Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence :

Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2009 CF 16, [2009] 4 R.C.F. 544

T-426-08

Le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut (demandeur)

c.

Le ministre des Pêches et des Océans, Barry Group Incorporated, Seafreez Foods Inc., Clearwater Seafood Limited Partnership et Labrador Fisherman’s Union Shrimp Company (défendeurs)

Répertorié : Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (C.F.)

Cour fédérale, juge Kelen—Ottawa, 26 novembre et 2 décembre 2008; 7 janvier 2009.

Pêches — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre, le défendeur, a approuvé les transferts entre entreprises de la réallocation permanente d’un quota de flétan noir pour les zones de pêche hauturière contiguës aux zones marines de la région du Nunavut — L’art. 15.3.4 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut oblige le ministre à consulter le demandeur à l’égard de toute décision concernant la gestion des ressources fauniques dans les zones I et II qui a une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte des Inuits dans les zones marines de la région du Nunavut — L’approbation de la réallocation n’a pas eu d’incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte des Inuits parce que les zones marines en cause étaient à l’extérieur de la région du Nunavut — L’art. 15.3.7 impose une obligation au gouvernement d’accorder une attention spéciale au principe de la contiguïté aux ressources marines des collectivités de la région du Nunavut et au principe de la dépendance économique de ces collectivités à l’égard de ces ressources lorsqu’il attribue les permis de pêche commerciale dans les zones I et II et d’appliquer ces principes d’une manière propre à favoriser une répartition équitable des permis entre les résidents de la région du Nunavut et les autres résidents du Canada — Même si le ministre n’a pas accordé d’attention spéciale à ces principes, les réallocations entre entreprises étaient conformes à la politique existante du ministère — Les transferts n’ont pas été annulés, mais la politique doit être réexaminée à la lumière de l’art. 15.3.7 — Les préoccupations soulevées par le demandeur créent l’obligation de le consulter avant que d’autres transferts soient approuvés et l’obligation de fournir les motifs de la décision.

Droit constitutionnel — Droits ancestraux ou issus de traités — Le ministre des Pêches et des Océans a approuvé les transferts entre entreprises de la réallocation d’un quota de flétan noir pour les zones de pêche hauturière contiguës aux zones marines de la région du Nunavut — L’art. 15.3.7 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut oblige le ministre à accorder une attention spéciale aux Inuits lorsqu’il attribue les permis de pêche commerciale — L’obligation de consultation imposée par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est semblable à l’obligation du ministre, prévue par l’art. 15.3.7, de prendre en considération les nouvelles questions soulevées par le demandeur avant d’approuver d’autres transferts de quota d’entreprises — Il n’existe aucune obligation constitutionnelle découlant de l’art. 15.3.4 parce que les transferts n’ont pas eu d’incidence sur la valeur et la substance des droits des intérêts du Nunavut dans la région du Nunavut.

Peuples autochtones — Les transferts entre entreprises de quotas de flétan noir pour les zones de pêche hauturière contiguës aux zones marines de la région du Nunavut ne contreviennent pas à l’obligation imposée par l’art. 15.3.4 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut parce qu’ils n’ont pas eu d’incidence sur la valeur et la substance des droits de récolte des Inuits et que la zone en cause ne fait pas partie de la région du Nunavut — Cependant, le ministre n’a pas satisfait aux exigences selon lesquelles il devait demander et examiner l’avis du demandeur — De même, il a manqué à l’obligation que lui impose l’art. 15.3.7 d’accorder une attention spéciale aux Inuits lorsqu’il attribue les permis de pêche commerciale, même si les réallocations étaient conformes à la politique existante — La politique doit être réexaminée à la lumière de l’obligation prévue à l’art. 15.3.7.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans a approuvé les transferts entre entreprises de la réallocation permanente d’un quota de flétan noir pour les zones de pêche hauturière contiguës aux zones marines de la région du Nunavut. L’article 15.3.4 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut (l’ARTN) dispose que le gouvernement du Canada sollicite l’avis du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut (le CGRFN) à l’égard de toute décision concernant la gestion des ressources fauniques dans les zones I et II et qui aurait une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte des Inuits dans les zones marines de la région du Nunavut, qui est constituée des 12 milles de l’Atlantique Nord au large des côtes du Nunavut. L’article 15.3.7 dispose que le gouvernement accorde une attention spéciale au principe de la contiguïté aux ressources marines des collectivités de la région du Nunavut et du principe de la dépendance économique de ces collectivités à l’égard de ces ressources lorsqu’il attribue les permis de pêche commerciale dans les zones I et II. Il précise aussi que le gouvernement applique ces principes d’une manière propre à favoriser une répartition équitable des permis entre les résidents de la région du Nunavut et les autres résidents du Canada.

Le 15 janvier 2008, le demandeur a reçu un appel téléphonique l’informant de la demande de transferts entre entreprises. Il a reçu une lettre officielle le vendredi 18 janvier 2008 demandant des commentaires en vertu de l’article 15.3.4 de l’ARTN avant le prochain jour ouvrable, soit le lundi 21 janvier 2008, sur les transferts entre entreprises. Le demandeur a répondu qu’il n’avait pas eu une occasion raisonnable de répondre et il a demandé au ministre de reporter sa décision. Le demandeur a par la suite été invité à une réunion tenue le 13 février 2008 qui, selon lui, était prévue dans le but de consulter, mais elle a été convoquée, en fait, pour approuver les transferts entre entreprises des quotas de flétan noir dans la division 0-B des eaux internationales de l’Atlantique Nord au large de la mer territoriale de 12 milles du Canada. La zone I de l’ARTN désigne les divisions 0-A et 0-B, moins les eaux territoriales, c’est-à-dire les eaux de la région du Nunavut. Selon un rapport du Groupe indépendant sur les critères d’accès établi en 2002, le Nunavut ne jouit pas du même niveau d’accès à ses pêches contiguës que les provinces atlantiques; ce rapport recommandait qu’aucun accès supplémentaire aux eaux contiguës au territoire ne soit octroyé à des intérêts extérieurs au Nunavut tant que celui-ci n’aura pas acquis l’accès à la majeure partie de ses ressources halieutiques contiguës. Le ministre a formellement accepté cette recommandation en novembre 2002. En conséquence, la population du Nunavut a obtenu la totalité des augmentations des quotas du flétan noir depuis 2002 et le nombre de permis accordés à des intérêts qui ne sont pas du Nunavut n’a pas augmenté depuis cette date. À l’heure actuelle, des intérêts du Nunavut détiennent 68 % du quota canadien total pour le flétan noir dans les divisions 0-A et 0-B, ce qui n’inclut pas la région du Nunavut. Par le passé, les personnes exerçant la pêche commerciale avaient le droit de transférer leurs quotas de flétan noir. La décision du ministre d’approuver les transferts en l’espèce n’a pas affecté les allocations de quota dans leur ensemble.

Les principales questions litigieuses étaient celles de savoir : 1)a) si le ministre avait une obligation légale issue de l’article 15.3.4 ou de l’article 15.3.7 de l’ARTN de consulter et, si oui, b) si le ministre a manqué à cette obligation; et 2) si le ministre a manqué à son obligation constitutionnelle ou en common law de consulter le demandeur au sujet de la décision qu’il envisageait.

Jugement : la demande doit être accueillie en partie et le ministre doit être condamné aux dépens.

1)a) Le ministre n’a pas manqué à l’obligation que lui impose l’article 15.3.4 de l’ARTN. La division 0-B ne fait pas partie de la région du Nunavut et la réallocation approuvée par le ministre n’a pas d’incidence, à première vue, sur la substance et la valeur des droits de récolte des Inuits. L’interfinancement de la pêche côtière par la pêche hauturière est indirect et trop éloigné pour établir que la décision du ministre d’approuver le transfert de quotas dans la division 0-B a une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte des Inuits dans les zones marines de la région du Nunavut. La réallocation n’a pas changé le quota total, n’a pas augmenté le total de quota détenu par des intérêts qui ne sont pas du Nunavut et n’a pas diminué le quota tenu par des entreprises de pêches du Nunavut. Si le ministre avait refusé le transfert, le quota serait demeuré aux mains des détenteurs originaux, qui ne peuvent être obligés par le ministre à abandonner leurs droits sur le quota en faveur d’une entreprise du Nunavut.

Cependant, dans la mesure où le ministre a annoncé son intention d’augmenter l’accès du Nunavut au quota de pêche dans les zones I et II, lorsque l’occasion se présente, c’est-à-dire lorsque des quotas de pêche dans la région sont disponibles parce qu’une entreprise souhaite vendre ses quotas dans les eaux au large du Nunavut, le CGRFN devrait en être informé. La lettre du ministre en date du 18 janvier 2008 n’était pas conforme, de toute évidence, à l’article 15.3.4 d’une manière significative. Le demandeur n’a reçu aucun renseignement sur la réallocation proposée et n’a pas eu suffisamment de temps pour répondre. En outre, le ministre n’a pas répondu à la lettre du CGRFN dans laquelle ce dernier demandait plus de temps pour répondre. Ces actes ne satisfont pas aux exigences selon lesquelles le ministre doit demander et examiner l’avis du CGRFN.

b) Le ministre n’a pas accordé d’attention, encore moins une « attention spéciale », au principe de la contiguïté et au principe de la dépendance économique lorsqu’il a approuvé la réallocation des quotas d’entreprises et n’a pas examiné si la réallocation était une répartition équitable des permis entres les Inuits du Nunavut et les entreprises de pêche commerciale voisines du Nunavut. En fait, le ministre a fait fi ouvertement des observations du demandeur ainsi que de l’avis de sa propre sous-ministre à cet égard. Le ministère des Pêches et des Océans est doté d’une politique pour le programme d’allocation de pêche hauturière du poisson de fond, qui autorise les transferts temporaires et les transferts permanents d’allocations. Le demandeur a été consulté au sujet de cette politique en 2006 et n’a fait part d’aucune réserve ou objection. Les transferts entre entreprises en l’espèce étaient conformes à cette politique. Toutefois, la politique doit être réexaminée à la lumière de l’obligation imposée au ministre par l’article 15.3.7. L’obligation d’accorder une attention spéciale aux intérêts du Nunavut lors de la distribution des permis de pêche commerciale dans la zone I comprend l’obligation de tenir compte des préoccupations soulevées par le demandeur au sujet de ces allocations et d’agir en conséquence. Comme les transferts ont été effectués conformément à la politique actuelle du gouvernement et étant donné qu’un changement à cette politique nécessitera du temps et des consultations avec le demandeur, les deux transferts ne devraient pas être annulés. Cependant, le demandeur a soulevé des préoccupations au sujet des transferts futurs, qui doivent être prises en considération par le ministre en application de l’article 15.3.7 avant qu’il n’approuve de futurs transferts de quotas d’entreprises.

2) Puisque l’approbation des transferts par le ministre n’a pas eu d’incidence sur la valeur et la substance des droits des intérêts du Nunavut dans la région du Nunavut, le ministre n’a pas manqué à son obligation de consultation prévue par la common law. L’obligation de consultation imposée par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est semblable à l’obligation du ministre, prévue par l’article 15.3.7, de prendre en considération les nouvelles questions soulevées par le demandeur avant d’approuver d’autres transferts de quota d’entreprises dans la division 0-B. Il n’existe aucune obligation constitutionnelle découlant de l’article 15.3.4 parce que les transferts n’ont pas eu d’incidence sur la valeur et la substance des droits des intérêts du Nunavut dans la région du Nunavut.

    lois et règlements cités

Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, L.C. 1993, ch. 29.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35 (mod. par TR/84-102, art. 2).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), (2) (édicté, idem; 2002, ch. 8, art. 27).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2), 55 (mod., idem, art. 11), 81.

    Traités et autres instruments cités

Accord entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du chef du Canada, Ottawa : Affaires indiennes et du nord canadien, 1993, art. 15.3.4, 15.3.7, en ligne : <http://epe.lac-bac.gc.ca/100/200/301/inac-ainc/agreement-f/nunav_f.pdf>.

Convention sur la Future Coopération Multilatérale dans les pêches de l’Atlantique Nord-Ouest, le 24 octobre 1978, [1979] R.T. Can. n11.

    jurisprudence citée

décision appliquée :

Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 213, [2006] 1 R.C.F. 53.

décision différenciée :

Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] 4 C.F. 405 (C.A.).

décisions examinées :

Air Canada c. Maley, [1976] A.C.F. no 516 (1re inst.) (QL); Trans-Pacific Shipping Co. c. Atlantic & Orient Shipping Corp. (BVI), 2005 CF 566, [2006] 1 R.C.F. 154.

décision citée :

Martselos c. Première nation 195 de Salt River, 2008 CF 8.

    doctrine citée

Canada. Groupe indépendant sur les critères d’accès. Rapport du Groupe indépendant sur les critères d’accès. Ottawa : Le Groupe, 2002, en ligne : <http://www.dfo-mpo.gc.ca/afpr-rppa/IPAC_Pages/IPAC_PDFReport_f.pdf.>

Canada. Groupe indépendant sur les critères d’accès. Réponse au Rapport du Groupe indépendant sur les critères d’accès aux pêches commerciales dans l’Atlantique. Ottawa : Le Groupe, 2002.

Pêches et Océans Canada. Plan de gestion des pêches Flétan du Groenland : Sous-zone 0 de l’OPANO 2006-2008. Winnipeg (Man.) : Pêches et Océans Canada, 2008, en ligne : <http://www.dfo-mpo.gc.ca/Library/336313.pdf>.

    DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans a approuvé les transferts entre entreprises de la réallocation permanente d’un quota de flétan noir pour les zones de pêche hauturière contiguës aux zones marines de la région du Nunavut.

    ont comparu

Martin G. Masse pour le demandeur.

John S. Tyhurst pour le défendeur, le ministre des Pêches et des Océans.

Aucune comparution pour le compte des défendeurs Barry Group Incorporated et Seafreez Foods Inc.

Thomas E. Hart et Alex Benitah pour le défendeur Clearwater Seafood Limited Partnership.

Norman J. Whalen, c.r. pour le défendeur Labrador Fishermen’s Union Shrimp Company.

    avocats inscrits au dossier

Lang Michener LLP, Ottawa, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur, le ministre des Pêches et des Océans.

McInnes Cooper, Halifax, pour le défendeur Clearwater Seafood Limited Partnership.

Martin, Whalen, Hennebury, Stamp, St. John’s, T.‑N.‑L., pour le défendeur Labrador Fishermen’s Union Shrimp Company.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]     Le juge Kelen : Le demandeur, le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut (CGRFN), sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 janvier 2008 par le défendeur le ministre des Pêches et des Océans (le ministre), lequel approuvait la réallocation permanente d’un quota de 1 900 tonnes métriques de flétan noir pour les zones de pêche hauturière contiguës aux zones marines de la région du Nunavut.

[2]     Le ministre a approuvé le transfert du quota alloué à la défenderesse Seafreez Foods Inc., propriété de la défenderesse Barry Group Incorporated, aux défenderesses Clearwater Seafood Limited Partnership et Labrador Fishermen’s Union Shrimp Company. Ces dernières entreprises ont versé respectivement 10 millions et 1,8 millions de dollars à Barry Group pour le quota transféré.

[3]     La présente demande vise à faire annuler l’approbation des transferts parce que le ministre n’a pas respecté ses obligations issues de traité établie par l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut [Accord entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 1993] (ARTN ou Accord) consistant à consulter le demandeur et à accorder une « attention spéciale » aux intérêts du Nunavut et à veiller à ce qu’ils soient « trait[és] équitablement » lors de la réallocation de quota dans des zones contiguës à la région du Nunavut.

LES FAITS

L’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut

[4]     En 1993, les Inuits de la région du Nunavut et le Canada ont conclu l’ARTN, lequel a été ratifié par le législateur, qui a adopté la Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, L.C. 1993, ch. 29. En contrepartie des droits et des avantages énoncés dans l’ARTN, les Inuits acceptent de renoncer à l’ensemble de leurs revendications, droits, titres et intérêts ancestraux dans des terres et des eaux situées à quelque endroit au Canada et dans les zones extracôtières adjacentes.

[5]     Le préambule de l’Accord de 1993 énonce notamment les faits suivants :

• le Canada reconnaît les droits ancestraux existants et est prêt à conclure des traités avec les peuples autochtones pour confirmer ces droits;

• le Canada désire négocier un accord avec les Inuits par lequel les Inuits recevraient des droits et des avantages bien précis en contrepartie de leurs revendications territoriales et de l’affirmation d’un titre ancestral;

• le Canada reconnaît la contribution des Inuits à la souveraineté du Canada dans l’Arctique.

La Cour prend note que le droit du Canada d’attribuer des quotas de pêche dans l’Atlantique Nord au large des côtes du Nunavut découle de la souveraineté du Canada dans l’Arctique, laquelle est liée à la présence des Inuits dans la région.

[6]     L’ARTN a créé un certain nombre de tribunaux pour la gestion des terres, des eaux et des ressources. Les tribunaux exercent leurs activités en tant qu’institutions d’un gouvernement public et sont composés d’un nombre égal d’Inuits et de personnes nommées par le gouvernement.

[7]     L’ARTN a les objectifs suivants :

    déterminer de façon claire et certaine les droits de propriété, d’utilisation et d’exploitation des terres et des ressources, ainsi que le droit des Inuits de participer à la prise de décisions concernant l’utilisation, l’exploitation, la gestion et la conservation des terres, des eaux et des ressources, notamment au large des côtes;

    reconnaître aux Inuits des droits d’exploitation des ressources fauniques et le droit de participer à la prise de décisions en cette matière;

    verser aux Inuits des indemnités pécuniaires et leur fournir des moyens de tirer parti des possibilités économiques;

    favoriser l’autonomie et le bien‑être culturel et social des Inuits. [Non souligné dans l’original.]

Le demandeur

[8]     Le CGRFN est une organisation publique créée par l’ARTN. Il est basé à Iqualuit, au Nunavut, et est composé de neuf membres : quatre membres sont nommés par chacune des quatre organisations inuites désignées, quatre membres sont nommés par le gouverneur en conseil sur l’avis du ministre et un membre est nommé par le commissaire en Conseil exécutif. Le CGRFN constitue le principal mécanisme de gestion des ressources fauniques dans la région du Nunavut et de réglementation de l’accès à ces ressources. Il exerce son autorité sur le milieu marin contigu à la région du Nunavut, ce qui inclut la division 0-B, endroit visé par les quotas transférés faisant l’objet de la présente demande.

Les défendeurs

[9]     Le demandeur a nommé cinq défendeurs en l’espèce : le ministre des Pêches et des Océans et les entreprises Barry Group Incorporated (Barry Group), Seafreez Food Inc. (Seafreez), Clearwater Seafood Limited Partnership (Clearwater) et Labrador Fishermen’s Union Shrimp Company (Labrador Shrimp Co.). Trois des défendeurs ont présenté des observations devant la Cour : le ministre et les deux entreprises qui ont acquis les quotas lors des transferts en question, Clearwater et Labrador Shrimp Co.

Clearwater

[10]     Clearwater est une société en commandite de par ses statuts juridiques antérieurs et pêche le flétan noir dans la division 0-B depuis le début des années 1990 dans le cadre du « Programme de développement de l’industrie du poisson de fond ». Au moyen d’accords de coentreprise avec les Inuits, Clearwater a formé des pêcheurs du Nunavut en leur donnant les compétences et l’expérience nécessaires pour utiliser des navires de pêche dans les eaux arctiques.

[11]     Clearwater a conclu une entente pour l’achat d’un quota de 1 650 t de flétan noir de Seafreez pour 10 millions de dollars en 2007. Après avoir fait les vérifications nécessaires, Clearwater n’a eu connaissance d’aucune revendication ou autre opposition par quelque partie que ce soit au Nunavut, ce qui comprend le demandeur, relativement à ce transfert. Le ministre a approuvé le transfert dans sa décision du 30 janvier 2008.

Labrador Shrimp Co.

[12]     Labrador Shrimp Co. est une coopérative de 400 pêcheurs du sud du Labrador, qui a détenu historiquement une partie du quota de flétan noir pour la division 0-B et, conformément à la décision du ministre rendue le 30 janvier 2008, a acheté de Seafreez un quota de 250 t de flétan noir dans la division 0-B.

[13]     Le directeur général de Labrador Shrimp Co., M. Gilbert Linstead, a déposé un affidavit dans lequel il affirme qu’aucune partie, notamment le demandeur, n’a avisé, implicitement ou explicitement, qu’elle s’opposait au transfert. Dans son affidavit, M. Linstead a témoigné au sujet des transferts temporaires passés de quotas de flétan noir dans la division 0-B entre les parties et au sujet des [traduction] « difficultés injustifiées » que Labrador Shrimp Co. subirait si le transfert était annulé.

Barry Group et Seafreez

[14]     Les défenderesses Barry Group et Seafreez n’étaient pas représentées à l’audience. Seafreez, qui détenait le quota transféré à Clearwater et à Labrador Shrimp Co., a été achetée par Barry Group.

Les zones marines en question

[15]     Les zones marines en question en l’espèce sont définies de trois manières distinctes :

1.   dans l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut;

2.   dans la convention de l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest [Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’Atlantique nord-ouest, le 24 octobre 1978, [1979] R.T. Can. no 11];

3.   dans la définition des eaux de la région du Nunavut énoncée dans l’ARTN.

[16]     Dans son article sur les définitions, l’ARTN définit la « zone I » comme étant les eaux du détroit de Davis et de la baie de Baffin qui se trouvent au nord du 61° de latitude et assujetties à la compétence du Canada au large de la limite de la mer territoriale.

[17]     Les eaux de l’Atlantique Nord adjacentes à l’île de Baffin au Nunavut contiennent du flétan du Groenland, habituellement appelé « flétan noir », en quantité suffisante pour soutenir l’industrie de la pêche commerciale. Le Canada partage le stock de flétan noir avec le Groenland. Le stock est géré à partir de sous‑zones établies par l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord‑Ouest (OPANO) au moyen de la Convention sur la future coopération multilatérale dans les pêches de l’Atlantique nord‑ouest. La Sous‑zone 0 de l’OPANO se situe du côté canadien de la ligne équidistante de la limite de 200 milles du Canada et du Groenland. La Sous‑zone 0 est subdivisée en la division 0-A au nord et la division 0-B au sud. Le ministre décide annuellement du quota canadien pour les divisions 0-A et 0-B et répartit le quota entre différents groupes. Les quotas de pêche alloués aux entreprises en l’espèce concernent la division 0-B des eaux internationales de l’Atlantique Nord au large de la mer territoriale de 12 milles du Canada aux eaux internationales sous la juridiction du Groenland.

[18]     La Sous‑zone 0 comprend aussi des eaux de la région du Nunavut, lesquelles sont les eaux entre le littoral et la limite extérieure de la mer territoriale de 12 milles le long des côtes du Nunavut. Les divisions 0-A et 0-B sont situées à l’extérieur des eaux de la région du Nunavut. La « zone 1 » de l’ARTN désigne les divisions 0-A et 0-B, moins les eaux territoriales, c’est‑à‑dire les eaux de la région du Nunavut.

La preuve par affidavit du demandeur

Les consultations antérieures

[19]     La preuve du demandeur est constituée de l’affidavit de M. Michael D’Eça, l’avocat du demandeur depuis 1995. M. D’Eça affirme que le ministre a fréquemment sollicité l’avis du demandeur, en application de l’article 15.3.4 de l’Accord, au sujet de toutes les décisions concernant la pêche de poisson dans l’Atlantique Nord au large des côtes du Nunavut. Il a donné neuf exemples où le ministre, pendant le présent exercice financier, a sollicité l’avis du demandeur au sujet de questions relatives à la pêche. Voici des exemples de questions au sujet desquelles le CGRFN a été consulté en application de l’article 15.3.4 au cours de l’exercice financier 2007–2008 : l’établissement proposé d’allocations aux entreprises concernant la pêche concurrentielle de flétan noir dans la division 0-B de l’OPANO, qui garantirait un pourcentage précis des quotas qui étaient auparavant attribués de manière concurrentielle, afin d’éviter la surpêche; le Plan de gestion des pêches Flétan du Groenland : Sous‑zone 0 de l’OPANO 2006-2008; une proposition pour la création d’une zone fermée dans la division 0-A de l’OPANO pour la conservation des coraux des grands fonds et du narval.

[20]     Il était également question dans l’affidavit de [traduction] « consultations » entre le MPO [Ministère des Pêches et des Océans] et le demandeur avant que le ministre décide d’approuver le transfert de quota en l’espèce. Il est question de cette preuve ci‑dessous. M. D’Eça a fourni des renseignements sur le développement de l’industrie de la pêche dans les zones marines en cause, lesquels sont présentés ci‑dessous.

La pêche du flétan noir dans la Sous‑zone 0 de l’OPANO

[21]     Les Inuits du Nunavut ont commencé à pêcher le flétan noir dans la division 0-B de l’OPANO, dans les eaux de la région du Nunavut, en 1985. Selon le demandeur, avant 1990, les Inuits du Nunavut étaient quasiment les seuls pêcheurs canadiens à pêcher le flétan noir dans la Sous‑zone 0. Les Inuits n’avaient pas accès à des permis, à des navires ou à du financement pour pêcher le poisson de fond et pêchaient en hiver en utilisant seulement la palangre, tenue à la main.

[22]     En 1990, le ministre a mis sur pied un « Programme de développement de l’industrie du poisson de fond » pour encourager la pêche de stocks sous‑utilisés de poisson de fond. Le programme visait à donner des possibilités d’accès dans la division 0-B, principalement aux détenteurs actuels de permis possédant des navires et des usines de transformation dans leur collectivité, ce qui comprend notamment les entreprises ayant obtenu des allocations aux entreprises dans la division 0-B. À cette époque, les Inuits ne possédaient ni licence ni navire ni usine de transformation.

[23]     En 1990, un quota de 5 400 t de flétan noir a été attribué aux pêcheurs du sud et 6 600 t ont été accordées à des pays étrangers pour la division 0-B. Les Inuits du Nunavut ont déposé une demande dans le cadre du programme et se sont vus attribuer 500 t pour leur pêche d’hiver. En 1994, le total autorisé des captures (TAC) pour la division 0-B a été réduit à 5 500 t et le quota attribué aux Inuits a grimpé à 1 400 t. Ce nombre a été augmenté de nouveau de 100 t en 1996, accroissant la part des Inuits à 27,3 % du TAC pour la division 0-B. En 2005, 500 t additionnelles ont été attribuées à la collectivité de Pangnirtung, ce qui a porté la part totale du Nunavut dans la division 0-B à 33,3 %.

L’accès des provinces aux ressources halieutiques

[24]     Un groupe de travail du comité fédéral‑provincial des pêches a été mis sur pied en 1995 pour déterminer quelle avait été la part provinciale des poissons de fond de 1979 à 1991, dans le but d’établir l’accès aux ressources halieutiques de l’Atlantique dont avaient bénéficié les entreprises de pêche par le passé. Selon le rapport, les pêcheurs voisins recevaient normalement de 80 à 95 % du quota. Au sujet des Territoires du Nord‑Ouest, le rapport affirmait (dossier du demandeur, à la page 33) :

[traduction] Un examen du partage passé des ressources halieutiques doit également mentionner quand les ressources n’étaient pas partagées. Durant toute la période où était appliqué ce modèle traditionnel de partage, l’accès au poisson de fond, tant les espèces traditionnelles que les stocks non exploités, était refusé aux demandeurs des T.N.‑O. en raison de politiques, de structures de gestion et de critères d’application par exclusion.

          L’accès du Nunavut aux ressources halieutiques

[25]     En 1995, le ministre a établi un quota de pêche exploratoire du flétan noir de 300 t pour les pêcheurs du Nunavut dans la division 0-A. Ce quota est passé à 4 000 t en 2002, puis à 6 500 t en 2006.

[26]     En juin 2001, le ministre a mis sur pied le Groupe indépendant sur les critères d’accès (GICA), qui avait le mandat d’examiner les questions concernant l’accès à certaines pêches. Selon le rapport du GICA [Rapport du Groupe indépendant sur les critères d’accès aux pêches commerciales dans l’Atlantique], publié en mars 2002 [à la page 47] ([voir aussi le] dossier du demandeur, à la page 34) :

[. . .] il est évident que le Nunavut ne jouit pas du même niveau d’accès à ses pêches contiguës que les provinces atlantiques. Le Groupe est d’avis qu’il faut absolument remédier à cette situation anormale. Il recommande que, selon l’esprit de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et en appliquant avec cohérence le principe de contiguïté, on n’octroie aucun accès supplémentaire aux eaux contiguës au territoire à des intérêts extérieurs au Nunavut tant que celui‑ci n’aura pas acquis l’accès à la majeure partie de ses ressources halieutiques contiguës. [Non souligné dans l’original.]

[27]     Le ministre a formellement accepté cette recommandation en novembre 2002. La Réponse au Rapport du Groupe indépendant sur les critères d’accès aux pêches commerciales dans l’Atlantique, publiée le 8 novembre 2002, affirme :

La recommandation en ce qui concerne l’accès supplémentaire est acceptée.

[. . .]

En 1997, dans le cadre du plan de gestion quinquennal du flétan noir, un engagement a été pris en vue d’attribuer au Nunavut 50 % de toute augmentation du quota de flétan noir dans la sous‑zone zéro (division A ou B). Il y a eu deux hausses de quota depuis, toutes deux dans la division 0A. Le Nunavut a reçu la totalité des augmentations, à ces deux reprises, ce qui lui a donné la part majeure de flétan noir (58 %) dans la sous‑zone 0 en 2002. D’autres augmentations seront accordées dans l’esprit de cette recommandation.

[. . .]

L’exécution de cette recommandation n’aura pas de répercussions sur la situation actuelle des autres participants à ces pêches. Les autres questions liées à la part du Nunavut ou à l’attribution des ressources halieutiques adjacentes au territoire seront étudiées dans le cadre d’autres processus.

[28]     M. D’Eça affirme que le quota alloué aux Inuits du Nunavut dans la division 0-B ne représente pas une quantité suffisante pour former la masse critique nécessaire permettant aux Inuits de devenir propriétaires de navires. S’ils ne peuvent posséder des navires, la seule autre possibilité pour les Inuits est de conclure des affrètements moyennant redevances avec les personnes qui ont leurs propres navires et équipages. Les Inuits reçoivent une petite fraction de ce qu’ils pourraient obtenir si eux‑mêmes pêchaient directement et transformaient le poisson. Le quota alloué aux Inuits dans la division 0-B est actuellement trop faible pour permettre aux pêcheurs inuits d’acheter leurs propres navires et d’avoir leurs propres équipages.

La preuve par affidavit du défendeur le ministre

[29]     La preuve du ministre était constituée de trois affidavits :

1.   L’affidavit de M. Barry Rashotte, directeur général intérimaire de la Direction de la gestion des ressources au ministère des Pêches et des Océans;

2.   L’affidavit de M. Stefan Romberg, agent de gestion des ressources de la Direction de la gestion des ressources et, jusqu’au 31 mars 2008, biologiste de l’habitat du poisson dans la région du Centre et de l’Arctique du Ministère, basé à Iqualuit, au Nunavut;

3.   L’affidavit de M. Keith Pelley, directeur intérimaire de secteur, Secteur de l’est de l’Arctique du ministère des Pêches et des Océans.

I.       L’affidavit de M. Barry Rashotte

[30]     M. Rashotte a affirmé sous serment être responsable de l’élaboration de politiques nationales sur la gestion des pêches, les permis de pêche et l’attribution de quotas de pêche. Il a fourni des renseignements sur la situation passée de la pêche au flétan noir dans les eaux arctiques entre le Nunavut et le Groenland, sur le total autorisé des captures pour la région et sur l’attribution passée des quotas de pêche du flétan noir dans la région. À l’heure actuelle, des intérêts du Nunavut détiennent 68 % du quota canadien total pour le flétan noir dans les divisions 0-A et 0-B, ce qui n’inclut pas la région du Nunavut, qui est constituée des 12 milles de l’Atlantique Nord au large des côtes du Nunavut.

[31]     M. Rashotte présente la politique détaillée qui a mené à la situation actuelle, laquelle comprend notamment les éléments suivants :

1.   aucun nouveau quota ne serait accordé à des intérêts qui ne sont pas du Nunavut jusqu’à ce que le Nunavut obtienne accès à la majeure partie des ressources halieutiques contiguës au Nunavut;

2.   par conséquent, la population du Nunavut ont reçu la totalité de toutes les augmentations de quotas pour le flétan noir dans ces régions depuis 2002;

3.   accorder toutes les augmentations à des intérêts du Nunavut [traduction] « n’affectera pas le statut actuel des autres participants à ces pêches ».

[32]     En conséquence, les augmentations canadiennes des quotas de flétan noir depuis 2002 ont été accordées à des intérêts du Nunavut et le nombre de permis accordés à des intérêts qui ne sont pas du Nunavut n’a pas augmenté depuis cette date. Les autres participants à la pêche du flétan noir dans la division 0-B n’ont pas été touchés et ont conservé leurs allocations passées de quotas.

[33]     Par le passé, les personnes exerçant la pêche commerciale avaient le droit de transférer, de manière temporaire ou permanente, leurs quotas de flétan noir. Ces transferts ont permis la [traduction] « rationalisation de l’industrie et l’amélioration de l’efficacité des opérations ». M. Rashotte affirme ceci, au paragraphe 26 de son affidavit :

[traduction] En 2006, on a consulté le CGRFN à propos de ces lignes directrices (Lignes directrices en matière de transfert de quotas de poisson de fond dans le Canada atlantique).

[34]     La décision du ministre, datée du 30 janvier 2008, d’approuver les transferts de quotas de flétan noir n’a pas affecté les allocations de quota dans leur ensemble ni ajouté de nouveaux participants à la pêche commerciale au flétan noir dans la division 0-B. M. Rashotte a affirmé au paragraphe 30 :

[traduction] Les décisions d’autoriser la réallocation n’ont pas modifié la capacité des intérêts du Nunavut de communiquer avec les détenteurs actuels de permis pour tenter de conclure des ententes sur la réallocation de quotas de flétan noir aux intérêts du Nunavut dans la mesure où de telles ententes sont possibles.

II.      L’affidavit de Stefan Romberg

Les consultations qui ont eu lieu avec le demandeur au sujet des transferts en cause

[35]     M. Romberg déclare dans son affidavit que la demande de transfert de quotas de Seafreez à Clearwater a été reçue le 11 janvier 2008. Le 15 janvier, il a téléphoné au directeur des pêches du gouvernement du Nunavut. En réponse à cet appel, le gouvernement du Nunavut a envoyé une lettre dans laquelle il s’opposait au transfert à des intérêts ne provenant pas du Nunavut. Selon la lettre, seuls 27 % du quota de flétan noir au Canada dans la division 0-B sont actuellement attribués à des intérêts du Nunavut et transférer le quota à des intérêts qui ne sont pas du Nunavut ne fait rien pour redresser cette inégalité. Le gouvernement du Nunavut a demandé une réunion spéciale avec le ministère des Pêches et des Océans à ce sujet.

[36]     À la même date, M. Romberg a également téléphoné au demandeur et a laissé un message demandant les commentaires du demandeur. Étant donné qu’il n’a pas reçu de réponse, le lendemain, il a envoyé un courrier électronique au demandeur lui demandant des commentaires. Encore une fois, il n’a reçu aucune réponse, alors le 17 janvier, il a parlé au téléphone avec le demandeur. Ce dernier a demandé à recevoir une [traduction] « lettre officielle » demandant des commentaires, laquelle a été envoyée le lendemain.

Les consultations qui ont eu lieu avec le demandeur au sujet du « Projet de lignes directrices en matière de transfert de quotas de poisson de fond dans le Canada atlantique »

[37]     L’auteur de l’affidavit a consulté le demandeur au sujet des lignes directrices susmentionnées en matière de transferts de quotas pour toutes les flottes dans les régions atlantiques y compris la division 0-B. M. Romberg a assisté à des réunions le 7 et le 8 février 2006 avec le président du CGRFN ainsi que deux autres membres du personnel du demandeur et a demandé des commentaires sur le projet de lignes directrices avant la fin d’avril 2006. Le ministère des Pêches et des Océans a fait une autre présentation au demandeur lors d’une réunion publique du demandeur tenue au Nunavut du 28 au 30 mars 2006 sur des sujets concernant le projet de lignes directrices en matière de transfert de quotas. M. Romberg affirme, au paragraphe 13 :

[traduction] [. . .] aucun commentaire ni aucune question n’ont jamais été portés à l’attention du ministère par les membres ou le personnel [du demandeur] au sujet des lignes directrices [. . .] portant sur les « transferts permanents » de quotas pour les navires de plus de 100 pieds. Les lignes directrices précisent que de tels transferts peuvent être effectués « sans restriction ».

III.    L’affidavit de Keith Pelley

[38]     M. Pelley affirme dans son affidavit que, le 30 novembre 2007, il a téléphoné à Wayne Lynch, le directeur de la Division des pêches et de la chasse aux phoques du gouvernement du Nunavut, pour lui parler d’un transfert permanent de quotas de flétan noir de Seafreez à Labrador Shrimp Co. Le même jour, le gouvernement du Nunavut s’est opposé au transfert pour les mêmes raisons, mentionnées ci‑dessus, invoquées au sujet du transfert de Seafreez à Clearwater.

[39]     L’auteur de l’affidavit affirme également que, le 30 novembre 2007, il a téléphoné au demandeur pour lui parler du transfert et lui demander s’il avait des questions ou des commentaires. Il n’a jamais reçu de réponse du demandeur.

[40]     Enfin, M. Pelley affirme que la réunion du 13 février 2008, lors de laquelle le demandeur a été informé de la décision du ministre d’approuver les transferts, n’avait pas été prévue dans le but de consulter le demandeur au sujet de la décision du ministre, comme le prétend le demandeur. M. Pelley affirme, au paragraphe 6 :

[traduction] Bien que l’objet de mon courriel ait été « Discussions avec le Nunavut au sujet des transferts dans la division 0B », dans les faits, la réunion avait d’abord été prévue avec un certain nombre de parties concernées, dont le Conseil, dans le but de discuter d’une autre question : le projet de conversion de 600 tonnes de quotas concurrentiels dans la division 0B en allocations aux entreprises. Mon courrier électronique du 24 janvier 2008 confirmait simplement que la réunion déjà prévue du 13 février 2008 aurait lieu et qu’il serait possible de tenir des « discussions avec le Nunavut au sujet des transferts dans la division 0B ». Si mes souvenirs sont exacts, je n’ai eu aucune conversation avec le personnel ou des membres du Conseil du CGRFN à propos de cet élément proposé à l’ordre du jour avant la réunion du 13 février 2008.

Les décisions à l’étude

[41]     Le 30 janvier 2008, un représentant du ministre a informé la défenderesse Barry Group Incorporated dans deux lettres différentes que :

1.   le ministre a approuvé la demande présentée le 19 octobre 2007 par Barry Group pour le transfert à Labrador Shrimp Company d’un quota de 250 t de flétan noir que détenait Seafreez dans la division 0-B;

2.   le ministre a approuvé la demande présentée le 11 janvier 2008 par Barry Group pour le transfert à Clearwater Seafood Limited d’un quota de 1 650 t de flétan noir que détenait Seafreez dans la division 0-B.

Le ministre n’a pas informé le demandeur de ces décisions ni expliqué pourquoi les observations du demandeur avaient été rejetées.

Les consultations précédant la décision du 30 janvier 2008

[42]     En réponse à l’appel téléphonique du 30 novembre 2007 de M. Pelley à M. Lynch du gouvernement du Nunavut, ce dernier a écrit une lettre à M. Rashotte le même jour, l’informant des préoccupations du gouvernement du Nunavut. Il était déclaré dans cette lettre, entre autres choses :

[traduction] Comme vous le savez, les intérêts du Nunavut ne possèdent qu’une part de 27 % du quota de flétan noir canadien dans la division 0B, une situation injuste qui a encore cours aujourd’hui. Transférer ce quota à des intérêts qui ne sont pas du Nunavut ne fait rien pour redresser cette inégalité; [. . .] si Seafreez ou tout autre intérêt extérieur cherche à transférer ou à vendre une partie de son quota dans les eaux du Nunavut, leurs premiers interlocuteurs devraient être les intérêts du Nunavut et leurs premières offres devraient leur être adressées, jusqu’à ce que cette inégalité soit redressée.

Le gouvernement du Nunavut continue de demander que le MPO (le ministre défendeur) réponde aux nombreuses observations présentées par le gouvernement du Nunavut et qu’il prenne des mesures répondant aux recommandations du Comité sénatorial permanent sur les pêches et les océans concernant l’augmentation de la part du Nunavut dans les ressources contiguës dans la division 0B. Notre position a été clairement exposée dans plusieurs observations, notamment dans l’exposé de position sur le flétan noir.

[43]     Comme il a en été question ci‑dessus, M. Pelley a téléphoné au PDG du demandeur le même jour pour l’informer de la demande de transfert et savoir si le demandeur avait des réserves. Le PDG du demandeur a répondu qu’il aurait à discuter de cette question avec son personnel et possiblement en discuter avec le Conseil. M. Pelley a témoigné n’avoir jamais reçu de réponse du demandeur.

[44]     Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, M. Romberg a reçu une lettre du gouvernement du Nunavut en réponse à son appel du 15 janvier 2008, laquelle lettre faisait part des mêmes réserves mentionnées dans la lettre du 30 novembre 2007.

[45]     M. Romberg a également téléphoné au demandeur ce même jour et, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, a ensuite envoyé le 18 janvier 2008 une lettre officielle au demandeur demandant ses commentaires.

[46]     Entre autres choses, il était déclaré dans la lettre signée par M. Rashotte :

[traduction] Comme vous le savez, l’article 15.3.4 de l’Accord entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du chef du Canada (l’Accord) exige que le gouvernement « sollicite l’avis du CGRFN à l’égard de toute décision concernant la gestion des ressources fauniques dans les zones I et II et qui aurait une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte, des Inuit dans les zones marines de la région du Nunavut ».

Par conséquent, j’aimerais que vous présentiez vos observations sur cette demande d’ici le 21 janvier 2008, afin que l’on puisse formuler une recommandation au ministre quant à la décision qu’il doit prendre.

[47]     La Cour prend note que la lettre était datée du 18 janvier 2008, soit un vendredi, et qu’il était demandé dans la lettre des commentaires avant le 21 janvier 2008, soit le lundi suivant. Le demandeur a préparé une lettre de réponse pendant la fin de semaine et a livré la lettre au ministre le 21 janvier, lettre qui disait :

1.   la décision du ministre revêt une grande importance pour le Nunavut dont l’allocation de flétan noir au large des côtes dans la division 0-B demeure à 27 % ou 1 500 t, soit 400 t de moins que le transfert proposé;

2.   le Nunavut [traduction] « lutte » pour augmenter sa part pour l’élever au même niveau qu’ailleurs au pays, soit entre 80 et 90 %;

3.   le Nunavut est la région la plus pauvre du Canada;

4.   pour fournir des conseils adéquats au ministre, le demandeur a besoin d’être avisé suffisamment à l’avance et de se faire communiquer suffisamment de renseignements, en plus d’avoir une occasion raisonnable de répondre. Recevoir cet avis le 18 janvier, sans détail, et exiger que les commentaires soient rendus le jour ouvrable suivant, ne constitue pas un préavis adéquat ni une occasion raisonnable de répondre;

5.   le demandeur a demandé au ministre de reporter sa décision concernant le transfert pour donner suffisamment de temps au demandeur et aux représentants du ministre de se consulter.

[48]     Le 24 janvier 2008, le demandeur a reçu par courrier électronique une invitation à une réunion de la part des représentants du ministre. La réunion devait avoir lieu le 13 février 2008 et porterait sur les [traduction] « discussions avec le Nunavut au sujet des transferts dans la division 0B ». Le demandeur s’attendait à ce que cette réunion constitue une réponse à sa lettre du 21 janvier demandant des renseignements détaillés et une occasion de procéder à des consultations complètes.

[49]     Lors de la réunion du 13 février 2008, une des questions abordées a été la réallocation proposée d’un quota de 1 900 t de flétan noir. Cependant, lors de la réunion, des représentants du ministre ont annoncé que le transfert avait été approuvé par le ministre le 30 janvier 2008. Le demandeur en a été étonné. Il a envoyé une lettre au ministre le 18 février 2008, dans laquelle il lui faisait part de son étonnement et de sa déception. Le demandeur a déclaré qu’il ne comprenait pas pourquoi le ministre n’avait pas tenu compte de ses obligations de consultation à la suite de la lettre envoyée le 21 janvier par le demandeur. Le ministre n’a pas répondu à cette lettre envoyée le 18 février.

[50]     La lettre datée du 18 janvier 2008 écrite par le directeur général associé de la gestion des ressources du ministère des Pêches et des Océans (MPO) concernant la réallocation proposée d’un quota de 1 900 t de flétan noir en allocations aux entreprises dans la division 0-B de l’OPANO reconnaissait que la question était visée par l’article 15.3.4 et demandait des commentaires du demandeur avant le 21 janvier 2008, soit le jour ouvrable suivant.

[51]     Le demandeur a préparé une lettre de réponse lors du week‑end du 19 et 20 janvier, laquelle réponse déclarait que le CGRFN n’estimait pas avoir bénéficié d’un préavis adéquat, des renseignements complets ou d’une occasion raisonnable de répondre. Le demandeur a affirmé dans la lettre qu’aucun détail sur les circonstances ou la réallocation proposée n’avait été fourni et que le fait d’avoir reçu l’avis l’après‑midi du jour ouvrable avant la date où le CGRFN devait faire connaître son opinion manquait aux exigences d’équité procédurale. Le demandeur a recommandé que le ministre reporte sa décision jusqu’à ce que le MPO ait communiqué les renseignements complets au demandeur et jusqu’à ce que ce dernier ait eu suffisamment de temps pour examiner l’affaire et donner son avis.

[52]     Le 24 janvier 2008, le directeur par intérim pour l’est de l’Arctique du MPO a envoyé une invitation par courrier électronique à une réunion prévue pour le 13 février 2008, courrier électronique s’intitulant : [traduction] « Discussions avec le Nunavut au sujet des transferts dans la division 0B ». Le demandeur a présumé que la réunion avait été organisée parce qu’il avait demandé à être pleinement informé.

[53]     Le demandeur déclare que des documents internes du MPO établissent clairement que la réunion avait été prévue par les représentants du MPO dans le but de consulter le demandeur. En particulier, le demandeur met en évidence une note de service adressée au ministre écrite par Michelle D’Auray, sous‑ministre, datée du 28 janvier 2008. Le contenu de cette note de service est décrit ci‑dessous. Cependant, à la réunion, le directeur général associé du MPO a informé les représentants du demandeur que le ministre avait pris la décision de transférer les quotas le 30 janvier 2008.

[54]     Le demandeur a envoyé une lettre au ministre le 18 février 2008, dans laquelle il reconnaissait que le ministre avait le droit de prendre une telle décision, mais dans laquelle il exprimait sa déception quant au fait que le ministre n’ait pas rempli ses obligations issues de l’article 15.3.4 et de la lettre du 21 janvier 2008 du demandeur. Ce dernier a demandé que le ministre prenne en considération [traduction] « les mesures d’atténuation appropriées ». Le ministre n’a pas répondu à cette lettre.

[55]     Le défendeur déclare que le ministre a suivi et appliqué la politique actuelle, en consultant le demandeur sur [traduction] « l’approche politique générale ». Le défendeur soutient que la décision en question n’en était pas une qui nécessitait un préavis en application de l’ARTN, étant donné qu’elle n’avait pas de répercussion sur les droits de pêche et sur les occasions de pêche pour les Inuits dans la région du Nunavut. Le défendeur affirme que, parce que la décision avait pour effet de redistribuer le quota entre des détenteurs de permis qui ne provenaient pas du Nunavut, elle n’avait aucune répercussion sur la quantité totale de quotas ou sur le quota alloué aux intérêts du Nunavut et par conséquent n’était visée par aucune autre exigence procédurale prévue à l’ARTN.

[56]     Aucun détail concernant la réallocation n’avait été donné dans la lettre du 18 janvier 2008 au CGRFN ni en aucun autre moment avant le 13 février 2008. La réallocation comprenait le transfert d’un quota de 1 650 t que détenait la défenderesse Seafreez à la défenderesse Clearwater et de 250 t à la défenderesse Labrador Shrimp Co. La défenderesse Barry Group Incorporated, le successeur par fusion de Seafreez, a demandé au ministre, en octobre 2007, l’approbation du transfert à Labrador Shrimp Co. L’approbation pour le transfert à Clearwater a été demandée le 11 janvier 2008.

La note de service du ministre datée du 28 janvier 2008

[57]     Le demandeur soutient que les documents diffusés à l’interne au sein du Ministère établissent clairement que le Ministère reconnaissait l’existence d’une obligation de consultation et avait à l’origine prévu de consulter le demandeur lors de la réunion du 13 février 2008. Le demandeur invoque une note de service datée du 28 janvier 2008 écrite par Michelle d’Auray, sous‑ministre, portant sur la demande de transfert de quota de flétan noir de Seafreez à Labrador Shrimp Co. et Clearwater. En résumé, la note de service mentionnait ce qui suit :

[traduction] Les quotas de flétan noir dans la division 0B ont été accordés au début des années 1990 à des organismes qui avaient participé au développement de cette pêche. Ving‑sept pour cent (27 %) de la part canadienne du total autorisé des captures (TAC) de 5 500 t a été réservé à des intérêts du Nunavut.

[. . .]

Des représentants du ministère prévoient rencontrer des parties intéressées du Nunavut le 13 février 2008 et discuter de la gestion du flétan noir dans les eaux du nord et des demandes de Seafreez. Des recommandations concernant la décision sur ces demandes vous seront transmises après cette réunion.

Dans la note de service adressée au ministre, sous la rubrique [traduction] « Contexte », la sous‑ministre déclare :

[traduction] Le rapport 2004 du Comité sénatorial permanent sur les pêches et océans recommande que le MPO poursuive sa politique selon laquelle il ne faut pas donner d’accès nouveau au flétan noir de la division 0B à des intérêts qui ne sont pas du Nunavut jusqu’à ce que le Nunavut ait obtenu la majeure partie des droits de pêche, comme l’a recommandé le Groupe indépendant sur les critères d’accès, ce qui a été accepté par le ministre en novembre 2002.

Conformément aux engagements du gouvernement inscrits dans l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, une lettre a été envoyée au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut (CGRFN) (ONGLET – 3) pour demander officiellement sa position sur les demandes de transfert.

Le 30 novembre 2007, M. Wayne Lynch, directeur de la Division des pêches et de la chasse aux phoques du gouvernement du Nunavut a écrit (ONGLET – 4) pour « s’opposer fortement à tout effort visant à rediriger [l’allocation aux entreprises de Seafreez] à des entreprises ne provenant pas du Nunavut ». M. Lynch a également mentionné que, si les allocations aux entreprises devaient être transférées, « les premiers interlocuteurs devraient être les intérêts du Nunavut et les premières offres devraient leur être adressées ».

M. Lynch a écrit une autre fois le 15 janvier 2008 (ONGLET – 5) pour réitérer la position du gouvernement du Nunavut et pour demander une réunion spéciale avec le MPO afin de répondre à la question de la participation des intérêts du Nunavut dans le transfert.

Dans la lettre qu’il vous a envoyée le 21 janvier 2008 (ONGLET – 6), le CGRFN a insisté sur la lutte qu’il mène depuis des années pour augmenter sa part de quota sur le flétan noir de la division 0B, qui, selon lui, est directement liée au développement d’une pêche viable sur le littoral dans le détroit de Davis et dans la baie de Baffin. Le CGRFN a fait part de son mécontentement de recevoir un si court préavis pour répondre à une demande d’avis obligatoire en application de l’Accord sur les revendications territoriales et recommande que vous reportiez la décision sur les transferts jusqu’à ce qu’il ait eu l’occasion d’examiner adéquatement les demandes de transfert.

Au cours des trois (3) dernières années, Seafreez a transféré de manière temporaire 250 t de flétan noir de la division 0B à LFUSC. Seafreez a également transféré du flétan noir de la division 0B à LFUSC en 2002‑2003 (200 t) et 2004‑2005 (410 t).

En 2007‑2008, Seafreez a transféré de manière temporaire du flétan noir de la division 0B à d’autres entreprises, à hauteur de 1 922 t, alors que d’autres entreprises ont transféré 544 t de leur quota à Seafreez, ce qui donne 1 378 t nettes transférées de Seafreez à d’autres entreprises. Un tableau présentant les transferts de Seafreez vers d’autres entreprises et vice‑versa au cours des cinq dernières années est joint en annexe pour votre information (ONGLET – 7).

Sous la rubrique [traduction] « Analyse / Commentaires du MPO », il était écrit :

[traduction]

Aucune décision ne devrait être prise au sujet de ces deux demandes avant la réunion.

La note de service se concluait avec la rubrique :

[traduction]

Recommandation / Prochaines étapes

Des recommandations quant à la décision à prendre au sujet des deux demandes de Barry Group vous seront communiquées à la suite de la réunion du 13 février 2008.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[58]     Le demandeur soulève trois questions dans la présente demande :

1.   Le ministre a‑t‑il manqué à une obligation légale expresse de demander et de prendre en compte l’avis du demandeur en application de l’article 15.3.4 de l’ARTN en ne donnant pas au demandeur une occasion convenable de donner son avis avant de prendre une décision?

2.   Le ministre a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale et de justice naturelle en ne donnant pas au demandeur un préavis suffisant, des renseignements complets et l’occasion de répondre?

3.   Le ministre a‑t‑il manqué à son obligation constitutionnelle en common law de consulter le demandeur au sujet de la décision qu’il envisageait?

[59]     Les observations du ministre répondent aux questions ci‑dessus. Les défenderesses Labrador Fishermen’s Union Shrimp Company (Labrador Shrimp Co.) et Clearwater Seafood Limited Partnership (Clearwater) soulèvent quatre autres questions :

1.   L’affidavit de M. Michael D’Eça, présenté par le demandeur, contient‑il du ouï‑dire qui n’identifie pas la source des documents et qui doit donc être radié?

2.   Le CGRFN a‑t‑il omis de déposer sa demande de contrôle judiciaire dans le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod., idem, art. 14)]?

3.   Le CGRFN a‑t‑il la capacité de demander le contrôle judiciaire?

4.   Si la Cour juge que le ministre a manqué à ses obligations issues de la loi et de la common law envers le demandeur, la position de ces défendeurs en tant que tiers innocents doit‑elle être prise en compte dans l’établissement de la réparation appropriée?

[60]     Je vais me pencher sur ces questions dans l’ordre suivant :

1.   Le CGRFN a‑t‑il la capacité de déposer la présente demande?

2.   Le CGRFN a‑t‑il omis de déposer la demande dans le délai de 30 jours?

3.   L’affidavit du demandeur contient‑il du ouï‑dire qui devrait être radié?

4.   Le ministre a‑t‑il une obligation légale issue de l’article 15.3.4 ou de l’article 15.3.7 de l’ARTN envers le demandeur et, le cas échéant, le ministre a‑t‑il manqué à cette obligation en omettant de consulter le demandeur avant d’approuver la réallocation des quotas?

5.   Le ministre a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale et de justice naturelle en ne fournissant pas au demandeur un préavis suffisant, des renseignements complets et l’occasion de répondre?

6.   Le ministre a‑t‑il manqué à son obligation constitutionnelle ou en common law de consulter le demandeur au sujet de la décision qu’il envisageait?

7.   Le cas échéant, quelle est la réparation appropriée à la lumière de la position des défendeurs Clearwater et Seafreez en tant que tiers dans la présente demande?

LA NORME DE CONTRÔLE

[61]     Le demandeur prétend que le ministre ne s’est pas conformé aux exigences procédurales imposées par la loi et par la common law et qu’il a manqué à son obligation constitutionnelle d’équité. L’omission de se conformer à une exigence légale est une erreur de droit assujettie à la norme de la décision correcte. De manière semblable, la Cour a conclu à plusieurs reprises que la norme de contrôle applicable aux manquements à l’équité procédurale est la décision correcte : voir, par exemple, Martselos c. Première nation 195 de Salt River, 2008 CF 8, les motifs du juge Beaudry, au paragraphe 18. Le demandeur et le défendeur conviennent qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable en l’espèce.

ANALYSE

Question no 1 :  Le CGRFN a‑t‑il la capacité de déposer la présente demande de contrôle judiciaire visant la décision du ministre d’approuver la réallocation des quotas?

[62]     Les défenderesses Clearwater et Labrador Shrimp Co. soutiennent que le demandeur n’a pas la capacité de déposer la présente demande en vertu du paragraphe 18.1(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur les Cours fédérales, parce qu’il n’est pas directement touché par la décision du ministre.

[63]     La défenderesse Clearwater soutient que le demandeur n’est pas « directement touché » par la décision, parce que la décision en question portait sur le transfert de quotas existants entre Seafreez et Clearwater. Selon la défenderesse, Seafreez et Clearwater sont les seules parties directement touchées par la décision.

[64]     Le principal argument de fond du demandeur, selon lequel le ministre avait l’obligation en application de l’article 15.3.4 de consulter le demandeur, est fondé sur la prémisse voulant que les droits du demandeur soient touchés par la décision. Le demandeur soutient que la décision était une « décision concernant la gestion des ressources fauniques » visée par l’article 15.3.4 et n’aurait donc pas dû être prise avant que son avis soit sollicité et pris en considération. Par conséquent, si le demandeur obtient gain de cause sur la question de fond, il prouvera qu’il est directement touché par la décision.

[65]     Dans l’arrêt Canada (Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 213, [2006] 1 R.C.F. 53, la Commission des plaintes du public contre la GRC a déposé une demande de contrôle judiciaire visant une décision prise par le Commissaire selon laquelle certains renseignements demandés par la Commission étaient assujettis au privilège relatif aux indicateurs de police et ne pouvaient être divulgués. Le juge Létourneau a conclu, au paragraphe 58 :

    Si elle n’a pas juridiquement le pouvoir de forcer le commissaire à respecter la Loi, le travail de la Commission est entravé au point de devenir vain. Je suis tout à fait d’accord avec les observations du savant juge qui soupesait l’argument présenté par l’intimé selon lequel la Commission n’avait pas le pouvoir d’introduire une instance. Aux paragraphes 163 et 164 de sa décision, il a écrit [2004 CF 830] :

    Si le défendeur a raison d’affirmer cela, cela voudrait dire que, selon l’article 45.41 de la Loi sur la GRC, la Commission des plaintes n’a aucun droit de forcer le Commissaire de la GRC à lui remettre une copie de la plainte ou un document se rapportant à cette plainte. Tout comme un droit qu’il n’est pas possible de faire respecter équivaut à l’inexistence de ce droit, une obligation dont il n’est pas possible de forcer l’accomplissement équivaut à l’inexistence d’une telle obligation. Cela voudrait dire en fait que le Commissaire de la GRC disposerait d’un pouvoir discrétionnaire absolu, non seulement celui de définir quel document est pertinent et quel autre ne l’est pas, mais également celui de dire si un document doit même être communiqué selon l’article 45.41, quand bien même serait‑il pertinent.

[66]     Dans cet arrêt, il a été jugé que les renseignements demandés par la Commission étaient protégés par le privilège. Cependant, l’argument avancé par le gouvernement selon lequel la Commission n’avait pas le pouvoir d’obliger le Commissaire à divulguer ces renseignements au moyen d’une demande devant les tribunaux a été rejeté pour les motifs exposés ci‑dessus.

[67]     Bien que les faits en l’espèce soient différents, un raisonnement semblable peut être appliqué. Le demandeur a le droit d’être consulté lorsque des décisions du ministre sont visées par l’article 15.3.4. En l’espèce, le demandeur soutient que la décision est visée par cette disposition, alors que les défendeurs soutiennent que ce n’est pas le cas. Il se sont adressés à la Cour pour qu’elle tranche cette question. Si l’argument des défendeurs selon lequel le demandeur n’est pas directement touché par une décision suffit à résoudre le litige à l’étape de la capacité, sans que les arguments du demandeur en faveur de l’application de l’article 15.3.4 soit pris en considération, alors l’obligation du ministre envers le demandeur ne serait [traduction] « plus du tout une obligation » dans une situation où il ne va pas de soi que l’article 15.3.4 s’applique.

[68]     Il sera par conséquent considéré que le demandeur a la capacité de demander à la Cour d’évaluer le fond de sa demande.

Question no 2 : Le CGRFN a‑t‑il omis de déposer sa demande de contrôle judiciaire dans le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales?

[69]     Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales prévoit :

    18.1 (1) [. . .]

    (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

[70]     Le demandeur a déposé sa demande de contrôle judiciaire le 14 mars 2008. Le demandeur a eu connaissance de la décision du ministre le 13 février 2008, moins de 30 jours avant le dépôt de la demande.

[71]     Comme la Cour a conclu que le demandeur était « directement touché » au sens du paragraphe 18.1(1), afin de calculer le délai de 30 jours, la date pertinente à laquelle a eu lieu « la première communication » de la décision est le 13 février 2008, et le demandeur, en déposant sa demande le 14 mars 2008, a respecté le délai.

[72]     Par conséquent, la Cour n’a pas à prendre en considération les observations formulées par la défenderesse contre l’octroi en vertu du paragraphe 18.1(2) d’une prorogation de délai au demandeur.

Question no 3 : L’affidavit présenté par le demandeur contient‑il du ouï‑dire inadmissible?

[73]     La défenderesse Clearwater soutient que les paragraphes 52 à 54 de l’affidavit de M. Michael D’Eça, daté du 25 avril 2008, constituent du ouï‑dire qui n’est pas étayé par des renseignements ou ce que le déclarant croit être des faits confirmant la source du ouï‑dire.

[74]     Les déclarations dans ces paragraphes portent sur des incidents qui se seraient produits lors d’une réunion tenue le 13 février 2008. M. D’Eça n’affirme pas dans son affidavit avoir été présent à cette réunion et son nom ne figure pas à la liste des personnes présentes dans le procès‑verbal de la réunion joint à l’affidavit.

[75]     Le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] dispose :

    81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

[76]     La défenderesse invoque la décision Air Canada c. Maley, [1976] A.C.F. no 516 (1re inst.) (QL). Dans cette décision, le juge Addy de l’ancienne Division de première instance de la Cour fédérale, a conclu aux paragraphes 3 et 4 :

    Ce matin, vers 10 h 30, les défendeurs ont déposé vingt‑six affidavits. Dans la mesure où ils visent à relater des incidents ou à faire ressortir des questions relatives à la sécurité, ces affidavits sont cousus d’expressions comme: (traduction)  “On me dit que”, “On m’informe que”, “Je crois que”, sans donner d’aucune façon la source de l’information ou de la croyance.

    Les avocats des demanderesses n’ont pas soulevé d’objections sur ces affirmations, mais je dois dire que, pour la Cour, elles ne sont pas acceptables comme preuve. C’est en raison des principes élémentaires de la preuve que de telles affirmations ne sauraient être admises et, par conséquent, dans la mesure où elles ne donnent pas la source de l’information ou de la croyance, et les détails sur lesquels la croyance est fondée, elles doivent être totalement rejetées, tout comme si elles n’existaient pas.

[77]     La défenderesse soutient que, de manière semblable, les paragraphes 52 à 54 de l’affidavit du demandeur devraient être radiés.

[78]     Je conviens que la partie de l’affidavit où le déclarant fournit des renseignements sur ce qui s’est produit lors de la réunion du 13 février contrevient au paragraphe 81(1) des Règles.

[79]     Dans la décision Trans‑Pacific Shipping Co. c. Atlantic & Orient Shipping Corp. (BVI), 2005 CF 566, [2006] 1 R.C.F. 154, la juge Dawson a conclu aux paragraphes 15 et 17 que le ouï‑dire dans un affidavit n’est « pas nécessairement fatal » si l’exactitude des renseignements présentés dans le ouï‑dire n’est pas contestée et si on ne présente aucune demande de contre‑interrogatoire :

    En ce qui a trait à la preuve par ouï‑dire selon laquelle le représentant de la demanderesse, après avoir mené une enquête approfondie, ne connaissait aucun obstacle à l’enregistrement, le paragraphe 81(1) des Règles prévoit que, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Cependant, l’inobservation d’une disposition des règles n’entache pas de nullité l’instance ou une mesure prise dans l’instance (règle 56). Elle constitue plutôt une irrégularité qui peut être contestée en vertu de la règle 58. Les requêtes visant à contester une mesure en raison de l’inobservation d’une disposition des Règles doivent être présentées le plus tôt possible (paragraphe 58(2)). Tel qu’il est mentionné plus haut, avant le 6 avril 2005, aucune contestation n’a été présentée à l’égard de l’ordonnance attaquée.

[. . .]

    L’utilisation d’une preuve fondée sur des renseignements tenus pour véridiques dans une demande n’est pas nécessairement fatale. Voir Canada c. Olympia Interiors Ltd. (2001), 209 F.T.R. 182 (C.F. 1re inst.); décision confirmée (mais pas explicitement sur ce point) 2004 DTC 6402 (C.A.F.). La règle selon laquelle le déclarant doit avoir une connaissance personnelle des faits sur lesquels porte son affidavit s’explique par la nécessité que toute preuve ainsi déposée puisse être vérifiée de façon significative au moyen du contre‑interrogatoire. Lorsque l’exactitude des renseignements fournis dans le cadre d’une preuve par ouï‑dire n’est pas contestée et qu’aucune demande de contre‑interrogatoire n’a été présentée, l’acceptation d’une preuve fondée sur des renseignements tenus pour avérés ne constitue pas une entorse à ce principe.

[80]     En l’espèce, la défenderesse n’a pas contesté l’exactitude des renseignements fournis aux paragraphes 52 à 54. En outre, ces renseignements sont étayés par le procès‑verbal de la réunion inclus en pièce jointe à l’affidavit.

[81]     La règle 55 [mod. par DORS/2004-283, art. 11] des Règles des Cours fédérales prévoit :

    55. Dans des circonstances spéciales, la Cour peut, dans une instance, modifier une règle ou exempter une partie ou une personne de son application.

[82]     Je vais radier les paragraphes 52 à 54 de l’affidavit, mais je vais autoriser le déclarant à introduire le procès‑verbal de la réunion du 13 février 2009 joint à l’affidavit en sa qualité d’avocat du demandeur. Le procès‑verbal est éloquent et n’a pas été contredit par le témoin du ministre qui était présent à la réunion. Les renseignements présentés aux paragraphes 52 à 54 résument les questions qui ont été abordées à la réunion du 13 février 2008 et la décision qui a été communiquée au représentant du CGRFN. Étant donné que l’exactitude de ces renseignements n’est pas contestée et qu’il n’y a [traduction] « aucun motif de s’opposer » à l’inclusion de cette preuve, la Cour se dispensera de se conformer à l’article 81 des Règles dans la mesure où le procès‑verbal joint à l’affidavit du demandeur sera admis en preuve.

Question no 4a) : Le ministre a‑t‑il manqué à l’obligation que lui impose l’article 15.3.4 de l’ARTN?

[83]     L’ARTN est un accord négocié entre le gouvernement du Canada et les Inuits du Nunavut. Il a été ratifié par le législateur lorsqu’il a édicté la Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. L’article 15.3.4 de l’ARTN est rédigé ainsi :

Le Gouvernement sollicite l’avis du CGRFN à l’égard de toute décision concernant la gestion des ressources fauniques dans les zones I et II et qui aurait une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte, des Inuit dans les zones marines de la région du Nunavut. Le CGRFN fournit au Gouvernement des renseignements pertinents afin de l’assister dans la gestion des ressources fauniques au‑delà des zones marines de la région du Nunavut.

[84]     Dans ses observations, le demandeur s’est appuyé en partie sur l’admission qu’a faite le ministre dans sa lettre du 18 janvier 2008 au demandeur, dans laquelle le ministre a affirmé que la réallocation proposée était visée par l’article 15.3.4 (dossier du demandeur, à la page 306). Selon la lettre :

[traduction] Comme vous le savez, l’article 15.3.4 de l’Accord entre les Inuit de la région du Nunavut et Sa Majesté la Reine du chef du Canada (l’Accord) exige que le gouvernement « sollicite l’avis du CGRFN à l’égard de toute décision concernant la gestion des ressources fauniques dans les zones I et II et qui aurait une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte, des Inuit dans les zones marines de la région du Nunavut ». Par conséquent, j’aimerais que vous présentiez vos observations sur cette demande d’ici le 21 janvier 2008, afin que l’on puisse formuler une recommandation au ministre quant à la décision qu’il doit prendre.

De manière semblable, la sous‑ministre, dans une note de service au ministre datée du 28 janvier, a affirmé que le demandeur devait être consulté à ce sujet.

[85]     Les défendeurs affirment que cette déclaration dans la lettre était une erreur. Il est bien établi en droit que la Couronne n’est pas liée par les erreurs de ses fonctionnaires, y compris le sous‑ministre. Par conséquent, la lettre du 18 janvier 2008 n’établit pas que l’article 15.3.4 s’applique en l’espèce. À moins que les demandeurs puissent établir devant la Cour que l’article 15.3.4 s’applique en l’espèce, il ne peut être conclu à partir de l’affirmation dans la lettre que le ministre a manqué à son obligation envers le demandeur.

[86]     Selon le demandeur, la décision est visée par l’article 15.3.4 parce qu’elle porte sur un quota de 1900 t de flétan noir dans la division 0-B de l’OPANO, laquelle est située dans la zone I. L’article 15.3.4 [traduction] « porte sur les décisions concernant la gestion des ressources fauniques dans les zones I et II ». Cependant, l’article 15.3.4 prévoit également que les décisions concernant la gestion des ressources fauniques nécessitant une consultation auprès du CGRFN sont celles qui auraient « une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte, des Inuits dans les zones marines de la région du Nunavut. »

[87]     Le demandeur affirme que les Inuits du Nunavut utilisent le revenu de la pêche hauturière pour interfinancer les activités de pêche des Inuits à l’intérieur de la région du Nunavut. Cet interfinancement est présenté comme preuve que la décision du ministre d’approuver le transfert de quotas dans la division 0-B a une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte des Inuits dans les zones marines de la région du Nunavut. En toute déférence, la Cour ne peut être d’accord. L’interfinancement de la pêche côtière par la pêche hauturière est indirect et trop éloigné. Les Inuits pourraient interfinancer leurs récoltes du caribou à partir des pêches hauturières ou de l’industrie de la sculpture inuite. La décision d’interfinancer un autre segment de la vie inuite relève complètement du pouvoir discrétionnaire des Inuits et ne peut servir à établir que les décisions concernant la pêche hauturière ont une incidence sur la pêche côtière.

[88]     La défenderesse Clearwater soutient que la décision du ministre n’était pas une « décision concernant la gestion des ressources fauniques » parce qu’elle n’augmentait pas le quota total ni ne changeait la méthodologie utilisée pour la récolte du quota et constituait une décision purement administrative basée uniquement sur [traduction] « des facteurs économiques ou commerciaux ». Les défendeurs sont d’avis que les transferts [traduction] « ne faisaient que rationaliser l’industrie et assurer une plus grande efficacité des opérations ». Les défendeurs soutiennent en outre que la réallocation n’a pas eu [traduction] « d’incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte des Inuits » parce que la réallocation était un transfert entre deux parties existantes qui ne sont pas du Nunavut et que, en conséquence, l’article 15.3.4 ne s’applique pas à cette décision.

[89]     Le demandeur s’appuie également sur l’arrêt Nunavut Tunngavik Inc. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1998] 4 C.F. 405, dans lequel la Cour d’appel fédérale, en analysant la portée de l’article 15.3.4, a conclu qu’il s’appliquait aux allocations de quotas pour la pêche du flétan noir dans la zone I [au paragraphe 35] :

L’article 15.3.4 de l’Accord a pour but d’assurer que les Inuit du Nunavut seront consultés pour ce qui concerne les décisions de gestion des ressources fauniques dans les zones I et II qui pourraient porter atteinte à la substance et à la valeur de leurs droits de récolte dans les zones marines de la RN. Parce que le flétan noir est un poisson migratoire, l’allocation des quotas de pêche et des permis de pêche du flétan noir dans les zones I et II fait partie de ce genre de décisions.

[90]     Les réallocations en l’espèce concernent également la pêche du flétan noir dans la zone I. Cependant, l’affaire Nunavut Tunngavik portait sur une décision du ministre établissant le quota d’ensemble pour la récolte du flétan noir dans la région et sur l’allocation du quota entre différents groupes, notamment des intérêts du Nunavut. La décision augmentait le total autorisé des captures (TAC) dans la zone I et diminuait la part du TAC réservé aux Inuits du Nunavut pour la faire passer de 27,3 % à 24 % (Nunavut Tunngavik, aux paragraphes 7 à 9). Par conséquent, la décision avait clairement une double incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte des Inuits : elle diminuait le quota en pourcentage du TAC alloué aux groupes d’Inuits du Nunavut et, en augmentant le TAC, affectait la disponibilité de flétan noir dans les eaux contiguës de la région du Nunavut.

[91]     Les défendeurs soutiennent que les faits de l’affaire Nunavut Tunngavik sont clairement différents des faits en l’espèce, car il n’y a en l’espèce ni diminution du quota pour les intérêts du Nunavut ni augmentation du TAC total. Transférer un quota existant d’une entreprise qui n’est pas du Nunavut à une autre n’a pas de répercussions semblables sur la substance et la valeur des droits des entreprises de pêche du Nunavut dans la zone I.

[92]     De manière semblable, les défendeurs soutiennent que les exemples de précédents donnés par le demandeur — où le ministre avait consulté le CGRFN dans le cadre de l’article 15.3.4 et lui avait donné des renseignements considérables et un préavis suffisant — ne sont pas analogues parce que les intérêts du Nunavut étaient clairement touchés dans tous ces cas. Les questions sur lesquelles le CGRFN a été consulté en application de l’article 15.3.4 au cours de l’exercice financier 2007–2008 comprennent : l’établissement proposé d’allocations aux entreprises dans le secteur de la pêche concurrentielle du flétan noir dans la division 0-B de l’OPANO, ce qui garantissait un pourcentage précis des anciennes allocations concurrentielles afin de réduire la surpêche; l’ébauche du Plan de gestion des pêches Flétan du Groenland : Sous‑zone 0 de l’OPANO 2006‑2008 et une proposition pour la création d’une zone fermée dans la division 0-A de l’OPANO pour la conservation des coraux des grands fonds et du narval. Ces exemples et d’autres donnés par le demandeur touchent clairement l’ensemble des quotas et des pratiques de pêche ainsi que toutes les parties possédant un permis de pêche ou des intérêts dans la zone I.

[93]     La réallocation approuvée par le ministre en l’espèce n’a pas d’incidence, à première vue, sur la substance et la valeur des droits de récolte des Inuits. Elle ne change pas le quota total, elle n’augmente pas le total de quota détenu par des intérêts qui ne sont pas du Nunavut et elle ne diminue pas le quota tenu par des entreprises de pêches du Nunavut. Cependant, le demandeur prétend que, si le ministre avait consulté le CGRFN, celui‑ci aurait pu parler au ministre de la procédure utilisée dans la redistribution des quotas existants et de la possibilité que cette redistribution puisse donner lieu à des occasions d’augmenter la part des intérêts du Nunavut dans les zones I et II.

[94]     En particulier, le demandeur affirme qu’il aurait demandé des renseignements au sujet de la possibilité que le ministre puisse considérer l’approbation du transfert à des entreprises de pêche du Nunavut prêtes à payer une juste valeur marchande pour l’allocation. S’il y avait une possibilité qu’un permis de pêche contingentée appartenant à une entreprise qui n’est pas du Nunavut puisse être redistribué à une entreprise de pêche du Nunavut, alors l’approbation du transfert à une autre entreprise qui n’est pas du Nunavut pourrait avoir une incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte des Inuits. Étant donné l’engagement du ministre en 2002, selon lequel il ne serait octroyé aucun accès supplémentaire à des intérêts qui ne sont pas du Nunavut dans la région jusqu’à ce que le Nunavut ait obtenu l’accès à la majeure partie des ressources halieutiques, si un transfert à des intérêts du Nunavut était possible, le ministre aurait dû examiner cet objectif avec le CGRFN et peut‑être aurait pu faciliter le transfert après consultation avec le CGRFN.

[95]     La défenderesse Labrador Shrimp Co. affirme que le refus par le ministre d’approuver les transferts n’aurait pas signifié que des intérêts du Nunavut auraient obtenu le quota de pêche. Si le ministre avait refusé d’approuver le transfert, le quota serait demeuré aux mains des détenteurs originaux, lesquels [traduction] « le ministre ne peut obliger à abandonner leurs droits sur le quota en faveur d’une entreprise du Nunavut ». La Cour convient que le ministre ne peut forcer aucun détenteur de quota qui n’est pas du Nunavut à abandonner ses droits en faveur d’intérêts du Nunavut et convient également que les parties défenderesses Clearwater, Labrador Shrimp Co. et Seafreez ont demandé au ministre d’approuver une réallocation qui avait déjà été négociée entre les parties. Cependant, le demandeur n’a pas affirmé qu’il aurait recommandé que le transfert ne soit pas accordé s’il avait eu l’occasion de donner des renseignements au ministre. S’il avait pu discuter du transfert proposé avec le ministre, il aurait pu s’informer des possibilités de devenir partie aux négociations sur le transfert avec ces entreprises ou d’autres entreprises ne provenant pas du Nunavut souhaitant transférer leurs quotas. Le ministre aurait pu faciliter cet objectif. À titre subsidiaire, après avoir consulté le CGRFN, le ministre aurait pu décider qu’il était dans le meilleur intérêt de l’industrie d’approuver les transferts. Le demandeur ne conteste pas le fait que le ministre a le droit d’approuver ce transfert en particulier. Dans la mesure où le ministre a annoncé son intention d’augmenter l’accès du Nunavut au quota de pêche dans les zones I et II, lorsque l’occasion se présente, c’est‑à‑dire lorsque des quotas de pêche dans la région sont disponibles parce qu’une entreprise souhaite vendre ses quotas dans les eaux au large du Nunavut, le CGRFN devrait en être informé.

[96]     Selon Clearwater, si la Cour conclut que le transfert constitue une décision concernant la gestion des ressources fauniques ayant une incidence sur les droits de pêche des Inuits, cela transformerait une [traduction] « transaction commerciale courante et régulière en un processus inutilement long et lourd pour le MPO et les parties détenant les quotas » dans la région. L’obligation de consulter le demandeur n’est pas censée être lourde. Le ministre a le pouvoir d’approuver les transferts sans condition.

[97]     Le ministre soutient à titre subsidiaire que, si l’article 15.3.4 s’applique, le ministre a satisfait à l’exigence de donner au demandeur l’occasion de donner des renseignements au ministre au sujet du transfert. Je ne peux pas être d’accord avec le ministre. Dans l’arrêt Nunavut Tunngavik, la Cour d’appel fédérale a conclu au paragraphe 35 que l’article 15.3.4 obligeait non seulement le ministre à demander l’avis du CGRFN, mais également à l’examiner :

Bien que cela ne soit pas expressément mentionné à l’article 15.3.4, il est à notre avis implicite dans cet article que le gouvernement doit examiner les avis qu’il est tenu de demander [. . .] Autrement, l’obligation imposée au gouvernement de demander les avis du CGRFN n’a absolument aucun sens. Par conséquent, l’article 15.3.4 impose des restrictions procédurales à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre et celui‑ci y satisfait quand il demande, en toute bonne foi, des avis au CGRFN et qu’il les examine.

[98]     La lettre du ministre en date du 18 janvier 2008 ne contenait aucun renseignement hormis la déclaration que le ministre avait reçu une demande [traduction] « d’un détenteur d’un permis de pêche hauturière de poisson de fond qui veut transférer la totalité de son allocation aux entreprises pour le flétan du Groenland dans la division 0B (1 900 t) à deux sociétés étrangères (intérêts qui ne sont pas du Nunavut) ». La lettre demandait les commentaires du CGRFN avant le 21 janvier 2008, soit le jour ouvrable suivant. Le ministre, de toute évidence, ne s’est pas conformé à l’article 15.3.4 d’une manière significative. Le demandeur n’a reçu aucun renseignement sur la réallocation proposée et n’a pas eu suffisamment de temps pour répondre.

[99]     En outre, le ministre n’a pas répondu à la lettre du CGRFN datée du 21 janvier 2008, dans laquelle ce dernier demandait de plus amples renseignements et plus de temps pour répondre. Au contraire, la communication suivante du ministre au CGRFN informait ce dernier que le ministre avait approuvé le transfert des quotas.

[100]      De toute évidence, ces actes ne satisfont pas aux exigences selon lesquelles le ministre doit demander et examiner l’avis du CGRFN.

[101]      La conclusion de la Cour est que le ministre n’a pas manqué à l’obligation que lui impose l’article 15.3.4 de l’ARTN pour les motifs suivants :

1.   le transfert de quotas d’entreprises à l’intérieur de la division 0-B n’a pas eu d’incidence sur la substance et la valeur des droits de récolte et des occasions de récolte des Inuits dans les zones marines de la région du Nunavut. La division 0-B ne fait pas partie de la région du Nunavut et, même si des intérêts du Nunavut avaient été en mesure d’acheter les quotas des entreprises, cela n’aurait pas eu d’incidence sur leurs droits de récolte dans la région du Nunavut;

2.   bien que le ministre affirme avoir consulté le demandeur, les faits révèlent que ce n’était qu’un simulacre de consultation. Cependant, l’article 15.3.4 n’imposait pas au ministre l’obligation de consulter le demandeur en application de l’Accord au sujet de transferts de quotas à l’extérieur de la région du Nunavut.

Si le défendeur avait autorisé une augmentation des quotas aux entreprises dans les régions contiguës à la région du Nunavut, alors l’article 15.3.4 aurait été applicable, parce que cette augmentation aurait eu une incidence sur le nombre de flétans noirs migrateurs qui auraient pu se trouver dans la région du Nunavut.

Question no 4b) : Le ministre a‑t‑il manqué à l’obligation légale prévue à l’article 15.3.7 de l’ARTN?

[102]      Comme je l’ai mentionné précédemment, l’ARTN a été ratifié par le législateur lorsqu’il a édicté la Loi concernant l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. L’article 15.3.7 de l’ARTN est rédigé ainsi :

Le Gouvernement reconnaît l’importance du principe de la contiguïté aux ressources marines des collectivités de la région du Nunavut et du principe de la dépendance économique de ces collectivités à l’égard de ces ressources; il accorde une attention spéciale à ces facteurs lorsqu’il attribue les permis de pêche commerciale dans les zones I et II. On entend par contiguïté le fait qu’une collectivité est contiguë à la zone en question ou qu’elle se trouve à une distance géographique raisonnable de celle‑ci. Ces principes sont appliqués d’une manière propre à favoriser une répartition équitable des permis entre les résidants de la région du Nunavut et les autres résidants du Canada, ainsi que d’une manière compatible avec les obligations intergouvernementales du gouvernement du Canada. [Non souligné dans l’original.]

[103]      L’omission de consulter le demandeur au sujet du transfert des allocations aux entreprises constituait‑ elle un manquement à l’article 15.3.7? Selon cet article, le gouvernement du Canada :

1.   reconnaît l’importance du principe de la contiguïté;

2.   reconnaît l’importance de la dépendance économique des collectivités de la région du Nunavut aux ressources marines;

3.   accorde une « attention spéciale » à ces deux facteurs lorsqu’il attribue les permis de pêche commerciale dans la zone I, c’est-à-dire la zone pertinente en l’espèce;

4.   applique ces principes de manière propre à favoriser une répartition équitable des permis entre les résidants de la région du Nunavut et les autres résidants du Canada.

[104]      En l’espèce, le ministre n’a pas accordé d’attention, encore moins une « attention spéciale », à ces facteurs lorsqu’il a approuvé la réallocation des quotas d’entreprises et n’a pas examiné si la réallocation était une « répartition équitable » des permis entres les Inuits du Nunavut et les entreprises de pêche commerciale voisines du Nunavut.

[105]      La preuve révélant que le ministre a autorisé le transfert le 30 janvier 2008 indépendamment de la note de service envoyée au ministre par la sous‑ ministre le 28 janvier 2008 et indépendamment de la recommandation que le ministre ne prenne aucune décision avant la réunion du 13 février 2008 montre que le ministre n’a pas accordé « d’attention spéciale » ni aucune attention à ces facteurs lorsqu’il a approuvé la réallocation des quotas d’entreprises. En fait, le ministre a fait fi ouvertement des observations du demandeur ainsi que de l’avis de sa propre sous‑ministre à cet égard.

[106]      Bien que l’article 15.3.7 n’énonce pas expressément une obligation de consultation pour le gouvernement, elle impose bel et bien l’obligation d’accorder une « attention spéciale » aux Inuits lors de l’allocation de permis de pêche commerciale de manière à favoriser la répartition équitable des permis entre les Inuits et les autres résidants du Canada. Cet article impose au gouvernement l’obligation d’élaborer une politique visant à :

1.   accorder une « attention spéciale » aux « principes de la contiguïté » et à « la dépendance économique des Inuits à l’égard des ressources marines » lorsqu’il redistribue les permis de pêche commerciale dans les zones I et II;

2.   décrire ce qui constitue une répartition équitable des permis entres les Inuits du Nunavut et les autres résidants du Canada. Cependant, ce dernier point a été fixé dans une politique du Groupe indépendant sur les critères d’accès (GICA) mentionné précédemment.

[107]      Selon le rapport du GICA, daté de mars 2002 :

1.   Le Nunavut ne jouit pas du même niveau d’accès à ses pêches contiguës que les provinces atlantiques;

2.   Le gouvernement doit absolument remédier à cette situation anormale;

3.   Le GICA recommande qu’on n’octroie aucun accès supplémentaire aux eaux contiguës au territoire à des intérêts extérieurs au Nunavut tant que celui‑ci n’aura pas acquis l’accès à la majeure partie de ses ressources halieutiques contiguës.

[108]      Le ministre a déjà accepté cette recommandation et a affirmé :

1.   Les intérêts du Nunavut recevront toutes les augmentations de quota de pêche pour le flétan noir dans les divisions 0-A et 0-B;

2.   La réalisation de cette recommandation n’affectera pas la situation actuelle des autres participants de cette pêche.

[109]      Selon la preuve dont dispose actuellement la Cour, le Nunavut détient 68 % du quota de flétan noir dans les divisions 0-A et 0-B (un quota de 8 500 t de flétan noir sur le total de 12 500 t).

[110]      Est‑ce que 68 % représente une répartition équitable des permis aux intérêts du Nunavut? Selon un groupe de travail du comité fédéral‑provincial sur les pêches mis sur pied en 1995, les pêcheurs des provinces de l’Atlantique [traduction] « reçoivent normalement de 80 à 95 % des allocations ». La question est donc la suivante : lorsqu’une entreprise de pêche commerciale souhaite se départir de son allocation de flétan noir dans la division 0-B, le gouvernement a‑t‑il l’obligation, en application de l’article 15.3.7 de l’Accord, de favoriser le transfert (c’est‑à‑dire la vente) du quota non désiré d’un résidant qui n’est pas du Nunavut à un résidant du Nunavut jusqu’à ce que les pêcheurs du Nunavut reçoivent de 80 à 95 % des allocations dans les eaux contiguës à leur territoire?

[111]      Le ministère des Pêches et des Océans a déjà adopté une politique pour le programme d’allocation de pêche hauturière du poisson de fond, qui s’intitule « Cadre du programme des allocations aux entreprises de pêche hauturière du poisson de fond de l’Atlantique Nord, daté du 17 juin 2004 et modifié le 30 mai 2006 ». Le demandeur a été consulté au sujet de cette politique en 2006 et n’a fait part d’aucune réserve ou objection.

[112]      La politique établit un certain nombre de principes importants :

1.   Les ressources halieutiques sont un bien commun géré pour le bénéfice de tous les Canadiens;

2.   Le ministre des Pêches et des Océans conserve la responsabilité en ce qui concerne la répartition et l’exploitation durable des ressources halieutiques;

3.   Le ministre décidera en quoi consiste la meilleure utilisation de la ressource, et ce, en tenant compte des objectifs en matière de conservation ainsi que des droits des Autochtones et des droits issus de traités protégés par la Constitution canadienne;

4.   Les détenteurs de permis doivent avoir un accès garanti aux ressources;

5.   Les détenteurs de permis de pêche hauturière du poisson de fond disposent depuis de nombreuses années d’un système d’accès et d’allocations et cette allocation du quota canadien fait partie d’une gestion stable et efficace des ressources;

6.   La politique autorise les transferts temporaires et les transferts permanents;

7.   La fluctuation des stocks au fil du temps peut entraîner des diminutions et des accroissements des stocks qui seront partagés de façon proportionnelle selon la part du quota de pêche hauturière que détient chaque entreprise;

8.   La politique autorise les transferts temporaires, lesquels sont des transferts concernant des bateaux de plus de 100 pieds de longueur et concernant uniquement l’année de pêche en question;

9.   Les transferts permanents sont assujettis à l’approbation du ministre des Pêches et des Océans au cas par cas. Un détenteur d’allocations aux entreprise exploitant un ou des bateaux d’une longueur supérieure à 100 pieds peut transférer en permanence des allocations aux entreprises uniquement à quelqu’un qui fait déjà partie de ce secteur de la flottille (bateau de plus de 100 pieds) ou qui se joint à ce secteur en respectant les conditions ci‑après :

         1.  « Un détenteur d’une allocation d’entreprise (AE) peut demander un transfert permanent d’une partie ou de la totalité de son accès/de ses AE accordées par permis à tout exploitant qui fait déjà partie du secteur des bateaux de plus de 100 pieds sans être assujetti à des restrictions ». [Non souligné dans l’original.]

[113]      La Cour estime que les transferts entre entreprises en l’espèce sont conformes à cette politique et la Cour n’annulera pas les décisions du ministre approuvant les transferts conformément à cette politique.

[114]      Cependant, la preuve démontre que cette politique doit être réexaminée pour qu’il soit tenu compte des nouvelles questions soulevées par le demandeur et de l’obligation imposée au ministre par l’article 15.3.7. L’obligation d’accorder une attention spéciale aux intérêts du Nunavut lors de la distribution des permis de pêche commerciale dans la zone I comprend l’obligation de tenir compte des préoccupations soulevées par le demandeur au sujet de ces allocations et d’agir en conséquence. En l’espèce, les réserves soulevées par le demandeur créent l’obligation de consulter le demandeur avant que d’autres transferts (c’est‑à‑dire des ventes) de quotas d’entreprises soient approuvés dans la division 0-B et l’obligation de fournir au demandeur les motifs de la décision du ministre.

[115]      Dans l’arrêt Nunavut Tunngavik Inc., précité, la Cour d’appel fédérale a statué, au paragraphe 49 que l’article 15.3.7 :

[. . .] fait clairement ressortir que les parties [. . .] avaient l’intention d’établir un principe d’équité, et non pas de priorité, dans la répartition des permis de pêche commerciale [. . .]

Cependant, le ministre a adopté une politique selon laquelle les intérêts du Nunavut recevront toutes les augmentations de quota de pêche, sans que la réalisation de cette recommandation touche la situation actuelle des autres participants à cette pêche. Une question demeure sans réponse : lorsqu’une entreprise de pêche commerciale souhaite se départir de son allocation de flétan noir et veut la transférer, le gouvernement a‑t‑il l’obligation de favoriser le transfert du quota non désiré d’un résidant qui n’est pas du Nunavut à un résidant du Nunavut jusqu’à ce que les pêcheurs du Nunavut reçoivent une part équitable des allocations dans les eaux contiguës à leur territoire?

[116]      Puisque les transferts en l’espèce ont été effectués conformément à la politique actuelle du gouvernement et étant donné qu’un changement à cette politique nécessitera du temps et des consultations avec le demandeur, la Cour n’annulera pas les deux transferts en l’espèce. Cependant, les observations du demandeur au ministre en l’espèce ont démontré l’existence de nouvelles questions au sujet des transferts futurs, lesquelles questions doivent être prises en considération par le ministre en application de l’article 15.3.7 avant qu’il n’approuve de futurs transferts de quota d’entreprises.

Les autres questions

[117]      À la lumière de la conclusion qu’a tirée la Cour ci‑dessus, la Cour se penchera brièvement sur les autres questions.

[118]      Puisque la Cour a conclu que l’approbation des transferts par le ministre n’a pas eu d’incidence sur la valeur et la substance des droits des intérêts du Nunavut dans la région du Nunavut, le ministre n’a pas manqué à son obligation de consultation prévue par la common law.

[119]      L’obligation de consultation imposée par l’article 35 [mod. par TR/84-102, art. 2] de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] est semblable à l’obligation du ministre, prévue à l’article 15.3.7, de prendre en considération les nouvelles questions soulevées par le demandeur avant d’approuver d’autres transferts de quota d’entreprises dans la division 0-B. Pour plus de clarté, la Cour note qu’il n’existe aucune obligation constitutionnelle découlant de l’article 15.3.4 parce que les transferts n’ont pas eu d’incidence sur la valeur et la substance des droits des intérêts du Nunavut dans la région du Nunavut.

[120]      En ce qui a trait à l’observation voulant qu’il serait inéquitable d’annuler les transferts parce que les défenderesses Clearwater et Labrador Shrimp Co. pêchent dans ces eaux depuis de nombreuses années et n’ont jamais été avisées que le demandeur s’opposait aux transferts, la Cour a conclu ci‑dessus que ces transferts ne devaient pas être annulés, mais qu’aucun autre transfert de quotas entre entreprises ne devait être approuvé dans la division 0-B jusqu’à ce que le ministre ait examiné les nouvelles questions soulevées par le demandeur.

LES DÉPENS

[121]      Le demandeur a montré que le ministre a fait fi ouvertement de ses réserves et de la recommandation de la sous‑ministre. Bien que le demandeur ait été consulté par erreur en application de l’article 15.3.4, le ministre a l’obligation en application de l’article 15.3.7 d’examiner avec attention ces réserves avant d’approuver les transferts à l’avenir. Pour ce motif, la demande sera accueillie en partie et le ministre sera condamné aux dépens.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.   La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie et le ministre est condamné aux dépens;

2.   Le ministre a l’obligation légale découlant de l’article 15.3.7 de l’Accord de prendre en considération les nouvelles questions soulevées par le demandeur avant d’approuver à l’avenir les transferts de quotas d’entreprises dans la division 0-B.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.