[2011] 3 R.C.F. 309
T-1040-09
2010 CF 470
L’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry (demanderesse)
c.
Ministre de la Sécurité publique Canada et Service correctionnel du Canada (défendeurs)
Répertorié : Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry c. Canada (Sécurité publique)
Cour fédérale, juge Kelen—Ottawa, 29 mars et 29 avril 2010.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du défendeur, le Service correctionnel du Canada (SCC), refusant la demande présentée par la demanderesse en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour avoir accès aux renseignements personnels concernant Ashley Smith, qui s’est suicidée pendant son incarcération.
Mme Smith avait affirmé à la demanderesse, une organisation à but non lucratif qui aide les femmes emprisonnées au Canada, que pendant son incarcération elle avait subi des traitements inadéquats, notamment qu’elle avait été victime de voies de fait et qu’elle avait été détenue dans des conditions de détention inappropriées. Mme Smith avait présenté, en vertu de la Loi, une demande d’accès à son dossier personnel tenu par le défendeur et elle avait consenti par écrit à la communication de ce dossier à la demanderesse. Le défendeur a demandé une prorogation de 30 jours pour traiter la demande. Cependant, le défendeur n’a pas communiqué le dossier de Mme Smith au terme de la prorogation. Mme Smith a envoyé un second formulaire de consentement et de demande, mais elle s’est suicidée peu de temps après. Une enquête criminelle a été entreprise à l’égard du suicide de Mme Smith. Le SCC a refusé de communiquer les dossiers demandés, soutenant que l’ensemble des renseignements de Mme Smith faisait l’objet des exceptions prévues aux articles 22 et 26 de la Loi. Le commissaire à la protection de la vie privée a conclu que le décès de Mme Smith n’avait pas annulé son consentement donné en vertu de la Loi et que le défendeur n’avait pas invoqué à bon droit les exceptions prévues à la Loi.
Les questions à trancher étaient celles de savoir si le décès de Mme Smith annule son consentement et son autorisation à ce que la demanderesse ait accès à son dossier et si le défendeur peut invoquer l’enquête criminelle relative au décès de Mme Smith pour refuser la communication de son dossier au motif qu’il était assujetti à l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi.
Jugement : la demande doit être accueillie.
Le décès de Mme Smith n’a pas annulé son consentement. La demanderesse avait donc la qualité pour introduire la présente demande. L’objet du consentement de Mme Smith était valide lorsqu’il a été donné à la demanderesse et il a continué de l’être après son décès : il s’agissait de vérifier le traitement qui lui était réservé par les autorités pénitentiaires. Suivant la Loi, le droit d’une personne de donner accès à ses renseignements personnels ne devient pas caduc par son décès. En outre, l’alinéa 10c) du Règlement sur la protection des renseignements personnels (l’article 10 du Règlement précise qui peut exercer ou poser les droits ou les gestes prévus dans la Loi) est assez large pour englober l’autorisation donnée par une personne décédée. Tant et aussi longtemps que le consentement a été donné par écrit, le demandeur peut se fonder sur l’alinéa 10c).
S’agissant de l’applicabilité de l’alinéa 22(1)b), l’assertion selon laquelle le fait qu’il y a eu, à un moment donné, une enquête criminelle en cours suffit pour que l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) s’applique et que l’ensemble du dossier de Mme Smith y soit assujetti n’a aucun fondement en droit. Aucune enquête n’était en cours à la date à laquelle le défendeur est réputé avoir d’abord refusé à la demanderesse communication des renseignements personnels de Mme Smith. L’alinéa 22(1)b) ne pouvait donc pas s’appliquer. À titre subsidiaire, l’enquête relative au décès de Mme Smith ne portait pas sur les renseignements se trouvant dans le dossier demandé. La lettre dans laquelle le défendeur a refusé de communiquer les renseignements ne justifiait pas l’application de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) parce qu’il n’y avait pas de preuve tangible que la communication des renseignements personnels de Mme Smith causerait un préjudice à la tenue de l’enquête. La jurisprudence est claire : la Cour n’inférera pas un préjudice d’une façon purement théorique sur la seule existence d’une enquête, actuellement en cours ou terminée, sans preuve d’un lien entre la communication demandée et la vraisemblance raisonnable de préjudice.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 2, 3 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F); ch. 21, art. 34; 2002, ch. 8, art. 183; 2006, ch. 9, art. 181), 8(1),(2)j)(i),(ii),m)(i),(ii), 12 (mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 269), 14, 15 (mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 35), 16(3), 22, 26, 29(1)d),(2), 41, 47, 48, 49, 52.
Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.
Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. M.56, art. 54a).
Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83-508, art. 10.
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), tarif B, colonne III.
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773; Hamilton-Wentworth Regional Police Services Board, ordonnance M-1048 (15 décembre 1997), en ligne : CIPVP Ont. <http://www.ipc.on.ca/English/Decisions-and-Resolutions/Decisions-and-Resolutions-Summary/?id=5399>, 1997 CanLII 11783; Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1995] A.C.F. no 926 (1re inst.) (QL).
décisions examinées :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 321 R.N.-B. (2e) 1; Savard c. Société canadienne des postes, 2008 CF 671.
décisions citées :
Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Cemerlic c. Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 133; Richards c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CF 1450; Gordon c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 258; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2004 CF 431, [2004] 4 R.C.F. 181 (abrégée); Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 1221; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2006 CF 132, [2006] 4 R.C.F. 241; Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.); St-Onge c. Canada, [1995] A.C.F. no 961 (C.A.) (QL); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 1 R.C.S. 66; Moar c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), [1992] 1 C.F. 501 (1re inst.); Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [1997] A.C.F. no 1812 (1re inst.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du Service correctionnel du Canada refusant une demande présentée en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour avoir accès aux renseignements personnels concernant Ashley Smith, qui s’est suicidée pendant son incarcération. Demande accueillie.
ONT COMPARU
Kris Klein et Shawn Brown pour la demanderesse.
Gregorios S. Tzemenakis et Korinda McLaine pour les défendeurs.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
The Law Office of Kris Klein, Ottawa, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Kelen : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, telle que modifiée (la Loi), d’une décision du Service correctionnel du Canada (le SCC ou le défendeur), dans laquelle le SCC a refusé de communiquer à la demanderesse certains renseignements personnels concernant Mme Ashley Smith, une détenue de 19 ans qui s’est suicidée dans sa cellule.
LES FAITS
Le contexte
[2] Mme Ashley Smith a été emprisonnée à l’âge de 15 ans dans le système carcéral pour les adolescents du Nouveau‑Brunswick. Pendant son incarcération, elle a commis un certain nombre d’autres infractions criminelles et sa peine a été prolongée. Lorsqu’elle a atteint la majorité (c’est‑à‑dire à 18 ans), elle a été transférée en octobre 2006 dans une prison du système correctionnel pour adulte du Nouveau‑Brunswick, puis elle a été incarcérée dans un établissement fédéral géré par le défendeur.
[3] Le défendeur aurait transféré Mme Smith à plusieurs reprises dans un certain nombre d’établissements carcéraux, d’établissements de traitement et d’hôpitaux au Canada, jusqu’à ce qu’elle se suicide le 19 octobre 2007 à l’Établissement pour femmes de Grand Valley à Kitchener, en Ontario.
[4] Mme Smith a affirmé à la demanderesse, l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry (l’Association ou l’ACSEF), que pendant son incarcération elle avait subi des traitements inadéquats. Elle a notamment allégué avoir été victime de voies de fait perpétrées par le personnel, avoir été détenue dans des conditions de détention inappropriées, ne pas avoir reçu suffisamment de traitements ou d’examens psychiatriques et avoir été fréquemment mise en isolement et transférée.
[5] La demanderesse, l’Association, est une organisation de coordination coiffant 25 sociétés Elizabeth Fry au Canada. La demanderesse est une organisation à but non lucratif ayant comme mission de sensibiliser le public en faveur de la diminution du nombre de femmes incarcérées au Canada, de promouvoir la désincarcération des femmes actuellement détenues et d’accroître l’accès des femmes, avant leur emprisonnement, aux ressources communautaires de service social subventionnées par l’État.
[6] Le défendeur, le SCC, est responsable de la prise en charge des personnes incarcérées. Mme Smith était détenue et avait été prise en charge par le défendeur lorsqu’elle a présenté sa demande en vertu de la Loi; il s’agit de la demande faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.
La demande présentée en vertu de la Loi et son rejet
[7] Mme Smith a demandé l’aide de l’Association. L’affidavit de Mme Kim Pate fait état des communications entre l’Association et Mme Smith depuis le premier contact. Mme Pate est la directrice générale de l’Association et est professeure à temps partiel à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
[8] Le 31 mai 2007, Mme Smith a présenté, en vertu de la Loi, une demande d’accès à son dossier personnel tenu par le défendeur et elle a consenti à la communication de ce dossier à l’Association et à Mme Pate. Le formulaire Consentement pour la divulgation de renseignements personnels énonce ce qui suit :
[traduction] Je consens à la communication par le Service correctionnel du Canada de renseignements personnels me concernant lesquels peuvent être décrits comme étant : isolement, transfèrement, accusations et autres renseignements portant sur mon emprisonnement à/aux personnes(s) ou organisme(s) suivant(s) : Kim Pate (ACSEF) et avocat, en vue de m’aider. [Non souligné dans l’original.]
[9] Mme Pate a présenté la demande de communication de renseignements personnels qui suit au nom de Mme Smith le 14 juin 2007, laquelle a été reçue le 18 juin 2007, afin d’obtenir les renseignements particuliers suivants :
[traduction]
Veuillez me fournir tous les renseignements concernant Mme Ashley Smith, SED no 820435E (DDN 29‑01‑1988), et portant sur :
a. le mandat et le rapport d’enquête concernant les allégations de voies de fait perpétrées ou subies par Mme Smith;
b. les divers transfèrements de Mme Smith entre l’Établissement Nova, l’Institut Philippe-Pinel, l’Établissement Grand Valley et St. Thomas;
c. la cote de sécurité et les réévaluations de la cote de sécurité, y compris les renseignements tirés du système de justice pénale pour les adolescents, des rapports de police et des décisions des tribunaux;
d. le placement ou le maintien en isolement de Mme Smith, y compris les réexamens de ses isolements;
e. l’ensemble des rapports d’incident, des actes d’accusation et des décisions portant sur les questions liées à son comportement dans les établissements, y compris les rapports de sécurité préventive des établissements, etc.;
f. les rapports psychologiques et psychiatriques ainsi que les évaluations en vue d’une décision;
g. les notes de service internes de SCC ainsi que la correspondance électronique ou autre concernant la prise en charge ou le traitement de Mme Smith, y compris les écrits et les registres des employés concernant leur évaluation du comportement de Mme Smith, etc.
[10] Le 18 juillet 2007, Mme Ginette Pilon, analyste principale à la Division de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels du SCC, a informé Mme Pate que le délai de 30 jours prévu à l’article 14 de la Loi devait être prorogé de 30 jours parce que l’observation du délai initial de 30 jours entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution fédérale. Le SCC n’a pas communiqué le dossier de Mme Smith au terme de la prorogation de 30 jours, qui se terminait le 17 août 2007.
[11] Mme Smith a envoyé un second formulaire de demande de communication de renseignements et de consentement le 24 septembre 2007. Le formulaire a été rédigé et signé par la directrice générale de l’Association, et un employé de SCC a en été témoin parce que Mme Smith n’était pas autorisée à utiliser ni crayons ni stylos. Le formulaire de communication de renseignements énonce ce qui suit :
[traduction] Je, Ashley Smith, autorise par la présente SCC à communiquer à Kim Pate, ACSEF, les renseignements suivants : tout dossier, rapport ou autres documents du SCC, de la police, des tribunaux et tout dossier médical tenus par le SCC, en vue de m’aider. La présente autorisation sera en vigueur du 1er septembre 2007 au 30 janvier 2009.
[12] Mme Pate a déclaré dans son contre‑interrogatoire que les dates du 31 janvier 2009 et du 30 janvier 2009 avaient respectivement été ajoutées dans le formulaire de consentement et le formulaire d’autorisation parce qu’il s’agissait des dernières journées de la peine de Mme Smith.
[13] Mme Smith s’est suicidée le 19 octobre 2007, soit 123 jours après que la première demande de communication de dossier a été reçue et 62 jours après la fin de la prorogation de délai de 30 jours.
[14] Le 23 mai 2008, l’avocat de la demanderesse a communiqué avec le SCC par courriel afin de vérifier l’état d’avancement de la demande de communication de dossier. Le 26 mai 2008, le SCC a envoyé le courriel suivant en réponse :
[traduction] Malheureusement, en raison de l’incident qui a causé la mort de cette détenue le 19 octobre 2007, tous les dossiers liés à cette détenue sont visés par les exceptions prévues aux articles 22 et 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Mme Anne Rooke, agente à la coordination de l’accès à l’information et de la protection des renseignements du SCC, aurait donné des directives à l’auteur de ce courriel.
[15] Le même jour, soit le 26 mai 2008, le SCC a envoyé une courte lettre faisant état des motifs de son refus de communiquer les dossiers demandés :
[traduction] La présente vise à répondre à votre demande d’accès à des renseignements personnels se trouvant dans des dossiers tenus par le Service correctionnel du Canada concernant feu Mme Ashley Smith.
Veuillez noter que l’ensemble des renseignements fait désormais l’objet des exceptions prévues aux articles 22 et 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Vous avez le droit de déposer une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada au sujet de cette demande. Si vous souhaitez exercer ce droit, veuillez envoyer votre plainte à l’adresse suivante : Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Place de Ville, tour B, 112, rue Kent, Ottawa (Ontario), K1A 1H3.
Rapport de la commissaire à la protection de la vie privée du Canada
[16] La demanderesse a déposé une plainte contre Mme Rooke et le SCC auprès de la commissaire à la protection de la vie privée (la commissaire) le 26 juin 2008.
[17] Le 15 mai 2009, la commissaire a conclu que la plainte était fondée. Il a conclu que le décès de la personne n’avait pas annulé son consentement donné en vertu de la Loi et que le SCC n’avait pas invoqué à bon droit les exceptions prévues à la Loi. Une partie des motifs de la commissaire sont cités ci‑dessous par souci de commodité :
[traduction]
5. Afin de déterminer si l’article 26 avait été invoqué à juste titre, il a fallu que le Commissariat examine la validité du consentement suivant le décès de la personne qui avait donné son consentement. Après un examen minutieux, la commissaire a conclu que le décès de la personne n’annulait pas son consentement donné à la directrice générale de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Par conséquent, en ce qui concerne le SCC, le décès de la personne n’était pertinent que dans la mesure où il aurait peut-être modifié les exceptions que le SCC était en droit d’invoquer. La commissaire est donc d’avis que le SCC ne pouvait pas se fonder sur l’article 26 pour refuser l’accès à l’ensemble des renseignements personnels demandés.
[…]
7. Dans la présente affaire, le SCC a informé le demandeur que l’ensemble des renseignements demandés faisait l’objet d’une exception sur le fondement de l’article 22 de la Loi sans qu’il mentionne le paragraphe précis sur lequel il se fondait pour affirmer que les renseignements personnels étaient visés par une exception. Pendant la présente enquête, la commissaire a examiné les mesures prises par l’institution et ses représentants et a conclu que le SCC n’a pas établi de façon satisfaisante qu’il avait invoqué à juste titre les dispositions de l’article 22 et que l’ensemble des renseignements personnels tombait donc sous le coup d’une exception. [Non souligné dans l’original.]
[18] La commissaire a décidé de ne pas demander à la Cour fédérale d’ordonner la communication des dossiers de Mme Smith. Cependant, la demanderesse a présenté une demande afin que la Cour ordonne la communication du dossier de Mme Smith en application de la Loi.
La preuve présentée à la Cour
[19] Les éléments de preuve dont a été saisie la Cour sont un affidavit de Mme Pate présenté au nom de la demanderesse et les affidavits public et confidentiel de M. Nick Fabiano présentés au nom du défendeur. Les deux déclarants ont été contre‑interrogés au sujet de leurs affidavits et de leurs pièces. M. Fabiano n’a pas été contre‑interrogé au sujet de son affidavit confidentiel auquel le dossier non communiqué de Mme Smith est joint en tant que pièce.
L’affidavit et le contre‑interrogatoire de Mme Pate
[20] L’affidavit daté du 16 juillet 2009 de Mme Kim Pate, directrice générale de l’Association et professeure à temps partiel à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, renfermait entre autres les déclarations suivantes :
a. le rôle de la demanderesse est d’aider, par des actions concrètes et par la défense de leurs intérêts, les femmes incarcérées au Canada;
b. les allégations de mauvais traitements subis par Mme Smith aux mains des employés du SCC et les observations personnelles de Mme Pate suivant les visites rendues à Mme Smith;
c. le 31 mai et le 24 septembre 2007, Mme Smith a consenti à la communication de son dossier tenu par le SCC à la demanderesse et à Mme Pate 2007, et elle a présenté une demande à cet effet;
d. le 14 juin 2007, une demande a été envoyée au SCC afin que des renseignements particuliers soient communiqués;
e. la demanderesse a depuis présenté à la Cour fédérale une demande d’ordonnance de communication du dossier de Mme Smith en vue de comprendre [traduction] « exactement ce qui est arrivé à Ashley; de nous permettre de mieux aider les autres femmes incarcérées qui font l’objet de traitements semblables à ceux subis par Ashley et d’essayer de faire en sorte que de tels traitements ne se répètent pas à l’avenir ».
L’affidavit et le contre‑interrogatoire de M. Fabiano
[21] L’affidavit public daté du 28 août 2009 de M. Nick Fabiano, directeur général, Direction des droits, des recours et des résolutions du SCC, renfermait les déclarations suivantes :
a. le 18 juin 2007, le SCC a reçu une demande à laquelle était joint le formulaire Consentement pour la divulgation de renseignements personnels qui visait la communication de documents particuliers au sujet de Mme Smith;
b. le 18 juillet 2007, la Division de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (aussi connu sous le nom de « Division de l’AIPRP ») a envoyé un avis de prorogation de délai;
c. Mme Smith est décédée le 19 octobre 2007 avant que la Division de l’AIPRP ne termine l’examen des documents en cause;
d. M. Fabiano a été informé par Mme Anne Rooke, directrice, Accès à l’information et protection des renseignements personnels, que le décès de Mme Smith faisait en sorte que son consentement à la communication de son dossier n’était plus valide et que l’ensemble de son dossier tombait sous le coup des exceptions prévues aux articles 22 et 26 de la Loi :
Le dossier personnel confidentiel de Mme Smith déposé à la Cour
[22] Le défendeur, le SCC, a déposé le dossier personnel confidentiel de Mme Smith à la Cour, lequel est joint à l’affidavit confidentiel daté du 28 août 2009 de M. Nick Fabiano. L’affidavit confidentiel ne fournit aucune explication des faits ayant mené au rejet de la demande de communication de dossier présentée par la demanderesse. Le dossier personnel de Mme Smith est joint à cet affidavit, que je peux décrire de la façon suivante, dans des termes généraux et sans en briser le caractère confidentiel :
a. les nombreuses évaluations de Mme Ashley Smith effectuées par le SCC;
b. les documents liés aux transfèrements;
c. les rapports d’incidents violents survenus alors que Mme Smith était détenue par le SCC et par les autorités provinciales;
d. les actes d’accusations fondées sur le Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46];
e. au moins une transcription d’une audience de détermination de la peine;
f. la cote de sécurité de Mme Smith dans la catégorie dite à sécurité « maximale ».
Le dossier de Mme Smith renferme 291 pages et se termine en juin 2007. Il n’y a aucun document portant sur les quelques mois précédents son suicide, et aucun document n’a été ajouté après son suicide.
Témoignage offert en contre-interrogatoire
[23] Les points suivants sont ressortis du contre‑interrogatoire de M. Fabiano :
a. Mme Anne Rooke, la supérieure de M. Fabiano, a pris la décision de refuser de communiquer le dossier demandé;
b. M. Fabiano n’a jamais examiné le dossier de Mme Smith qui avait été demandé par la demanderesse et ne sait pas ce qu’il renferme;
c. M. Fabiano n’a pas été capable de répondre à la question de savoir qui avait pris la décision de ne respecter ni le délai initial et ni le délai prorogé liés à la communication du dossier de Mme Smith;
d. le SCC a, dans le passé, communiqué des dossiers de détenus décédés au cas par cas;
e. l’enquête criminelle qui était en cours, laquelle avait été invoquée comme motif pour assujettir le dossier à l’exception prévue à l’article 22 de la Loi, était terminée lorsque l’affidavit a été signé;
f. Mme Rooke n’a pas pu se libérer pour signer un affidavit lorsqu’il fallait le faire.
[24] À la fin du contre‑interrogatoire, l’avocat du défendeur a pris l’initiative de fournir à la Cour et à la demanderesse les motifs maintenant invoqués par le défendeur pour refuser la communication des renseignements personnels de Mme Smith. La position actuelle du défendeur est la suivante :
a. il ne se fonde plus sur l’article 26 de la Loi;
b. il se fonde sur l’alinéa 22(1)b) de la Loi comme motif de refus;
c. il se fonde sur l’article 3 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F); ch. 21, art. 34; 2002, ch. 8, art. 183; 2006, ch. 9, art. 181] de la Loi et sur l’article 10 du Règlement sur la protection des renseignements personnels [DORS/83-508] pour plaider que la demanderesse n’a pas la qualité pour agir en l’espèce.
Admission d’office des accusations criminelles
[25] Les parties ont demandé à la Cour d’admettre d’office qu’une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) avait été lancée concernant le décès de Mme Smith et que l’enquête avait mené à des accusations de « négligence criminelle entraînant la mort » portées contre quatre employés du SCC. L’enquête a été menée le ou vers le 26 mai 2008. La Cour a été informée que ces accusations avaient été ultérieurement écartées, lors de l’étape de l’enquête préliminaire.
La chronologie des faits et les dates importantes
[26] La chronologie des faits et les dates importantes en l’espèce sont les suivantes :
a. le 18 juin 2007, Mme Smith consent à la communication de ses renseignements personnels et en fait la demande;
b. le 18 juillet 2007, le défendeur proroge le délai de 30 jours lié à la communication de ces renseignements personnels;
c. le 17 août 2007, il s’agit de la date limite de la prorogation du délai et le défendeur avait jusqu’à cette date pour communiquer les renseignements personnels. À compter de ce jour-là, le défendeur était réputé, selon la Loi, avoir refusé la demande de communication de renseignements personnels et le consentement;
d. le 24 septembre 2007, Mme Smith et la demanderesse ont envoyé une seconde demande de communication des renseignements personnels de Mme Smith puisqu’il n’y avait eu aucune réponse à la première demande;
e. le 19 octobre 2007, Mme Smith se suicide;
f. le 26 mai 2008, le défendeur rend sa décision et rejette la demande de communication;
g. le 29 mars 2010, il s’agit de la date d’audience devant la Cour.
LES DISPOSITIONS LÉGALES ET RÉGLEMENTAIRES
[27] L’article 2 énonce l’objet de la Loi :
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent. |
Objet |
[28] L’article 3 de la Loi définit « renseignements personnels » comme suit :
3. […] « renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment : […] toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant : […] m) un individu décédé depuis plus de vingt ans. |
Définitions |
[29] L’article 8 de la Loi prévoit les circonstances dans lesquelles on doit communiquer les renseignements personnels :
8. (1) Les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément au présent article. |
Communication des renseignements personnels |
(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants : […] j) communication à toute personne ou à tout organisme, pour des travaux de recherche ou de statistique, pourvu que soient réalisées les deux conditions suivantes : (i) le responsable de l’institution est convaincu que les fins auxquelles les renseignements sont communiqués ne peuvent être normalement atteintes que si les renseignements sont donnés sous une forme qui permette d’identifier l’individu qu’ils concernent, (ii) la personne ou l’organisme s’engagent par écrit auprès du responsable de l’institution à s’abstenir de toute communication ultérieure des renseignements tant que leur forme risque vraisemblablement de permettre l’identification de l’individu qu’ils concernent; […] m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution : (i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée, (ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain. |
Cas d’autorisation |
[30] L’article 12 [mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 269] de la Loi donne aux personnes un droit d’accès à leurs renseignements personnels :
12. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande : a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels; b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d’une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l’institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux. |
Droit d’accès |
[31] L’article 14 de la Loi dispose que le responsable d’une institution fédérale doit aviser par écrit qu’il a reçu une demande d’accès à des renseignements personnels dans les 30 jours suivant la réception de la demande et mentionner si l’accès sera accordé :
14. Le responsable de l’institution fédérale à qui est faite une demande de communication de renseignements personnels en vertu du paragraphe 12(1) est tenu, dans les trente jours suivant sa réception, sous réserve de l’article 15 : a) d’aviser par écrit la personne qui a fait la demande de ce qu’il sera donné ou non communication totale ou partielle des renseignements personnels; b) le cas échéant, de procéder à la communication. |
Notification |
[32] L’article 15 [mod. par L.C. 1992, ch. 21, art. 35] de la Loi permet au responsable d’une institution fédérale de proroger, d’au plus 30 jours, le délai dans lequel il doit répondre à la demande d’accès :
15. Le responsable d’une institution fédérale peut proroger le délai mentionné à l’article 14 : a) d’une période maximale de trente jours dans les cas où : (i) l’observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution, (ii) les consultations nécessaires pour donner suite à la demande rendraient pratiquement impossible l’observation du délai; b) d’une période qui peut se justifier dans les cas de traduction ou dans les cas de transfert sur support de substitution. Dans l’un ou l’autre de ces cas, le responsable de l’institution fédérale envoie à la personne qui a fait la demande, dans les trente jours suivant sa réception, un avis de prorogation de délai en lui faisant part du nouveau délai ainsi que de son droit de déposer une plainte à ce propos auprès du Commissaire à la protection de la vie privée. |
Prorogation du délai |
[33] Le paragraphe 16(3) de la Loi dispose que l’institution fédérale est réputée avoir refusé la demande de communication après l’expiration du délai prévu dans la Loi :
16. […]
(3) Le défaut de communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) dans les délais prévus par la présente loi vaut décision de refus de communication. |
Présomption de refus |
[34] L’alinéa 22(1)b) de la Loi permet à l’institution fédérale de refuser de communiquer des renseignements personnels si cette communication risquait de nuire au déroulement d’une enquête licite :
22. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) : […] b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites, notamment : (i) des renseignements relatifs à l’existence ou à la nature d’une enquête déterminée, (ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle, (iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d’une enquête; |
Enquêtes |
[35] Le paragraphe 22(3) de la Loi définit le terme « enquête » :
22. […]
(3) Pour l’application de l’alinéa (1)b), « enquête » s’entend de celle qui : a) se rapporte à l’application d’une loi fédérale; b) est autorisée sous le régime d’une loi fédérale; c) fait partie d’une catégorie d’enquêtes précisée dans les règlements. |
Définition de |
[36] L’article 29 de la Loi donne le droit aux personnes, ou à leur représentant, de déposer une plainte auprès du commissaire si leur demande de communication a été rejetée :
29. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à la protection de la vie privée reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes : […] d) déposées par des individus qui ont demandé des renseignements personnels dont les délais de communication ont été prorogés en vertu de l’article 15 et qui considèrent la prorogation comme abusive; […] |
Réception des plaintes et enquêtes |
(2) Le Commissaire à la protection de la vie privée peut recevoir les plaintes visées au paragraphe (1) par l’intermédiaire d’un représentant du plaignant. Dans les autres articles de la présente loi, les dispositions qui concernent le plaignant concernent également son représentant. |
Entremise des représentants |
[37] L’article 41 de la Loi donne aux personnes, ou à leur représentant, qui se sont vu refuser l’accès à leur dossier personnel le droit de présenter une demande de révision de l’affaire à la Cour fédérale après que le commissaire a mené une enquête et rédigé un rapport :
41. L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation. |
Révision par la Cour fédérale dans les cas de refus de communication |
[38] L’article 47 de la Loi dispose qu’il incombe à l’institution fédérale de justifier son refus de donner accès aux renseignements personnels du demandeur:
47. Dans les procédures découlant des recours prévus aux articles 41, 42 ou 43, la charge d’établir le bien-fondé du refus de communication de renseignements personnels ou le bienfondé du versement de certains dossiers dans un fichier inconsultable classé comme tel en vertu de l’article 18 incombe à l’institution fédérale concernée. |
Charge de la preuve |
[39] Les articles 48 et 49 établissent les pouvoirs de réparation accordés à la Cour fédérale par la Loi :
48. La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de l’individu qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication de renseignements personnels fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l’article 49, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relèvent les renseignements d’en donner communication à l’individu; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué. |
Ordonnance de la Cour dans les cas où le refus n’est pas autorisé |
49. Dans les cas où le refus de communication des renseignements personnels s’appuyait sur les articles 20 ou 21 ou sur les alinéas 22(1)b) ou c) ou 24a), la Cour, si elle conclut que le refus n’était pas fondé sur des motifs raisonnables, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relèvent les renseignements d’en donner communication à l’individu qui avait fait la demande; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué. |
Ordonnance de la Cour dans les cas où le préjudice n’est pas démontré |
[40] L’article 52 de la Loi accorde à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens suivant l’issue de l’affaire ou bien d’en adjuger au demandeur débouté si un principe important a été soulevé :
52. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal. |
Frais et dépens |
(2) Dans les cas où elle estime que l’objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours. |
Idem |
[41] L’article 10 du Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83‑508 (le Règlement), prévoit qui peut exercer les droits d’accès prévus à la Loi :
10. Les droits ou recours prévus par la Loi et le présent règlement peuvent être exercés,
[…]
b) au nom d’une personne décédée, par une personne autorisée en vertu d’une loi fédérale ou provinciale à gérer la succession de cette personne, mais aux seules fins de gérer la succession; et
c) au nom de tout autre individu, par une personne ayant reçu à cette fin une autorisation écrite de cet individu.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[42] La demanderesse soulève les questions en litige suivantes :
a. Le décès de Mme Ashley Smith annule-t-il son consentement et son autorisation à ce que la demanderesse ait accès à son dossier?
b. Le défendeur pouvait‑il invoquer l’enquête criminelle menée par la GRC, pour refuser la communication du dossier personnel de Mme Smith au motif que ce dossier était assujetti à l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi?
LA NORME DE CONTRÔLE
[43] Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 62 que la première étape de l’analyse relative à la norme de contrôle consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, le juge Binnie, paragraphe 53.
[44] Les demandes de révision d’une décision refusant communication de renseignements personnels sont présentées en vertu de l’article 41 de la Loi. Bien que l’obtention d’un avis de la commissaire à la protection de la vie privée constitue un préalable à l’exercice du recours prévu à l’article 41, la décision du commissaire n’est pas l’objet de la révision : voir ma décision dans Cemerlic c. Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 133, paragraphe 7. Bien que le rapport de la commissaire ne soit pas de nature contraignante, la Cour a estimé que ces conclusions sont importantes dans le cadre d’un recours intenté en vertu de l’article 41 de la Loi : Richards c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CF 1450, le juge Lemieux, paragraphe 9; Gordon c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 258, le juge Gibson, paragraphe 20; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’Information), 2004 CF 431, [2004] 4 R.C.F. 181, la juge Dawson, paragraphe 84.
[45] Au paragraphe 17 de la décision Savard c. Société canadienne des postes, 2008 CF 671, le juge Blanchard a énoncé la norme de contrôle applicable lors d’une demande présentée en vertu de l’article 41 de la Loi :
Dans la présente affaire, la Cour est invitée à réexaminer une décision rendue par la défenderesse sur une question de divulgation de renseignements personnels en vertu de la LPRP. Il s’agit d’une analyse à deux étapes (Kelly c. Canada (Solliciteur général), [1992] A.C.F. no 302 (Lexis) au paragraphe 5). La première consiste à voir si la Demande de dépôt constitue effectivement un « renseignement personnel au demandeur» aux termes des paragraphes 3g) et h) de la LPRP. Le but est de déterminer si les renseignements en question tombent sous le coup d’une exception légale (Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1253, [2006] A.C.F. no 1635 (Lexis), au paragraphe 26). La norme applicable à cette étape est celle de la décision correcte (Elomari c. Agence spatiale canadienne, 2006 CF 863 au paragraphe 19; et Thurlow, précité au paragraphe 28). Si la réponse à cette première question est dans l’affirmative, on passe alors à la deuxième étape. Cette dernière consiste à déterminer si le pouvoir discrétionnaire exercé par la défenderesse quant au refus de communiquer la Demande de dépôt était raisonnable. Sur cette question, il a lieu de noter que la LPRP ne contient aucune clause privative, que le décideur ne possède pas une expertise particulière en la matière et que la nature de la question est essentiellement discrétionnaire. Compte tenu de ces facteurs, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable à cette étape est celle de la décision raisonnable.
(Voir également Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2009 CF 1221, le juge de Montigny, paragraphe 27.)
[46] Les parties et la Cour conviennent que le dossier de Mme Smith constitue des « renseignements personnels » et qu’il est donc visé par la Loi. La première question en litige en l’espèce est de savoir si le décès de Mme Smith annule son consentement à la communication de ses renseignements personnels. Autrement dit, il s’agit de savoir si la décision du défendeur, selon laquelle l’ensemble du dossier de Mme Smith était assujetti à une exception parce que son consentement avait été annulé, était justifiée en droit. La norme applicable à cette première question est la décision correcte. La norme de contrôle applicable à la seconde question en litige, soit la question de savoir si le dossier de Mme Smith (à supposer que son consentement n’était pas annulé) était assujetti à l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi, est également la décision correcte.
LE FARDEAU DE LA PREUVE
[47] Selon l’article 48 de la Loi, il incombe à l’institution fédérale défenderesse de justifier l’application d’une exception prévue à la Loi. Par conséquent, le défendeur doit convaincre la Cour, selon la prépondérance de la preuve, que la décision du SCC de refuser la communication du dossier personnel de Mme Smith était correcte : voir ma décision dans Canada (Commissaire à l’Information) c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2006 CF 132, [2006] 4 R.C.F. 241, paragraphe 25.
ANALYSE
L’importance de la vie privée dans une société libre et démocratique
[48] La vie privée constitue un droit fondamental dans une société libre et démocratique. La Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] protège la vie privée des personnes contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives des autorités gouvernementales. Le gouvernement ne peut pas violer la vie privée d’une personne à moins qu’il y ait des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis une infraction et qu’il est nécessaire que le gouvernement s’immisce dans sa vie privée. Les personnes sont protégées par ce droit à la vie privée, et la Loi leur accorde deux autres droits quasi constitutionnels protégeant leur vie privée :
a. elle protège contre la communication à des tiers de renseignements personnels détenus par les institutions fédérales, ce qui protège la vie privée des personnes;
b. elle accorde aux personnes un droit d’accès aux renseignements personnels qui les concernent et sont détenus par toute institution fédérale. Chaque personne peut ainsi connaître les renseignements dont le gouvernement dispose à son sujet. C’est dans ce contexte que Mme Ashley Smith a autorisé le SCC à communiquer à l’Association des renseignements personnels particuliers à son sujet et qu’elle y a consenti.
[49] L’objet de la Loi a été énoncé par le juge Gonthier de la Cour suprême du Canada aux paragraphes 24 et 25 de l’arrêt Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773 :
La Loi sur la protection des renseignements personnels est également une loi fondamentale du système juridique canadien. Elle a deux objectifs importants. Elle vise, premièrement, à protéger les renseignements personnels relevant des institutions fédérales et, deuxièmement, à assurer le droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent (art. 2).
[…]
La Loi sur la protection des renseignements personnels rappelle à quel point la protection de la vie privée est nécessaire au maintien d’une société libre et démocratique.
[50] Toute exception au droit d’accès doit être interprétée de façon restrictive au regard de l’objet de la Loi : Davidson c. Canada (Solliciteur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.), le juge MacGuigan, paragraphe 17.
[51] La vie privée est un droit fondamental dans notre démocratie et les exceptions à ce droit doivent être interprétées de façon stricte à l’encontre des institutions fédérales. Il y a inversion du fardeau de la preuve obligeant l’institution fédérale à établir que les renseignements personnels demandés par le demandeur ne peuvent pas faire l’objet d’une communication selon la Loi.
La question no 1 : Le décès de Mme Ashley Smith annule-t-il son consentement et son autorisation à ce que la demanderesse ait accès à son dossier?
[52] Le défendeur allègue :
a. que la demanderesse n’a plus la qualité pour agir et ne peut donc pas présenter une demande de communication en vertu de l’article 12 de la Loi au nom de Mme Smith parce que son décès a annulé son consentement;
b. qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les renseignements personnels d’une personne décédée sont protégés pendant au moins 20 ans et peuvent seulement être communiqués aux fins de gestion de sa succession;
c. que la demanderesse avait un mandat valide au nom de Mme Smith, mais que le décès de Mme Smith a mis fin à ce mandat.
Le défendeur n’a déposé aucune preuve expliquant son raisonnement à l’époque où il a pris sa décision de refuser l’accès au dossier de Mme Smith à la demanderesse au motif que Mme Smith était décédée. Ses observations sur cette question ont été présentées de novo auprès de la Cour.
[53] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas la qualité pour introduire la présente demande à la Cour parce que Mme Smith, la demanderesse principale, est décédée le 19 octobre 2007 et que le consentement à la communication ainsi que l’autorisation donnée à la demanderesse d’agir en son nom ont été automatiquement annulés. Il avance également que tout mandat liant Mme Smith et la demanderesse a pris fin lors du décès de Mme Smith.
[54] La Cour conclut que le droit en matière de mandat ou de qualité pour agir ne s’applique pas aux faits de l’espèce. La Loi, qui est semblable à la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, constitue un code complet de procédure : St-Onge c. Canada, [1995] A.C.F. no 961 (C.A.) (QL), le juge Décary, paragraphe 3; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, [2003] 2 R.C.S. 66, le juge Gonthier, paragraphe 22. La présente demande a été présentée à juste titre à la Cour par la demanderesse en vertu de l’article 41 de la Loi.
[55] L’article 41 permet à « l’individu » qui s’est vu refuser communication en application de la Loi de présenter une demande à la Cour après avoir reçu le rapport du commissaire. Le paragraphe 29(2) vise implicitement l’article 41 et il permet à toute personne autorisée à agir au nom d’une personne dont le dossier a été demandé de présenter une plainte au commissaire. Ce paragraphe est assez large pour englober la demanderesse étant donné que cette dernière était encore visée par l’autorisation d’agir au nom de Mme Smith lorsque la demande initiale a été présentée le 18 juin 2007; lorsque le défendeur a été réputé avoir rejeté la demande de communication le 17 août 2007; lorsque le SCC a clairement fait connaître son refus le 26 mai 2008 et lorsque la demanderesse a déposé sa plainte auprès de la commissaire le 22 août 2008.
Quand la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire a-t-elle été rendue?
[56] Il y a trois dates possibles. Premièrement, le responsable du SCC, le défendeur, a été réputé, en application du paragraphe 16(3) de la Loi, avoir refusé à la demanderesse communication du dossier personnel de Mme Smith le 17 août 2007, alors que Mme Smith en avait fait la demande et y avait consenti. Bien entendu, cette date précède la date du suicide de Mme Smith, le défendeur ne peut donc pas plaider que son décès a annulé son consentement à ce moment‑là.
[57] Deuxièmement, le 26 mai 2008, le SCC a expressément refusé pour la première fois de communiquer les documents de Mme Smith à la demanderesse au motif que ces documents étaient assujettis à l’exception prévue à l’article 22 de la Loi, et ce, sans aucune autre précision. (L’autre motif mentionné dans la lettre portait sur l’article 26 de la Loi, ce qui n’est plus invoqué par le défendeur.) Le défendeur, dans la lettre datée de 26 mai 2008, ne mentionnait donc pas que le décès de Mme Smith annulait son consentement.
[58] Troisièmement, l’autre date possible est celle où s’est tenue l’audience devant la Cour, soit le 29 mars 2010. Ce jour-là, la Cour a examiné de novo, en tenant compte des faits dont elle était saisie à ce moment‑là, le caractère correct de la décision de refuser communication à la demanderesse.
Le décès n’annule pas le consentement
[59] Peu importe le choix de la date de la décision contrôlée par la Cour, la Cour conclut que la demanderesse avait la qualité pour introduire la présente demande. Le 17 août 2007, Mme Smith n’était pas encore décédée, et la demanderesse avait clairement la qualité pour agir. En ce qui concerne le 26 mai 2008, la Cour est convaincue que le consentement n’était pas censé devenir caduc ou être annulé en raison du décès de Mme Smith. L’objet du consentement était valide lorsque Mme Smith l’a donné le 18 juin 2007, et il a continué de l’être après son décès : il s’agissait de vérifier le traitement réservé à Mme Smith par les autorités pénitentiaires. Bien que Mme Smith ne puisse pas en bénéficier, cette vérification pourrait aider la demanderesse à trouver les mesures qu’il faudra prendre à l’avenir à l’égard d’autres détenues telles que Mme Smith.
[60] Le défendeur a fait savoir à la Cour que c’est la première fois que la Cour est saisie d’une telle question. Je conclus que, suivant la Loi, le droit d’une personne de donner accès à ses renseignements personnels ne devient pas caduc par son décès.
[61] Font autorité sur le présent sujet le rapport de la commissaire en l’espèce et une décision administrative du Bureau du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario rendue sur le fondement de la Loi sur l’accès à l’information municipale et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. M.56 (la LAIMPVP), soit l’ordonnance M-1048 [Hamilton-Wentworth Regional Police Services Board], 1997 CanLII 11783 (ci‑après la décision M-1048). Dans les deux affaires, les commissaires ont conclu que, selon la loi, le décès d’une personne ne rendait pas caduc son consentement à la communication. Dans la décision M-1048, la commissaire de l’Ontario a conclu que l’alinéa 54a) de la LAIMPVP, qui est presque identique à l’alinéa 10b) du Règlement, ne constituait pas une exception, mais plutôt un droit d’accès en soi accordé à l’administrateur de la succession du défunt : la décision M-1048, précitée, paragraphes 9 à 11.
[62] Le défendeur fonde son argumentation sur les mêmes moyens que le défendeur [le Hamilton-Wentworth Regional Police Services Board] dans la décision M‑1048. Le défendeur en l’espèce invoque l’équivalent fédéral, soit l’alinéa 10b) du Règlement pour assujettir le dossier de Mme Smith à une exception, sauf « aux seules fins » de gérer la succession.
[63] À mon avis, les motifs de la commissaire de l’Ontario dans la décision M-1048 s’appliquent également en l’espèce. L’alinéa 10b) du Règlement ne constitue pas une interdiction à la communication de tout renseignement personnel d’une personne décédée, il permet plutôt cette communication « aux seules fins de gérer la succession ». Cet alinéa est simplement un moyen pour l’administrateur de la succession d’avoir accès aux renseignements personnels du défunt sans qu’il soit nécessaire d’établir le consentement du défunt. L’article 10 prévoit trois façons pour qu’une personne puisse avoir accès aux renseignements personnels d’une autre personne :
10. Les droits ou recours prévus par la Loi et le présent règlement peuvent être exercés,
a) au nom d’un mineur ou d’un incapable, par une personne autorisée en vertu d’une loi fédérale ou provinciale à gérer les affaires ou les biens de celui-ci;
b) au nom d’une personne décédée, par une personne autorisée en vertu d’une loi fédérale ou provinciale à gérer la succession de cette personne, mais aux seules fins de gérer la succession; et
c) au nom de tout autre individu, par une personne ayant reçu à cette fin une autorisation écrite de cet individu.
Les alinéas 10a) et b) sont très différents de l’alinéa c). Les deux premiers alinéas accordent un droit d’accès aux renseignements d’une autre personne — sans que le consentement de cette autre personne soit nécessaire — pour une raison particulière. L’alinéa 10c) accorde un droit d’accès à quiconque y est autorisé par écrit, et ce, pour quelque raison que ce soit. L’alinéa 10c) est, à mon avis, assez large pour englober l’autorisation donnée par une personne décédée. Tant et aussi longtemps que le consentement a été donné par écrit, le demandeur peut se fonder sur l’alinéa 10c), et ce, peu importe que la personne ayant donné son consentement soit vivante ou décédée.
[64] Le consentement de Mme Smith est valide malgré le passage du temps. Le défendeur est réputé avoir refusé, le 17 août 2007, la demande d’accès à laquelle Mme Smith avait validement consenti. Le refus d’accorder l’accès est un refus qui se poursuit dans le temps; le fait de porter plainte au commissaire et le rapport de ce dernier n’y mettent pas fin : Moar c. Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), [1992] 1 C.F. 501 (1re inst.), la juge Reed.
[65] Comme je l’ai expliqué ci‑dessus, le paragraphe 16(3) de la Loi dispose que le défendeur est réputé avoir rejeté la demande de communication lorsque le délai prévu dans la Loi expire. En l’espèce, l’expiration du délai a eu lieu le 17 août 2007, et, aux fins du présent contrôle judiciaire, la Cour est convaincue qu’il s’agit, suivant la loi, de la date pertinente dont la Cour doit tenir compte dans le cadre du contrôle de la décision du défendeur de refuser communication à la demanderesse. Mme Smith était encore vivante le 17 août 2007, on ne peut donc pas plaider que son décès a annulé son consentement.
La violation des articles 14 et 15 de la Loi par le défendeur
[66] L’omission du défendeur de communiquer les renseignements personnels à la demanderesse dans les 30 jours suivant le début de la prorogation constitue une violation des articles 14 et 15 de la Loi. L’article 14 de la Loi dispose que le demandeur doit avoir accès à ses renseignements personnels dans les 30 jours suivant la réception de la demande. L’article 15 de la Loi prévoit que l’institution fédérale peut proroger ce délai d’un maximum de 30 jours si l’observation du délai initial entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l’institution. Il est ironique et illogique que le défendeur ait retardé la communication des renseignements personnels de Mme Smith puisqu’il ait plaidé que le décès de Mme Smith avait annulé son consentement à la communication 62 jours après que le défendeur eut été tenu par la loi de communiquer ces renseignements personnels à la demanderesse.
[67] Le défendeur soutient que de tels retards dans la communication de renseignements personnels [traduction] « sont fréquents ». La Cour comprend que le nombre de demandes de communication peut outrepasser les ressources limitées accordées par le gouvernement au défendeur pour répondre à ces demandes. Par ailleurs, le fait que le retard soit normal n’excuse pas le fait que le défendeur a violé la loi en ne répondant pas à la demande dans le délai prévu à la Loi.
La question no 2 : Le défendeur pouvait‑il invoquer l’enquête criminelle menée par la GRC, pour refuser la communication du dossier personnel de Mme Smith au motif que ce dossier était assujetti à l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi?
[68] Le défendeur soutient que le fait qu’il y a eu, à un moment donné, une enquête criminelle en cours suffit pour que l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi s’applique et que l’ensemble du dossier de Mme Smith y soit assujetti. Cette assertion n’a aucun fondement en droit.
[69] Bien entendu, aucune enquête n’était en cours le 17 août 2007, soit la date à laquelle le défendeur est réputé avoir refusé, à la demanderesse, communication des renseignements personnels de Mme Smith, en violation des articles 14 et 15 de la Loi.
[70] À titre subsidiaire, si la décision du défendeur est la lettre datée du 26 mai 2008 envoyée à la demanderesse, il est clair que cette courte lettre ne fournit aucune explication, qu’elle ne justifie pas l’application de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi, qu’elle ne révèle pas comment la communication des renseignements personnels aurait vraisemblablement pu nuire à l’enquête criminelle et qu’elle ne fournit aucun raisonnement quant à l’exception. Cette lettre ne présente aucun fondement valable justifiant l’application de l’exception, parce qu’elle ne fournit aucun motif concret respectant les conditions prévues à l’alinéa 22(1)b), qu’elle ne mentionne pas comment il serait vraisemblable que la communication cause un préjudice à l’enquête, qu’elle n’invoque aucun fait précis pour établir le risque vraisemblable de préjudice et qu’elle ne révèle pas quelles seraient les conséquences néfastes qui résulteraient de la communication des renseignements personnels. En outre, on a mis fin à l’enquête avant l’introduction de la présente demande et avant le dépôt de l’affidavit du témoin du défendeur : l’enquête ne pouvait donc plus être invoquée comme motif par le défendeur pour assujettir le dossier à l’exception. Dans son affidavit, le déclarant n’avait pas mentionné qu’on avait mis fin à l’enquête et il a ainsi laissé entendre que cette exception s’appliquait encore.
[71] La Cour suprême du Canada a déjà établi comment il faut appliquer l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi, aux paragraphes 60 et 61 de l’arrêt Lavigne, précité :
Comme je l’ai mentionné, l’al. 22(1)b) n’est pas une clause d’exclusion absolue. La décision du Commissaire aux langues officielles de refuser la divulgation en application de l’al. 22(1)b) doit être appuyée sur des motifs concrets à l’intérieur des conditions imposées par cet alinéa. En effet, le législateur a prévu qu’il doit exister une vraisemblance de préjudice pour refuser de communiquer les renseignements en vertu de cette disposition. De plus, l’art. 47 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit qu’il appartient à l’institution fédérale de faire la preuve du bien-fondé de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Si l’institution fédérale n’arrive pas à démontrer que son refus est basé sur des motifs raisonnables, la Cour fédérale peut alors modifier cette décision et autoriser l’accès aux renseignements personnels (art. 49).
Or, la décision du commissaire doit être basée sur des motifs réels et liée au cas précis à l’étude.
[…]
L’appelant n’invoque aucun autre fait précis pour établir le risque vraisemblable de préjudice. L’absence de preuve circonstanciée rend l’analyse presque théorique. Au lieu de démontrer les conséquences néfastes de la divulgation des notes d’entrevue de Mme Dubé sur les enquêtes futures, M. Langelier a tenté de faire une preuve générale que l’absence de confidentialité des enquêtes risquerait de compromettre leur bonne marche, sans établir des circonstances particulières permettant de conclure raisonnablement à la vraisemblance du préjudice. Il existe des cas où la divulgation des renseignements personnels demandés risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement d’enquêtes et, par conséquent, ceux-ci pourront être gardés secrets. Encore faut-il que la preuve permette raisonnablement de conclure en ce sens.
[72] Dans l’arrêt Lavigne, précité, la Cour suprême a confirmé la jurisprudence de la Cour, qui avait conclu que, pour justifier le refus de communiquer des renseignements sur le fondement de l’alinéa 22(1)b) de la Loi, le responsable de l’institution fédérale doit établir que la communication de ces renseignements risque vraisemblablement de nuire au déroulement d’enquêtes licites : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [1997] A.C.F. no 1812 (1re inst.) (QL), le juge Richard (plus tard juge en chef de la Cour d’appel fédérale), paragraphe 37. Comme le juge John Richard l’avait conclu, il doit exister des preuves tangibles que la communication des renseignements personnels causerait un préjudice. En l’espèce, il n’y a aucune preuve à cet égard.
[73] Aux paragraphes 2 et 3 de la décision Kaiser c. Canada (Ministre du Revenu national — M.R.N.), [1995] A.C.F. no 926 (1re inst.) (QL), le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada) a énoncé quelle est la charge de présentation de la preuve qui incombe au défendeur qui veut justifier l’application de l’exception prévue à l’alinéa 22(1)b) de la Loi :
Il [l’intimé] doit expliquer à la Cour les raisons pour lesquelles la divulgation de l’information visée risquerait vraisemblablement d’entraîner le préjudice supposé. Il ne s’agit pas d’un cas où le préjudice pouvant résulter d’une divulgation va de soi. L’intimé m’a demandé de présumer qu’un préjudice résultera de la divulgation si telle divulgation a lieu. Pour qu’une telle présomption soit possible, les explications fournies par l’intimé doivent montrer sans équivoque l’existence d’un lien entre la divulgation et le préjudice supposé, au point de justifier le maintien du caractère confidentiel des renseignements.
Dans le cas présent, le signataire des affidavits pour le ministre du Revenu national fait des déclarations justificatives en ce qui concerne les paragraphes et pages dont l’intimé voudrait préserver le caractère confidentiel. Cependant, il ne suffit pas de dire que « la divulgation de cette information porterait atteinte à l’intégrité de l’enquête ou risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter la Loi de l’impôt sur le revenu ». Ce n’est pas là une explication, mais seulement une conclusion. Il peut en effet exister des raisons qui font que la divulgation porterait atteinte à l’intégrité d’une enquête, mais une explication doit être donnée avant qu’on arrive à cette conclusion. Aucune explication semblable n’a été donnée.
[74] La jurisprudence est claire : la Cour n’inférera pas un préjudice d’une façon purement théorique sur la seule existence d’une enquête, actuellement en cours ou terminée, sans preuve d’un lien entre la communication demandée et la vraisemblance raisonnable de préjudice.
[75] Vu les lacunes dans la preuve du demandeur, la Cour conclut que l’exception fondée sur l’alinéa 22(1)b) ne s’applique pas et ordonne l’entière communication des documents demandés. La Cour estime néanmoins opportun de fournir des balises vu les faits particuliers de l’espèce.
[76] Le 17 août 2007, date à laquelle la demande a été réputée rejetée, il n’y avait aucune enquête en cours. L’alinéa 22(1)b) ne pouvait pas s’appliquer. Les parties ont demandé à la Cour d’admettre d’office que l’enquête effectuée vers le 26 mai 2008 concernant le décès de Mme Smith avait mené à des accusations criminelles portées contre quatre employés du SCC. Le défendeur allègue que la décision du SCC d’assujettir le dossier de Mme Smith à l’exception était donc raisonnable à ce moment-là. La Cour ne peut pas souscrire à cette allégation. L’enquête ne portait pas sur les renseignements se trouvant dans le dossier demandé, et la demande de dossier avait été présentée quelques mois avant le décès de Mme Smith.
[77] Enfin, la Cour effectue le contrôle de la décision de novo. Puisqu’il n’y a clairement aucune enquête ni procédure en matière criminelle en cours actuellement, la communication des documents demandés ne peut donc causer aucun préjudice.
CONCLUSION
[78] La Cour ordonnera donc la communication du dossier personnel de Mme Smith comme l’a demandée la demanderesse. Le dossier personnel de Mme Smith, qui se trouve dans l’affidavit confidentiel de M. Fabiano, doit être communiqué sans délai à la demanderesse.
LES DÉPENS
[79] Le défendeur avance qu’il s’agissait d’une affaire complexe portant sur des principes de droit importants et nouveaux quant à la Loi et que le Parlement a prévu, à l’article 52 de la Loi, que les dépens et les frais doivent dans ce cas être accordés au demandeur, et ce, même si le demandeur est débouté. Le défendeur appuie l’adjudication des dépens à la demanderesse sur ce fondement, et il convient que la demanderesse devrait avoir droit au remboursement de la totalité de ces frais juridiques.
[80] En l’espèce, la demanderesse a eu gain de cause. Les arguments utilisés par le défendeur pour contester la présente affaire et pour refuser à la demanderesse la communication des dossiers personnels, n’étaient pas fondés. Les actions du défendeur ont entraîné des retards et des frais juridiques à la demanderesse. En outre, le défendeur a fait témoigner un déclarant qui connaissait peu l’affaire et qui n’a pas été capable de répondre aux questions posées en contre-interrogatoire, ce qui a fait augmenter inutilement les frais.
[81] La Cour estime qu’il est juste et équitable que les dépens de la demanderesse soient adjugés sur la base avocat‑client ou selon le grand nombre d’unités de la colonne III du tarif B [des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], y compris les honoraires du second avocat à l’audience à hauteur de 50 p. 100 des honoraires du premier avocat à l’audience établis selon la colonne III. Lors de l’audience, il s’est révélé clairement que la demanderesse recevait en partie des services juridiques bénévoles, et le défendeur ne devrait pas en bénéficier. Par conséquent, la demanderesse aura droit aux dépens établis selon le montant le plus élevé soit des dépens calculés sur la base avocat-client ou soit du plus grand nombre d’unités de la colonne III du tarif B.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens établis selon le montant le plus élevé soit des dépens calculés sur la base avocat-client soit du plus grand nombre d’unités de la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales, comme cela a été expliqué ci-dessus;
2. Le dossier personnel de Mme Ashley Smith se trouvant dans l’affidavit confidentiel de M. Fabiano déposé auprès de la Cour doit être communiqué sans délai à la demanderesse.