Cheap Tickets » employés dans la marque « Cheap Tickets and Travel & Design ».
Conclusion
[24] Je rejetterais l’appel avec dépens.
Le juge Décary, J.C.A. : Je suis d’accord.
La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.