Référence : |
Callaghan c. Canada (Directeur général des élections), 2010 CF 43, [2011] 2 R.C.F. 3 |
T-838-07 |
T-838-07
2010 CF 43
L.G. Callaghan en qualité d’agent officiel de Robert Campbell et David Pallet en qualité d’agent officiel de Dan Mailer (demandeurs)
c.
Le Directeur général des élections du Canada (défendeur)
Répertorié : Callaghan c. Canada (Directeur général des élections)
Cour fédérale, juge Martineau—Ottawa, 23 novembre 2009; 18 janvier 2010.
* Note de l’arrêtiste : Ce jugement a été infirmé en appel (2011 CAF 74). Voici la référence de publication des motifs du jugement prononcés le 28 février 2011 : [2011] 2 R.C.F. 80.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire des décisions du directeur général des élections (le DGE) de refuser de certifier, en vertu de l’article 465 de la Loi électorale du Canada, certaines dépenses publicitaires qui avaient été déclarées à titre de dépenses électorales pendant les élections fédérales de 2006. Les demandeurs demandaient à la Cour d’annuler les décisions du DGE et d’enjoindre à ce dernier de remettre de nouveaux certificats au receveur général du Canada comprenant les dépenses électorales déclarées.
Les demandeurs avaient présenté leur compte relatif à leur part d’un programme d’« achats publicitaires dans des médias locaux » (APML) mis sur pied par le Parti conservateur du Canada (le Parti) aux termes duquel des candidats achetaient des publicités radio et télévisées par l’intermédiaire d’un fournisseur. L’agent principal du Parti a transféré des fonds aux associations de circonscriptions locales participant au programme d’APML. Ces fonds ont alors été retournés à l’agent principal par le truchement de virements « réciproques ». Le DGE estimait que le contenu de la publicité ne faisait pas directement la promotion des candidats qui avaient déclaré la dépense, et que le Parti avait presque atteint le plafond de dépenses fixé par la Loi, de sorte qu’il ne pouvait plus déclarer des publicités au titre de dépenses sans le dépasser. En outre, le DGE soutenait en l’espèce que le programme d’APML avait transmis illégalement aux candidats participants la dette que le Parti avait encourue relativement à la diffusion de publicités nationales sur les ondes.
La question principale à trancher était celle de savoir si le DGE pouvait légalement refuser de certifier aux fins du remboursement prévu à l’article 465 de la Loi les dépenses électorales déclarées au motif qu’il n’était pas convaincu qu’elles avaient réellement été engagées par les demandeurs. De même, la Cour s’était penchée sur la portée des obligations du DGE aux termes de l’article 465 et sur ce qui constitue une dépense électorale raisonnable engagée par un candidat.
Jugement : la demande doit être accueillie.
S’agissant de la portée des obligations du DGE aux termes de l’article 465, bien qu’il soit important de préserver l’intégrité du régime de financement électoral et de permettre à ceux qui souhaitent participer au débat électoral de le faire à armes égales, le législateur n’a pas clairement exprimé une intention de donner au DGE un pouvoir de réglementation ou de surveillance général concernant le financement des campagnes électorales ou les actions des participants. Les pouvoirs et les obligations du DGE aux termes des articles 435 et 465 de la Loi sont limités à la vérification de l’exactitude ou du caractère raisonnable des dépenses déclarées par les candidats et partis enregistrés aux fins de remboursement par le receveur général du Canada. Le fait que le programme d’APML fût d’une ampleur et d’un financement sans précédent ne donnait pas au DGE la latitude de refuser de certifier des dépenses électorales régulièrement engagées par les campagnes participantes. Une distinction nette doit être opérée entre la vérification et l’enquête. La Loi n’investit pas le DGE d’aucun pouvoir de mener une enquête générale sur la façon dont un parti dépense ses fonds ou contribue au financement des campagnes de ses candidats durant une élection. Si le DGE soupçonne qu’une personne ne se conforme pas à la Loi, l’affaire doit être renvoyée au commissaire aux élections fédérales pour que celui-ci mène une enquête. Cependant, la Cour ne peut donner son aval à l’interprétation excessivement restrictive des pouvoirs conférés au DGE par les articles 435 et 465. En matière de vérification de dépenses électorales et personnelles dont un parti enregistré ou un candidat a demandé le remboursement, le rôle du DGE ne se limite pas à s’assurer que les conditions exigées par la Loi sont remplies. Pour être convaincu que le compte des dépenses électorales est déclaré avec exactitude, le DGE doit avoir le pouvoir d’effectuer une vérification du compte de campagne électorale et d’autres documents.
S’agissant de ce qui constitue une dépense électorale raisonnable engagée par un candidat en application du paragraphe 407(1) de la Loi, l’interprétation littérale de cette disposition milite en faveur de la lecture conjonctive que l’on trouve dans les documents publiés par le DGE avant l’élection de 2006, c’est-à-dire que les dépenses électorales peuvent servir exclusivement à favoriser un candidat ou à favoriser directement à la fois un candidat et un parti enregistré ou son chef. Dans tous les cas, les dépenses électorales déclarées doivent satisfaire au critère de l’objet énoncé à l’article 407. Cependant, un examen de la preuve documentaire confirmait qu’Élections Canada et le DGE avaient adopté une approche plutôt pragmatique et souple pour décider si des dépenses publicitaires engagées par un candidat satisfont à ce critère. En effet, par le passé, le DGE s’était généralement abstenu d’enquêter sur le contenu d’annonces publicitaires. Tous les manuels d’Élections Canada, sauf le plus récent publié en mars 2007, indiquent que le DGE assimile à une dépense électorale, aux fins du remboursement, toute dépense engagée par la campagne d’un candidat pour l’achat d’une annonce en faveur à la fois du candidat et du parti auquel il est associé. Le fait que la même annonce aurait, à une occasion différente, servi de publicité en faveur du parti lui-même ne serait pas considéré comme pouvant justifier le refus de certifier la dépense faite pour cette annonce.
Pour conclure, il appert de la preuve au dossier que les soupçons du DGE (selon lesquels le programme d’APML était une façade) ne justifiaient pas les décisions attaquées ou constituaient des motifs raisonnables de suspendre indéfiniment la délivrance de nouveaux certificats en vertu de l’article 465. Les demandeurs avaient manifestement le droit d’être remboursés parce que la preuve produite établissait que les dépenses publicitaires étaient admissibles à titre de « dépenses électorales » et qu’elles avaient effectivement été engagées par les demandeurs. Qui plus est, le fait que les dépenses avaient été sous-estimées par rapport à leur valeur commerciale ne faisait pas obstacle à leur certification aux termes de l’article 465.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 3.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 487 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 68; L.C. 1994, ch. 44, art. 36; 1997, ch. 18, art. 41; c. 23, art. 12; 1999, ch. 5, art. 16; 2008, ch. 18, art. 11).
Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].
Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9, art. 2(1) « contribution », « contribution monétaire », « contribution non monétaire », « valeur commerciale », 16d), 83(1), 319 « publicité électorale », 320, 323, 400, 401, 402 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 22), 403 (mod. par L.C. 2001, ch. 21, art. 21), 404 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 24), 404.2 (édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 24; 2006, ch. 9, art. 44), 406, 407 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 26), 409, 416(1), 422 (mod., idem, art. 32), 423, 424 (mod., idem, art. 34), 429 à 434, 435 (mod., idem, art. 39), 436, 437 (mod., idem, art. 41), 438, 440, 441 (mod. par L.C. 2001, ch. 21, art. 22), 443(1), 446, 447(2), 451 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 44; 2006, ch. 9, art. 52), 452 (mod., idem, art. 53), 453 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 46), 454, 455 (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 19), 456 à 460, 461 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 47), 462, 464 (mod., idem, art. 48), 465 (mod., idem, art. 49), 466 (mod. par L.C. 2007, ch. 21, art. 35), 467 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 50), 468 (mod., idem, art. 51), 469 (mod., idem, art. 52), 470 (mod., idem, art. 53), 480 à 483, 484 (mod. par L.C. 2007, ch. 21, art. 36), 485, 486 (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 56; 2007, ch. 21, art. 37), 487 (mod., idem, art. 37.1), 488, 489 (mod., idem, art. 38), 490 à 496, 497 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 58; 2004, ch. 24, art. 21; 2006, ch. 9, art. 57; 2007, ch. 21, art. 39), 498, 499, 500 (mod., idem, art. 39.1), 501 (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 22), 502 (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 58), 503 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 59), 504 (mod., idem, art. 60), 505, 506 (mod., idem, art. 61), 507 (mod., idem), 508, 511(1) (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 130).
Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), ch. E-2, art. 48 (mod. par L.C. 1993, ch. 19, art. 21).
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 76 (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 20, 50(F); 1999, ch. 31, art. 114(F)), 155.
Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2(1) « office fédéral » (mod., idem, art. 15), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 28.
JURISPRUDENCE CITÉE
décision appliquée :
Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.
décisions examinées :
Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569; Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827; Conservative Fund Canada v. Canada (Chief Electoral Officer), [2010] G.S.T.C. 79, 2010 G.T.C. 1045, 2009 CanLII 72340 (C.S. Ont.); Stevens c. Parti conservateur du Canada, 2004 CF 1628, conf. par 2005 CAF 383, [2006] 2 R.C.F. 315; Démocratie en surveillance c. Campbell, 2009 CAF 79, [2010] 2 R.C.F. 139; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 991; Longley v. Canada (Attorney General), 2007 ONCA 852, 88 O.R. (3d) 408, 288 D.L.R. (4th) 599, 165 C.R.R. (2d) 190.
décisions citées :
Rae c. Canada (Directeur général des élections), 2008 CF 246, [2008] 4 R.C.F. 517; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Somerville v. Canada (Attorney General) (1996), 184 A.R. 241, 136 D.L.R. (4th) 205, [1996] 8 W.W.R. 199 (C.A.); Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287; Manuge c. Canada, 2009 CAF 29, [2009] 4 R.C.F. 478.
DOCTRINE CITÉE
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision du directeur général des élections de refuser de certifier certaines dépenses publicitaires qui avaient été déclarées à titre de dépenses électorales pendant les élections fédérales de 2006. Demande accueillie.
ONT COMPARU
Michel Décary, c.r. et Stephen W. Hamilton pour les demandeurs.
Barbara A. McIsaac, c.r. et Nadia Effendi pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour les demandeurs.
Bordner Ladner Gervais S.R.L., S.E.N.C.R.L., Ottawa, pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Martineau : La Cour est appelée à examiner le rôle qu’exerce le directeur général des élections (DGE), qui est le défendeur en la présente instance en contrôle judiciaire, aux termes de la partie 18 — Gestion financière de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9 (la Loi). Aux fins de la présente procédure, prennent une importance particulière les dispositions visant le remboursement des dépenses électorales déclarées par les candidats qui ont participé aux élections fédérales.
[2] La 39e élection générale a eu lieu le 23 janvier 2006 (l’élection de 2006). Le ou vers le 23 avril 2007, le défendeur a envoyé des lettres à un certain nombre de candidats du Parti conservateur du Canada (le Parti) qui ont participé aux élections de 2006, par lesquelles il les informait de sa décision de refuser de certifier certaines dépenses publicitaires qui avaient été déclarées à titre de dépenses électorales.
[3] Les demandeurs sont les agents officiels de deux candidats conservateurs, et faisaient partie des destinataires de ces lettres de refus. C’est en cette qualité qu’ils contestent la légalité de la décision du DGE de refuser de certifier certaines dépenses électorales déclarées par leurs campagnes particulières (les décisions attaquées). Ils demandent à la Cour d’annuler ces deux décisions et d’enjoindre au défendeur de remettre de nouveaux certificats au receveur général du Canada (le receveur général) comprenant les dépenses électorales déclarées.
[4] La Cour ne retient pas tous les moyens invoqués par les demandeurs; cependant, les décisions attaquées doivent être annulées et l’affaire renvoyée au défendeur avec les instructions appropriées.
[5] La Cour a tiré cette conclusion après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve produits par les parties à la présente procédure, les observations faites par leurs avocats dans leurs écritures et aux cours des débats qui ont duré cinq jours (du 23 novembre au 27 novembre 2009), et la documentation et les observations additionnelles produites par toutes les parties après ceux-ci.
I – CADRE LÉGISLATIF
[6] Avant d’examiner les faits pertinents de la présente procédure, il est nécessaire de souligner l’objet des dispositions qui se trouvent à la partie 18 de la Loi. Ces textes portent sur le plafonnement des dépenses électorales, et ils permettent à la Cour de comprendre celui-ci ainsi que les obligations auxquelles sont soumis les agents officiels et les principes fondamentaux qui régissent la production des rapports relatifs aux dépenses engagées par les candidats aux élections fédérales et le remboursement de celles-ci.
A – PLAFONNEMENT DES DÉPENSES
[7] En 1991, la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (la Commission Lortie) a insisté sur l’importance du plafonnement des dépenses en ce qui a trait à l’équité électorale. Elle a notamment constaté une corrélation entre la communication politique, le plafonnement des dépenses et le comportement des électeurs. Il fut relevé que la communication politique a un effet bien établi sur les électeurs et que les inégalités dans la capacité financière des participants (c’est-à-dire les candidats et/ou les partis enregistrés) aux élections ont une incidence considérable sur l’issue du vote, puisque les participants disposant de plus grandes ressources sont en mesure de communiquer plus fréquemment et avec l’assistance de différents médias (Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis. Pour une démocratie électorale renouvelée : rapport final, vol. 1 (Ottawa : Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1991), aux pages 336 et 352 (président : Pierre Lortie)).
[8] Six ans plus tard, dans l’arrêt Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, la Cour suprême du Canada confirmait l’importance du plafonnement des dépenses en matière électorale. Aux paragraphes 47 et 48, la Cour a relevé que « le plafonnement des dépenses est essentiel pour assurer la primauté du principe d’équité dans les élections démocratiques » et que, « [a]fin que le régime de plafonnement des dépenses soit pleinement efficace, les limitations doivent s’appliquer à toutes les dépenses électorales possibles ».
[9] En 2004, le juge Bastarache, qui s’exprimait au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Harper c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 33, [2004] 1 R.C.S. 827 (Harper), aux paragraphes 102 et 103, a observé que « [l]e système de financement électoral est le mécanisme principal par lequel l’État favorise l’égalité dans le débat politique » et « [s]i les Canadiens ne croient pas en leur système électoral, ils seront dissuadés de participer utilement au processus électoral ».
[10] Au paragraphe 62, le juge Bastarache signale que le législateur fédéral a adopté « le modèle électoral égalitaire », lequel vise à « permettre à ceux qui souhaitent participer au débat électoral de le faire à armes égales »; à cet égard, il fait l’observation suivante :
En conséquence, le modèle égalitaire préconise un processus électoral où il faut empêcher les nantis de dominer le processus au détriment des personnes possédant des ressources financières moins grandes. Il existe deux façons pour l’État d’instaurer l’égalité de participation dans le processus électoral : O. M. Fiss, The Irony of Free Speech (1996), p. 4. Premièrement, l’État peut donner une voix à ceux qui ne pourraient autrement se faire entendre. C’est ce que fait la Loi en prévoyant le remboursement des dépenses des candidats et des partis politiques et en attribuant du temps d’antenne aux partis politiques. Deuxièmement, l’État peut atténuer les voix qui dominent le discours politique pour que d’autres voix puissent elles aussi se faire entendre. Au Canada, le législateur a choisi de régir le processus électoral principalement au moyen de la deuxième solution, soit en réglementant les dépenses électorales par des dispositions exhaustives sur le financement des élections. Ces dispositions visent à permettre à ceux qui souhaitent participer au débat électoral de le faire à armes égales. Leur participation permet aux électeurs d’être mieux informés; aucune voix n’est étouffée par une autre. À l’opposé, le modèle électoral libertaire préconise un processus électoral comportant le plus petit nombre possible de restrictions.
[11] L’article 422 [mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 32] de la Loi donne la formule de calcul du plafond des dépenses électorales que les partis enregistrés peuvent engager au cours d’une élection. Aux termes de l’article 423, il est interdit à l’agent principal d’un parti enregistré de faire pour le compte du parti des dépenses électorales dont le total dépasse le plafond fixé.
[12] La formule de calcul du plafond des dépenses électorales que le candidat peut engager se trouve dans les articles 440 et 441 [mod. par L.C. 2001, ch. 21, art. 22] de la Loi. Aux termes du paragraphe 443(1), il est interdit au candidat, à l’agent officiel ou au mandataire visé à l’article 446 d’engager des dépenses électorales dont le total dépasse le plafond des dépenses électorales établi pour la circonscription au titre de l’article 440.
B – RÔLE DE L’AGENT OFFICIEL
[13] Tout candidat est tenu, avant d’accepter une contribution ou d’engager une dépense électorale, de nommer un agent officiel (paragraphe 83(1) de la Loi). L’agent officiel est chargé de la gestion des opérations financières du candidat pour la campagne électorale de celui-ci et de rendre des comptes sur celles-ci en conformité avec la présente Loi (article 436).
[14] L’agent officiel du candidat est tenu d’ouvrir, aux fins des dépenses électorales, un compte bancaire unique auprès d’une institution financière canadienne. Ce compte est débité ou crédité de toutes les sommes payées ou reçues pour le candidat (paragraphes 437(1) [mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 41] et 437(3)).
[15] Il est interdit à toute personne ou entité, sauf à l’agent officiel, au candidat et au mandataire que l’agent a autorisé par écrit à conclure des contrats d’engager des dépenses électorales (paragraphe 438(5) et article 446). Cependant, seul l’agent officiel peut payer ces dépenses (paragraphe 438(4)), ou recevoir une contribution pour le compte d’un candidat (paragraphe 438(2)).
C – OBLIGATIONS DE DÉCLARATION
[16] Le régime de déclaration institué par la partie 18 de la Loi constitue un élément essentiel du régime de financement électoral. À la fin des élections, les agents officiels des candidats et les agents principaux des parties doivent déclarer les contributions qu’ils ont reçues et les dépenses qu’ils ont engagées de la manière prévue par la Loi.
[17] En ce qui concerne les déclarations relatives aux dépenses électorales, les exigences sont énoncées dans les articles 429 à 434 de la Loi. Lorsque le parti n’est pas tenu de déclarer ces contributions et ces dépenses dans son état compte des dépenses électorales, en principe, elles sont déclarées dans le rapport annuel qu’il doit produire pour chaque exercice (article 424 [mod., idem, art. 34]). En outre, ce rapport doit comprendre un état, par circonscription, de la valeur commerciale des produits ou des services fournis et des fonds cédés par le parti à un candidat ou à l’association de circonscription (alinéa 424(2)h)).
[18] En ce qui concerne les candidats, on trouve les exigences relatives à la production de leurs rapports aux articles 451 à 462 [art. 451 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 44; 2006, ch. 9, art. 52), 452 (mod., idem, art. 53), 453 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 46), 455 (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 19), 461 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 47)] de la Loi. À la fin de l’élection, l’agent officiel est chargé de produire au DGE un compte de campagne électorale vérifié lequel doit notamment comprendre un état des dépenses, électorales et autres, un état de la valeur commerciale de toutes les contributions (monétaires et non-monétaires) reçues et un état de la valeur commerciale des services fournis et des fonds cédés par le candidat à un parti enregistré (ou inversement) (paragraphe 451(1) et alinéas 451(2)a), b), f), i) et j)).
[19] Le compte de campagne électorale produit par l’agent officiel au DGE est accompagné des pièces justificatives concernant les dépenses exposées dans ce compte, notamment les états de compte bancaires, les bordereaux de dépôt, les chèques annulés ainsi que l’état des dépenses personnelles (paragraphe 451(2.1)). En outre, après la fermeture du compte, l’agent officiel en produit auprès du DGE l’état de clôture (paragraphe 437(5)).
[20] L’agent officiel et le candidat produisent aussi au DGE le rapport du vérificateur en accompagnement du compte de campagne électorale et des déclarations faites, selon les formes prescrites (paragraphe 451(1) et article 453). Le rapport du vérificateur comporte une liste de contrôle établie sur le formulaire prescrit et, le cas échéant, une conclusion défavorable concernant l’exactitude et la plénitude des renseignements produits dans les états financiers. Les honoraires versés par le candidat au vérificateur constituent aussi des dépenses électorales (article 406).
[21] En tout temps, le DGE peut apporter à un document produit au nom d’un candidat conformément aux paragraphes 451(1) et 455(1) ou d’un parti enregistré, conformément aux paragraphes 424(1) et 429(1), des corrections qui n’en modifient pas le fond sur un point important (paragraphe 432(1) ou 457(1)). Sur demande écrite de l’agent principal d’un parti enregistré ou du candidat ou de son agent officiel, le DGE peut autoriser la prorogation du délai ou la correction d’un des documents énumérés ci-dessus. Il faut souligner le fait que ce pouvoir peut être exercé lorsqu’il ressort des éléments de preuve qu’il y a eu inadvertance ou véritable erreur de fait (voir les alinéas 433(3)c) ou 458(3)d)).
[22] De surcroît, le DGE peut toujours demander par écrit à un parti enregistré, un candidat ou l’agent officiel de corriger, dans le délai imparti, un document, sous la seule réserve que ces trois intéressés ont le droit de demander au juge de rendre une ordonnance les autorisant à se soustraire à la demande (voir paragraphe 432(2), alinéa 434(1)a), paragraphe 457(2) et alinéa 459(1)a)). Une telle demande n’est pas présentée à la Cour fédérale, mais au « juge habile à procéder au dépouillement judiciaire du scrutin ». Le juge ne peut rendre l’ordonnance que s’il est convaincu que des motifs visés par la Loi sont applicables, notamment s’il y a eu inadvertance ou véritable erreur de fait (voir les paragraphes 434(3) et 459(3)). Voir aussi Conservative Fund Canada v. Canada (Chief Electoral Officer), [2010] G.S.T.C. 79 (C.S. Ont.) (la décision Conservative Fund Canada).
[23] Donc, s’il est porté à l’attention du DGE que des dépenses ont été omises par erreur du compte du candidat ou du parti, il peut demander que soit corrigé ce compte, même si un certificat a déjà été émis conformément à l’article 435 [mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 39] ou à l’article 465 [mod., idem, art. 49] (qui font l’objet d’observations plus bas). Il peut aussi faire une demande de modification lorsqu’une dépense électorale n’a pas été incluse à juste titre.
D – REMBOURSEMENTS DU RECEVEUR GÉNÉRAL
[24] L’article 435 de la Loi régit le remboursement partiel (au taux de 50 %) des dépenses électorales payées par les partis enregistrés. Les remboursements sont notamment soumis au respect, par ces partis et leurs agents principaux, des obligations de production de rapports prévues par les articles 429 à 434.
[25] Les articles 464 à 470 [art. 464 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 48), 466 (mod. par L.C. 2007, ch. 21, art. 35), 467 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 50), 468 (mod., idem, art. 51), 469 (mod., idem, art. 52), 470 (mod., idem, art. 53)] encadrent le remboursement partiel (aux taux de 60 %) des dépenses électorales payées et des dépenses personnelles engagées par les candidats au cours d’une élection fédérale. De manière similaire au régime applicable aux partis enregistrés, les candidats ne peuvent obtenir un remboursement que s’ils respectent les exigences de produire des rapports énoncées aux articles 451 à 462.
[26] L’article 464 de la Loi dispose que, immédiatement après l’élection, dès qu’il reçoit le certificat émis par le DGE, le receveur général fait un premier versement d’un montant égal à 15 % du plafond des dépenses électorales du candidat (selon le calcul prévu à l’article 440) à chaque candidat qui a obtenu au moins 10 % des votes validement exprimés à cette élection.
[27] Selon le paragraphe 465(1) de la Loi, le DGE remet au receveur général un certificat « établissant [...] sa conviction que [notamment] le candidat et son agent officiel ont rempli les conditions imposées au titre du paragraphe 447(2) et se sont conformés aux articles 451 à 462 » [non souligné dans l’original], par lequel est autorisé le dernier versement.
[28] Le montant du dernier versement est le moins élevé des montants suivants : 1) 60 % de la somme des dépenses électorales payées et des dépenses personnelles payées moins le remboursement partiel déjà reçu au titre de l’article 464; 2) 60 % du plafond des dépenses électorales établi au titre de l’article 440, moins le remboursement partiel déjà reçu au titre de l’article 464 (paragraphe 465(2)).
E – INFRACTIONS ET POURSUITES PÉNALES
[29] À part les dispositions de la partie 18 de la Loi qui portent sur le traitement administratif des contributions faites et des dépenses engagées au cours d’une élection, la Loi institue à la partie 19 — Contrôle d’application, un régime concurrent qui permet au commissaire aux élections fédérales (le commissaire) d’enquêter sur les faits qui sont susceptibles de constituer les infractions réprimées par les articles 480 à 499 [art. 484 (mod. par L.C. 2007, ch. 21, art. 36), 486 (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 56; 2007, ch. 21, art. 37), 487 (mod., idem, art. 37.1), 489 (mod., idem, art. 38), 497 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 58; 2004, ch. 24, art. 21; 2006, ch. 9, art. 57; 2007, ch. 21, art. 39)] (il faut noter que les articles 500 à 508 [art. 500 (mod. par L.C. 2007, ch. 21, art. 39.1), 501 (mod. par L.C. 2004, ch. 24, art. 22), 502 (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 58), 503 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 59), 504 (mod., idem, art. 60), 506 (mod., idem, art. 61), 507 (mod., idem)] portent sur les sanctions relatives à ces infractions). Ces enquêtes peuvent éventuellement aboutir à des poursuites pénales visant les personnes qui paraissent avoir violé la Loi.
[30] Si le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction réprimée par la présente Loi a été commise, il renvoie l’affaire au directeur des poursuites pénales (le DPP) qui décide s’il y a lieu d’engager des poursuites visant à la sanctionner (paragraphe 511(1) [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 130]).
[31] Signalons en particulier que commet une infraction l’agent principal d’un parti enregistré qui dépasse le plafond des dépenses électorales de celui-ci (alinéas 497(1)l) et 497(3)g)). De même, commet une infraction le candidat, l’agent officiel ou la personne autorisée par écrit à conclure des contrats (conformément à l’article 446) qui dépasse le plafond des dépenses électorales du candidat établi par la Loi (paragraphe 443(1) et alinéa 497(1)s)).
II – LES FAITS
[32] Les demandeurs, L. G. Callaghan et David Pallet, sont les agents officiels de deux candidats du Parti qui ont participé aux élections de 2006. M. Callaghan agit pour le compte de Robert Campbell dans la circonscription de Dartmouth–Cole Harbour (Dartmouth), tandis que M. Pallet agit pour le compte de Dan Mailer dans la circonscription de London–Fanshawe (London).
[33] Trois cent huit candidats du Parti ont participé à l’élection de 2006. Le Fonds conservateur du Canada (le Fonds) était l’agent principal du Parti. Ainsi que 65 autres agents officiels de candidats conservateurs, les demandeurs ont présenté leur compte relatif à leur part d’un programme d’« achats publicitaires dans des médias locaux » (APML) mis sur pied par le Parti (les dépenses électorales déclarées).
[34] Comme il ressort des factures produites avec les comptes de campagne électorale des candidats, il semble que le Fonds ait été le fournisseur relativement à ce programme d’APML.
[35] Les brefs relatifs à l’élection de 2006 furent délivrés le 29 novembre 2005. Selon les éléments de preuve produits par les parties, le Parti a élaboré son programme d’APML au début du mois de décembre 2005. Selon ce programme, une banque de publicités radio et télévisées devait être offerte à la vente à certains candidats conservateurs dans tout le Canada (à l’exception de l’Alberta). La somme donnée en contribution par chaque campagne était subordonnée à la disponibilité d’un espace dans le budget de l’agent officiel, vu ses dépenses électorales projetées. Ainsi, le candidat pouvait faire une contribution à un programme d’achats publicitaires dans des médias locaux (APML) tant et aussi longtemps qu’elle était en dessous du plafond des dépenses électorales de la campagne. Cela dit, nulle campagne ne pouvait participer au programme d’APML sans l’accord du candidat ou de l’agent officiel.
[36] Les publicités en question ont été diffusées à la télévision et à la radio aux cours de la période électorale de 2006 (sauf pendant la période d’interdiction de publicité) dans la zone d’activité de chaque campagne participante. Le Parti était chargé de la production et du contenu des publicités. Sauf pour le « titre d’appel » qui indiquait l’autorisation de l’agent officiel, ces publicités étaient les mêmes que celles que le Parti avait déjà utilisées ou utilisait au même moment dans sa campagne de promotion du Parti et de son chef.
[37] Lorsqu’elles demandaient à participer au programme d’APML, les campagnes choisies étaient informées que le Parti financerait leurs engagements envers le programme par des cessions de fonds entre le Fonds et les comptes bancaires respectifs de celles-ci.
[38] Il ressort des éléments de preuve que le Parti a bel et bien financé les contributions des candidats par le procédé suivant : premièrement, le Fonds établissait une facture à l’agent officiel. Simultanément, l’agent officiel remplissait un formulaire de virement libellé au même montant que celui qui figurait dans la facture devant être cédé de la campagne au Fonds. Ce formulaire de virement était signé et renvoyé au Fonds, lequel y ajoutait, le cas échéant, les informations manquantes. Le Fonds préparait ensuite un deuxième virement, par lequel devait être transmise la même somme du Fonds au candidat. Enfin, lorsque le virement du Fonds était complété, le formulaire de virement complété par l’agent officiel était renvoyé à la banque pour paiement immédiat.
[39] D’ailleurs, lors de l’élection de 2006, le Fonds a transféré quelque 1,2 millions de dollars aux 67 campagnes locales participant au programme d’APML. Cette somme a été retournée en totalité au Fonds par le truchement de ces virements « réciproques » avec chaque candidat participant.
[40] À la date du 19 décembre 2005, les campagnes de London et de Dartmouth avaient toutes deux convenu de participer au programme d’APML. Selon le document du Parti intitulé « ROC CANDIDATE ALLOCATION (as of Dec 19/05) » ([traduction] « ALLOCATION DU CANDIDAT HORS QUÉBEC (au 19 déc. 19/05) »), toutes deux s’étaient engagées à verser une contribution de 10 000 $.
[41] Retail Media Inc. (RMI), la société qui intervenait à titre de fournisseur/mandataire autorisé relativement aux achats de publicités faits par le Parti, était l’intermédiaire chargé des réservations de temps d’antenne pour les campagnes participantes, notamment celles de Dartmouth et de London.
[42] Finalement, le Fonds a facturé la campagne de Dartmouth la somme de 3 947,07 $, y compris la TPS, comme cela ressort de la facture portant le numéro MBUYROC050019 et datée du 23 décembre 2005, laquelle fut dûment réglée le 11 janvier 2006. La même somme a été déclarée à titre de dépense électorale par le demandeur L. G. Callaghan. Dans le compte produit le 19 mai 2006 au nom de Robert A. Campbell (Dartmouth), cette dépense est désignée ainsi : « 2005-2006 Candidate share of media advertisement » ([traduction] « Part des publicités du candidat dans les médias pour 2005-2006 »).
[43] Le Fonds a aussi facturé la campagne de London la somme de 9 999,15 $, y compris la TPS, comme il ressort de la facture portant le numéro MBUYROC050013 et datée du 23 décembre 2005, laquelle fut dûment réglée le 10 janvier 2006. La même somme a été déclarée à titre de dépense électorale par le demandeur David Pallet. Là encore, dans le compte produit le 11 mai 2006 au nom de Dan Mailer (London), cette dépense est désignée ainsi : “2005-2006 Candidate share of media advertisement” ([traduction] « Part des publicités du candidat dans les médias pour 2005-2006 »).
[44] Dans les deux circonscriptions de Dartmouth et de London, les publicités qui ont été diffusées au cours de l’élection de 2006 contenaient des « titres d’appel » indiquant qu’elles avaient été autorisées par les demandeurs.
[45] Par des lettres distinctes, mais presque identiques datées du 23 avril 2007, les demandeurs furent informés que les dépenses électorales déclarées seraient exclues du montant que le défendeur certifierait aux fins de remboursement par le receveur général, au motif que le DGE ne pouvait [traduction] « conclure que la documentation produite établit la réalité de la dépense électorale déclarée ».
[46] La présente procédure en contrôle judiciaire fut engagée le 14 mai 2007. Il est utile de signaler que des lettres de refus similaires furent envoyées à d’autres agents officiels de candidats conservateurs le 13 avril, le 23 avril et le 27 août 2007. à l’origine, il y avait 34 agents officiels demandeurs; cependant, M. Callaghan à titre d’agent officiel de Robert Campbell, et M. Pallet à titre d’agent officiel de Dan Mailer, sont les seuls demandeurs qui restent.
III – MOTIFS DE REFUS DE CERTIFIER LES DÉPENSES DÉCLARÉES ET LES ÉLÉMENTS DE PREUVE PERTINENTS
[47] Les décisions attaquées ne furent pas le résultat d’une analyse menée uniquement par le défendeur. Il ressort des éléments de preuve produits que des représentants d’Élections Canada avaient soulevé des questions au cours de la vérification des comptes de campagne produits par certains candidats conservateurs. Il faut signaler que ces réserves, qui ont abouti à la décision de refus de la certification demandée, n’avaient pas pour source les comptes produits par les candidats qui sont représentés par les demandeurs dans la présente procédure.
[48] Pendant environ deux mois avant la prise de la décision définitive, il y a eu plusieurs discussions entre le Parti et Élections Canada. Suite à ces communications, le Parti a remis à Élections Canada des informations additionnelles au sujet du programme d’APML.
[49] Élections Canada a été informé par le Parti en janvier 2007 qu’il n’existait [traduction] « nul document contractuel entre le parti enregistré des candidats et le fournisseur [RMI] portant sur les arrangements concernant les achats de publicités locales ».
[50] Au début du mois d’avril 2007, il y a eu une réunion entre des représentants du Parti, parmi lesquels se trouvait Mme Susan Kehoe, qui était alors la directrice générale des finances du Fonds, et des représentants d’Élections Canada. Au cours de cette réunion, le Parti a demandé à Élections Canada de ne plus tenter d’entrer en contact avec des candidats conservateurs au motif que nulle information additionnelle ne serait désormais fournie.
[51] Si les décisions attaquées sont celles qui figurent dans les deux lettres adressées aux demandeurs, en date du 23 avril 2007, celles-ci ne furent pas la dernière communication entre Élections Canada et le Parti. Le 24 avril 2007, le défendeur a fait état des motifs suivants à l’appui de son refus de certifier au receveur général toutes les dépenses d’APML déclarées par les candidats conservateurs pour l’élection de 2006 qui n’avaient pas déjà été remboursées :
[traduction] J’ai rendu ma décision concernant le programme d’« achats de publicités » selon mon appréciation des faits entourant celui-ci, qui demeurent troubles. Par exemple, la facturation interne entre le Parti et les candidats n’était pas appuyée par des pièces justificatives émanant de tiers; en outre, j’ai constaté l’absence de corrélation entre la part des frais de publicités des différentes campagnes et la valeur commerciale de ceux-ci relativement à ces campagnes. S’il peut y avoir différents mode d’évaluation de cette valeur commerciale, le critère utilisé doit être raisonnable. La valeur commerciale ne peut être uniquement fondée sur la volonté et la capacité de payer tel ou tel montant de chaque campagne. Tel a été par le passé le point de vue d’Élections Canada, et celui-ci demeure inchangé.
Comme cela est indiqué plus haut, les faits entourant le programme d’« achats de publicités » font l’objet d’un examen de la part du commissaire aux élections fédérales et vous êtes libre de communiquer avec lui si vous avez des questions à cet égard.
[52] Bref, après avoir rappelé que les informations fournies par les candidats et le Parti étaient insuffisantes et soulevé la question de la valeur commerciale des dépenses électorales déclarées, le défendeur informe poliment le Parti qu’il a des motifs de croire que le Parti a fait quelque chose d’illégal, d’où sa décision de renvoyer l’affaire au commissaire pour enquête.
[53] Quelques mois après que la présente procédure eut été engagée, dans son affidavit en date du 14 janvier 2008, Mme Janice Vézina, Sous-directrice générale associée des élections, Financement politique et dirigeante principale des finances au bureau du directeur général des élections du Canada, a expliqué que, outre les motifs de refus déjà mentionnés, Élections Canada était troublé par le manque [traduction] « d’éléments de preuve documentaires susceptibles d’établir l’existence d’un arrangement contractuel [entre] les candidats participant au programme d’achats de publicités [et] le fournisseur (RMI) concernant ces achats ».
[54] Au surplus, Mme Vézina a souligné le fait que le défendeur, lorsqu’il a rendu sa décision, a manifestement tenu compte de deux importants [traduction] « éléments de fait » :
a) D’abord, vu le contenu de la publicité elle-même, elle ne faisait pas directement la promotion des candidats qui avaient déclaré la dépense. Ces publicités ne dissipaient donc pas les doutes qui s’étaient fait jour sur la question de savoir si ces dépenses étaient bien celles des campagnes des candidats;
b) Puis, le Parti avait presque atteint le plafond de dépenses fixé par la Loi, de sorte qu’il ne pouvait plus déclarer des publicités au titre de dépenses sans le dépasser.
[55] À ce stade, il faut signaler que, à l’heure actuelle, le commissaire enquête afin de savoir si le Parti ou le Fond ont engagé des dépenses allant au-delà de leur plafond de dépenses électorales, contrairement aux alinéas 497(1)l) et 497(3)g) de la Loi, et, en outre, si, contrairement au sous-alinéa 497(3)m)(ii), le Fonds a produit un compte des dépenses électorales alors qu’il savait, ou aurait dû savoir qu’il renfermait une déclaration fausse ou trompeuse.
[56] Dans le cadre de cette enquête, Ronald Lamothe, enquêteur du bureau du commissaire aux élections fédérales, a présenté, en vertu de l’article 487 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 68; L.C. 1994, ch. 44, art. 36; 1997, ch. 18, art. 41; ch. 23, art. 12; 1999, ch. 5, art. 16; 2008, ch. 18, art. 11] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, une demande ex parte de mandat de perquisition devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
[57] Cette demande a été accueillie sur la base d’une dénonciation faite sous serment par M. Lamothe, et un mandat de perquisition a été lancé, ce qui a rendu possible la perquisition des bureaux du Parti et du Fonds. Cette perquisition a été effectuée les 15 et 16 avril 2008, et quelque 22 boîtes de documents et un certain nombre de disques durs ont été saisis.
[58] Cela dit, on a informé la Cour à l’audience que l’enquête du commissaire, laquelle a été entamée il y a plus de deux ans, est toujours en cours. Aucune accusation n’a été portée officiellement par le DPP aux termes de la Loi, que ce soit contre le Parti ou le Fonds.
IV – LA PRÉSENTE PROCÉDURE
[59] Sous réserve de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)] (la LCF), la Cour fédérale a compétence exclusive pour connaître, en première instance des recours en injonction, certiorari, prohibition, mandamus, ou quo warranto, ou en jugement déclaratoire contre tout « office fédéral » exerçant les pouvoirs qui lui sont conférés par une loi fédérale (paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 15] et article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la LCF).
[60] Ce rôle de surveillance de la Cour ne vise pas que les décisions formelles; il comprend l’examen de la légalité d’une large gamme d’actions administratives, notamment celles que peut prendre le défendeur en vertu de la partie 18 de la Loi : Rae c. Canada (Directeur général des élections), 2008 CF 246, [2008] 4 R.C.F. 517 (décision Rae), au paragraphe 13; Stevens c. Parti conservateur du Canada, 2004 CF 1628 (décision Stevens), conf. par 2005 CAF 383, [2006] 2 R.C.F. 315 (décision Stevens II).
[61] En l’espèce, la Cour est appelée à rechercher si le défendeur peut légalement refuser de certifier, aux fins du remboursement prévu par l’article 465 de la Loi, les dépenses électorales déclarées au motif qu’il ne peut conclure qu’elles ont été réellement engagées par les demandeurs ou les candidats dont ils sont les agents officiels.
[62] Les demandeurs invitent la Cour à décerner un bref de mandamus afin de contraindre le défendeur à délivrer de nouveaux certificats au receveur général visant les dépenses électorales déclarées, et/ou un bref de certiorari annulant les décisions attaquées comprenant, ou non, des directives adressées au défendeur.
V – NORME DE CONTRÔLE
[63] Le recours en mandamus vise à obliger une autorité publique à remplir l’obligation que la loi lui impose. Pour que la Cour décerne un bref de mandamus, il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public ; l’obligation doit exister envers le demandeur; la Cour doit conclure qu’il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation; le demandeur ne dispose d’aucun autre recours; l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique; l’equity ne fait pas obstacle à la mesure sollicitée; et compte tenu de la « prépondérance des inconvénients », une ordonnance de mandamus doit être rendue : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.) (arrêt Apotex), aux pages 766 à 769, conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100.
[64] En matière de recours en mandamus, la Cour n’est pas tenue de se prononcer sur la norme de contrôle indiquée. Lorsqu’une décision doit être prise, le recours en mandamus est accueilli même si le décideur jouit d’un certain pouvoir discrétionnaire quant aux modalités de cette décision. Par exemple, le recours en mandamus demeure ouvert lorsque le décideur a grevé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur des facteurs sans pertinence, ou lorsqu’il a agi contrairement à la loi d’une manière ou d’une autre : Donald J. M. Brown, c.r. et l’honorable John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1 (Toronto : Canvasback, 1998), au paragraphe 1:3230 (Brown et Evans); arrêt Apotex, précité, aux pages 766 à 769.
[65] Si le critère du recours en mandamus énoncé dans la jurisprudence Apotex est rempli, la Cour doit décerner le bref. Dans certains cas, le recours en certiorari peut se cumuler avec le recours en mandamus; en effet, lorsqu’une décision a déjà été prise, il peut être nécessaire non seulement de l’annuler, mais aussi d’obliger le décideur à prendre une mesure spécifique : Brown et Evans, plus haut, au paragraphe 1:3300.
[66] En l’espèce, si les conditions du recours en mandamus ne sont pas remplies, les demandeurs invitent néanmoins la Cour à décerner un bref de certiorari et ainsi d’annuler les décisions attaquées.
[67] En ce qui concerne le recours en certiorari, les demandeurs soutiennent que le DGE ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire aux termes de l’article 465 de la Loi d’examiner ou de prendre en compte l’exactitude d’un compte de campagne électorale produit par un candidat, ou au nom de celui-ci, en vertu de l’article 451. Les demandeurs soutiennent que la norme de contrôle indiquée est celle de la décision correcte et donc que la Cour doit décerner un bref de mandamus obligeant le défendeur, conformément à l’article 465 de la Loi, d’émettre un certificat qui inclut les dépenses électorales déclarées au receveur général.
[68] En revanche, le défendeur soutient que le DGE a le pouvoir discrétionnaire d’effectuer une simple vérification, une vérification complète, ou de n’effectuer aucune vérification. Lorsque celui-ci opte pour la vérification, sa décision doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. En effet, cette thèse est sur tout fondée sur l’expertise du DGE et la nature de la question : il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.
[69] La Loi ne contient aucune clause privative empêchant la Cour d’examiner la légalité du refus du DGE de certifier les dépenses électorales déclarées. La question de savoir si une dépense doit être certifiée, ou non, aux fins de remboursement par le receveur général, n’est pas polycentrique; il n’est possible que de se prononcer au cas par cas, au terme d’un examen des éléments de preuve produits par chaque campagne.
[70] La portée et l’interprétation de l’article 465 de la Loi, un texte qui porte sur la compétence, est une pure question de droit; la norme de contrôle est donc celle de la décision correcte. La question de savoir si une dépense particulière déclarée par le candidat ou le parti enregistré est admissible aux fins de remboursement en est une mixte de fait et de droit. Premièrement, le DGE doit interpréter le paragraphe 407(1), lequel définit la notion de dépenses électorales; il doit ensuite appliquer cette définition aux faits.
[71] Comme l’enseigne la jurisprudence Démocratie en surveillance c. Campbell, 2009 CAF 79, [2010] 2 R.C.F. 139 (arrêt Démocratie en surveillance), au paragraphe 21, sauf s’il y a une pure question de droit que l’on peut dégager, on examine généralement les questions mixtes de fait et de droit comme les questions de fait : on suit la même norme de contrôle, à savoir celle de la décision raisonnable. Cependant, lorsque l’on peut dégager une pure question de droit, si elle revêt une grande importance pour le système juridique dans son ensemble ou s’il s’agit de se prononcer sur la portée des pouvoirs du décideur, la norme de contrôle est soit celle de la décision correcte, soit celle de la décision raisonnable. (Voir l’arrêt Démocratie en surveillance, au paragraphe 22.)
[72] Dans la présente procédure, le refus du défendeur de certifier les dépenses électorales déclarées aux fins de remboursement en vertu de l’article 465 de la Loi appelle forcément une interprétation de la notion de « dépenses électorales » qui figure au paragraphe 407(1). L’interprétation de chaque élément figurant au paragraphe 407(1) constitue une pure question de droit. L’interprétation générale du paragraphe 407(1) et des dispositions connexes est d’une importance essentielle pour le système juridique. En outre, le DGE ne dispose pas d’une expertise supérieure à celle de la Cour en ce qui a trait à l’interprétation des dispositions financières figurant dans la partie 18 de la Loi. Tels sont l’enseignement implicite et l’approche générale de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Stevens II, 2005 CAF 383, au paragraphe 26. Par conséquent, en ce qui concerne l’interprétation, par le défendeur, du paragraphe 407(1) et des dispositions connexes, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Cela dit, l’application de cette interprétation aux faits doit faire l’objet d’un examen selon la norme de la décision raisonnable.
[73] Lorsque l’on examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, on est appelé à dire si cette décision constitue une des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard du droit et des faits dont était saisi le décideur au moment où il s’est prononcé (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (l’arrêt Dunsmuir), aux paragraphes 46 et 47).
[74] Les faits sont toujours différents d’une affaire à l’autre. Cependant, en pratique, lorsque le DGE décide de certifier des dépenses déclarées, il le fait sans donner de motifs, d’explications ou de faits justificatifs. D’ailleurs, lorsque les décisions attaquées furent prises, le défendeur avait déjà accepté de certifier les dépenses électorales déclarées par 17 candidats qui avaient participé au programme d’APML. En ce qui concerne le refus du défendeur de certifier les dépenses électorales déclarées par les autres 50 candidats qui ont participé au programme d’APML, notamment les demandeurs, les motifs donnés par le défendeur sont légers; c’est le moins que l’on puisse dire. Les lettres envoyées par le défendeur ne permettent pas vraiment à la Cour de suivre le raisonnement qui a abouti aux refus en question.
[75] En ce qui a trait à l’existence d’un « dossier du tribunal », la Cour ne dispose en l’espèce que du « Candidate Contact Log. Summary » ([traduction] « Journal des contacts du candidat. Sommaire », ci-après, le « journal »), relatifs aux deux candidats dont les demandeurs étaient les agents officiels, et la documentation produite par les demandeurs ou par le Parti en leur nom. Malheureusement, ces journaux n’aident pas la Cour à cerner les motifs spécifiques, à supposer qu’il y en ait eu, d’exclusion des dépenses électorales déclarées aux fins de remboursement.
[76] Nulle déférence n’est due au défendeur ou à tout autre fonctionnaire d’Élections Canada en ce qui a trait à l’interprétation de la Loi. Si les exigences énoncées à l’article 465 sont remplies, le défendeur n’a pas le pouvoir d’exclure de la certification les dépenses réellement engagées par le candidat et qui constituent des « dépenses électorales » aux termes de l’article 407 [art. 407(3) (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 26)].
[77] Il s’ensuit que, en ce qui concerne la légalité du refus du défendeur de certifier les dépenses électorales déclarées au motif que le documentation et les preuves produites sont insuffisantes pour établir que ces dépenses ont bel et bien été engagées par les demandeurs, la Cour doit se pencher sur les circonstances entourant le programme d’APML, ainsi que la situation particulière des demandeurs.
[78] Comme l’a souligné la Cour dans la décision Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., 2009 CF 991, au paragraphe 364, « Les normes de contrôle judiciaire ne sont pas utiles dans les cas où le dossier de preuve dont dispose la Cour est différent de celui dont disposait une autre instance de décision, ni ne sont conçues en fonction de tels cas. » Tel est le cas en l’espèce : tant les demandeurs que le défendeur ont produit une documentation et des éléments de preuve abondants dont n’a jamais disposé le décideur.
[79] Il s’ensuit que la Cour est appelée à apprécier la légalité des décisions comme s’il s’agissait d’une instance de novo.
VI – PORTÉE DES OBLIGATIONS DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DES ÉLECTIONS AUX TERMES DE L’ARTICLE 465 DE LA LOI
[80] Les demandeurs soutiennent en premier lieu que le défendeur a l’obligation légale de certifier les dépenses électorales déclarées en vertu de l’article 465 de la Loi. Selon eux, la décision de certifier ne relève pas du pouvoir discrétionnaire de celui-ci; le défendeur doit simplement vérifier que la documentation visée par l’article 451 a été produite par le candidat et son agent officiel.
[81] À cet égard, les demandeurs soutiennent que le défendeur n’a pas compétence pour entamer une vérification de l’exactitude des informations figurant dans les comptes de campagne électorale; il n’a pas non plus le pouvoir de mettre en question l’authenticité de quelque document que ce soit produit à l’appui d’une demande de remboursement. Les pouvoirs d’enquête dont dispose éventuellement le défendeur aux termes de l’article 465 de la Loi se bornent [traduction] « à l’examen des documents, sans plus ».
[82] Même si le document en question est un faux, le demandeur soutient que le défendeur est tenu de certifier la dépense aux fins de remboursement. Dans un tel cas, le seul recours dont dispose le DGE consiste à renvoyer l’affaire au commissaire lequel, au contraire, a le pouvoir de mener des enquêtes et de poursuivre le candidat et/ou son agent officiel.
[83] Selon le défendeur, la Cour est principalement appelée à rechercher s’il était raisonnable de la part du DGE, vu les circonstances, de conclure que les candidats n’avaient pas engagé les dépenses électorales en question. Accessoirement, selon le défendeur, la Cour est appelée à se pencher sur le critère de répartition (ou l’absence de celui-ci) utilisé par les demandeurs et le Parti en général, relativement à la distribution des coûts des APML.
[84] Le défendeur soutient que le DGE a le pouvoir discrétionnaire d’effectuer une simple vérification, une vérification complète, ou de n’effectuer aucune vérification. Le processus de vérification d’Élections Canada est fondé sur le système de déclarations volontaires créé par la Loi. Lorsque le compte de la campagne électorale et les documents justificatifs produits par l’agent officiel et le candidat sont en ordre, le processus de vérification peut être relativement simple.
[85] Cependant, si un « élément troublant » se révèle au cours de l’examen du compte, cela peut donner lieu à un examen plus approfondi qui appelle de nouvelles mesures de vérification. Voilà ce qui est arrivé en l’espèce selon le défendeur.
[86] Le processus de vérification d’Élections Canada pour l’élection de 2006 a comporté l’examen des comptes de campagne électorale pour plus de 1 600 candidats. En janvier 2008, les partis enregistrés avaient reçu quelque 27 millions de dollars à titre de remboursement de dépenses électorales, tandis que les remboursements aux candidats totalisaient presque 24 millions de dollars.
[87] En ce qui concerne 17 des agents officiels pour des candidats conservateurs ayant participé au programme d’APML, leurs comptes de campagne électorale avaient déjà été examinés et la tranche finale de leur remboursement traitée avant qu’Élections Canada soit averti, à l’automne 2006, de ce que le programme d’APML puisse justifier un examen plus attentif.
[88] Cet « élément troublant » n’a pas eu pour source les demandeurs, mais un autre agent officiel d’un candidat conservateur qui avait fait preuve d’ignorance au sujet des achats de publicités lorsqu’il s’était entretenu avec un représentant d’Élections Canada. En outre, au cours de la même conversation, l’agent officiel a évoqué une « contribution » faite à partir d’une portion du plafond de dépenses de son candidat à [traduction] « la publicité nationale » du Parti.
[89] Cela a amené le défendeur à demander officiellement la production de documents supplémentaires à tous les candidats conservateurs qui avaient énuméré les dépenses électorales déclarées dans leurs comptes de campagne électorale. En fin de compte, le défendeur n’était pas convaincu que les dépenses électorales déclarées relativement au programme d’APML avaient été réellement engagées par les candidats, notamment les candidats qui sont représentés par les demandeurs dans la présente procédure. Cette conclusion a amené le DGE à exclure ces dépenses de la somme à certifier au receveur général aux fins du remboursement visé par l’article 465 de la Loi.
[90] Quelque 1,2 millions de dollars ont été cédés au cours de l’élection de 2006 du Fonds aux 67 campagnes qui ont accepté de participer au programme d’APML. Le défendeur concède que les mouvements financiers « réciproques » entre un parti enregistré et un candidat, aux cours d’une campagne électorale, ne sont pas interdits par la Loi. Cependant, en l’espèce, le défendeur soutient que le programme d’APML était une façade qui a permis au Parti de transmettre illégalement aux candidats participants la dette qu’elle avait encourue relativement à la diffusion de publicité nationales sur les ondes.
[91] Lors des débats devant la Cour, le défendeur a dit craindre de voir les grands partis qui ont accès à plus de ressources pouvoir, par des mouvements financiers « réciproques », accroître leurs capacités publicitaires. Lorsqu’ils auront atteint leur plafond de dépenses, les grands partis pourront financer les campagnes de publicité de leurs candidats et faire en sorte que la teneur de ces campagnes soient tout autant profitables au programme du Parti ou de son chef. Voilà, selon le défendeur, ce qui s’est produit au cours de l’élection de 2006 avec la mise en œuvre, par le Parti, de son programme d’APML.
[92] Le défendeur invite aussi la Cour à conclure qu’avaliser le programme d’APML rendrait les règles de plafonnement des dépenses lettre morte et donnerait lieu à des remboursements injustifiés. Le défendeur soutient que si elle devait accueillir les thèses des demandeurs en l’espèce, cela reviendrait à autoriser les candidats à contourner le plafond des dépenses imposé par des cessions de fonds au Parti ou à d’autres candidats dans des circonscriptions plus sûres.
[93] Le défendeur soutient essentiellement que la Cour doit avaliser une lecture de la Loi qui préserve l’intégrité du plafonnement des dépenses et confère le pouvoir discrétionnaire au DGE de décliner de certifier des dépenses électorales engagées par des campagnes qui ont été financées intégralement par un parti enregistré.
[94] Cependant, les demandeurs répondent que ce n’est pas au DGE qu’il revient de se prononcer sur le caractère approprié du contenu des publicités utilisées par les partis et leurs candidats ou d’examiner la légalité des cessions de fonds faites par le parti à une campagne (tant que ces cessions sont déclarées par le Parti, ce qui est le cas en l’espèce). Ils soutiennent que les enjeux locaux ne constituent pas forcément les éléments les plus importants d’une campagne électorale locale. En fait, les enjeux nationaux ou ceux qui ont trait au parti peuvent avoir plus d’importance et puisque tous les candidats représentent aussi leur parti dans la circonscription, ils doivent pouvoir utiliser et promouvoir le programme du Parti au cours de leur campagne publicitaire.
[95] Voilà ce qui est arrivé en l’occurrence selon les demandeurs, lesquels soutiennent qu’ils ont bel et bien engagé les dépenses électorales déclarées dans leurs comptes.
[96] Les demandeurs ont clairement signalé que leur action contre la décision du DGE n’est pas fondée sur la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]; cependant, ils soutiennent que scruter le contenu des publicités et rejeter l’utilisation de cette « image de marque » de parti constituerait une atteinte à la liberté d’expression protégée par la Charte. Selon les demandeurs, il est impératif que chaque candidat et chaque parti enregistré soient libres de s’exprimer sur toute question politique que ce soit. Le DGE n’a pas compétence pour réglementer l’« équité électorale » instituée par les dispositions de la Loi (voir la décision Conservative Fund Canada, précitée).
[97] La Cour rejette les thèses extrêmes défendues par les demandeurs et le défendeur en l’espèce. Il est manifeste que le défendeur avait le droit et l’obligation de vérifier les comptes produits par les candidats qui avaient participé au programme d’APML. Cependant, le défendeur ne disposait pas du pouvoir discrétionnaire illimité de refuser de certifier les dépenses électorales déclarées.
[98] La Cour ne se prononcera pas sur cette question, mais même si le défendeur a soulevé une question légitime concernant l’utilisation inappropriée de mouvements financiers entre les partis enregistrés, lesquels reçoivent un large financement public, et leurs candidats, c’est au législateur, et non à la Cour, qu’il revient d’adopter les modifications nécessaires. Rien n’empêche le législateur de modifier la Loi afin de limiter les sommes qui peuvent être cédées au cours d’une élection d’un parti à un candidat.
[99] Chaque citoyen canadien tire le droit démocratique de voter aux élections fédérales de l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés; cependant, aucune disposition de la Loi, et aucune jurisprudence de la Cour suprême du Canada ou de la Cour d’appel fédérale n’accorde une qualité quasi-constitutionnelle à la Loi ou à l’une quelconque des dispositions de celle-ci. Au surplus, le défendeur n’a pas soutenu, même indirectement, qu’un droit constitutionnel garanti par la Charte ou qu’un principe fondamental consacré par la Constitution [Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] peut jouer en l’espèce s’il n’est pas permis au DGE de jouer un rôle de premier plan, lequel seul peut assurer le respect d’un certain climat d’équité électorale parmi les candidats.
[100] À l’heure actuelle, le DGE est [traduction] « le gardien indépendant et neutre de l’intégrité du processus électorale » et « Il faut s’assurer qu’il puisse exercer ce rôle crucial de manière impartiale; il ne faut donc pas risquer de faire obstacle — concrètement ou potentiellement, aux yeux du grand public — à ses interventions, par l’adoption d’un régime appelant le DGE à porter jugement sur la manière dont les partis politiques mènent leurs affaires internes ou dépensent leurs fonds » (voir l’arrêt Longley v. Canada (Attorney General), 2007 ONCA 852, 88 O.R. (3d) 408, au paragraphe 74, non souligné dans l’original).
[101] Il est d’une grande importance que l’intégrité du régime de financement électoral soit préservée et que la Loi vise « à permettre à ceux qui souhaitent participer au débat électoral de le faire à armes égales » (voir l’arrêt Harper, ci-dessus, aux paragraphes 62 et 102); cependant, le législateur n’a pas clairement exprimé dans la Loi une intention de donner au DGE un pouvoir de réglementation ou de surveillance général prenant la forme de création ou d’application de règles concernant le financement des campagnes électorales ou les actions des participants. À l’heure actuelle, le DGE n’a pas reçu du législateur le pouvoir de combler les lacunes de la Loi.
[102] La Cour est d’avis que les pouvoirs et les obligations du DGE, aux termes des articles 435 et 465 de la Loi, sont, à l’heure actuelle, limités à la vérification de l’exactitude ou du caractère raisonnable (au regard de la notion « valeur commerciale » consacrée par la Loi) des dépenses déclarées par les candidats et partis enregistrés aux fins de remboursement par le receveur général. Par conséquent, le fait que le programme d’APML adopté par le Parti en décembre 2005 soit d’une ampleur (67 campagnes) et d’un financement (environ 1,2 millions de dollars) sans précédent ne donne pas, en soi, au DGE la latitude de refuser de certifier des dépenses électorales régulièrement engagées par les campagnes participantes.
[103] La Cour convient qu’il faut faire une distinction nette entre la vérification, laquelle a pour objet le remboursement visé par la Loi, et l’enquête, qui se fait afin que soit portée une accusation pénale en vertu de la Loi. Dans le cas de la poursuite pénale, la partie poursuivante doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments requis de l’infraction — ce qui peut appeler la preuve de l’intention — pour que l’intéressé puisse être reconnu coupable par un tribunal. Par la vérification, par contre, on vise simplement à s’assurer que le candidat et/ou le parti enregistré ont droit au remboursement des dépenses électorales et/ou des dépenses personnelles qu’ils ont déclarées.
[104] La Cour réitère donc que la Loi n’investit le DGE d’aucun pouvoir de mener une enquête générale sur la façon dont un parti enregistré dépense ses fonds ou contribue au financement des campagnes de ses candidats durant une élection. En effet, lorsque le DGE soupçonne qu’une personne ne se conforme pas à la Loi, il est tenu de renvoyer l’affaire au commissaire pour que celui-ci fasse une enquête. Cela dit, la Cour ne peut donner son aval à l’interprétation excessivement restrictive des pouvoirs conférés par les articles 435 et 465 que proposent les demandeurs.
[105] En l’espèce, on ne demande pas à la Cour d’examiner les affaires internes d’un parti. C’est le trésor public qui finance le régime électoral. Dans notre société démocratique, le législateur a décidé de favoriser une meilleure participation des particuliers et des partis enregistrés au processus électoral en établissant un mécanisme par lequel certaines dépenses électorales peuvent être remboursées en partie sur les deniers publics. Compte tenu de la valeur des fonds des contribuables, il est nécessaire de veiller à ce que les contributions reçues et les dépenses engagées par des candidats et des partis enregistrés soient déclarées avec exactitude.
[106] La somme remboursée aux termes des articles 435 et 465 de la Loi peut être considérable. En ce qui concerne le fait de voir à ce que les sommes réclamées à Sa Majesté en vertu de la Loi soient appropriées, on peut faire une analogie entre le rôle du DGE et du personnel d’Élections Canada et celui que jouent le ministre du Revenu national et l’Agence du revenu du Canada aux termes d’un certain nombre de lois fiscales.
[107] Les demandeurs invoquent surtout les observations générales qu’a formulées le juge Décary au nom de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Stevens II, précité. Il s’agit là d’une affaire dans laquelle la Cour fédérale, et ensuite la Cour d’appel fédérale, a eu à statuer sur la légalité d’une décision par le DGE d’autoriser la fusion du Parti progressiste conservateur et de l’Alliance réformiste conservatrice canadienne. C’est cette fusion qui a donné naissance à l’actuel Parti conservateur du Canada. Contrairement à ce qu’exigeait la Loi, le DGE avait accueilli la demande de fusion le jour même où elle avait été présentée. La légalité de la décision en question tenait essentiellement à l’interprétation et à l’application des articles 400 à 403 [art. 402 (mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 22), 403 (mod. par L.C. 2001, ch. 21, art. 21)] de la Loi, lesquels ne sont pas en cause en l’espèce.
[108] La Cour fédérale a conclu à l’erreur de droit parce que le DGE n’avait pas attendu 30 jours, comme l’exigent le paragraphe 400(1) et l’alinéa 401(1)a) de la Loi, avant d’accueillir la demande et de modifier le registre. Toutefois, la juge Heneghan, exerçant son pouvoir discrétionnaire, a refusé d’annuler la décision du DGE parce que, a-t-elle conclu, bien qu’il y ait eu erreur de droit, cette erreur ne tirait pas à conséquence (décision Stevens, précitée, au paragraphe 118).
[109] Quant à la Cour d’appel fédérale, elle a dit que, selon la « règle générale », le DGE « peut, et doit, accepter les renseignements qui lui sont fournis en tenant pour acquis qu’ils sont fournis par une personne autorisée et qu’ils sont exacts » (arrêt Stevens II, précité, au paragraphe 26). Donc, comme l’a observé le juge Décary, « le rôle du directeur, lorsqu’il est appelé à rendre une décision sur une demande [de fusion] qui lui est soumise, se limite, règle générale, à s’assurer, à la face même des documents qui lui sont soumis par les personnes autorisées à les lui soumettre, que les conditions exigées par la Loi sont remplies » (arrêt Stevens II, précité, au paragraphe 27, non souligné dans l’original).
[110] À mon humble avis, l’observation du juge Décary n’est d’aucune utilité en matière de vérification de dépenses électorales et personnelles dont un parti enregistré ou un candidat a demandé le remboursement par le receveur général en vertu des articles 435 et 465 de la Loi. Dans le cas d’une demande de fusion, ce qui est en cause, c’est en réalité la volonté des entités qui fusionnent. Par conséquent, il serait surprenant que la Loi autorise le DGE à entreprendre une enquête portant sur les circonstances qui ont entraîné une fusion, puisqu’il s’agit en réalité d’une affaire interne concernant les membres du parti politique concerné.
[111] Comme l’enseignent la jurisprudence et la doctrine, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21; Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983, à la page 87). Par conséquent, en interprétant l’article 465 de la Loi, on ne saurait faire abstraction ni de la place qu’elle occupe dans la Loi ni de sa place dans le régime législatif conçu pour la déclaration des dépenses électorales engagées par des partis enregistrés et par des candidats.
[112] Bien que l’on ait employé le terme « mécanique » (arrêt Stevens II, au paragraphe 19) en qualifiant les pouvoirs du DGE, l’alinéa 16d) de la Loi dispose que le « directeur général des élections [...] exerce les pouvoirs et fonctions nécessaires à l’application de la présente loi » [non souligné dans l’original]. D’ailleurs, en ce qui concerne le compte de campagne électorale d’un candidat, la Loi autorise expressément le DGE à ordonner à l’agent officiel de produire, à une date donnée, les documents supplémentaires que le DGE juge nécessaires, s’il estime que les pièces justificatives concernant les dépenses exposées dans le compte de campagne électorale sont insuffisantes (voir le paragraphe 451(2.2)).
[113] Selon l’article 465 de la Loi, le DGE doit, avant de remettre au receveur général un certificat, avoir la « conviction que le candidat et son agent officiel ont rempli les conditions imposées au titre du paragraphe 447(2) et se sont conformés aux articles 451 à 462 » (non souligné dans l’original). À cet égard, il faut que le DGE soit convaincu que le compte des dépenses électorales déclare avec exactitude les dépenses électorales du candidat.
[114] Pour qu’il en soit ainsi, les dépenses déclarées à titre de dépenses électorales doivent avoir été engagées par la campagne et être déclarées selon leur valeur commerciale (voir les articles 406, 407 et les autres dispositions connexes). Vu ces exigences, il faut que le DGE détienne le pouvoir d’effectuer une vérification du compte de campagne électorale et d’autres documents mentionnés à l’article 451.
[115] Examinons donc maintenant, à la lumière des articles 406 et 407 et des dispositions connexes de la Loi portant sur les dépenses électorales et sur la façon dont il convient de les déclarer, la légalité des décisions attaquées.
VII – QU’EST-CE QUI CONSTITUE UNE DÉPENSE ÉLECTORALE RAISONNABLE ENGAGÉE PAR UN CANDIDAT?
[116] Pour décider ce qui constitue une dépense électorale raisonnable engagée par un candidat, et plus particulièrement, pour décider si un candidat a raisonnablement engagé une dépense électorale lorsqu’il l’a affectée à un achat publicitaire dans les médias locaux organisé par un parti enregistré, la Cour examinera d’abord quelques notions juridiques de base et ensuite les pratiques du DGE par le passé.
A – NOTIONS JURIDIQUES DE BASE
[117] Aux termes de l’article 406 de la Loi, les « dépenses de campagne des candidats » sont « constituées par les dépenses raisonnablement entraînées par l’élection » [non souligné dans l’original], et elles comprennent notamment des « dépenses électorales » et des « dépenses personnelles », expressions définies à l’article 407, pour ce qui est de la première, et à l’article 409, pour ce qui est de la deuxième.
[118] Les dépenses personnelles d’un candidat sont les dépenses de campagne raisonnables qu’il a engagées, autres que ses dépenses électorales (article 409). Les dépenses personnelles d’un candidat ne sont pas assujetties au plafond des dépenses électorales.
[119] La définition de l’expression « dépenses électorales » est la même pour les candidats que pour les partis enregistrés. Elle se trouve au paragraphe 407(1) de la Loi :
407. (1) Les dépenses électorales s’entendent des frais engagés par un parti enregistré ou un candidat et des contributions non monétaires qui leur sont apportées, dans la mesure où les biens ou les services faisant l’objet des dépenses ou des contributions servent à favoriser ou à contrecarrer directement un parti enregistré, son chef ou un candidat pendant une période électorale. |
Dépenses électorales |
[120] Quand on lit de concert le paragraphe 407(1) de la Loi et les exigences concernant les comptes, tant celles applicables aux partis enregistrés que celles applicables aux candidats (articles 429 à 434 pour ceux-là et articles 451 à 462 pour ceux-ci), il en ressort que, aux fins de la définition des dépenses électorales, il faut satisfaire aux trois critères suivants : i) les dépenses doivent avoir été engagées par l’entité qui les déclare; ii) les produits ou les services pour lesquels les dépenses ont été engagées doivent avoir été utilisés durant la période électorale; iii) les produits ou les services pour lesquels les dépenses ont été engagées doivent avoir servi « à favoriser ou à contrecarrer directement un parti enregistré, son chef ou un candidat ». Ce troisième élément est parfois appelé « le critère de l’objet ».
Dépenses engagées par l’entité qui les déclare
[121] Le Oxford English Dictionary, 2e éd., définit comme suit le verbe « incur » (« encourir ») : « to become through one’s own action liable or subject to; to bring upon oneself [...] To cause to be incurred; to bring on or upon (some one); to entail » (« se rendre responsable en raison de ses propres actions, ou s’exposer à ; s’attirer [...] Provoquer ; exposer (une personne); entraîner »). De même, le Black’s Law Dictionary, 9e éd., donne la définition suivante : « [t]o suffer or bring on oneself (a liability or expense) » (« subir ou s’attirer (une responsabilité ou une dépense) »).
[122] L’article 446 de la Loi prévoit que le contrat par lequel une dépense électorale du candidat est engagée n’est opposable à celui-ci que s’il est conclu par le candidat lui-même, par son agent officiel ou par la personne que celui-ci mandate par écrit à cette fin.
[123] À cet égard, la troisième condition énoncée à l’article 446 doit être comprise en fonction de son objet réel : les campagnes locales ne doivent pas être tenues responsables des dépenses qui pourraient dépasser le plafond établi et que ni le candidat ni l’agent officiel n’a autorisées. Compte tenu de cela, il est évident que la troisième condition de l’article 446 ne vise pas à interdire les contrats (écrits ou oraux) que concluent des personnes autres que l’agent officiel ou le candidat et que l’agent officiel ratifie par la suite en effectuant le paiement. Le paiement d’un produit ou d’un service, qu’il ait lieu au moment de la conclusion du marché ou après la fourniture du produit ou du service, constitue la reconnaissance d’une obligation ou d’une dette contractée.
[124] La Cour conclut donc que le défendeur, ou les représentants d’Élections Canada, ont commis une erreur de droit en exigeant qu’il y ait des contrats écrits entres les candidats ou leurs agents officiels et le fournisseur des services publicitaires reçus en décembre 2005 et en janvier 2006. Le paiement de ces services en janvier 2006 par les agents officiels des candidats participants est la preuve que ces services étaient dûment autorisés. De plus, comme on le verra plus loin, l’exigence quant à l’existence de contrats écrits semble aller à l’encontre des pratiques antérieures d’Élections Canada et du DGE en ce qui concerne les APML.
Contributions non monétaires reçues par un candidat
[125] Aux termes de l’alinéa 407(3)a) de la Loi, les « dépenses électorales comprennent notamment les frais engagés et les contributions non monétaires apportées relativement [...] à la production de matériel publicitaire ou promotionnel et à la distribution, diffusion ou publication de ce matériel dans les médias ou par tout autre moyen ».
[126] Selon le paragraphe 2(1) de la Loi, une « contribution » comprend aussi bien les contributions monétaires que les contributions non monétaires. La « contribution monétaire » se définit comme toute somme d’argent non remboursable, tandis que la définition de « contribution non monétaire » est la « valeur commerciale d’un service, sauf d’un travail bénévole, ou de biens ou de l’usage de biens ou d’argent, s’ils sont fournis sans frais ou à un prix inférieur à leur valeur commerciale » (paragraphe 2(1)).
[127] Se trouve exclue de la définition de contribution, de manière à ne faire l’objet d’aucune restriction, la fourniture de produits ou de services ou la cession de fonds (à l’exclusion de fonds détenus en fiducie) entre les différents intervenants politiques suivants : un parti enregistré, une association de circonscription ou un candidat que le parti soutient (voir les paragraphes 404.2(2) [édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 24; 2006, ch. 9, art. 44] et (3) [édicté par L.C. 2003, ch. 19, art. 24] de la Loi). Il s’agit là d’un moyen important par lequel les candidats et les partis peuvent augmenter les fonds dont ils disposent pour leurs dépenses électorales. Cependant, contrairement à ce qui se passe dans le cas de cessions entre différentes entités politiques, la Loi interdit aux candidats de fournir des produits ou des services ou de faire une cession de fonds à un autre candidat (voir les paragraphes 404.2(2), (2.1) [édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 44], (2.2) [édicté, idem]).
[128] L’une des conclusions que l’on peut tirer de ce qui précède est donc que le fait pour un parti d’engager des dépenses au nom d’un candidat et de facturer ensuite ces dépenses à ce candidat n’a rien d’illégal. De même, un parti peut légalement acquérir des produits ou des services pour ensuite les revendre à un candidat. Dans l’un et l’autre cas, toutefois, les opérations doivent être dûment déclarées. Lorsque le parti fait une cession de fonds à un candidat pour financer l’achat par celui-ci de produits ou de services que fournit le parti, il en résulte une opération qui comporte ce qu’on pourrait qualifier de mouvement financier « réciproque ».
[129] Cela dit, toute différence entre la somme effectivement rendue au parti et la valeur commerciale du produit ou du service fourni ou vendu au candidat (compte tenu de toute somme cédée au candidat) doit être déclarée à titre de contribution non monétaire reçue par le candidat. Il en est ainsi parce que la pleine valeur commerciale du bien ou du produit fourni ou vendu au candidat est considérée comme une dépense électorale du candidat, comme cela est expliqué plus haut.
Critère de l’objet
[130] Le défendeur soutient dans ses écritures que l’objet et l’économie de la Loi appellent une lecture disjonctive du paragraphe 407(1), ce qui a pour conséquence la définition suivante :
407(1) Les dépenses électorales s’entendent des frais engagés par [...] un candidat et des contributions non monétaires qui leur sont apportées, dans la mesure où les biens ou les services faisant l’objet des dépenses ou des contributions servent à favoriser ou à contrecarrer directement [...] un candidat pendant une période électorale. [Non souligné dans l’original.]
[131] D’après le défendeur, donc, les dépenses électorales d’un candidat doivent servir à favoriser ou à contrecarrer directement un candidat et non un parti enregistré ou son chef. La Cour ne retient pas l’interprétation disjonctive que prône le défendeur. L’interprétation littérale du paragraphe 407(1) ne permet pas à la Cour de faire abstraction des termes employés par le législateur. Au contraire, cette interprétation milite en faveur de la lecture conjonctive que l’on trouve dans les documents publiés par le DGE avant l’élection de 2006, c’est-à-dire que les dépenses électorales d’un candidat peuvent comprendre des dépenses servant exclusivement à favoriser un candidat, mais aussi celles qui servent à favoriser directement à la fois un candidat et un parti enregistré ou son chef.
[132] Dans tous les cas, les dépenses électorales déclarées, y compris les dépenses publicitaires, doivent satisfaire au critère de l’objet énoncé à l’article 407 de la Loi. L’examen des éléments de preuve documentaires produits en l’espèce confirme, cependant, qu’Élections Canada et le DGE ont adopté une approche plutôt pragmatique et souple pour décider si des dépenses publicitaires engagées par un candidat dans une élection satisfont au critère de l’objet.
[133] En effet, les éléments de preuve produits confirment que, par le passé, le DGE s’est généralement abstenu d’enquêter sur le contenu d’annonces publicitaires, et ce, malgré le fait que l’expression « publicité électorale » est définie comme signifiant la « [d]iffusion, sur un support quelconque au cours de la période électorale, d’un message publicitaire favorisant ou contrecarrant un parti enregistré ou l’élection d’un candidat, notamment par une prise de position sur une question à laquelle est associé un parti enregistré ou un candidat » (article 319; non souligné dans l’original).
[134] Lors de l’élection fédérale de 1997, il était défendu aux partis politiques nationaux de faire de la publicité la veille du jour du scrutin (le 1er juin 1997) ainsi que le jour même du scrutin (le 2 juin 1997); c’est ce que prévoyait l’article 48 de la Loi (tel qu’il était alors rédigé) [L.R.C. (1985), ch. E-2, art. 48 (mod. par L.C. 1993, ch. 19, art. 21)]. Cela dit, la disposition de la Loi qui énonçait une restriction similaire applicable aux candidats avait été invalidé, pour violation de la Charte, par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Somerville v. Canada (Attorney General) (1996), 184 A.R. 241. Alors, les partis enregistrés ne pouvaient faire de la publicité les deux jours en question, mais rien n’empêchait les candidats d’en faire.
[135] Dans son rapport sur ce qui s’était produit pendant l’élection fédérale de 1997, l’arbitre en matière de radiodiffusion a fait les observations suivantes :
L’identité du commanditaire de la publicité et celle de l’organisme ou de la personne à facturer étaient les critères retenus pour déterminer si des annonces spécifiques devaient être acceptées. Le contenu des annonces n’était assujetti qu’au principe de la liberté d’expression garanti par la Charte. En conséquence, certains candidats ont acheté du temps pour la veille et le jour même du scrutin. Comme ce temps était souvent utilisé pour diffuser des annonces nationales avec un titre d’appel local, l’interdiction prescrite par l’article 48 [relativement à la publicité faite par les partis] devenait en quelque sorte lettre morte. [Non souligné dans l’original.]
[136] Il importe de souligner que l’arbitre en matière de radiodiffusion a accepté à titre d’annonces de candidat des annonces nationales qui avaient en réalité un titre d’appel local, pourvu que ce soit le candidat qui ait acheté le temps d’antenne. Quoique les observations de l’arbitre en matière de radiodiffusion se rapportent expressément aux dispositions de la Loi qui concernent la radiodiffusion et la télédiffusion, il ne ressort nullement des éléments de preuve produits que le DGE a refusé de certifier quelques dépenses publicitaires que ce soit engagées par des candidats les deux derniers jours de la période électorale de 1997.
[137] Par suite des modifications apportées à la Loi en 2000 (L.C. 2000, ch. 9), la disposition actuelle relative à l’interdiction de publicité interdit à tous la diffusion de quelque publicité électorale que ce soit le jour du scrutin (voir l’article 323). Donc, tant la publicité faite pour les candidats que celle faite pour les partis politiques est interdite le jour du scrutin, et les difficultés qui ont surgi en 1997 ne peuvent plus se présenter.
[138] Mme Janice Vézina a confirmé, au cours du contre-interrogatoire sur son affidavit, que, au–delà de l’exigence selon laquelle la publicité électorale doit avoir été commandée et payée par le candidat, sans quoi elle ne saurait être considérée comme une dépense électorale, la publicité doit aussi favoriser le candidat (le critère de l’objet). D’après Mme Vézina, pour satisfaire à cette dernière exigence, il suffit que le candidat estime que l’annonce favorise sa campagne, et ce, indépendamment du contenu de l’annonce. Cela signifie que, lorsqu’il s’agit d’une annonce qui est la même qu’une annonce diffusée par le parti enregistré auquel le candidat est associé, l’annonce peut tout de même être considérée comme satisfaisant au critère de l’objet.
[139] Sur ce point, Mme Vézina a fait l’observation suivante (dossier des demandeurs, vol. VI, onglet 16, page 1831) :
[traduction] Le message doit favoriser le candidat. Le chef du parti, le logo du parti et la plateforme du parti peuvent quand même faire partie du contenu. Je crois qu’il y a confusion du moyen et de la fin. L’objet ultime doit être la promotion du candidat, mais le moyen employé peut inclure dans l’annonce du candidat de la promotion du parti [...]
[140] Ainsi, les vérificateurs d’Élections Canada, lorsqu’ils procèdent à la vérification des dépenses publicitaires, vont confirmer l’existence de pièces justificatives établissant la légitimité des sommes dont on demande le remboursement, mais, en règle générale, ils n’examinent pas les annonces ou les scripts et n’y ont pas accès. En fait, des copies des annonces ne figurent pas, normalement, dans la documentation produite à l’appui des comptes de campagne électorale. Donc, à bien des égards, une dépense électorale n’est pas généralement considérée par Élections Canada d’une manière différente de n’importe quelle autre dépense.
[141] L’inclusion d’un « titre d’appel » particulier dans une annonce électorale ne prouve pas de manière concluante que cette dépense publicitaire remplit les conditions requises pour qu’elle constitue une dépense électorale. De la même façon, il pourrait y avoir des situations où un candidat diffuserait une annonce sans le « titre d’appel » qu’exige l’article 320 de la Loi, mais où la dépense serait tout de même considérée comme une dépense électorale du candidat aux fins du remboursement. En pareil cas, on pourrait avoir commis l’infraction réprimée par l’alinéa 495(1)a) de la Loi « (défaut d’indiquer l’autorisation de publicité électorale) », mais l’omission du « titre d’appel » n’aurait aucune incidence sur le traitement de la dépense aux termes de la partie 18 de la Loi.
[142] Au fil des ans, le DGE a publié divers manuels énonçant son interprétation de la Loi. Parmi ces publications figure le Manuel d’élection des candidats, de leurs agents officiels et de leurs vérificateurs (ci-après le manuel). Quoique le manuel nous éclaire sur la façon dont le DGE et Élections Canada ont compris certaines dispositions de la Loi à différents moments, il ne s’impose aucunement à la Cour. Cependant, d’un point de vue pratique, le DGE recommande fortement aux candidats et à leurs agents officiels d’obtenir l’avis d’un avocat indépendant s’ils veulent s’écarter de l’interprétation adoptée par le DGE dans le manuel.
[143] Il ressort des éléments de preuve que, pendant au moins une partie des années 90, le DGE « consid[érait] le respect des lignes directrices énoncées dans [le] manuel comme étant suffisant pour satisfaire aux exigences statutaires prescrites pour l’émission des certificats aux fins de remboursement (voir le manuel de juin 1993 (révisé en avril 1997) (EC 2094)) [à la page 5]. Il semble, toutefois, que, plus récemment, les manuels publiés par le DGE n’ont pas explicitement formulé de telles assurances.
[144] Néanmoins, tous les manuels d’Élections Canada, sauf le plus récent, soit celui de mars 2007 (ci-après le manuel de 2007 (EC 20190)) [en ligne : <http://www.elections.ca/pol/can/man/EC20190_c2_f.pdf>], indiquent clairement que le DGE assimile à une dépense électorale, aux fins du remboursement, toute dépense engagée par la campagne d’un candidat pour l’achat d’une annonce en faveur à la fois du candidat et du parti auquel il est associé.
[145] Le fait que la même annonce aurait, à une occasion différente, servi de publicité en faveur du parti lui-même ne serait pas considéré comme pouvant justifier le refus de certifier la dépense faite pour cette annonce.
[146] Cette interprétation large de l’article 407 transparaît dans les différentes versions du manuel publiées par Élections Canada au fil des ans. Celui de décembre 2005 (ci-après le manuel de 2005 (EC 20190), par exemple, prévoit ce qui suit [aux pages 34 et 35] :
Publicité électorale
La publicité électorale est la diffusion, sur un support quelconque au cours de la période électorale, d’un message publicitaire favorisant ou contrecarrant un parti enregistré ou l’élection d’un candidat, notamment par une prise de position sur une question à laquelle est associé un parti enregistré ou un candidat [...]
Identification de la publicité électorale
Toute publicité électorale qui a pour but de favoriser ou de contrecarrer un parti enregistré ou l’élection d’un candidat, notamment en prenant position sur une question à laquelle est associé un parti enregistré ou un candidat, doit porter l’autorisation de l’agent officiel du candidat. [Non souligné dans l’original.]
[147] Les manuels ont même prévu, d’ailleurs, la possibilité qu’un candidat et son parti s’entendent pour partager une annonce. En effet, dans une telle éventualité, selon les manuels, le DGE examine la répartition des dépenses entre le candidat et le parti pour vérifier si elle était raisonnable. Comme il est précisé dans le manuel de 2005 [à la page 26] :
Exemples de cessions :
[404.2(2), 404.2(3)]
[...]
une portion des dépenses engagées pour favoriser ou contrecarrer un candidat ou un parti. Élections Canada acceptera la répartition utilisée par l’agent officiel si, de l’avis du directeur général des élections, elle est raisonnable et que le vérificateur la juge raisonnable et conforme aux dispositions du présent manuel.
[148] Lors des débats, les avocates du défendeur ont expliqué que, dans de telles circonstances, le caractère raisonnable de la répartition dépend de la valeur commerciale de la publicité électorale et non pas du contenu de l’annonce. La question n’est pas de savoir si le message semblait favoriser davantage le parti ou le candidat, puisqu’il faudrait alors procéder à l’analyse du contenu de l’annonce, ce qui requiert une formation que les vérificateurs d’Élections Canada n’ont tout simplement pas.
[149] Dans la pratique, donc, mis à part les restrictions légales imposées à la liberté d’expression en conformité avec la Charte, les seules restrictions en matière de publicité électorale sont l’interdiction de publicité que prescrit l’article 323 et le plafond des dépenses électorales qu’imposent les articles 422, 440 et 441 de la Loi. Ainsi, la déclaration exacte des dépenses engagées pendant une élection fédérale est indispensable si l’interdiction de dépasser le plafond ainsi fixé doit avoir un effet quelconque.
B – CAS DE FIGURE RELATIFS AUX DÉPENSES PUBLICITAIRES AYANT FAIT L’OBJET D’UNE DEMANDE DE REMBOURSEMENT
[150] Il ressort des éléments de preuve produits que, pour l’achat de temps d’antenne à la radio ou à la télévision, les partis enregistrés, par l’intermédiaire de leurs agents principaux, concluent des contrats avec des intermédiaires qui interviennent à titre de représentants attitrés des partis pour traiter avec les radiodiffuseurs et les télédiffuseurs. C’est une pratique courante. Ce sont ces intermédiaires, donc, qui sont chargés de la réservation de temps d’antenne. Par conséquent, il arrive souvent aussi que des partis enregistrés interviennent comme fournisseurs ou agents de leurs candidats qui participent à des achats publicitaires dans les médias locaux organisés par le parti enregistré.
[151] De plus, vu les éléments de preuve produits, notamment ceux qui ont trait aux pratiques d’autres partis enregistrés contenus dans les pièces annexées à l’affidavit de Geoff Donald (agent des opérations politiques auprès du Parti conservateur), il est présumé qu’un candidat a engagé une dépense publicitaire si cette dépense a été payée sur le compte de campagne de ce candidat.
[152] Le plus souvent, les APML ne poseront pas problème au DGE, pourvu que les dépenses soient déclarées par les candidats participants et/ou le parti enregistré dans leurs comptes respectifs.
[153] Donc, pour apprécier le caractère raisonnable des motifs invoqués par le défendeur pour refuser de certifier les dépenses publicitaires déclarées, il est utile de se pencher sur divers cas de figure où, en règle générale, le défendeur certifie (les trois premiers cas de figure) ou refuse (le quatrième cas de figure) de certifier les dépenses publicitaires dont les candidats ont demandé le remboursement.
[154] Les quatre cas de figure présentés ciaprès permettent d’illustrer l’application de l’article 407 de la Loi relativement aux dépenses publicitaires engagées dans quatre situations de fait différentes. Il convient de noter que le contenu de l’annonce ne porte à conséquence dans aucun de ces cas de figure.
Premier cas de figure : partage d’une dépense publicitaire entre un candidat et un parti (ou entre candidats)
[155] Un candidat et un parti (ou deux ou plusieurs candidats) peuvent décider d’engager conjointement une dépense publicitaire afin d’acheter une annonce en faveur tant du parti que du candidat (ou de tous les candidats participants). Dans ce cas de figure, chaque participant paie une partie de la dépense.
[156] Dans la pratique, un participant peut acheter l’annonce et intervenir à titre de fournisseur des autres participants. Une autre possibilité est qu’un participant se fasse mandater par écrit pour engager la dépense au nom de tous les candidats participants (voir le paragraphe 438(5) et l’article 446). Quoi qu’il en soit, seul l’agent du participant est autorisé à payer le fournisseur (qui peut être une entité différente, ce qui dépend de la manière dont l’achat est structuré), puisque le paiement doit se faire en conformité avec les paragraphes 416(1) et 438(4).
[157] La partie payée par chaque participant constitue une dépense électorale dont il est tenu compte relativement à son plafond de dépenses et qui est remboursable aux termes des articles 435 et 465 de la Loi. La partie que déclare chaque candidat doit refléter la valeur commerciale du service obtenu et, à cet égard, la répartition entre les participants doit être raisonnable (article 406).
[158] Par exemple, si tous les candidats participants conviennent de payer 50 % d’une annonce à la radio et que le parti accepte de payer les 50 % restants, le parti n’est tenu de déclarer à titre de dépense électorale que sa part (correspondant à 50 % de la valeur commerciale) de l’annonce. Le parti déclare alors cette dépense électorale soit à titre de dépense payée, soit de dépense impayée, selon l’état des faits au moment d’établir son compte de dépenses électorales. S’il s’agit de dépenses payées, celles-ci peuvent être remboursées en vertu de l’article 435. Dans l’un ou l’autre cas, cependant, la dépense compte pour ce qui est du plafond de dépenses du parti (voir le paragraphe 407(4) et l’article 422).
[159] Les candidats qui ont conjointement engagé l’autre moitié de la dépense publicitaire déclarent eux aussi une dépense électorale correspondant à leur part. Le montant de cette dépense compte relativement au plafond des dépenses de chaque candidat, et si le candidat a effectivement payé sa part de la dépense, il a droit au remboursement aux termes de l’article 465 de la Loi.
[160] Dans les deux cas, si la dépense est payée par quelqu’un d’autre que la personne qui l’a engagée, ce paiement constitue une cession non monétaire ou une contribution non monétaire qui compte comme dépense électorale du bénéficiaire pour ce qui est du plafond de dépenses de celui-ci. Cette cession ne donne lieu à aucun remboursement, cependant.
[161] Dans l’exemple ci-dessus, si la somme déclarée par le parti à titre de dépense électorale ne correspond pas à 50 % de la valeur commerciale de l’annonce, le parti cherchera peut-être à corriger son compte de dépenses électorales. Si le parti a payé plus que 50 % de la valeur commerciale de l’annonce, il faut qu’il s’assure que la somme déclarée comme dépense électorale ne représente que sa part et que toute somme additionnelle qu’il a payée est déclarée dans le rapport financier annuelle du parti comme une cession non monétaire en faveur des candidats (voir l’article 424). Puisque les cessions non monétaires au profit de candidats sont permises, ce type d’opérations n’est pas problématique pour autant que les opérations soient dûment déclarées.
[162] Par contre, si les candidats participants ont collectivement déclaré 50 % de la valeur commerciale de l’annonce, mais, individuellement, n’ont pas dûment et exactement déclaré leur part, la situation devient plus compliquée. En effet, dans le cas de candidats multiples qui engagent conjointement une dépense, la répartition déraisonnable (c.-à-d. celle qui ne tient pas compte de la valeur commerciale) peut avoir pour effet qu’en réalité un candidat apporte une contribution non monétaire à un autre candidat, ce qui constitue une cession qui est interdite par la Loi. La cession est cependant tout à fait conforme à la Loi si les 50 % restants de la dépense pour l’annonce ont été valablement engagés et dûment déclarés par un des candidats, mais que d’autres candidats en bénéficient de quelque manière, sans que telle ait été l’intention. Ce genre de « retombées » sur des circonscriptions avoisinantes est inévitable et sans conséquence juridique pour les autres candidats.
Deuxième cas de figure : achat de publicité par un candidat à un parti
[163] Le candidat peut être l’unique acheteur d’une annonce à un parti qui agit en qualité de fournisseur. La dépense doit être déclarée en totalité — à la valeur commerciale de l’annonce — à titre de dépense électorale du candidat, et la pleine valeur compte aux fins du plafond des dépenses de celui-ci. Si la dépense est payée par le candidat, il y a lieu à remboursement.
[164] Selon ce cas de figure, le parti qui intervient comme fournisseur n’engage pas de dépense électorale puisque les produits ou les services acquis n’ont pas servi à promouvoir le parti, mais ont plutôt été vendus à un candidat pour qu’il s’en serve dans sa campagne électorale. Le parti ne déclare donc pas de dépense électorale et il n’y a aucune possibilité de remboursement aux termes de l’article 435 de la Loi. Ce type d’opération est déclaré dans le rapport financier annuel du parti (article 424), mais non dans son compte des dépenses électorales (article 429).
[165] Il importe peu que le candidat compte, pour payer l’achat de publicité, sur des fonds que lui fournit le parti par voie de cession (paragraphe 404.2(2.2)) ou sur des contributions monétaires reçues de partisans individuels (article 404 [mod. par L.C. 2003, ch. 19, art. 24]). Tout ce qui compte, c’est qu’il y ait eu un véritable achat et que les produits et services aient été fournis par le parti.
[166] C’est ce deuxième cas de figure qui se trouve illustré aux pièces 14 et 16 annexées à l’affidavit de Geoff Donald (dossier des demandeurs, vol. I, onglet 7, pages 210 à 220 et 226 à 234). Selon les éléments de preuve produits, un groupe de candidats semble avoir acheté conjointement une annonce radiophonique au Nouveau parti démocratique (NPD) durant l’élection de 2006. Il semble aussi, toujours selon la preuve, que le coût de l’annonce ait été réparti également parmi les candidats, mais que le NPD ait fait une cession de fonds en faveur des candidats pour subventionner l’achat. Comme le NPD a fourni des fonds aux candidats, la cession serait déclarée dans le compte de campagne électorale de chaque candidat à titre de cession de fonds en sa faveur effectuée par le NPD, ainsi que dans le rapport financier annuel du parti à titre de cession de fonds au profit des candidats.
[167] Comme dans ce cas de figure, le NPD est intervenu en qualité de fournisseur. Il s’ensuit que le NPD ne devait pas déclarer à titre de dépense électorale du parti la valeur commerciale des annonces (ou une partie quelconque du coût des annonces) utilisées par les candidats pour favoriser leur campagne. S’il l’avait fait, c’eût été une erreur de sa part, dont on aurait pu demander la rectification.
Troisième cas de figure : don de publicité fait à un candidat par un parti
[168] Un parti peut acheter de la publicité et ensuite la donner à un candidat ou à un groupe de candidats qui décident de s’en servir pour promouvoir leur campagne.
[169] Dans ce cas de figure, l’achat d’une annonce dont le parti fait don au candidat n’est pas une dépense électorale pour le parti ni ne donne lieu au remboursement prévu par l’article 435 de la Loi. Si, pendant sa campagne, le candidat se sert de l’annonce afin de favoriser son élection, il doit déclarer la valeur commerciale de l’annonce à titre de cession non monétaire en sa faveur par le parti. La valeur commerciale de l’annonce constitue aussi une dépense électorale du candidat et compte aux fins du plafond des dépenses de celui-ci, mais il n’y a pas lieu à remboursement parce qu’il ne s’agit pas d’une dépense payée (article 465). Finalement, le parti est tenu de déclarer comme dépense le coût de l’annonce et il est tenu également de déclarer comme cession non monétaire son don de l’annonce fait au candidat. L’une et l’autre opération sont déclarées dans le rapport financier annuel du parti (article 424).
[170] Cela dit, si, à une occasion différente, le parti a également utilisé la même annonce pendant la période électorale comme publicité à son propre sujet ou au sujet de son chef, la valeur commerciale de l’annonce est considérée comme une dépense électorale du parti et doit être déclarée comme telle. Le parti a droit, toutefois, au remboursement partiel, aux termes de l’article 435 de la Loi, de la somme qu’il a payée pour l’utilisation de l’annonce.
[171] Il peut en outre y avoir don fait par le parti dans le cas d’une annonce utilisée pour la promotion à la fois du parti et d’un candidat lorsque le parti prend en charge, en totalité ou en partie, la part du candidat. Dans ce cas aussi, le don est considéré comme une contribution non monétaire. Voilà un cas de figure qu’évoque le DGE dans le manuel de août 2000 (EC 20190) [en ligne : <http://dsp-psd.pwgsc.gc.ca/Collection/SE3-50-2000F.pdf>] et le manuel de septembre 2004 (EC 20190) [en ligne : <http://epe.lac-bac.gc.ca/100/200/301/elections_can/election_handbook_candidates-f/ec20190_f.pdf>], ainsi que dans celui de 2005, où se trouve employée pour la première fois l’expression contribution non monétaire.
[172] Les pièces 34 et 35 annexées à l’affidavit de Geoffrey Donald (dossier des demandeurs, vol. I, onglet 7, pages 359 à 363) illustrent ce type d’opération. Elles présentent une opération par laquelle, pendant l’élection fédérale de 2004, le Parti libéral du Canada en Alberta (les libéraux) a cédé des fonds à des candidats libéraux et payé des services au nom de ceux-ci. En particulier, les libéraux ont payé une annonce publiée dans l’Edmonton Journal le 27 juin 2004 et visant à favoriser l’élection du chef libéral ainsi que de candidats libéraux du nord de l’Alberta. Bien que les candidats libéraux s’en soient manifestement servis pour favoriser leurs campagnes, l’annonce ne contient l’autorisation que d’un agent enregistré du Parti libéral du Canada.
[173] On peut dire, en ce qui concerne cet exemple, que le parti a fait un don à un ou à plusieurs candidats. Les libéraux n’auraient donc pas déclaré de dépense dans leur compte des dépenses électorales, et s’ils l’avaient fait, c’eût été une erreur de leur part, dont on aurait pu demander la rectification.
Quatrième cas de figure : cession de dépenses publicitaires d’un parti à un candidat
[174] Dans chacun des trois cas de figure présentés ci-dessus, les candidats doivent, selon la Loi, déclarer la dépense publicitaire comme une dépense électorale, mais il y a un quatrième cas de figure, où ils ne le peuvent. Selon ce cas de figure, ils n’ont pas non plus droit au remboursement prévu par l’article 465 de la Loi.
[175] Il s’agit du cas de figure suivant. Le parti engage une dépense pour faire de la publicité à son propre sujet ou au sujet de son chef. Toutefois, plutôt que de consigner cette dépense comme la sienne, le parti fait passer illégalement à des candidats qui n’ont pas engagé la dépense la charge de la déclarer et d’en demander le remboursement. Dans ce cas de figure, le parti doit déclarer la dépense en question comme une dépense électorale dans son compte des dépenses électorales produit conformément à l’article 429 de la Loi. Comme il ne le fait pas, le DGE est autorisé à exiger que le parti corrige son compte (paragraphe 432(2)).
[176] En l’espèce, la thèse du défendeur est que nul des trois premiers cas de figure exposés plus haut ne s’applique aux dépenses publicitaires déclarées par les demandeurs. Le défendeur soutient qu’il s’agit, dans le cas de ces dépenses publicitaires, d’une transmission illégale de dette par le parti aux candidats qui avaient participé à l’APML, une transmission semblable à celle du quatrième cas de figure.
[177] Les demandeurs conviennent qu’il n’est pas permis à un parti d’engager une dépense pour faire de la publicité à son propre sujet ou au sujet de son chef et de faire en sorte, ensuite, que la dépense en question soit déclarée comme une dépense d’un candidat. Les demandeurs soutiennent, cependant, que les dépenses publicitaires déclarées sont bel et bien des dépenses électorales de candidats et non du parti.
[178] Pour les motifs exposés ci-dessous et compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve produits, la Cour conclut que les dépenses publicitaires déclarées ont bel et bien été engagées par les demandeurs. Cela dit, les sommes déclarées par chaque requérant doivent être corrigées de manière à ce que la différence entre la valeur commerciale des dépenses publicitaires en question et le montant que le Fonds a effectivement facturé soit déclarée comme une contribution non monétaire. En dernière analyse, cependant, la Cour conclut que les décisions attaquées sont déraisonnables et qu’il faut les annuler.
VIII – LÉGALITÉ DU REFUS DE CERTIFIER LES DÉPENSES PUBLICITAIRES DÉCLARÉES
[179] Pour les motifs exposés plus haut, la Cour a déjà conclu que le défendeur peut légalement enquêter sur n’importe quelle dépense déclarée dans un compte que produit un candidat conformément à l’article 451 de la Loi. Il n’incombe au défendeur aucune obligation légale de certifier une dépense d’un candidat aux fins du remboursement en vertu de l’article 465, à moins qu’il ne soit convaincu que la dépense déclarée constitue une dépense électorale au sens des articles 406 et 407 de la Loi.
[180] La norme de contrôle judiciaire que retient la Cour en l’espèce n’a aucune incidence sur l’issue de la présente procédure. Ou bien le défendeur a commis une erreur en concluant que les dépenses électorales déclarées n’avaient pas été engagées par les demandeurs, ou bien les conclusions du défendeur ne sont pas, par ailleurs, appuyées par la preuve et sont déraisonnables dans les circonstances. Cela ne change en rien l’illégalité des décisions attaquées, et ce, que la norme de contrôle suivie soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable.
A – DÉCISIONS ATTAQUÉES DÉRAISONNABLES
[181] Le défendeur dit, dans les décisions attaquées, qu’il n’était [traduction] « pas convaincu que la documentation soumise établissait l’existence de la dépense électorale déclarée ». Cela revient simplement à informer les demandeurs qu’ils n’avaient pas satisfait aux conditions requises par la Loi, ce qui ne suffit guère pour remplir les exigences relatives « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » si le contrôle doit se faire selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
[182] La jurisprudence de notre Cour est formelle : le décideur ne saurait, ayant rendu les décisions attaquées, invoquer après coup de nouveaux motifs de refus. Quoi qu’il en soit, la Cour a examiné la preuve extrinsèque produite par le défendeur à l’appui des motifs additionnels de refus. Elle l’a fait parce que les demandeurs lui demandent non seulement d’annuler les décisions attaquées, mais aussi d’obliger le défendeur à délivrer de nouveaux certificats, laquelle mesure appelle l’examen d’éléments de preuve que l’on n’avait pas nécessairement présentés au décideur.
[183] La Cour fait remarquer que les raisons qu’invoque le défendeur au soutien de la légalité des décisions attaquées ont évolué au fil des ans et ne se limitent pas nécessairement aux motifs de portée restreinte mentionnés dans les lettres du 23 avril 2007.
Critère de l’objet rempli par les demandeurs
[184] Il ressort des éléments de preuve produits que le défendeur a eu du mal à décider si les annonces en cause constituaient de la publicité en faveur des candidats participants ou en faveur du parti.
[185] En accord avec l’interprétation restrictive adoptée par Mme Vézina dans son affidavit, le manuel de 2007, publié bien après l’élection de 2006, spécifie que, pour être considérée comme une dépense électorale et pour satisfaire au critère de l’objet que renferme l’article 407 de la Loi, la publicité doit favoriser le candidat. Donc, selon le manuel de 2007 et Mme Vézina, si la publicité favorise un parti enregistré et non pas un candidat, Élections Canada ne considérera pas comme une dépense électorale aux fins du remboursement la dépense engagée par le candidat.
[186] Par la suite, dans la présente procédure, le défendeur a soutenu, sans jamais par la suite affirmer le contraire, que, si les vérificateurs d’Élections Canada avaient examiné le contenu des annonces publicitaires en cause, ce n’était que pour s’assurer qu’il s’agissait d’annonces publicitaires nationales parce [traduction] « qu’en soi, les annonces publicitaires n’avaient pas permis de dissiper le doute qui existait déjà en ce qui concerne la question de savoir si les dépenses étaient véritablement rattachées à la campagne électorale des candidats » (dossier des demandeurs, vol. III, onglet 8, page 912).
[187] Les candidats et leurs agents officiels qui ont participé à l’élection de 2006, y compris les demandeurs, ont utilisé le manuel de 2005 et y ont fait référence. L’avocat des demandeurs a fortement insisté sur le fait que les agents officiels se sont fiés à la définition de l’expression « dépense électorale » figurant dans le manuel de 2005.
[188] Le défendeur reconnaît que le libellé du manuel en vigueur lors de l’élection de 2006 ainsi que le libellé de la Loi peuvent prêter à confusion en ce qui concerne la définition de l’expression « dépense électorale ». Toutefois, l’avocate du défendeur soutient que la principale question qui se pose en l’occurrence ne porte pas sur la promotion du Parti, mais sur la question de savoir si les candidats ont bel et bien « engagé » la dépense électorale en cause.
[189] D’ailleurs, l’avocate du défendeur a soutenu lors des débats que toute question portant sur le contenu des annonces publicitaires n’était vraiment qu’un « leurre » et que la Cour ne devait pas détourner son attention des véritables questions en litige. D’après l’avocate du défendeur, en l’espèce, la Cour n’est pas du tout appelée à examiner la question de la liberté d’expression, notamment le droit d’exprimer ses opinions politiques, dans le contexte d’élections fédérales ou les restrictions imposées par la Loi.
[190] Le défendeur a précisé lors des débats que, pour sa part, il n’y avait nulle controverse quant au contenu des annonces publicitaires en question ou au fait qu’elles ont été utilisées par les demandeurs pendant la période électorale. Bien que le contenu des annonces publicitaires en litige puisse être désigné comme étant « national », le défendeur est maintenant prêt à reconnaître que ce contenu répond au critère du but visé — soit celui de la promotion directe des candidats — si les dépenses ont réellement été engagées par les candidats, ce qui, selon ce que soutient le défendeur, n’est pas le cas.
Il est craint que le programme d’APML constitue une façade
[191] D’après la preuve au dossier, au moment où les décisions attaquées ont été rendues, le défendeur soupçonnait le Parti d’avoir conçu un stratagème frauduleux de transmission de dépenses publicitaires du Parti national à diverses campagnes parce qu’il était tout près du plafond des dépenses électorales en vertu de la Loi. Ses soupçons constituaient des motifs supplémentaires de refus de certifier les dépenses supplémentaires déclarées et de suspension ou de report du remboursement du dernier versement visé par l’article 465 de la Loi, dans l’attente de la conclusion de l’enquête du commissaire sur le programme d’APML.
[192] Au cours de la campagne électorale de 2006, le Parti était assujetti à un plafond des dépenses électorales de 18 278 278,64 $ et il a déclaré avoir engagé 18 019 170,28 $ au titre de ses dépenses électorales. En particulier, le Parti a déclaré des dépenses s’élevant à 8 786 108,38 $ pour l’ensemble de ses annonces publicitaires à la télévision et à la radio, ce qui comprenait les coûts de production. De cette somme, 833 163 $ ont été engagés pour les coûts de production, ce qui signifie que 7 952 945,38 $ ont été engagés au titre des frais de publicité des annonces publicitaires diffusées à travers le pays (y compris le Québec).
[193] Le programme d’APML a coûté 1 271 771,41 $ aux candidats participants. Compte tenu de cet élément et de ce qui précède, il faut retenir que, si le Parti était tenu de déclarer ce montant dans son compte des dépenses électorales se rapportant à la campagne électorale de 2006, le Parti aurait déclaré des dépenses électorales s’élevant à 19 290 941,69 $, ce qui les placerait à environ un million de dollars au-dessus du plafond de ses dépenses électorales.
[194] Pour une raison que nous ignorons, le défendeur n’a jamais formellement demandé au Parti de modifier son compte des dépenses électorales afin de tenir compte des coûts associés au programme d’APML. Si le défendeur avait formulé une telle demande, le Parti aurait pu s’adresser à un juge compétent pour le soustraire à la demande du défendeur (voir l’alinéa 434(1)a) de la Loi).
[195] Malgré cette omission de sa part, le défendeur soutient néanmoins que la présentation d’une demande au Parti de modification de son compte de dépenses électorales de l’année 2006 aurait abouti à la présentation par le Parti d’une déclaration révélant des dépenses électorales dépassant d’une manière significative le plafond des dépenses prévu par la Loi. La Cour ne peut retenir une telle inférence étant donné que le défendeur a préféré saisir le commissaire de la question pour qu’il fasse enquête. Toutefois, celui-ci n’a pas tiré de conclusion déterminante à ce sujet.
[196] Bien que le défendeur ne demande pas à la Cour de conclure de façon officielle que le programme d’APML est un stratagème frauduleux organisé par le Parti, il lui demande néanmoins de tenir compte de la preuve par ouï-dire recueillie par le commissaire et de conclure qu’il était raisonnable pour le défendeur d’opposer au défendeur son refus de certifier la demande de remboursement des dépenses publicitaires déclarées. En outre, le défendeur fait valoir que cette preuve par ouï-dire est pertinente puisqu’il est demandé à la Cour de conclure que la prépondérance des inconvénients ne justifie pas la délivrance d’une ordonnance de mandamus selon la jurisprudence Apotex, précitée.
[197] La preuve recueillie comprend une déclaration sous serment de M. Lamothe et quelques documents en annexe. En particulier, le défendeur se fonde sur les renseignements que le commissaire a produits en avril 2008 afin d’obtenir un mandat de perquisition l’autorisant à pénétrer dans les locaux du Parti et du Fonds à Ottawa. Parmi ces renseignements se trouve une série de courriels échangés par les représentants de RMI et les agents du Parti. En particulier, un courriel du 9 décembre 2005 provenant du négociateur de la diffusion auprès de RMI laisse entendre que les représentants de RMI et les agents du Parti auraient envisagé la possibilité de transférer une partie du temps d’antenne publicitaire du Parti aux circonscriptions parce que le Parti [traduction] « aurait déjà atteint le plafond de ses dépenses ».
[198] Étant donné les circonstances entourant la production de cette preuve par ouï-dire, la fiabilité de cette preuve n’est pas établie et la Cour n’est pas convaincue que les circonstances dans lesquelles cette preuve a été préparée permettraient, en dernier ressort, au juge des faits d’en évaluer le bien-fondé. Certes, le défendeur n’a jamais tenu compte de cette preuve lorsqu’il a rendu les décisions attaquées et, dans les circonstances, la plus grande prudence est requise face à la fiabilité de cette preuve, compte tenu du fait que le commissaire n’a pas encore mené à terme son enquête portant sur le programme d’APML. Ce n’est pas la meilleure preuve susceptible de confirmer que la dette se rapportant aux dépenses publicitaires engagées par le Parti aurait fait l’objet d’une transmission aux candidats ayant participé au programme d’APML, comme le soutient le défendeur.
[199] Les autres courriels provenant des représentants de RMI et les agents du Parti donnent lieu aux mêmes réserves. La Cour estime que ces courriels ne lui permettent pas de tirer une conclusion définitive parce qu’ils prêtent à confusion dans une certaine mesure et parce qu’il n’y a pas d’éléments de preuve directs au dossier corroborant une intention « de faire passer aux candidats du Parti sous l’appellation d’“agents officiels des candidats du Parti conservateur” des dollars affectés à ce moment au temps d’antenne payant selon la Loi ».
[200] Au mieux, si la Cour devait tenir compte de cette preuve par ouï-dire, celle-ci révélerait que, même si le temps d’antenne à la télévision a initialement été réservé par le Parti, cette réservation a été annulée et une nouvelle réservation a été effectuée au nom des candidats qui ont consenti à prendre à leur charge le coût des annonces à la télévision ou à la radio devant être diffusées dans leur circonscription.
[201] En outre, il y a des éléments de preuve au dossier établissant directement que les annonces en cause ont été diffusées après que le temps d’antenne eut été réservé au nom des candidats participants. Par conséquent, les annonces n’ont jamais été diffusées sans l’approbation des candidats participants. En dernier lieu, le défendeur ne conteste pas le fait que les candidats ont autorisé la diffusion des annonces. Les titres d’appel accompagnant ces annonces indiquaient clairement que les agents officiels des candidats participants avaient autorisé celles-ci.
[202] Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue, après avoir examiné toute la preuve au dossier, que les soupçons que nourrit le défendeur justifient les décisions attaquées ou constituent des motifs raisonnables de suspendre indéfiniment la délivrance de nouveaux certificats en vertu de l’article 465 de la Loi. Comme nous le verrons ci-dessous, les demandeurs ont clairement prouvé à la Cour qu’ils ont manifestement le droit d’être remboursés parce que la preuve produite établit que les dépenses publicitaires en question sont admissibles à titre de « dépenses électorales » au sens de l’article 407 de la Loi.
Divergences dans la documentation initialement soumise au défendeur
[203] D’après la preuve produite, c’est à bon droit qu’Élections Canada a effectué une vérification et un examen plus approfondis des documents à l’appui des dépenses publicitaires que les candidats ayant participé au programme d’APML avaient déclaré avoir engagées.
[204] D’après le défendeur, une question qui intéressait de façon générale les décideurs au moment où ont été prises les décisions attaquées portait sur le niveau de contrôle exercé sur les décisions en matière de dépenses prises par les agents officiels et, en particulier, sur le fait qu’aucune somme ne serait cédée du Fonds aux campagnes participantes (notamment celles de Dartmouth et de London) avant que les agents officiels aient soumis au Fonds un formulaire de virement dûment rempli de leur paiement à l’ordre du Parti.
[205] Ce contrôle, auquel s’ajoute le fait qu’aucun des candidats ni leurs agents officiels ne semblaient connaître les détails de la création ou de la diffusion des annonces en cause, a amené le défendeur à soupçonner que les candidats du Parti et leurs agents officiels, y compris les demandeurs, n’avaient pas engagé les dépenses publicitaires en question.
[206] À première vue, la documentation que les demandeurs ont produite à Élections Canada, laquelle comprend plusieurs factures mentionnées précédemment et les justificatifs de paiement, tend à indiquer que les demandeurs ont engagé les dépenses publicitaires en question. Par conséquent, le défendeur ne peut, sans raison valable, faire abstraction de la preuve pertinente et convaincante d’une dette contractée par les demandeurs, ou l’écarter.
[207] Aucune des réserves du défendeur ne tendent à justifier la conclusion que les dépenses publicitaires en question n’ont pas été engagées par les demandeurs. Bien que des « signaux d’alarme » peuvent justifier la décision du défendeur d’effectuer une vérification plus serrée, il n’en découle pas pour autant que le refus subséquent de certifier les dépenses publicitaires en question était raisonnable. Il ressort de la preuve produite que les partis et les candidats n’ont pas coutume de conclure des contrats directement avec les diffuseurs. Ce sont toujours les agents qui se chargent des contrats prévoyant la création d’une annonce publicitaire. Tout comme les partis ont le droit de contrôler le contenu des annonces publicitaires, ils ont également le droit d’imposer des conditions en ce qui concerne l’utilisation des fonds qu’ils cèdent à une campagne.
[208] En dernier lieu, comme nous l’avons déjà constaté, les motifs des décisions attaquées sont légers. Ils ne vont pas dans le sens de la conclusion du défendeur à l’égard des demandeurs. La Cour examinera maintenant les éléments de preuve produits qui tendent à confirmer que les demandeurs ont engagé les dépenses publicitaires en question.
B – LES DÉPENSES PUBLICITAIRES RÉELLEMENT ENGAGÉES PAR LES DEMANDEURS
[209] Les demandeurs, soit M. Callaghan et M. Pallet, étaient tous les deux agents officiels pendant la campagne électorale de 2006 et étaient dûment et légalement autorisés à engager des dépenses au nom de M. Campbell dans la circonscription de Dartmouth et au nom de M. Mailer dans la circonscription de London, respectivement. Pour la campagne électorale de 2006, les campagnes en question étaient assujetties à des plafonds de dépenses électorales de 76 264,72 $ et de 77 145,06 $ respectivement, et des montants de 41 775,58 $ et de 63 819,14 $ respectivement ont été déclarés à titre de dépenses électorales.
[210] Selon les meilleurs éléments de preuve produits, notamment les déclarations sous serment des demandeurs ainsi que les réponses qu’ils ont données en contre-interrogatoire, au 19 décembre 2005, les campagnes électorales de Dartmouth et de London avaient toutes deux convenu de contribuer jusqu’à 10 000 $ au programme d’APML.
[211] Il s’est finalement avéré que l’association de la circonscription électorale de London était la seule participante de la région aux APML parce que l’association de la circonscription électorale d’Oxford a décidé de se retirer du programme. D’autre part, Dartmouth a participé aux APML de la région d’Halifax, se joignant ainsi aux campagnes électorales d’Halifax et d’Halifax West qui s’étaient engagées à contribuer 12 000 $ et 30 000 $ respectivement.
[212] Le Fonds a par la suite facturé M. Callaghan et M. Pallet pour la somme de 3 947,07 $ et 9 999,15 $, respectivement, tel qu’il ressort des factures numéro MBUYROC050019, du 23 décembre 2005 et numéro MBUYROC050013 du 23 décembre 2005 (les factures litigieuses).
[213] Le défendeur ne met pas en doute l’authenticité des factures litigieuses et nul des éléments de preuve produits ne pourrait amener la Cour à conclure que ces factures sont des faux.
[214] La preuve produite ne permet pas à la Cour de conclure que les annonces publicitaires en litige ont été diffusées avant que les campagnes électorales de Dartmouth et de London n’aient accepté de participer au programme d’APML. D’après les rapports pertinents produits dans le cadre de la présente instance, les annonces en cause ont commencé à être diffusées le 2 janvier 2006 et la diffusion de celles-ci s’est poursuivie jusqu’au 22 janvier 2006, soit le jour avant les élections générales.
[215] La preuve produite établit de façon concluante que le programme d’APML était une initiative volontaire de certaines campagnes électorales. Le fait que le candidat de la circonscription Cardigan–Malpèque n’y ait pas participé, contrairement à son engagement initial, tend à le confirmer. D’ailleurs, la preuve indique que, lorsque le candidat s’est désisté, non seulement le Fonds a payé à RMI le montant des APML correspondant à la part de la circonscription, mais le Parti a également déclaré ce montant à titre de dépense dans son compte des dépenses électorales.
[216] Conformément à l’entente initiale conclue par les deux demandeurs et l’agent régional du Parti qui avait communiqué avec eux en décembre 2005, le Fonds a cédé les sommes nécessaires pour le paiement des factures litigieuses. Il semble que ces factures aient ensuite été payées par M. Callaghan et M. Pallet par l’entremise du compte de leur campagne les 11 et 10 janvier 2006, respectivement.
[217] Le défendeur ne conteste pas le fait que les deux demandeurs ont convenu de payer les factures en litige et que celles-ci ont été payées en bonne et due forme au mois de janvier 2006. Toutefois, le Parti était parfaitement en droit de soumettre à des conditions l’utilisation des sommes qu’il céderait à une campagne locale. Il incombait alors à celle-ci d’accepter ou de rejeter cette condition, tout comme il lui incombait d’accepter de participer à des achats publicitaires dans les médias locaux que le Parti avait organisés.
[218] Selon la preuve produite, le Fonds a agi à titre de fournisseur des annonces publicitaires en litige ou d’agent des campagnes relativement aux APML. À cet égard, puisque RMI agissait déjà à titre d’agent réalisateur du Parti auprès des diffuseurs, c’est elle qui s’occupait du coût des annonces des campagnes participantes et qui avait envoyé les factures à l’attention du Fonds au début de janvier 2006.
[219] RMI a subdivisé les affaires menées avec le Parti et les agents officiels des candidats conservateurs en quatre volets : 1) Achats publicitaires dans des médias — hors Québec — Parti enregistré; 2) Achats publicitaires dans des médias — Candidats participants; 3) Achats publicitaires dans des médias — Québec — Parti enregistré; 4) Achats publicitaires dans des médias — Québec — Candidats participants.
[220] Le ou vers le 1er janvier 2006, RMI a envoyé une facture, portant le numéro 1101868-1, au montant de 632 809,77 $, TPS comprise, qui représentait le coût associé au deuxième segment : Achats publicitaires dans des médias — Candidats participants (la facture hors Québec). On peut lire sur la facture qu’elle était adressée aux « Agents officiels des candidats du Parti conservateur ». Elle a été envoyée au bureau principal du Parti, à Ottawa, à l’attention de Mme Susan Kehoe.
[221] Le défendeur n’a pas mis en doute l’authenticité de la facture hors Québec devant la Cour et aucun élément de preuve ne pourrait amener la Cour à conclure que cette facture est un faux ou que les frais facturés par RMI ne correspondent pas aux coûts de radiodiffusion et de télédiffusion des annonces de toutes les campagnes participantes, sauf celles de la province de Québec dont les candidats étaient facturés séparément.
[222] D’après les meilleurs éléments de preuve dont la Cour dispose, la facture hors Québec que Mme Kehoe a reçue indique qu’un paiement de 9 345 $ a été exigé de la campagne de London, tandis que 4 426,62 $, 11 066,54 $ et 3 688,85 $ ont été exigés des campagnes de Halifax, Halifax West et Dartmouth, respectivement. Ces montants ne comprennent pas la TPS.
[223] Bien que la question de l’application de la TPS puisse se poser si le Fonds est intervenu à titre de fournisseur, la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur cette question aux fins de la présente procédure. Cela dit, le jugement rendu le 31 décembre 2009 par le juge Wilton-Siegel suite à la demande présentée par le Fonds en vertu de l’article 434 de la Loi (voir la décision Conservative Fund Canada, précitée) a été porté à l’attention de la Cour. Dans cette décision, le juge Wilton-Siegel a conclu que le Fonds pouvait obtenir une ordonnance conformément à l’alinéa 434(1)b) tendant à apporter des corrections aux comptes des dépenses électorales d’élections générales soumis précédemment au défendeur dans le cadre des 38e et 39e élections générales. Cette ordonnance a été accordée dans le but d’entériner les remboursements de TPS que le Fonds avait reçus à l’égard des dépenses électorales d’élections générales indiquées dans les comptes en question.
[224] Aux fins de la présente procédure, en ce qui concerne le programme d’APML, le défendeur convient que les candidats participants demeurent tenus de couvrir la dépense se rapportant aux APML, que le parti enregistré soit l’agent des candidats ou le fournisseur d’un bien ou d’un service. Toutefois, il est constant qu’en pratique il pourrait être difficile de distinguer ces deux types de différentes relations parce que, dans les deux cas, le parti enregistré [traduction] « intervient, en un sens, à titre d’intermédiaire qui achète ou revend aux agents officiels ou qui achète au nom des agents officiels ».
[225] Toutefois, si la Cour doit faire un choix entre les deux solutions qui lui sont présentées cidessus, vu les éléments de preuve dont elle dispose, elle conclut que le Fonds intervenait à titre de fournisseur. Le fait que RMI a exigé que le Fonds effectue le paiement avant que le temps d’antenne ne soit réservé au nom du Parti ou des agents officiels des campagnes participantes au programme d’APML va dans le sens de cette conclusion.
[226] En somme, pour les motifs susmentionnés, la Cour est d’avis que les dépenses publicitaires déclarées ont bel et bien été engagées par les demandeurs. Comme nous l’avons déjà mentionné, que la Cour examine la légalité des décisions attaquées selon la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable, l’issue de la procédure est la même. Soit que le défendeur a commis une erreur en décidant que les dépenses publicitaires déclarées n’ont pas été engagées par les demandeurs, soit que, par ailleurs, les éléments de preuve ne vont pas dans le sens des conclusions du défendeur et donc que celles-ci ne sont pas raisonnables vu les circonstances.
[227] Par conséquent, les décisions attaquées seront annulées. Toutefois, cela ne met pas un terme à la présente procédure, car il reste à la Cour à rechercher si les dépenses publicitaires déclarées et engagées par les demandeurs sont raisonnables et si la valeur déclarée de ces dépenses correspond à leur valeur marchande.
C – LE CARACTÈRE RAISONNABLE DES DÉPENSES PUBLICITAIRES DÉCLARÉES
[228] Le caractère raisonnable des dépenses publicitaires déclarées doit être apprécié en fonction de la valeur commerciale des frais publicitaires qui ont été facturés aux demandeurs comme l’indiquent les factures en litige.
[229] Comme nous l’avons déjà signalé, l’article 406 de la Loi dispose que les dépenses de campagne des candidats, ce qui comprend les dépenses électorales, doivent être des « dépenses raisonnables entraînées par l’élection ». La Cour a également expliqué plus haut que la différence entre les frais imputés aux campagnes par un parti enregistré au titre des achats publicitaires dans les médias locaux et la valeur commerciale réelle des APML peut mener à une contribution non monétaire qui devait être déclarée par le candidat dans son compte des dépenses électorales.
[230] Le paragraphe 2(1) de la Loi définit l’expression « valeur commerciale » en ce qui concerne la fourniture de biens ou de services comme étant
[...] le prix le plus bas exigé pour une même quantité de biens ou de services de la même nature ou pour le même usage de biens ou d’argent, au moment de leur fourniture, par :
a) leur fournisseur, dans le cas où il exploite une entreprise qui les fournit;
b) une autre personne qui les fournit sur une échelle commerciale dans la région où ils ont été fournis, dans le cas où leur fournisseur n’exploite pas une telle entreprise.
[231] Que la Cour considère le Fonds comme étant le fournisseur des services en question ou qu’elle considère que le Fonds ou le Parti est intervenu à titre d’agent des candidats participants dans le cadre du programme d’APML, la valeur commerciale des annonces en cause ne peut être établie que sur le fondement des factures fournies par RMI étant donné que cette société est la seule entité en cause qui exploitait une entreprise fournissant ces services.
[232] D’après la facture hors Québec, la Cour conclut que le montant de 9 995,15 $ indiqué dans la déclaration de M. Pallet correspond à la valeur commerciale des annonces en cause qui ont été diffusées dans la circonscription de London. Il en est ainsi car la circonscription de London était la seule participante au programme d’APML dans cette région.
[233] Cela dit, il ressort clairement de la preuve que, dans la région d’Halifax, les annonces en cause ont profité à trois campagnes, soit celles d’Halifax, d’Halifax West et de Dartmouth. RMI a délibérément regroupé ces circonscriptions aux fins de réservation de temps d’antenne dans la région d’Halifax. Initialement, ces campagnes s’étaient engagées à contribuer, au total, 52 000 $ que le Parti a réparti de la façon suivante entre les campagnes : Halifax 12 000 $; Halifax West 30 000 $ et Dartmouth 10 000 $.
[234] Il s’avère que RMI a réservé moins de temps d’antenne dans la région d’Halifax que ce qui avait été prévu initialement. Ainsi, moins de 52 000 $ ont été dépensés par les trois associations. En fin de compte, le temps d’antenne à la radio et à la télévision que RMI a réservé et facturé s’est élevé à 20 524,74 $. Ce montant représente la juste valeur commerciale des annonces en cause qui ont été diffusées dans la région d’Halifax pour le compte des trois campagnes participantes.
[235] En tenant compte des montants déclarés par les associations d’Halifax, d’Halifax West et de Dartmouth, ensemble, celles-ci ont déclaré au total des dépenses publicitaires de 20 524,74 $. De ce montant, 14 445 $ ont été consacrés à la publicité à la radio et 6 079,74 $ à la publicité à la télévision. Le compte de campagne électorale de Dartmouth fait état d’un paiement de 3 947,07 $ (ce qui représente 19,23 % du montant total pour la région) effectué par la campagne au Fonds pour la « publicité – radio/télé » tandis que les comptes de campagne électorale d’Halifax et d’Halifax West font état de paiements de 4 736,48 $ (23,08 % du total de la région) et de 11 841,20 $ (57,69 % du total de la région) respectivement.
[236] Cette répartition des frais de diffusion pour les trois campagnes participantes dans la région d’Halifax n’est pas logique et ne tient pas compte du fait que les annonces en cause ont profité de façon égale aux trois associations. L’association d’Halifax West se trouve à payer une somme nettement supérieure à celle des associations d’Halifax et de Dartmouth. En l’espèce, on doit effectuer la répartition en tenant compte du fait que les associations ont participé de façon égale à l’achat total organisé par RMI. Dans le cas des associations d’Halifax et de Dartmouth, la répartition qui a eu lieu a produit une somme qui est inférieure à la valeur commerciale tandis que dans le cas de l’association d’Halifax West, elle est supérieure à la valeur commerciale.
[237] Le fait que les montants facturés par le Fonds aux campagnes participantes se limitaient aux montants que ces campagnes étaient en mesure de payer, compte tenu de leur plafond des dépenses électorales respectif, n’est pas pertinent en ce qui concerne la détermination de la juste valeur commerciale des annonces en cause de chaque campagne participante. Qu’elle ait été établie unilatéralement par le Parti ou conjointement par le Parti et par toutes les campagnes, cette répartition purement arbitraire n’est pas raisonnable au sens de l’article 406 de la Loi dans les cas où la dépense de campagne déclarée est supérieure à la valeur commerciale de l’annonce.
[238] Bien que son omission ne constitue pas un motif valable de refus, aux termes de l’article 465 de la Loi, d’un certificat pour la somme de 3 947,07 $, dans le cas de la campagne de Dartmouth, M. Callaghan aurait dû indiquer dans son compte des dépenses électorales à titre de contribution non monétaire la différence entre le montant effectivement payé au Fonds, lequel s’élevait à 3 947,07 $, et le montant correspondant à une part raisonnable des dépenses s’élevant à 20 524,74 $. Étant donné qu’une part raisonnable correspondait à une part égale dans les circonstances, chaque circonscription aurait dû déclarer une dépense égale à un tiers de 20 524,74 $, soit 6 841,58 $. Dans le cas de M. Callaghan, la différence est de 2 894,51 $. Ce montant représente une contribution non monétaire du Parti et il doit être déclaré comme tel.
[239] Les agents officiels d’Halifax et d’Halifax West ne sont pas parties à la présente procédure en contrôle judiciaire. Cela dit, d’après les calculs ci-dessus, dans le cas de l’association d’Halifax, le paiement déficitaire s’établit à 2 105,10 $ tandis que dans le cas de l’association d’Halifax West, les mêmes calculs ont permis d’établir qu’un paiement en trop de 4 999,62 $ a été effectué.
[240] Le défendeur a instamment invité la Cour à conclure que la circonscription d’Halifax West a subventionné de façon indirecte les circonscriptions d’Halifax et de Dartmouth. Toutefois, conclure en ce sens signifierait que les candidats ont contrevenu à la Loi étant donné qu’il est illégal pour un candidat de céder des fonds à un autre candidat (voir les paragraphes 404.2(2), (2.1) et (2.2)).
[241] Cette allégation n’est pas fondée vu les faits. Il n’y a pas eu de cession de fonds entre les comptes des trois campagnes. Comme nous l’avons vu précédemment, les cessions de fonds étaient effectuées par le Fonds au compte de chaque campagne participante. Contrairement à l’hypothèse mise de l’avant par le défendeur, la Loi permet ces cessions.
Pas de répartition des frais de production aux candidats hors Québec
[242] Cela nous amène à la répartition des frais de production entre les campagnes participant au programme d’APML, y compris celles de London et de Dartmouth. N’oublions pas qu’une dépense électorale s’entend non seulement des frais associés à la distribution, à la diffusion et à la publication de matériel publicitaire ou promotionnel mais aussi aux coûts de production (voir l’alinéa 407(3)a)).
[243] En ce qui concerne les coûts de production, il ressort des éléments de preuve que les pratiques du Parti n’étaient pas cohérentes. Dans le cas des campagnes participant au programme d’APML dans la province de Québec, une part des coûts de production leur était facturée tandis que dans le cas des campagnes hors Québec participantes ces coûts ne leur étaient aucunement facturés. Toutefois, ce manque de cohérence n’a aucun rapport avec le montant du remboursement réclamé par les candidats hors Québec.
[244] Le défendeur a soutenu qu’une partie des coûts de production aurait dû être déclarée dans les comptes des dépenses électorales des candidats à titre de contribution non monétaire provenant du Parti. Il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur cette question. Elle se bornera à dire qu’il y a certainement matière à controverse, compte tenu du fait que, contrairement à ce qui se passe au Québec, le Parti avait déjà engagé et déclaré les coûts de production de la campagne de publicité nationale hors Québec et les mêmes annonces étaient utilisées par les campagnes participant au programme d’APML.
[245] Si le défendeur est d’avis qu’une partie des coûts de production aurait du être déclarée par les candidats, la ligne de conduite qu’il convenait de suivre aurait été de présenter une demande écrite officielle aux candidats de corriger leur compte des dépenses électorales (voir le paragraphe 457(2)).
IX – L’EXERCICE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA COUR
[246] Les brefs de prérogative traditionnels énumérés à l’article 18 de la LCF, susmentionné, tels que le mandamus et le certiorari, que les demandeurs sollicitent, ne peuvent être décernés que sur présentation d’une demande en contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la LCF. En faisant droit à une telle demande, la Cour n’est pas liée par les mesures indiquées dans l’avis de demande.
[247] Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut prendre les mesures mentionnées au paragraphe 18.1(3) de la LCF qu’elle estime indiquées. Ainsi, la Cour peut, lorsqu’elle annule une décision illégale, rendre le jugement déclaratif qu’elle estime indiqué et renvoyer l’affaire pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées dans les circonstances.
[248] En outre, la Cour peut refuser d’accorder la mesure sollicitée, malgré l’illégalité de la décision, si elle a des motifs de le faire (décision Stevens, précitée, aux paragraphes 50 à 52).
[249] D’ailleurs, dans le cas d’un recours en mandamus, outre l’établissement d’un droit clair, vu les facteurs consacrés par le jurisprudence Apotex, précité, le juge saisi de la demande est appelé à exercer de façon judicieuse le pouvoir discrétionnaire inhérent au pouvoir de contrôle judiciaire accordé à la Cour par les articles 18 et 18.1 de la LCF .
[250] Ayant tenu compte, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, de tous les facteurs pertinents, je n’ai aucune raison de refuser aux demandeurs la mesure sollicitée. Par conséquent, il est fait droit à la demande en mandamus/certiorari selon les modalités énoncées dans le jugement qui accompagne les présents motifs.
[251] Que la Cour examine la légalité des décisions attaquées selon la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable, l’issue de la cause demeure inchangée. Soit que le défendeur a commis une erreur en décidant que les dépenses publicitaires déclarées n’avaient pas été engagées par les demandeurs, soit que les éléments de preuve ne vont absolument pas dans le sens des conclusions du défendeur et elles sont déraisonnables dans les circonstances. Dans un cas comme dans l’autre, les décisions sont illégales et doivent être annulées.
[252] Ayant tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve, je suis d’avis que les soupçons du défendeur, selon lesquels le programme APML constitue un stratagème frauduleux, ne justifient pas le rejet du recours des demandeurs. Le fait que les dépenses publicitaires ont été sous-estimées par rapport à leur valeur commerciale ne fait pas obstacle à la certification de celles-ci aux termes de l’article 465 de la Loi. Seuls les montants qui ont été effectivement payés par les demandeurs peuvent faire l’objet d’un remboursement de la part du receveur général.
[253] En l’espèce, vu les faits, la différence entre le montant payé par le demandeur L. G. Callaghan et la valeur commerciale des dépenses publicitaires déclarées a, en fin de compte, été prise en charge par le Fonds. En supposant que le compte de campagne électorale du candidat aurait dû faire état d’une contribution non monétaire, le demandeur L. G. Callaghan a quand même droit à un remboursement puisqu’il n’a pas atteint le plafond des dépenses électorales.
[254] Il existe une distinction fondamentale entre les notions de légalité et de légitimité.
[255] En ce qui concerne la légalité ou l’illégalité, le cas échéant, des agissements du Parti ou du Fonds au cours de la campagne électorale de 2006, l’enquête du commissaire est toujours en cours. Par conséquent, il serait prématuré et contre-indiqué de la part de la Cour de faire des observations sur cette question ou de statuer sur celle-ci.
[256] En ce qui concerne la légitimité du programme d’APML dans son ensemble, il s’agit d’une question qui peut légitimement faire l’objet d’un débat, mais lequel n’a pas sa place dans une salle d’audience. Sous réserve des dispositions de la Constitution, le législateur est investi du pouvoir souverain et du pouvoir législatif de réglementer les mouvements monétaires par les partis enregistrés aux associations locales. Le législateur peut modifier la Loi pour remédier à toute iniquité, réelle ou passant pour telle aux yeux du public. En outre, seul le législateur a le droit de conférer des pouvoirs d’enquête ou de contrôle supplémentaires au DGE.
[257] Quoique le demandeur a fait part de ses réserves en ce qui concerne les comptes de campagne électorale soumis par un certain nombre de candidats du Parti qui avaient participé au programme d’APML, notamment dans la province de Québec, la question de savoir si le Parti ou les 65 autres candidats qui ont participé au programme d’APML se sont conformés aux exigences de la Loi en matière de déclaration n’est pas une question sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer dans la présente procédure.
[258] Il suffit à la Cour de conclure que toute inférence ou conclusion tirée par le défendeur à l’égard de l’observation par les demandeurs du paragraphe 447(2) ou des articles 451 à 462 de la Loi — que le défendeur ait tiré cette inférence ou conclusion avant ou après la vérification des comptes soumis par les candidats participants — est déraisonnable et n’est pas étayée par la preuve produite. Cela dit, les dépenses publicitaires déclarées, que la Cour a reconnues comme ayant été bel et bien engagées par les campagnes de Dartmouth et de London, doivent être déclarées à leur valeur commerciale.
[259] Par conséquent, les décisions attaquées portant que doivent être exclues du montant du remboursement calculé en vertu de l’article 465 de la Loi :
a) dans le compte de campagne électorale du candidat dans la circonscription de Dartmouth, les dépenses électorales déclarées de 3 947,07 $ désignées comme suit : [traduction] « Part des publicités du candidat dans les médias pour 2005-2006 » et
b) dans le compte de campagne électorale du candidat dans la circonscription de London, les dépenses électorales déclarées de 9 999,15 $ désignées comme suit : [traduction] « Part des publicités du candidat dans les médias pour 2005-2006 »;
seront annulées et l’affaire sera renvoyée au défendeur accompagnée des directives données ci-dessous.
[260] En ce qui concerne les comptes de campagne électorale des candidats produits en vertu de l’article 451 de la Loi par les demandeurs, M. L. G. Callaghan et M. David Pallet, à titre d’agents officiels de M. Campbell et M. Mailer, respectivement, les frais engagés et les contributions non monétaires reçues par les dits candidats pendant la campagne électorale de 2006, en ce qui touche leur participation au programme d’APML, constituent des dépenses électorales des candidats au sens des articles 406 et 407 de la Loi.
[261] La juste valeur marchande des dépenses électorales réputées figurant dans le compte de campagne électorale de M. Campbell correspond :
a) au coût de 3 947,07 $ effectivement défrayé par la campagne de Dartmouth et dûment payé le 11 janvier 2006 par le demandeur L. G. Callaghan au Fonds;
auquel est ajoutée,
b) la contribution non monétaire de 2 894,51 $ faite par le Parti à M. Campbell, qui correspond à la différence entre le montant effectivement payé au Fonds (3 947,07 $) et le montant qui représente une part raisonnable des frais publicitaires (20 524,74 $) répartis en parts égales entre les circonscriptions de Dartmouth, d’Halifax et d’Halifax West (6 841,58 $ ).
[262] La juste valeur marchande des dépenses électorales réputées figurant dans le rapport de campagne électorale de M. Mailer correspond au coût de 9 999,15 $ effectivement engagé par la campagne de London et dûment payé le 10 janvier 2006 par le demandeur David Pallet au Fonds.
[263] Le défendeur effectuera un nouveau calcul du montant du remboursement, lequel correspond aux dépenses électorales payées et aux dépenses personnelles payées des candidats, déduction faite du remboursement partiel fait en vertu de l’article 464 de la Loi, au remboursement duquel M. Campbell et M. Mailer ont droit aux termes de l’article 465. Ce nouveau calcul comprendra les dépenses électorales réputées qui sont indiquées ci-dessus.
[264] Les demandeurs soutiennent qu’ils ont un droit clair au remboursement de ces dépenses électorales payées, malgré l’enquête du commissaire en cours et les renseignements supplémentaires maintenant connus du public à la suite de cette enquête.
[265] La Cour est d’avis que l’enseignement de la jurisprudence Apotex, précitée, est pertinent en l’espèce.
[266] Premièrement, les demandeurs ont un droit clair à ce que le DGE exerce l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 465 de la Loi, à savoir certifier les dépenses publicitaires déclarées une fois que le montant à rembourser à l’égard des dépenses électorales en cause aura été calculé de nouveau par le défendeur.
[267] Deuxièmement, les dépenses électorales en cause ont été bel et bien engagées par les demandeurs et ce n’est que si la présente demande est accueillie et que le défendeur est contraint de délivrer un nouveau certificat, après qu’il aura calculé de nouveau le montant à rembourser, que les demandeurs auront une créance monétaire opposable à la Couronne. Il en est ainsi parce que quiconque cherche à attaquer la décision d’un organisme fédéral doit généralement présenter une demande de contrôle judiciaire afin de faire annuler celle-ci (Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, [2006] 2 R.C.F. 287, au paragraphe 20). Par conséquent, lorsque, comme en l’espèce, le plaideur demande une réparation monétaire à la suite d’une décision rendue par un mandataire fédéral, et que l’illégalité de la décision constitue une condition préalable au droit à cette réparation, ce plaideur ne peut s’adresser à la justice avant que la décision en question ait été annulée au terme d’une procédure en contrôle judiciaire (par analogie, voir Manuge c. Canada, 2009 CAF 29, [2009] 4 R.C.F. 478, au paragraphe 84).
[268] Troisièmement, le fait que, parallèlement, il y a une enquête au criminel en cours au terme de laquelle pourraient être portées des accusations en vertu de la Loi contre le Parti, le Fonds ou des particuliers ne suffit pas, en soi, à faire pencher la balance des inconvénients en faveur du défendeur ou de la Couronne.
[269] À l’heure actuelle, le commissaire mène présentement une enquête afin de vérifier si le Parti ou le Fonds a engagé des dépenses électorales dépassant les limites permises, en contravention aux alinéas 497(1)l) et 497(3)g) de la Loi, et si le Fonds a, en contravention au sous-alinéa 497(3)m)(ii) de la Loi, produit un compte des dépenses électorales alors qu’il savait ou qu’il aurait dû normalement savoir que celui-ci renfermait une déclaration fausse ou trompeuse sur un point important.
[270] Les décisions attaquées étaient définitives. L’enquête du commissaire en cours n’a pas d’influence directe sur l’exercice du pouvoir du défendeur de certifier, en vertu de l’article 465 de la Loi, les dépenses électorales payées par les demandeurs au Fonds et déclarées.
[271] Aucune poursuite n’a été engagée par le Directeur des poursuites publiques (DPP). Lorsque les demandeurs auront obtenu le remboursement des dépenses publicitaires qui ont été déclarées, si le Parti, le Fonds ou toute autre personne est accusé et déclaré coupable des infractions susmentionnées, le paragraphe 501(1) de la Loi, notamment l’alinéa a.1), autorise la Cour à ordonner un reversement au receveur général.
[272] Quatrièmement, le défendeur n’a jamais demandé que le Parti ou les demandeurs modifient leur compte des dépenses électorales en ajoutant ou en soustrayant un montant au titre des dépenses publicitaires déclarées, comme il y est autorisé par les paragraphes 432(2) ou 457(2) de la Loi.
[273] Cinquièmement, la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (la LGFP), constitue le cadre de gestion des fonds publics. S’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne a en sa possession des fonds dont elle doit répondre auprès de Sa Majesté du chef du Canada, la LGFP indique les mécanismes de recouvrement de ces fonds (voir, par exemple, les articles 76 [mod. par L.C. 1991, ch 24, art. 20, 50(F); 1999, ch. 31, art. 114(F)] et 155).
[274] Il ressort de la preuve que le receveur général a déjà remboursé à 17 candidats qui ont participé au programme d’APML la partie de leur part des dépenses du programme d’APML qui leur revenait. Lors des débats, l’avocate du défendeur a informé la Cour qu’aucune instance n’avait été introduite à l’égard de ces candidats, de leurs agents officiels, du Fonds ou du Parti, en vertu de la LGFP ou de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50 [art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)], tendant au recouvrement de ces fonds.
[275] Sixièmement, toutes les mesures énoncées dans le jugement qui suit ne concernent que deux demandeurs. Les sommes en question sont modestes.
[276] Enfin, le Parti et le Fonds se sont engagés à rembourser au receveur général, au nom des demandeurs (et des autres candidats qui ont engagé des dépenses semblables) tout montant payé par le receveur général, si un jugement final ou une ordonnance de paiement étaient rendus aux termes de l’alinéa 501(1)a.1) de la Loi et que les demandeurs (et les autres agents officiels) étaient tenus de rendre le montant reçu à titre de remboursement des dépenses publicitaires déclarées.
[277] En supposant que le critère de la prépondérance des inconvénients doive jouer en l’espèce, les demandeurs se sont acquittés du fardeau de la preuve à cet égard.
[278] Par conséquent, le défendeur fournira au receveur général un nouveau certificat fixant le montant du versement final, comme il a été calculé de nouveau, que M. Campbell et M. Mailer ont le droit de recevoir en vertu du présent jugement, déduction faite de toute somme que le receveur général aura déjà payée.
[279] Compte tenu de l’issue de la présente procédure, des observations présentées par les avocats lors des débats, la Cour a décidé, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’adjuger les dépens en faveur des demandeurs.
JUGEMENT
LA COUR :
1. Accueille la demande de délivrance de brefs de mandamus ou de certiorari selon les modalités suivantes;
2. Sont annulées les décisions qu’a rendues le défendeur le 23 avril 2007 ou aux alentours de cette date, par lesquelles il a exclu du montant du remboursement calculé en vertu de l’article 465 de la Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9 (la Loi) :
a) dans le compte de campagne électorale de Robert A. Campbell (Dartmouth–Cole Harbour), la dépense électorale déclarée de 3 957,07 $ désignée comme suit : [traduction] « Part des publicités du candidat dans les médias pour 2005-2006 » ; et
b) dans le compte de campagne électorale de Dan Mailer (London–Fanshawe), la dépense électorale déclarée de 9 999,15 $ désignée comme suit : [traduction] « Part des publicités du candidat dans les médias pour 2005-2006 »
et l’affaire est renvoyée au défendeur;
3. En ce qui concerne le compte de campagne électorale produit en vertu de l’article 451 de la Loi par les demandeurs, M. L. G. Callaghan et M. David Pallet, à titre d’agents officiels de M. Campbell et de M. Mailer, respectivement, il est déclaré que les frais engagés ou les contributions non monétaires reçues par les dits candidats pendant la campagne électorale de 2006 dans le cadre de leur participation au programme des achats publicitaires dans les médias locaux (APML) constituent des dépenses électorales des candidats au sens des articles 406 et 407 de la Loi;
4. Il est déclaré que la juste valeur marchande des dépenses électorales réputées qui ont été déclarées dans le compte de campagne électorale de M. Campbell correspond :
a) aux frais de 3 947,07 $ effectivement engagés par la campagne de Dartmouth et dûment payés le 11 janvier 2006 par le demandeur L. G. Callaghan au Fonds conservateur du Canada (le Fonds);
auxquels est ajoutée,
b) la contribution non monétaire de 2 894,51 $ faite par le Parti à M. Campbell, qui correspond à la différence entre le montant effectivement payé par le Fonds (3 947,07 $) et le montant qui représente une part raisonnable des frais publicitaires (20 524,74 $) divisés à parts égales entre les circonscriptions de Dartmouth, d’Halifax et d’Halifax West (6 841,58 $) ;
5. Il est déclaré que la juste valeur marchande des dépenses électorales réputées qui ont été déclarées dans le compte de campagne électorale de M. Mailer correspond aux frais de 9 999,15 $ effectivement engagés par la campagne électorale de London et dûment payés le 10 janvier 2006 par le demandeur David Pallet au Fonds;
6. Il est ordonné au défendeur de calculer de nouveau le montant du remboursement, qui correspond aux dépenses électorales et aux dépenses personnelles payées du candidat, moins le remboursement partiel reçu au titre de l’article 464 de la Loi, que M. Campbell et M. Mailer ont le droit de recevoir en vertu de l’article 465, et qui comprendra, aux fins du calcul, les dépenses publicitaires réputées de M. Campbell et de M. Mailer.
7. Il est ordonné au défendeur de fournir au receveur général un nouveau certificat indiquant le montant du dernier versement calculé conformément au paragraphe 6 du présent jugement, que M. Campbell et M. Mailer ont le droit de recevoir en vertu du présent jugement, déduction faite de toute somme déjà payée par le receveur général du Canada;
8. Les dépens sont adjugés aux demandeurs.