[2009] 3 R.C.f. conseil canadien pour les réfugiés c. canada
A-37-08
2008 CAF 229
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Conseil canadien pour les réfugiés, Conseil canadien des Églises, Amnistie Internationale et M. Untel (intimés)
Répertorié : Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard et juges Noël et Evans, J.C.A.—Toronto, 21 mai; Ottawa, 27 juin 2008.
Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de réfugiés — Appel de la décision de la Cour fédérale déclarant invalides les art. 159.1 à 159.7 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de tiers pays — Les facteurs qui doivent être pris en compte avant de désigner un tiers pays sûr en application de l’art. 102(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) sont énoncés à l’art. 102(2) de la LIPR — La conformité à l’art. 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et à l’art. 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants doit être examinée sur la foi d’une évaluation, faite par le gouverneur en conseil (le GC), des politiques, des usages et des antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays — Comme le GC avait tenu compte des facteurs de manière appropriée et qu’il était arrivé à la conclusion que les États-Unis se conformaient, il n’y avait plus rien qui puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire — L’obligation du GC d’assurer le suivi est limitée à surveiller l’observation des facteurs énoncés à l’art. 102(2) afin d’être en mesure de réévaluer la possibilité de maintenir la désignation au besoin — Appel accueilli.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Il s’agissait de savoir si l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de tiers pays et les art. 159.1 à 159.7 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement de mise en œuvre) contrevenaient aux art. 7 et 15 de la Charte — La capacité des organisations intimées de déposer une contestation fondée sur la Charte dépendait de M. Untel — Ce dernier ne s’étant jamais présenté à la frontière et n’ayant jamais fait examiner la recevabilité de sa demande d’asile, aucun fait ne justifiait un examen des prétendues atteintes à la Charte.
Interprétation des lois — L’art. 102(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) confère un vaste pouvoir dans le but de donner effet à l’intention exprimée par le législateur de faire en sorte que la responsabilité de l’examen des demandes d’asile soit partagée avec des pays qui respectent les droits de la personne et les obligations que leur imposent la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants — Les facteurs dont il faut tenir compte sont énoncés à l’art. 102(2) de la LIPR et il s’agit de facteurs généraux qui montrent que le législateur voulait que la conformité soit examinée sur la foi d’une évaluation, faite par le gouverneur en conseil, des politiques, des usages et des antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour fédérale déclarant invalides les articles 159.1 à 159.7 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de tiers pays (l’Entente sur les tiers pays sûrs).
Le Règlement met en œuvre dans le droit interne l’Entente sur les tiers pays sûrs, qui prévoit que, si un réfugié entre au Canada à partir des États-Unis à un poste frontalier terrestre, le Canada, sous réserve des exceptions qui y sont prévues, renverra le réfugié aux États-Unis et inversement. Le juge de première instance a conclu que la conformité à l’article 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants était une condition préalable à la désignation, par le gouverneur en conseil (le GC), des États-Unis à titre de tiers pays sûr en application de l’article 102 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et que, comme les États-Unis ne s’étaient pas conformés à ces dispositions, l’Entente sur les tiers pays sûrs et les dispositions du Règlement qui la mettent en œuvre outrepassaient les pouvoirs conférés par l’article 102 de la LIPR, contrevenaient aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et ne se justifiaient pas en vertu de l’article premier de la Charte.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Le juge Noël, J.C.A. (le juge en chef Richard souscrivant à ses motifs) : La question soulevée en l’espèce se limitait à la question de l’excès de pouvoir. La norme de contrôle applicable était donc celle de la décision correcte.
Le Règlement contesté et l’Entente sur les tiers pays sûrs n’excèdent pas les pouvoirs conférés par la LIPR. Le paragraphe 102(1) de la LIPR confère au GC le pouvoir de prendre des règlements régissant le traitement des demandes d’asile qui peuvent prévoir notamment la désignation de pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture. Ce vaste pouvoir est conféré dans le but de donner effet à l’intention exprimée par le législateur de faire en sorte que la responsabilité de l’examen des demandes d’asile soit partagée avec des pays qui respectent les obligations que leur imposent les Conventions et les droits de la personne. Les facteurs qui doivent être pris en compte avant de désigner un pays sont décrits expressément au paragraphe 102(2) de la LIPR. La fausse perception du juge de première instance selon laquelle le GC aurait le pouvoir discrétionnaire de désigner un pays qui ne se conforme pas aux Conventions l’ont amené à transformer l’objectif de la loi de désigner des pays « qui se conforment » en une condition préalable. L’erreur s’est aggravée par une autre conclusion du juge de première instance selon laquelle c’est la conformité « effective » ou « rigoureuse » qui doit être établie. Le paragraphe 102(1) de la LIPR ne fait pas référence à cette conformité ni par ailleurs au type et à l’étendue de la conformité exigée. Le législateur a cependant décrit les quatre facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’on détermine si un pays peut être désigné. Il s’agit de facteurs généraux qui montrent que le législateur voulait que la conformité soit examinée sur la foi d’une évaluation, faite par le GC, des politiques, des usages et des antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays en question. Une fois qu’on reconnaît, comme ce fut le cas en l’espèce, que le GC a tenu compte de ces quatre facteurs de manière appropriée et qu’il est arrivé à la conclusion que le pays candidat se conforme aux articles pertinents des Conventions, il n’y a plus rien qui puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Rien en l’espèce ne permettait de croire que le GC avait agi de mauvaise foi ou dans un but inapproprié.
Le juge de première instance s’est mépris lorsqu’il a conclu que le GC n’avait pas assuré le suivi de la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr, comme l’exige le paragraphe 102(2). L’obligation d’assurer le suivi n’a pas pour objet de vérifier la conformité « effective » ou « rigoureuse ». Elle vise plutôt à assurer que le GC continue de surveiller le respect des facteurs énoncés au paragraphe 102(2) afin d’être en mesure de réévaluer la possibilité de maintenir la désignation au besoin. Le GC ne manquait pas à cette obligation en l’espèce.
Le juge de première instance a adopté une approche hypothétique à l’égard de la contestation des organisations intimées fondée sur la Charte, soit qu’une catégorie de réfugiés seraient traités d’une certaine façon s’ils se présentaient à un poste frontalier terrestre canadien. Cette approche allait à l’encontre du principe bien établi selon lequel une contestation fondée sur la Charte ne peut être examinée dans l’abstrait. La preuve ne démontrait pas qu’un réfugié devrait présenter la contestation à partir de l’extérieur du Canada. La capacité des organisations intimées de déposer une contestation fondée sur la Charte dépendait de M. Untel. Ce dernier ne s’étant jamais présenté à la frontière et n’ayant donc jamais fait examiner la recevabilité de sa demande d’asile, aucun fait ne justifiait un examen des prétendues atteintes portées à la Charte. Le juge de première instance a donc commis une erreur lorsqu’il a examiné la contestation fondée sur la Charte.
Le juge Evans, J.C.A. (motifs concourants) : Les motifs étayant la conclusion que le juge de première instance a commis une erreur en se prononçant sur le bien-fondé de la contestation du Règlement fondée sur la Charte s’appliquaient également, pour la plupart, à la contestation fondée sur le droit administratif. Il aurait été prématuré et il n’aurait servi à peu près à rien de prononcer le jugement déclaratoire demandé par les intimés. Puisque la demande de contrôle judiciaire aurait dû être rejetée sans rendre de décision sur les questions de fond soulevées, aucune question n’aurait dû être certifiée, et la Cour n’aurait pas dû répondre à ces questions.
Les questions relatives à l’interprétation législative et à la portée du contrôle judiciaire soulevées dans la demande des intimés n’étaient pas à ce point claires et incontestables qu’elles justifiaient une dérogation au principe directeur de la retenue judiciaire selon lequel il vaut mieux généralement en dire moins que plus.
Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de déclarer invalides les dispositions réglementaires contestées afin de s’assurer qu’elles ne s’appliquent pas aux demandeurs d’asile en violation des obligations internationales du Canada de ne pas refouler ou encore de la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de pays tiers, 5 décembre 2002, [2004] R.T. Can. no 2, art. 8(3).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 15.
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36, art. 3.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 33.
Convention relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes, 15 juin 1990, Dublin (Convention de Dublin).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 1; 2006, ch. 9, art. 38), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26).
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3, 5 (mod. par L.C. 2004, ch. 15, art. 70), 101, 102.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 159.1 à 159.7 (édictés par DORS/2004-217, art. 2).
Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 (mod. par DORS/2005-339, art. 1).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), [2004] 3 R.C.F. 600; 2004 CAF 166; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9.
décision différenciée :
Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; 2002 CSC 1.
décisions examinées :
Conseil canadien des Églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534 (C.A.); conf. par [1992] 1 R.C.S. 236; Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada, 2008 CAF 40; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595 (C.A.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Regina (Yogathas) v. Secretary of State for the Home Department, [2003] 1 A.C. 920; 2002 UKHL 36.
décisions citées :
États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283; 2001 CSC 7; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190; 17 Admin. L.R. (2d) 243; 67 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.); Syndicat des travailleurs en télécommunications c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [2004] 2 R.C.F. 3; 2003 CAF 381; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.
DOCTRINE CITÉE
Affaires étrangères et Commerce international Canada. Déclaration sur la frontière intelligente : Création d’une frontière intelligente pour le XXIe siècle soutenue par une zone de confiance nord-américaine, Ottawa : 12 décembre 2001, en ligne : <http://geo.international.gc.ca/can-am/main/border/smart_border_ declaration-fr.asp>.
Canada. Citoyenneté et Immigration. Partenariat pour la protection : Examen de la première année, novembre 2006, en ligne : <http://www.cic.gc.ca/francais/ministere/lois-politiques/partenariat/index.asp>.
Canada. Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Rapport sur les événements concernant Maher Arar. Ottawa : La Commission, 2006, en ligne : <http://www.commission arar.ca>.
Hathaway, James C. The Rights of Refugees under International Law. Cambridge : Cambridge University Press, 2005.
Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Rapport de surveillance : Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les É.-U., 29 décembre 2004-28 décembre 2005, juin 2006, en ligne : <http://www.unhcr. fr/cgi-bin/texis/vtx/protect/opendoc.pdf?tbl=PROTEC TION&id=455b2cca4>.
Sgayias, David et al. Federal Court Practice, 1991-92. Scarborough : Thomson Professional Publishing Canada, 1991.
APPEL de la décision de la Cour fédérale ([2008] 3 R.C.F. 606; 2007 CF 1262) déclarant invalides les articles 159.1 à 159.7 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de tiers pays. Appel accueilli.
ONT COMPARU
David Lucas, Gregory G. George et Matina Karvellas pour l’appelante.
Barbara L. Jackman, Andrew Brouwer et Leigh Salsberg pour les intimés le Conseil canadien pour les réfugiés et le Conseil canadien des Églises.
Lorne Waldman pour l’intimée Amnistie Internationale.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante.
Jackman & Associates, Toronto, pour les intimés le Conseil canadien pour les réfugiés et le Conseil canadien des Églises.
Waldman & Associates, Toronto, pour l’intimée Amnistie Internationale.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1] Le juge Noël, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du juge Phelan [[2008] 3 R.C.F. 606 (C.F.)] (le juge de première instance) d’accueillir la demande de contrôle judiciaire présentée par le Conseil canadien pour les réfugiés, le Conseil canadien des Églises, Amnistie internationale et M. Untel (les intimés) et de déclarer invalides les articles 159.1 à 159.7 [édictés par DORS/2004-217, art. 2] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), et l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de tiers pays [5 décembre 2002, [2004] R.T. Can. no 2] (appelé aussi l’Entente sur les tiers pays sûrs).
[2] Le juge de première instance a conclu en particulier que la conformité à l’article 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (entrée en vigueur le 22 avril 1954) (la Convention sur les réfugiés), et à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, [1987] R.T. Can. no 36 (entrée en vigueur le 26 juin 1987) (la Convention contre la torture, les deux conventions étant appelées collectivement « les Conventions »), était une condition préalable à l’exercice, par le gouverneur en conseil (le GC), du pouvoir qui lui est délégué à l’article 102 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de désigner les États-Unis d’Amérique (les États-Unis) à titre de tiers pays sûr, et que, compte tenu de la preuve dont il disposait, les États-Unis ne s’étaient pas conformés à ces dispositions. Par conséquent, il a statué que l’Entente sur les tiers pays sûrs et les dispositions du Règlement qui la mettent en œuvre outrepassaient les pouvoirs conférés par la loi habilitante, plus précisément l’article 102 de la LIPR, contrevenaient aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), et ne se justifiaient pas en vertu de l’article premier de la Charte.
[3] En appel, Sa Majesté la Reine (l’appelante) prétend que le juge de première instance a commis une erreur de droit en contrôlant le Règlement comme s’il s’agissait d’une décision administrative et qu’il a commis une erreur de fait et de droit en concluant qu’il y avait un risque véritable de refoulement lorsqu’un réfugié est renvoyé aux États-Unis. L’appelante prétend également que le juge de première instance a commis une erreur de droit en concluant que le Règlement contrevient à la Charte.
LES FAITS PERTINENTS
Le contexte
[4] Le Règlement en cause en l’espèce met en œuvre dans le droit interne l’Entente sur les tiers pays sûrs conclue entre le Canada et les États-Unis, qui prévoit que, si un réfugié entre au Canada à partir des États-Unis à un poste frontalier terrestre, le Canada, sous réserve des exceptions qui sont prévues, renverra le réfugié aux États-Unis. La même règle s’applique aux réfugiés qui arrivent aux États-Unis par voie terrestre en provenance du Canada.
[5] Une disposition sur les « tiers pays sûrs » est apparue pour la première fois dans le droit canadien dans les modifications apportées en 1988 à la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28 et 29 (la Loi sur l’immigration). La disposition permettait la désignation d’un autre pays à titre de tiers pays sûr et prévoyait que les demandeurs du statut de réfugié cherchant à entrer au Canada à partir d’un pays ainsi désigné n’étaient pas autorisés à demander la protection du Canada.
[6] En 1989, le Conseil canadien des Églises a contesté la constitutionnalité de cette disposition — et d’autres également. La Cour d’appel fédérale a cependant statué, dans Conseil canadien des églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534 (C.A.), que la contestation était prématurée puisque aucun pays n’avait encore été désigné en application de la disposition. Dans Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, à la page 253 (Conseil canadien des Églises), la Cour suprême a aussi rejeté la contestation, mais au motif que le Conseil canadien des Églises n’avait pas qualité pour la présenter étant donné qu’il existait une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question au tribunal, à savoir par un réfugié.
[7] Pendant les années 1990, le gouvernement du Canada a poursuivi les négociations avec les États-Unis en vue de la conclusion d’une entente sur les tiers pays sûrs. Le 12 décembre 2001, on a rendu publique la Déclaration sur la frontière intelligente : Création d’une frontière intelligente pour le XXIe siècle soutenue par une zone de confiance nord-américaine, qui décrivait un plan d’action en 30 points faisant état notamment d’un nouvel engagement concernant la négociation d’une entente.
[8] La LIPR est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Dans cette Loi, le législateur a habilité le GC à désigner à titre de pays « sûr » tout pays qui, vu ses lois, ses usages et ses antécédents en matière de respect des droits de la personne, se conforme à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture. Ces deux dispositions prévoient ce qui suit :
Convention sur les réfugiés
Article 33
Défense d’Expulsion et de Refoulement
1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.
Convention contre la torture
Article 3
1. Aucun État partie n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.
2. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.
[9] L’article 5 [mod. par L.C. 2004, ch. 15, art. 70] de la LIPR exige que les règlements régissant des questions d’intérêt public soient déposés devant chaque chambre du Parlement avant d’être pris. Le Règlement en cause en l’espèce appartient à cette catégorie de règlements et il a été déposé devant chacune des chambres du Parlement avant d’être pris.
[10] En outre, le pouvoir du GC de conclure une entente sur les tiers pays sûrs est prévu aux articles 101 et 102 de la LIPR :
101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :
[…]
e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;
[…]
102. (1) Les règlements régissent l’application des articles 100 et 101, définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés et, en vue du partage avec d’autres pays de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile, prévoient notamment :
a) la désignation des pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture;
b) l’établissement de la liste de ces pays, laquelle est renouvelée en tant que de besoin;
c) les cas et les critères d’application de l’alinéa 101(1)e).
(2) Il est tenu compte des facteurs suivants en vue de la désignation des pays :
a) le fait que ces pays sont parties à la Convention sur les réfugiés et à la Convention contre la torture;
b) leurs politique et usages en ce qui touche la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés et les obligations découlant de la Convention contre la torture;
c) leurs antécédents en matière de respect des droits de la personne;
d) le fait qu’ils sont ou non parties à un accord avec le Canada concernant le partage de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile.
(3) Le gouverneur en conseil assure le suivi de l’examen des facteurs à l’égard de chacun des pays désignés. [Non souligné dans l’original.]
[11] Le texte final de l’Entente sur les tiers pays sûrs conclu avec les États-Unis a été signé le 5 décembre 2002. Le GC a désigné en bonne et due forme les États-Unis deux ans plus tard, le 12 octobre 2004, en prenant l’article 159.3 du Règlement; cette disposition est entrée en vigueur le 29 décembre 2004 :
159.3 Les États-Unis sont un pays désigné au titre de l’alinéa 102(1)a) de la Loi à titre de pays qui se conforme à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture et sont un pays désigné pour l’application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi.
[12] Les articles 159.1 à 159.7 du Règlement (ces dispositions sont reproduites à l’annexe I des présents motifs) ont été pris à la même occasion. Selon ces dispositions, le demandeur d’asile qui sollicite la protection à la frontière terrestre canado-américaine ne peut se prévaloir du processus d’examen des demandes d’asile au Canada, sauf s’il est visé par l’une des exceptions prévues par le Règlement (article 159.5) :
• un membre de sa famille est un citoyen canadien […] un résident permanent ou une personne protégée;
• il est un mineur non accompagné;
• il est titulaire de documents de voyage canadiens;
• il peut entrer au Canada sans visa, mais il doit en posséder un pour entrer aux États-Unis;
• sa demande d’admission aux États-Unis a été rejetée sans que sa demande d’asile ait été étudiée ou il est un résident permanent du Canada renvoyé aux États-Unis;
• il est passible de la peine de mort;
• il a la nationalité d’un pays à l’égard duquel le ministre compétent a imposé un sursis aux mesures de renvoi.
[13] Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) a surveillé toutes les négociations qui ont mené à la signature de l’Entente sur les tiers pays sûrs et à sa mise en œuvre par la prise du Règlement afin de s’assurer que les personnes demandant à être protégées contre la persécution aient accès à un processus d’examen de leurs demandes qui soit complet et équitable (voir affidavit de M. Scoffield, dossier d’appel, vol. 11, onglet 33, pièce B4, à la page 3126; affidavit de M. Scoffield, dossier d’appel, vol. 11, onglet 33, pièce B5, à la page 3135). Ce rôle en matière de surveillance a été reconnu formellement à l’article 8, paragraphe 3 de l’Entente sur les tiers pays sûrs et comprend la surveillance continue de l’application de cette Entente.
La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire
[14] Le 29 décembre 2005, les intimés ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans le but d’obtenir un jugement déclarant que la désignation des États-Unis en vertu de l’article 102 de la LIPR outrepassait les pouvoirs conférés par cette loi, que le GC avait commis une erreur en concluant que les États-Unis se conformaient à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture et, en outre, que la désignation était contraire aux articles 7 et 15 de la Charte. Par souci de clarté, il est utile de reproduire intégralement les questions énoncées dans la demande de contrôle judiciaire qui a été présentée à la Cour fédérale :
[traduction]
1) La désignation, fondée sur l’article 159.3 du Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ainsi que sur le paragraphe 5(1) et l’article 102 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, des États-Unis d’Amérique à titre de pays qui se conforme à l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est une erreur de fait et de droit.
2) La désignation, fondée sur l’article 159.3 du Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ainsi que sur le paragraphe 5(1) et l’article 102 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, des États-Unis d’Amérique et l’application de la disposition d’irrecevabilité de l’alinéa 101(1)e) aux personnes qui ne sont pas visées par l’une des exceptions prévues aux articles 159.4, 159.5 ou 159.6 du Règlement qui en résulte :
a. sont manifestement déraisonnables et constituent une erreur de fait et de droit;
b. sont contraires à l’obligation mentionnée à l’alinéa 3(3)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés d’appliquer la loi d’une manière conforme aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire et excèdent donc les pouvoirs du gouverneur en conseil;
c. portent atteinte aux droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité des personnes visées, ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale, contrairement à l’article 7 de la Charte, et ne se justifient pas en vertu de l’article premier de la Charte;
d. portent atteinte aux droits à l’égalité et à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, contrairement à l’article 15 de la Charte, et ne se justifient pas en vertu de l’article premier de la Charte.
[15] Les intimés demandaient les réparations suivantes : un jugement déclarant que la désignation des États-Unis excède les pouvoirs du GC et contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte et que la délégation, aux agents aux points d’entrée, du pouvoir de statuer sur la recevabilité d’une demande dans le cas visé à l’alinéa 101(1)e) de la LIPR et le fait que l’intéressé n’a pas accès aux services d’un avocat à cet égard sont contraires aux principes de justice naturelle et à l’article 7 de la Charte — le deuxième volet de cette réparation (l’accès aux services d’un avocat) a été rejeté par le juge de première instance (motifs, aux paragraphes 288 et 289) et n’est plus en litige en l’espèce — ainsi que toute autre réparation que les intimés pourraient solliciter et que la Cour pourrait autoriser (dossier d’appel, demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, vol. 1, à la page 133).
[16] L’autorisation relative à la demande de contrôle judiciaire a été accordée le 29 juin 2006.
[17] Dans le mémoire supplémentaire des faits et du droit qu’ils ont déposé au soutien de leur demande de contrôle judiciaire après avoir obtenu l’autorisation, les intimés ont aussi fait valoir que, depuis que le Règlement avait été pris, le GC avait manqué à son obligation d’assurer un suivi que lui impose le paragraphe 102(3) de la LIPR (mémoire supplémentaire des faits et du droit des intimés, dossier d’appel, vol. 1, à la page 200, paragraphes 89 à 97).
La qualité pour agir
[18] Les organisations intimées prétendaient qu’elles avaient qualité pour agir dans l’intérêt public car elles défendent les droits des réfugiés. Dans le contexte de cette contestation générale du Règlement, l’intervention de M. Untel, dont l’identité est protégée par une ordonnance de confidentialité, est importante. M. Untel est un demandeur d’asile des États-Unis à qui l’asile avait été refusé dans ce pays et qui soutenait qu’il aurait demandé l’asile au Canada n’eût été du Règlement (affidavit de M. Untel, dossier d’appel, vol. 2, à la page 390, paragraphe 25), est devenu partie à l’instance.
[19] M. Untel s’est vu refuser l’asile aux États-Unis après être entré dans ce pays avec sa femme en provenance de la Colombie le 18 juin 2000, en vertu d’un visa de touriste. Quatorze mois plus tard environ, le 9 août 2001, les États-Unis ont entrepris une procédure de renvoi contre lui et sa femme. Le 14 décembre 2001, M. Untel a demandé l’asile et, subsidiairement, un sursis de son renvoi parce qu’il craignait d’être persécuté. Sa demande a été rejetée au motif qu’il n’avait pas demandé l’asile dans l’année suivant son arrivée aux États-Unis et son renvoi n’a pas été reporté parce qu’il n’avait pas démontré qu’il était [traduction] « manifestement probable qu’il soit persécuté » (affidavit de M. Untel, dossier d’appel, vol. 2, à la page 389, paragraphes 23 et 24). Il n’a pas interjeté appel de cette décision et a continué à vivre illégalement aux États-Unis. Il n’a jamais tenté de franchir la frontière canadienne parce qu’il avait appris (d’une source anonyme) qu’il ne pouvait pas demander l’asile au Canada (affidavit de M. Untel, dossier d’appel, vol. 2, à la page 390, paragraphe 25).
[20] Devant la Cour fédérale, M. Untel était représenté par l’avocat des organisations intimées car il n’avait pas son propre avocat. Le 1er février 2007, M. Untel a été arrêté par les autorités américaines et était sur le point d’être expulsé. Les intimés ont déposé une requête en injonction devant la Cour fédérale afin que celle-ci enjoigne à l’appelante [traduction] « d’autoriser M. Untel et son épouse à entrer au Canada » jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande de contrôle judiciaire qu’ils avaient présentée ou, subsidiairement, qu’elle [traduction] « interdise à [l’appelante] de refuser l’entrée au Canada à M. Untel et à son épouse » (dossier d’appel, vol. 15, à la page 4588). Cette requête était étayée par de nouvelles allégations concernant des menaces qui auraient été formulées par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) à l’endroit de M. Untel.
[21] Le 7 février 2007, le juge de première instance a rendu une ordonnance conditionnelle selon laquelle M. Untel ne serait pas renvoyé par les autorités canadiennes s’il se présentait à un point d’entrée canadien (dossier d’appel, vol. 15, à la page 4586). Le juge de première instance a refusé de prendre d’autres mesures jusqu’à ce que M. Untel ait épuisé tous les recours qu’il pouvait exercer devant les tribunaux américains (dossier d’appel, vol. 15, à la page 4588). Entre temps, le U.S. Board of Immigration Appeals a rouvert le dossier de M. Untel et l’a renvoyé à un juge de l’immigration pour réexamen. M. Untel a finalement été libéré. En conséquence, le juge Phelan a rejeté les autres aspects de la requête des intimés qu’il avait laissés en suspens (dossier d’appel, vol. 15, à la page 4610).
La preuve
[22] Au soutien de leur demande de contrôle judiciaire, les intimés ont déposé plusieurs affidavits d’experts américains (motifs [du juge de première instance], au paragraphe 106 [les références ultérieures aux motifs renvoient également aux motifs du juge de première instance]), portant sur divers aspects de la politique et du droit américains en matière d’asile qui étaient en vigueur jusqu’au dépôt de la demande. Ces affidavits, qui visent à établir l’état actuel de la politique et du droit américains en matière d’asile, font généralement état d’une érosion des lois, des institutions et des usages américains, notamment l’élargissement des exclusions de la protection, l’utilisation de la détention, les restrictions en matière d’appel et la codification de dispositions législatives discutables sur l’asile. Les intimés ont produit ces affidavits pour démontrer en particulier :
[traduction] Que les personnes qui ne demandent pas l’asile dans l’année qui suit leur arrivée aux États-Unis ne peuvent pas demander l’asile par la suite, contrairement à la Convention sur les réfugiés, et, bien qu’un demandeur d’asile puisse toujours obtenir le sursis de son renvoi, le droit américain impose une norme plus élevée en matière de risque dans ces cas — le risque doit être plus probable que l’absence de risque (mémoire supplémentaire, dossier d’appel, vol. 1, page 200, aux paragraphes 48 à 55);
Que l’impossibilité, pour les grands criminels, ceux qui représentent un danger pour la sécurité ou les terroristes, de demander l’asile ou un sursis de leur renvoi excède ce que prévoient les Conventions (idem, aux paragraphes 56 et 57);
Que les États-Unis interprètent de manière trop restrictive certains des critères prévus par la Convention concernant la protection. En particulier, les intimés affirment que les États-Unis n’interprètent pas la définition de réfugié et qu’ils commettent une erreur au regard de la norme de risque de torture (idem, aux paragraphes 67 à 73);
Que les usages des États-Unis ont nui au traitement efficace des demandes de protection, en particulier à cause de la détention des personnes sans statut valide aux États-Unis et des personnes qui arrivent dans ce pays sans documents appropriés (renvoi accéléré), ainsi qu’à cause du défaut de fournir les services d’avocats rémunérés par l’État à toutes les étapes de l’examen des demandes d’asile (idem, au paragraphe 74 et affidavit de M. Martin, dossier d’appel, vol. V, page 1210, aux paragraphes 37, 38 et 191).
[23] L’appelante a aussi produit des affidavits d’experts (motifs, au paragraphe 106) traitant de l’historique et de l’élaboration de la notion de tiers pays sûr dans les États membres de l’Union européenne (l’UE), notamment au Royaume-Uni, du contexte, des négociations et des clauses de l’Entente sur les tiers pays sûrs, du processus menant à la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr et de l’adoption du Règlement de mise en œuvre, ainsi que de la compatibilité des ententes sur le partage de la responsabilité avec les Conventions; décrivant le système américain de détermination du statut de réfugié; analysant les lois et les usages américains concernant les réfugiés et les antécédents des États-Unis en matière de respect des droits de la personne qui sont contestés par les intimés; comparant le système en place aux États-Unis et les différentes approches adoptées dans l’UE, au Royaume-Uni et au Canada relativement aux différents aspects contestés par les intimés; décrivant la mise en œuvre de l’Entente sur les tiers pays sûrs à la frontière canado-américaine.
[24] De plus, au cours du contre-interrogatoire de Bruce Scoffield, qui était le principal représentant de Citoyenneté et Immigration Canada lors de la négociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États-Unis, l’appelante a produit une copie de l’[traduction] « avis » daté du 24 septembre 2002 que le Cabinet avait reçu concernant le fait que les États-Unis satisfaisaient aux facteurs décrits au paragraphe 102(2) de la LIPR.
[25] Les parties ont confirmé que les témoins ont été assermentés et que tous les contre-interrogatoires relatifs aux témoignages se sont déroulés en l’absence du juge de première instance.
La décision
[26] Dans une longue décision comportant 340 paragraphes, le juge de première instance a accueilli la demande de contrôle judiciaire, déclarant que l’Entente sur les tiers pays sûrs et les articles 159.1 à 159.7 du Règlement constituaient un excès de pouvoir; que le GC avait agi de façon déraisonnable en concluant que les États-Unis se conformaient aux obligations imposées par les Conventions; que le GC n’avait pas assuré le suivi de la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr contrairement à ce qu’exigeait le paragraphe 102(2) de la LIPR; que les articles 159.1 à 159.7 du Règlement étaient contraires aux articles 7 et 15 de la Charte.
[27] Le jugement formel, rendu le 17 janvier 2008, certifie les trois questions suivantes à l’intention de la Cour :
[traduction]
1) Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à la décision du gouverneur en conseil de désigner les États-Unis d’Amérique à titre de « tiers pays sûr » en vertu de l’article 102 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
2) Est-ce que les articles 159.1 à 159.7 (inclusivement) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’Entente sur les tiers pays sûrs conclue entre le Canada et les États-Unis d’Amérique sont ultra vires et n’ont aucune valeur ou effet juridique?
3) La désignation des États-Unis d’Amérique à titre de « tiers pays sûr » seule ou combinée à la disposition sur la recevabilité contenue à l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contrevient-elle aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et cette contravention se justifie-t-elle en vertu de l’article premier?
[28] Le juge de première instance a refusé de certifier la question de savoir si les intimés avaient qualité pour demander le contrôle judiciaire (dossier d’appel, vol. 15, à la page 4616).
[29] Le présent appel a ensuite été interjeté et, par une ordonnance rendue le 31 janvier 2008 [2008 CAF 40], le juge en chef a suspendu l’effet du jugement de première instance jusqu’à ce que la présente décision soit rendue.
LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE
[30] Le juge de première instance a d’abord déterminé que les trois organisations intimées avaient qualité pour présenter la demande de contrôle judiciaire. Il a considéré en particulier qu’elles avaient démontré qu’elles satisfaisaient au troisième volet du critère relatif à la qualité pour agir, soit l’inexistence de toute autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à un tribunal. Le juge de première instance a souligné qu’aucun réfugié ne peut demander l’asile à partir du Canada. Seul un réfugié se trouvant à l’extérieur du Canada, une personne déjà vulnérable, pourrait présenter la contestation (motifs, aux paragraphes 43, 44 et 45). Il a fait une distinction d’avec Conseil canadien des Églises, pour cette raison (motifs, au paragraphe 40). Il a conclu que, même sans un demandeur du nom de M. Untel, il convenait de reconnaître la qualité de demandeurs légitimes aux trois organisations (motifs, au paragraphe 51).
[31] En ce qui concerne la qualité pour agir de M. Untel, le juge de première instance a indiqué qu’il était sans importance que ce dernier n’ait jamais tenté de franchir la frontière canadienne car une telle exigence serait injuste, entraînerait des délais et constituerait du gaspillage (motifs, au paragraphe 47). Bien qu’il ait reconnu que les États-Unis avaient accepté de réétudier la demande d’asile de M. Untel, il n’était pas convaincu que cela avait été fait de bonne foi. Selon lui, ce ne pouvait être qu’en raison du procès se déroulant devant lui que les autorités américaines avaient pris cette décision (motifs, au paragraphe 53). Par conséquent, il a conclu que, même si M. Untel ne s’était jamais présenté à la frontière, il fallait considérer qu’il l’avait fait et que l’autorisation d’entrer lui avait été refusée.
[32] Le juge de première instance commence son analyse de fond en traitant de la prise de l’article 159.3 du Règlement le 12 octobre 2004. Cette disposition désignait les États-Unis à titre de pays qui se conforme à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture (motifs, au paragraphe 26). Il décrit « [c]ette désignation » comme « le point de discorde central dans la présente instance en contrôle judiciaire » (idem).
[33] Il répète plus loin (motifs, au paragraphe 55) que la question centrale est celle de savoir si l’article 159.3 du Règlement excède le pouvoir de prendre un tel règlement qui est conféré par le législateur (la question de la légalité). Pour répondre à cette question, il faut déterminer si les conditions préalables à l’exercice, par le GC, du pouvoir qui lui est délégué existaient lorsque la désignation a été faite.
[34] Le juge de première instance examine ensuite ces conditions. Il reconnaît que le paragraphe 102(2) de la LIPR décrit plusieurs facteurs dont il faut tenir compte avant de désigner un pays et que le GC a tenu compte de ces facteurs avant de désigner les États-Unis à titre de tiers pays sûr (motifs, au paragraphe 78) :
Il ressort par ailleurs du [Résumé de l’étude d’impact de la réglementation] que le gouverneur en conseil a tenu compte de l’application des quatre facteurs. De plus, les [intimés] ont exposé en détail le contenu d’un mémoire au gouverneur en conseil rédigé le 24 septembre 2002 et signé par le ministre de l’époque. Ce mémoire semble être le texte sur lequel le gouverneur en conseil s’est appuyé pour conclure l’Entente. L’examen des points que les [intimés] font ressortir de ce mémoire démontre à l’évidence qu’en lisant et en examinant le mémoire du ministre, le gouverneur en conseil aurait tenu compte des quatre facteurs énumérés dans la loi, y compris des antécédents des États-Unis en matière de respect des droits de la personne en général.
[35] Le juge de première instance estime toutefois que la condition la plus importante est celle qui est prévue à l’alinéa 102(1)a) de la LIPR. Aux termes de cette disposition, le GC peut prendre des règlements prévoyant « la désignation des pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture » (motifs, au paragraphe 79). Selon le juge de première instance, la conformité aux Conventions constitue une condition préalable à l’exercice, par le GC, du pouvoir qui lui est délégué (idem). Bien que la question de savoir si les États-Unis se conforment aux instruments internationaux en question soit, dans une certaine mesure, une question d’opinion (motifs, au paragraphe 80), la décision, elle, est objective : « il y [a] conformité ou non » (motifs, au paragraphe 83).
[36] Le juge de première instance traite ensuite de la question de la norme de contrôle. Plus loin dans ses motifs, il reconnaît que la question de savoir si les conditions préalables à l’exercice du pouvoir délégué existent est une question simple à laquelle s’applique la norme de la décision correcte (motifs, au paragraphe 75). Les intimés contestent cependant également la « décision » du GC à l’origine de la désignation, un « moyen [qui] intéresse la norme de contrôle et son application » (motifs, au paragraphe 54). Après avoir effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle (motifs, aux paragraphes 88 à 105), le juge de première instance statue que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable simpliciter (comme on l’appelait alors).
[37] Le juge de première instance entreprend ensuite une longue analyse afin de déterminer si la désignation excédait les pouvoirs du GC et si celui-ci avait manqué à son obligation d’assurer le suivi de la désignation comme l’exige le paragraphe 102(2) de la LIPR. Il n’explique pas comment cette deuxième question en est arrivée à faire partie de la demande de contrôle judiciaire.
[38] En ce qui concerne la preuve d’expert abondante produite par les parties (il met en évidence six affidavits déposés pour le compte des intimés et trois pour le compte de l’appelante) dans lesquels des opinions contradictoires sont exprimées concernant la conformité des États-Unis aux articles pertinents des Conventions, le juge de première instance statue, dans deux courts paragraphes, que c’est la preuve des intimés qu’il convient de préférer en cas de divergence d’opinions (motifs, aux paragraphes 108 et 109) :
J’estime que les experts des [intimés] sont plus crédibles, tant en ce qui concerne leurs connaissances techniques qu’en ce qui a trait à la suffisance, à la logique et au caractère direct de leur rapport qu’en ce qui concerne le contre-interrogatoire qu’ils ont subi sur ce dernier. Je reconnais aussi que l’on pourrait affirmer que certains des experts des [intimés] parlaient pour leurs « mandants » et j’ai tenu dûment compte de cette réalité, ce qui veut dire que leur témoignage était susceptible d’être davantage favorable aux personnes au nom desquelles ils témoignaient. On peut en dire autant des experts de [l’appelante], qui ont défendu, dans leur témoignage, une procédure dans laquelle ils sont engagés depuis le début ou un système dans lequel ils travaillent. Compte tenu de ces facteurs subjectifs, je conclus que les experts des [intimés] se sont montrés plus objectifs et impartiaux dans leur analyse et leur rapport.
On m’a donc persuadé qu’en cas de conflit, c’est la preuve des [intimés] qu’il convient de préférer.
[39] Le juge de première instance procède ensuite à un examen de ce qu’il appelle les « faits juridiques » afin de savoir si les États-Unis protègent les réfugiés contre le refoulement. Il souligne que la question est de savoir si les États-Unis offrent une protection « effective » contre le refoulement (motifs, au paragraphe 136). Il analyse simultanément la question de savoir si la désignation était valide et la question de savoir si le GC avait omis d’assurer le suivi exigé par le paragraphe 102(3) de la LIPR. Il examine la preuve antérieure et postérieure à la date d’entrée en vigueur de la désignation, sans faire de différence entre les deux, et arrive à la conclusion que la désignation excédait les pouvoirs du GC et que ce dernier n’avait pas assuré le suivi exigé par le paragraphe 102(3) de la LIPR (motifs, au paragraphe 240). Le jugement formel donne effet à ces deux conclusions. (Bien que le jugement formel et les motifs ne le disent pas, ces conclusions s’excluent l’une l’autre. En effet, si la désignation des États-Unis excédait les pouvoirs du GC comme le juge de première instance l’a conclu, le GC ne pouvait pas avoir manqué à son obligation d’en assurer le suivi.)
[40] En ce qui concerne la contestation fondée sur la Charte, le juge de première instance décide d’abord que la norme de contrôle applicable à la question de savoir si la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr contrevient à la Charte est celle de la décision correcte (motifs, au paragraphe 276). Selon lui, si les autorités canadiennes renvoient un demandeur d’asile aux États-Unis en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs, elles doivent le faire en conformité avec la Charte (motifs, au paragraphe 281; le juge de première instance s’appuie sur Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 et États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283). Il examine ensuite la contestation fondée sur la Charte en tenant compte de la conclusion qu’il a tirée précédemment selon laquelle les États-Unis ne se conforment pas aux Conventions pertinentes.
[41] Selon le juge de première instance, il ne fait aucun doute que le droit d’un réfugié à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne est compromis lorsqu’il est renvoyé aux États-Unis en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs si les États-Unis ne se conforment pas aux Conventions (motifs, au paragraphe 285). En déterminant si l’atteinte au droit d’une personne à la vie, à la liberté et à la sécurité est néanmoins conforme aux principes de justice fondamentale, le juge de première instance conclut que l’absence de pouvoir discrétionnaire permettant à un agent d’immigration canadien d’autoriser un demandeur d’asile à demeurer au Canada après avoir déterminé que celui-ci n’est visé par aucune des exceptions à l’Entente sur les tiers pays sûrs contrevient aux principes de justice fondamentale (motifs, aux paragraphes 304 et 307).
[42] Tout en reconnaissant que sa conclusion est fondée sur son analyse de la légalité qui a démontré que les États-Unis ne sont pas un pays sûr, le juge de première instance laisse entendre que le Règlement pourrait contrevenir à la Charte même si les États-Unis étaient un pays sûr (motifs, aux paragraphes 311 et 312).
[43] En ce qui concerne l’article 15 de la Charte, le juge de première instance conclut, après avoir examiné les facteurs pertinents (Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au paragraphe 51), qu’il y a discrimination. Selon lui, les femmes et les ressortissants colombiens ont fait l’objet d’un désavantage préexistant et les exceptions limitées à l’Entente sur les tiers pays sûrs ne répondent pas à leurs besoins particuliers (motifs, aux paragraphes 325 à 333). En outre, cette inégalité de traitement ne peut se justifier en vertu de l’article premier de la Charte (motifs, aux paragraphes 335 et 336).
LA POSITION DES PARTIES
[44] Au sujet de la question de la légalité, l’appelante soutient que le juge de première instance a commis une erreur en considérant la prise de l’article 159.3 du Règlement, qui désigne les États-Unis à titre de tiers pays sûr, comme s’il s’agissait d’une décision administrative assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Selon l’appelante, le juge de première instance était saisi d’une pure question de légalité et il devait seulement vérifier si les conditions préalables à l’exercice du pouvoir délégué existaient au moment de la prise du Règlement.
[45] L’appelante soutient que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que la conformité rigoureuse aux articles pertinents des Conventions est une condition préalable à l’exercice du pouvoir délégué. L’alinéa 102(1)a) de la LIPR énonce le but qu’il vise, à savoir la désignation de pays qui se conforment aux Conventions, et les moyens de vérifier la conformité sont décrits au paragraphe 102(2) de la LIPR. En concluant que la « conformité » rigoureuse est une condition préalable, le juge de première instance a remis en question la désignation. Il a ainsi usurpé le pouvoir que le législateur avait expressément conféré au GC.
[46] Subsidiairement, la preuve démontre que les États-Unis se conforment aux articles pertinents des Conventions. La conclusion contraire à laquelle le juge de première instance est arrivé est fondée sur une interprétation [traduction] « abusive » de la preuve, laquelle ressort de son appréciation partiale de la preuve d’expert et de son défaut de tenir compte de l’opinion du HCR selon laquelle les États-Unis, comme le Canada, sont un pays « sûr » (affidavit de M. Scoffield, dossier d’appel, vol. 11, onglet 33, pièce B-10, à la page 3247).
[47] Finalement, en ce qui concerne les atteintes qui, selon le juge de première instance, ont été portées aux droits garantis par la Charte, l’appelante prétend que les normes de contrôle judiciaire établies en droit administratif ne s’appliquent pas dans les affaires relatives à la Charte. En fait, une personne qui allègue des atteintes à la Charte doit en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités. L’appelante affirme que le juge de première instance n’a pas tenu compte de ces principes fondamentaux et a commis une erreur en procédant à une analyse fondée sur la Charte dans le contexte d’une situation totalement hypothétique.
[48] Pour leur part, les intimés soutiennent que la conclusion du juge de première instance est correcte et étayée par les motifs qu’il a donnés relativement à toutes les questions qu’il devait trancher. Ils font valoir qu’il serait [traduction] « absurde » d’interpréter les dispositions pertinentes de la LIPR comme si elles permettaient au GC de désigner un pays qui ne se conforme pas [traduction] « effectivement » aux articles pertinents des Conventions.
[49] Les intimés ajoutent que le présent appel vise à remettre en litige les questions de fait. Les conclusions du juge de première instance sur le système de protection et les antécédents en matière de respect des droits de la personne des États-Unis ne peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire, sauf erreur manifeste ou dominante. Or, une telle erreur n’a pas été établie.
[50] À l’audition de l’appel, l’avocat des intimés a indiqué que le juge de première instance aurait pu, au lieu d’invalider les articles 159.1 à 159.7 du Règlement, limiter la réparation qu’il a accordée en vertu de la Charte à un jugement déclarant que le Règlement contrevenait à la Charte uniquement dans la mesure où il ne conférait pas aux agents à la frontière le pouvoir discrétionnaire d’autoriser un demandeur d’asile à demeurer au Canada pour d’autres motifs que ceux énumérés à l’article 159.5 du Règlement (voir le paragraphe 12 ci-dessus). Selon l’avocat, c’est cette absence de pouvoir discrétionnaire qui crée un risque véritable de refoulement pour une catégorie de réfugiés, contrairement à l’article 7 de la Charte.
L’ANALYSE ET LA DÉCISION
La première question certifiée : la norme de contrôle
[51] La première question qui a été certifiée par le juge de première instance a trait à la question de la légalité et a pour but de déterminer la norme de contrôle qui s’applique à la « décision » du GC de désigner les États-Unis à titre de tiers pays sûr. Une question préliminaire se pose à cet égard : la désignation est-elle une « décision » susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)] (la Loi sur les Cours fédérales)?
[52] Lorsque la demande de contrôle judiciaire lui a été signifiée, le GC avait l’obligation de transmettre au greffe de la Cour fédérale les motifs de la « décision » de désigner les États-Unis à titre de tiers pays sûr, conformément aux Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [mod. par DORS/2005-339, art. 1]. La position adoptée par le GC à cet égard est décrite dans une lettre transmise au greffe le 4 février 2006. Le corps de cette lettre est libellé ainsi :
[traduction] La présente réponse fait suite à une demande présentée en vertu de l’article 9 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés (1993).
Comme il n’y a pas de décision en tant que telle dans cette affaire, le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, D.O.R.S./2004-217, constitue la décision et les motifs.
Conformément à l’alinéa 9(2)a) des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, je certifie conformes les deux copies ci-jointes.
[53] Cette réponse que les intimés ne contestent pas (avis de demande, dossier d’appel, vol. 1, aux pages 133 à 135) est conforme à l’opinion généralement acceptée que la « décision » du GC de prendre le règlement, tout comme la « décision » des députés d’adopter une loi, ne sont pas susceptibles de contrôle par les tribunaux (pour ce qui est de l’action des députés, voir le paragraphe 2(2) de la Loi sur les Cours fédérales (édicté à l’origine par L.C. 1990, ch. 8, art. 1 [et mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 38]), selon lequel « [i]l est entendu » que la Chambre des communes n’est pas un office fédéral, de sorte que ses décisions ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire). Cela étant dit, la légalité d’un règlement pris en vertu d’un pouvoir conféré par le législateur au motif qu’il excède ce pouvoir a toujours pu être contestée devant les tribunaux et dans cette mesure, les actions du GC sont susceptibles de contrôle judiciaire. Cette distinction entre ce qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire et ce qui échappe à la compétence des tribunaux est mise en évidence par la Cour suprême dans Thorne’s Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106, à la page 111 :
La simple attribution par la loi d’un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe au contrôle judiciaire : Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 748. Je n’ai pas le moindre doute sur le droit des cours d’intervenir dans les cas où il y a non-respect des conditions prescrites par la loi et, par conséquent, défaut de compétence fatal. Le droit et la compétence sont susceptibles d’examen judiciaire et les cours ont le pouvoir de veiller à ce que les procédures prévues par la loi soient suivies à la lettre : R. v. National Fish Co., [1931] R.C. de l’É. 75; Minister of Health v. The King (on the Prosecution of Yaffe), [1931] A.C. 494, à la p. 533. Les décisions prises par le gouverneur en conseil sur des questions de commodité publique et de politique générale sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures judiciaires. Comme je l’ai déjà indiqué, bien qu’un décret du Conseil puisse être annulé pour incompétence ou pour tout autre motif péremptoire, seul un cas flagrant pourrait justifier une pareille mesure. Tel n’est pas le cas ici.
[54] La distinction a été décrite brièvement par le juge Strayer dans Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595 (C.A.), à la page 602 :
Il va sans dire qu’il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique. La question essentielle que doit toujours se poser le tribunal est la suivante : le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière? [Note en bas de page omise.]
[55] Jusqu’en 1990, la procédure de contestation de la légalité d’un règlement pris en vertu d’un pouvoir délégué était une action déclaratoire intentée au moyen d’une déclaration (David Sgayias et al., Federal Court Practice, 1991-92 (Scarborough : Thomson Professional Publishing Canada, 1991), à la page 89). Depuis ce temps (voir les modifications apportées à la Loi sur les Cours fédérales par L.C. 1990, ch. 8, art. 4), la procédure utilisée pour faire contrôler la légalité d’un texte réglementaire au motif qu’il excède le pouvoir conféré a été simplifiée et le contrôle judiciaire dont il est question à l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales est devenu le moyen de faire contrôler les décisions rendues par les organismes administratifs ainsi que la légalité des textes réglementaires (Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 11 à 15).
[56] Cette modification était de nature procédurale. La contestation de la légalité d’un texte réglementaire, fondée sur le fait que les conditions préalables établies par le législateur n’étaient pas remplies au moment de la prise du règlement, reste ce qu’elle a toujours été : une contestation du règlement en soi et non de la « décision » de le prendre.
[57] Il importe de bien comprendre ce qui est en litige dans une demande de contrôle judiciaire lorsque vient le temps de déterminer la norme de contrôle qui s’applique et la portée du contrôle qui peut être effectué par le tribunal. La contestation de la légalité d’un règlement soulève la question précise de savoir si les conditions préalables à l’exercice du pouvoir délégué qui ont été énoncées par le législateur existent au moment où le règlement est pris, une question qui est invariablement assujettie à la norme de la décision correcte. Comme la Cour l’a affirmé dans Sunshine Village Corp. c. Canada (Parcs), [2004] 3 R.C.F. 600, au paragraphe 10 :
L’analyse qui consiste à se demander si un texte réglementaire est autorisé par sa loi habilitante ne requiert pas l’application de l’approche pragmatique et fonctionnelle. La validité d’un texte réglementaire doit plutôt être toujours examinée selon la norme de la décision correcte. Pour une situation analogue se rapportant aux règlements municipaux, voir l’arrêt United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, au paragraphe 5.
[58] La Cour suprême a récemment répété dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 59, que les « question[s] touchant véritablement à la constitutionnalité », comme celle en cause en l’espèce, sont toujours assujetties à la norme de la décision correcte, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle.
[59] En l’espèce, il n’était pas clair si la question soulevée par la demande de contrôle judiciaire concernait la légalité ou si la demande avait trait à la contestation de la « décision » du GC de désigner les États-Unis à titre de tiers pays sûr. La confusion semble découler de la manière dont les intimés ont exposé leur thèse (motifs, au paragraphe 54) :
La présente demande de contrôle judiciaire a été débattue sous deux angles différents. Le premier est une contestation de la légitimité du Règlement, un moyen intéressant la constitutionnalité. Le second est une contestation de la décision du gouverneur en conseil à l’origine du Règlement : ce moyen intéresse la norme de contrôle et son application.
Dans ses motifs, le juge de première instance fait parfois mention d’un contrôle de « la décision du [GC] » (motifs, au paragraphe 88) ou des « conclusions initiales qui ont mené » à la prise du Règlement (motifs, au paragraphe 105), et la question qu’il a certifiée a pour but de déterminer la norme de contrôle qui s’applique à la « décision » du GC de désigner les États-Unis.
[60] Malgré ce libellé, la question soulevée par la demande est une pure question de légalité (voir la partie pertinente de la demande de contrôle judiciaire reproduite au paragraphe 15 ci-dessus). Ce point n’est pas contesté puisque l’avocat des intimés (Me Waldman) a reconnu qu’il ne pouvait plus contester la « décision » de prendre le Règlement, même s’il avait voulu, parce que le délai était expiré. Le juge de première instance a néanmoins choisi de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle afin de déterminer la norme de contrôle applicable. Il a dit (motifs, au paragraphe 88) :
Contrairement à un grand nombre d’affaires portant sur la validité d’un règlement, les parties avaient accès en l’espèce à une partie des pièces soumises au gouverneur en conseil pour son examen des facteurs pertinents. Il existe donc un dossier auquel la Cour peut appliquer une norme de contrôle en ce qui concerne la décision du gouverneur en conseil.
Se servant du cadre d’analyse établi par la Cour suprême du Canada dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 — parce que « [l]es faits analysés dans l’arrêt Suresh […] ressemblent beaucoup à ceux de la présente affaire » (motifs, au paragraphe 92) — le juge de première instance a conclu que la norme de contrôle appropriée était celle de la décision raisonnable (motifs, au paragraphe 105).
[61] En toute déférence, le juge de première instance n’avait pas besoin de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle et il n’a pas appliqué la norme de contrôle appropriée. Le fait d’avoir accès à une partie du dossier dont disposait le GC n’a aucune incidence sur la norme puisqu’il n’y a pas en l’espèce une décision à contrôler. Dans Suresh, le contrôle judiciaire visait la décision d’un agent d’immigration de prendre une mesure d’expulsion. En conséquence, la Cour suprême a commencé son analyse en disant (Suresh, au paragraphe 29) :
La première question consiste à déterminer quelle norme de contrôle doit être appliquée à la décision ministérielle portant qu’un réfugié constitue un danger pour la sécurité du Canada.
[62] Aucune question semblable n’est soulevée en l’espèce parce que, comme il a été mentionné précédemment, il n’y a pas de décision à contrôler.
[63] Le juge de première instance a donc mal formulé la première question qu’il a certifiée en parlant de la norme de contrôle applicable à la « décision » du GC. À mon avis, cette question aurait dû porter sur la norme de contrôle applicable à la question de la légalité — cette norme étant celle de la décision correcte.
La deuxième question certifiée : la légalité de la désignation
[64] La deuxième question certifiée devrait donc être libellée de la manière suivante : si l’on applique la norme de la décision correcte, le Règlement contesté et l’Entente sur les tiers pays sûrs excèdent-ils les pouvoirs conférés par la LIPR? Pour répondre à cette question, la Cour doit déterminer les conditions préalables à l’exercice, par le GC, du pouvoir qui lui est délégué et décider si ces conditions étaient remplies lorsque le Règlement a été pris.
[65] Si j’ai énoncé correctement la question qu’il faut trancher, la Cour dispose de tous les éléments pour le faire, et je ne vois pas comment je pourrais éviter d’examiner la question certifiée par le juge de première instance à cet égard. Comme nous l’avons vu, les intimés ont soulevé la question de la légalité séparément et le juge de première instance l’a examinée en conséquence (motifs, aux paragraphes 61 à 87, 106 à 236 et 242 à 263). Contrairement à la contestation fondée sur la Charte (voir plus loin), la question de savoir si le GC a agi en conformité avec les conditions préalables prescrites par la loi en l’espèce n’est ni hypothétique ni théorique.
[66] Il ressort clairement des articles 101 et 102 de la LIPR que les conditions préalables à l’exercice du pouvoir délégué sont celles qui sont énoncées au paragraphe 102(2) de la LIPR. Le raisonnement qui a amené le juge de première instance à conclure que, en plus de remplir ces conditions, le pays doit « se conform[er] » aux articles pertinents des Conventions est le suivant (motifs, aux paragraphes 78 et 79) :
S’agissant de ce qui est autorisé en matière de prise de règlements, il y a plusieurs conditions préalables que le gouverneur en conseil doit remplir avant de pouvoir désigner les États-Unis comme pays tiers sûr. En premier lieu, le paragraphe 102(2) énumère les facteurs dont il faut tenir compte avant de désigner un pays. L’examen des quatre facteurs prescrits n’est pas soumis à des normes rigoureuses, mais il est formulé en termes impératifs […]
La principale condition en litige en l’espèce est celle qui est prévue à l’alinéa 102(1)a), à savoir que le gouverneur en conseil est autorisé à prendre des règlements prévoyant notamment « la désignation des pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture » (soulignement ajouté). Suivant cet alinéa, la conformité aux dispositions de la Convention relative aux réfugiés et de la Convention contre la torture qui interdisent le refoulement constitue une condition préalable qui doit être remplie avant de pouvoir procéder à une désignation. J’ai déjà conclu que si un pays ne se conforme pas aux articles applicables des deux Conventions, le gouverneur en conseil n’est pas habilité à désigner un État comme « pays sûr ». J’estime également que, pour pouvoir effectuer cette désignation, le gouverneur en conseil doit tenir compte des politiques et usages de l’État concerné en ce qui touche la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés et les obligations découlant de la Convention contre la torture.
[67] La conclusion à laquelle il fait référence est la suivante (motifs, aux paragraphes 56 et 57) :
Toutefois, envisagé globalement, l’article 102 confère au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire de conclure une entente seulement à certaines conditions précises, une condition essentielle étant la conformité à certains articles spécifiques de la Convention relative aux réfugiés et de la Convention contre la torture. Je ne considère pas que cette disposition confère au gouverneur en conseil le pouvoir de conclure une entente lorsque le pays en cause ne se conforme pas aux conditions préalables en question. L’article 102 confère simplement au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire de prendre un règlement désignant un pays « comme pays sûr » si ce pays remplit les conditions de conformité.
Interpréter le paragraphe 102(1) comme conférant au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire de conclure de tels accords avec des pays qui ne se conformeraient pas à la Convention relative aux réfugiés et à la Convention contre la torture reviendrait à tourner en dérision non seulement les engagements internationaux du Canada, mais aussi l’objet même de nos lois internes, voire la logique interne du paragraphe 102(1). Il ne serait plus nécessaire de déterminer si le pays en cause est partie à la Convention relative aux réfugiés et à la Convention contre la torture (alinéa 102(2)a)), ni de vérifier ses politiques et usages en ce qui touche la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés et les obligations découlant de la Convention contre la torture, deux facteurs dont il faut impérativement tenir compte. Il serait par ailleurs sans intérêt d’exiger le suivi de l’examen de ces facteurs (paragraphe 102(3)), une condition qui est formulée en termes impératifs : « [l]e gouverneur en conseil assure le suivi de l’examen des facteurs » (en anglais : « must ensure the continuing review »). [Non souligné dans l’original.]
[68] Le juge de première instance a ainsi accepté la prétention des intimés selon laquelle la conformité « effective » était une condition préalable à l’exercice du pouvoir délégué. Selon lui, ce qu’il fallait démontrer, c’est la protection « effective » contre le refoulement (motifs, au paragraphe 136). Il formule la question de la manière suivante précédemment dans ses motifs (motifs, au paragraphe 60) :
À mon avis, la question en litige est celle de savoir si les conditions à remplir pour pouvoir prendre le Règlement ont objectivement été respectées. Ces conditions sont libellées sous forme de critères prescrits par la loi et elles exigent une rigoureuse conformité au droit international [non souligné dans l’original]; elles ne [souligné dans l’original] sont pas [souligné dans l’original] formulées en fonction de l’opinion du gouverneur en conseil ou de sa croyance raisonnable quant à la conformité au droit international.
[69] Dans sa longue analyse de la preuve, le juge de première instance insiste sur la question de savoir si la conformité « effective » ou « rigoureuse » aux Conventions avait été démontrée (motifs, aux paragraphes 106 à 236 et 241 à 263). En ce qui concerne l’article 33 de la Convention sur les réfugiés, il statue qu’à cause des « exemples de non-conformité » il était impossible de conclure que les États-Unis se conformaient à cette disposition (motifs, au paragraphe 240). Pour ce qui est de la Convention contre la torture, il considère que la preuve des intimés démontrant que les États-Unis ne se conforment pas à l’article 3 est « plus crédible » que celle de l’appelante parce qu’elle repose sur « un cas authentique » de non-conformité des États-Unis (motifs, au paragraphe 262). Le juge de première instance, en appliquant la norme de la décision raisonnable à ce qu’il considère être une « décision », conclut que les États-Unis ne se conforment à aucune des deux Conventions et que la désignation des États-Unis à titre de pays sûr excédait les pouvoirs conférés par la LIPR.
[70] Je mentionne en passant que, pour parvenir à cette conclusion, le juge de première instance n’a pas tenu compte du fait qu’une grande partie de la preuve qu’il a examinée n’existait pas lorsque le GC a désigné les États-Unis puisque cette preuve a trait à des décisions, à des faits et à des modifications législatives postérieurs à la date à laquelle le Règlement a été pris. La Cour reviendra sur ce sujet plus loin.
[71] Je suis d’accord avec l’avocat des intimés lorsqu’il dit que la question de savoir si le juge de première instance a interprété correctement les conditions préalables à l’exercice du pouvoir délégué soulève une pure question d’interprétation législative (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21) :
[traduction] […] il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
[72] L’alinéa 101(1)e) de la LIPR prévoit que la demande d’asile d’une personne qui arrive au Canada d’un « pays désigné » est irrecevable. Pour donner effet à cette disposition, le paragraphe 102(1) de la LIPR confère au GC le pouvoir de prendre des règlements régissant le traitement des demandes d’asile qui peuvent prévoir notamment la désignation de pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture, ainsi que les cas et les critères concernant les demandeurs d’asile qui arrivent au Canada de ces pays. Ce vaste pouvoir est conféré dans le but de donner effet à l’intention exprimée clairement par le législateur de faire en sorte que la responsabilité de l’examen des demandes d’asile soit partagée avec des pays qui respectent les obligations que leur imposent les Conventions et les droits de la personne.
[73] À cet égard, le paragraphe 102(2) de la LIPR exige qu’avant de désigner un pays le GC tienne compte des politiques et usages de ce pays en ce qui touche la Convention sur les réfugiés et la Convention contre la torture, ainsi que de ses antécédents en matière de respect des droits de la personne. Ces pratiques, usages et antécédents pouvant changer avec le temps, le paragraphe 102(3) de la LIPR oblige le GC à assurer le suivi de l’examen de ces facteurs à l’égard de chacun des pays désignés. Lorsque le GC conclut que, en raison de l’évolution de ces facteurs, la désignation n’est plus justifiée, l’article 159.7 du Règlement permet au gouvernement du Canada de suspendre ou de dénoncer unilatéralement l’Entente sur les tiers pays sûrs.
[74] Il importe de mentionner que le paragraphe 102(1) de la LIPR prévoit qu’une désignation peut être faite
« pour l’application de la présente loi » et que l’article 3 de la LIPR, qui décrit l’objet de celle-ci, indique notamment :
3. […]
(2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :
[…]
b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d’affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;
[…]
d) d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;
L’alinéa 3(3)f) de la LIPR, qui exige que l’interprétation de celle-ci ait pour effet « de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire », est également pertinent.
[75] Selon mon interprétation des dispositions pertinentes, l’objectif du régime mis en place par le législateur est le partage de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile avec des pays signataires qui se conforment aux articles pertinents des Conventions et qui ont des antécédents acceptables en matière de respect des droits de la personne. Les facteurs qui doivent être pris en compte avant de désigner un pays sont décrits expressément au paragraphe 102(2) de la LIPR. L’examen de ces facteurs constitue une condition préalable à la désignation d’un pays, comme le montre clairement l’énoncé liminaire : « [i]l est tenu compte des facteurs suivants » (« [t]he following factors are to be considered »).
[76] Comme l’objectif visé est de désigner des pays qui se conforment aux articles pertinents des Conventions et respectent les droits de la personne, le GC ne pourrait pas désigner un pays s’il n’était pas convaincu que les politiques, les usages et les antécédents en matière de respect des droits de la personne de ce pays sont conformes aux Conventions. Je ne suis pas d’accord avec le juge de première instance lorsqu’il dit que, si la « conformité » n’était pas une condition préalable, le GC aurait le pouvoir discrétionnaire de désigner un pays qui ne se conforme pas aux articles pertinents des Conventions (motifs, au paragraphe 56). Il semble évident que le GC agirait dans un but inapproprié s’il désignait un pays qui, selon lui, ne se conforme pas aux Conventions.
[77] C’est cette fausse perception que le GC aurait le pouvoir discrétionnaire de désigner un pays qui ne se conforme pas aux Conventions qui semble avoir amené le juge de première instance à transformer l’objectif de désigner des pays « qui se conforment » aux Conventions en une condition préalable (motifs, au paragraphe 57). L’erreur est aggravée par une autre conclusion du juge de première instance selon laquelle c’est la conformité « effective » ou « rigoureuse » qui doit être établie.
[78] Or, il n’est pas question de conformité « effective » ou « rigoureuse » au paragraphe [102(1)], ni par ailleurs du type et de l’étendue de la conformité exigée. Le législateur a cependant décrit quatre facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’on détermine si un pays peut être désigné. Il s’agit de facteurs généraux qui montrent que le législateur voulait que la conformité soit examinée sur la foi d’une évaluation, faite par le GC, des politiques, des usages et des antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays en question. Une fois que l’on reconnaît, comme on doit le faire en l’espèce, que le GC a tenu compte de ces quatre facteurs de manière appropriée et qu’il est arrivé à la conclusion que le pays candidat se conforme aux articles pertinents des Conventions, il n’y a plus rien qui puisse faire l’objet d’un contrôle judiciaire. J’insiste sur le fait que rien, en l’espèce, ne permet de croire que le GC a agi de mauvaise foi ou dans un but inapproprié.
[79] En fait, le dossier ne permet pas de tirer une telle conclusion en l’espèce. Le Résumé de l’étude d’impact de la règlementation (le REIR) [Gaz. C. 2004.II.1622], publié 60 jours avant la prise du Règlement, indique que le GC a mené des consultations avec un certain nombre d’organisations non gouvernementales qui estimaient que les États-Unis ne respectaient pas les obligations prévues par les Conventions. Cette opinion, et d’autres également, ont été prises en compte. Le REIR précise en particulier que le HCR estimait que les États-Unis (tout comme le Canada) remplissaient leurs obligations internationales (dossier d’appel, vol. 11, à la page 3160). Deux semaines avant que le Règlement soit pris, M. Assadi, le représentant du HCR au Canada, a répété devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes : « Nous considérons les États-Unis comme un pays sûr » (dossier d’appel, vol. 11, à la page 3247). Vu la position du HCR, le principal organisme de surveillance de la protection des réfugiés, on ne peut laisser entendre que le GC n’a pas agi de bonne foi lorsqu’il a désigné les États-Unis à titre de pays qui se conforme à ses obligations internationales.
[80] Par conséquent, le fait que les intimés croient et que le juge de première instance convient que les États-Unis ne se conforment pas [traduction] « effectivement » aux Conventions n’est pas pertinent puisque ce n’était pas la question sur laquelle le juge de première instance devait se prononcer (comparer avec Syndicat des travailleurs en télécommunications c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [2004] 2 R.C.F. 3 (C.A.F.), aux paragraphes 39 à 43). Ce qui est pertinent, c’est que le GC a tenu compte des facteurs décrits au paragraphe 102(2) et, de bonne foi, a désigné les États-Unis à titre de pays qui se conforme aux articles pertinents des Conventions et qui respecte les droits de la personne.
[81] J’aimerais ajouter en passant que, même si la « conformité effective » était une condition préalable, la conclusion du juge de première instance selon laquelle les États-Unis ne satisfaisaient pas à cette condition au moment de la prise du Règlement ne serait pas valable puisqu’elle repose en grande partie sur des éléments de preuve postérieurs à la date de la désignation (voir les paragraphes 87 et 88 ci-dessous).
[82] En résumé, il n’était pas loisible au juge de première instance de statuer sur la base des motifs allégués que la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr et le Règlement connexe ne relevaient pas du pouvoir du GC ou que l’Entente sur les tiers pays sûrs intervenue entre le Canada et les Etats-Unis était illégale. Je répondrais donc par la négative à la deuxième question certifiée.
L’absence de suivi
[83] Au paragraphe 95 de leur mémoire, les intimés affirment qu’[traduction] « à l’origine, ils ont demandé un jugement déclarant que la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr et le maintien de celle-ci par suite de l’application continue du Règlement étaient inconstitutionnels et excédaient les pouvoirs du GC » (souligné par les intimés). Les intimés soutiennent précédemment dans leur mémoire (au paragraphe 12) qu’ils ont demandé un jugement déclarant que l’appelante avait commis une erreur en n’effectuant pas [traduction] « le suivi exigé par la LIPR ». Or, le dossier ne corrobore pas ces prétentions. La demande déposée par les intimés vise la désignation prétendument illégale des États-Unis et rien d’autre. Nulle part n’est-il question du prétendu défaut d’assurer le suivi et aucun jugement déclaratoire (ou un autre type de réparation) n’est demandé à cet égard. C’est de cette façon que le juge de première instance a considéré la demande, en tenant compte de sa propre description de l’affaire (motifs, aux paragraphes 1 et 2), et rien n’indique qu’une modification de la demande présentée par les intimés a été demandée ou obtenue au cours de l’instance. Je souligne cependant que les intimés et l’appelante ont abordé cette question, même si la réparation pouvant être accordée relativement au prétendu défaut d’assurer le suivi n’a pas été débattue (voir les observations supplémentaires des parties, dossier d’appel, vol. 1, aux pages 242 à 245, 357 et 358).
[84] Le juge de première instance traite de cette question dans ses motifs (aux paragraphes 264 à 275) et son jugement formel indique [traduction] « que le gouverneur en conseil n’a pas assuré le suivi de la désignation des États-Unis à titre de “tiers pays sûr”, qui était exigé par le paragraphe 102(2) de la LIPR ».
[85] On ne sait pas comment cette question bien distincte en est arrivée à faire partie du contrôle judiciaire. À la question de savoir si une modification avait été obtenue, l’avocate des intimés (Me Jackman) n’a pas été en mesure d’en nommer une, mais a expliqué d’un ton opiniâtre la manière dont les choses sont faites par les avocats spécialistes de l’immigration. Elle a laissé entendre qu’une modification peut être apportée sans que personne n’en parle (j’ai employé l’expression [traduction] « par osmose ») et qu’un avis à la profession serait nécessaire si la Cour concluait que la modification en cause en l’espèce était inappropriée.
[86] Je ne crois pas prôner un retour au formalisme procédural si j’estime qu’une modification du genre de celle qui est en cause en l’espèce exigeait, à tout le moins, que la question soit portée à l’attention du juge de première instance afin qu’il puisse examiner les questions particulières qui en découlaient. Ne pas l’avoir fait en l’espèce a entraîné des problèmes graves, qui n’ont aidé personne.
[87] Premièrement, le juge de première instance ne fait jamais allusion au fait que cette question additionnelle devient pertinente seulement si la désignation a été faite valablement à l’origine. Or, il a conclu que cette désignation était nulle ab initio. Deuxièmement, le juge de première instance contrôle la question du prétendu défaut d’assurer le suivi comme s’il s’agissait d’une décision assujettie à la norme de la décision raisonnable (motifs, au paragraphe 105). Le dossier dont il disposait n’indiquait pas que l’on avait demandé au GC de procéder à ce suivi et que celui-ci avait refusé. Faute de décision, la réparation à laquelle donne lieu le défaut d’exécuter une obligation imposée par la loi est un mandamus enjoignant à l’acteur gouvernemental d’exécuter l’obligation.
[88] Fait plus important, la question soulevée par la prétendue modification a permis au juge de première instance de tenir compte d’une preuve abondante, produite par l’appelante et par les intimés, qui est postérieure à la désignation. Le juge de première instance s’est appuyé sans distinction sur cette preuve pour conclure que le GC n’avait pas assuré le suivi et que la désignation excédait les pouvoirs du GC. (Cette position ressort de l’ensemble des motifs, mais voir, par exemple, les paragraphes 7 et 260 à 262, où le juge de première instance s’appuie sur le rapport concernant Maher Arar [Rapport sur les événements concernant Maher Arar] pour statuer que la désignation était illégale lorsqu’elle a été faite en 2004, même si le rapport a été rendu public seulement en 2006.)
[89] Il y a une date importante que le juge de première instance aurait dû retenir : le 29 décembre 2004, la date à laquelle le Règlement est entré en vigueur, la dernière date pertinente en ce qui a trait à l’évaluation de la question de légalité. Peu importe les conditions préalables que l’on veut appliquer, la légalité du Règlement ne pouvait pas être évaluée sur la foi de faits survenus après la date de la prise du Règlement. C’est ce que le juge de première instance semble d’ailleurs reconnaître au paragraphe 273 de ses motifs, lorsqu’il dit qu’il faut démontrer que le « pays tiers » s’est conformé aux articles pertinents de la Convention avant la prise du Règlement. Or, il a examiné la preuve sans tenir compte de cette date (l’annexe II des présents motifs donne un aperçu des éléments de preuve qui ont été présentés au juge de première instance et qui sont postérieurs à la date de prise du Règlement et de ceux qu’il a expressément pris en considération pour conclure que le Règlement excédait les pouvoirs conférés par la LIPR).
[90] À mon avis, le juge de première instance n’a pas tenu compte de la date pertinente (ni des autres questions qui n’ont pas été tranchées) tout simplement parce qu’il n’a jamais été question de la prétendue modification concernant le défaut du GC d’assurer le suivi. La prétention des intimés selon laquelle une modification de ce genre peut être apportée sans qu’elle soit débattue est déraisonnable et n’aide personne. Si les intimés voulaient élargir leur demande de contrôle judiciaire, il leur incombait de présenter la requête appropriée.
[91] Cela étant dit, je vais tout de même examiner la conclusion du juge de première instance selon laquelle le GC n’a pas assuré le suivi, parce que les parties ont présenté leur thèse comme si la modification dont il est question ci-dessus avait été apportée.
[92] À mon avis, la conclusion tirée par le juge de première instance comporte le même défaut que sa première conclusion : le juge de première instance suppose que le GC avait l’obligation de vérifier de manière continue la conformité « effective » ou « rigoureuse ». Or, l’obligation d’assurer le suivi n’est pas ainsi libellée : il s’agit d’assurer le suivi de l’examen des quatre facteurs prévus par le paragraphe 102(2) de la LIPR. Cette obligation vise à assurer que le GC continue de surveiller le respect des quatre facteurs afin d’être en mesure de réévaluer la possibilité de maintenir la désignation au besoin.
[93] À cet égard, le dossier révèle que des directives ont été adoptées dès le 12 octobre 2004 afin d’assurer « le suivi de l’examen des facteurs énoncés au paragraphe 102(2) de la LIPR à l’égard des pays désignés en vertu de l’alinéa 102(1)a) de la Loi » (affidavit de M. Scoffield, dossier d’appel, vol. 11, onglet 33, au paragraphe 42 et pièce B-11). Ces directives exigent que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration assure le suivi « de façon permanente » et en rende compte au GC régulièrement, ou plus souvent si les circonstances le justifient.
[94] Le dossier révèle que le représentant du HCR au Canada a comparu de nouveau devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes le 29 mai 2006, relativement à l’examen de la première année de l’Entente sur les tiers pays sûrs qui a été effectué par le HCR. Selon lui, les deux pays constituaient toujours des tiers pays sûrs (affidavit de M. Scoffield, dossier d’appel, vol. 11, onglet 33, à la page 3101, paragraphe 36 et pièce B10, à la page 3247).
[95] En outre, le HCR a publié un rapport en juin 2006 [Rapport de surveillance : Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les É.-U., 29 décembre 2004–28 décembre 2005], en vertu de l’article 8, paragraphe 3 de l’Entente sur les tiers pays sûrs, portant sur les 12 premiers mois d’application de cette entente (affidavit de Tom Heinze, dossier d’appel, vol. 12, onglet 34, pièce TH2, à la page 3382). Le HCR conclu principalement (affidavit de Tom Heinze, dossier d’appel, vol. 12, onglet 34, pièce TH2, à la page 3387) [à la page 7] :
Selon l’évaluation globale du HCR, les modalités de l’Entente ont, en général, été respectées par les parties lors de la mise en œuvre de celle-ci et ces modalités étaient conformes au droit international des réfugiés. L’Entente semble fonctionner de manière relativement efficace. De façon générale, les personnes qui demandent à être protégées se voient offrir une possibilité suffisante de faire une demande d’asile aux points d’entrée, et les décisions en matière de détermination de la recevabilité aux termes de l’Entente sont généralement correctes.
Toutefois, le HCR souligne qu’il est en particulier préoccupé par l’utilisation continue par les parties de la politique de renvoi temporaire. Cela a surtout posé un problème aux demandeurs d’asile qui ont fait l’objet d’un renvoi temporaire du Canada vers les É.-U. car certains d’entre eux ont été détenus aux É.-U. et n’ont pu se présenter à leur entrevue. [Note de bas de page omise.]
La « politique de renvoi temporaire » est le processus par lequel un demandeur d’asile se présente à un point d’entrée au moment où les agents à la frontière ne sont pas en mesure de traiter sa demande d’asile et est retourné aux États-Unis après qu’une date d’entrevue a été fixée. Le HCR critiquait le fait que de nombreux demandeurs n’avaient pas été autorisés à revenir au Canada pour assister à leur entrevue.
[96] Le gouvernement canadien a publié un rapport en novembre 2006 [Partenariat pour la protection : Examen de la première année], en collaboration avec les États-Unis et le HCR. Les autorités canadiennes ont indiqué dans ce rapport qu’elles avaient arrêté progressivement d’appliquer la « politique de renvoi temporaire » depuis le 31 août 2006 (Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs, Examen de la première année, dossier d’appel, vol. 12, à la page 3337).
[97] À mon avis, le dossier n’étaie pas la conclusion du juge de première instance selon laquelle le GC ne remplit pas son obligation d’assurer le suivi exigé par le paragraphe 102(3) de la LIPR.
La troisième question certifiée : la contestation fondée sur la Charte
[98] À l’audience, l’avocat des organisations intimées a insisté sur le fait que la qualité de ces dernières pour agir dans l’intérêt public n’était pas contestée dans le cadre du présent appel. Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge du procès a refusé de certifier la question proposée par l’appelante à ce sujet. Le refus du juge de première instance de certifier une question concernant la qualité pour agir n’empêche cependant pas l’examen de cette question en appel. Lorsqu’une question a été certifiée et qu’un appel est interjeté, la compétence de la Cour en appel n’est pas limitée par les questions certifiées (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 25; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 12).
[99] S’appuyant sur leur qualité pour agir dans l’intérêt public, les organisations intimées ont contesté avec succès la validité du Règlement pour des motifs liés à la Charte, en présentant des éléments de preuve (sur lesquels était aussi fondée la contestation de la légalité) qui démontraient qu’une catégorie de réfugiés seraient exposés à un risque véritable de refoulement en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs et que, par conséquent, les droits qui leur sont garantis aux articles 7 et 15 de la Charte ne sont pas respectés. Elles ont soutenu à cet égard que leur contestation ne dépend pas de celle de M. Untel (motifs, au paragraphe 51), mais concerne une catégorie de réfugiés qui, selon elles, seraient traités d’une certaine façon s’ils se présentaient à un poste frontalier terrestre canadien. Le juge de première instance leur a donné raison sur ce point (idem).
[100] À mon avis, cette approche hypothétique que le juge de première instance a employée va à l’encontre du principe bien établi selon lequel une contestation fondée sur la Charte ne peut être examinée dans l’abstrait, sauf s’il est démontré que les dispositions législatives en cause ne pourraient pas être contestées d’une autre façon (Conseil canadien des Églises (C.S.C.), aux pages 255 et 256) :
Il ressort des documents présentés que des demandeurs individuels du statut de réfugié, qui ont le droit de contester la loi, s’en sont prévalu. Il existe donc d’autres méthodes raisonnables de saisir la cour de la question. Pour ce motif, le Conseil requérant ne peut avoir gain de cause. Je m’empresserais d’ajouter que cette décision ne devrait pas être interprétée comme le résultat d’une application mécaniste d’une exigence technique. On doit plutôt se rappeler que l’objet fondamental de la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public est de garantir qu’une loi n’est pas à l’abri de la contestation. En l’espèce, la loi ne l’est pas puisque des demandeurs du statut de réfugié la conteste. En conséquence, le motif à la base même de la reconnaissance à une partie de la qualité pour agir dans l’intérêt public disparaît. [Non souligné dans l’original.]
Selon le juge de première instance, la présente affaire est différente de celle dont était saisie la Cour suprême dans Conseil canadien des Églises, précité, car, en l’espèce, un réfugié devrait présenter la contestation à partir de l’extérieur du Canada (motifs, au paragraphe 43).
[101] En toute déférence, la preuve ne démontre pas qu’un réfugié devrait présenter la contestation à partir de l’extérieur du Canada. Un réfugié doit se présenter à un poste frontalier terrestre canadien pour qu’un agent décide si, selon la prépondérance des probabilités, il est visé par l’une des exceptions prévues et si la demande d’asile devrait être transmise à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Pendant ce temps, le demandeur d’asile demeure au Canada puisque, selon ce qu’indique le rapport publié par le gouvernement du Canada à la suite de l’examen de la première année d’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs dont il a été question précédemment (au paragraphe 96), les autorités canadiennes ont arrêté progressivement d’appliquer la « politique de renvoi temporaire » depuis le 31 août 2006. Pendant ce temps, le demandeur d’asile peut être représenté par un avocat (motifs, au paragraphe 288). En outre, dans son rapport concernant la première année d’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs, le gouvernement canadien encourage les organisations non gouvernementales à aider à assurer le bien-être des réfugiés pendant tout le processus (affidavit de Tom Heinze, dossier d’appel, vol. 12, onglet 34, pièce TH2, à la page 3336). Ainsi, une fois qu’on a déterminé qu’il ne peut pas demeurer au Canada en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, rien n’empêche un demandeur d’asile de contester cette décision en se fondant sur la Charte.
[102] Par conséquent, la capacité des organisations intimées de déposer une contestation fondée sur la Charte en l’espèce dépend de M. Untel. Ce dernier ne s’étant jamais présenté à la frontière canadienne, il n’a donc jamais fait examiner la recevabilité de sa demande d’asile. Après avoir pris connaissance de la nouvelle preuve concernant les menaces de mort proférées par les FARC à son endroit, les autorités américaines de l’immigration ont accepté de réexaminer sa demande et il est demeuré aux États-Unis. La conclusion du juge de première instance selon laquelle il fallait néanmoins considérer que M. Untel s’était présenté à la frontière et n’avait pas été autorisé à entrer au Canada va directement à l’encontre du principe bien établi selon lequel une contestation fondée sur la Charte ne peut reposer sur des hypothèses.
[103] Il n’y a, en l’espèce, aucun fait justifiant un examen des prétendues atteintes portées à la Charte. La principale prétention des organisations intimées a trait au fait que les agents à la frontière n’ont pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de renvoyer un demandeur aux États-Unis pour une autre raison que les exceptions énumérées à l’article 159.5 du Règlement. La présente contestation devrait cependant être examinée dans un contexte factuel approprié, c’est-à-dire être présentée par un réfugié à qui l’asile a été refusé au Canada en application du Règlement et qui est exposé à un risque véritable de refoulement en étant renvoyé aux États-Unis en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs.
[104] Par conséquent, le juge de première instance n’aurait pas dû examiner la contestation fondée sur la Charte. Je refuserais donc de répondre à la troisième question certifiée.
[105] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision du juge de première instance et je répondrais aux questions certifiées de la manière suivante :
[traduction]
1) Quelle est la norme de contrôle applicable relativement à la décision du gouverneur en conseil de désigner les États-Unis d’Amérique comme « tiers pays sûr » conformément à l’article 102 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
Réponse : la norme de la décision correcte;
2) Est-ce que les articles 159.1 à 159.7 (inclusivement) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis d’Amérique sont ultra vires et n’ont aucune valeur ou effet juridique?
Réponse : non;
3) La désignation des États-Unis d’Amérique à titre de « tiers pays sûr », par elle-même ou combinée à la disposition sur l’irrecevabilité de l’alinéa 101(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, viole-t-elle les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et la violation est-elle justifiée au sens de l’article premier?
Réponse : aucune réponse ne peut être donnée à cette étape-ci.
Les parties consentent à prendre en charge leurs propres dépens.
Le juge en chef Richard : Je suis d’accord.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A. :
A. INTRODUCTION
[106] J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue, le juge Noël. Je lui suis gré d’avoir procédé à un examen minutieux des faits, auquel je souscris. Je suis d’accord pour dire que l’appel doit être accueilli. Je conviens également que le juge de première instance n’aurait pas dû examiner la requête des intimés visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que le Règlement est invalide parce qu’il contrevient aux articles 7 et 15 de la Charte.
[107] Cependant, à mon avis, les motifs étayant la conclusion que le juge de première instance a commis une erreur en se prononçant sur le bien-fondé de la contestation du Règlement fondée sur la Charte s’appliquent également, pour la plupart, à la contestation fondée sur le droit administratif. Il serait prématuré et il ne servirait à peu près à rien de prononcer le jugement déclaratoire demandé par les intimés. Puisque la demande de contrôle judiciaire aurait dû être rejetée sans rendre de décision sur les questions de fond soulevées, aucune question n’aurait dû être certifiée, et la Cour ne devrait répondre à aucune d’entre elles.
[108] Je voudrais seulement ajouter que les motifs de mon collègue ne m’ont pas convaincu que les questions relatives à l’interprétation législative et à la portée du contrôle judiciaire soulevées dans la demande des intimés sont à ce point claires et incontestables qu’elles justifient une dérogation au principe directeur de la retenue judiciaire selon lequel il vaut mieux généralement en dire moins que plus.
B. LIMITES AU JUGEMENT DÉCLARATOIRE
[109] Le jugement déclaratoire est un redressement souple de droit public et privé, qui n’obéit à aucune contrainte historique ou technique. Néanmoins, un jugement déclarant que l’exercice d’un pouvoir conféré par la loi est invalide ne sera pas prononcé avant que les questions ne soient prêtes à être tranchées. Il ne serait guère utile de prononcer un jugement déclaratoire prématurément, en l’absence de faits concrets concernant une personne dont les droits sont ou peuvent être en jeu.
[110] Bien que les tribunaux aient examiné des requêtes visant à obtenir des jugements déclaratoires à l’égard de questions qui pourraient être soulevées et influer sur les personnes à l’avenir, ils doivent être convaincus que les avantages de rendre une décision judiciaire l’emportent sur les inconvénients de statuer dans l’abstrait. À mon avis, la prépondérance en l’espèce favorise nettement la retenue judiciaire.
[111] Les parties qui demandent un jugement déclaratoire en ont aussi parfois été empêchées lorsqu’elles n’avaient pas la qualité pour agir. Devant le juge de première instance, l’appelante avait soutenu que la demande devrait être rejetée pour ce motif. Cependant, le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire afin de conférer aux intimés la qualité pour agir dans l’intérêt public en partie parce qu’il estimait qu’il n’y avait pas d’autre méthode efficace pour saisir la Cour de la validité du Règlement. Selon lui, il serait irréaliste de s’attendre à ce que les demandeurs d’asile présentent leur demande d’asile à la frontière canadienne, pour se voir ensuite renvoyés aux États-Unis où ils risquent d’être refoulés. Par conséquent, le juge de première instance a fait une distinction d’avec l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236, au motif que les demandeurs éventuels du statut de réfugié dans cette affaire disposaient d’un autre recours efficace parce qu’ils se trouvaient au Canada.
[112] L’avocat de l’appelante n’a pas abordé devant nous la question de la qualité pour agir. Cependant, le fait que les organisations intimées ne soient pas touchées par l’issue du litige ne peut pas être totalement séparé des questions de prématurité et d’utilité. L’ajout de M. Untel en qualité de demandeur ne résout pas ces difficultés, même si, s’étant vu refuser l’asile et un sursis à son renvoi des États-Unis, il est possible qu’il souhaite venir au Canada pour demander l’asile. Je constate que, au moment des présentes procédures, la demande de M. Untel visant à ne pas être renvoyé des États-Unis faisait l’objet d’une nouvelle évaluation et qu’il n’avait pas demandé l’asile à la frontière canadienne.
[113] En effet, un jugement déclaratoire portant que le Règlement est invalide pour des motifs fondés sur la Charte ou le droit administratif pourrait certes aider les personnes comme M. Untel, qui croient qu’elles ont de meilleures chances de démontrer le bien-fondé de leur demande d’asile au Canada qu’aux États-Unis, mais hésitent à venir à la frontière de peur de se faire enjoindre sommairement de faire demi-tour, puis d’être aussitôt renvoyés par les autorités américaines. Si le Règlement était déclaré invalide, ils seraient évidemment assurés d’avoir accès au système de détermination du statut de réfugié du Canada.
[114] Cependant, la législation canadienne relative à la protection des réfugiés s’applique seulement lorsque des demandeurs d’asile demandent la protection auprès des agents canadiens au Canada, y compris à un point d’entrée. Ni les dispositions des conventions internationales invoquées en l’espèce, ni celles de la Charte, n’exigent que le Canada s’abstienne d’adopter des règlements qui pourraient dissuader les ressortissants de tiers pays aux États-Unis de venir à la frontière canadienne pour demander l’asile ou la protection contre la torture. L’article 33 de la Convention sur les réfugiés et l’article 3 de la Convention contre la torture imposent une obligation négative de ne pas refouler, non une obligation positive d’accueillir les demandeurs éventuels : James C. Hathaway, The Rights of Refugees under International Law (Cambridge : Cambridge University Press, 2005), à la page 301.
C. OBSTACLES AU REDRESSEMENT EN L’ESPÈCE
[115] Les jugements déclaratoires d’invalidité demandés par les intimés dans leur demande de contrôle judiciaire soulèvent deux problèmes fondamentaux relativement à la validité des dispositions réglementaires relatives à la mise en œuvre de l’Entente sur les tiers pays sûrs ([ci-après] ETPS). Premièrement, ils ne correspondent pas aux allégations selon lesquelles, relativement à certaines catégories de demandeurs d’asile, les politiques et les pratiques des États-Unis en matière de protection des réfugiés ne sont pas conformes au droit international. Deuxièmement, ils ne sont pas adaptés à l’objet véritable de la législation canadienne, à savoir que les demandeurs d’asile au Canada ne soient pas renvoyés dans un pays où ils seront exposés à un risque véritable de renvoi en violation de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et de l’article 3 de la Convention contre la torture. Bref, le fait de prononcer les jugements déclaratoires demandés ne servirait aucune fin légitime et obligerait la Cour à s’engager dans des analyses mal ciblées et abstraites.
i) Jugements déclaratoires d’invalidité de portée trop générale
[116] Les intimés allèguent que les politiques et les pratiques des États-Unis ne respectent pas l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et l’article 3 de la Convention contre la torture uniquement à l’égard de certaines catégories de demandeurs d’asile. Cependant, c’est aller beaucoup trop loin que de déclarer les dispositions réglementaires relatives à la mise en œuvre de l’ETPS invalides dans leur intégralité, comme le juge de première instance l’a fait.
[117] Limiter la portée d’un jugement déclaratoire d’invalidité aux catégories de demandeurs d’asile pour lesquelles il est allégué que les États-Unis ne sont pas un tiers pays sûr ne constitue pas une solution satisfaisante à cette difficulté. La preuve des intimés ne vise pas à démontrer qu’il existe un risque véritable que tous les membre de ces catégories, ou un grand nombre d’entre eux, sont, en effet, exposés à un risque véritable d’être refoulés.
ii) Dates pertinentes
[118] Le fait qu’un pays respecte ses obligations internationales peut changer avec le temps. Si, comme les intimés l’allèguent, la validité du Règlement dépend du caractère raisonnable des conclusions tirées par le gouverneur en conseil au sujet du respect de ces obligations au moment de sa promulgation, il semblerait très étrange de le déclarer invalide si, au moment des présentes procédures, la situation avait changé et que les États-Unis les respectaient. Par ailleurs, la législation déléguée ne peut sûrement pas être invalide un jour et valide le lendemain, ou vice versa.
[119] Afin de s’assurer que le Canada n’a pas participé à un refoulement, le seul moment pertinent pour vérifier le respect des obligations internationales par les États-Unis est lorsqu’une personne demande le statut de réfugié ou la protection contre la torture à la frontière canadienne et allègue que, si elle est renvoyée, elle sera exposée à un risque véritable d’être refoulée par les États-Unis.
iii) Nature complexe de l’analyse
[120] L’analyse que requiert la présente demande de contrôle judiciaire, selon les intimés, est un autre indice qu’elle est mal comprise. La Cour est appelée à examiner, de façon générale, une grande partie des politiques et des pratiques des États-Unis en matière de statut de réfugié afin de déterminer s’il était raisonnable pour le gouverneur en conseil de conclure qu’elles étaient conformes au droit international.
[121] La nature et l’ampleur de la présente analyse sont différentes de celles des analyses plus ciblées normalement effectuées dans le cadre du processus judiciaire. Sa nature intrinsèquement problématique laisse clairement entendre qu’un tribunal devrait l’envisager seulement s’il est nécessaire de protéger les personnes afin qu’elles ne soient pas refoulées indirectement par les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada en violation de la Charte et des obligations internationales du Canada. Je tenterai maintenant de démontrer que ce n’est pas nécessaire.
iv) Autre voie de recours
[122] Je débute par deux principes. Premièrement, à moins d’être manifestement incompatibles avec le libellé de la loi, l’interprétation et la mise en œuvre de la LIPR et de tout règlement d’application doivent avoir pour effet de se conformer aux obligations internationales du Canada énoncées à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture. La LIPR, à l’alinéa 3(3)f), le mentionne expressément. Deuxièmement, les dispositions réglementaires ne peuvent s’appliquer à une personne à la frontière canadienne de manière à violer ses droits garantis par la Charte.
[123] L’article 33 de la Convention sur les réfugiés et l’article 3 de la Convention contre la torture interdisent le refoulement indirect ainsi que direct. En conséquence, il se peut que les demandeurs du statut de réfugié à la frontière terrestre canadienne ne soient pas renvoyés aux États-Unis en vertu des dispositions réglementaires relatives à l’ETPS s’ils peuvent démontrer que, s’ils étaient renvoyés, ils seraient exposés à un risque véritable de renvoi des États-Unis dans un pays où ils craignent avec raison d’être torturés ou persécutés pour des motifs prévus par les Conventions. Il faut procéder à une telle évaluation des risques à l’égard des demandeurs individuels, en fonction du droit et de la pratique aux États-Unis qui les visent à ce moment-là. Le refus de l’accès au système de détermination du statut de réfugié du Canada serait assujetti à une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Ces propositions semblent découler inexorablement de l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
[124] Les demandeurs du statut de réfugié à la frontière terrestre canadienne doivent avoir déjà été interrogés afin de déterminer s’ils sont admissibles au système de détermination du statut de réfugié du Canada parce qu’ils appartiennent à l’une des catégories exclues de l’ETPS : la présence d’un proche parent au Canada, par exemple. Selon le juge de première instance, le processus administratif en deux étapes permettant à une personne qui demande une exemption prévue par la loi à l’ETPS est généralement achevé en une seule journée. On pourrait également avoir recours à ce processus afin de déterminer si une personne est admissible à présenter une demande de statut de réfugié au Canada, au motif que, étant exposée à un risque véritable de refoulement si elle était renvoyée aux États-Unis, il est possible que le Règlement ne puisse s’appliquer validement à elle.
[125] Bien entendu, l’ajout d’une évaluation des risques dans certains cas peut se traduire par une augmentation du temps et des ressources nécessaires pour statuer sur l’admissibilité, même si, jusqu’à ce qu’un risque de refoulement ne soit établi, une décision exhaustive quant au statut de réfugié n’est pas exigée. Un demandeur d’asile ne pourrait pas non plus être renvoyé aux États-Unis en attendant la détermination de l’admissibilité, à moins que les autorités américaines n’offrent l’assurance que le demandeur d’asile ne sera pas renvoyé jusqu’à ce que soit rendue la décision sur l’admissibilité. Cependant, je ne vois aucune solution de rechange valable si les demandeurs du statut de réfugié ne font pas l’objet de refoulement indirect en violation de leurs droits garantis par la Charte et la LIPR. Il ne fait aucun doute que des lignes directrices seront élaborées afin d’aider les agents à prendre des décisions concernant l’admissibilité.
[126] Dans ce contexte, la décision de la Chambre des lords dans Regina (Yogathas) v. Secretary of State for the Home Department, [2003] 1 A.C. 920, nous éclaire à cet égard. En vertu de la Convention de Dublin [Convention relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes, 15 juin 1990, Dublin], entente intervenue entre les pays membres de l’Union européenne dont les principes et les objectifs sont essentiellement similaires à ceux de l’ETPS, le secrétaire d’État a décidé de renvoyer les demandeurs, des ressortissants du Sri Lanka, en Allemagne, le premier pays de l’Union européenne où ils sont arrivés, sans qu’une décision ne soit rendue au Royaume-Uni relativement à leur revendication du statut de réfugié. Les demandeurs ont allégué que, en contravention de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés, le droit allemand ne reconnaissait pas les revendications du statut de réfugié fondées sur la persécution par des agents non gouvernementaux et qu’il serait donc illégal que le secrétaire d’État les renvoie en Allemagne où ils risqueraient d’être refoulés.
[127] La Chambre des lords a reconnu l’existence d’un conflit entre la nécessité d’assurer la mise en œuvre efficace des accords internationaux sur le « partage du fardeau » à l’égard du renvoi accéléré des demandeurs du statut de réfugié, et la nécessité de protéger les droits de l’homme fondamentaux, y compris ceux créés aux termes de l’article 33 : voir les paragraphes 58 et 74 [de l’arrêt Yogathas].
[128] Ainsi, elle a dit que les demandeurs d’asile doivent s’acquitter d’un lourd fardeau afin de démontrer qu’ils sont exposés à un risque véritable de refoulement de la part d’un pays qui était considéré sûr par le secrétaire d’État et qui était un pays signataire des instruments internationaux pertinents portant sur les droits de l’homme : au paragraphe 74. Le fait que la législation du « pays sûr » peut, en théorie, ne pas respecter l’article 33 de la Convention sur les réfugiés ne suffit pas en soi pour empêcher un renvoi légal dans ce pays. La question est plutôt d’ordre pratique : existe-t-il effectivement un risque véritable que le demandeur d’asile soit refoulé s’il était renvoyé : au paragraphe 47.
[129] La Chambre des lords a également précisé que, si elle était convaincue qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’un demandeur d’asile risquerait d’être refoulé s’il était renvoyé dans le premier pays où il est arrivé, le secrétaire d’État ne pourrait simplement renvoyer le demandeur d’asile dans ce pays en raison de l’existence de l’entente sur le « premier pays d’arrivée » : paragraphes 11 et 74. Un demandeur d’asile qui démontre un risque de refoulement serait ensuite admissible à présenter une demande de statut de réfugié au Royaume-Uni.
[130] Bref, il n’est pas nécessaire de déclarer invalides les dispositions réglementaires relatives à la mise en œuvre de l’ETPS afin de s’assurer qu’elles ne s’appliquent pas aux demandeurs d’asile à la frontière terrestre en violation des obligations internationales du Canada de ne pas refouler ou encore de la Charte.
D. CONCLUSIONS
[131] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel.
ANNEXE I
Dispositions réglementaires contestées
159.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 159.2 à 159.7.
« Accord » L’Entente entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes d’asile présentées par des ressortissants de tiers pays en date du 5 décembre 2002.
« demandeur » Demandeur visé par l’alinéa 101(1)e) de la Loi.
« États-Unis » Les États-Unis d’Amérique, à l’exclusion de Porto Rico, des Îles Vierges, de Guam et des autres possessions et territoires de ce pays.
« membre de la famille » À l’égard du demandeur, son époux ou conjoint de fait, son tuteur légal, ou l’une ou l’autre des personnes suivantes : son enfant, son père, sa mère, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils, sa petite-fille, son oncle, sa tante, son neveu et sa nièce.
« pays désigné » Pays qui est désigné aux termes de l’article 159.3.
« tuteur légal » À l’égard du demandeur qui a moins de dix-huit ans, la personne qui en a la garde ou est habilitée à agir en son nom en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi.
159.2 L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas au demandeur apatride qui arrive directement ou indirectement au Canada d’un pays désigné dans lequel il avait sa résidence habituelle.
159.3 Les États-Unis sont un pays désigné au titre de l’alinéa 102(1)a) de la Loi à titre de pays qui se conforme à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture et sont un pays désigné pour l’application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi.
159.4 (1) L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas au demandeur qui cherche à entrer au Canada à l’un ou l’autre des endroits suivants :
a) un endroit autre qu’un point d’entrée;
b) un port, notamment un débarcadère de traversier, qui est un point d’entrée;
c) sous réserve du paragraphe (2), un aéroport qui est un point d’entrée.
(2) Dans le cas où le demandeur cherche à entrer au Canada à un aéroport qui est un point d’entrée, l’alinéa 101(1)e) de la Loi s’applique s’il est en transit au Canada en provenance des États-Unis suite à l’exécution d’une mesure prise par les États-Unis en vue de son renvoi de ce pays.
159.5 L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas si le demandeur qui cherche à entrer au Canada à un endroit autre que l’un de ceux visés aux alinéas 159.4(1)a) à c) démontre, conformément au paragraphe 100(4) de la Loi, qu’il se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :
a) un membre de sa famille qui est un citoyen canadien est au Canada;
b) un membre de sa famille est au Canada et est, selon le cas :
(i) une personne protégée au sens du paragraphe 95(2) de la Loi,
(ii) un résident permanent sous le régime de la Loi,
(iii) une personne à l’égard de laquelle la décision du ministre emporte sursis de la mesure de renvoi la visant conformément à l’article 233;
c) un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans est au Canada et a fait une demande d’asile qui a été déférée à la Commission sauf si, selon le cas :
(i) celui-ci a retiré sa demande,
(ii) celui-ci s’est désisté de sa demande,
(iii) sa demande a été rejetée,
(iv) il a été mis fin à l’affaire en cours ou la décision a été annulée aux termes du paragraphe 104(2) de la Loi;
d) un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans est au Canada et est titulaire d’un permis de travail ou d’un permis d’études autre que l’un des suivants :
(i) un permis de travail qui a été délivré en vertu de l’alinéa 206b) ou qui est devenu invalide du fait de l’application de l’article 209,
(ii) un permis d’études qui est devenu invalide du fait de l’application de l’article 222;
e) le demandeur satisfait aux exigences suivantes :
(i) il a moins de dix-huit ans et n’est pas accompagné par son père, sa mère ou son tuteur légal,
(ii) il n’a ni époux ni conjoint de fait,
(iii) il n’a ni père, ni mère, ni tuteur légal au Canada ou aux États-Unis;
f) le demandeur est titulaire de l’un ou l’autre des documents ci-après, à l’exclusion d’un document délivré aux seules fins de transit au Canada :
(i) un visa de résident permanent ou un visa de résident temporaire visés respectivement à l’article 6 et au paragraphe 7(1),
(ii) un permis de séjour temporaire délivré au titre du paragraphe 24(1) de la Loi,
(iii) un titre de voyage visé au paragraphe 31(3) de la Loi,
(iv) un titre de voyage de réfugié délivré par le ministre des Affaires étrangères,
(v) un titre de voyage temporaire visé à l’article 151;
g) le demandeur :
(i) peut, sous le régime de la Loi, entrer au Canada sans avoir à obtenir un visa,
(ii) ne pourrait, s’il voulait entrer aux États-Unis, y entrer sans avoir obtenu un visa;
h) le demandeur est :
(i) soit un étranger qui cherche à rentrer au Canada parce que sa demande d’admission aux États-Unis a été refusée sans qu’il ait eu l’occasion d’y faire étudier sa demande d’asile,
(ii) soit un résident permanent qui fait l’objet d’une mesure prise par les États-Unis visant sa rentrée au Canada.
159.6 L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas si le demandeur démontre, conformément au paragraphe 100(4) de la Loi, que, selon le cas :
a) il est mis en accusation, aux États-Unis, pour une infraction qui pourrait lui valoir la peine de mort dans ce pays, ou y a été déclaré coupable d’une telle infraction;
b) il est mis en accusation dans un pays autre que les États-Unis pour une infraction qui pourrait lui valoir la peine de mort dans ce pays, ou y a été déclaré coupable d’une telle infraction;
c) il a la nationalité d’un pays — ou, s’il est apatride, avait sa résidence habituelle dans un pays ou un lieu donné — à l’égard duquel le ministre a imposé un sursis aux mesures de renvoi aux termes du paragraphe 230(1) dans la mesure où :
(i) le sursis n’a pas été révoqué en vertu du paragraphe 230(2),
(ii) le demandeur n’est pas visé par le paragraphe 230(3).
159.7 (1) Pour l’application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi, il est sursis à l’application de l’ensemble ou de toute partie des articles 159.1 à 159.6 et du présent article, conformément aux paragraphes (2) à (6), dans l’un ou l’autre des cas suivants :
a) un avis de suspension de l’Accord prévoyant la période de suspension est diffusé par le ministre sur l’ensemble du territoire canadien par le truchement des médias d’information et du site Web du ministère;
b) un avis de continuation de la suspension de l’Accord prévoyant la période de suspension est publié conformément au paragraphe (6);
c) un avis de suspension partielle de l’Accord est délivré par le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis;
d) un avis de dénonciation de l’Accord est délivré par le gouvernement du Canada ou le gouvernement des États-Unis.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), dans le cas où un avis de suspension de l’Accord est diffusé aux termes de l’alinéa (1)a), les articles 159.2 à 159.6 sont inopérants à compter du jour suivant la diffusion de l’avis, et ce pour la période d’au plus trois mois prévue dans l’avis.
(3) Dans le cas où un avis de continuation de la suspension de l’Accord est publié aux termes de l’alinéa (1)b), les articles 159.2 à 159.6 sont inopérants pour la période supplémentaire d’au plus trois mois prévue dans l’avis.
(4) Dans le cas où un avis de suspension partielle de l’Accord est délivré aux termes de l’alinéa (1)c), les dispositions du présent règlement portant sur l’application de l’Accord qui sont mentionnées dans l’avis sont inopérantes pour la période qui y est prévue. Les autres dispositions du présent règlement continuent de s’appliquer.
(5) Dans le cas où un avis de dénonciation de l’Accord est délivré aux termes de l’alinéa (1)d), les articles 159.1 à 159.6 et le présent article cessent d’avoir effet à la date prévue dans l’avis.
(6) Tout avis visé aux alinéas (1)b), c) ou d) est publié dans la Gazette du Canada Partie I au moins sept jours avant la date de prise d’effet de la mesure en cause.
ANNEXE II
Éléments de preuve cités dans le mémoire supplémentaire des faits et du droit des intimés qui sont postérieurs à la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr (dossier d’appel, vol. 1, aux pages 210 et suivantes)
• Situation des personnes détenues à Guantanamo Bay, Rapport des rapporteurs, Commission des droits de l’homme des Nations Unies, E/CN.4/2006.120, 15 février 2006 (par. 27 et 86)
• Human Rights Watch, Still at Risk: Diplomatic Assurances No Safeguard Against Torture (avril 2005) (par. 27)
• de Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655 (C.A.F.) (par. 31)
• L. Khandwala, K. Musalo, S. Knight et M. A. K. Hreschyshyn, « The One-Year Bar: Denying protection to bona fide refugees, contrary to congressional intent and violative of international law », Immigration Briefings (août 2005) (par. 49, 50 et 55)
• Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 239 (C.A.F.), reconnaissant les normes différentes qui s’appliquent aux États-Unis et au Canada quant au risque de persécution (par. 53, no (a))
• Executive Office of Immigration Review Statistical Yearbook 2005, cité pour les statistiques sur les taux d’acceptation aux États-Unis (par. 53, no (b))
• Benslimane v. Gonzales, 430 F.3d 828, 830 (7th Cir. 2005), cité relativement à la proposition selon laquelle le processus décisionnel administratif concernant les demandes d’asile aux États-Unis ne respectait pas les normes minimale de justice (par. 53, no (e))
• Arias v. Ashcroft, 143 Fed.Appx. 464 (2 août 2005)
• Bermudez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 286 (par. 56, no (c))
• Matter of S-B-, 24 I&N Dec. 42 (BIA 2006), concernant la proposition selon laquelle la REAL ID Act (mai 2005) ne correspond pas aux normes adoptées précédemment au regard de la crédibilité (par. 63)
• Conclusions et recommandations du Comité contre la torture, Canada, 7 juillet 2005 (par. 76)
• Parlement européen, Rapport intérimaire sur l’utilisation alléguée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers 2006/2027 (INI) Final A6-9999/2006, juin 2006 (par. 79)
• Parry, Hohin T., « The Shape of Modern Torture: Extraordinary Rendition and Ghost Detainees », (2005) Melbourne JIL 516 (par. 79 et 86)
• 2006 American Civil Liberties Union Documents (par. 81)
• Detainee Treatment Act of 2005 (par. 81)
• Title X: Military Commissions Act, Pub. L. No. 109-366, 120 Stat. 2600 (17 oct. 2006) (par. 81)
Affidavits produits par les intimés qui ont été pris en compte par le juge de première instance
** Tous les affidavits visent à établir l’état du droit américain à la date de leur dépôt, p. ex. le 29 décembre 2005 ou après cette date.
Affidavits de Georgetown
• Portent sur la période allant d’octobre 1999 à juin 2005 (recueil de l’appelante, onglet 3, par. 19; la plupart des articles et des décisions judiciaires concernent l’année 2005, notamment la REAL ID Act)
• Diaware v. Gonzales, 2006 WL 37047 (S. Ct., 9 janvier 2006); Sukwanputra v. Gonzales, 2006 U.S. App. Lexis 1178 (3rd Cir., 19 janvier 2006)
• In re Budy Santoso, A 79 494 698, 1 (BIA, 23 mai 2005) (note 31)
Karen Musalo, affidavit supplémentaire
• Décision du BIA dans Matter of Kasinga (juin 2006) (recueil de l’appelante)
Morton Sklar
• Fait référence à Auguste v. Ridge, 395 F.3d 123 (3rd Cir. 2005), pour une conception étroite de la torture aux fins de l’analyse de l’objet de la loi américaine (par. 7)
• Nina Bernstein, « Deportation Case Focuses on Definition of Torture », N.Y. Times, 11 mars 2005 (par. 9)
• REAL ID Act (mai 2005)
Deborah Anker (affidavit et affidavit supplémentaire)
• Bill Freelick, « US Detention of Asylum Seekers: What’s the Problem? What’s the solution? » 10 Bender’s Immigration Bulletin 564, p. 570 (1er avril 2005)
• Department of Homeland Security, Homeland Secretary Michael Chertoff Announces Six-Point Agenda for Department of Homeland Security (13 juillet 2005), étaie l’absence actuelle d’un avocat général chargé de tous les aspects du droit et de la politique en matière d’asile aux États-Unis; Marcia Coyle, « A swamped DOJ farms out immigration cases; The Workload spread to other divisions and U.S. attorneys nationally » (National Law Journal, 28 février 2005); Tomas v. Ashcroft, 409 F.3d 1177 (9th Cir. 2005); Jonathan Nelson, « Staking the Pillars of Asylum Law », 83 Interpreters Releases 1 (2006); Ralph Blumenthal, « Chinese Boy Asks for Stay of Deportation, Citing Fear », N.Y. Times, 7 juin 2005 (renvoi forcé) (par. 4)
• Border Protection, Antiterrorism, and Illegal Immigration Control Act of 2005 (par. 5)
• Adam Liptak, « Courts Criticize Immigrations Judges’ Handling of Asylum Cases », N.Y. Times, 26 décembre 2005; Pasha v. Gonzales, 2005 U.S. App. LEXIS 28899, 1 (7th Cir., 29 décembre 2005), concernant les problèmes jurisprudentiels (par. 5)
• REAL ID Act (mai 2005) (par. 15)
• Zhen Li Iao v. Gonzales, 400 F.3d 530, 533-535 (7th Cir. 2005), portant sur la difficulté d’établir la crédibilité (par. 20)
• Kanchaeveli v. Gonzales, 2005 U.S. App. LEXIS 11122 (3rd Cir. 2005) (par. 20)
• Bocova v. Gonzales, 412 F.3d 257 (1st Cir. 2005) (par. 26)
• Voir le par. 28, note 61, où sont mentionnées de nombreuses décisions judiciaires rendues en 2005 relativement à la nature discrétionnaire de l’analyse concernant la persécution
Eleanor Acer
• United States Commission on International Religious Freedom, Report on Asylum Seekers in Expedited Removal (février 2005) (par. 3 et 13)
• Bill Freelick, U.S. Detention of Asylum Seekers and Human Rights, 1er mars 2005 (par. 8), pour des statistiques sur la détention et le budget fiscal de 2006 du président, qui prévoit une augmentation de 19 p. 100 pour le Detention and Removal Office du Department of Homeland Security (par. 13)
Victoria Neilson
• REAL ID Act (mai 2005) (par. 8)
Susan Akram
• REAL ID Act (par. 5)
• Susan Akram et Maritza Karmely, « Immigration and Constitutional Consequences of Post 9/11 Policies Involving Arabs and Muslims in the United States: Is Alienage a Distinction without a Difference? », 38 U.C. Davis L. Rev. 609 (2005)
Éléments de preuve cités dans le mémoire supplémentaire des faits et du droit de l’appelante, afin de réfuter la prétention des intimés selon laquelle les États-Unis ne se conforment pas aux articles pertinents des Conventions, qui sont postérieurs à la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr (dossier d’appel, vol. 1, aux pages 311 et suivantes)
• Senate Report 109-273—Department of Homeland Security Appropriations Bill, 2007 (rapport publié le 29 juin 2006) (le projet a été adopté en tant que Pub. L. 109-295 (4 octobre 2006), et concerne les détentions en matière d’immigration) (par. 120)
• Gao v. Gonzales, C.A. 2nd Cir, dossier : 04-1874-ag (3 mars 2006), qui reconnaît que les mariages forcés célébrés en Chine constituent de la persécution (par. 131)
• Roozbahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1524; Quevedo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1264; P.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 103, pour des critiques des décideurs administratifs du Canada (par. 134)
• Aslam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 189; El Balazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 38, appuie la proposition selon laquelle le retard concernant le dépôt au Canada sont un facteur important qui doit être pris en considération dans l’évaluation de la crainte fondée de persécution d’un demandeur s’ils ne sont pas justifiés (par. 167)
• Herrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1233; Laszlo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 456; Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288; Lubega c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 303; Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379; Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 839; Karanja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 574; Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1168; Allafzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1173; C.P.H. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 367; Jara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 973, au soutien de la proposition selon laquelle au Canada la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont traité les questions de crédibilité, de corroboration documentaire, de lien, de persécution et de persécution fondée sur le sexe d’une manière semblable, sinon identique, aux États-Unis (par. 176)
Affidavits déposés par l’appelante
David Martin
• REAL ID Act, 11 mai 2005
• Principaux règlements américains sur l’asile, le sursis et la protection contre la torture, titre 8 du Code of Federal Regulations (2006) (recueil de l’appelante, onglet 8)
• Asylum Officer Basic Training Course Manual, ébauche datée du 3 mars 2005 (recueil de l’appelante, onglet 10)
• Immigration and Nationality Act of 1952, modifiée le 24 juillet 2006 (recueil de l’appelante, onglet 19)
• In re A-H- Respondent, décision rendue le 26 janvier 2005 (recueil de l’appelante, onglet 21)
• Matter of S-K-, Respondent (11 mars 2008), BIA, onglet 25(c)
• La jurisprudence sur la définition de réfugié au sens de la Convention, 31 décembre 2005 (recueil de l’appelante, onglet 32) — traite des décisions rendues jusqu’au 31 décembre 2005
• Comprehensive statistics on U.S. Protection Decisions FY 2001-2005 (affidavit de M. Martin, dossier d’appel, vol. 6, onglet A)
• Detainee Treatment Act of 2005, publiée le 30 décembre 2005
• Affidavit supplémentaire, pièce U — décisions inédites du BIA infirmant la décision d’un juge de l’immigration sur la corroboration (2005)
• Affidavit supplémentaire, pièce V — décisions inédites du BIA infirmant la décision d’un juge de l’immigration dans des cas fondés sur différents motifs (2005)
• Affidavit supplémentaire, pièce X — HCR, Asylum Levels and Trends in Industrialized Countries, deuxième trimestre, 2006
• Asylum Officer Basic Training Course Manual, mai 2006 (dossier d’appel, p. 1665)
Éléments de preuve mentionnés par le juge de première instance qui sont postérieurs à la désignation des États-Unis à titre de tiers pays sûr
L’Entente sur les tiers pays sûrs a été signée en 2002 et a été mise en œuvre par la prise des articles 159.1 à 159.7 du Règlement, lesquels ont été publiés le 3 novembre 2004 et sont entrés en vigueur le 29 décembre 2004.
I) Interdiction d’un an et sursis du renvoi
• Affidavit de David Martin — statistiques de 2005 (motifs, par. 147)
• El Balazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 38, pour la proposition selon laquelle les juges canadiens ont le pouvoir discrétionnaire d’examiner les raisons du retard pour savoir si elles constituent ou non un facteur acceptable (motifs, par. 156)
• Éléments de preuve anecdotiques fournis par MM. Anker et Musalo — non datés (motifs, par. 164)
II) Exceptions dans les cas de criminalité et de terrorisme
• Re A.H., 23 I&N Dec 774 (A.G. 2005) 26 janvier 2005, où le tribunal a conclu qu’il ne faisait aucun doute qu’une personne pouvait être refoulée s’il était possible de croire qu’elle pouvait constituer un danger et a interprété largement les exclusions visant les activités terroristes (motifs, par. 174)
• Matter of S-K-, 23 I&N Dec. 936 (BIA, 8 juin 2006), selon laquelle l’intention de contribuer à une organisation terroriste n’est pas nécessaire pour que l’on conclue à la fourniture d’un soutien matériel à une activité terroriste (motifs, par. 177 et 178)
• Arias v. Ashcroft, 143 Fed.Appx. 464 (2 août 2005), selon lequel la contrainte n’est pas un moyen de défense (motifs, par. 180)
• Kathirgamu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 300, exclusions moins importantes au Canada en matière de criminalité (motifs, par. 189)
III) Interprétation du terme « persécution » et demandes fondées sur l’appartenance à un groupe social
• Mémoires déposés par le Department of Homeland Security dans Matter RA, février 2004 et 22 février 2005 (motifs, par. 200 et 201) (de l’affidavit de Mme Musalo — le juge Phelan a toutefois considéré que la citation était insuffisante)
• Bocova v. Gonzales, 412 F.3d 257 (24 juin 2005), où le tribunal a reconnu que la persécution n’est pas définie et a statué qu’il devait consulter les décisions du Board of Immigration Appeal afin d’en connaître le sens véritable (motifs, par. 210). Cela n’étaie pas cependant le caractère déraisonnable de la décision.
• REAL ID Act, 11 mai 2005 (motifs, par. 214)
IV) Corroboration et crédibilité
• REAL ID Act, 11 mai 2005 (motifs, par. 219)
V) Torture visée par la Convention contre la torture
• Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1 (motifs, par. 243)
• Immigration Law and Practice, 2e éd., feuilles mobiles (Toronto, Butterworths, 2006)
• Rapport concernant Maher Arar, 2006 (motifs, par. 260)
REMARQUE
USA Patriot Act, 115 Stat. 272 (26 octobre 2001) — élargit la définition d’[traduction] « activités terroristes ». Toutefois, une grand nombre de dispositions de cette loi devaient être abrogées à compter du 31 décembre 2005, environ quatre ans après son adoption. De plus, cette loi a été modifiée, les modifications les plus récentes ayant été adoptées par le Congrès le 2 mars 2006 et ayant force de loi depuis le 9 mars 2006.