Référence : |
Callaghan c. Canada (Directeur général des élections), 2011 CAF 74, [2011] 2 R.C.F. 80 |
A-63-10 |
A-63-10
2011 CAF 74
Le directeur général des élections du Canada (appelant)
c.
L.G. (Gerry) Callaghan, en qualité d’agent officiel de Robert Campbell et David Pallet, en qualité d’agent officiel de Dan Mailer (intimés)
Répertorié : Callaghan c. Canada (Directeur général des élections)
Cour d’appel fédérale, juges Evans, Dawson et Trudel, J.C.A.—Ottawa, 23 et 24 novembre 2010; 28 février 2011.
Il s’agissait d’un appel et d’un appel incident d’une décision par laquelle la Cour fédérale a ordonné au directeur général des élections du Canada (DGEC) de certifier au receveur général du Canada que toutes les dépenses électorales soumises par les intimés à l’égard de l’élection fédérale de 2006 étaient admissibles aux fins de remboursement en vertu du paragraphe 465(1) de la Loi électorale du Canada.
Les intimés représentaient des candidats à l’élection qui avaient contribué à un programme collectif d’« achats publicitaires dans des médias locaux » (APML) et avaient payé pour des publicités nationales diffusées dans leur circonscription. Dans le cadre d’arrangements connus sous le nom de mouvements financiers « réciproques », le Parti conservateur du Canada (le Parti) a versé dans les comptes bancaires des candidats participants un montant égal à celui que chaque candidat s’était engagé à verser au programme d’APML. Les candidats ont alors remis une somme équivalente au Parti pour payer les APML. Ils ont ensuite demandé le remboursement de ces dépenses de publicité comme une dépense électorale. Le DGEC n’était pas convaincu que les dépenses avaient effectivement été engagées par les candidats. La Cour fédérale estimait que le DGEC était habilité à examiner les documents fournis par les intimés pour juger de l’exactitude des renseignements qu’ils contenaient. En outre, la Cour fédérale a statué que les intimés avaient engagé les frais de paiement des annonces publicitaires et elle avait divisé le coût de ces publicités à parts égales entre les candidats de la région de M. Callaghan.
Les intimés soutenaient que le paragraphe 465(1) exige uniquement du DGEC qu’il « examine » les documents des candidats dans leurs comptes de campagne électorale, et non qu’il vérifie leur authenticité ou que les dépenses électorales déclarées se rapportaient à des frais qui avaient réellement été engagés par les candidats. L’intimé Callaghan a interjeté un appel incident contre la décision de la Cour fédérale établissant le montant des frais qui devraient lui être alloués à titre de dépense électorale afférente aux publicités.
Les questions litigieuses étaient celles de savoir 1) si le DGEC est habilité à vérifier les dépenses électorales des candidats et 2) si la documentation soumise au DGEC était suffisante pour qu’il puisse raisonnablement refuser d’affirmer qu’il avait la conviction que les intimés avaient engagé une partie des frais relatifs aux APML.
Arrêt : l’appel et l’appel incident doivent être accueillis.
1) Un examen du contexte législatif plus général n’étaye pas la position des intimés. Le législateur n’a pas voulu restreindre le rôle du DGEC à la fonction administrative. Il n’est pas conforme à l’économie de la Loi d’interpréter celle-ci comme laissant au seul commissaire aux élections fédérales (le commissaire) la responsabilité de scruter les documents et la preuve à l’appui pour déceler s’il y a eu infraction pénale découlant des états de dépenses électorales et pour vérifier que les documents ne sont pas falsifiés. Les alinéas 16a) et d) de la Loi confèrent au DGEC de vastes responsabilités en matière de surveillance des opérations électorales ainsi que les pouvoirs et fonctions nécessaires à l’application de la Loi. Ces dispositions donnent à penser que le rôle du DGEC, aux termes de l’article 465, est plus étendu que l’« examen » mécanique de documents. L’article 464 de la Loi prévoit que le versement initial du remboursement aux candidats est effectué sur réception d’un certificat du DGEC et la présentation de simples renseignements. Les paragraphes 451(2.1) et (2.2) de la Loi, qui, respectivement, prescrit à l’agent officiel de produire les pièces justificatives concernant les dépenses électorales déclarées et autorise le DGEC à ordonner la production de documents supplémentaires, n’auraient que peu d’utilité si le DGEC ne pouvait pas vérifier que les dépenses électorales déclarées étaient dûment étayées par des éléments de preuve documentaire. Le DGEC dispose de pouvoirs légaux résiduels et n’a pas besoin que la Loi lui confère une compétence particulière pour vérifier les comptes de dépenses électorales des candidats. L’obligation imposée par la Loi de déclarer les dépenses électorales au DGEC est donc fondamentale et n’est pas seulement de nature formelle.
2) La preuve documentaire relative aux mouvements financiers réciproques, au programme d’APML et à la répartition des frais relatifs aux APML démontre largement le caractère raisonnable du refus du DGEC d’affirmer qu’il avait la conviction que les frais relatifs aux APML avaient été engagés par les candidats en conformité avec la Loi. Il était raisonnable que le DGEC tienne compte de toute la documentation et détermine le poids à accorder aux différents documents selon le candidat concerné. L’absence de documents contractuels est particulièrement importante puisque personne ne peut engager une dépense pour le compte d’une campagne sans le consentement écrit de l’agent officiel. Les documents dont disposait le DGEC n’indiquaient pas clairement si le Parti avait agi à titre de mandataire des candidats en achetant la publicité ou si les candidats avaient conclu un contrat directement avec l’agent de publicité. Les factures adressées aux candidats par le Parti et l’agent de publicité ne démontrent pas clairement que les candidats avaient engagé les frais relatifs aux APML dans leurs circonscriptions. Bien que l’on puisse déduire du paiement d’une facture que celui-ci a été fait pour s’acquitter d’une obligation juridique lorsque les parties ne sont pas liées, ce n’était pas le cas en l’espèce : les intérêts du Parti et des candidats participant aux mouvements financiers réciproques convergeaient largement. De plus, les factures ne précisaient pas qu’elles avaient trait à de la publicité achetée par les candidats ou pour leur compte.
S’agissant de l’appel incident de l’intimé, le DGEC n’avait rendu aucune décision sur la façon dont la dépense devait être répartie entre les campagnes participantes. La Cour fédérale a donc commis une erreur de droit en calculant elle-même la valeur commerciale d’une dépense de publicité.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, art. 2(1) « contribution non monétaire », « valeur commerciale », 13(1), 15(4), 16, 51, 83(1), 366(3) (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 3), 368c) (mod., idem, art. 4), 401, 404.2(2) (édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 24; 2006, ch. 9, art. 44), (2.1) (édicté, idem), (2.2) (édicté, idem), (3) (édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 24), 406, 407 (mod., idem, art. 26), 415, 422 (mod., idem, art. 32), 435 (mod., idem, art. 39), 436, 437 (mod., idem, art. 41), 438(5), 440, 441 (mod. par L.C. 2001, ch. 21, art. 22), 446, 451 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 44; 2006, ch. 9, art. 52), 452 (mod., idem, art. 53), 453 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 46), 454, 455 (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 19), 456 à 460, 461 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 47), 462, 464 (mod., idem, art. 48), 465 (mod., idem, art. 49), 471 (mod., idem, art. 54), 472, 497(1)l),s),(3)g),p), 501(1)a.1) (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 22), 502(1)c), 507 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 61), 510, 511(1) (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 130), (2) (mod., idem).
JURISPRUDENCE CITÉE
décision différenciée :
Stevens c. Parti conservateur du Canada, 2005 CAF 383, [2006] 2 R.C.F. 315.
décisions examinées :
Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827; Rafuse c. Canada (Commission d’appel des pensions), 2002 CAF 31; Martinoff c. Canada, [1994] 2 C.F. 33 (C.A.).
décision citée :
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1.
APPEL et appel incident d’une décision (2010 CF 43, [2011] 2 R.C.F. 3) par laquelle la Cour fédérale a ordonné au Directeur général des élections du Canada de certifier au receveur général du Canada que toutes les dépenses électorales soumises par les intimés à l’égard de l’élection fédérale de 2006 étaient admissibles aux fins de remboursement en vertu du paragraphe 465(1) de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9. Appel et appel incident accueillis.
ONT COMPARU
Barbara A. McIsaac, c.r. pour l’appelant.
Michel Décary, c.r. et Stephen W. Hamilton pour les intimés.
AVOCATS INCRITS AU DOSSIER
Borden Ladner Gervais S.R.L., S.E.N.C.R.L., Ottawa, pour l’appelant.
Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, pour les intimés.
Table des matières
Paragraphes
I Introduction...................................................................................................................................... 1–11
II Appel du DGEC
Cadre législatif.............................................................................................................................. 12–23
Décision du directeur général des élections du Canada........................................................ 24–28
Décision de la Cour fédérale...................................................................................................... 29–34
Questions et analyse
Question 1 : Le DGEC est-il habilité à vérifier les dépenses électorales des candidats? 35–78
Question 2 : La documentation soumise au DGEC était-elle suffisante pour que celui-ci puisse raisonnablement refuser d’affirmer qu’il avait la conviction que les intimés avaient engagé une partie des frais relatifs aux APML déclarés dans leur dépenses électorales?.......................................................... 79–106
Conclusions................................................................................................................................... 107–109
III Appel incident des intimés
Introduction.......................................................................................................................................... 110–112
Dispositions législatives....................................................................................................................... 113–115
Décision de la Cour fédérale.............................................................................................................. 116–121
Analyse.................................................................................................................................................. 122–130
Conclusion............................................................................................................................................. 131
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
La Cour :
I INTRODUCTION
[1] Le directeur général des élections du Canada (le DGEC) a interjeté appel d’une décision de la Cour fédérale (2010 CF 43, [2011] 2 R.C.F. 3) dans laquelle le juge Martineau (le juge) a fait droit à la demande de contrôle judiciaire introduite par les intimés dans le présent pourvoi. Le juge a ordonné au DGEC de certifier au receveur général que toutes les dépenses électorales soumises par les intimés en qualité d’agents officiels de deux candidats du Parti conservateur du Canada (le Parti) à l’élection générale de 2005–2006 étaient admissibles aux fins de remboursement.
[2] Le juge a statué que le DGEC avait eu tort de refuser de certifier, à titre de dépenses électorales, des paiements effectués par les intimés relativement aux frais engagés pour certaines annonces publicitaires de nature politique diffusées à la radio et à la télévision dans les circonscriptions des intimés. Les intimés avaient fait les paiements en question au Parti avec des fonds que le Parti leur avait remis à cette fin, plus tôt le même jour. Le juge a conclu que le DGEC avait commis une erreur en refusant d’attester sa conviction que les paiements effectués par les intimés se rapportaient aux frais de publicité qu’ils avaient engagés.
[3] L’intimé Callaghan a interjeté un appel incident contre la décision du juge établissant le montant des frais qui devraient lui être alloués à titre de dépense électorale afférente aux publicités politiques collectives. Le juge a divisé le coût de ces publicités à parts égales entre les candidats de la région de M. Callaghan qui avaient accepté de réunir leurs ressources pour contribuer au coût des annonces publicitaires qui étaient diffusées le même nombre de fois dans chacune de leurs circonscriptions.
[4] Le présent litige découle d’un procédé imaginé par le Parti au début de décembre 2005, environ un mois après le début de la campagne électorale, alors que les dépenses électorales du Parti atteignaient presque déjà le montant maximal permis par la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9 (la Loi). Des agents du Parti ont invité des candidats conservateurs qui n’avaient pas atteint leur plafond à contribuer, avec d’autres candidats de leur région, à un programme collectif d’« achats publicitaires dans des médias locaux » (APML).
[5] Des agents du Parti ont demandé aux candidats d’engager un montant ne dépassant pas leur plafond pour des publicités nationales réalisées pour le Parti; ces publicités seraient diffusées dans leur circonscription, avec un « titre d’appel » précisant que l’annonce publicitaire avait été autorisée par l’agent officiel du candidat participant. Le Parti a versé dans les comptes bancaires des candidats participants, y compris les deux candidats pour lesquels les intimés agissaient à titre d’agents officiels, un montant égal à celui que chaque candidat s’était engagé à verser au programme d’APML. Le virement de ces montants était subordonné à la condition que les candidats remettent une somme équivalente au Parti pour payer une part des APML.
[6] Les campagnes qui ont pris part à ce procédé, notamment celles dirigées par les intimés, ont dûment remis le montant, qu’elles ont ensuite inscrit comme une dépense électorale, puis elles ont demandé au receveur général de leur en rembourser une partie. Le candidat devait effectuer son paiement au Parti le jour même où le Parti virait les fonds au compte du candidat. Ces arrangements sont connus sous le nom de mouvements financiers « réciproques ».
[7] Le DGEC n’était pas convaincu, à la lumière des documents présentés par les intimés au soutien de leurs dépenses électorales, que les paiements faits au Parti par le truchement des mouvements financiers réciproques représentaient les frais que les intimés, et les autres candidats qui avaient pris part à ce procédé, avaient réellement engagés pour les annonces publicitaires. Il était préoccupé de ce que les frais de publicité auraient pu être engagés non pas par les candidats, mais par le Parti lorsque ce dernier a pris les dispositions avec son agent de publicité pour faire diffuser ces annonces, et de ce que le Parti, ayant presque atteint son plafond autorisé avait tout simplement transféré ces frais aux candidats participants au moyen des mouvements financiers réciproques. Par conséquent, il a refusé d’inclure ces montants dans le certificat que les intimés devaient présenter au receveur général pour obtenir le remboursement afférent aux dépenses électorales qu’ils avaient engagées.
[8] Selon notre analyse du régime législatif concernant les dépenses électorales, l’issue du présent appel dépend de la réponse à la question suivante. La documentation soumise au DGEC était-elle suffisante pour que celui-ci puisse raisonnablement refuser d’affirmer qu’il avait la conviction que les intimés avaient engagé une partie des frais relatifs aux APML déclarés au titre de dépenses électorales dans leurs comptes de campagne électorale?
[9] Avec déférence pour le juge, qui est parvenu à la conclusion contraire, nous sommes d’avis que la décision du DGEC n’était pas déraisonnable. En conséquence, l’appel sera accueilli et la demande de contrôle judiciaire des intimés sera rejetée.
[10] L’appel incident de l’intimé Callaghan quant à la répartition faite par le juge des coûts des publicités collectives entre les membres du groupe y ayant souscrit sera aussi accueilli. Puisque nous avons conclu qu’il était raisonnablement loisible au DGEC, eu égard à l’information dont il disposait, de refuser de certifier les dépenses électorales en cause, il n’y a pas lieu d’allouer à des candidats des frais relatifs au programme d’APML. Le DGEC ne s’étant pas prononcé sur la question, le juge n’aurait pas dû faire son propre calcul de la part des frais de publicité attribuables à la campagne du candidat de M. Callaghan.
[11] Initialement, la demande de contrôle judiciaire en l’instance a été présentée par 35 des 67 agents officiels dont les candidats ont participé aux mouvements financiers réciproques et ont déclaré le coût des APML à titre de dépense électorale qu’ils avaient engagée. La situation particulière des divers participants différait. Aussi, afin d’atténuer la complexité de l’instance, seuls les intimés actuels ont poursuivi la demande. Toutefois, il s’agit en l’espèce d’une cause type, non d’un recours collectif.
II APPEL DU DGEC
Cadre législatif
[12] Nous reproduisons, dans notre analyse des questions d’interprétation législative, les dispositions de la Loi électorale du Canada qui sont les plus directement pertinentes pour le présent appel. Il n’est pas nécessaire de les reprendre ici, dans l’aperçu du régime législatif applicable à l’appel. De même, le contexte factuel est exposé en détail dans notre présentation de la décision du DGEC et dans notre analyse de la preuve dont disposait celui-ci lorsqu’il a décidé qu’eu égard aux documents qui lui avaient été soumis, il n’était pas convaincu que les frais afférents aux APML avaient été engagés par les candidats plutôt que par le Parti.
[13] Les objectifs généraux de la Loi ont été clairement expliqués par le juge Bastarache qui, s’exprimant au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827, a déclaré (au paragraphe 62) :
Premièrement, l’État peut donner une voix à ceux qui ne pourraient autrement se faire entendre. C’est ce que fait la Loi en prévoyant le remboursement des dépenses des candidats et des partis politiques et en attribuant du temps d’antenne aux partis politiques. Deuxièmement, l’État peut atténuer les voix qui dominent le discours politique pour que d’autres voix puissent elles aussi se faire entendre. Au Canada, le législateur a choisi de régir le processus électoral principalement au moyen de la deuxième solution, soit en réglementant les dépenses électorales par des dispositions exhaustives sur le financement des élections. Ces dispositions visent à permettre à ceux qui souhaitent participer au débat électoral de le faire à armes égales. Leur participation permet aux électeurs d’être mieux informés; aucune voix n’est étouffée par une autre. [Non souligné dans l’original.]
Remboursement
[14] Les partis et candidats enregistrés ont droit à un remboursement partiel de leurs dépenses électorales à même les deniers publics. Les candidats qui obtiennent plus de 10 % du nombre total des votes exprimés ont droit à un remboursement initial de 15 % de leurs dépenses électorales (article 464 [mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 48]). Dès qu’il reçoit un compte de dépenses électorales du candidat pour la campagne et qu’il est convaincu que le candidat s’est conformé aux conditions imposées par la loi en matière de reddition de compte, le DGEC doit délivrer un certificat énonçant le montant final du remboursement des dépenses électorales du candidat, lequel ne peut dépasser 60 % du plafond des dépenses (article 465 [mod., idem, art. 49]). Tout excédent restant dans un compte bancaire de campagne, après que toutes les dettes ont été acquittées et que tous les remboursements ont été reçus, est dévolu au parti ou à l’association de circonscription (articles 471 [mod., idem, art. 54] et 472).
[15] Les partis enregistrés qui recueillent au moins 2 % du nombre total de votes exprimés ou au moins 5 % des votes exprimés dans les circonscriptions où ils ont présenté des candidats ont droit à un remboursement de 50 % de leurs dépenses électorales (article 435 [mod., idem, art. 39]).
Plafond
[16] La Loi prévoit des formules pour calculer le plafond de chacun des candidats (articles 440 et 441 [mod. par L.C. 2001, ch. 21, art. 22]) et des partis enregistrés (article 422 [mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 32]). Le fait pour un candidat (alinéas 497(1)s), 497(3)p) et 502(1)c)) ou pour un parti (alinéas 497(1)l), 497(3)g) et article 507 [mod., idem, art. 61]) d’excéder le plafond constitue une infraction.
[17] Le plafond s’applique aux « dépenses électorales », qui comprennent (article 407 [mod., idem, art. 26]) les frais engagés pour acquérir des biens et des services qui servent à favoriser directement un parti enregistré, son chef ou un candidat pendant une période électorale. (Les dépenses personnelles sont aussi plafonnées, mais cette question n’est pas pertinente pour le présent appel.) Les contributions non monétaires que reçoit un candidat et qui servent à des fins promotionnelles semblables constituent également des dépenses électorales. La valeur commerciale des contributions non monétaires (définies au paragraphe 2(1)) doit être incluse dans le compte de campagne électorale du candidat, et elle compte dans le calcul relatif au plafond : alinéa 451(2)i) [mod., idem, art. 44]. Les contributions monétaires à une campagne font l’objet d’un rapport distinct; elles ne constituent pas des dépenses électorales aux fins du plafond imposé par la Loi. Néanmoins, dans la mesure où ces contributions sont utilisées par le candidat pour des frais liés à une élection, elles sont incluses dans ses dépenses électorales.
Cessions
[18] La Loi prévoit des plafonds distincts pour les partis et pour les candidats. Pour éviter que soient déjoués les plafonds, les frais engagés par un parti doivent être déclarés par le parti et inclus dans le total de ses dépenses électorales. Nul parti ne peut transférer des frais qu’il a engagés à un candidat ou à une candidate qui bénéficie d’une certaine latitude avant d’atteindre son plafond. Les cessions monétaires et non monétaires entre candidats sont interdites.
[19] Toutefois, la frontière entre les finances d’un parti et celles d’un candidat n’est pas étanche; en effet, la Loi permet des cessions monétaires et non monétaires entre un candidat et un parti ou son association de circonscription (paragraphes 404.2(2) [édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 24; 2006, ch. 9, art. 44], (2.1) [édicté, idem], (2.2) [édicté, idem] et (3) [édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 24]). Par exemple, les fonds, les biens ou les services cédés par un parti à un candidat ne sont pas inclus dans les dépenses électorales du parti et ils ne sont pas pris en compte dans le plafond du parti. Cependant, lorsque les fonds sont dépensés par le candidat pour un poste lié à l’élection, le montant ainsi dépensé constitue une dépense électorale du candidat, tout comme constitue une dépense électorale la valeur commerciale des biens et des services cédés par un parti pour servir à la campagne électorale d’un candidat.
Agents officiels
[20] Tout candidat doit nommer un agent officiel avant d’engager une dépense liée à l’élection ou d’accepter une contribution de campagne. Dans les faits, l’agent officiel agit comme trésorier de la campagne et est responsable de la gestion des finances de la campagne et de l’observation des règles qui régissent les aspects financiers de la campagne (paragraphe 83(1) et articles 436 et 437 [mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 41]). L’agent officiel est responsable de tenir les comptes détaillant les contributions et les dépenses, et il doit remettre au DGEC un rapport vérifié, avec documents à l’appui, à la suite de l’élection : voir les articles 451 à 456 [art. 451 (mod., idem, art. 44; 2006, ch. 9, art. 52), 452 (mod., idem, art. 53) 453 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 46), 455 (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 19)] pour plus de détails. Pour faire en sorte que les campagnes n’excèdent pas accidentellement leur plafond et pour garantir une responsabilisation adéquate, seuls le candidat, l’agent officiel ou une personne autorisée par écrit par l’agent officiel peuvent engager une dépense (paragraphe 438(5) et article 446).
[21] Des dispositions semblables s’appliquent aux partis enregistrés. L’agent officiel d’un parti est essentiellement l’équivalent, pour le parti, de l’agent officiel du candidat (article 415). L’agent principal des finances du Parti est le Fonds conservateur du Canada.
Directeur général des élections du Canada
[22] Le DGEC a la responsabilité générale des opérations électorales au Canada; il exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l’application de la Loi (article 16). La confiance du public en un processus électoral juste repose sur la neutralité effective de ce poste et sur la perception de neutralité à son égard. Pour souligner l’importance du rôle du DGEC pour le maintien de la démocratie au Canada, le directeur général des élections est un haut fonctionnaire parlementaire, qui exerce ses fonctions selon des conditions analogues à celles d’un juge d’une cour supérieure (paragraphe 13(1)) et qui communique, pour l’application de la Loi, avec le gouverneur en conseil par l’intermédiaire du ministre désigné (paragraphe 15(4)).
[23] Fait d’une importance particulière pour la présente affaire, le DGEC reçoit les comptes de campagne électorale des candidats et des partis. Généralement, il accepte sans autre forme d’enquête les documents que les candidats et les partis sont tenus de présenter au soutien des dépenses électorales déclarées. En cas de doute, toutefois, les vérificateurs du DGEC demandent des renseignements supplémentaires. À cette fin, le DGEC peut exiger la production de pièces justificatives pour étayer le compte vérifié (paragraphe 451(2.2) [édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 44]) et demander des corrections aux documents (article 457). Lorsqu’il est convaincu que les candidats et les partis se sont conformés aux obligations que leur impose la Loi en matière de reddition de compte, le DGEC certifie au receveur général le montant, s’il en est, des dépenses déclarées qui donnent ouverture à un remboursement (paragraphe 465(1)).
Décision du directeur général des élections du Canada
[24] Après avoir examiné le compte de campagne électorale et les documents y afférents de Robert A. Campbell, le candidat conservateur dans la circonscription de Dartmouth–Cole Harbour, en Nouvelle- Écosse, le DGEC a écrit une lettre en date du 23 avril 2007 à M. Callaghan, en sa qualité d’agent officiel de M. Campbell. La lettre exposait ce qui suit :
[traduction] Le compte comprend une somme de 3 947,07 $ pour une dépense électorale décrite en ces termes : [traduction] « Part du candidat pour la publicité-médias de 2005-2006 ». Après avoir examiné les pièces justificatives de cette dépense et tenu compte des circonstances dans lesquelles le montant en question a été facturé à la campagne et payé par celle-ci, je souhaite vous informer que je ne suis pas convaincu que la documentation produite établit la dépense électorale déclarée. En conséquence, le montant de 3 947,07 $ facturé à la campagne par le Fonds conservateur du Canada sera exclu du montant que je certifierai au receveur général du Canada aux fins de remboursement conformément à l’article 465 de la Loi électorale du Canada.
En terminant la lettre, le DGEC déclarait qu’il réexaminerait la décision d’exclure la dépense en cause si M. Callaghan produisait d’autres éléments de preuve documentaire qui le convainquaient que cette dépense constituait bien une dépense électorale.
[25] Le DGEC a envoyé une lettre identique portant la même date à M. Pallett concernant le compte de dépenses de campagne de Dan Mailer, le candidat conservateur dans la circonscription de London–Fanshawe, en Ontario, et aux autres campagnes participantes.
[26] Le 25 avril 2007, le DGEC a écrit à Susan Kehoe, directrice générale intérimaire du Parti conservateur du Canada. Il a développé dans les termes suivants les motifs énoncés dans la lettre aux agents pour expliquer le refus d’inclure les dépenses en cause dans le certificat :
[traduction] Ma décision concernant le programme d’« achats publicitaires dans des médias » repose sur mon appréciation des circonstances entourant ce programme, lesquelles demeurent non éclaircies. Ces circonstances incluent notamment le fait que la facturation interne entre le parti et les candidats n’est pas adéquatement étayée par des documents provenant de tiers et l’absence de corrélation entre les parts attribuées aux diverses campagnes en ce qui touche les frais de publicité et leur valeur commerciale pour ces campagnes. S’il peut exister différentes façons d’évaluer la valeur commerciale, le fondement de cette évaluation doit néanmoins être raisonnable. La valeur commerciale ne peut être fondée uniquement sur le consentement et la capacité de chaque campagne d’assumer un certain montant. Telle a été dans le passé, et telle demeure, la position d’Élections Canada.
[27] Ces lettres ont suivi une série de communications entre le bureau du DGEC (dont des membres de son équipe de vérification), les agents officiels des diverses campagnes qui ont pris part au programme d’APML et des agents du Parti qui ont assumé la responsabilité principale de discuter avec le DGEC des mouvements financiers réciproques et du programme d’APML.
[28] Les motifs exposés dans les lettres du DGEC pour justifier son refus de certifier les frais du programme d’APML à titre de dépenses électorales engagées par les candidats sont brefs. Toutefois, à la suite des discussions continues avec le bureau du DGEC et des demandes de renseignements supplémentaires, le Parti n’entretenait aucun doute sur la nature des préoccupations du DGEC. Dans le présent appel, les intimés ne contestent pas la suffisance des motifs du DGEC.
Décision de la Cour fédérale
[29] Voici maintenant un résumé des motifs pour lesquels le juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire des intimés visant le refus du DGEC de certifier à titre de dépense électorale les frais qu’ils prétendaient avoir engagés pour le programme d’APML et ordonné au DGEC de délivrer les certificats qui permettraient aux intimés d’obtenir du receveur général le remboursement de leur part de ces frais.
[30] Premièrement, le juge a conclu que toute question de droit touchant l’interprétation de la Loi doit être révisée selon la norme de la décision correcte. Les questions mixtes de fait et de droit en l’espèce sont aussi révisables selon la norme de la décision correcte. Il en est ainsi parce que le dossier devant la Cour comprenait de la documentation appréciable que le DGEC n’avait pas en sa possession au moment où il a informé les intimés et le Parti des raisons pour lesquelles il n’était pas disposé à certifier les dépenses électorales en cause en vue de leur remboursement par le receveur général.
[31] Le juge a aussi appliqué la norme de la décision correcte aux questions mixtes de fait et de droit, car les candidats demandaient principalement à la Cour de décerner un bref de mandamus pour contraindre le DGEC à fournir le certificat requis lorsqu’il serait convaincu qu’ils avaient produit les documents prescrits par la Loi. De ce fait, a dit le juge, il devait décider de novo, en fonction du dossier dont était saisie la Cour et non du dossier dont disposait le DGEC, si les candidats avaient droit à la mesure sollicitée.
[32] Deuxièmement, le juge a estimé que le DGEC était habilité à examiner les documents fournis par les agents officiels pour juger de l’exactitude des renseignements qui y étaient contenus. Plus particulièrement, le DGEC pouvait examiner si les candidats avaient bien engagé les frais sur lesquels ils fondaient leur demande de remboursement des dépenses électorales en cause et si leur compte rendu financier faisait correctement état de la valeur commerciale des biens et services qui leur avaient été fournis.
[33] Troisièmement, sur la foi de la documentation dont il était saisi, le juge a conclu que les intimés avaient déclaré à bon droit les frais du programme d’APML à titre de dépenses électorales, parce qu’ils avaient engagé les frais de paiement des annonces publicitaires, qui, a-t-il conclu, leur avaient été fournies par le Parti. Le juge a déclaré que même s’il avait examiné la décision du DGEC selon la norme de la raisonnabilité, il aurait conclu qu’il était déraisonnable de la part du DGEC de ne pas être convaincu que les exigences de la Loi avaient été respectées.
[34] Le juge a décerné un bref de mandamus prescrivant au DGEC de fournir au receveur général de nouveaux certificats incluant les dépenses de publicité en cause déclarées par les intimés, conformément aux motifs de sa décision. De plus, il a décerné un bref de certiorari pour annuler la décision du DGEC de refuser l’inclusion des dépenses électorales en cause dans le certificat.
Questions et analyse
Question 1 : Le DGEC est-il habilité à vérifier les dépenses électorales des candidats?
i) Introduction
[35] Les intimés estiment que la Loi ne confère au DGEC qu’un rôle limité en ce qui touche les états des dépenses électorales des candidats. Contrairement à ce qu’a conclu le juge, les intimés affirment que le DGEC est seulement habilité à passer en revue les documents qui lui sont présentés conformément à la Loi. Son rôle, selon eux, se limite à vérifier que tous les documents requis par la Loi ont été produits et montrent, à première vue, qu’un candidat a engagé une dépense électorale au sens de la Loi.
[36] Selon les intimés, dès lors qu’il est convaincu qu’un agent officiel a produit les documents prescrits, le DGEC est tenu de remettre un certificat de conformité au receveur général afin que le dernier versement du remboursement des dépenses électorales des candidats puisse leur être payé. La Loi n’attribue aucune fonction de vérification au DGEC relativement aux comptes de campagne électorale des candidats. Partant, il n’est pas autorisé à scruter au-delà des documents produits afin de déterminer, par exemple, si les candidats ont effectivement engagé les frais déclarés à titre de dépenses électorales ou ont correctement déclaré la valeur commerciale de biens ou services qui leur ont été fournis.
[37] Le juge a rejeté cet argument. Il a statué qu’il est loisible au DGEC d’effectuer une vérification du compte de dépenses de campagne d’un candidat si cette mesure est indiquée dans les circonstances. La vérification peut porter sur l’exactitude du compte et notamment sur une déclaration, dans le compte, portant qu’une certaine dépense électorale représente des frais engagés par le candidat ou la candidate pour favoriser sa candidature.
[38] À notre avis, le juge avait raison. Nous souscrivons aussi à sa conclusion selon laquelle aucune retenue judiciaire n’est applicable à la décision du DGEC sur la question d’interprétation de la Loi concernant le rôle du DGEC. Quoi qu’il en soit, étant donné que le DGEC ne semble pas s’être prononcé sur la portée de son mandat législatif, il n’y a aucune décision du DGEC à examiner relativement à cette question.
ii) Dispositions législatives
[39] Les dispositions reproduites ci-dessous sont directement pertinentes pour arrêter la portée du rôle du DGEC en matière de dépenses électorales. Le point de départ est le paragraphe 465(1), sur lequel le DGEC s’est appuyé lorsqu’il a informé les intimés qu’il n’était pas convaincu de l’admissibilité au remboursement comme dépense électorale des candidats, au titre du paragraphe 465(2), des paiements qu’ils avaient effectués au Parti au moyen des opérations de mouvements financiers réciproques.
465. (1) Dès qu’il reçoit pour un candidat dont le nom figure sur un certificat les documents visés au paragraphe 451(1) ou la version modifiée de tels documents prévue aux paragraphes 455(1), 458(1) ou 459(1), le directeur général des élections remet au receveur général un certificat établissant : a) sa conviction que le candidat et son agent officiel ont rempli les conditions imposées au titre du paragraphe 447(2) et se sont conformés aux articles 451 à 462; [...] d) le montant du dernier versement du remboursement des dépenses électorales et des dépenses personnelles du candidat établi en conformité avec le paragraphe (2). |
Remboursement : dernier versement |
(2) Le montant visé à l’alinéa (1)d) est le moins élevé des montants suivants : a) 60 % de la somme des dépenses électorales payées et des dépenses personnelles payées, exposées dans le compte de campagne électorale du candidat, moins le remboursement partiel déjà reçu au titre de l’article 464; b) 60 % du plafond des dépenses électorales établi pour la circonscription au titre de l’article 440, moins le remboursement partiel déjà reçu au titre de l’article 464. |
Calcul du dernier versement |
[40] Parmi les documents qui doivent être produits en vertu du paragraphe 465(1), les plus pertinents aux fins de l’espèce sont ceux décrits aux alinéas 451(1)a), (2)a), b) et i).
451. (1) L’agent officiel d’un candidat produit auprès du directeur général des élections pour une élection : a) un compte de campagne électorale exposant le financement et les dépenses de campagne du candidat dressé, pour l’essentiel, sur le formulaire prescrit; [...] |
Production du rapport |
(2) Le compte comporte les renseignements suivants à l’égard du candidat : a) un état des dépenses électorales; b) un état des dépenses de campagne, autres que les dépenses électorales; [...] i) un état de la valeur commerciale des produits et services fournis et des fonds cédés par le candidat à un parti enregistré, à une association enregistrée ou à sa campagne à titre de candidat à l’investiture. |
Contenu du compte |
[41] Les « dépenses de campagne » sont définies comme suit à l’article 406.
406. Les dépenses de campagne des candidats sont constituées par les dépenses raisonnables entraînées par l’élection, notamment : a) leurs dépenses électorales. |
Dépenses de campagne des candidats |
[42] Le terme « dépenses électorales » fait lui-même l’objet d’une définition.
407. (1) Les dépenses électorales s’entendent des frais engagés par un parti enregistré ou un candidat et des contributions non monétaires qui leur sont apportées, dans la mesure où les biens ou les services faisant l’objet des dépenses ou des contributions servent à favoriser ou à contrecarrer directement un parti enregistré, son chef ou un candidat pendant une période électorale. [Non souligné dans l’original.] |
Dépenses électorales |
iii) La position du DGEC
[43] Interprétant ces dispositions ensemble dans le contexte des faits de l’espèce, le DGEC soutient que le paragraphe 465(1) exige qu’avant de remettre un certificat permettant aux intimés d’obtenir du receveur général un remboursement des fonds cédés par les candidats au Parti dans le cadre du procédé de mouvements financiers réciproques, le DGEC devait être convaincu que les fonds ainsi cédés constituaient des dépenses électorales des candidats au sens du paragraphe 407(1).
[44] Le DGEC estime en outre que pour donner ouverture à un remboursement à titre de dépense électorale, la dépense doit s’inscrire dans la définition énoncée au paragraphe 407(1) : « frais engagés par [...] un candidat [...] dans la mesure où [...] les services faisant l’objet des dépenses [...] servent à favoriser [...] directement un parti enregistré, son chef ou un candidat pendant une période électorale » [non souligné dans l’original].
[45] Malgré la portée nationale des annonces publicitaires diffusées dans le programme d’APML, le DGEC ne conteste pas aujourd’hui que le but de ces annonces était de [traduction] « favoriser [...] directement » les candidats des circonscriptions où elles étaient diffusées. Aussi n’est-il pas nécessaire que nous exprimions une opinion sur la nature conjonctive ou disjonctive des mots soulignés suivants du paragraphe 407(1) : « favoriser [...] directement un parti enregistré, son chef ou un candidat pendant une période électorale ».
iv) La position des intimés
[46] Les intimés proposent trois arguments au soutien de leur prétention selon laquelle le paragraphe 465(1) exige uniquement du DGEC qu’il « examine » les documents produits en conformité avec cette disposition afin de s’assurer que tous les documents prescrits ont été reçus, et non qu’il pousse plus loin son examen, que ce soit pour vérifier si les dépenses électorales déclarées se rapportent à des frais qui ont réellement été engagés par les candidats conformément à la Loi ou même si les documents sont authentiques.
[47] Premièrement, le texte du paragraphe 465(1) ne précise pas que le DGEC peut décerner un certificat seulement s’il est convaincu que l’état des dépenses électorales d’un candidat est exact et que le candidat a effectivement engagé les frais y afférents. Cette disposition exige plutôt que « [d]ès qu’il reçoit [...] les documents », le DGEC « remet au receveur général un certificat » [non souligné dans l’original] qui établit, notamment, sa conviction que le candidat s’est conformé aux articles 451 à 462 [art. 461 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 47)].
[48] Pour l’essentiel, les articles 451 à 462 exigent que l’agent officiel d’un candidat fournisse au DGEC les documents qui y sont précisés et établissent les délais dans lesquels ces documents doivent être produits. Aucune disposition de la Loi n’autorise ni n’oblige le DGEC à s’enquérir de l’exactitude de l’état des dépenses électorales dans un compte de campagne électorale d’un candidat. Comme l’a fait remarquer notre Cour dans l’arrêt Stevens c. Parti conservateur du Canada, 2005 CAF 383, [2006] 2 R.C.F. 315 (l’arrêt Stevens), au paragraphe 25, lorsque la Loi entend que le DGEC s’assure de l’exactitude de renseignements fournis, elle l’énonce expressément (voir, par ex. l’article 51, le paragraphe 366(3) [mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 3] et l’alinéa 368c) [mod., idem, art. 4]).
[49] Deuxièmement, la Loi prévoit expressément la tenue d’enquêtes en cas de soupçons d’inobservation et contient des dispositions en vue de son application. Ainsi, s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à la Loi peut avoir été commise, le DGEC peut ordonner au commissaire aux élections fédérales (le commissaire) de faire toute enquête que semblent dicter les circonstances, et le commissaire procède à l’enquête : article 510. Si, au terme des enquêtes voulues, le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction peut avoir été commise, il peut renvoyer l’affaire au directeur des poursuites pénales pour que celui-ci décide s’il y a lieu d’engager des poursuites (paragraphes 511(1) [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 130] et (2) [mod., idem]).
[50] Le DGEC a ordonné au commissaire de faire enquête sur les mouvements financiers réciproques à l’origine du présent litige dans le but de se former une opinion sur la question de savoir si le Parti pouvait avoir commis une infraction en excédant son plafond. L’avocat nous a informés à l’audience que le commissaire avait terminé les enquêtes et que l’affaire avait été renvoyée au directeur des poursuites pénales.
[51] Troisièmement, les intimés invoquent les observations suivantes formulées dans l’arrêt Stevens (aux paragraphes 26 et 27) par le juge Décary, qui s’exprimait au nom de la Cour :
L’économie de la Loi me paraît ainsi évidente : règle générale, le directeur peut, et doit, accepter les renseignements qui lui sont fournis en tenant pour acquis qu’ils sont fournis par une personne autorisée et qu’ils sont exacts. Il ne lui appartient pas d’aller au-delà de ce qui lui est remis ni de remettre en question le mandat de la personne qui les lui remet et de s’immiscer ainsi dans ce qu’il est convenu d’appeler les affaires internes d’un parti, d’un candidat ou d’un électeur. Il n’est donc pas étonnant que la Loi ne confère au directeur aucun pouvoir spécifique d’enquête.
Il s’ensuit que le rôle du directeur, lorsqu’il est appelé à rendre une décision sur une demande qui lui est soumise, se limite, règle générale, à s’assurer, à la face même des documents qui lui sont soumis par les personnes autorisées à les lui soumettre, que les conditions exigées par la Loi sont remplies. [Non souligné dans l’original.]
v) Analyse
[52] Bien que les arguments des intimés paraissent séduisants, à l’instar du juge, nous ne les acceptons pas. Ils réduisent le rôle du DGEC au regard de l’article 465, en ce qui touche les états produits par les candidats relativement à leurs dépenses électorales, à un niveau qui est incompatible avec l’économie de la loi et avec ses objectifs. L’arrêt Stevens peut être distingué de la présente affaire : les observations de la Cour citées ci-dessus doivent être interprétées à la lumière des dispositions particulières de la Loi et des questions fort différentes que soulevait cette affaire.
Paragraphe 465(1) : le texte
[53] Le texte du paragraphe 465(1) est compatible avec l’interprétation des intimés; en effet, une lecture littérale de cette disposition appuie leur position pour deux raisons. D’abord, le paragraphe 465(1) n’assujettit pas l’obligation du DGEC de remettre un certificat à la condition qu’il soit convaincu que les exigences relatives à la production de documents ont été remplies. Il prévoit seulement que dès réception des documents, le DGEC remet un certificat qui atteste sa conviction. À titre de comparaison, le paragraphe 435(1), la disposition correspondante en matière de certification des dépenses électorales des partis enregistrés aux fins de remboursement, et l’alinéa 401(1)b), qui porte sur la modification du registre des partis, exigent que le DGEC prenne les mesures prescrites par les dispositions visées s’il est convaincu de certains faits.
[54] Ces différences dans la rédaction du paragraphe 465(1), d’une part, et des paragraphe 435(1) et alinéa 401(1)b), d’autre part, peuvent donner à penser que le législateur entendait conférer un rôle plus limité au DGEC dans le cadre du paragraphe 465(1). Néanmoins, il serait erroné, croyons-nous, d’attacher une importance déterminante à ce qu’on pourrait considérer comme une différence plutôt subtile.
[55] Deuxièmement, le paragraphe 465(1) dispose : « Dès qu’il reçoit [...] les documents [...] le directeur général des élections remet [...] un certificat établissant » [non souligné dans l’original]. Ce libellé tend à indiquer que le certificat doit être fourni pratiquement aussitôt que les documents prescrits par la Loi sont reçus, ce qui ne laisserait pas au DGEC suffisamment de temps pour vérifier l’exactitude des renseignements contenus dans les documents et la validité des dépenses électorales déclarées.
[56] Nous reconnaissons que l’interprétation littérale du texte du paragraphe 465(1) n’établit pas clairement que le législateur entendait confier au DGEC la vérification des opérations sous-jacentes aux documents produits par les candidats. Toutefois, l’examen des mots d’une disposition législative constitue seulement le point de départ de l’interprétation du sens de cette disposition.
Paragraphe 465(1) : contexte et objectifs
[57] À notre avis, l’examen du contexte législatif plus général indique que le sens du paragraphe 465(1) n’est pas celui que lui prêtent les intimés. Nous concluons que le législateur n’a pas voulu restreindre le rôle du DGEC à la fonction avant tout administrative consistant à s’assurer que les candidats ont produit les documents précisés dans la Loi et, après avoir acquis la conviction que tel est le cas, à remettre un certificat permettant au receveur général de rembourser les dépenses électorales déclarées.
[58] Pour les motifs exposés ci-après, il n’est pas logique en pratique, et il n’est pas conforme à l’économie de la Loi, d’interpréter celle-ci comme laissant au seul commissaire la responsabilité de scruter les documents et la preuve à l’appui pour déceler s’il y a eu infraction pénale découlant des états de dépenses électorales et pour vérifier que les documents ne sont pas falsifiés.
[59] Premièrement, le DGEC a de vastes responsabilités en matière de surveillance des opérations électorales, et il exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l’application de la Loi.
16. Le directeur général des élections : a) dirige et surveille d’une façon générale les opérations électorales; [...] d) exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l’application de la présente loi. |
Pouvoirs et fonctions du directeur général des élections |
Ces dispositions donnent à penser que le rôle du DGEC, dans le cadre de l’article 465, est plus étendu que l’« examen » plus ou moins mécanique des documents en fonction d’une liste de contrôle, indépendamment de leur exactitude ou de la conformité des dépenses déclarées avec les dispositions de la Loi.
[60] Deuxièmement, une comparaison des articles 465 et 464 s’avère également instructive. L’article 465 prévoit que le receveur général effectue le dernier versement du remboursement des dépenses électorales d’un candidat lorsque le DGEC déclare sa conviction que l’agent officiel s’est conformé aux exigences de la Loi en matière de reddition de compte. Par contre, l’article 464 prévoit que le versement initial du remboursement est effectué sur réception d’un certificat du DGEC précisant le nom du candidat élu, le nom des candidats qui ont obtenu 10 % ou plus des votes validement exprimés et le montant qui représente 15 % du plafond. Contrairement à l’article 465, le versement prévu à l’article 464 n’est pas assujetti à l’exigence que le DGEC déclare sa conviction de quoi que ce soit, mais seulement à la présentation de simples renseignements.
[61] Troisièmement, le paragraphe 451(2.1) [édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 44; 2006, ch. 9, art. 52] prescrit à l’agent officiel d’un candidat de produire les pièces justificatives concernant les dépenses électorales déclarées et, si le DGEC estime que les documents produits par l’agent officiel sont insuffisants, il peut, en vertu du paragraphe 451(2.2) [édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 44], ordonner la production de documents supplémentaires nécessaires pour l’application du paragraphe 451(2.1).
451. [...]
(2.1) L’agent official du candidat produit auprès du directeur général des élections, avec le compte de campagne électorale, les pièces justificatives concernant les dépenses exposées dans ce compte, notamment les états de compte bancaires, les bordereaux de dépôt, les chèques annulés ainsi que l’état des dépenses personnelles visé au paragraphe 456(1). |
Pièces justificatives |
(2.2) Dans le cas où le directeur général des élections estime que les documents produits au titre du paragraphe (2.1) sont insuffisants, il peut ordonner à l’agent officiel de produire, à une date donnée, les documents supplémentaires à l’application de ce paragraphe. |
Documents supplémentaires |
[62] En l’espèce, le DGEC, par lettre en date du 29 novembre 2006, a demandé des renseignements supplémentaires en vertu du paragraphe 451(2.2) à Tabitha Fellman, agente officielle de Theresa Rodrigues, la candidate du Parti pour la circonscription de Davenport, en Ontario. Selon nous, les paragraphes susmentionnés n’auraient que peu d’utilité si les fonctions du DGEC ne comprenaient pas la vérification de ce que les dépenses électorales déclarées sont dûment étayées par des éléments de preuve documentaire. Si son rôle au regard du paragraphe 465(1) était aussi limité que le prétendent les intimés, le DGEC n’aurait jamais, ou presque jamais, besoin de demander aux candidats de fournir les pièces justificatives précisées au paragraphe 451(2.1) ni d’exiger la production de documents additionnels en vertu du paragraphe 451(2.2).
[63] L’existence de ces pouvoirs permet de penser que l’obligation des candidats de produire les documents mentionnés dans les articles de la Loi indiqués au paragraphe 465(1) exige implicitement que les renseignements contenus dans ces documents soient corrects. On trouve des indications semblables à l’article 457, qui autorise le DGEC à « apporter à un document visé aux paragraphes 451(1) ou 455(1) des corrections qui n’en modifient pas le fond sur un point important », et à l’article 458, en vertu duquel le DGEC, à la demande d’un candidat, peut autoriser des corrections. Par conséquent, pour se conformer à l’obligation de produire les documents énumérés, les candidats doivent produire des documents qui rendent compte avec exactitude des frais qu’ils ont réellement engagés et qui sont déclarés à titre de dépenses électorales conformément à la Loi.
[64] Quatrièmement, le fait que le commissaire, contrairement au DGEC, a le pouvoir exprès de faire enquête sur de possibles infractions à la Loi ne nous convainc pas que le législateur a eu l’intention de confier au commissaire la compétence exclusive de s’enquérir de la régularité des dépenses déclarées dans les comptes de campagne électorale des candidats.
[65] À la différence du commissaire, le DGEC dispose de pouvoirs légaux résiduels et n’a pas besoin que la Loi lui confère une compétence particulière pour vérifier les comptes de dépenses électorales des candidats. L’article 16 confie au DGEC l’exercice des pouvoirs et fonctions « nécessaires à l’application de la présente loi ». À notre avis, la surveillance de l’exactitude des demandes de remboursement des candidats à même les deniers publics et la vérification de l’observation du plafond des dépenses électorales prévu par la Loi sont des fonctions nécessaires à l’application de la Loi et relèvent donc des responsabilités du DGEC.
[66] Il serait surprenant que le législateur ait eu l’intention d’obliger le DGEC à délivrer un certificat permettant à un candidat d’obtenir un remboursement de dépenses électorales à même les deniers publics dans des cas où le DGEC n’est pas convaincu qu’une dépense réclamée est permise par la Loi. Limiter les fonctions du DGEC ainsi que les intimés invitent la Cour à le faire n’est pas compatible avec les pouvoirs et les responsabilités considérables du poste énoncés à l’article 16.
[67] On ne saurait dire non plus qu’en conférant au commissaire la compétence particulière d’enquêter sur de possibles infractions à la Loi, le législateur a implicitement retiré des fonctions générales du DGEC la tâche de vérifier la régularité des dépenses électorales déclarées par les candidats. Le DGEC et le commissaire exercent des rôles différents quant à l’application de la Loi. Faire enquête dans la perspective de renvoyer un dossier au directeur des poursuites pénales, s’il y a lieu, afin que celui-ci décide s’il convient d’engager des poursuites au pénal est une chose; vérifier les comptes pour s’assurer que les candidats ont droit d’être remboursés, à même les deniers publics, de frais engagés pendant une période électorale, et ont inclus dans leurs comptes de campagne électorale un état complet et exact de leurs dépenses électorales, ainsi que la valeur commerciale de tout avantage non monétaire reçu, en est une autre.
[68] Les intimés affirment cependant que l’interprétation que fait le DGEC de l’étendue de son rôle au regard du paragraphe 465(1) n’est pas indispensable pour protéger les deniers publics de l’éventualité de remboursements de dépenses inadmissibles. Ils attirent l’attention sur l’alinéa 501(1)a.1) [mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 22], aux termes duquel un candidat peut être tenu de remettre un remboursement reçu à la suite d’une enquête du commissaire et d’une poursuite du directeur des poursuites pénales dans laquelle le ministère public a eu gain de cause.
[69] Or, cette disposition prévoyant restitution ne protège que partiellement les deniers publics. La norme de preuve dans les poursuites pénales est élevée, et la preuve d’une intention coupable peut être une condition préalable à une déclaration de culpabilité. Par conséquent, il est peu probable que l’alinéa 501(1)a.1) vise tous les candidats dont les dépenses n’auraient pas dû être remboursées. Sans la vérification administrative, par le DGEC, de la régularité des dépenses électorales déclarées, de nombreuses irrégularités pourraient bien passer inaperçues.
Stevens c. Parti Conservateur du Canada
[70] Les intimés se fondent sur les paragraphes des motifs du jugement de la Cour cités au paragraphe 51 des présents motifs. Interprétés littéralement et sans tenir compte du contexte, ces passages semblent appuyer solidement la position des intimés. Le juge Décary [au paragraphe 27] a déclaré que le rôle du DGEC se limite généralement « à s’assurer, à la face même des documents qui lui sont soumis [...], que les conditions exigées par la Loi sont remplies » et ne consiste pas à [au paragraphe 26] « aller au-delà de ce qui lui est remis ». Dans le même ordre d’idées, il a décrit (au paragraphe 19) la fonction qu’occupe le DGEC comme en étant une, « essentiellement, d’application mécanique de dispositions législatives rédigées avec force détails et minutie qui ne laissent à peu près rien au hasard ».
[71] Toutefois, le contexte est aussi important pour la compréhension des motifs d’un jugement qu’il l’est pour l’interprétation de dispositions législatives, et nous estimons que deux facteurs contextuels importants rendent l’arrêt Stevens inapplicable au cas qui nous occupe.
[72] En premier lieu, l’affaire Stevens tire son origine d’un litige concernant l’enregistrement du Parti conservateur du Canada après la fusion du Parti progressiste-conservateur et de l’Alliance réformiste conservatrice canadienne. La question ultime que devait trancher la Cour dans Stevens était de savoir si le DGEC avait valablement autorisé la fusion des partis aux termes du paragraphe 401(1), qui prévoit ce qui suit :
401. (1) Le directeur général des élections substitue, dans le registre des partis, le nom du parti issu de la fusion à ceux des partis fusionnants : a) si la demande de fusion n’est pas présentée pendant la période mentionnée au paragraphe 400(1); b) s’il est convaincu que, à la fois : (i) le parti issu de la fusion est admissible à l’enregistrement sous le régime de la présente loi, (ii) les partis fusionnants ont assumé les obligations que leur impose la présente loi, notamment en matière de reddition de compte sur leurs opérations financières et sur leurs dépenses électorales et de mise à jour des renseignements qui concernent leur enregistrement. |
Enregistrement du parti issu de la fusion admissible |
[73] Pour répondre à la question soulevée, le juge Décary a écrit (au paragraphe 2) :
[...] la Cour devra déterminer si le directeur a l’obligation de vérifier la teneur et l’exactitude des documents qui lui sont soumis, s’il a l’obligation de donner droit de parole à des militants qui s’opposent à la demande de fusion et s’il a l’obligation légale d’attendre 30 jours avant d’accéder à semblable demande. [Non souligné dans l’original.]
[74] Bien qu’aux termes de l’article 401 l’obligation faite au DGEC de modifier le registre des partis soit subordonnée à la condition qu’il soit convaincu de certains points, le rôle du DGEC à titre de « gardien de la démocratie » (au paragraphe 19) risquerait d’être compromis, et « la neutralité politique la plus absolue » (au paragraphe 21) du poste pourrait être menacée si le DGEC pouvait aller au-delà des documents fournis relativement à la fusion d’un parti politique avec un autre et à la création d’un nouveau parti découlant de la fusion. Les fusions de partis sont de nature à soulever des questions partisanes extrêmement litigieuses, et il vaut mieux que ces questions soient résolues dans le cadre du processus politique et dans le tribunal de l’opinion publique. Exiger que le DGEC scrute des différends internes de cette nature auxquels sont confrontés des partis pourrait bien l’entraîner sur un terrain où sa neutralité serait mise en question et son poste, de ce fait, menacé.
[75] Nous estimons, en revanche, que l’on ne saurait plausiblement dire que d’interpréter les pouvoirs du DGEC comme incluant le pouvoir de regarder au-delà des documents présentés par les candidats et les partis politiques enregistrés dans leurs comptes de campagne électorale compromet la démocratie. S’enquérir de la régularité de dépenses électorales est une mesure routinière, fort différente du fait d’approfondir les circonstances souvent passionnées, sur le plan politique, qui entourent le fusionnement de partis politiques.
[76] En second lieu, les dispositions de la Loi qui traitent de l’enregistrement d’un parti à la suite d’une fusion ne contiennent aucune mesure équivalente aux paragraphes 451(2.1) et (2.2), qui, rappelons-le, exigent la présentation de pièces justificatives pour étayer l’état des dépenses électorales déclarées dans un compte de campagne et autorisent le DGEC à demander des documents supplémentaires.
vi) Conclusion
[77] L’interprétation que les intimés font du paragraphe 465(1) fragiliserait le respect des plafonds fixés par le législateur en ce qui a trait au montant d’argent que les candidats peuvent dépenser pour leur élection et se faire rembourser à même les deniers publics. De nombreux abus pourraient aussi survenir, et l’objectif de la Loi qui consiste à promouvoir une saine démocratie en garantissant des conditions égales pour tous en matière électorale pourrait être compromis.
[78] En fait, lorsqu’on l’interprète en tenant compte de son libellé et de son contexte ainsi que des objectifs de la Loi, le paragraphe 465(1) autorise le DGEC à s’assurer que les documents produits attestent les dépenses électorales déclarées avant de délivrer le certificat permettant au receveur général de rembourser ces dépenses. Il ne suffit pas, pour remplir les exigences de la Loi en matière de reddition de compte, qu’un candidat produise les documents décrits dans la Loi; les documents doivent aussi convaincre le DGEC que les frais qui auraient été engagés constituent des dépenses électorales aux fins de la Loi. L’obligation imposée par la Loi de déclarer les dépenses électorales au DGEC est donc fondamentale et n’est pas seulement de nature formelle.
Question 2 : La documentation soumise au DGEC était-elle suffisante pour que celui-ci puisse raisonnablement refuser d’affirmer qu’il avait la conviction que les in- timés avaient engagé une partie des frais relatifs aux APML déclarés comme dépenses électorales?
i) Norme de contrôle
[79] Selon notre interprétation de la Loi, le DGEC ne peut délivrer un certificat que s’il a la conviction que les candidats ont produit les documents requis et que les frais déclarés dans leurs comptes de campagne électorale à titre de dépenses électorales remboursables ont été dûment engagés en conformité avec la Loi. La Cour doit décider en l’espèce si le DGEC a commis une erreur susceptible de contrôle lorsque, s’appuyant sur la preuve documentaire dont il disposait, il a refusé d’affirmer qu’il avait la conviction que les intimés avaient engagé les frais relatifs aux APML qu’ils avaient déclarés à titre de dépenses électorales. Il importe de souligner que c’est le DGEC, et non la Cour, qui doit avoir cette conviction.
[80] La question de savoir si le DGEC a la conviction décrite ci-dessus a un aspect subjectif. Cependant, s’il n’a pas la conviction qu’un candidat a engagé des frais déclarés à titre de dépenses électorales, sa décision doit être raisonnable à la lumière de la documentation dont il disposait lorsqu’il l’a prise. La question de savoir si la documentation était suffisante en l’espèce pour étayer sa conclusion est une question mixte de fait et de droit. Nous n’avons aucune raison de ne pas appliquer la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à ces questions : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53.
[81] Les parties en l’espèce conviennent que nous devons, pour décider si la décision du DGEC était raisonnable, déterminer si les motifs exposés dans la lettre du 23 avril 2007 qu’il a adressée aux intimés et dans la lettre du 25 avril 2007 qu’il a envoyée à la directrice exécutive par intérim du Parti, Mme Kehoe, justifient sa décision de manière transparente et intelligible. Nous devons aussi déterminer si la décision elle‑même fait partie des issues possibles qui sont logiquement acceptables compte tenu du droit et de la documentation dont il disposait.
ii) Dossier relatif au contrôle judiciaire
[82] Le contrôle judiciaire d’une décision administrative se déroule généralement sur la foi du dossier présenté au décideur. La présente affaire ne fait pas exception, malgré la nature informelle du processus administratif par lequel le DGEC a rendu sa décision et l’absence d’un dossier en bonne et due forme des éléments de preuve sur lesquels il s’est appuyé.
[83] Dans ces circonstances, la Cour peut considérer que les affidavits souscrits aux fins de la demande de contrôle judiciaire constituent la preuve de la documentation dont le DGEC disposait quand il a rendu sa décision et établissent certains faits pertinents, et s’appuyer sur ces affidavits. Elle ne peut toutefois pas, pour décider si la décision du DGEC était raisonnable, tenir compte de la documentation postérieure au 25 avril 2007 ou de celle à laquelle le DGEC n’a pas pu avoir accès lorsqu’il a refusé d’affirmer qu’il avait la conviction que les frais relatifs aux APML pouvaient légitimement être déclarés à titre de dépenses électorales des candidats.
iii) Dossier administratif : documentation présentée au DGEC
[84] Il n’y avait pas de désaccord majeur entre les parties au sujet de la documentation dont le DGEC disposait quand il a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle. Dans la lettre qu’il a écrite aux intimés en date du 23 avril 2007, le DGEC a affirmé qu’il n’avait pas la conviction que les documents produits établissaient la dépense électorale déclarée,
[traduction] [...] après avoir examiné les pièces justificatives de cette dépense et tenu compte des circonstances dans lesquelles le montant en question a été facturé à la campagne et payé par celle-ci.
[85] Le différend porte essentiellement sur la question de savoir si toutes les circonstances et les pièces justificatives dont disposait le DGEC étaient suffisantes pour qu’il puisse raisonnablement refuser d’affirmer qu’il avait la conviction que les intimés avaient engagé les frais relatifs aux APML. Dans la mesure où cela est pertinent, c’est aux intimés qu’il incombait de convaincre le DGEC que leur demande était justifiée, puisque c’était eux qui réclamaient un avantage prévu par la Loi, à savoir le certificat nécessaire au remboursement des dépenses électorales.
[86] Les principaux documents dont disposait le DGEC quand il a rédigé les lettres du 23 et du 25 avril 2007 et dont la Cour peut donc tenir compte pour déterminer si sa décision était raisonnable sont énumérés ci‑dessous, par sujet.
[87] Mouvements financiers réciproques
a) instructions administratives envoyées par courriel par des agents du Parti aux candidats sur les mouvements financiers réciproques (dossier d’appel, vol. VII, pages 1922 à 1925)
[traduction]
1. Le Fonds facturera l’achat de publicité dans les médias à l’agent officiel du candidat et lui transmettra une copie de la facture par courriel ou par télécopieur. Fait par le bureau d’Ottawa.
2. Simultanément, l’agent officiel remplira le formulaire d’instructions concernant les virements télégraphiques bancaires, le signera et le transmettra par télécopieur à Hanh Tran, au service des finances du Fonds conservateur du Canada, au numéro [nous avons supprimé le numéro]. Le Fonds inscrira le numéro et le montant de la facture, si cela n’a pas été fait par l’agent officiel, et transmettra les instructions concernant les virements télégraphiques bancaires au numéro de télécopieur de la banque où l’agent officiel a ouvert un compte pour le candidat. Fait par l’agent officiel.
3. Le Fonds préparera un virement télégraphique bancaire dans le but de transférer une somme d’argent de son compte de banque au compte de banque du candidat grâce aux renseignements obtenus à l’étape 2. Fait par le bureau d’Ottawa.
4. Hanh transférera l’argent dans le compte du candidat à une date précise et transmettra alors par télécopieur le virement télégraphique bancaire à la banque du candidat afin que celle-ci transfère la somme dans le compte de banque du Fonds en vue du paiement de la facture le même jour. Fait par le bureau d’Ottawa.
Remarque : Aucune somme d’argent ne sera transférée du Fonds au candidat en vue du paiement de cette facture tant que le Fonds n’aura pas reçu de l’agent officiel un formulaire d’instructions concernant les virements télégraphiques bancaires signé et rempli. De plus, comme le paiement doit être fait au fournisseur le 2 janvier 2006, l’argent doit être transféré avant cette date. [En caractères gras dans l’original.]
L’un des courriels envoyés à un candidat (dossier d’appel, vol. VII, page 1924) expliquait en outre ce qui suit :
[traduction] Le montant de la facture de chaque candidat correspondra au montant que j’ai indiqué dans mon courriel précédent. C’est ce montant qui sera transféré. Par conséquent, tel qu’il a été convenu, il n’y aura aucune incidence sur le coût net ou sur le flux de trésorerie. Une fois payée, la facture pourra être incluse dans les dépenses électorales payées, sous réserve du remboursement de 60 % que le candidat peut garder.
b) sommaires des journaux tenus par les vérificateurs d’Élections Canada relativement à leurs contacts avec les candidats et leurs agents officiels
i) Sommaire du journal des contacts du candidat concernant Elizabeth M. Pagtakhan (circonscription de Vancouver-Est), 20 octobre 2006 (dossier d’appel, vol. VI, page 1778)
Le vérificateur d’Élections Canada, Rani Naoufal, a demandé si l’agent officiel de la candidate pouvait fournir des renseignements additionnels concernant une facture de 29 999,70 $ du Parti conservateur qui était inscrite dans le compte de la candidate. L’agent officiel lui a répondu :
[traduction] Je pense que nous avons contribué à une campagne nationale de publicité diffusée à la télévision. Comme nous ne pouvions pas dépenser toute la somme à laquelle nous avions droit, le Parti nous a demandé si nous pouvions contribuer.
ii) Sommaire du journal des contacts du candidat concernant Jean Landry (circonscription de Richmond- Arthabaska), 4 décembre 2006 (dossier d’appel, vol. VI, page 1784)
Jean Landry aurait téléphoné au sujet d’une lettre qu’il avait reçue dans laquelle on lui demandait des détails additionnels concernant la somme de 26 000 $ qui aurait servi à acheter de la publicité dans les médias. Il aurait dit que ni lui ni son agent officiel n’avaient les documents requis car tout avait été fait par le AC du Parti. Il a mentionné à deux reprises qu’il s’agissait simplement d’un mouvement financier réciproque; qu’il avait reçu l’argent à 11 h et qu’il l’avait transféré à 11 h 45.
iii) Sommaire du journal des contacts du candidat concernant Kenneth Brownridge, agent officiel de Dick Harris (circonscription de Cariboo–Prince George, 16 janvier 2007) (dossier d’appel, vol. VI, page 1794)
Le journal indique que M. Harris a déclaré que la campagne n’avait pas payé les achats de publicités dans les médias parce qu’il s’agissait de publicités nationales. Il a compris que toutes les circonscriptions avaient été facturées à cet égard, mais non pourquoi des détails étaient nécessaires pour un mouvement financier réciproque relatif à une campagne de publicité nationale.
c) factures
i) Factures du Parti aux campagnes de Dan Mailer (dossier d’appel, vol. V, page 1597) et de Robert Campbell (dossier d’appel, vol. VI, page 1804), datées du 23 décembre 2005
Les factures ont été adressées aux campagnes des candidats, à l’attention des intimés. Chacune indiquait : [traduction] « Part du candidat de la publicité dans les médias pour 2005-2006. Part du candidat de la publicité dans les médias achetée comme convenu pour les élections de 2005-2006. » Le montant de la facture était de 3 947,07 $ « avant taxes » dans le cas de Robert Campbell et de 9 999,15 $ « avant taxes » dans le cas de Dan Mailer. Aucune taxe n’a été ajoutée. Les montants étaient payables au Fonds conservateur du Canada.
ii) Facture de l’agent de publicité du Parti, RMI, aux circonscriptions de London-Fanshawe (Dan Mailer) (dossier d’appel, vol. IX, page 2752) et de Dartmouth-Cole Harbour (Robert Campbell) (dossier d’appel, vol. VI, page 1817), datée du 1er janvier 2006 et tirée d’une liste globale des factures de toutes les circonscriptions participant au programme d’« achats publicitaires dans des médias locaux » (dossier d’appel, vol. VIII, page 2632)
Les factures portent l’en-tête suivant : [traduction] « Les agents officiels des candidats du Parti conservateur ». Elles sont adressées au [traduction] « 130, rue Albert, bureau 1720, Ottawa, à l’attention de Susan Kehoe ». Il s’agit de l’adresse du Parti conservateur du Canada. Le nombre 3 688,85 $ est imprimé et la mention [traduction] « + TPS = 3 947,07 », montant de la facture envoyée par le Parti à la campagne, est écrite à la main en regard de « Dartmouth/Cole Harbour ».
d) preuve du paiement des factures
i) Paiement par M. Callaghan (indiqué sur le formulaire d’instructions concernant les virements télégraphiques bancaires) (dossier d’appel, vol. VI, page 1805)
ii) Paiement par M. Pallett (indiqué sur la facture envoyée par le Parti) (dossier d’appel, vol. V, page 1597)
[88] Programme d’achats publicitaires dans des médias locaux
a) lettre de Michael Donison (directeur exécutif du Parti conservateur du Canada) à Manon Hamel (directrice par intérim de Financement politique et vérification, Élections Canada), datée du 15 janvier 2007, ayant pour objet [traduction] « Les frais des achats publicitaires dans les médias et les coûts de production connexes relatifs au programme d’achats publicitaires dans des médias locaux des candidats », envoyée en réponse à une demande de copie du contrat conclu par RMI [Retail Media Inc.], l’agent de publicité, et le Parti ou les candidats participant au programme d’APML (dossier d’appel, vol. VI, pages 1830 et 1831)
[traduction] [...] il n’y a pas de document contractuel unique entre le parti enregistré ou les candidats et le fournisseur qui traite des achats publicitaires dans les médias locaux [...] Cependant, afin de collaborer pleinement avec Élections Canada et les agents officiels, je vous transmets une lettre du vice-président de Retail Media [RMI], M. Andrew Kumpf, qui décrit en détail les obligations contractuelles conclues entre cette firme et le Parti conservateur et les candidats participants relativement aux achats de publicités dans les médias à l’occasion de cette élection.
b) lettre d’Andrew Kumpf (un dirigeant de RMI) à Manon Hamel, datée du 15 janvier 2007, concernant la relation entre RMI et le Parti conservateur du Canada (dossier d’appel, vol. VI, page 1832)
La lettre faisait ressortir les points suivants :
• RMI était le fournisseur ou l’agence de référence relativement à 10 achats publicitaires dans les médias faits par le Parti et les agents officiels des candidats participants et [traduction] « nous avons conclu une entente concernant des achats publicitaires dans les médias »;
• Les achats publicitaires concernant le parti national étaient séparés des achats publicitaires des candidats participants. Retail Media a été informée des candidats du Parti conservateur qui souhaitaient participer à des achats publicitaires additionnels dans des médias locaux;
• Des factures appropriées indiquant les produits et les services fournis par RMI ont été établies séparément pour les candidats participants et pour le Parti;
• Les marchés régionaux appropriés ont été définis pour tous les candidats participants et des espaces publicitaires ont été achetés dans les médias dans ces marchés;
• Des titres d’appel appropriés mentionnant la personne pour le compte de laquelle les publicités avaient été autorisées ont été utilisés dans toutes les publicités.
c) liasse de documents, datée de décembre 2005, envoyée par le Parti aux candidats participants (dossier d’appel, vol. VI, pages 1803 à 1828)
• Copie de l’horaire de diffusion des publicités à la télévision et à la radio (selon le cas). Ce document, préparé par RMI et transmis au Parti conservateur, indiquait de manière détaillée le marché ciblé, la date et l’heure de la diffusion et les publicités.
• Documentation de référence préparée par RMI, indiquant les candidats dont la circonscription avait fait l’objet de publicités dans un marché donné.
• Copie de la facture de RMI relative aux achats publicitaires dans les médias concernant le candidat.
• Instructions concernant les virements télégraphiques bancaires de chaque campagne, dans lesquelles l’agent officiel du candidat autorisait le paiement de la facture du Fonds reçue par le candidat.
• Copie de la publicité fournie par RMI, accompagnée du titre d’appel utilisé.
d) lettre de Susan J. Kehoe (directrice exécutive par intérim du Parti conservateur du Canada) à Marc Mayrand (DGE), datée du 11 avril 2007 (dossier d’appel, vol. VII, page 1929)
[traduction] Un examen de la documentation permet de constater que les APML ont été planifiés pendant les semaines du 6 et du 12 décembre 2005. Les niveaux d’engagement de chaque campagne ont été déterminés à la même époque, c.‑à‑d. au début de la campagne électorale. L’horaire définitif des publicités faisant partie des APML a été transmis par le fournisseur des publicités dans les médias au plus tard le lundi 19 décembre 2005. En d’autres termes, les APML étaient entièrement planifiés au début de la campagne, comme le montre la documentation produite. Il ne s’agissait assurément pas d’une répartition rétroactive des frais.
[89] Répartition des frais relatifs aux APML
a) tableau de répartition des frais (dossier d’appel, vol. VI, pages 1834 à 1836)
Ce tableau a été préparé par des employés d’Élections Canada à l’aide des renseignements fournis par les agents officiels. Il donnait des exemples de candidats de la même région qui avaient participé au programme d’achats publicitaires dans les médias, mais qui réclamaient des montants de dépenses très différents pour des publicités qui avaient été diffusées le même nombre de fois dans chacune de leurs circonscriptions. Aucune pièce justificative n’a été transmise au DGEC pour expliquer ces différences.
b) lettre d’Ann O’Grady (directrice générale des finances du Fonds conservateur du Canada) à Manon Hamel, datée du 6 mars 2007 (dossier d’appel, vol. VII, pages 1917 et 1918) :
[traduction] Il ne peut y avoir de lien mathématique précis entre l’« empreinte » de diffusion d’une publicité et la répartition des frais entre les campagnes locales participantes. Il suffit de dire, comme vos propres chiffres le montrent, que chacune des campagnes locales participantes a payé une part importante (c.-à-d. plus que modique) des coûts des publicités et que les publicités ont fait l’objet d’une diffusion appréciable dans chacune des circonscriptions. (à la p. 1917)
c) lettre de Susan J. Kehoe à Marc Mayrand, datée du 11 avril 2007 (dossier d’appel, vol. VII, pages 1927 à 1930)
Cette lettre explique les différences entre les engagements financiers de campagnes semblables et indique (à la page 1929) :
[traduction] [...] la répartition dépendait essentiellement de l’engagement relatif du candidat à l’égard des achats collectifs. En termes simples, plus l’engagement global est élevé, plus les achats publicitaires peuvent être importants et plus le bénéfice général est grand.
[90] Facteurs contextuels Le DGEC était également au courant des facteurs qui suivent lorsqu’il a pris la décision faisant l’objet du présent contrôle.
a) plafond du Parti
Le Parti ne pouvait pas acheter beaucoup plus de publicités lorsqu’il a communiqué avec les campagnes des candidats pour savoir si elles voulaient s’engager à contribuer aux APML, puisque son plafond établi par la Loi était presque atteint : affidavit de Janice Vézina, sous‑directrice générale associée des élections, daté du 14 janvier 2008 (dossier d’appel, vol. V, page 1449).
b) montants des mouvements financiers réciproques
Soixante-huit candidats d’un peu partout au Canada ont accepté de participer au programme d’APML; l’un d’entre eux s’est toutefois retiré à la dernière minute. Contrairement à lui, le Parti a inclus dans son compte de dépenses électorales les frais relatifs aux APML. Au total, les APML des campagnes des candidats conservateurs participants ont coûté approximativement 1,2 million de dollars et les coûts de production ont atteint 121 000 $ : lettre d’Ann O’Grady à Manon Hamel, datée du 15 décembre 2006 (dossier d’appel, vol. VI, pages 1800 et 1801).
c) contenu des publicités
Les publicités avaient un contenu national et ne portaient pas sur des enjeux locaux ou sur les candidats qui ont réclamé leur part des frais à titre de dépense électorale. Par contre, elles contenaient des titres d’appel les associant à des candidats locaux.
iv) Analyse
[91] À notre avis, l’information détaillée ci-dessus démontre largement le caractère raisonnable du refus du DGEC d’affirmer qu’il avait la conviction que les frais relatifs aux APML avaient été engagés par les candidats en conformité avec la Loi. La question de savoir si la preuve aurait pu raisonnablement amener le DGEC à conclure que les frais avaient été dûment engagés par les candidats n’est pas pertinente dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire relative à l’exercice du pouvoir conféré au DGEC par le législateur.
[92] À titre préliminaire, nous sommes d’avis que, pour déterminer s’il avait la conviction que les dépenses électorales déclarées par un candidat particulier relativement aux APML satisfaisaient aux conditions de remboursement prévues par la Loi, le DGEC n’était pas légalement tenu de limiter son examen aux documents concernant uniquement ce candidat. Comme chaque candidat participait à un programme conçu et organisé par le Parti, il était raisonnable que le DGEC tienne compte de toute la documentation dont il disposait au sujet du programme et qu’il détermine le poids à accorder aux différents documents selon le candidat concerné. En fait, vu la centralisation du programme, il n’aurait pas été raisonnable que le DGEC ne prenne pas en considération le contexte plus large et qu’il tienne compte seulement des documents qui concernaient le candidat dont il examinait les dépenses électorales déclarées.
[93] Le DGEC était particulièrement préoccupé par le fait que les candidats n’avaient pas produit de documents établissant l’existence ou les modalités d’un contrat conclu avec RMI sous le régime duquel les publicités auraient été achetées par eux directement ou par le Parti à titre de mandataire des candidats participants. En fait, le Parti a admis qu’il n’existait aucun document contractuel entre lui ou les candidats et RMI. Ce fait est particulièrement important puisque, outre le candidat et l’agent officiel, personne ne peut engager une dépense pour le compte d’une campagne sans le consentement écrit de l’agent officiel. Les documents dont disposait le DGEC n’indiquaient pas clairement si le Parti était censé avoir agi à titre de mandataire des candidats en achetant la publicité ou si les candidats avaient conclu un contrat directement avec RMI.
[94] Les autres documents dont le DGEC disposait n’étaient pas suffisants pour le convaincre que, malgré l’absence de preuve documentaire de l’existence d’un contrat, les dépenses électorales déclarées par les intimés relativement aux APML représentaient des frais qu’ils avaient effectivement engagés pour acheter de la publicité.
[95] Les intimés s’appuient sur les factures adressées aux candidats par le Parti et RMI et sur les paiements faits par la suite, au moyen de mouvements financiers réciproques, par les candidats au Parti, lequel avait déjà payé RMI pour les publicités. Ils affirment que cette preuve démontre clairement que les candidats avaient engagé les frais relatifs aux APML dans leurs circonscriptions. Nous ne sommes pas de cet avis.
[96] Bien que l’on puisse normalement déduire du paiement d’une facture que celui-ci a été fait pour s’acquitter d’une obligation juridique lorsque les parties ne sont pas liées, ce n’était pas le cas en l’espèce. Les intérêts du Parti et des candidats participant aux mouvements financiers réciproques convergeaient largement.
[97] En outre, les factures elles-mêmes étaient ambiguës : elles ne précisaient pas qu’elles avaient trait à de la publicité achetée par les candidats ou pour leur compte. La facture établie par le Parti porte le titre suivant : [traduction] « Part du candidat de la publicité dans les médias achetée comme convenu pour les élections de 2005-2006 », alors que la facture de RMI indique simplement [traduction] « Dépenses concernant les médias — janvier 2006 ». RMI a produit une seule facture pour les candidats de l’extérieur du Québec. Cette facture comporte une seule page, sur laquelle sont énumérées toutes les circonscriptions participantes et le montant dû par chacune. Chaque candidat a reçu une copie de cette page sur laquelle figuraient seulement le nom de sa circonscription et le montant dû, tous les autres renseignements ayant été supprimés.
[98] Le fait que la nature des « engagements » pris précédemment par les candidats concernant leur contribution aux publicités n’est pas claire est également pertinent. La preuve peut démontrer à tout le moins autant une promesse de contribuer aux frais engagés par le Parti pour confier à RMI le mandat de s’occuper de la diffusion des publicités qu’une entente conclue par les campagnes des candidats participants afin d’acheter des publicités à RMI directement ou par l’entremise du Parti.
[99] De même, le DGEC a estimé avec raison que le fait que certains candidats et agents officiels ne connaissaient pas bien le programme remettait en question leur engagement à acheter de la publicité plutôt qu’à permettre au Parti de se servir de la totalité ou d’une partie de la portion non utilisée de leurs plafonds pour ses propres dépenses de publicité.
[100] Le fait que les frais relatifs aux publicités ont été répartis non pas en fonction de la valeur du gain que les candidats ont retiré de ces publicités, mais plutôt en fonction du montant des dépenses auquel ils avaient droit et qu’ils n’avaient pas utilisé, est également pertinent au regard de la conclusion du DGEC. Les montants des contributions ont été ajustés de façon à ce que les plafonds ne soient pas dépassés.
[101] En outre, les frais de production ont été répartis entre des candidats du Québec seulement. Fait intéressant, ces frais semblaient avoir été retirés du montant facturé à un candidat au Québec, M. Bernier, afin que sa part des frais de publicité ne dépasse pas son plafond.
[102] Le DGEC pouvait raisonnablement considérer que la répartition des frais relatifs aux APML traduisait davantage un déplacement des coûts que le consentement des candidats participants à l’achat de publicités à RMI, soit directement soit par l’entremise du Parti.
[103] Deux facteurs contextuels appuient également le caractère raisonnable de la décision du DGEC. En premier lieu, les publicités elles-mêmes étaient de nature nationale, elles n’avaient aucun lien avec des enjeux locaux et elles ne présentaient pas les candidats. Le titre d’appel indiquant qu’elles avaient été autorisées par l’agent officiel du candidat participant était la seule indication qui permettait au téléspectateur ou à l’auditeur de savoir que la publicité était associée à la campagne locale. En deuxième lieu, le Parti avait presque atteint son plafond des dépenses lorsqu’il a demandé à des candidats de participer au programme d’APML. Il devenait alors intéressant de transférer aux candidats le coût des publicités additionnelles abordant des thèmes nationaux.
[104] Ainsi, il était raisonnable que le DGEC refuse d’affirmer qu’il avait la conviction que, en payant les factures, les candidats s’acquittaient d’une obligation de payer les publicités diffusées dans leurs circonscriptions.
[105] Les intimés ont fortement tablé sur une lettre écrite par M. Kumpf, de RMI, à Mme Hamel, d’Élections Canada, en date du 15 janvier 2007, qui confirmait que RMI était [traduction] « le fournisseur ou l’agence de référence » pour ce qui était des achats publicitaires dans les médias faits par le Parti et les agents officiels des candidats conservateurs participants. La lettre indiquait également : [traduction] « Nous avons conclu une entente concernant des achats publicitaires dans les médias. » Cette lettre semble indiquer que les candidats étaient parties à un contrat d’achat et que, en payant les factures, ils s’acquittaient d’une obligation d’acheter de la publicité à RMI.
[106] La lettre de M. Kumpf a toutefois été écrite un an après que les arrangements concernant les APML ont été faits. Le DGEC avait alors déjà fait part de ses préoccupations au sujet de la légitimité des dépenses électorales réclamées par des candidats dans le cadre du APML. Le DGEC peut avoir estimé avec raison que la valeur probante de la lettre était plus faible à cause du moment auquel elle avait été écrite. Par conséquent, et compte tenu des autres documents dont le DGEC disposait, cette lettre n’a pas pour effet, à notre avis, de rendre sa décision déraisonnable. La question est de savoir si le DGEC disposait de documents sur lesquels sa décision pouvait raisonnablement être fondée, et non de savoir s’il a rendu la décision correcte ou la meilleure décision.
Conclusions
[107] Le DGEC était autorisé à s’assurer que les dépenses électorales déclarées par les intimés étaient des frais qu’ils avaient engagés en conformité avec la Loi. Sa décision de ne pas inclure dans le certificat à titre de dépenses électorales les paiements faits au Parti par les intimés relativement aux APML soulevait une question mixte de fait et de droit et est assujettie à la norme de la décision raisonnable.
[108] La décision du DGEC était raisonnable parce qu’il explique de manière transparente et intelligible dans ses brefs motifs pourquoi il n’avait pas la conviction que les intimés avaient engagé les frais relatifs aux APML. De plus, cette décision fait partie des issues possibles et est logiquement acceptable compte tenu du droit et des documents dont le DGEC disposait.
[109] Pour ces motifs, l’appel du DGEC sera accueilli avec dépens et la demande de contrôle judiciaire des intimés sera rejetée.
III APPEL INCIDENT DES INTIMÉS
Introduction
[110] L’appel incident de l’intimé Callaghan a trait à la répartition des dépenses entre les campagnes qui avaient accepté de participer conjointement à un programme de publicités télédiffusées ou radiodiffusées dans la circonscription de chacune. Le DGEC a relevé un certain nombre de cas où des candidats participant à un programme collectif d’achats publicitaires dans les médias ont déclaré des montants très différents.
[111] L’intimé Callaghan a participé à un programme semblable. Tous les candidats participants étaient mentionnés dans le titre d’appel des publicités diffusées à la télévision. Pour ce qui est des publicités diffusées à la radio, chaque candidat participant a été mentionné un nombre égal de fois. Les campagnes participantes ont toutefois déclaré des montants différents à titre de dépenses engagées par suite de leur participation au programme. Par exemple, dans le cas des publicités télédiffusées dans le cadre du programme auxquelles le candidat de M. Callaghan a participé, la même publicité a été diffusée dans sept circonscriptions. M. Callaghan a déclaré une dépense de 1 092,65 $, alors qu’un autre participant a signalé une dépense de 3 277,95 $ et un autre, de 10 989,33 $ (dossier d’appel, vol. IX, page 2737).
[112] Le Parti a confirmé au DGEC qu’il n’y avait pas [traduction] « de lien mathématique précis entre l’empreinte de diffusion d’une publicité et la répartition des frais entre les campagnes locales participantes » (dossier d’appel, vol. I, page 295). Le montant attribué à un candidat dépendait du montant que le candidat voulait et pouvait verser sans dépasser son plafond.
Dispositions législatives
[113] Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes au regard des questions soulevées par l’appel incident concernant les contributions non monétaires et l’obligation de déclarer les dépenses électorales à leur valeur commerciale.
[114] Pour assurer l’intégrité des plafonds, l’expression « dépenses électorales » est définie de manière à inclure les contributions non monétaires (voir l’article 407 de la Loi, reproduit au paragraphe 42 ci-dessus). L’expression « contribution non monétaire » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi :
2. (1) [...]
« contribution non monétaire » La valeur commerciale d’un service, sauf d’un travail bénévole, ou de biens ou de l’usage de biens ou d’argent, s’ils sont fournis sans frais ou à un prix inférieur à leur valeur commerciale.
[115] Comme il est expliqué au paragraphe 17 cidessus, la valeur commerciale d’une contribution non monétaire doit être déclarée dans le compte de campagne électorale d’un candidat et être incluse dans le calcul du plafond. L’expression « valeur commerciale » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi :
2. (1) [...]
« valeur commerciale » En ce qui concerne la fourniture de biens ou de services ou l’usage de biens ou d’argent, le prix le plus bas exigé pour une même quantité de biens ou de services de la même nature ou pour le même usage de biens ou d’argent, au moment de leur fourniture, par :
a) leur fournisseur, dans le cas où il exploite une entreprise qui les fournit;
b) une autre personne qui les fournit sur une échelle commerciale dans la région où ils ont été fournis, dans le cas où leur fournisseur n’exploite pas une telle entreprise.
Décision de la Cour fédérale
[116] Le juge était d’accord avec le DGEC sur le fait qu’il ne convenait pas de répartir les frais relatifs aux APML selon le montant que les candidats participants voulaient et pouvaient verser jusqu’à ce que leur plafond soit atteint. Pour que soit respecté l’alinéa 451(2)i), qui exige que les candidats déclarent la valeur commerciale des produits et des services qui leur ont été fournis, il doit y avoir un lien entre le gain retiré des produits et des services fournis et le montant payé.
[117] Dans le cas de l’intimé Pallett, la campagne de son candidat a été la seule à participer au programme d’APML dans sa région. En conséquence, le juge a considéré que le montant déclaré par M. Pallett correspondait à la valeur commerciale des publicités diffusées dans sa circonscription.
[118] Dans le cas de l’intimé Callaghan, le juge a conclu que la répartition inégale des dépenses de diffusion entre les diverses campagnes était illogique et arbitraire. Il a statué que les candidats du groupe avaient profité de façon égale des publicités parce que celles- ci avaient été diffusées le même nombre de fois dans chaque circonscription. Par conséquent, il était logique que les frais soient répartis également entre les candidats participants. Les candidats dont la contribution n’atteignait pas le montant d’une part égale devaient déclarer, dans leurs dépenses électorales, une contribution non monétaire du Parti correspondant au montant de leur part égale des frais, duquel était déduit le montant de leur contribution.
[119] Cette conclusion découlait du fait que les « contributions non monétaires » sont incluses dans la définition de « dépenses électorales ». Ces contributions doivent donc figurer dans les comptes de campagne électorale et leur valeur commerciale doit être prise en compte lorsqu’il faut déterminer si un candidat a dépassé son plafond. Cependant, comme les contributions non monétaires versées à un candidat ne sont pas des frais engagés par celui-ci, elles ne sont pas remboursées par le receveur général.
[120] Pour l’intimé Callaghan, cela signifiait que le montant de la dépense se rapportant aux APML qu’il avait déclarée était inférieur à sa valeur commerciale. Le juge n’a pas considéré que cela l’empêchait de certifier la dépense en vertu de l’article 465 de la Loi parce que seul le montant réellement payé ouvrait droit à un remboursement. Le juge a toutefois conclu, au sujet du compte de campagne électorale du candidat, que la « juste valeur marchande des dépenses électorales réputées » correspondait au total des montants payés par la campagne et d’une contribution non monétaire faite par le Parti. Le montant de la contribution non monétaire était la différence entre le montant représentant une part raisonnable des frais publicitaires et le montant payé par la campagne. Le juge a fixé le montant de la contribution non monétaire que M. Callaghan devait déclarer dans son compte de campagne électorale à 2 894,51 $ (motifs, paragraphe 238).
[121] L’intimé Callaghan interjette un appel incident à l’encontre de ces conclusions.
Analyse
[122] Nous avons conclu qu’il était raisonnable que le DGEC refuse d’affirmer qu’il avait la conviction que les intimés avaient engagé les frais relatifs aux APML qui étaient déclarés à titre de dépenses électorales. La décision de la Cour fédérale doit être infirmée et la demande de contrôle judiciaire, rejetée. L’appel incident n’a donc plus de fondement. Cela étant dit, les parties ont fait valoir tous leurs arguments concernant l’appel incident et, avec égards, nous estimons que le juge a commis une erreur de droit en exerçant les pouvoirs du DGEC de procéder à la vérification du compte de campagne électorale de l’intimé Callaghan et de déterminer la valeur commerciale de sa participation aux APML. Notre conclusion est fondée sur les motifs qui suivent.
[123] Examinons d’abord le processus suivi par le DGEC. Par une lettre datée du 23 avril 2007, le DGEC a avisé l’intimé Callaghan qu’il n’était pas convaincu que [traduction] « la documentation soumise établissait l’existence de la dépense électorale déclarée » au regard des APML. Le DGEC écrivait ensuite que cette dépense serait exclue du montant qu’il certifierait à l’intention du receveur général du Canada, mais que cette décision [traduction] « pourrait être réexaminée si vous produisez des pièces justificatives additionnelles qui me convainquent que la dépense déclarée a été engagée par la campagne ». Le DGEC a expliqué de manière détaillée ses préoccupations dans la lettre, en date du 25 avril 2007, qu’il a envoyée au Parti, où il a fait état de l’absence de corrélation entre la part des frais des publicités des diverses campagnes et la valeur commerciale de ces publicités. Il a reconnu ensuite que, si la valeur commerciale pouvait être déterminée de différentes façons, elle devait être raisonnable et ne pas être fondée uniquement sur la volonté et la capacité de chaque campagne de verser un montant particulier jusqu’à ce que son plafond des dépenses électorales soit atteint. Cependant, comme le DGEC n’était pas convaincu que la dépense avait été engagée par la campagne, il n’a rendu aucune décision sur la façon dont la dépense, si elle avait été engagée par la campagne, devait être répartie entre les campagnes participantes.
[124] Nous croyons qu’il est bien établi en droit que la Cour n’a habituellement pas, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le pouvoir de substituer son opinion sur les faits à celle du décideur ou de tirer des conclusions de fait indépendantes lorsque le décideur ne l’a pas fait. Dans Rafuse c. Canada (Commission d’appel des pensions), 2002 CAF 31, la Cour a expliqué ce principe dans les termes suivants (aux paragraphes 12 à 14) :
La détermination des questions factuelles relève de la compétence exclusive de la Commission et se situe au cœur de son expertise. La Commission ayant commis une erreur de droit en l’espèce quant au critère applicable aux demandes d’autorisation, il lui reste encore à tirer les conclusions essentiellement factuelles auxquelles il est tenu.
Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour à l’égard des conclusions de fait d’un tribunal est rigoureusement circonscrit. En l’absence d’erreur de droit entachant le processus d’enquête d’un tribunal fédéral ou de violation de l’obligation d’équité, la Cour peut annuler la décision pour cause d’erreur de faits uniquement si ce tribunal a tiré sa conclusion de manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait : Loi sur la Cour fédérale, alinéa 18.1(4)d). Par conséquent, si en raison d’une erreur de droit, un tribunal a omis de tirer une conclusion de faits pertinente, notamment une inférence factuelle, l’affaire devrait normalement lui être renvoyée pour lui permettre de terminer son travail. Nous sommes donc d’avis que le juge aurait commis une erreur de droit si, après avoir annulé la décision de la Commission, elle lui avait renvoyé l’affaire en lui ordonnant d’accorder à M. Rafuse l’autorisation d’interjeter appel.
Bien que la Cour puisse donner des directives quant à la nature de la décision à rendre lorsqu’elle annule la décision d’un tribunal, il s’agit d’un pouvoir exceptionnel ne devant être exercé que dans les cas les plus clairs : Xie, précité, au paragraphe 18. Ce pouvoir doit rarement être exercé dans les cas où la question en litige est de nature essentiellement factuelle (Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 73 (C.F. 1re inst.)), surtout lorsque, comme en l’espèce, le tribunal n’a pas tiré la conclusion pertinente. [Non souligné dans l’original.]
[125] La question de savoir si des dépenses ont été ré-parties de manière raisonnable est essentiellement une question de fait. Aussi, comme le DGEC n’a rendu aucune décision concernant la répartition raisonnable des dépenses de publicité collectives, la Cour fédérale a commis une erreur de droit en calculant elle-même la valeur commerciale d’une dépense de publicité. Si la Cour n’avait pas accueilli à tort la demande de contrôle judiciaire, cette question aurait été renvoyée au DGEC pour qu’il la tranche.
[126] À notre avis également, on ne saurait opposer que la réparation demandée à la Cour fédérale était un mandamus. Il est également bien établi en droit qu’un mandamus ne peut être demandé pour forcer l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière. En d’autres termes, un mandamus peut contraindre un décideur à étudier une affaire, mais il « ne dicte pas le résultat d’un tel processus ». Voir Martinoff c. Canada, [1994] 2 C.F. 33 (C.A.), à la page 40, et les décisions qui y sont mentionnées. Dans l’affaire qui nous intéresse, la Cour fédérale pouvait exiger du DGEC qu’il examine conformément au droit la question de la valeur commerciale de la dépense publicitaire concernant les APML de l’intimé Callaghan. Elle ne pouvait pas la calculer elle-même.
[127] L’erreur commise par le juge en calculant luimême la valeur commerciale des publicités est un motif indépendant d’accueillir l’appel incident de l’intimé Callaghan.
[128] En ce qui concerne la valeur commerciale, l’intimé Callaghan a fait valoir avec force que la notion de valeur commerciale contenue dans la Loi s’applique seulement lorsque des produits ou des services sont fournis à un coût plus bas que leur valeur marchande. Le concept ne s’appliquerait pas à la répartition de dépenses électorales collectives entre plusieurs candidats, en particulier dans le contexte de publicités diffusées à la télévision et à la radio dans une région qui ne correspond probablement pas exactement à une circonscription électorale. Les publicités diffusées seraient différentes, sur le plan de la qualité, des autres produits ou services parce que les publicités diffusées dans une circonscription peuvent être vues ou entendues par les électeurs dans des circonscriptions voisines.
[129] À notre avis, il n’y a pas de règle stricte régissant la répartition des dépenses électorales collectives. C’est d’ailleurs ce qu’a admis le DGEC dans un exemple cité par l’intimé. Dans cet exemple, les dépenses relatives à des publicités collectives ayant été placées dans des journaux de langue chinoise dans la région de Vancouver pendant la campagne électorale de 2005–2006 ont été réparties entre les campagnes en fonction du lectorat chinois de chaque circonscription. Ainsi, il est possible, si des faits pertinents le démontrent, que des dépenses électorales collectives aient des valeurs différentes selon la circonscription, de sorte qu’il convient de partager les frais de manière inégale.
[130] Comme la demande de contrôle judiciaire sous-jacente sera rejetée, le DGEC est toujours saisi des questions découlant de la vérification des comptes des intimés, et plus particulièrement de la décision de ne pas certifier leurs dépenses, parce qu’il n’a pas encore exigé des intimés qu’ils déposent des comptes de campagne électorale corrigés (comme il peut le faire en vertu du paragraphe 457(2) de la Loi). Par conséquent, l’intimé Callaghan a toujours la possibilité de présenter des observations ou des renseignements additionnels au DGEC au sujet du caractère raisonnable du montant qu’il a déclaré relativement à la participation de son candidat au programme d’APML. Nous convenons cependant avec le juge et avec le DGEC que le montant déclaré à titre de part attribuée à un candidat d’une dépense électorale collective ne peut être arbitraire ou être fondé uniquement sur le montant des dépenses électorales que ce candidat peut encore engager avant d’atteindre son plafond, mais qu’il doit être raisonnablement lié à la valeur des gains obtenus.
Conclusion
[131] Pour ces motifs, l’appel incident sera accueilli. Aucuns dépens ne seront adjugés relativement à l’appel incident, celui-ci étant dénué de fondement par suite de notre décision concernant l’appel.