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[2009] 1 R.C.F.                                         genencor international, inc. c. canada                                                                  

T-262-06

2008 CF 608

Genencor International, Inc. (appelante)

c.

Commissaire aux brevets et Procureur général du Canada (intimés)

Répertorié : Genencor International, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets) (C.F.)

Cour fédérale, juge GibsonMontréal, 6 février, 6 mars; Ottawa, 15 mai 2008.

                Brevets — Pratique — Appel interjeté en vertu de l’art. 48.5 de la Loi sur les brevets à l’encontre de la décision de réexamen du commissaire des brevets annulant le brevet de l’appelante — Norme de contrôle dans le contexte d’un appel prévu par la loi — La Loi sur les brevets ne prévoit rien quant à la façon de donner suite à l’appel — Une analyse pragmatique et fonctionnelle s’imposait — Les questions de fond étaient des questions mixtes de fait et de droit qui relevaient de l’expertise du conseil dans le contexte d’un régime législatif conçu pour simplifier les choses — Vu le haut niveau de retenue judiciaire qui doit être accordé au conseil, la norme de contrôle applicable aux questions de fond était celle de la « raisonnabilité » — L’omission du conseil de réexamen de faire parvenir les observations additionnelles de la partie qui a initié la demande à l’appelante et de lui donner la possibilité d’y répondre ne constituait pas un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale — La partie qui initie la demande n’est pas une « partie » à la procédure de réexamen; elle n’aurait d’ailleurs pu l’être selon le régime prévu à la Loi — Le droit de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre ne s’applique pas aux documents soumis durant une procédure de réexamen, mais qui ne constituent pas des éléments de preuve matérielle devant être soumis au conseil — Le conseil de réexamen n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du brevet de Genencor — Le conseil de réexamen n’a pas la même responsabilité que les tribunaux dans le cadre d’une action en invalidation — Le conseil n’a pas appliqué le mauvais critère pour évaluer s’il y avait antériorité et n’a pas mal appliqué ce critère — Même si le conseil n’a pas dressé la liste des « éléments essentiels » du brevet de Genencor dans ses motifs, il était possible d’en déduire que chacune des questions examinées et analysées dans la décision étaient « essentielles » au brevet de Genencor et constituaient la totalité des questions essentielles à ce brevet.

                Il s’agissait d’un appel intenté en vertu de l’article 48.5 de la Loi sur les brevets à l’encontre de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a annulé le brevet canadien no 2093422 (le brevet de Genencor) de l’appelante après que Novozymes A/S a demandé le réexamen de ce brevet conformément au paragraphe 48.1(1). Dans sa demande, Novozymes s’est fondée sur huit antériorités, qui ont soulevé un point de fond vis-à-vis de l’évidence. Après avoir présenté sa demande initiale de réexamen, Novozymes a déposé des observations supplémentaires auprès du conseil de réexamen à deux reprises. Ces observations n’ont pas été communiquées à l’appelante et, par conséquent, celle-ci n’a pas eu la possibilité d’y répondre. Le conseil de réexamen a conclu que les antériorités devançaient les revendications du brevet de Genencor. Les questions litigieuses étaient celles de savoir quelle était la norme de contrôle applicable; si le conseil avait enfreint les principes de justice naturelle ainsi que l’équité procédurale; si le conseil avait commis une erreur dans son interprétation des revendications du brevet de Genencor; si le conseil avait appliqué le mauvais critère pour évaluer s’il y avait antériorité ou avait mal appliqué ce critère; et si le conseil avait commis une erreur en concluant que les antériorités devançaient les revendications du brevet de Genencor.

                Jugement : l’appel doit être rejeté.

                La Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, qui traitait de façon détaillée de la question de la norme de contrôle dans le contexte d’une révision judiciaire, le jour suivant le dépôt des observations en l’espèce quant à la norme de contrôle applicable. Bien que cette décision ait été prononcée dans un contexte différent, l’arrêt était, jusqu’à un certain point, instructif dans le contexte d’un appel prévu par la loi. Comme l’article 48.5 de la Loi sur les brevets prévoit expressément l’appel à la Cour fédérale des décisions de conseils de réexamen, l’appel en l’espèce cadrait clairement avec les paramètres de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. La décision du conseil de réexamen ne pouvait faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec la Loi sur les brevets. Malheureusement, la Loi sur les brevets ne prévoit rien à cet égard. Par conséquent, la Cour a dû se livrer à une analyse pragmatique et fonctionnelle (remplacée dans l’arrêt Dunsmuir par une analyse relative à la norme de contrôle). 1) Le facteur relatif à la clause privative ou au droit d’appel était neutre. 2) Comme les conseils de réexamen détiennent une expertise considérable s’agissant de leurs mandats, ce facteur justifiait un haut niveau de retenue judiciaire. 3) En adoptant le processus de réexamen, le législateur a reconnu l’expertise de ceux qui constituent les conseils de réexamen. Le recours au processus de réexamen n’empêche pas une partie de se prévaloir de l’action en invalidation. Un appel comme celui en l’espèce n’est sollicité que lorsque le réexamen fait en sorte qu’un brevet est réputé n’avoir jamais été délivré ou perd une partie de sa portée. Le facteur relatif au régime de réexamen milite en faveur d’une norme de contrôle favorisant un plus grand degré de retenue judiciaire. 4) Le conseil a rendu sa décision en se fondant sur le pouvoir et le mandat qui lui sont expressément conférés par la loi. Les questions de fond dont il était saisi étaient des questions mixtes de fait et de droit, et elles relevaient de son expertise dans le contexte d’un régime législatif conçu pour simplifier les choses. Vu le haut niveau de retenue judiciaire qui doit être accordé au conseil, la norme de contrôle applicable aux questions de fond était celle de la raisonnabilité. Comme les intimés n’ont produit aucune observation, la Cour a eu beaucoup de mal à rendre ses motifs à cet égard. Si ses conclusions sont erronées et que la norme de contrôle applicable est la même que pour une action en invalidation, la position de la Cour sera insoutenable sur les questions de fond. La solution réside dans un choix politique que doit faire le Parlement; ce n’est pas une question qui relève de la Cour.

                L’omission du conseil de réexamen de faire parvenir les observations additionnelles de Novozymes à l’appelante et de lui donner la possibilité d’y répondre ne constituait pas un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. Novozymes n’était pas « partie » à la procédure de réexamen aux dates où elle a présenté ses observations additionnelles; elle n’aurait d’ailleurs pu l’être, selon le régime de réexamen prévu à la Loi, une fois la procédure de réexamen initiée. Qui plus est, ces observations additionnelles n’ont pas été versées aux dossiers du conseil de réexamen ni transmises à ses membres. Le droit de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre ne s’applique pas aux documents soumis à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada durant une procédure de réexamen, mais qui ne constituent pas des éléments de preuve matérielle devant être soumis au conseil.

                Le conseil de réexamen n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du brevet de Genencor. L’argument de l’appelante selon lequel un conseil de réexamen, sur la base d’une présentation venue d’une seule partie et sans la comparution d’experts ni le bénéfice d’un contre- interrogatoire, doit assumer pleinement le rôle d’une cour de justice dans une action en invalidation a été rejeté. Si l’on tient compte de l’expertise des membres du conseil et du fait que l’instance dont ils étaient saisis était une simple demande de réexamen et non une action en invalidation, il serait inapproprié d’imposer au conseil une responsabilité réservée aux tribunaux compte tenu de l’expérience des membres du conseil, de leur rôle habituel ainsi que du rôle qui leur est conféré par les dispositions de la Loi portant sur la procédure de réexamen.

                Le conseil de réexamen n’a pas appliqué le mauvais critère pour évaluer s’il y avait antériorité et n’a pas mal appliqué ce critère. En outre, même si le conseil n’a pas dressé la liste des « éléments essentiels » du brevet dans ses motifs, il était possible d’en déduire que chacune des questions examinées et analysées dans la décision étaient « essentielles » au brevet de Genencor et constituaient la totalité des questions essentielles à ce brevet. Les motifs du conseil démontraient que la publication antérieure divulguait toutes les caractéristiques essentielles de l’invention revendiquée par le brevet de Genencor.

                lois et règlements cités

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 41 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16), 48.1 (édicté, idem, art. 18; L.C. 1993, ch. 15, art. 45), 48.2 (édicté par L.R.C. (1985 (3e suppl.), ch. 33, art. 18; L.C. 1993, ch. 15, art. 46(F)), 48.3 (édicté par L.R.C. (1985 (3e suppl.), ch. 33, art. 18), 48.4 (édicté, idem; L.C. 1993, ch. 15, art. 47), 48.5 (édicté par L.R.C. (1985 (3e suppl.), ch. 33, art. 18), 60.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.5 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art, 5; 2002, ch. 8, art. 28).

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 56(5).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 338(1).

                jurisprudence citée

décisions appliquées :

Genencor International, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2007 CAF 129; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2007] S.C.C.A. no 272; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement), [2003] 4 C.F. 580; 2003 CAF 133; Beloit Canada Ltée c. Valmet OY, A-362-84, le juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 10 février 1986, C.A.F.; Cochlear Corp. c. Consem Neurostim Ltée, [1995] A.C.F. no 1433 (1re inst.) (QL).

décision différenciée :

Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; 2000 CSC 67.

décisions examinées :

Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772; 2006 CSC 22; Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45; 2002 CSC 76; Smart & Biggar c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1542; conf. par 2008 CAF 129; Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; CIBA-Geigy Canada Ltée c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés), [1994] 3 C.F. 425 (1re inst.); conf. par [1994] A.C.F. no 884 (C.A.) (QL); Gittel c. Air Atlantic (1995) Ltd., [1998] A.C.F. no 1723 (1re inst.) (QL).

décisions citées :

Genencor International, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2007 CF 376; Genencor International, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2007 CF 843; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879.

                APPEL interjeté en vertu de l’article 48.5 de la Loi sur les brevets à l’encontre de la décision par laquelle le commissaire aux brevets a annulé le brevet de l’appelante après qu’une demande de réexamen de ce brevet a été présentée conformément au paragraphe 48.1(1). Appel rejeté.

              ont comparu :

Hélène D’Iorio pour l’appelante.

Alexander Pless pour l’intimé.

              avocats inscrits au dossier :

Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Montréal, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

                Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

   Le juge Gibson :

INTRODUCTION

[1] Le 15 avril 2004, Novozymes A/S (Novozymes) a demandé le réexamen du brevet canadien no 2093422 (le brevet de Genencor), conformément au paragraphe 48.1(1) de la Loi sur les brevets1 (la Loi)2. La procédure de réexamen, décrite aux articles 48.1 à 48.4 [art. 48.1 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 18; L.C. 1993, ch. 15, art. 45), 48.2 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 18; L.C. 1993, ch. 15, art. 46(F)), 48.3 (édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 18), 48.4 (édicté, idem; L.C. 1993, ch. 15, art. 47)], a été tenue et toutes les revendications du brevet de Genencor ont été annulées, de sorte que le brevet de Genencor a été réputé n’avoir jamais été délivré3. La titulaire du brevet a interjeté appel à la Cour en vertu de l’article 48.5 [édicté par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 18] de la Loi. L’appel a été entendu à Montréal le 6 février 2008. Le commissaire aux brevets n’a déposé que l’affidavit de Murray Wilson4, le directeur intérimaire de la Commission d’appel des brevets et n’a pas participé à l’audience. À la demande de la Cour, l’avocate de Genencor International, Inc. (Genencor) et le procureur général du Canada (le procureur général) ont déposé d’autres observations écrites le 6 mars 2008, au sujet de la norme de contrôle.

[2] Voici les motifs pour lesquels la Cour a décidé de rejeter l’appel.

LE CONTEXTE

    1) Le cadre législatif

[3] Les articles 48.1 à 48.5 de la Loi prévoient ce qui suit :

                48.1 (1) Chacun peut demander le réexamen de toute revendication d’un brevet sur dépôt, auprès du commissaire, d’un dossier d’antériorité constitué de brevets, de demandes de brevet accessibles au public et d’imprimés et sur paiement des taxes réglementaires.

                (2) La demande énonce la pertinence du dossier et sa correspondance avec les revendications du brevet.

                (3) Sur réception de la demande, le commissaire en expédie un double au titulaire du brevet attaqué, sauf si celui-ci est également le demandeur.

                48.2 (1) Sur dépôt de la demande, le commissaire constitue un conseil de réexamen formé d’au moins trois conseillers, dont deux au moins sont rattachés au Bureau des brevets, qui se saisissent de la demande.

                (2) Dans les trois mois suivant sa constitution, le conseil décide si la demande soulève un nouveau point de fond vis-à-vis de la brevetabilité des revendications du brevet en cause.

                (3) Le conseil avise le demandeur de toute décision négative, celle-ci étant finale et ne pouvant faire l’objet d’un appel ou d’une révision judiciaire.

                (4) En cas de décision positive, le conseil expédie un avis motivé de la décision au titulaire du brevet.

                (5) Dans les trois mois suivant la date de l’avis, le titulaire en cause peut expédier au conseil une réponse exposant ses observations sur la brevetabilité des revendications du brevet visé par l’avis.

                48.3 (1) Sur réception de la réponse ou au plus tard trois mois après l’avis mentionné au paragraphe 48.2(4), le conseil se saisit du réexamen des revendications du brevet en cause.

                (2) Le titulaire peut proposer des modifications au brevet ou toute nouvelle revendication à cet égard qui n’ont pas pour effet d’élargir la portée des revendications du brevet original.

                (3) Le réexamen doit être terminé dans les douze mois suivant le début de la procédure.

             48.4 (1) À l’issue du réexamen, le conseil délivre un constat portant rejet ou confirmation des revendications du brevet attaqué ou, le cas échéant, versant au brevet toute modification ou nouvelle revendication jugée brevetable.

                (2) Le constat est annexé au brevet, dont il fait partie intégrante. Un double en est expédié, par courrier recommandé, au titulaire du brevet.

                (3) Pour l’application de la présente loi, lorsqu’un constat :

                a) rejette une revendication du brevet sans en rejeter la totalité, celui-ci est réputé, à compter de la date de sa délivrance, délivré en la forme modifiée;

                b) rejette la totalité de ces revendications, le brevet est réputé n’avoir jamais été délivré;

                c) modifie une telle revendication ou en inclut une nouvelle, l’une ou l’autre prend effet à compter de la date du constat jusqu’à l’expiration de la durée du brevet.

                (4) Le paragraphe (3) ne s’applique qu’à compter de l’expiration du délai visé au paragraphe 48.5(2). S’il y a appel, il ne s’applique que dans la mesure prévue par le jugement définitif rendu en l’espèce.

                48.5 (1) Le titulaire du brevet peut saisir la Cour fédérale d’un appel portant sur le constat de décision visé au paragraphe 48.4(1).

                (2) Il ne peut être formé d’appel plus de trois mois après l’expédition du double du constat au titulaire du brevet.

[4] Les articles 48.1 à 48.5 ont été ajoutés à la Loi en 19875. Un examen rapide des travaux préparatoires n’indique aucune référence spécifique à ces articles, tant au Parlement qu’en comité parlementaire. Cela dit, le but de ces dispositions semble être la création d’une procédure sommaire et d’une solution de rechange peu coûteuse aux procédures d’invalidation devant les tribunaux, ainsi que la possibilité pour un breveté d’obtenir le réexamen par le Bureau des brevets des revendications d’un brevet déjà délivré.

[5] Il s’agit vraisemblablement de la première occasion qu’a la Cour de se prononcer en appel sur la procédure de réexamen.

    2) Le brevet en cause

[6] La description suivante est extraite, avec peu de modifications, des paragraphes 13 à 23 du mémoire des faits et du droit modifié de Genencor. Ces paragraphes n’ont pas été contredits devant la Cour.

[7] Le brevet de Genencor vise une composition détergente comportant une cellulase fongique qui confère aux tissus à base de coton lavés dans une lessive contenant cette composition, des améliorations sur les plans de l’adoucissement, de la rétention ou du ravivement des couleurs, du toucher et de la résistance. L’utilité des cellulases est connue par les personnes versées dans le domaine : elles améliorent la capacité de nettoyage des détergents, leur capacité d’assouplis- sement et le toucher qu’ils impartissent aux tissus de coton.

[8] Les cellulases sont des enzymes qui cassent ou hydrolysent la cellulose, un polymère à longue chaîne, en de petits fragments. Ces fragments peuvent être du glucose, de la cellobiose, des cello-oligosaccharides, etc.

[9] Les cellulases sont produites par les champignons ou les bactéries. L’étude de celles secrétées par les champignons a été poussée très loin, parce que certains d’entre eux produisent un système cellulasique qui casse la cellulose cristalline et qu’on peut faire croître ces organismes en grande quantité.

[10]         On a attribué les propriétés de ravivement des couleurs et d’adoucissement de la cellulase aux endoglucanases présentes dans les compositions de cellulase, bien que l’on ne comprenne pas entièrement le mécanisme exact de l’action de la cellulase.

[11]         En dépit des avantages reconnus de l’ajout de cellulase aux détergents, cette substance présente un inconvénient majeur, celui de dégrader les tissus à base de coton ce qui entraîne une perte de leur résistance. Ainsi, on hésite à inclure la cellulase dans la composition des détergents commerciaux.

[12]         Genencor prétend qu’elle a découvert que des mélanges à base de cellulase fongique contenant des endoglucanases pouvaient servir à la composition de détergents et que, si les compositions à base de cellulase contiennent moins que 5 % en poids de composants de cellobiohydrolase I (CBH I), les détergents résultants affaibliront moins les tissus.

[13]         Ainsi que divulgue le brevet de Genencor, c’est la quantité de cellulase plutôt que la vitesse relative de l’hydrolyse des composés enzymatiques spécifiques qui freine la production de sucres à partir de la cellulose, ce qui dote la composition détergente des propriétés désirées pour la lessive des tissus à base de coton, nommément le ravivement des couleurs, l’assouplissement amélioré et un nettoyage plus poussé. Ainsi, la revendication du brevet de Genencor précise que le détergent contient entre 0,01 et 5 % en poids d’une composition de cellulase fongique. La composition de la cellulase elle-même comporte un ou plusieurs composants de type endoglucanase (EG) et moins de 5 % en poids de composants CBH I, en fonction de la proportion en poids de la composition formée par les protéines.

[14]         Le brevet de Genencor présente vingt et une revendications : les revendications 1 à 7 visent la composition du détergent, les revendications 8 à 14 portent sur la méthode d’accumulation de la douceur des tissus à base de coton et les revendications 15 à 21 précisent la méthode pour conserver ou raviver les couleurs de tissus à base de coton. On trouve une revendication indépendante pour chacune de ces trois séries de revendications.

    3) La demande de réexamen de Novozymes

[15]         Comme nous l’avons indiqué précédemment, une firme d’agents de brevets et de marques de commerce a déposé pour le compte de Novozymes une demande de réexamen du brevet de Genencor le 15 avril 2004. Dans la demande, Novozymes s’est fondée sur huit antériorités, dont la demande de brevet canadien no 2082279 de Rasmussen et al., déposée le 8 mai 1991 (la demande de Rasmussen). En résumé, et à la lumière du dossier d’antériorité déposé, Novozymes allègue ce qui suit :

[traduction]

1. L’objet des revendications 1 à 21 du brevet [de Genencor] a été divulgué par Rasmussen dans la demande de Rasmussen, qui a été déposée au Canada avant la date de revendication du brevet de Genencor, ce qui est contraire à l’alinéa 28.2(1)c) de la Loi sur les brevets.

2. Les revendications 1 à 21 du brevet de Genencor sont évidentes eu égard à Rasmussen.

3. Les revendications 1 à 21 sont antériorisées eu égard à une autre antériorité.

4. Les revendications 1 à 21 du brevet de Genencor sont évidentes eu égard à la combinaison de deux autres antériorités.

5. Les revendications 1 à 21 du brevet de Genencor sont évidentes eu égard à la combinaison de quatre autres antériorités.

6. Les revendications 1 à 21 du brevet de Genencor sont évidentes eu égard à la combinaison de cinq antériorités, dont la demande de Rasmussen.

7. Les revendications 3 à 7, 10 à 14 et 17 à 21 du brevet de Genencor sont soit antériorisées, soit évidentes, ou les deux eu égard à une autre antériorité.

[16]         Novozymes conclut ainsi :

[traduction] Eu égard aux éléments susmentionnés, un nouveau point de fond vis-à-vis de la brevetabilité de chacune des revendications 1 à 21 du [brevet de Genencor] est soulevé, et nous soutenons que toutes les revendications sont non brevetables et devraient être rejetées.

    4) Les parties

[17]         Genencor International, Inc. est la titulaire du brevet attaqué et appelante devant notre Cour. Le commissaire aux brevets, par le truchement du conseil de réexamen (le conseil), est la source de la décision frappée d’appel.

[18]         Fait remarquable, Novozymes, qui a initié la demande de réexamen, n’est pas une partie au litige. Cette question, à savoir l’opportunité de sa désignation comme partie, a été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Genencor International, Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets)6. Dans cet arrêt, la Cour s’est appuyée sur le paragraphe 338(1) des Règles des Cours fédérales7, qui prévoit :

                338. (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’appelant désigne les personnes suivantes à titre d’intimés dans l’appel :

                a) toute personne qui était une partie dans la première instance et qui a dans l’appel des intérêts opposés aux siens;

                b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale qui autorise l’appel;

                c) si les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas, le procureur général du Canada.

La Cour a conclu que Novozymes n’était pas une « partie dans la première instance » au sens de l’alinéa 338(1)a). Elle a écrit aux paragraphes 7 à 9 de ses motifs :

                Le mécanisme de réexamen prévu par les articles 48.1 à 48.5 de la Loi prévoit deux étapes. Les deux étapes ne concernent pas les mêmes parties. La première étape comprend le dépôt d’une demande par le demandeur […], la constitution d’un conseil de réexamen par le commissaire en réponse à la demande […] et la décision préliminaire du conseil de réexamen sur la question de savoir si la demande soulève un nouveau point de fond vis-à-vis de la brevetabilité […]

                La deuxième étape vient après la décision du conseil au sujet de l’existence d’un nouveau point de fond vis-à-vis de la brevetabilité […] L’auteur de la demande de réexamen n’est pas partie à la deuxième étape du processus. Seul le conseil de réexamen et le titulaire du brevet participent à cette étape. Seul le titulaire du brevet est informé de cette décision […] et a le droit de présenter des observations […], de proposer des modifications au brevet […] et de recevoir une copie du constat […] Seul le titulaire du brevet bénéficie d’un droit d’appel […]

                Novozymes a déclenché, en qualité d’auteur de la demande, le processus de réexamen, mais elle n’a pas participé à la deuxième étape du processus de réexamen et n’était pas autorisée à le faire. [La référence aux dispositions des articles 48.1 à 48.5 de la Loi est omise.]

À la lumière de ce qui précède, particulièrement de la décision du commissaire aux brevets de ne pas jouer un rôle actif dans l’appel, le procureur général du Canada a été ajouté en tant qu’intimé en vertu de l’alinéa 338(1)c) des Règles. Même s’il a choisi de ne pas intervenir sur le fond de la décision faisant l’objet de l’appel, il a toutefois [traduction] « défendu la position que tant la procédure prévue par la loi que les principes de justice naturelle ont été respectés dans la présente instance ». Le fait qu’un intimé n’ait pas présenté d’argumentation sur le fond de la décision frappée d’appel a causé d’importantes difficultés à la Cour, parce qu’elle n’a, en réalité, entendu qu’« un côté de la médaille » sur le fond. Je reviendrai sur ce point.

[19]         Novozymes a sollicité l’autorisation d’être désignée à titre d’intervenante dans l’appel. La requête a été rejetée par la protonotaire Tabib8. Un appel a été interjeté de cette décision, que le juge Hansen a rejeté9.

    5) La procédure de réexamen

[20]         Comme nous l’avons vu, Novozymes a demandé le réexamen du brevet de Genencor, conformément au paragraphe 48.1(1) de la Loi, par lettre datée du 15 avril 2004 et déposée le 22 avril. Le commissaire aux brevets a constitué un conseil de réexamen de trois membres, comme l’exige le paragraphe 48.2(1) de la Loi, qui se sont saisis de la demande de Novozymes. Genencor a été avisée de la demande de réexamen par une lettre du commissaire datée du 10 juin 2004. Cette lettre contenait une copie de la demande de réexamen, ainsi qu’une copie du dossier d’antériorité sur lequel s’appuie la demande10. Le commissaire y soulignait que la demande remplissait les exigences des paragraphes 48.1(1) et (2) de la Loi. Il indiquait également que le conseil de réexamen avait été mis sur pied, et il divulguait les noms des membres du conseil. Il terminait ainsi :

[traduction] Dans les trois mois qui suivent la date de la présente, le conseil de réexamen fera connaître sa conclusion, à savoir si une nouvelle question de fond au sujet de la brevetabilité est soulevée par la demande.

[21]         Par lettre datée du 3 septembre 200411, les membres du conseil ont transmis l’avis suivant à Genencor :

[traduction] En résumé, le conseil est d’avis que le dossier d’antériorité déposé par le demandeur soulève un nouveau point de fond vis-à-vis de l’évidence à l’égard des revendications 1 à 21.

Selon le paragraphe 48.2(5), le titulaire du brevet peut, dans les trois mois suivant la date de l’avis, expédier au conseil une réponse exposant ses observations sur les questions de brevetabilité qui ont été soulevées.

Il convient de noter que seule la question de l’évidence a survécu à l’examen préliminaire.

[22]         Genencor a répondu par de très longues observations le 3 décembre 200412. Elle a conclu ainsi :

[traduction] L’antériorité à laquelle le Conseil fait référence ne divulgue pas plus qu’elle ne suggère (seule ou en combinaison) les compositions détergentes nouvelles revendiquées par le brevet de Genencor ou les méthodes pour améliorer la souplesse des tissus à base de coton, ou pour maintenir ou raviver les couleurs de ces tissus avec ladite composition. Les antériorités opposées ne font que nous informer des notions connues dans le domaine, en particulier les endoglucanases ou les composants ayant une activité endoglucanasique et leur utilisation dans les compositions détergentes. Toutefois, ces antériorités n’enseignent ni ne suggèrent qu’en limitant la teneur des composants de type CBH I à moins de 5 % en poids, on confère des améliorations qui diminuent la perte de résistance des tissus par le lavage.

Par conséquent, nous demandons respectueusement que le rejet des revendications 1 à 21 pour les motifs d’antériorité et d’évidence soit retiré.

[23]         Le 9 mai 2005, le conseil a recommuniqué avec Genencor, pour lui transmettre la conclusion suivante13 :

[traduction] Le conseil conclut que Rasmussen soulève un nouveau point de fond au sujet de la brevetabilité de l’invention revendiquée, à l’égard des revendications 1 à 21.

Il convient de noter que le conseil a à nouveau réduit la portée de son examen, cette fois à la demande de Rasmussen, mais qu’il ne restreignait plus cette antériorité à la question de l’évidence.

[24]         Une fois encore, Genencor s’est prévalue de l’occasion de répondre. Dans une communication datée du 9 août 200514, elle a conclu :

[traduction] Nous prétendons respectueusement que les revendications du brevet de Genencor, si elle sont correctement interprétées, ne manquent pas de nouveauté par rapport à la demande de Rasmussen, puisque cette dernière ne divulgue pas une composition détergente comportant un surfactant ou un mélange de surfactants et un mélange de cellulase fongique comprenant un ou plusieurs composants EG et moins de 5 % en poids de composants CHB I, tel que précisé dans le brevet de Genencor. Ainsi, nous demandons respectueusement que l’on retire le rejet des revendications 1 à 21 pour cause d’antériorisation par Rasmussen. [Non souligné dans l’original.]

[25]         Dans son affidavit présenté à la Cour, Murray Wilson, qui était à l’époque pertinente le directeur du conseil de réexamen dont la décision est attaquée en l’espèce, a attesté ce qui suit :

[traduction] Durant la procédure de réexamen, tous les documents qui ont été envoyés au titulaire du brevet ont aussi été envoyés à la demanderesse [Novozymes], en guise de courtoisie. Le demandeur reçoit systématiquement copie de la correspondance entre le conseil et le titulaire du brevet, pour qu’il sache que la procédure de réexamen est en cours. En aucun cas après l’ouverture de la procédure de réexamen la correspondance n’a été envoyée directement à la demanderesse. Celle-ci n’a pas non plus été invitée à répondre à la correspondance de courtoisie qu’elle recevait du conseil de réexamen.

À diverses étapes de la procédure de réexamen, la demanderesse a présenté des documents supplémentaires à son initiative. Le conseil n’a jamais confirmé par écrit la réception de ces documents et, règle générale, ceux-ci sont placés dans le dossier de brevet, comme toutes les autres observations que le conseil reçoit.

Le conseil de réexamen n’a pas pris en considération les documents supplémentaires inclus dans les observations subséquentes de la demanderesse. Le Bureau n’exerce pas de contrôle sur les observations de quiconque et reçoit systématiquement des documents que nous plaçons dans le dossier de brevet sans s’y attarder davantage. L’article 10 de la Loi sur les brevets exige que les documents déposés relativement à un brevet soient disponibles pour consultation au Bureau, peu importe les circonstances. [Non souligné dans l’original.]

[26]         Au cours du contre-interrogatoire portant sur son affidavit, M. Wilson a fourni l’assurance qu’aucune des observations que Novozymes a présentées après la demande initiale de réexamen n’ont été prises en compte, voire même lues, par les membres du conseil de réexamen.

    6) La composition du conseil et les pratiques
    générales afférentes

[27]         Comme indiqué précédemment dans ces motifs, Murray Wilson, souscripteur de l’affidavit pour le compte de l’intimé le commissaire aux brevets, dirigeait le conseil. Dans son affidavit souscrit le 24 novembre 2006, il a attesté qu’il [traduction] « occupe présentement le poste de directeur intérimaire de la Commission d’appel des brevets au sein du Bureau des brevets », qui fait partie de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada. Il est membre de la Commission d’appel des brevets depuis 1992 et a débuté au sein du Bureau des brevets en 1971 en tant qu’examinateur de brevets. Durant son contre- interrogatoire sur affidavit, M. Wilson a déclaré que depuis 1971 il a toujours été à l’emploi de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, ajoutant :

[traduction] La Commission d’appel des brevets est chargée d’administrer le processus de réexamen, et j’imagine que la tradition veut qu’un membre de la Commission d’appel des brevets soit le directeur du conseil de réexamen, et que deux examinateurs de la section d’examen soient les deux autres membres, puisqu’ils possèdent souvent une meilleure expertise dans ce champ d’activité particulier.

Il a affirmé qu’au cours des quatre ou cinq années qui ont précédé son contre-interrogatoire, il a pris part à tous les réexamens qui ont eu lieu et qu’il y a eu 47 réexamens depuis la mise en place de la nouvelle procédure. Il a poursuivi en indiquant qu’à la date de son contre-interrogatoire, tous les membres des conseils de réexamen avaient été nommés alors qu’ils étaient rattachés à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada et qu’aucun conseil n’avait été composé d’un examinateur ayant examiné la demande de brevet qui a par la suite fait l’objet d’une procédure de réexamen15. Enfin, à la page 465 de son affidavit, il a affirmé que dans toutes les affaires avec lesquelles il était familier, le rapport du conseil de réexamen était rédigé par un membre autre que le directeur.

    7) La décision frappée d’appel et les motifs à
    l’appui

[28]         La décision frappée d’appel et les motifs à l’appui sont joints aux présents motifs en tant qu’annexe [voir aussi le site Web de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada].

LES QUESTIONS EN LITIGE

[29]         Dans le mémoire des faits et du droit déposé pour le compte de Genencor, les questions suivantes sont soulevées :

1. Le conseil a-t-il commis une erreur dans son interprétation des revendications du brevet de Genencor?

2. Le conseil a-t-il commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour évaluer s’il y a antériorité, ou a-t-il mal appliqué ce critère?

3. Le conseil a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que la demande de Rasmussen a devancé les revendications du brevet de Genencor?

4. Le conseil a-t-il commis une erreur en acceptant et en prenant en considération les nouveaux documents et éléments de preuve présentés par l’initiatrice de la demande de réexamen Novozymes le 14 mars 2005 et le 29 septembre 2005, après la présentation de sa demande initiale de réexamen fondée sur l’article 48.1 de la Loi?

5. Le conseil a-t-il enfreint les principes de justice naturelle ainsi que l’équité procédurale en n’informant pas Genencor que de nouveaux documents et éléments de preuve avaient été présentés par l’initiatrice de la demande de réexamen Novozymes le 14 mars 2005 et le 29 septembre 2005?

6. Le conseil a-t-il enfreint les principes de justice naturelle ainsi que l’équité procédurale en ne donnant pas à Genencor la possibilité de produire une réponse aux observations qui l’attaquaient et qui ont été présentées le 14 mars 2005 et le 29 septembre 2005?

[30]         Dans le mémoire des faits et du droit déposé au nom du procureur général, son avocat a formulé ainsi les questions auxquelles le procureur général veut s’attarder :

[traduction]

1. Le conseil a-t-il contrevenu à la procédure prévue à la Loi sur les brevets et/ou aux principes de justice naturelle et à l’équité procédurale, lorsqu’il a rendu sa décision le 16 novembre 2005?

2. Plus particulièrement, le conseil avait-il le devoir de divulguer tous les documents non sollicités présentés par Novozymes, nonobstant le fait que le conseil ne les a pas lus ou pris en considération dans son processus décisionnel?

[31]         Le procureur général a, pour l’essentiel, ignoré les trois premières questions posées pour le compte de Genencor. Sa position cadre tout-à-fait avec ce qu’il avait précédemment écrit dans son mémoire des faits et du droit, où il avait déclaré qu’il [traduction] « ne désire pas intervenir sur le fond de la décision ». J’estime que les trois premières questions de Genencor portent sur le « fond » de la décision, tandis que les trois dernières portent sur des questions de justice naturelle et d’équité procédurale.

[32]         Comme je l’ai indiqué précédemment, j’ai invité les avocats, à la fin de l’audience, à traiter de la question de la norme de contrôle dans des observations additionnelles. Les avocats ont acquiescé à ma demande et ont produit, le 6 mars 2008, des observations additionnelles écrites. Celles du procureur général ont à l’évidence été préparées en premier, de sorte que celles présentées pour le compte de Genencor s’apparentent à des observations en réponse. De façon quelque peu ironique, les observations des deux parties ont été déposées la veille du jour où a été prononcé l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick16 de la Cour suprême du Canada. Cet arrêt traitait de façon détaillée de la question de la norme de contrôle. Même si le contexte était quelque peu différent, puisque l’arrêt portait sur la norme de contrôle dans le contexte d’une révision judiciaire et non dans celui d’un appel prévu par la loi, Dunsmuir est, jusqu’à un certain point, instructif dans notre contexte.

[33]         Dans les paragraphes qui suivent, j’examinerai d’abord la question de la norme de contrôle. Ensuite, je traiterai des questions d’équité procédurale et de justice naturelle, pour ensuite conclure avec les questions portant sur le fond de la décision frappée d’appel.

ANALYSE

    1) Norme de contrôle

[34]         L’article 18.5 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales17 dispose :

                18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

L’appel dont la Cour est saisie cadre clairement avec les paramètres de l’article cité ci-dessus. La Loi prévoit en effet expressément à l’article 48.5 l’appel à la Cour des décisions du conseil de réexamen, comme celle dont nous sommes saisis.

[35]         Il ne fait à mon avis aucun doute que la décision du conseil dont la Cour est présentement saisie est la décision d’un office fédéral rendue à tout stade des procédures. Il s’ensuit que cette décision ne peut faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec la Loi sur les brevets. Malheureusement, la Loi sur les brevets ne prévoit rien à propos des circonstances dans lesquelles une telle décision pourrait faire l’objet d’une restriction, d’une prohibition, d’une évocation, d’une annulation ou d’une autre intervention par la Cour. Dans ces conditions, j’examinerai brièvement les principes applicables en matière de contrôle judiciaire.

[36]                      Dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc.18, le juge Binnie, au nom de la Cour, a écrit au paragraphe 33 :

                Pour choisir la norme de contrôle appropriée parmi celles qui s’offrent à elle (la décision correcte, la décision raisonnable ou la décision manifestement déraisonnable), la Cour tient compte des éléments du test récemment énoncé dans Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia […] Ces éléments ont très peu changé depuis l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, […] alors que, s’exprimant au nom de la Cour, le juge Beetz a dit ceci, à la p. 1088 :

                […] la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, le domaine d’expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal. [Les références et une citation, ainsi que la référence afférente, omises.]

L’arrêt Dunsmuir19 n’a pas fondamentalement changé la nature de l’examen, mais l’a quelque peu modifié en remplaçant la notion d’analyse pragmatique et fonctionnelle par celle d’« analyse relative à la norme de contrôle ».20

                a) Présence ou absence d’une clause privative
                ou d’un droit d’appel

[37]         Comme nous l’avons vu, la Loi en l’occurrence prévoit un droit d’appel. L’avocate de Genencor et le procureur général conviennent qu’en raison du droit d’appel prévu par la loi et de l’absence de directives à la Cour quant aux possibilités qui lui sont offertes en appel, ce facteur commande une norme de contrôle plus « stricte ». À l’appui de cette position, l’avocate de Genencor cite l’arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets)21. Dans cet arrêt, qui traite de la norme de contrôle applicable à l’appel de la décision du commissaire aux brevets de refuser d’accorder un brevet en vertu de l’article 41 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 16] de la Loi, le juge Bastarache, s’exprimant pour les juges majoritaires, a écrit ce qui suit au paragraphe 149 :

                Sans être déterminant, le fait que la Loi sur les brevets ne comporte aucune clause privative et qu’elle confère aux demandeurs un droit général d’en appeler de la décision du commissaire est pertinent et laisse entrevoir une norme de contrôle plus stricte […] [Référence omise.]

Il a aussi ajouté, au paragraphe 151 :

                Cela ne signifie absolument pas que les décisions du commissaire feront toujours l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Si, par exemple, la question à trancher était de savoir si une forme de vie particulière comme un champignon doit être considérée comme une forme de vie supérieure ou inférieure, la décision du commissaire ferait probablement l’objet de retenue. Comme nous l’avons vu, l’art. 40 de la Loi prévoit que c’est le commissaire qui doit s’être « assuré » qu’il n’y a pas lieu de délivrer un brevet. Le cas échéant, en raison de l’expertise scientifique du commissaire, les tribunaux devraient faire preuve de retenue à l’égard de la décision dans laquelle il se dit assuré que la forme de vie en question tombe dans une catégorie d’objets brevetables.

L’avocate de Genencor prétend que le libellé du paragraphe 48.5(1) de la Loi ne confère pas à la Cour un pouvoir discrétionnaire aussi large que celui prévu à l’article 41. Cette dernière disposition prévoit, lors d’un appel, la possibilité pour la Cour de « s’en saisir et en décider ». Avec égards pour l’avocate, je n’interprète pas comme elle la différence de libellé de ces deux articles. Je vais bientôt aborder le sujet de la « retenue judiciaire »; pour l’instant, j’estime que ce facteur est neutre.

                b) L’expertise du conseil

[38]         Il n’a pas été contesté devant moi—et vu ce qui a été dit précédemment concernant la composition des conseils de réexamen, cela m’apparaît incontestable— que les conseils d’examen en général, et celui qui a rendu la décision en cause en l’espèce en particulier, détiennent une expertise considérable s’agissant de leurs mandats. Ce facteur justifie un haut niveau de retenue judiciaire à l’égard de la décision du conseil.

                c) L’objet de la loi et le régime du réexamen

[39]         Les observations écrites déposées au nom du procureur général au sujet de ce facteur m’apparaissent convaincantes. L’avocate de Genencor ne conteste pas ces observations, que je reprends ci-dessous :

[traduction]

21. L’objet de la Loi sur les brevets est « d’encourager l’invention et de réglementer la délivrance de brevets au Canada ».

                Pope Appliance Corp. c. Spanish River Pulp and Paper Mills Ltd, [1929] A.C. 269 (C.P. Canada), cité dans CertainTeed Corporation c. Canada (Procureur Général), 2006 CF 436, au paragraphe 25.

22. La procédure de réexamen a été introduite dans la Loi sur les brevets par le projet de loi C-22, « Loi modifiant la Loi sur les brevets », adopté en 1987.

23. Le projet de loi C-22 a apporté bon nombre de changements fondamentaux à la Loi sur les brevets. Parmi ceux-ci, l’on retrouve la réduction significative des licences obligatoires de plein droit, le passage de la notion de « premier à inventer » à celle de « premier à déposer », l’examen reporté, l’obligation d’accessibilité au public des demandes de brevets, la durée de la protection ainsi que le réexamen. De tous ces éléments, seule la restriction au sujet du régime des licences obligatoires de plein droit semble avoir retenu l’attention du Parlement.

24. Il ne semble pas y avoir de preuve extrinsèque au sujet de l’intention du législateur susceptible de guider la Cour pour définir le cadre du réexamen. À l’exception de quelques modifications mineures, il n’existe aucune référence au processus de réexamen ni dans les débats parlementaires, ni dans les délibérations en comité.

25. Si on la replace dans son contexte législatif, et en particulier à la lumière du maintien du droit de toute partie intéressée d’amorcer des procédures d’invalidation devant la Cour fédérale en vertu de l’article 60 de la Loi sur les brevets, la procédure de réexamen semble avoir été créée pour offrir une méthode peu coûteuse et simplifiée, aussi bien pour les tierces parties que pour les titulaires de brevet, de présenter un dossier d’antériorité qui n’avait pas été pris en considération au conseil.

26. Le rôle des tierces parties dans le processus de réexamen est pratiquement similaire à leur rôle dans le processus original. Les droits du demandeur en vertu du paragraphe 48.1(1) sont sensiblement semblables à ceux que possèdent les tierces parties en vertu de l’article 34.1 de la Loi sur les brevets de présenter des dossiers d’antériorité au sujet d’une demande en traitement :

                34.1(1) Une personne peut déposer auprès du commissaire un dossier d’antériorité constitué de brevets, de demandes de brevet accessibles au public et d’imprimés qu’elle croit avoir effet sur la brevetabilité de toute revendication contenue dans une demande de brevet.

                (2) La personne qui dépose le dossier doit en exposer la pertinence.

27. À cet égard, l’on s’attend à ce que la norme de contrôle applicable à l’appel d’une décision de réexamen sous le régime de l’article 48.5 soit la même que celle applicable à l’appel du refus ordinaire du commissaire sous le régime de l’article 41 de la Loi sur les brevets.

28. Bien que l’on puisse plaider que le caractère sommaire de la procédure et la participation limitée du demandeur indiquent un examen moins rigoureux, la décision a la même portée, du point de vue du breveté, qu’une décision du commissaire sous le régime de l’article 40 de la Loi. L’annulation d’un brevet à la suite d’un réexamen a exactement le même effet qu’un refus d’accorder le brevet après le processus initial d’examen.

29. Les droits limités du demandeur lors de l’appel s’expliquent par le fait que celui-ci conserve son droit d’intenter une action en invalidation en vertu de l’article 60 de la Loi.

30. Bien qu’il semble évident que le législateur désirait que la procédure de réexamen soit simplifiée et peu coûteuse, vu les conséquences possibles d’une telle procédure, rien ne permet de croire que le législateur désirait que l’appel s’attache moins au fond que lorsque la question arrive à la Cour par une autre voie. [Non souligné dans l’original.]

[40]         Mon seul point de désaccord est avec le dernier paragraphe cité. Comme le dit l’avocat, la seule conclusion que l’on puisse tirer de l’adoption du processus de réexamen est que le législateur voulait créer une solution de rechange simplifiée et relativement peu coûteuse à l’action en invalidation prévue à l’article 60 de la Loi. Il reconnaît l’expertise de ceux qui ont à ce jour été choisis pour constituer les conseils de réexamen. Le recours au processus de réexamen n’empêche pas une partie de se prévaloir de l’action en invalidation lorsque cette option s’impose. Ce n’est que dans les cas comme celui dont nous sommes saisis, où le réexamen fait en sorte qu’un brevet est réputé n’avoir jamais été délivré ou perd une partie de sa portée—ce qui semble rare si l’on se fie aux antécédents—qu’un appel comme celui-ci est sollicité. Les titulaires de brevet ne peuvent accepter les résultats d’une instance de réexamen sans les périls de l’appel et revendiquer du même souffle un large droit d’appel dans le nombre historiquement restreint de cas où la procédure leur est défavorable.

[41]                      J’estime que ce facteur milite en faveur d’une norme de contrôle favorisant un plus grand degré de retenue judiciaire.

                d) La nature des questions en litige

[42]         Comme je l’ai dit précédemment, j’ai divisé les questions soulevées dans le présent appel en trois catégories : la norme de contrôle, l’équité procédurale et la justice naturelle, et les questions touchant au fond de la décision frappée d’appel. L’avocat du procureur général soutient que chaque catégorie devrait être examinée en fonction de la norme de contrôle qui lui est applicable.

[43]         La question de la norme de contrôle se distingue clairement des autres et doit faire l’objet en l’espèce d’une « analyse relative à la norme de contrôle ».

[44]         Les questions de justice naturelle et d’équité procédurale doivent évidemment être examinées selon la norme de la « décision correcte ».

[45]         L’avocate de Genencor plaide que les questions de fond soumises à la Cour sont des questions « d’interprétation des revendications » et « d’antériorité » et que celle-ci doit les examiner de la même façon qu’elle les examinerait si elles lui avaient été soumises dans le cadre d’une action en invalidation, c’est-à-dire sans retenue judiciaire à l’égard de l’expertise des membres du conseil de réexamen lorsqu’ils procèdent à l’examen des demandes de brevet, procédure qui n’est pas différente de la demande de réexamen.

[46]         Je suis en désaccord avec la position de l’avocate de Genencor, pour les motifs qui vont suivre dans mon exposé sur l’arrêt Dunsmuir22.

                e) Dunsmuir et la retenue judiciaire

[47]         Dans Dunsmuir23, la juge Deschamps, dans les motifs concourants auxquels ont souscrit les juges Charron et Rothstein, a écrit, aux paragraphes 161 à 166 :

                De tout temps, une question en litige a été qualifiée de question de fait, de droit ou mixte de fait et de droit. Dans le cadre d’un appel ou d’un contrôle judiciaire, la décision relative à une question de fait commande toujours la déférence. Les nuances terminologiques — « erreur manifeste et dominante » ou « décision déraisonnable » — ne changent pas la teneur de l’examen. En effet, dans le contexte d’un appel visant une décision judiciaire, la Cour a reconnu que ces expressions ainsi que d’autres renvoient au même principe du respect des conclusions de fait tirées en première instance : H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25, par 55-56. Partant, lorsque le litige ne porte que sur les faits, il n’est nécessaire de tenir compte d’aucun autre facteur pour déterminer si la déférence s’impose à l’endroit du décideur administratif.

                Par contre, dans le cas d’une question de droit, un examen plus approfondi est requis pour évaluer le niveau de déférence, et dans le contexte particulier de l’action administrative, le contrôle judiciaire peut différer de l’appel. Les cours supérieures sont certes mieux placées pour interpréter le droit, mais le législateur peut, au moyen d’une clause privative, limiter le contrôle judiciaire d’une décision administrative. Lorsqu’un organisme administratif est constitué pour interpréter et appliquer certaines règles juridiques, il acquiert une expertise particulière dans l’exercice de sa compétence et a une compréhension plus complète de ces règles. En présence d’une clause privative, l’on ne saurait mettre en doute la volonté du législateur de laisser à l’organisme le soin de trancher en dernier ressort, de sorte que la déférence s’impose habituellement.

                Une clause privative ne peut toutefois faire totalement obstacle au contrôle judiciaire. Le législateur ne peut avoir voulu y soustraire l’organisme administratif qui outrepasse les pouvoirs qui lui sont délégués. De plus, en tant que gardiennes de la primauté du droit, les cours supérieures ont l’obligation constitutionnelle de veiller à ce qu’un organisme administratif interprète correctement les lois qui ne ressortissent pas à son domaine d’expertise propre. Cette atténuation de la déférence garantit une interprétation juste et cohérente des dispositions de portée générale comme celles de la Constitution, de la common law et du Code civil. La cohérence du droit revêt une importance primordiale dans notre société. Enfin, une cour n’a pas à montrer de déférence lorsqu’il s’agit d’une question de droit et que la loi prévoit expressément un droit de révision pour ce type de question.

                Il n’y a de question mixte de fait et de droit que lorsque la question de droit est inextricablement liée aux conclusions de fait. Dans bien des cas, l’organisme administratif détermine d’abord la règle applicable, puis l’applique. Circonscrire une règle de droit et en déterminer la teneur sont des questions de droit. Toutefois, l’application de la règle de droit aux faits est une question mixte de fait et de droit. La cour de révision qui se penche sur une question mixte de fait et de droit devrait manifester autant de déférence envers le décideur que le ferait une cour d’appel vis-à-vis d’une cour inférieure.

                De plus, le législateur peut investir un organisme administratif d’un pouvoir discrétionnaire. Comme un tel pouvoir n’est pas en cause dans la présente affaire, je me contente de faire observer que peu importe le cadre d’analyse, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, sauf lorsque le décideur outrepasse son mandat.

                En résumé, dans le contexte juridictionnel, la décision sur une question de fait ou une question mixte de fait et de droit commande le même respect qu’il s’agisse du contrôle d’une décision administrative ou de l’appel d’une décision judiciaire. La décision sur une question de droit justifie aussi la déférence, à condition qu’elle porte sur l’interprétation de la loi habilitante et qu’il n’y ait pas de droit de révision. [Non souligné dans l’original.]

[48]         S’agissant des faits qui nous concernent, et sous réserve de ce qui a été dit précédemment au sujet du contrôle sur les questions de justice naturelle et d’équité procédurale, le conseil a rendu sa décision en se fondant sur le pouvoir et le mandat qui lui sont expressément conférés par la loi. J’estime que les questions de fond soulevées étaient des questions mixtes de fait et de droit, et qu’elles relevaient de la vaste expertise des membres du conseil dans le contexte d’un régime législatif visant à introduire une mesure significative de simplicité, de brièveté et d’économie dans un régime juridique complexe où les décisions et les actions en invalidation sont devenues en des procédures longues, complexes et coûteuses. Compte tenu de ces circonstances, vu le haut niveau de retenue judiciaire que nous devons accorder au conseil sur cette question et des questions équivalentes, j’estime que la norme de contrôle applicable aux questions de fond soulevées en l’espèce est celle de la « raisonnabilité » ou, pour reprendre les termes souvent employés lors d’instances d’appel, il n’y a pas lieu de modifier la décision sous examen en l’absence d’une « erreur manifeste et dominante »24.

[49]         Dans Smart & Biggar c. Canada (Procureur général)25, un appel interjeté en vertu du paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce26, mon collègue le juge suppléant Strayer était saisi d’une décision d’un agent d’audience principal agissant au nom du registraire des marques de commerce. Au sujet de la norme de contrôle, mon collègue a écrit [au paragraphe 8] :

                Je retiens l’analyse effectuée par la majorité des juges de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Brasserie Molson c. John Labatt Ltd. […] où il a été statué que, dans les appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi où aucun élément de preuve n’est produit, la décision du registraire doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Tel est ici le cas. En l’espèce, il n’y a pas de clause privative, mais il faut faire preuve de retenue envers le registraire qui, selon l’économie de la Loi, est réputé posséder une certaine expertise en la matière. [Références omises.]

En appel de la décision du juge Strayer, le juge Pelletier, au nom de la Cour d’appel fédérale, a écrit au paragraphe 11 de ses motifs :

                L’affaire a été portée en appel devant la Cour fédérale et a été entendue par le juge Strayer. Après avoir examiné les faits, le juge a d’abord reconnu que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente d’audience principale était celle de la décision raisonnable, une conclusion dont on ne saurait douter après la récente décision de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick […] Bien qu’il existe un droit d’appel à l’égard de la décision de l’agente d’audience, le sujet traité en est un pour lequel le registraire et ses agents d’audience délégués ont une expertise spéciale, et les questions juridiques en cause entrent sans contredit dans ce champ d’expertise […] [Deux références à Dunsmuir omises.]

[50]         La jurisprudence susmentionnée n’a pas été citée devant moi et, de fait, les motifs de la Cour d’appel fédérale en particulier n’auraient pu l’être puisqu’ils ont été publiés après la clôture de l’audience en l’espèce. Je ne m’appuie pas sur ceux-ci. Cela dit, je crois qu’ils tendent à soutenir ma conclusion précédente à propos de la norme de contrôle, particulièrement au sujet de la retenue judiciaire.

    2) Justice naturelle et équité procédurale

                a) Principes généraux

[51]         L’avocate de Genencor et l’avocat du procureur général font tous deux référence au bref passage suivant de l’arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent27 :

[…] à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l’équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d’une personne. [Références omises.]

Il n’est pas contesté devant moi que le conseil est un « organisme public qui rend des décisions administratives » et que la décision sous examen n’est pas « de nature législative ». De plus, le fait que la décision administrative frappée d’appel en l’espèce touche principalement Genencor, qui est une société et non une personne, n’a pas d’incidence sur l’application du principe précédent.

[52]         Cela étant dit, les deux avocats reconnaissent que le devoir d’agir équitablement varie en fonction des circonstances de l’affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher28. Un exemple de norme variable pertinent dans les circonstances qui nous intéressent est donné par notre Cour dans CIBA-Geigy Canada Ltd. c. Canada (Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés)29, où elle a dit, à la page 442 :

Les tribunaux administratifs chargés de réglementer l’activité économique ne se sont pas vu imposer des normes aussi élevées que celles des tribunaux administratifs qui statuent sur les droits des individus.

                b) Application des principes généraux aux faits
                sur cette question

[53]         S’agissant des faits relatifs à cette question, il n’est pas contesté que Novozymes a présenté à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, le 14 mars 2005 et le 29 septembre 2005, des observations additionnelles à la demande initiale de réexamen et aux observations déjà présentées à l’instance en cours devant le conseil. Il n’est pas contesté non plus que les observations additionnelles n’ont pas été communiquées à Genencor et que, par conséquent, Genencor n’a pas eu la possibilité d’y répondre.

[54]         L’avocate de Genencor soutient que l’omission du conseil de faire parvenir les observations addition- nelles de Novozymes à sa cliente et de lui donner la possibilité d’y répondre constitue un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. Pour appuyer ses prétentions, l’avocate cite la décision Gittel c. Air Atlantic (1995) Ltd.30 où notre Cour a écrit, au paragraphe 27 :

                Lorsque les arguments développés par une des parties vont au-delà d’une simple interprétation des faits dont est saisie la Commission, et s’ils affectent la teneur des preuves produites devant la Commission, la communication des arguments en question s’impose. J’estime que l’équité procédurale exige la communication de tels arguments lorsque ceux-ci viennent restreindre les éléments dont tiendra compte la Commission, et notamment les éléments dont l’autre partie a toute raison de penser qu’il en sera tenu compte. [Non souligné dans l’original.]

[55]         Soulignons que Novozymes n’était pas « partie » à la procédure de réexamen aux dates où elle a présenté ses observations additionnelles; elle n’aurait d’ailleurs pu l’être, selon le régime de réexamen prévu à la Loi, une fois la procédure de réexamen initiée. Plus important encore, dans son affidavit déposé à la Cour, M. Wilson, le directeur du conseil, a déclaré qu’il n’a probablement jamais vu les observations additionnelles de Novozymes et que même s’il les avait vues, il ne les auraient pas lues car il savait que Novozymes n’était pas partie au réexamen et que, par conséquent, ses observations additionnelles étaient non pertinentes. M.Wilson est resté ferme sur cette affirmation lors de son contre- interrogatoire sur son affidavit.

[56]         De plus, pendant le contre-interrogatoire sur affidavit de M. Wilson, l’échange suivant a eu lieu entre l’avocate de Genencor et M. Wilson :

[traduction]

Q - Est-ce que le document aurait aussi pu être versé au dossier des deux autres membres du conseil?

R - Je leur ai posé une question précise à ce sujet, et ils m’ont répondu qu’il n’avait pas été versé au dossier, et qu’ils n’avaient pas lu le document31.

[57]         « Le document » auquel il est fait référence dans la citation précédente semble être, si je me fie au contexte du contre-interrogatoire, les observations additionnelles déposées par Novozymes le 14 mars 2005. Bien que cette partie du contre-interrogatoire ne se soit pas étendue aux observations additionnelles de Novozymes en date du 29 novembre 2005, aucune question équivalente n’a été posée au sujet de ces dernières et je suis disposé, à la lumière de la preuve présentée à la Cour, à présumer que la réponse à cette question aurait été la même. Même si la preuve présentée par M. Wilson au sujet du traitement des observations additionnelles par ses collègues est loin d’être une preuve directe, il s’agit de la meilleure preuve dont dispose la Cour. De plus, aucune objection à ce qu’elle soit prise en considération n’a été formulée pour le compte de Genencor, bien que l’avocate soutienne qu’il n’y a pas lieu d’y accorder une grande force probante.

[58]         Le juge Pelletier, dans l’arrêt Hutchinson c. Canada (Ministre de l’Environnement)32, a écrit ceci pour la Cour au paragraphe 49 de ses motifs :

                Il ressort clairement des décisions Madsen et Mercier que l’obligation de divulguer les observations avait pris naissance dans un contexte où ces observations devaient être mises à la disposition de la Commission. Le principe sous-jacent avait été établi dix ans plus tôt dans l’arrêt Radulesco, précité. Il n’y a rien dans ces arrêts qui étayerait la thèse selon laquelle toute communication entre un enquêteur et une partie intéressée doit être divulguée à l’autre partie. Le droit de connaître la preuve à réfuter et d’y répondre se rapporte à des éléments qui seront mis à la disposition du décideur plutôt qu’à des éléments qui passent entre les mains d’un enquêteur dans le cadre de l’enquête.

[59]         Je crois que l’on pourrait dire précisément la même chose au sujet des documents soumis à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada durant une procédure de réexamen, mais qui ne constituent pas des éléments de preuve matérielle devant être soumis au conseil.

[60]         Selon la preuve déposée devant la Cour, et peu importe la force probante accordée à l’affidavit de M. Wilson et aux réponses données en contre- interrogatoire sur cet affidavit, je ne peux pas accepter la position de Genencor au sujet de la violation de la justice naturelle ou de l’équité procédurale. La meilleure et la seule preuve devant la Cour sur cette question nous permet de croire qu’il n’y a eu aucune violation.

    3) Les questions de fond

                a) Interprétation des revendications

[61]         Faisant référence à l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc.33, l’avocate de Genencor souligne qu’il faut interpréter les revendications en se reportant à l’ensemble du mémoire descriptif et qu’il convient de rejeter la méthode consistant à s’en tenir à la définition du dictionnaire. Le juge Binnie, au paragraphe 52 de ses motifs dans Whirlpool, écrivait ce qui suit :

                J’ai déjà exposé les raisons qui m’incitent à conclure que, dans la mesure où les appelantes préconisent une méthode consistant à s’en tenir au dictionnaire pour interpréter le sens des mots utilisés dans les revendications du brevet '803, cette méthode doit être rejetée. Dans l’arrêt Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada, […] notre Cour a cité des décisions antérieures portant sur le mot [traduction] « conduit » utilisé dans une revendication de brevet […] le juge en chef Duff a souscrit à la proposition selon laquelle [traduction] « [i]l faut consulter non pas le dictionnaire pour y vérifier le sens du mot “conduit”, mais plutôt le mémoire descriptif pour vérifier le sens dans lequel les brevetés ont utilisé ce mot ». Comme nous l’avons vu, le juge Dickson a estimé, dans l’arrêt Consolboard, […] qu’il fallait considérer l’ensemble du mémoire descriptif (y compris la divulgation et les revendications) « pour déterminer la nature de l’invention » […] L’énoncé du juge Taschereau, dans l’arrêt Metalliflex Ltd. c. Rodi & Wienenberger Aktiengesellschaft […] va dans le même sens :

                                                [traduction] On doit naturellement interpréter les revendications en se reportant à l’ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l’interprétation d’une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications « en empruntant tel ou tel élément à d’autres parties du mémoire descriptif ».

Plus récemment, Hayhurst, […] a prévenu que [traduction] « [l]es mots doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu’il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif ». J’estime que le juge de première instance pouvait parfaitement examiner le reste du mémoire descriptif, y compris le dessin, pour comprendre le sens du mot « ailette » utilisé dans les revendications, mais non pour élargir ou restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, ainsi, interprétée. [Références omises.]

[62]         Toutefois, Whirlpool ne portait pas sur une procédure de réexamen, mais bien sur une action en invalidation. J’estime que le passage précité, avec tout ce qu’il implique, s’adressait plus aux juges de première instance et aux juges des cours d’appel qu’aux examinateurs de brevets appelés à déterminer s’il y a lieu d’accorder une demande de brevet ou à procéder à un réexamen, comme dans le cas qui nous occupe.

[63]         L’avocate de Genencor fait valoir, autant pour les faits relatifs à cette question que pour le dossier présenté à la Cour, que le conseil a commis une erreur dans son interprétation de ce brevet, plus particulièrement en omettant d’interpréter d’abord les termes utilisés dans les revendications du brevet de Genencor, et plus particulièrement encore les termes « composants de type EG » et « composants de type CBH I ». Elle soutient que le conseil a affirmé à maintes reprises dans les motifs de la décision attaquée que les préparations de Rasmussen contenaient moins de 5 % en poids de composants de type CBH I [traduction] « parce que l’enzyme de l’endoglucanase est la seule composante de cellulase qui soit isolée et purifiée avant son utilisation ». L’avocate a aussi relevé que le conseil a mentionné [traduction] « qu’il “est clair que Rasmussen enseigne une composition d’endoglucanase moléculairement pure qui est nécessairement dépourvue de composants de type CBH” ».

[64]         Aux pages 5 à 7 de ses motifs [page 410 à 412 des présents motifs] le conseil a repris six différentes définitions incluses dans les revendications du brevet de Genencor et arrive aux conclusions suivantes : 1) les revendications du brevet de Genencor ne se limitent pas à une endoglucanase extraite seulement de Trichoderma reesei; 2) elles ne comprennent pas nécessairement une endoglucanase qui confère une moindre perte de la résistance; 3) il se peut qu’elles ne se limitent pas aux enzymes traditionnellement classées comme endoglucanases; et 4) elles comprennent des endoglucanases qui ont des propriétés dans les compositions de détergent semblables à celles des endoglucanases extraites de Trichoderma reesei.

[65]         Le conseil a conclu que la définition de « composants de type EG » dans le brevet de Genencor définissait les « composants de type EG » plus selon les attributs fonctionnels désirés que selon tout autre critère et qu’elle n’offrait aucune indication claire des caractéristiques techniques et des propriétés physiques d’un composant de type EG convenable. En outre, le conseil a déclaré qu’il n’existe aucune indication claire qu’une endoglucanase extraite de Humicola insolens, comme celle divulguée par la demande de Rasmussen, ne correspond pas à cette définition. Le conseil a ajouté qu’une telle enzyme est décrite dans la demande de Rasmussen comme ayant [traduction] « des propriétés d’assouplissage de tissu et de conservation de la couleur, semblables à celles des endoglucanases extraites de Trichoderma reesei ». Par conséquent, la conseil a conclu qu’une personne versée dans le domaine serait capable de conclure que les revendications du brevet de Genencor comprennent l’enzyme présentée dans la demande de Rasmussen.

[66]         L’avocate de Genencor soutient aussi que s’il avait interprété correctement le brevet de Genencor, le conseil n’aurait pu conclure que ses revendications étaient antériorisées par la demande de Rasmussen puisque cette demande ne contient aucun enseignement sur la présence ou l’absence de composants de type CBH I dans la composition de détergent, ni sur les propriétés bénéfiques associées aux composants de type CBH I.

[67]         L’avocate de Genencor a conclu ses observations à ce sujet en disant que le conseil n’a pas interprété de façon adéquate l’expression « composants de types CBH I » en raison du fait qu’elle a considéré que cette expression sous-tendait l’absence d’activités liées à la cellobiohydrolase, soit l’activité menant vers la cellobiose p-nitrophényl, et a par conséquent commis une erreur en rejetant l’argument de Genencor à propos de l’exemple 6 de la demande de Rasmussen et de la distinction entre les deux procédés, sans aucun fondement pour conclure ainsi.

[68]         Au sujet des composants CBH, et particulièrement de l’exemple 6 de la demande de Rasmussen, le conseil a estimé qu’il n’était pas déterminant quant à la question du contenu en CBH dans les préparations de Rasmussen. Le conseil a plutôt conclu que cet exemple ne vise rien de plus que l’évaluation d’une endoglucanase moléculairement pure en comparaison d’un mélange impur aux fins d’évaluation du « lavage abrasif ». Ce test n’a pas été entrepris pour tester la perte de résistance, même si la résistance à la déchirure est mentionnée dans l’exemple, « en passant ».

[69]         Enfin, l’exemple 16 du brevet de Genencor, qui évalue la perte de résistance, a été mesuré à l’aide d’un protocole entièrement différent de celui utilisé dans la demande de Rasmussen. Par conséquent, l’exemple 6 de la demande de Rasmussen ne conduirait pas une personne versée dans le domaine à croire que les préparations d’endoglucanase présentées par Rasmussen sont contaminées par plus de 5 % en poids de composants de type CBH I compte tenu que le reste du mémoire descriptif enseigne l’absence totale de ces contaminants. Selon le conseil, les revendications du brevet de Genencor passent essentiellement sous silence les éléments qui confèrent une moindre perte de résistance et, par conséquent, ne peuvent servir à distinguer clairement le brevet de Genencor de la demande de Rasmussen.

[70]         Avec égards pour l’avocate de Genencor, je crois que celle-ci prétend qu’un conseil de réexamen, sur la base d’une présentation venue d’une seule partie et sans la comparution d’experts ni le bénéfice d’un contre- interrogatoire, doit assumer pleinement le rôle d’une cour de justice dans une action en invalidation. Si l’on tient compte de l’expertise des membres du conseil et du fait que l’instance dont ils étaient saisis était une simple demande de réexamen et non une action en invalidation, j’estime que l’avocate de Genencor demande à la Cour d’imposer au conseil de réexamen une responsabilité réservée aux tribunaux selon la citation précitée de l’arrêt Whirlpool, ce qui est tout à fait inapproprié, compte tenu de l’expérience des membres du conseil de réexamen, de leur rôle habituel ainsi que du rôle qui leur est conféré par les dispositions de la Loi sur les brevets portant sur la procédure de réexamen.

                b) Antériorité

[71]         L’avocate de Genencor a souligné avec justesse que le critère applicable au sujet de l’antériorité est strict. Dans l’arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY34, le juge Hugessen, au nom de la Cour, écrivait :

                On se souviendra que celui qui allègue l’antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l’invention était connue du public avant la date pertinente. L’enquête porte sur l’invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l’évidence, sur l’état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu’il ressort du passage précité de la Loi [l’alinéa 28(1)b) de la Loi sur les brevets, tel que libellé à l’époque], l’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d’en arriver à l’invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. [Non souligné dans l’original.]

Je suis convaincu qu’au moins deux des membres du conseil de réexamen dont la décision fait l’objet du présent appel peuvent être qualifiés de « personnes au fait de l’art », au sens de la citation précédente.

[72]         Dans l’arrêt Cochlear Corp. c. Consem Neurostim Ltée35, la Cour écrivait :

Pour qu’il soit possible de conclure à l’antériorité, la [publication] antérieure doit (1) fournir une description antérieure exacte; (2) fournir des directives qui donneront inévitablement naissance à quelque objet visé par les revendications, (3) fournir des directives claires et formelles; (4) fournir des renseignements qui, à toutes fins pratiques, équivalent ceux donnés dans le brevet en cause; (5) transmettre des renseignements permettant à une personne aux prises avec le même problème de dire « cela donne ce que je désire »; (6) fournir des renseignements permettant à une personne possédant des connaissances ordinaires de comprendre immédiatement ce qu’est l’invention; (7) en l’absence de directives explicites, indiquer un « résultat inévitable » qui « ne peut être démontré qu’à l’aide d’expériences » et (8) satisfaire à tous ces critères dans un seul document sans que cela ne donne lieu à un ensemble d’éléments juxtaposés.

Une fois de plus, j’estime qu’au moins deux des membres du conseil dont la décision fait l’objet du présent appel peuvent être considérés comme étant à tout le moins des « personnes possédant des connaissances ordinaires », pour reprendre l’expression utilisée dans la citation de l’arrêt Cochlear reproduite ci-dessus.

[73]         Compte tenu de ce qui précède, l’avocate de Genencor prétend que le conseil n’a pas appliqué le critère approprié, ou, subsidiairement, qu’il a mal appliqué le bon critère. Eu égard à la norme de contrôle que je considère applicable en l’espèce, qu’on l’appelle « erreur manifeste et dominante » ou « décision raisonnable », je ne saurais être d’accord.

[74]         Dans ses motifs, le Conseil a conclu que la demande de Rasmussen divulguait toute la préparation et la purification des endoglucanases ainsi que les méthodes de clonage moléculaire, ce qui nous instruit sur la composition d’un détergent dépourvu de CBH I puisque la cellulase fongique qu’il contient ne comporte que de l’endoglucanase biochimiquement pure. Le Conseil a fait remarquer ce qui suit [à la page 4 de ses motifs (page 449 des présents motifs)] :

[traduction] […] toute personne versée dans le domaine   conclurait logiquement à l'absence totale de composants du type CBH I, puisque de telles enzymes seraient nécessairement éliminées par les longues procédures de purification et de préparation clairement exposées dans  Rasmsussen.

[75]         L’avocate de Genencor a fait valoir que la [traduction] « demande de Rasmussen mentionnant “l’absence pour l’essentiel d’activités liées à la cellobiohydrolase” pourrait impliquer la présence de certains composants de type CBH I ». Le recours au conditionnel dans la déclaration appuie l’hypothèse selon laquelle Genencor a fondé ses observations sur des présomptions et qu’elle n’a pas pu démontrer que la demande de Rasmussen visait une préparation contenant plus de 5 % en poids de CBH I, ce qui distinguerait sa revendication de ce qui est divulgué dans la demande de Rasmussen.

[76]         De plus, même si le conseil ne dresse pas la liste des « éléments essentiels » d’un brevet dans ses motifs, je crois qu’il est possible d’en déduire que chacune des questions examinées et analysées dans la décision étaient « essentielles » au brevet de Genencor et constituaient la totalité des questions essentielles à ce brevet. Dans son analyse du brevet de Genencor, le conseil a souligné bon nombre de failles et de doutes avant de conclure que l’invention qui y est divulguée était antériorisée par la demande de Rasmussen.

[77]         Le conseil a conclu que les revendications 8 et 15 de la demande de Rasmussen étaient fondées sur une composition de détergent définie dans la revendication 1 et visaient respectivement une méthode d’amélioration de la souplesse d’un tissu à base de coton et une méthode de conservation ou de ravivement de la couleur de ce type de tissu. Compte tenu de ce qui précède, j’estime que les motifs du conseil démontrent que la demande de Rasmussen divulgue toutes les caractéristiques essentielles de l’invention revendiquée par le brevet de Genencor. En résumé, les avantages revendiqués dans le brevet de Genencor sont non pertinents s’agissant de la question de l’antériorité, parce que selon les motifs du conseil, la demande de Rasmussen exposait déjà chaque élément de l’invention revendiquée et constitue donc une divulgation habilitante.

[78]         Pour les motifs susmentionnés, j’estime que le conseil n’a pas appliqué un critère inapproprié en ce qui concerne l’antériorité et que, subsidiairement, il n’a pas mal appliqué le bon critère. Par conséquent, eu égard à la norme de contrôle applicable, l’appelante Genencor ne peut avoir gain de cause sur ce motif.

CONCLUSION

[79]         Je conclus, en me fondant sur l’analyse susmentionnée, que le conseil n’a pas commis de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. De plus, en me fondant sur la même analyse et sur la lecture globale des motifs du conseil, sans les analyser au microscope, et reconnaissant l’expertise des membres du conseil à l’égard de l’objet du brevet de Genencor et des questions de fond devant eux, j’estime que le conseil n’a pas commis d’erreur manifeste ou dominante lorsqu’il a rendu sa décision et que, en d’autres termes, il pouvait raisonnablement conclure comme il l’a fait. Vu ce qui précède, l’appel sera rejeté.

LES DÉPENS

[80]         Le procureur général du Canada, qui est l’intimé dans la présente instance, a droit aux dépens afférents à l’appel, calculés selon le barème ordinaire. Aucuns dépens ne sont adjugés en faveur de l’intimé le commissaire aux brevets, ni contre lui.

POST-SCRIPTUM

[81]         Tel que je l’ai dit précédemment, l’intimé, le commissaire aux brevets, n’a produit aucune observation au cours de cette instance et n’a pas pris part à l’audition de l’appel. De plus, l’intimé le procureur général du Canada n’a produit aucune observation et n’en a présenté aucune à l’audience au sujet des questions de fond de cet appel. Par conséquent, la Cour a eu beaucoup de mal à rendre ses motifs dans la partie relative aux questions de fond. Dans l’éventualité où les conclusions de la Cour au sujet de la norme de contrôle seraient erronées et que la norme de contrôle applicable soit la même que pour une action en invalidation, la position de la Cour aura été, et sera à l’avenir, essentiellement insoutenable sur les questions de fond. À mon avis, la solution de cette difficulté réside dans un choix politique que doit faire le gouvernement ou le Parlement. Ce n’est pas une question qui relève de notre Cour.

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[TRADUCTION] 16 novembre2005

Notreréf. : RX­33/04

GenencorInternational, Inc. GOWLING LAFLEURHENDERSON, s.r.l. 1, placeVille Marie 37e étage Montréal (Québec) H3B3P4

Madame ou Monsieur,

Objet: Demande d’unréexamen dubrevetportant lenuméro2 093 422Titre : COMPOSITIONS DÉTERGENTES CONTENANTDES COMPOSITIONS DETYPE CELLULASE À FAIBLETENEUR ENCBHI Titulairedu brevet: Genencor International, Inc. Demandeur : NovozymesA/S

Conformément au paragraphe 48.2(2) de la Loi sur les brevets, le Conseil de réexamen (le Conseil)aétudiéplusavantlademandederéexamendesrevendications1à21dubrevetportant lenuméro2093422,ainsiquelescommentairesdelabrevetéefigurantdanslesréponsesdatées du 3 décembre 2004 et du 9 août 2005. Le Conseil a décidé que la demande soulève encore un nouveau point defond vis­à­vis de la brevetabilité de ces revendications.

Dans la demande de réexamen, le demandeur a porté à l’attention du Conseil le dossier d’antérioritéci­après :

.../2

Demande présentéeau Canada   
2 082 279 déposéele8 mai 1991 Rasmussen
et al.

Larevendication indépendante 1 du brevet attaqué englobelesnotions suivantes :

-2-

Rasmussen et al. (Rasmussen) présente des préparations de cellulase contenant une enzyme de l’endoglucanase. Ladite enzyme de l’endoglucanase peut être sécrétée par un champignon (voir la page 5). Rasmussen indique l’emploi de ladite enzyme de l’endoglucanase dans les compositions de détergent (voir les pages 8 à 11 et l’exemple 4) et pour l’assouplissage (page 10 et exemple 7) et la clarification de la couleur d’un tissu (page 10 et exemple 4). Les préparations de Rasmussen contiennent moins de 5 % en poids de composants de type CBH I, parce que l’enzyme de l’endoglucanase est la seule composante de cellulase qui soit isolée et purifiée avant son utilisation (voir les pages 13 à 20).

Le Conseil a constaté le défaut ci-après :

Les revendications du brevet ne sont pas conformes à l’alinéa 28.2(1)c) de la Loi sur les brevets. Avant la date de la revendication, l’objet a été divulgué dans la demande en co-instance de Rasmussen :

• La composition de détergent, décrite dans les revendications 1 à 7, a été divulguée par Rasmussen (pages 8 à 11 et exemple 4);

• La méthode d’amélioration de la souplesse d’un tissu à base de coton, décrite dans les revendications 8 à 14, a été divulguée par Rasmussen (page 10 et exemple 7);

• La méthode de conservation ou de ravivement de la couleur d’un tissu à base de coton, décrite dans les revendications 15 à 21, a été divulguée par Rasmussen (page 10 et exemple 4). Une méthode de conservation ou ravivement des couleurs d’un tissu est équivalente à une méthode de clarification de la couleur d’un tissu.

En outre, Rasmussen divulgue une méthode élaborée de préparation et de purification des endoglucanases (voir la page 4, lignes 7-18, et page 8, lignes 24-28) par une purification par immunoaffinité (exemple 1) et par un clonage moléculaire (voir les exemples 2 et 3). De fait, les séquences d’acides aminés des enzymes moléculairement pures sont fournies (voir les listes de séquences 2 et 4). Les sources préférées d’endoglucanase sont Humicola insolens et Fusarium oxysporum. Ainsi, il ne peut y avoir de doute sur le fait que Rasmussen nous renseigne sur une composition de détergent dépourvue de composants de type CBH I, puisque sa composante de cellulase fongique ne contient qu’une endoglucanase biochimiquement pure.

La revendication indépendante 1 du brevet attaqué englobe les notions suivantes :

.../3

-3-

[traduction]

Une composition détergente comprenant :

a) une quantité suffisante d’un surfactant ou d’un mélange de surfactants pour le nettoyage;

b) environ 0,01 à 5 % en poids d’une composition de cellulase fongique établie sur le poids de la composition de détergent où ladite composition de cellulase contient un ou plusieurs composants de type EG et moins de 5 % en poids de composants de type CBH I selon le poids des protéines dans la composition de la cellulase.

Les revendications 8 et 15 sont fondées sur une composition de détergent telle que définie dans la revendication 1 et visent, respectivement, une méthode d’amélioration de la souplesse d’un tissu à base de coton et une méthode de conservation ou ravivement de la couleur d’un tel tissu.

À ce titre, on peut voir que Rasmussen divulgue toutes les caractéristiques essentielles de l’invention revendiquée et que celle-ci est donc antériorisée nonobstant les arguments contraires de la brevetée avancés dans ses réponses datées du 3 décembre 2004 et du 9 août 2005.

Dans sa réponse du 3 décembre 2004, la brevetée prétend que Rasmussen n’antériorise pas l’invention revendiquée pour deux raisons principales : (i) Rasmussen expose simplement les caractéristiques inhérentes de l’invention revendiquée, et (ii) le Conseil a commis une erreur en assimilant l’absence d’activité de CBH dans Rasmussen à l’exigence dans l’invention de la brevetée que le composant fongique de la cellulase du détergent revendiqué contienne moins de 5 % en poids de composants de type CBH I. Dans la lettre datée du 9 mai 2005, le Conseil a reconnu ces arguments mais, néanmoins, a maintenu que l’invention revendiquée par Rasmussen était antériorisée pour les raisons brièvement exposées ci-après.

La brevetée prétend à la page 5 de la réponse datée du 3 décembre 2004 que la divulgation de caractéristiques inhérentes n’équivaut pas à une antériorisation :

Rasmussen ne dit rien sur la présence ou l’absence de composants de type CBH, et surtout de composants de type CBH I. Rasmussen ne révèle pas ou ne suggère pas l’avantage associé à la présence de moins de 5 % en poids de composants de type CBH I.

…/4

-4-

Cependant, le Conseil maintient qu’une personne versée dans le domaine lisant Rasmussen comprendrait que la divulgation porte sur l’utilisation de l’endoglucanase moléculairement pure. Ainsi, toute personne versée dans le domaine conclurait logiquement à l’absence totale de composants du type CBH I, puisque de telles enzymes seraient nécessairement éliminées par les longues procédures de purification et de préparation clairement exposées dans Rasmsussen. Tout avantage du détergent revendiqué par la brevetée est donc sans conséquence sur la question de l’antériorisation puisque Rasmussen expose chaque élément de l’invention revendiquée et fournit une divulgation habilitante.

Dans la réponse datée du 3 décembre 2004, la brevetée a aussi commenté abondamment les faiblesses techniques de Rasmussen en ce qui concerne les épreuves biochimiques, et a prétendu que l’absence d’activité de CBH dans Rasmussen n’est pas équivalent à la limitation de la quantité de composants de type CBH I qui se trouvent dans le détergent de la brevetée. Le Conseil maintient que les termes utilisés dans les revendications ne placent toujours pas clairement Rasmussen en dehors de leur portée pour au moins les motifs ci-dessous :

En premier lieu, Rasmussen vise la production d’une endoglucanase très purifiée, de préférence extraite de Humicola insolens ou Fusarium oxysporum. Sur ce point, Rasmussen signale que, curieusement, ses préparations ont une activité élevée en endoglucanase, mais pour l’essentiel n’affichent aucune activité de type CBH (voir la page 4, lignes 7-18, et page 8, lignes 24-28).

En second lieu, bien que la brevetée semble préférer surtout les compositions de détergent comprenant une endoglucanase extraite de Trichoderma reesei, elle indique aussi que les enzymes d’endoglucanase extraites de plusieurs autres sources sont préférées. À la page 20, lignes 31-35 de la description, la brevetée indique clairement ce qui suit :

Les cellulases fongiques préférées intervenant dans les compositions de cellulase fongique utilisées dans cette invention sont celles qui sont extraites de Trichoderma reesei, Trichoderma koningii, Penicillium sp., Humicola insolens ou de champignons apparentés.

…/5

-5-

Ce passage indique clairement que les revendications comprennent raisonnablement une endoglucanase extraite de Humicola insolens, c’est-à-dire la même source mentionnée dans Rasmussen. On peut voir une indication semblable à la page 22, aux lignes 17-21. Donc, bien que la description de la brevetée, les conditions des épreuves et les définitions techniques puissent porter très précisément sur les enzymes extraites de Trichoderma reesei, l’invention telle qu’elle est revendiquée de façon générale n’exclut pas les enzymes de l’endoglucanase extraites d’autres organismes comme celui mentionné par Rasmussen. De plus, les revendications passent sous silence les conditions des épreuves, l’activité spécifique et la source de l’enzyme de l’endoglucanase.

Examinons maintenant la réponse de la brevetée, datée du 9 août 2005; on y note que cette dernière a également prétendu que le Conseil avait mal compris l’invention dans le brevet de Genencor. La brevetée a fait valoir que les revendications doivent être d’abord convenablement interprétées avant d’aborder la question de la validité; en particulier, la brevetée a prétendu que les expressions « composants de type EG » et « composants de type CBH I » utilisées dans les revendications doivent être comprises en relation avec les définitions fournies dans la description. La brevetée conclut en affirmant que le Conseil n’a pas utilisé la définition qu’elle donne de ces expressions, et qu’il existe une différence, selon l’activité de substrats distincts (tissu à base de coton contre tissu synthétique), entre l’endoglucanase utilisée par Rasmussen et le composant de « type » endoglucanase utilisé par la brevetée. Enfin, la brevetée a pris acte de l’exemple 6 invoqué dans Rasmussen et a prétendu que cela constitue une preuve qu’une préparation utilisée dans Rasmussen est contaminée par des composants de type CBH, qui confèrent une plus grande perte de la résistance des tissus.

En ce qui a trait à la définition de l’expression « composants de type EG » exposée à la page 13, ligne 3 et la page 14, ligne 6 de la description, le Conseil note que la définition indique ce qui suit (c’est nous qui soulignons) :

                [traduction]

                (i) L’expression « composants de type endoglucanase (EG) » couvre tous les composants de cellulase fongique ou une combinaison des composants qui affichent des propriétés de l’activité de détergent semblables aux composants de l’endoglucanase extraits de Trichoderma reesei.

…/6

-6-

                (ii) Les composants de l’endoglucanase sont les composants fongiques qui donnent des propriétés d’assouplissage, de conservation ou ravivement des couleurs et une meilleure sensation au toucher des vêtements en coton lorsque ces composants sont intégrés dans une solution de lessive.

                (iii) Dans une réalisation préférée, les composants de type endoglucanase employés dans les compositions de détergent de cette invention causent aussi une moindre perte de la résistance aux tissus à base de coton que les compositions contenant un système complet de cellulose extraite de Trichoderma reesei.

                (iv) Il se peut que ces composants de type endoglucanase n’incluent pas des composants traditionnellement classés comme endoglucanases par des tests d’activité [sur des substrats synthétiques].

                (v) On estime que ce ne sont pas tous les composants de type endoglucanase, définis par les tests d’activité sur des substrats synthétiques, qui apporteront une ou plusieurs améliorations aux tissus à base de coton.

                (vi) Il est plus exact, aux fins des présentes, de définir les composants de type endoglucanase comme les composants de la cellulase fongique, qui possèdent des propriétés dans les compositions de détergent semblables à celles des composants de type endoglucanase extraits de Trichoderma reesei.

Ce passage permet d’affirmer raisonnablement que les revendications :

                (i) ne se limitent pas à une endoglucanase extraite seulement de Trichoderma reesei;

                (ii) comprennent de préférence, mais pas nécessairement, une endoglucanase qui cause une moindre perte de la résistance;

                (iii) peuvent ou non se limiter aux enzymes qui sont traditionnellement classées comme des endoglucanases par des tests d’activité sur des substrats synthétiques;

                (iv) ne comprennent pas des enzymes qui sont traditionnellement classées comme des endoglucanases si elles ont des propriétés qui ne conviennent pas (c.-à-d. ils n’apportent pas au moins une amélioration à un tissu à base de coton);

…/7

-7-

                (v) comprennent des endoglucanases qui ont des propriétés dans les compositions de détergent semblables à celles des endoglucanases extraites de Trichoderma reesei, c.-à-d. des propriétés comme la capacité d’assouplissage, la capacité de conserver la couleur ou la capacité d’améliorer la sensation au toucher du tissu à base de coton.

En résumé, la définition semble caractériser l’expression « composants de type EG » plus selon les attributs fonctionnels voulus que selon tout autre critère. La définition n’offre aucune indication claire des caractéristiques techniques et des propriétés physiques d’un « composant de type EG » convenable. En outre, il n’existe aucune indication claire qu’une endoglucanase extraite de Humicola insolens selon la description de Rasmussen ne correspond pas à cette définition. Même si Rasmussen se fiait à une épreuve biochimique traditionnelle pour caractériser ses endoglucanases, la brevetée n’a rien indiqué dans la description, ou ailleurs, qui puisse conduire une personne versée dans le domaine à croire qu’une endoglucanase moléculairement pure extraite de Humicola insolens ne correspond pas à cette définition, et qu’il existe donc un fondement pour affirmer que Rasmussen est hors de la portée de l’invention revendiquée. Au contraire, la description indique de plus qu’une enzyme de l’endoglucanase extraite de Humicola insolens est préférée (voir la page 20, lignes 31-35 et page 22, lignes 17-21). De plus, une telle enzyme est décrite par Rasmussen comme ayant des propriétés d’assouplissage de tissu et de conservation de la couleur, semblables à celles des endoglucanases extraites de Trichoderma reesei. Par conséquent, lorsqu’on examine les revendications compte tenu du mémoire descriptif dans son intégralité, il est raisonnable d’affirmer qu’une personne versée dans le domaine conclurait que les revendications comprennent les enzymes présentées dans Rasmussen.

Quant à la définition de l’expression « composants de type CBH I » qui, selon la brevetée, a également été mal comprise par le Conseil compte tenu de la définition fournie à la page 15, ligne 1, et à la page 16, ligne 11, le Conseil est d’avis que cet argument ne mérite guère d’attention puisqu’il est clairement admis que les revendications concernent une composition de cellulase qui a « moins de 5 % en poids de composants de type CBH I » et qui ne comporte préférablement « aucune composition de type CBH I » (revendications 3, 10 et 17), et qu’il est clair que Rasmussen expose une composition d’endoglucanase moléculairement pure qui est nécessairement dépourvue de composants de type CBH.

…/8

-8-

Concernant l’exemple 6 de Rasmussen qui, selon la prétention de la brevetée, indique que la préparation de l’endoglucanase qui y est utilisée est contaminée par des composants de type CBH qui, probablement, causent une plus grande perte de résistance que les compositions de cellulase de l’invention, le Conseil est d’avis que l’exemple 6 n’a pas d’incidence sur la question du contenu de CBH dans les préparations de Rasmussen. La brevetée devra reconnaître que l’exemple 6 dans Rasmussen vise une évaluation d’une endoglucanase moléculairement pure en comparaison d’un mélange impur aux fins d’évaluation des effets de « lavage abrasif », et qu’elle n’a pas été entrepris pour tester rigoureusement la perte de résistance, même si la résistance à la déchirure est mentionnée dans l’exemple, en passant. De plus, la perte de résistance évaluée par la brevetée dans l’exemple 16 du brevet attaqué a été mesurée à l’aide d’un protocole entièrement différent de celui qui a peut-être été utilisé dans Rasmussen (on notera que l’exemple 16 emploie des quantités normalisées de composants d’EG, un appareillage différent, mesure la résistance à la traction au lieu de la résistance à la déchirure et utilise des traitements de tissus répétés). Par conséquent, l’exemple 6 dans Rasmussen ne conduirait pas une personne versée dans le domaine à croire que les préparations d’endoglucanase présentées dans Rasmussen sont contaminées par plus de 5 % en poids de composants de type BCH I; en particulier compte tenu des nombreuses indications explicites dans le sens contraire que l’on trouve dans le reste du mémoire descriptif, et militant en faveur de l’absence totale de ces contaminants. Enfin, la brevetée doit reconnaître que les revendications passent sous silence le point lié à l’emploi de compositions de cellulase qui causent une moindre perte de résistance. Par conséquent, cette caractéristique ne peut pas servir à distinguer clairement l’invention revendiquée de celle de Rasmussen.

Au vu de ce qui précède, le Conseil maintient qu’une personne versée dans le domaine, après avoir lu le mémoire descriptif de brevet au complet, comprendrait raisonnablement et logiquement que Rasmussen expose tous les éléments essentiels de l’invention revendiquée, et qu’il n’existe aucune limitation explicite dans les revendications qui placerait Rasmussen à coup sûr en dehors de leur portée. À ce titre, le Conseil conclut que les revendications 1 à 21 sont antériorisées suivant l’alinéa 28.2(1)c) de la Loi sur les brevets.

…/9

-9-

Veuillez trouver, ci-joint, un constat délivré en vertu de l’article 48.4 de la Loi sur les brevets, et confirmant que ces revendications sont [non] brevetables.

Murray Wilson        Ed MacLaurin         Marc De Vleeschauwer

Président                                 Membre                   Membre

c.c.           Novozymes A/S

                a/s de Moffat & Co.

                427, avenue Laurier Ouest

                12e étage

                B.P. 2088, succ. D

                Ottawa (Ontario)

                K1P 5W3

1               L.R.C. (1985), ch. P-4.

2               Dossier d’appel, vol. II, à la p. 177.

3               Voir l’al. 48.4(3)(b) de la Loi, cité au par. 3 des motifs.

4               Dossier d’appel supplémentaire, Onglet 1.

5               Projet de loi C-22, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 18: ultérieurement modifié, L.C. 1993, ch. 15 [art. 45, 46, 47].

6               2007 CAF 129, 28 mars 2007. Autorisation d’appel à la Cour suprême refusée, [2007] S.C.C.A. no 272, 28 mai 2007.

7               DORS/98-106 [règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)].

8               2007 CF 376, 11 avril 2007.

9               2007 CF 843, 15 août 2007.

10             Dossier d’appel, vol. II, à la p. 193.

11             Dossier d’appel, vol. II, à la p. 195.

12             Dossier d’appel, vol. II, à la p. 198.

13             Dossier d’appel, vol. II, à la p. 218.

14             Dossier d’appel, vol. II, à la p. 222.

15             Dossier d’appel supplémentaire, aux p. 444 et 455.

16             [2008] 1 R.C.S. 190, 7 mars 2008.

17             L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)].

18             [2006] 1 R.C.S. 772.

19             Précité, note 16.

20             Dunsmuir, précité, par. 63.

21                    [2002] 4 R.C.S. 45.

22             Précité, note 16.

23             Précité, note 16.

24             Voir le par. 161 de Dunsmuir, cité au par. 47 des présents motifs, où la juge Deschamps semble assimiler « erreur manifeste et dominante » à « décision déraisonnable », affirmant que les deux expressions sont simplement le fruit de nuances terminologiques qui ne changent pas la teneur de l’examen.

25             2006 CF 1542, 21 décembre 2006.

26             L.R.C. (1985), ch. T-13.

27             [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 653.

28             Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, aux p. 895 et 896.

29                    [1994] 3 C.F. 425 (1re inst.), conf. par [1994] A.C.F. no 884 (C.A.) (QL).

30             [1998] A.C.F. no 1723 (1re inst.) (QL).

31             Dossier supplémentaire d’appel, vol. 3, à la p. 476.

32             [2003] 4 C.F. 580 (C.A.), 14 mars 2003.

33             [2000] 2 R.C.S. 1067.

34             A-362-84, jugement en date du 10 février 1986, C.A.F.

35                    [1995] A.C.F. no 1433 (1re inst.) (QL), au par. 95.

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