[2011] 3 R.C.F. 344
A-78-11
A-79-11
2011 CAF 194
Globalive Wireless Management Corp. et le procureur général du Canada (appelants)
c.
Public Mobile Inc. et TELUS Communications Company (intimées)
et
Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, et Friends of Canadian Broadcasting (intervenants)
Répertorié : Public Mobile Inc. c. Canada (Procureur général)
Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Dawson et Stratas, J.C.A.—Ottawa, 18 mai et 8 juin 2011.
Il s’agissait d’appels réunis interjetés à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale annulant le décret par lequel la gouverneure en conseil a modifié une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) selon laquelle Globalive était sous le contrôle d’un non-Canadien.
Des licences du spectre des services sans fil évolués avaient été adjugées à Globalive Wireless Management Corp. Cependant, à la suite d’une audience tenue pour répondre à certaines préoccupations concernant la structure de propriété de Globalive, le CRTC a conclu que cette dernière ne satisfaisait pas à l’exigence énoncée à l’alinéa 16(3)c) de la Loi sur les télécommunications, à savoir qu’elle ne soit pas contrôlée par des non-Canadiens. Selon le CRTC, la dépendance financière de Globalive envers Orascom Telecom Holding (Canada) Limited (Orascom), qui ne se qualifie pas comme personne morale canadienne, créait une situation où Orascom pouvait exercer de manière continuelle une influence sur Globalive. La gouverneure en conseil avait déclaré que la capacité d’Orascom de se servir des prêts comme moyens d’influence était notamment atténuée par le droit de Globalive de retirer ou de remplacer l’emprunt sans pénalité. La gouverneure en conseil avait donc conclu qu’Orascom ne contrôle pas en fait Globalive. La Cour fédérale avait statué que la gouverneure en conseil avait inséré un nouvel objectif de politique en matière de télécommunications dans la Loi en interprétant la Loi de manière à favoriser l’accès aux capitaux, à la technologie et au savoir-faire étrangers. En outre, la Cour fédérale avait conclu que la gouverneure en conseil ne pouvait pas restreindre son interprétation de la Loi à une seule personne (soit Globalive).
Les intimées affirmaient en l’espèce que la gouverneure en conseil avait agi erronément en faisant référence à des considérations de politique dans le décret et que cela constituait une erreur susceptible de contrôle dans l’application du critère du contrôle de fait exposé à l’alinéa 16(3)c).
Il s’agissait de savoir si : 1) la gouverneure en conseil avait tenu compte ou non des objectifs de politique en matière de télécommunications énoncés à l’article 7 de la Loi sur les télécommunications lorsqu’elle a appliqué le critère du contrôle de fait, 2) la gouverneure en conseil était justifiée de fonder sa décision de modifier la décision du CRTC sur les objectifs de politique exposés à l’article 7, et 3) Public Mobile avait qualité pour demander le contrôle judiciaire du décret.
Arrêt : les appels doivent être accueillis.
1) La gouverneure en conseil n’avait pas pris en considération les objectifs de politique exposés à l’article 7 lorsqu’elle a appliqué le critère du contrôle de fait. Même si l’analyse de la gouverneure en conseil contenait des déclarations de politique, celles-ci ne précisaient pas le rôle que les considérations de politique jouaient dans la décision dans son ensemble. La gouverneure en conseil avait examiné les mêmes faits et le même droit que le CRTC, mais avait tiré des conclusions différentes.
2) Il était loisible à la gouverneure en conseil de tenir compte de considérations de politique dans sa décision de modifier la décision du CRTC. En conférant au gouverneur en conseil le pouvoir de modifier des décisions, le législateur a prévu la possibilité que les décisions soient modifiées pour des raisons de politique générale. L’exercice du pouvoir de modifier une décision est censé être fondé sur les objectifs de politique en matière de télécommunications. En l’espèce, la gouverneure en conseil a fait référence à un certain nombre des objectifs énumérés. Qui plus est, il n’était pas inopportun de la part de la gouverneure en conseil de s’appuyer sur un objectif qui n’était pas énuméré à l’article 7. Le fait de favoriser l’accès aux capitaux, à la technologie et au savoir-faire étrangers peut servir quelques-uns des objectifs de politique qui y sont énoncés. La gouverneure en conseil a reconnu que les politiques qui ne sont pas énumérées dans la Loi doivent valoir dans les limites des objectifs exposés à l’article 7. Elle n’a jamais voulu donner une importance particulière à la promotion de l’investissement étranger. Le gouverneur en conseil n’est pas tenu de considérer la question du contrôle de fait exactement comme le ferait un avocat de société. Le critère du contrôle de fait est contextuel et imprécis et il nécessite une pondération de facteurs concurrents. Le gouverneur en conseil peut donc légitimement considérer le contexte législatif pour décider comment il arrivera à cette pondération. L’alinéa 16(3)c) est étroitement lié aux objectifs énoncés à l’article 7. Il vise à répondre à la préoccupation qu’une société contrôlée par un non‑Canadien puisse être moins résolue qu’une société contrôlée par un Canadien à réaliser les objectifs de la politique en matière de télécommunications. La référence aux politiques énoncées à l’article 7 est donc pertinente pour déterminer si une société est en fait contrôlée par des Canadiens. Enfin, la conclusion de la Cour fédérale portant que la décision de la gouverneure en conseil s’applique uniquement à Globalive n’a pas influé sur l’issue de la présente affaire.
3) La Cour fédérale a pris la bonne décision en reconnaissant que Public Mobile avait qualité pour demander le contrôle judiciaire du décret. La personne qui demande que lui soit reconnue la qualité pour agir dans l’intérêt public doit satisfaire au critère exposé dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration). Public Mobile a soulevé des questions sérieuses quant à l’interprétation de la Loi et à l’application du critère du contrôle de fait. Il n’y avait aucun moyen raisonnable et efficace de soumettre ces questions à la cour autre que celui d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public. Autrement, le décret serait à l’abri du contrôle judiciaire. En appliquant le critère formulé dans l’arrêt Conseil canadien des Églises, les tribunaux doivent avoir connaissance du contexte factuel et des questions de politique en jeu, y compris le spectre que les mesures du gouvernement se trouvent à l’abri du contrôle et l’importance de la question soulevée. Bien que les tribunaux doivent mettre en équilibre cette considération et l’importance de l’économie des ressources judiciaires conjuguée au fait d’empêcher que le contrôle judiciaire devienne une arme visant à éliminer la concurrence, les préoccupations relatives à la possibilité que les mesures gouvernementales soient à l’abri du contrôle judiciaire deviennent primordiales lorsque les intérêts de tous les Canadiens sont en jeu.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, ch. N-17, art. 64.
Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, art. 2(1) « entreprise de télécommunication », 7, 12, 16(1) (mod. par L.C. 2010, ch. 12, art. 2184), (3),(4), 64 (mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 206(F)).
Loi sur les transports nationaux, L.R.C. (1985), ch. N-20.
Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunication canadiennes, DORS/94-667, art. 2(1) « personne morale qualifiée », (2) « Canadien ».
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.
décision différenciée :
CanWest MediaWorks Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 207.
décisions examinées :
Examen d’un projet d’acquisition d’un intérêt dans les Lignes aériennes Canadien International ltée, décision no 297-A-1993, en date du 27 mai 1993 (O.N.T.); CSP Foods Ltd. c. Commission canadienne des transports, [1979] 1 C.F. 3 (C.A.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1.
décisions citées :
Davisville Investment Co. Ltd. and City of Toronto et al., Re (1977), 15 O.R. (2d) 553, 76 D.L.R. (3d) 218, 2 M.P.L.R. 81 (C.A.); TELUS Communications Company c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2010 CAF 191; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193; Mills v. Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal (Ont.), 2008 ONCA 436, 237 O.A.C. 71; Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23; Alliance de la Fonction publique du Canada c. Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, [2010] 3 R.C.F. 223; Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675; Corp. of the Canadian Civil Liberties Assn. v. Canada (Attorney General) (1998), 40 O.R. (3d) 489, 161 D.L.R. (4th) 225, 10 Admin. L.R. (3d) 56 (C.A.), autorisation d’appel à la C.S.C. refusée, [1999] 1 S.C.R. vii; Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.); Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society v. Canada (Attorney General), 2010 BCCA 439, 324 D.L.R. (4th) 1, [2011] 1 W.W.R. 628, 10 B.C.L.R. (5th) 33; Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367; Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157; Morgentaler c. Nouveau-Brunswick, 2009 NBCA 26, 344 R.N.-B. (3e) 39.
appELs à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2011 CF 130, [2011] 3 R.C.F. 3) annulant le décret (CRTC – Modifie la décision de télécom CRTC 2009-678, décret C.P. 2009-2008) par lequel la gouverneure en conseil a modifié une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (Examen de Globalive Wireless Management Corp. dans le cadre du régime de propriété et de contrôle canadiens, décision de télécom CRTC 2009-678, modifiée par la décision de télécom CRTC 2009-678-1) selon laquelle Globalive était sous le contrôle d’un non-Canadien. Appels accueillis.
ONT COMPARU
Thomas G. Heintzman, c.r., Malcolm M. Mercer et Anna Matas pour l’appelante, Globalive Wireless Management Corp.
Robert B. MacKinnon et Alexander M. Gay pour l’appelant, le procureur général du Canada.
John B. Laskin et Michael H. Ryan pour l’intimée, Public Mobile Inc.
Kenneth E. Jull, Stephen R. Schmidt et Natalie Haras pour l’intimée, TELUS Communications Company.
Steven Shrybman pour les intervenants.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour l’appelante, Globalive Wireless Management Corp.
Sous-procureur général du Canada pour l’appelant, le procureur général du Canada.
Torys LLP, Toronto, pour l’intimée, Public Mobile Inc.
Baker & McKenzie LLP, Toronto, et TELUS Communications Company, Ottawa, pour l’intimée, TELUS Communications Company.
Sack Goldblatt Mitchell LLP, Ottawa, pour les intervenants.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Sexton, J.C.A. : La Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38 (la Loi) exige qu’une personne morale soit la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien pour être admise à opérer comme entreprise de télécommunication. Les présents appels concernent la question de savoir si Globalive Wireless Management Corp. (Globalive) satisfait à cette exigence. La gouverneure en conseil a tranché qu’elle y satisfaisait et a pris un décret [CRTC – Modifie la décision de télécom CRTC 2009-678, décret C.P. 2009-2008] modifiant une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) selon laquelle Globalive était sous le contrôle d’un non-Canadien. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, le juge de première instance a annulé le décret : 2011 CF 130, [2011] 3 R.C.F. 3. Globalive et le procureur général ont tous deux interjeté appel de cette décision. Les appels ont été réunis par ordonnance de la Cour. Par les présentes, l’intitulé est modifié de manière à ce que les véritables appelants et des intimées soient désignés dans ces appels.
[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, les appels seront accueillis et le décret sera rétabli.
Les faits
[3] Le spectre électromagnétique utilisé pour les télécommunications sans fil est la propriété du gouvernement fédéral et est administré par lui. Pour être admise à opérer, une entreprise de télécommunication doit être titulaire d’une licence qui l’autorise à utiliser certaines fréquences. En 2007 et 2008, le gouvernement a tenu une vente aux enchères de licences du spectre des services sans fil évolués à des fréquences de 2 gigahertz. Certaines fréquences étaient disponibles à tous les soumissionnaires, tandis que d’autres ne l’étaient qu’aux nouveaux venus. Les soumissions gagnantes totalisaient environ 4,25 milliards de dollars.
[4] Trente licences, couvrant une population d’environ 23 millions de personnes, ont été adjugées à Globalive pour un prix de plus de 442 millions de dollars. Globalive est détenue en propriété exclusive par Globalive Investment Holdings Corporation (Globalive Holdings). 66,68 pour 100 des actions avec droit de vote dans Globalive Holdings sont la propriété d’AAL Holdings Corporation (AAL) et 32,02 pour 100 des actions avec droit de vote sont la propriété d’Orascom Telecom Holding (Canada) Limited (Orascom). Orascom est une filiale d’Orascom Telecom Holding S.A.E (Egypt). Les parties reconnaissent qu’AAL se qualifie comme personne morale canadienne, mais non Orascom. Comme Orascom est propriétaire de toutes les actions sans droit de vote dans Globalive Holdings, elle est propriétaire de 65,08 pour 100 des capitaux propres de la société, alors qu’AAL est propriétaire de 34,25 pour 100 de ces capitaux.
[5] Le 13 mars 2009, le ministre de l’Industrie a délivré des licences de spectre à Globalive et à tous les autres soumissionnaires retenus. Le CRTC a alors tenu une audience pour répondre à certaines préoccupations relatives à la structure de la propriété de Globalive. Globalive était partie à cette procédure et d’autres parties intéressées ont été invitées à y participer. Public Mobile Inc. (Public Mobile) n’a pas pris part aux débats devant le CRTC, ni au moyen d’observations écrites, ni de vive voix.
[6] Le 29 octobre 2009, le CRTC a rendu la décision de télécom 2009‑678 [Examen de Globalive Wireless Management Corp. dans le cadre du régime de propriété et de contrôle canadiens] (plus tard modifiée légèrement par la décision de télécom 2009‑678‑1 rendue le 4 novembre 2009), par laquelle elle a conclu que Globalive était sous contrôle non canadien et, en conséquence, qu’elle n’était pas admise à opérer comme entreprise de télécommunication. Le jour suivant, le ministre de l’Industrie a annoncé qu’il avait l’intention de réviser la décision du CRTC. Il a invité les participants aux audiences du CRTC ainsi que les provinces à présenter des observations. Le ministre a également reçu des commentaires de parties dont les points de vue n’avaient pas été directement sollicités, notamment Public Mobile.
[7] Le 10 décembre 2009, la gouverneure en conseil a pris le décret, en concluant que Globalive n’était pas sous contrôle non canadien et qu’elle était donc admise à opérer au Canada.
La législation pertinente
[8] L’article 7 de la Loi énonce les objectifs de la politique canadienne en matière de télécommunication :
7. La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à : a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;
b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;
c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;
d) promouvoir l’accession à la propriété des entreprises canadiennes, et à leur contrôle, par des Canadiens;
e) promouvoir l’utilisation d’installations de transmission canadiennes pour les télécommunications à l’intérieur du Canada et à destination ou en provenance de l’étranger;
f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire;
g) stimuler la recherche et le développement au Canada dans le domaine des télécommunications ainsi que l’innovation en ce qui touche la fourniture de services dans ce domaine;
h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;
i) contribuer à la protection de la vie privée des personnes. |
Politique |
[9] Le paragraphe 16(1) [mod. par L.C. 2010, ch. 12, art. 2184] de la Loi énonce les exigences qui permettent à une entreprise d’opérer comme « entreprise de télécommunication » (un terme large [défini au paragraphe 2(1) de la Loi] signifiant un « [p]ropriétaire ou exploitant d’une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis par lui-même ou une autre personne des services de télécommunication au public moyennant contrepartie »). La première exigence est que l’entreprise soit la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien. Selon le paragraphe 16(3), trois exigences permettent de déterminer si une entreprise est la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien : a) au moins 80 pour 100 des administrateurs de la société sont des Canadiens; b) au moins 80 pour 100 des actions avec droit de vote de la personne morale sont la propriété effective de Canadiens; c) la personne morale n’est pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens (exigence à laquelle il est fait souvent référence comme étant le critère du « contrôle de fait ») :
16. (1) Est admise à opérer comme entreprise de télécommunication l’entreprise canadienne qui : a) soit est une personne morale constituée ou prorogée sous le régime des lois fédérales ou provinciales et est la propriété de Canadiens et sous contrôle canadien;
b) soit n’est propriétaire ou exploitante que d’une installation de transmission visée au paragraphe (5). […] |
Admissibilité |
(3) Pour l’application du paragraphe (1), est la propriété de Canadiens et est contrôlée par ceux-ci la personne morale : a) dont au moins quatre-vingts pour cent des administrateurs sont des Canadiens;
b) dont au moins quatre-vingts pour cent des actions avec droit de vote émises et en circulation sont la propriété effective, directe ou indirecte, de Canadiens, à l’exception de celles qui sont détenues à titre de sûreté uniquement;
c) qui n’est pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens. |
Contrôle et propriété canadiens |
(4) Il est interdit à l’entreprise canadienne d’opérer comme entreprise de télécommunication si elle n’y est pas admise aux termes du présent article. |
Interdiction |
[10] Le paragraphe 12(1) de la Loi autorise le gouverneur en conseil à modifier ou annuler une décision du CRTC dans l’année suivant la décision du CRTC :
12. (1) Dans l’année qui suit la prise d’une décision par le Conseil, le gouverneur en conseil peut, par décret, soit de sa propre initiative, soit sur demande écrite présentée dans les quatre-vingt-dix jours de cette prise, modifier ou annuler la décision ou la renvoyer au Conseil pour réexamen de tout ou partie de celle-ci et nouvelle audience. |
Modification, annulation ou réexamen |
Les décisions des instances inférieures
La décision du CRTC
[11] Le CRTC a d’abord considéré les deux premiers volets du critère de la propriété et du contrôle au paragraphe 16(3) de la Loi : l’exigence que 80 pour 100 des administrateurs soient des Canadiens et qu’au moins 80 pour 100 des actions avec droit de vote soient la propriété effective de Canadiens. Il a statué qu’il était satisfait à ces deux exigences sur le fondement des faits non contestés.
[12] Sur la question de la composition du conseil d’administration, neuf des onze administrateurs de Globalive doivent être des Canadiens en vertu de ses ententes entre actionnaires et le CRTC a donc conclu que la société satisfaisait à l’alinéa 16(3)a).
[13] L’exigence relative à la propriété découle de l’alinéa 16(3)b). Le terme « Canadien » est défini, aux fins de l’article 16 de la Loi, au paragraphe 2(2) du Règlement sur la propriété et le contrôle des entreprises de télécommunication canadiennes, DORS/94-667 (le Règlement). Selon cette disposition, le « Canadien » est défini comme, entre autres choses, une « personne morale qualifiée ». Ce dernier terme est lui‑même défini au paragraphe 2(1) du Règlement comme une personne morale dont au moins les deux-tiers des actions avec droit de vote sont détenues par des Canadiens et qui n’est pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens. Globalive Holdings détient la propriété exclusive de Globalive. Comme 66,68 pour 100 de ses actions avec droit de vote sont détenues par AAL, le CRTC a statué que Globalive Holding se qualifie elle‑même comme canadienne en vertu du Règlement.
[14] Le CRTC s’est ensuite penché sur l’exigence énoncée à l’alinéa 16(3)c) voulant que Globalive ne soit pas par ailleurs contrôlée par des non-Canadiens. Le CRTC a statué que Globalive ne satisfaisait pas à cette exigence. Le CRTC a appliqué le critère énoncé par l’Office national des transports du Canada dans sa décision sur les Lignes aériennes Canadien, 297‑A‑1993 [Examen d’un projet d’acquisition d’un intérêt dans les Lignes aériennes Canadien International ltée] :
Il n’existe pas une définition de ce que constitue le contrôle de fait, mais, en général, il s’agit du pouvoir ou de la capacité, exercé ou non, de décider de l’orientation du processus décisionnel d’une entreprise sur ses activités. On peut également l’interpréter comme étant la capacité de gérer les activités quotidiennes d’une entreprise. En général, les actionnaires minoritaires et leurs membres désignés du conseil d’administration sont en mesure d’exercer une influence sur la compagnie au même titre que d’autres personnes comme des banquiers et des employés. Cette influence qui peut s’exercer au moyen du droit de veto, qu’elle soit positive ou négative, se doit d’être prépondérante ou déterminante pour être qualifiée de contrôle de fait.
[15] Le CRTC a exprimé la préoccupation qu’un certain nombre d’aspects de l’organisation de l’entreprise de Globalive donne à Orascom de l’influence, notamment : a) le droit d’Orascom de nommer des administrateurs; b) des limitations aux droits d’AAL de céder ses capitaux propres dans Globalive Holdings; c) l’étendue des droits de veto d’Orascom sur les décisions de la société; et d) les ententes entre Globalive et Orascom en vertu desquelles Orascom fournit à Globalive des services techniques et lui accorde le droit d’utiliser la marque de commerce WIND d’Orascom. Cependant, le CRTC a souligné que cette combinaison de facteurs ne permettait pas de conclure qu’Orascom exerçait une influence « dominante et déterminante » sur Globalive (décision du CRTC, au paragraphe 117).
[16] L’élément déterminant pour le CRTC était le fait qu’Orascom a fourni environ 99 pour 100 du financement par emprunt de Globalive, soit au total environ 508,4 millions de dollars. Selon le CRTC, « l’ampleur de la dette et les accords de financement par emprunt peuvent révéler d’importants indices sur la source d’influence » (décision du CRTC, au paragraphe 104). La dépendance de Globalive envers Orascom — qui, selon la conclusion du CRTC, risque fort bien d’augmenter dans l’avenir — ainsi que l’incapacité manifeste de Globalive de trouver d’autres sources de financement créaient une situation dans laquelle Orascom pouvait exercer de manière continuelle une grande influence sur Globalive. Cette dette combinée aux autres préoccupations du CRTC ont mené celui‑ci à conclure que Globalive était sous le contrôle de fait d’Orascom, une personne morale non canadienne (la décision CRTC, aux paragraphes 104 à 112 et 118). Le CRTC a par conséquent statué que Globalive était actuellement inadmissible à opérer une entreprise de télécommunication canadienne.
Le décret
[17] Le décret contient un préambule de 24 paragraphes non numérotés ainsi qu’une annexe qui analyse les mêmes éléments de l’organisation d’entreprise de Globalive que le CRTC avait examinés.
[18] La gouverneure en conseil a d’abord exposé les conclusions du CRTC ayant trait au contrôle de Globalive. Pour faciliter la consultation, j’ai numéroté les paragraphes du préambule [les « Attendu[s] »] dans l’ordre dans lequel ils se suivent dans le décret :
[2] Attendu que, dans la décision, le Conseil a conclu que Globalive Wireless Management Corp. (« Globalive ») ne satisfaisait pas aux exigences de propriété et de contrôle canadiens énoncées à l’article 16 de la Loi sur les télécommunications (« la Loi ») et qu’elle n’est donc pas admise, à l’heure actuelle, à opérer comme entreprise de télécommunication canadienne;
[3] Attendu que, dans la décision, le Conseil soulève quatre questions préoccupantes relatives au contrôle de fait, soit la gouvernance de l’entreprise, les droits des actionnaires, les ententes commerciales et la participation économique de non-Canadiens;
[4] Attendu que, dans la décision, le Conseil a énuméré les changements que Globalive devait apporter à sa structure et à ses documents, à savoir la composition des conseils d’administration, la définition de « acheteur admissible » et le seuil relatif au droit de veto, pour dissiper ses préoccupations;
[5] Attendu que, dans la décision, le Conseil a conclu que, malgré les changements apportés à la structure et aux documents de Globalive et à condition que les autres changements requis soient apportés, les moyens dont dispose toujours le non-Canadien pour exercer de l’influence — le fait qu’il détient 65 pour cent du financement par capitaux propres, qu’il constitue la source principale du savoir-faire technique et qu’il fournit l’accès à une marque de commerce établie dans le domaine du sans-fil — ne l’aurait pas amené à conclure que Globalive ne satisfait pas aux exigences de propriété et de contrôle canadiens, si ce n’est que ce même non-Canadien fournit à celle-ci la plus grande partie de son financement par emprunt;
[19] La gouverneure en conseil était d’accord avec le CRTC pour dire que le critère énoncé dans Lignes aériennes Canadien s’appliquait et que « la combinaison de plusieurs moyens d’influencer peut se traduire en contrôle de fait » (paragraphes 15 et 17 du préambule). En l’espèce, toutefois, la gouverneure en conseil a conclu que l’influence d’Orascom sur Globalive n’équivalait pas à un contrôle dominant et déterminant (paragraphe 18 du préambule). Après avoir tiré cette conclusion, la gouverneure en conseil a fait observer ce qui suit :
[22] Attendu que la gouverneure en conseil estime que la décision prive les Canadiens de la possibilité d’un marché des télécommunications sans fil plus concurrentiel en empêchant le lancement d’un service au public par une compagnie appartenant à des canadiens et sous contrôle par eux;
[23] Attendu que la gouverneure en conseil considère que le présent décret se fonde sur des faits propres à ce cas et n’a des répercussions directes importantes que sur Globalive;
[20] La gouverneure en conseil a fait référence dans le préambule à certaines questions de politique :
[6] Attendu que la politique canadienne en matière de télécommunications a entre autres comme objectif de permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunications sûrs, abordables et de qualité, de promouvoir l’accession à la propriété des entreprises canadiennes, et à leur contrôle, par des Canadiens et d’accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;
[7] Attendu que le ministre de l’Industrie a pris des mesures dans le cadre des enchères du spectre des services sans fil évolués, en 2007-2008, pour favoriser l’émergence et la participation des nouveaux venus et de ce fait stimuler la concurrence et l’innovation sur le marché canadien des télécommunications sans fil, et de répondre aux besoins des utilisateurs canadiens des services de télécommunications en vue d’obtenir une réduction des prix et une amélioration du service et des choix offerts aux consommateurs et aux entreprises;
[…]
[10] Attendu que la gouverneure en conseil considère que, dans la mesure du possible, le fait de satisfaire aux exigences de propriété et de contrôle canadiens devrait appuyer les objectifs de la politique canadienne en matière de télécommunication énoncés dans la Loi, notamment accroître la concurrence sur le marché des télécommunications;
[11] Attendu que les exigences de propriété et de contrôle canadiens restreignent le droit de propriété d’actions avec droit de vote de non-Canadiens, mais que la Loi ne limite pas l’investissement étranger dans les entreprises de télécommunication et que celle-ci devrait s’interpréter de manière à favoriser l’accès aux capitaux, à la technologie et au savoir-faire étrangers dans le but d’appuyer tous les objectifs de la politique canadienne en matière de télécommunication;
[21] La gouverneure en conseil a ordonné que la décision du CRTC soit modifiée « conformément à l’annexe ci‑après ».
[22] L’annexe expose des motifs additionnels à l’appui de la décision de la gouverneure en conseil sur le contrôle de fait. La différence la plus significative entre les raisonnements du CRTC et de la gouverneure en conseil porte sur le rôle d’Orascom de fournir la plus grande partie du financement de Globalive. Il sera utile de citer entièrement le raisonnement de la gouverneure en conseil sur ce point dans l’annexe :
15. La loi ne prévoit aucune restriction quant au montant des créances qu’une entité non canadienne peut avoir sur une entreprise de télécommunication canadienne. Toutefois, l’ampleur de la dette et les accords de financement par emprunt peuvent être un indice d’influence selon le critère du contrôle de fait.
16. Dans le cas présent, Orascom, principal actionnaire non canadien, a consenti la majorité des prêts constituant la dette actuelle de Globalive, laquelle représente la plus grande part du financement total de Globalive, quoique celle-ci ait été en mesure d’obtenir un financement substantiel auprès de tiers vendeurs.
17. La concentration des capitaux d’emprunt et des capitaux propres entre les mains d’une seule entité n’est pas en soi un facteur déterminant de contrôle; cependant, elle peut donner l’occasion d’exercer de l’influence. Dans des circonstances telles que celle-ci, lorsqu’une entreprise est largement financée par emprunt, elle est susceptible de subir une influence importante de la part de son créancier. Les modalités de ce financement par capitaux propres et par emprunt sont de la plus grande importance dans ce cas pour évaluer si le degré d’influence qui en découle, dans l’ensemble, équivaut au contrôle par le non-Canadien en soi ou compte tenu d’autres moyens d’influence.
18. Quoique l’importance du financement par emprunt provenant d’Orascom, le ratio relatif capitaux d’emprunt/capitaux propres et le fait que le financement par emprunt provienne d’une seule source soulèvent des préoccupations relatives à l’influence que pourrait exercer Orascom, l’élimination des clauses restrictives (tant positives que négatives), l’absence de droits de conversion, la prolongation de la durée du prêt et les droits de renouvellement (élément de stabilité pour Globalive), le droit de Globalive de retirer ou de remplacer l’emprunt sans pénalité et la modification des dispositions relatives au défaut de paiement du prêt contribuent beaucoup à dissiper ces préoccupations. La capacité d’Orascom de se servir des prêts existants ou des modalités de ces prêts comme moyens d’influence est suffisamment atténuée.
19. L’appel à des non-Canadiens pour un futur financement ne détermine pas en soi le contrôle; toutefois, elle peut créer une possibilité d’influence. Lors des représentations orales faites dans le cadre de l’audience publique, Globalive a précisé qu’Orascom et AAL avaient prévu recourir essentiellement à un financement externe pour capitaliser Globalive. Toutefois, après la clôture de la vente aux enchères du spectre réservé aux services sans fil évolués les efforts de Globalive pour obtenir un financement externe afin de remplacer Orascom ont coïncidé avec un resserrement majeur des marchés du crédit. Orascom a fait savoir qu’elle ne voulait pas rester le principal prêteur de Globalive et qu’elle entend transférer ses prêts à un tiers externe. Quoique, pour le moment, Orascom reste la principale source de financement par emprunt de Globalive à moyen terme, on s’attend à ce que Globalive soit en mesure de se procurer des investissements de tiers dans l’avenir.
20. En résumé, une telle concentration de la dette entre les mains d’Orascom lui permet d’influencer Globalive. Toutefois, compte tenu d’une part, des modalités exceptionnelles des accords de prêts qui restreignent de façon importante les protections accordées au prêteur et, d’autre part, les droits de Globalive de renouveler l’emprunt pendant une période pouvant aller jusqu’à six ans ou de le retirer à son entière discrétion, sans pénalité (de sorte que les emprunts ne sont pas précaires), le financement par emprunt fourni par Orascom ne lui permet pas d’exercer un contrôle de fait sur les décisions de Globalive, tant sur le plan stratégique que sur le plan opérationnel.
Il est clair que la gouverneure en conseil a tranché la question du contrôle de fait sans faire référence à aucune question de politique.
La décision de la Cour fédérale
[23] Le juge de première instance a d’abord statué que Public Mobile avait qualité pour contester le décret. Il a également statué que la norme de contrôle applicable au décret était celle de la décision correcte.
[24] Selon le juge de première instance, le décret contenait deux erreurs susceptibles de contrôle. Premièrement, en déclarant dans le paragraphe 11 du préambule que la Loi devait être interprétée de manière à favoriser l’accès aux capitaux, à la technologie et au savoir‑faire étrangers, la gouverneure en conseil a ajouté un « nouvel » objectif aux objectifs de politique énoncés dans la Loi et elle a par conséquent considéré un facteur non pertinent (voir motifs, au paragraphe 107). Deuxièmement, la gouverneure en conseil « a outrepassé les dispositions de la Loi sur les télécommunications » en déclarant au paragraphe 23 du préambule que sa décision n’avait de répercussions que sur Globalive (voir motifs, au paragraphe 118). Le juge de première instance a statué que la gouverneure en conseil ne pouvait pas restreindre son interprétation de la Loi à une seule personne.
[25] Le juge de premiére instance a en conséquence annulé le décret.
Analyse Le juge de première instance a en conséquence annulé le décret.
Analyse
La norme de contrôle
[26] Tout d’abord, « contrairement [aux tribunaux], [le gouverneur en conseil] peut substituer ses vues concernant l’intérêt public à celles de la Commission » (CSP Foods Ltd. c. Commission canadienne des transports, [1979] 1 C.F. 3 (C.A.) (CSP Foods), aux pages 9 et 10; voir aussi l’arrêt Davisville Investment Co. Ltd. and City of Toronto et al., Re (1977), 15 O.R. (2d) 553 (C.A.), aux pages 555 et 556). Une décision du CRTC peut être examinée de deux manières. Il peut en être appelé directement à la Cour avec son autorisation en vertu de l’article 64 [mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 206(F)] de la Loi, et il est alors probable que les questions de fait ainsi que de droit seront examinées suivant la norme de la décision raisonnable (voir TELUS Communications Company c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2010 CAF 191, aux paragraphes 33 et 34). La décision peut également être révisée par le gouverneur en conseil en vertu de l’article 12. Il s’agit d’une procédure très différente de l’appel prévu à l’article 64 et le gouverneur en conseil révise la décision du CRTC en reprenant l’affaire depuis le début. La Cour procède par conséquent au contrôle du décret. Tous les éléments du décret peuvent faire l’objet du contrôle judiciaire.
[27] L’avocat du procureur général a soutenu que les décrets ne sont pas susceptibles de contrôle, sauf en cas [traduction] « d’erreur de compétence » et seulement dans [traduction] « les cas les plus flagrants ». Il s’est appuyé à cet égard sur l’arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735 (Inuit Tapirisat), de la Cour suprême. Cette affaire concernait un décret pris en vertu de l’article 64 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, ch. N-17, la disposition remplacée par l’article 12 de la Loi. Au nom des juges unanimes, le juge Estey a conclu à la page 756 que « le gouverneur en conseil a entière discrétion dans la mesure où il respecte les limites fixées à sa compétence par le par. 64(1) ». L’avocat s’est également appuyé sur l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106, dans lequel le juge Dickson (tel était alors son titre) a écrit ce qui suit, à la page 111: « Comme je l’ai déjà indiqué, bien qu’un décret du Conseil puisse être annulé pour incompétence ou pour tout autre motif péremptoire, seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure. »
[28] En parlant dans l’arrêt Inuit Tapirisat du contrôle des décrets pour des motifs de compétence, la Cour a invoqué un concept utilisé en droit administratif applicable à l’époque. Le terme [traduction] « question de compétence » avait alors une signification beaucoup plus large et comprenait ce qui aujourd’hui serait considéré comme de simples erreurs de droit ou d’autres lacunes susceptibles de contrôle. Comme le juge Stratas l’a fait remarquer dans l’arrêt C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, aux paragraphes 41 et 42 :
Jadis, les cours de justice intervenaient dans les décisions préliminaires ou interlocutoires rendues par des organismes administratifs, des fonctionnaires ou des tribunaux administratifs en qualifiant ces décisions de « questions préliminaires » portant sur la « compétence » (voir, par ex., l’arrêt Bell c. Ontario Human Rights Commission, [1971] R.C.S. 756). En qualifiant de « décisions portant sur la compétence » les décisions rendues par des tribunaux administratifs, les cours de justice n’hésitaient pas à substituer leur opinion de l’affaire à celle du tribunal administratif, et ce, même lorsque la loi leur interdisait dans les termes les plus nets de le faire.
Le recours à l’étiquette « compétence » pour justifier l’intervention des tribunaux judiciaires dans le déroulement d’un processus de prise de décision administratif ne convient tout simplement plus.
[29] Dans l’arrêt Inuit Tapirisat, la Cour suprême utilisait le terme « de compétence » au sens large qui a été rejeté depuis. À dire vrai, la Cour dans ce cas, à la page 752, a clairement reconnu que le gouverneur en conseil est limité par la loi et que sa décision n’est pas valide lorsqu’elle outrepasse les limites de cette loi :
Cependant, à mon avis, l’essentiel du principe de droit applicable en l’espèce est simplement que dans l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi, le gouverneur en conseil, comme n’importe quelle autre personne ou groupe de personnes, doit respecter les limites de la loi édictée par le Parlement ou la Législature. Y déroger déclenchera le rôle de surveillance de la cour supérieure qui a la responsabilité de faire appliquer la loi, c’est-à-dire de s’assurer que les actes autorisés par la loi sont accomplis en conformité avec ses dispositions ou qu’une autorité publique ne se dérobe pas à une obligation qu’elle lui impose.
Il s’agit exactement de la sorte d’erreur alléguée à l’encontre de la gouverneure en conseil en l’espèce.
[30] De plus, la Cour suprême a fait clairement savoir dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 27 et 28, que la primauté du droit requérait que tous les exercices du pouvoir public soient assujettis à l’examen des tribunaux. Ce principe ne se limite pas aux exercices d’un pouvoir par des tribunaux administratifs reconnus. Bien que certaines décisions puissent être susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, aucune n’est complètement à l’abri du contrôle judiciaire :
Sur le plan constitutionnel, le contrôle judiciaire est intimement lié au maintien de la primauté du droit. C’est essentiellement cette assise constitutionnelle qui explique sa raison d’être et oriente sa fonction et son application […]
La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue. [Non souligné dans l’original.]
[31] Dans l’arrêt Ligue des droits de la personne de B’nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307 (Odynsky), la Cour a examiné un décret selon la norme de la décision raisonnable. À mon avis, cette norme s’applique à la présente espèce. Les parties reconnaissent que la gouverneure en conseil a appliqué le bon critère juridique. L’application par la gouverneure en conseil du critère du contrôle de fait et les références qu’elle a faites aux objectifs de politique en matière de télécommunications étaient des questions mixtes de fait, de politique et de droit auxquelles la norme de la décision raisonnable s’applique (Dunsmuir, au paragraphe 51; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160 (Smith), au paragraphe 26). La nécessité de faire preuve de déférence est renforcée par la nature de la procédure de révision prévue à l’article 12. Plutôt que de donner à la Cour le droit exclusif d’examiner les décisions du CRTC, le Parlement a choisi de conférer un pouvoir de contrôle concurrent au gouverneur en conseil. Cela signifie que la nature de la décision n’est pas seulement une question étroite touchant au droit des sociétés, mais plutôt une question de politique ayant des répercussions importantes. Dans l’arrêt Odynsky, la Cour a fait un examen minutieux de la nature du pouvoir du gouverneur en conseil. Le juge Stratas y écrit, aux paragraphes 76, 78 et 79, 85 et 86 :
Pour préciser la portée d’un pouvoir discrétionnaire, il est parfois utile de se pencher sur la nature de l’entité à qui ce pouvoir discrétionnaire est reconnu. Aux termes du paragraphe 10(1) [de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29], c’est au gouverneur en conseil que le législateur a confié le soin de recevoir le rapport.
[…]
En pratique, cela veut dire qu’une loi qui confère au gouverneur en conseil un pouvoir de décision suppose une décision du Cabinet, c’est‑à‑dire d’une entité au sein de laquelle la politique générale de l’État est débattue de multiples points de vue représentant les divers intérêts des groupes qui composent le gouvernement.
Le législateur a‑t‑il vraiment voulu qu’aux termes du paragraphe 10(1), cet organisme ait uniquement pour tâche de fixer une date? Ou le législateur n’a‑t‑il pas entendu confier à cet organisme la tâche d’examiner l’ensemble de la situation, telle qu’exposée dans le rapport du ministre, et de se prononcer sur le fond en décidant de l’opportunité de révoquer la citoyenneté? Compte tenu de l’économie de la Loi en question, et du fait que c’est au gouverneur en conseil qu’appartient la décision finale, cette deuxième hypothèse me paraît plus vraisemblable.
[…]
Suivant la norme de la raisonnabilité, il ne nous appartient pas de constater les faits, de les apprécier à nouveau ou de substituer notre propre décision à celle du gouverneur en conseil. Notre tâche consiste plutôt à nous demander si la décision du gouverneur en conseil fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit […]
En cela, le paragraphe 10(1) ne propose au gouverneur en conseil aucun critère ni aucune formule à appliquer. La disposition en question laisse le gouverneur en conseil libre de faire intervenir des considérations de politique générale, mais ces considérations ne doivent aller à l’encontre ni des dispositions de la Loi ni de son objet […]
[32] Je fais miennes les déclarations du juge Stratas. Cependant, je ne peux pas souscrire à l’observation écrite de Globalive et du procureur général selon laquelle la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision raisonnable [traduction] « qui commande également un degré élevé de déférence ». Il ne s’agit pas d’une norme distincte de contrôle énoncée dans l’arrêt Dunsmuir (Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, au paragraphe 32; Mills v. Workplace Safety and Insurance Appeals Tribunal (Ont.), 2008 ONCA 436, 237 O.A.C. 71 (Mills), au paragraphe 18). L’arrêt Dunsmuir a éliminé la norme de la décision manifestement déraisonnable (soit essentiellement la raisonnabilité avec une retenue accrue) et a fait clairement ressortir qu’il n’existait plus désormais que deux normes de contrôle.
[33] Cependant, la Cour doit appliquer la norme de la raisonnabilité en ayant égard au contexte factuel et juridique, particulièrement en ce qui a trait à l’identité du décideur et à la nature de la décision visée par le contrôle (Telfer c. Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, au paragraphe 29; Mills, au paragraphe 22). Compte tenu de l’expertise du gouverneur en conseil et du fait que son rôle vise l’intérêt public, et compte tenu de la nature du décret, un large éventail de décisions appartiendra à la catégorie des issues raisonnables (Mills, au paragraphe 22).
[34] Bien que la Cour dans l’arrêt Inuit Tapirisat ait utilisé des termes ayant trait à la compétence pour expliquer une telle erreur, je ne crois pas que cette erreur touche véritablement à la compétence ou à la constitutionnalité au sens énoncé dans l’arrêt Dunsmuir. Il est vrai que Public Mobile et TELUS demandent à la Cour d’examiner si la gouverneure en conseil a correctement appliqué l’alinéa 16(3)c) de la Loi, mais l’erreur qu’elles allèguent ne concerne en réalité que l’interprétation législative (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, [2010] 3 R.C.F. 219, aux paragraphes 39, 49 et 50). Elles ne contestent pas que la gouverneure en conseil a le pouvoir de modifier la décision du CRTC lorsque les circonstances le justifient.
[35] Public Mobile et TELUS font valoir que la norme de contrôle applicable à la prise en compte des objectifs de politique énoncés à l’article 7 par la gouverneure en conseil dans son application du critère du contrôle de fait est celle de la décision correcte. Elles soutiennent qu’il s’agit d’une conclusion de droit qui appelle un contrôle selon la norme de la décision correcte. À l’appui de cette prétention, l’on pourrait soutenir que la Loi n’est pas une « loi constitutive » pour le gouverneur en conseil, puisque celui-ci se prononce sur des questions soulevées relativement à un grand nombre de lois très différentes. On ne saurait affirmer que chacune de ces lois est une loi constitutive. À l’appui de l’application de la norme de la décision raisonnable, rappelons le fait que le gouverneur en conseil intervient dans le cadre de ces lois et qu’elle constitue un organisme général voué à l’intérêt public et que les politiques peuvent avoir une incidence sur l’interprétation des lois. Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir (voir les paragraphes 51 à 64) et de l’arrêt Smith (voir le paragraphe 26), on ne sait pas exactement si c’est la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte qui s’applique au contrôle de l’interprétation de la Loi faite par la gouverneure en conseil. Cependant, il ne sera pas nécessaire que je règle cette question de manière définitive dans le présent appel. Je conclus ci‑dessous que la gouverneure en conseil n’a pas tenu compte des objectifs de politique énoncés à l’article 7 dans son application du critère du contrôle de fait. Or, je conclus également que, même si elle avait tenu compte des objectifs de politique à ce stade de son analyse, la gouverneure en conseil aurait eu raison de le faire.
La décision de la gouverneure en conseil
[36] Public Mobile et TELUS reconnaissent que Globalive satisfait aux exigences des alinéas 16(1)a) et 16(1)b) de la Loi. La question consiste par conséquent à savoir si Globalive est sous le contrôle de fait d’un non-Canadien.
[37] Un point important du litige entre les parties porte sur la structure du décret et sur le rôle que le paragraphe 11 du préambule a joué dans l’analyse de la gouverneure en conseil. Globalive et le procureur général font valoir que la gouverneure en conseil a appliqué le critère du contrôle de fait sans faire intervenir de considérations de politique. Les considérations de politique ne sont entrées en jeu que lorsque la gouverneure en conseil a décidé de modifier la décision du CRTC après avoir conclu que Globalive n’était pas sous le contrôle de fait d’un non-Canadien. Or selon Public Mobile et TELUS, l’application par la gouverneure en conseil du critère du contrôle de fait était fondée sur les considérations de politique visée au paragraphe 11 du préambule. À leur avis, la gouverneure a agi erronément et son erreur est susceptible de contrôle.
[38] Je donne raison à Globalive et au procureur général sur ce point. La gouverneure en conseil a d’abord abordé le contrôle. Même s’ils contiennent des déclarations de politique, les paragraphes 7, 8, 10 et 11 du préambule ne précisent pas quel rôle ces considérations de politique jouent dans la décision dans son ensemble. Dans le décret, l’analyse de fond commence au paragraphe 15 du préambule, lequel contient la décision, en droit, de la gouverneure en conseil d’appliquer le critère énoncé dans la décision Lignes aériennes Canadien :
[15] Attendu que la gouverneure en conseil convient avec le Conseil que le critère approprié pour établir le contrôle de fait a été énoncé dans la décision sur les Lignes aériennes Canadien de l’Office national des transports, citée aux paragraphes 34 et 35 de la décision;
[16] Attendu que la gouverneure en conseil reconnaît que le Conseil a conclu que Globalive ne répond pas aux exigences de propriété et de contrôle après avoir examiné plusieurs facteurs qui permettent à l’actionnaire non-canadien d’exercer une influence et qui, pris ensemble, constituent, à son avis, un contrôle de fait;
[17] Attendu que la gouverneure en conseil reconnaît que la combinaison de plusieurs moyens d’influencer peut se traduire en contrôle de fait, mais que ce n’est pas [le] cas de Globalive;
[18] Attendu que la gouverneure en conseil considère, après avoir soigneusement examiné les faits et les représentations présentées au Conseil, qu’il est raisonnable de conclure, pour les raisons indiquées dans le présent décret, que Globalive n’est pas contrôlée par des non-Canadiens et qu’elle satisfait par conséquent aux exigences de propriété et de contrôle canadiens énoncés dans la Loi, ce qui la rend admise à opérer à titre d’entreprise de télécommunication au Canada;
[39] Le paragraphe 18 du préambule constitue le résultat de l’application aux faits du critère énoncé dans la décision Lignes aériennes Canadien. La référence aux « raisons indiquées dans le présent décret » doit être comprise comme une référence à l’annexe, laquelle donnait les raisons précises pour lesquelles la gouverneure en conseil a conclu que Globalive n’était pas sous contrôle d’un non‑Canadien. Il n’est nullement fait mention des objectifs de politique, ni dans les paragraphes 15 à 18 du préambule, ni dans les motifs détaillées énoncés à l’annexe et il n’est nullement indiqué non plus que les considérations de politique ont joué un rôle dans cette partie de la décision de la gouverneure en conseil. La gouverneure en conseil a considéré les mêmes faits et le même droit que le CRTC, mais elle a simplement tiré des conclusions différentes. Ce point est également étayé par la déclaration de la gouverneure en conseil au paragraphe 12 du préambule selon lequel le critère prévu par la Loi pour établir la propriété et le contrôle canadiens comprend des exigences « de droit et de fait ». Il n’a été fait mention d’aucun élément de politique.
[40] Après avoir décidé que Globalive n’était pas sous contrôle d’un non-Canadien, la gouverneure en conseil s’est ensuite demandé s’il convenait de modifier la décision du CRTC :
[19] Attendu que le paragraphe 12(1) de la Loi prévoit que, dans l’année qui suit une décision du Conseil, le gouverneur en conseil peut, de sa propre initiative, modifier cette décision;
Dès lors les considérations de politique soulevées aux paragraphes 7, 8, 10 et 11 du préambule sont devenues pertinentes.
[41] À mon avis, le paragraphe 22 du préambule constitue l’indication la plus claire que les considérations de politique n’ont joué un rôle qu’à ce stade de l’analyse de la gouverneure en conseil et que la gouverneure en conseil, avant de considérer les questions de politique, avait déjà décidé que Globalive n’était pas sous le contrôle d’un non‑Canadien. Pour être précis, la gouverneure en conseil disait en effet que les Canadiens avaient droit à un marché de télécommunications sans fil plus compétitif et qu’il y serait fait obstacle si Globalive, une société appartenant à des Canadiens et sous contrôle canadien, était empêchée d’opérer :
[22] Attendu que la gouverneure en conseil estime que la décision prive les Canadiens de la possibilité d’un marché des télécommunications sans fil plus concurrentiel en empêchant le lancement d’un service au public par une compagnie appartenant à des canadiens et sous contrôle par eux; [Non souligné dans l’original.]
[42] Il est clair que la gouverneure en conseil a fondé sa décision de modifier la décision du CRTC au moins en partie sur le fondement politique que la décision du CRTC nuirait à la concurrence dans le marché des télécommunications sans fil. Il s’agit essentiellement de l’application des objectifs de politique énoncés aux paragraphes 7, 8, 10 et 11 du préambule. Cependant, comme l’indique le paragraphe 22 du préambule, cette décision de politique reposait sur la conclusion déjà tirée par la gouverneure en conseil que Globalive était « une compagnie appartenant à des canadiens et sous contrôle par eux ».
[43] De plus, il ressort aussi très clairement des paragraphes 22 à 24 de l’annexe que la gouverneure en conseil avait tranché la question du contrôle sans faire référence à aucune considération de politique :
22. Malgré ces changements, certains éléments permettent encore à Orascom d’exercer une influence sur Globalive. Toutefois, compte tenu de la structure actuelle et des arrangements existants entre actionnaires de Globalive, y compris les modalités des ententes entre actionnaires et des accords de financement, il est raisonnable de conclure que, dans les circonstances actuelles, ces éléments pris ensemble, ne constituent pas, entre les mains d’Orascom, une source d’influence dominante ou déterminante. Autrement dit, Orascom n’a pas le pouvoir ni de décider de l’orientation du processus décisionnel de Globalive sur ses activités ni de gérer les activités quotidiennes de Globalive.
23. À la lumière de ces constats, Globalive n’est pas contrôlée de fait par Orascom, une entité non canadienne. En conséquence, Globalive satisfait aux exigences énoncées à l’article 16 de la Loi et elle est admise à opérer à titre d’entreprise de télécommunication à l’heure actuelle.
24. La décision continuera par ailleurs à s’appliquer, sauf en cas d’incompatibilité avec le présent décret.
[44] Public Mobile et TELUS ne soutiennent pas que l’application par la gouverneure en conseil du critère du contrôle de fait, lequel se trouve énoncé surtout à l’annexe, était déraisonnable du fait qu’elle n’aurait pas été influencée par des considérations de politique. À mon avis, cette partie de l’analyse de la gouverneure en conseil était clairement raisonnable. La divergence entre le CRTC et la gouverneure en conseil provient des inférences ou conclusions factuelles que la gouverneure en conseil a tirées de la preuve. La gouverneure en conseil a simplement apprécié les éléments de manière différente et son appréciation était logique et justifiable.
[45] Se pose donc la question de savoir si la gouverneure en conseil était justifiée, après avoir conclu sans aucune considération de politique que Globalive n’était pas sous le contrôle de fait de non-Canadiens, de fonder sa décision de modifier la décision du CRTC sur des questions de politique. Public Mobile et TELUS n’ont pas affirmé qu’elle ne l’était pas. À mon avis, il était clairement loisible à la gouverneure en conseil de tenir compte de considérations de politique dans sa décision de modifier la décision du CRTC. En conférant à une entité polycentrique telle que le gouverneur en conseil a le pouvoir de modifier des décisions, le législateur a clairement indiqué qu’il avait prévu la possibilité que les décisions soient modifiées pour des raisons de politique générale. Comme la Cour l’a souligné, là encore relativement à la disposition qui a remplacé l’article 12[1] (CSP Foods, aux pages 9 et 10):
C’est un moyen permettant à l’Exécutif d’exercer un certain contrôle sur la Commission canadienne des transports pour s’assurer que les vues du gouvernement concernant l’intérêt public dans une situation donnée, fondées sur les faits établis par ce tribunal, peuvent être exprimées par l’Exécutif et qu’elles sont appliquées par des directives que ce dernier peut juger à propos de donner au tribunal par l’intermédiaire du gouverneur en conseil. Si je comprends bien, il s’agit d’un rôle de surveillance et non de tribunal d’appel. Le gouverneur en conseil ne s’occupe pas des questions de droit ou de compétence, lesquelles incombent aux tribunaux. Toutefois, contrairement à ceux-ci, il peut substituer ses vues concernant l’intérêt public à celles de la Commission.
[46] L’exercice du pouvoir de modifier une décision est censé être fondé sur les objectifs de politique en matière de télécommunications énoncés à l’article 7 de la Loi. En l’espèce, la gouverneure en conseil a fait référence à un certain nombre des objectifs qui y sont énumérés, dont ceux de permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions — rurales ou urbaines — du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité (alinéa 7b)), d’accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes (alinéa7c)), et de promouvoir l’accession à la propriété des entreprises canadiennes, et à leur contrôle, par des Canadiens (alinéa 7d)).
[47] Le juge de première instance a conclu (aux paragraphes 115 à 117) que la gouverneure en conseil avait commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle s’était également appuyé sur un objectif non mentionné à l’article 7, déclarant au paragraphe 11 du préambule que « la Loi […] devrait s’interpréter de manière à favoriser l’accès aux capitaux, à la technologie et au savoir-faire étrangers dans le but d’appuyer tous les objectifs de la politique canadienne en matière de télécommunication ». En toute déférence, je ne puis souscrire à la conclusion du juge de première instance qu’il s’agissait d’une erreur. Comme tout décideur, le gouverneur en conseil doit exercer son pouvoir en conformité avec l’objet de la loi pertinente (Odynsky, au paragraphe 86). Cependant, le fait de favoriser l’accès aux capitaux, à la technologie et au savoir‑faire étrangers peut servir quelques-uns des objectifs de politique énoncés à l’article 7, dont ceux de permettre l’accès aux Canadiens à des services de télécommunications sûrs, abordables et de qualité (alinéa 7b)), d’accroître l’efficacité et la compétitivité (alinéa 7c)), de favoriser le libre jeu du marché (alinéa 7f)), de stimuler la recherche et le développement (alinéa 7g)) et de satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication (alinéa 7h)).
[48] Il importe également de mentionner que la gouverneure en conseil a clairement reconnu que toutes les politiques non mentionnées dans la Loi devaient valoir dans les limites des objectifs précisés à l’article 7. Elle n’a jamais voulu donner une importance particulière à la promotion de l’investissement étranger. Son intention ressort du paragraphe 11 du préambule, lequel énonce que l’investissement étranger devait être favorisé « dans le but d’appuyer tous les objectifs de la politique canadienne en matière de télécommunication ».
[49] Ces motifs justifient d’accueillir l’appel. En outre, j’ajouterais, comme je l’explique plus loin, que, si la gouverneure en conseil avait en l’espèce tenu compte de considérations de politique appropriées en appliquant le critère du contrôle de fait, elle n’aurait pas commis une erreur susceptible de contrôle. Selon Public Mobile et TELUS, le critère énoncé au paragraphe 16(3) de la Loi prévoit ses propres ingrédients législatifs qui permettent de déterminer si une entreprise de télécommunication appartient à des Canadiens et est contrôlée par eux. Public Mobile et TELUS soutiennent qu’il n’est pas loisible au gouverneur en conseil, lorsqu’il applique ce critère, de considérer les objectifs de politique énoncés à l’article 7. Comme je l’ai fait remarquer ci‑dessus, j’ai supposé, sans me prononcer sur ce point, que la norme de contrôle applicable à cette question était celle de la décision correcte.
[50] À mon avis, le gouverneur en conseil n’est pas tenu de considérer la question du contrôle de fait exactement comme le serait un avocat de société. Là encore, le fait pour le législateur d’avoir choisi de conférer au gouverneur en conseil le droit de réviser l’application par le CRTC du critère du contrôle de fait signifie que la décision doit incorporer les considérations de politique lorsque les circonstances le justifient. Le critère du contrôle de fait est, en outre, nécessairement contextuel et quelque peu imprécis. La question de savoir en quoi consiste le contrôle de fait peut requérir de soupeser un certain nombre de facteurs concurrents. Le gouverneur en conseil peut légitimement considérer le contexte législatif pour décider comment il arrivera à cette pondération.
[51] Plus généralement, l’alinéa 16(3)c) est en fait étroitement lié aux objectifs énoncés à l’article 7. Il vise à répondre à la préoccupation qu’une société contrôlée par un non‑Canadien puisse être moins résolue qu’une société contrôlée par un Canadien à réaliser les objectifs de la politique en matière de télécommunication. En d’autres termes, le législateur a décidé qu’il était davantage probable que les sociétés contrôlées par des Canadiens favorisent la réalisation des objectifs visés à l’article 7, par exemple en investissant dans l’infrastructure des télécommunications au Canada ou en fournissant des services de télécommunications sûrs aux Canadiens dans les régions rurales. Par conséquent, la référence aux politiques énoncées à l’article 7 peut être pertinente pour déterminer si une société est en fait contrôlée par des Canadiens.
[52] Le juge de première instance a également conclu que la gouverneure en conseil a fait une erreur susceptible de contrôle en déclarant au paragraphe 23 du préambule que sa décision s’appliquait à Globalive et non à d’autres sociétés dans une situation similaire. S’il est vrai que Globalive et le procureur général ont affirmé que le juge de première instance a commis une erreur en s’appuyant sur le paragraphe 23 du préambule, ni Public Mobile, ni TELUS n’ont contesté leur affirmation. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas en quoi ce paragraphe du préambule pourrait affecter l’issue de la présente affaire.
La qualité de Public Mobile pour agir
[53] En toute déférence, bien que je ne souscrive pas aux motifs du juge de première instance sur cette question, j’estime qu’il a pris la bonne décision en reconnaissant que Public Mobile avait qualité pour demander le contrôle judiciaire du décret.
[54] Je crois que la qualité pour agir dans l’intérêt public doit être reconnue à Public Mobile. Le critère applicable à cette question a été énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236 (Conseil canadien des Églises). L’arrêt Conseil canadien des Églises concernait une affaire relative à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] visant la qualité pour agir d’un intervenant, mais le même test s’applique aux demandes de contrôle judiciaire et aux parties qui cherchent à se faire reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public (voir Odynsky, au paragraphe 59). La partie qui demande que lui soit reconnue la qualité pour agir dans l’intérêt public doit satisfaire aux critères suivants :
a. une question sérieuse à juger a été soulevée;
b. elle possède un intérêt véritable et direct quant à l’issue du litige;
c. il n’y a aucun autre moyen raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour.
[55] En voulant contester le décret, Public Mobile a clairement soulevé des questions sérieuses ayant trait à l’interprétation de la Loi ainsi qu’à l’application du critère du contrôle de fait en l’espèce. Il n’y a aucun moyen raisonnable et efficace de soumettre cette question à la cour autre que celui d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public. On ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que Globalive ou le procureur général conteste le décret. Seule Public Mobile l’a contesté.
[56] Si la qualité pour agir dans l’intérêt public n’était pas reconnue, le décret serait par conséquent à l’abri du contrôle judiciaire. Il est fondamental pour maintenir la primauté du droit d’assurer qu’aucune mesure gouvernementale n’échappe au contrôle des tribunaux. Dans l’arrêt Conseil canadien des Églises, la Cour suprême affirme que « l’objet fondamental de la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public est de garantir qu’une loi n’est pas à l’abri de la contestation » (à la page 256; voir aussi Hy and Zel’s Inc. c. Ontario (Procureur général); Paul Magder Furs Ltd. c. Ontario (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 675, à la page 692). Il importe de ne pas appliquer de manière mécanique les exigences qui concernent la qualité pour agir dans l’intérêt public (Corp. of the Canadian Civil Liberties Assn. v. Canada (Attorney General) (1998), 40 O.R. (3d) 489 (C.A.), aux pages 497 et 519 (motifs de la juge Charron), autorisation d’appel refusée, [1999] 1 R.C.S. vii). L’application du critère par la Cour devrait plutôt reposer sur le contexte factuel et sur les questions de politique en jeu, y compris le spectre que les mesures du gouvernement se trouvent à l’abri du contrôle des tribunaux et l’importance de la question soulevée par le demandeur pour le public (voir Odynsky, au paragraphe 61; Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.); Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society v. Canada (Attorney General), 2010 BCCA 439, 324 D.L.R. (4th) 1 (Downtown Eastside Sex Workers), au paragraphe 41).
[57] Il est certes vrai que les tribunaux doivent mettre en équilibre cette considération et l’importance de l’économie des ressources judiciaires conjuguée au fait d’empêcher que le contrôle judiciaire devienne entre concurrents une arme visant à éliminer la concurrence. Cependant, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les intérêts de tous les Canadiens sont en jeu à un degré inhabituel, les préoccupations qui portent sur le fait pour les actes publics de se trouver à l’abri des tribunaux deviennent primordiales. De telles préoccupations n’autorisent pas les tribunaux à ne pas appliquer le test énoncé dans l’arrêt Conseil canadien des Églises, mais j’estime que le présent contexte se prête à reconnaître à Public Mobile un intérêt suffisant dans l’issue du litige pour qu’elle obtienne la qualité pour agir dans l’intérêt public. Une distinction peut donc être établie entre l’affaire CanWest MediaWorks Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CAF 207, dans laquelle la Cour a statué qu’un intérêt commercial indirect ne constituait pas un intérêt véritable dans l’issue du litige permettant d’obtenir la qualité pour agir dans l’intérêt public, et la présente affaire. Il n’y avait aucune préoccupation dans l’affaire CanWest MediaWorks Inc. quant à la possibilité que les mesures gouvernementales soient à l’abri du contrôle judiciaire.
[58] Les avocats ont aussi fait brièvement référence au pouvoir discrétionnaire résiduel d’accorder la qualité pour agir, reconnu par la Cour suprême à la page 400 de l’arrêt Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest (Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367 (Institut professionnel), et au paragraphe 33 de l’arrêt Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157 (Richardson). Cependant, les tribunaux n’ont pas encore clairement précisé la nature et l’étendue de ce pouvoir discrétionnaire (voir Morgentaler c. Nouveau-Brunswick, 2009 NBCA 26, 344 R.N.-B. (3e) 39, au paragraphe 34; Downtown Eastside Sex Workers, au paragraphe 98 (motifs du juge Groberman, de la Cour d’appel, dissident à d’autres égards)). Comme j’ai conclu que Public Mobile a qualité pour agir dans l’intérêt public, il n’est pas nécessaire que j’examine si elle aurait également eu qualité pour agir en vertu du pouvoir discrétionnaire résiduaire établi par la Cour suprême dans l’arrêt Institut professionnel et dans l’arrêt Richardson.
Conclusion
[59] Les appels seront par conséquent accueillis et le décret rétabli. Globalive et le procureur général ont droit aux dépens dans toutes les instances. Aucuns dépens ne sont adjugés en faveur des intervenants ni contre eux.
La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge Stratas, J.C.A. : Je suis d’accord.
[1] Jusqu’à l’entrée en vigueur de la Loi sur les télécommunications en 1993, le CRTC était régi par la Loi sur les transports nationaux [L.R.C. (1985), ch. N-20]. Le pouvoir de révision du gouverneur en conseil en vertu de cette loi s’appliquait aux décisions et de la Commission canadienne des transports et du CRTC.