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[2011] 3 R.C.F. 377

IMM-5174-09

2010 CF 662

Rachidi Ekanza Ezokola (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Ezokola c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Mainville—Montréal, 5 mai et 17 juin 2010.

* Note de l’arrêtiste : Ce jugement a été infirmé en appel (2011 CAF 224). Voici la référence de publication des motifs du jugement prononcés le 15 juillet 2011 : [2011] 3 R.C.F. 417.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a exclu le demandeur de l’application de la définition de « réfugié »  au sens de l’art. 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés — Le demandeur était un ancien diplomate de la République démocratique du Congo (RDC) auprès des Nations Unies — Il avait été exclu de la protection de la Convention au motif qu’il s’était fait complice par association de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre — Il s’agissait de savoir si le fait de détenir un poste diplomatique et d’avoir une connaissance des actes de la RDC étaient en soi suffisants pour établir qu’il y avait complicité — L’exclusion de l’art. 1Fa) de la Convention ne s’appliquait pas en l’espèce parce que le lien personnel entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés n’avait pas été établi — Le simple fait de travailler dans la fonction publique d’un État dont le gouvernement commet des crimes contre l’humanité ne suffit donc pas pour établir la complicité, ni la simple connaissance de ces crimes — Les faits reconnus par la Commission ne lui permettaient pas d’imputer une responsabilité personnelle au demandeur à l’égard des crimes reprochés — La preuve retenue par la Commission n’établissait pas un lien entre le poste occupé par le demandeur et l’armée ou la police de la RDC — L’application de la présomption de complicité par association dans un tel contexte factuel était déraisonnable — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a exclu le demandeur de l’application de la définition de « réfugié »  au sens de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Le demandeur était le conseiller économique et deuxième conseiller d’ambassade à la Mission permanente de la République démocratique du Congo (la RDC) auprès des Nations Unies, poste qu’il a occupé jusqu’à quelques jours avant son arrivée au Canada afin d’y faire une demande d’asile avec son épouse et ses huit enfants. Le demandeur affirmait que ses problèmes à la mission permanente ont commencé pendant la campagne électorale pour la présidence de la RDC. Après la tenue des élections, la situation du demandeur à la mission est devenue de plus en plus intolérable et il a finalement décidé de démissionner.

La Commission a conclu que l’épouse du demandeur et leurs enfants sont des réfugiés au sens de la Convention du fait de leur appartenance à la famille du demandeur d’asile (c.-à-d. le demandeur). Cependant, le demandeur a été exclu de la protection de la Convention puisque la Commission a estimé qu’il existait des motifs sérieux de croire que celui-ci s’était fait complice par association de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, et qu’il n’avait donc pas droit à la protection du Canada. Dans sa décision, la Commission n’a fait état d’aucune preuve que le demandeur avait lui-même participé à des crimes contre l’humanité ou à des crimes de guerre, qu’il avait lui-même comploté en vue de commettre de tels crimes, ou qu’il avait lui-même ordonné que de tels crimes soient commis. La décision de la Commission tournait essentiellement autour du fait que le demandeur était fonctionnaire et diplomate de la RDC et que, de ce simple fait, il devenait associé aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis par le gouvernement de la RDC, même s’il n’avait commis aucun crime de ce genre de son propre chef, n’avait jamais été membre d’un parti politique, n’avait jamais fait de service militaire, ni n’avait été membre d’une force policière ou d’un service de renseignements. La Commission a aussi statué que le gouvernement de la RDC n’est pas une organisation aux fins limitées et brutales, mais qu’il a commis des crimes contre l’humanité.

La principale question à trancher était celle de savoir si la Commission a conclu à bon droit que le fait de détenir un poste diplomatique et le fait d’avoir une connaissance personnelle et consciente des actes de ces gouvernements congolais étaient en soi suffisants pour établir qu’il y avait complicité par association avec ces derniers et qu’il y avait participation personnelle et consciente aux crimes commis.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L’exclusion de l’alinéa 1Fa) ne s’appliquait pas en l’espèce. Il doit exister un lien personnel entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés, lien qui n’a pas été établi à l’égard du demandeur. Les notions de responsabilité pénale individuelle et de contrôle effectif sur autrui et l’élément psychologique décrits dans le Statut de Rome de la Cour pénale international peuvent et doivent servir à éclairer ce que la jurisprudence canadienne désigne comme la complicité par association aux fins de l’alinéa 1Fa). La complicité par association doit être comprise comme étant une présomption qui repose sur un ensemble de faits permettant de conclure qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a participé personnellement aux crimes reprochés, y a comploté personnel- lement, ou en a personnellement facilité l’exécution. Le simple fait de travailler dans la fonction publique d’un État dont le gouvernement commet des crimes contre l’humanité ne suffit donc pas, ni la simple connaissance de ces crimes.

Les faits reconnus par la Commission ne lui permettaient pas d’imputer une responsabilité personnelle au demandeur à l’égard des crimes reprochés. Il n’y avait aucun élément de preuve tendant à démontrer une participation personnelle directe ou indirecte du demandeur dans les crimes reprochés, et il y avait absence de toute preuve d’encouragement ou de soutien actif du demandeur à l’égard de ces crimes. La décision d’exclusion reposait plutôt sur la participation du demandeur dans le corps diplomatique de son pays. Cependant, il y avait absence de preuve que le poste occupé par le demandeur lui permettait de participer personnellement aux crimes contre l’humanité commis par les forces de sécurité en RDC, ou de les faciliter personnellement. La preuve retenue par la Commission n’établissait pas un lien entre le poste occupé par le demandeur et l’armée ou la police de la RDC. Il n’y avait aucun élément de preuve permettant de croire que le demandeur exerçait un contrôle quelconque sur les forces de sécurité de la RDC, ou sur l’une quelconque des composantes de ces forces, ou sur l’un quelconque de leurs membres. L’application de la présomption de complicité par association dans un tel contexte factuel était déraisonnable.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, art. 4 à 7.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 35(1)a),b),(2), 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 74d), 96, 97, 98, 112(1),(3)c), 113d), 114(1), ann.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 15b), 16.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. n6, art. 1Fa).

Résolution 827 (1993) du Conseil de sécurité des Nations Unis, adoptée par le Conseil de sécurité à sa 3217e séance, le 25 mai 1993, Doc. NU S/RES/827 (1993).

Résolution 955 (1994) du Conseil de sécurité des Nations Unis, adoptée par le Conseil de sécurité à sa 3453e séance, le 8 novembre 1994, Doc. NU S/RES/955 (1994).

Statut de Rome de la Cour pénale international, 17 juillet 1998, [2002] R.T. Can. n13, art.  25, 28, 30.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Gonzalez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.).

décisions examinées :

Omar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 861; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100; Bouasla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 930; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 3972 (C.A.F.); Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 66 (C.A.); Aden c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 625 (1re inst.); Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1207, [2003] 3 C.F. 192; R (on the application of JS) (Sri Lanka) v. Secretary of State for the Home Department, [2010] UKSC 15; Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761.

décisions citées :

Nagamany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1554; Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.); Collins c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 732.

DOCTRINE CITÉE

Baudouin, Jean-Louis et Patrice Deslauriers. La responsabilité civile, 7e éd. Cowansville, Qué. : Éditions Y. Blais, 2007.

Linden, Allen M. et Bruce Feldthusen. Canadian Tort Law, 8e éd. Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2006.

Nations Unies. Haut-Commissariat pour les réfugiés. Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003, en ligne : <http://www.unhcr.org/refworld/docid/4110d7334.html>.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision (2009 CanLII 89027) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a exclu le demandeur de l’application de la définition de « réfugié »  au sens de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Annick Legault pour le demandeur.

Daniel Latulippe pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Annick Legault, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

[1] Le juge Mainville : La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application des articles 72 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194] et suivants de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), par M. Rachidi Ekanza Ezokola (le demandeur), concernant une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal), portant le numéro MA8-00814 et datée du 25 septembre 2009 [X (Re), 2009 CanLII 89027], mais dont les motifs sont datés du 23 septembre 2009. Le demandeur, un ancien diplomate de la République démocratique du Congo (la RDC) auprès des Nations Unies, fut exclu par le tribunal de l’application de la définition de « réfugié »  aux termes des dispositions de l’alinéa a) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (l’alinéa 1Fa)).

[2] La décision du tribunal se fonde essentiellement sur la complicité par association du demandeur aux crimes commis par les forces de sécurité des divers gouvernements de la RDC, vu le poste qu’il occupait dans la fonction publique de son pays.

[3] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie pour les motifs qui suivent.

[4] En résumé, le simple fait d’être fonctionnaire d’un État dont le gouvernement commet des crimes contre l’humanité ne suffit pas pour prononcer l’exclusion sous l’alinéa 1Fa), pas plus que ne suffit la simple connaissance de ces crimes. Il doit y avoir un lien entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés. Ce lien peut être établi par présomption si le demandeur d’asile occupait un poste hiérarchique élevé dans la fonction publique, dans la mesure où il y a des raisons sérieuses de penser que le poste en question permettait au demandeur d’asile d’exécuter, d’encourager ou de dissimuler ces crimes, ou permettait au demandeur d’asile de concourir ou de collaborer à ces crimes.

[5] Le contexte

[6] Le demandeur était le conseiller économique et deuxième conseiller d’ambassade à la Mission permanente de la RDC auprès des Nations Unies depuis le 1er décembre 2004, et il a occupé ce poste jusqu’à quelques jours avant son arrivée au Canada le 17 janvier 2008 afin d’y faire une demande d’asile avec son épouse et ses huit enfants.

[7] Le demandeur est né en RDC le 26 mai 1966. Il appartient de par sa mère à l’ethnie bangala de la province de l’Équateur, tandis que son père est du Bandundu. Il a fait l’ensemble de ses études universitaires en RDC pour finalement recevoir une licence en sciences économiques de l’Université de Kinshasa en 1994.

[8] Après un bref séjour dans le secteur privé, ponctué de périodes de chômage et de sous-emploi, il a été embauché comme attaché financier au ministère des Finances et affecté au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale de la RDC à Kinshasa en janvier 1999; il y a travaillé quelques mois. En juillet 1999, il a été affecté au ministère des Droits humains, toujours à Kinshasa, à titre d’attaché financier, puis de conseiller financier, jusqu’en novembre 2000. Le demandeur a alors été muté au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la RDC à titre de conseiller financier auprès du cabinet du ministre.

[9] Lors d’un remaniement ministériel, le cabinet ministériel où il travaillait a été dissous. Le demandeur a alors été intégré en juin 2003 à l’administration des affaires étrangères, mais il n’occupait pas vraiment de poste, étant en congé de maladie. En juillet 2004, il a été nommé membre de la mission diplomatique de la RDC auprès des Nations Unies, à New York. Cette mission diplomatique est l’une des plus importantes pour la RDC. Le demandeur a alors agi comme délégué à diverses commissions des Nations Unies. Il a d’ailleurs fait une allocution au Conseil de sécurité. Il a aussi participé à certaines réunions diplomatiques en Éthiopie et au Bénin afin d’y représenter la RDC.

[10] L’ascension du demandeur au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale de la RDC s’explique par la création, le 30 juin 2003, d’un gouvernement de transition suivant le dialogue intercongolais tenu à Sun City, en Afrique du Sud. Ce gouvernement de transition était composé de membres de divers partis politiques antagonistes, et il était chargé de gérer une transition de trois années menant à des élections. Le président était Joseph Kabila, tandis que les dirigeants des autres partis se partageaient quatre postes de vice-présidents.

[11] Lors du partage des postes ministériels, le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération inter- nationale fut confié au Mouvement de libération du Congo (MLC) de M. Jean-Pierre Bemba, qui était alors l’un des vice-présidents du gouvernement de transition. Celui-ci a désigné Antoine Ghonda comme ministre pour le compte de son parti. Selon le demandeur, c’est ce ministre qui signa son ordre de mutation comme diplomate auprès des Nations Unies après avoir examiné son dossier et après s’être assuré de ses convictions politiques.

[12] Le demandeur soutient que ses problèmes à la mission permanente de la RDC auprès des Nations Unies ont commencé lors de la campagne électorale pour la présidence de la RDC à la suite du dialogue intercongolais de Sun City. L’ambassadeur de la mission était lié au parti du président Kabila, qui était candidat, tandis que le demandeur souhaitait un changement de président. Notons que le candidat de l’opposition à cette élection était M. Jean-Pierre Bemba.

[13] Après la victoire électorale contestée du président Kabila en novembre 2006, M. Jean-Pierre Bemba fut contraint de démissionner du gouvernement. Les 22 et 23 mars 2007, à Kinshasa, la garde présidentielle et certains éléments des forces armées ont affronté la garde de l’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba, alors devenu sénateur. Ces affrontements ont fait plusieurs victimes et ont conduit au départ du gouvernement de plusieurs Bangalais et de personnes originaires de la province de l’Équateur, ainsi qu’au départ en exil forcé de M. Jean-Pierre Bemba. Ce dernier fait actuellement l’objet de poursuites pénales internationales; il est accusé de participation à des crimes contre l’humanité en raison des exactions des milices armées de son parti en RDC.

[14] Selon le demandeur, à compter d’août 2007, un climat d’hostilité s’est installé à son égard dans la mission de la RDC auprès des Nations Unies. Son nom est alors omis de l’ordre de mission du nouveau ministre, on lui remet des instructions l’intimant de ne pas faire d’interventions pour la RDC à la commission des Nations Unies où il siège à titre de délégué, et on lui refuse l’accès à des réunions internes. Son appartenance, de par sa mère, à l’ethnie bangala de la province de l’Équateur le rend suspect aux yeux des partisans du président Kabila, vu les liens entre cette ethnie et M. Jean-Pierre Bemba.

[15] En septembre 2007, le demandeur a reçu la visite de deux agents de renseignements de la RDC, qui l’ont questionné sur la présence de M. Jean-Pierre Bemba à New York. Ces agents soupçonnaient le demandeur d’entretenir des relations avec M. Jean-Pierre Bemba. Ils ont menacé le demandeur en lui déclarant : « Nous t’éliminerons, d’ailleurs ceux qui t’ont envoyé ici ne sont plus au pouvoir »  (dossier du demandeur, page 58). Le demandeur fut par la suite pris en filature par des agents de renseignements de la RDC.

[16] La situation du demandeur à la mission est devenue de plus en plus intolérable et, le 4 janvier 2008, elle a mené à une chaude discussion entre celui-ci et l’ambassadeur sur l’organisation de la conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.

[17] Le demandeur a finalement décidé de démissionner. Il a signé une lettre de démission datée du 11 janvier 2008, mais ne l’a postée que le 16 janvier 2008. Il a alors pris la fuite avec sa famille en automobile vers le Canada. Le demandeur attribue cette démission à son refus de servir le gouvernement corrompu, anti-démocratique et violent du président Kabila. Il allègue que sa démission est considérée comme un acte de trahison. Vu les menaces dont il fut l’objet et les méthodes du système congolais, il est convaincu que s’il retournait en RDC, lui et sa famille seront arrêtés et soumis à un traitement inhumain et dégradant, torturés et assassinés.

La décision du tribunal

[18] La demande d’asile concerne à la fois le demandeur, son épouse et leurs huit enfants. Les demandes de l’épouse et des enfants sont largement tributaires de celle du demandeur.

[19] Après trois jours d’audition et un long délibéré, le tribunal a conclu que l’épouse du demandeur et leurs enfants (sauf un des enfants, né à New York et citoyen américain) sont des réfugiés au sens de la Convention en raison de leur appartenance à la famille du demandeur. Le tribunal a donc accepté leurs demandes d’asile.

[20] Par contre, le demandeur a été exclu de la protection de la Convention, puisque le tribunal a estimé qu’il existait des motifs sérieux de croire que celui-ci s’était fait complice par association de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, et qu’il n’avait donc pas droit à la protection du Canada en vertu de l’alinéa 1Fa).

[21] Dans sa longue décision, le tribunal n’a fait état d’aucune preuve que le demandeur eût lui-même participé à des crimes contre l’humanité ou à des crimes de guerre, ni qu’il eût lui-même comploté en vue de commettre de tels crimes, ni qu’il eût lui-même ordonné que de tels crimes soient commis. La décision du tribunal tourne essentiellement autour du fait que le demandeur était fonctionnaire et diplomate de la RDC et que, de ce simple fait, il devenait associé aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis par le gouvernement de la RDC, même s’il n’a commis aucun crime de ce genre de son propre chef. Notons que le demandeur n’a jamais été membre d’un parti politique et n’a jamais fait de service militaire, ni a-t-il été membre d’une force policière ou d’un service de renseignements.

[22] Le tribunal a identifié deux questions à trancher, à savoir a) si le gouvernement de la RDC a commis des crimes contre l’humanité, b) si le demandeur est complice des actes commis par le gouvernement de la RDC.

[23] Le tribunal a conclu sans hésitation que les nombreuses exactions du gouvernement de la RDC, tant avant qu’après les élections de 2006, tombent sous le coup de la définition de crimes contre l’humanité. Le tribunal s’est appuyé sur l’abondante preuve documentaire au dossier pour tirer cette conclusion à l’égard de tous les gouvernements de la RDC qui se sont succédé au cours des dernières années, que ce soit celui de Kabila père ou de Kabila fils ou le gouvernement dit de transition qui précéda l’élection de 2006.

[24] Les récits et rapports des massacres, assassinats et autres tueries, mutilations, viols, rapts, enlèvements, tortures, arrestations arbitraires, exécutions extrajudiciaires, humiliations, saccages, déplacements de personnes et autres violations des droits de la personne par les diverses forces armées au service de la RDC et par les diverses forces rebelles en présence sont nombreux et concordants pour l’ensemble de la période visée par ce dossier, et proviennent tous de sources fiables. La lecture de ces récits et rapports est d’ailleurs un exercice déprimant, qui laisse le lecteur perplexe quant à la nature profonde de l’âme humaine face à tant de cruauté inutile et sauvage.

[25] Quoique le tribunal ait constaté que le gouvernement de la RDC n’est pas une organisation ayant des fins limitées et brutales, il a conclu qu’il n’y a aucun doute que les divers gouvernements qui se sont succédé ont commis des crimes sérieux et des actes inhumains contre la population civile, et ce, de manière systématique et généralisée.

[26] La seconde question, qui porte sur la complicité du demandeur dans les actes commis par ces divers gouvernements, est plus complexe.

[27] Le tribunal s’est appuyé sur diverses décisions de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale pour conclure que la complicité s’établit par la connaissance des actes accomplis et par l’absence de mesures prises pour les empêcher ou pour s’en dissocier. Le tribunal a noté que la connaissance peut s’inférer du rang occupé au sein de l’organisation.

[28] Appliquant ces principes au cas du demandeur, le tribunal a conclu que la connaissance du demandeur des actes répréhensibles des divers gouvernements qui se sont succédé en RDC était établie par la carrière fulgurante de celui-ci, ce qui démontre la confiance que le gouvernement avait en lui, et par le poste de très haut niveau qu’il occupait comme représentant diplomatique de la RDC aux Nations Unies.

[29] Quoique le demandeur eût tenté de minimiser son rôle à celui d’un simple comptable et eût nié sa connaissance des atrocités commises, le tribunal a mis en doute sa crédibilité à ces égards et a estimé qu’il tentait simplement d’établir un aveuglement volontaire pour essayer de justifier sa méconnaissance totalement invraisemblable des violations systématiques des droits de la personne qui ont secoué son pays. Le tribunal a estimé qu’il n’était pas plausible que le demandeur ne savait pas ce qui se passait en RDC, puisqu’il était un représentant de son pays auprès des Nations Unies.

[30] Le tribunal a ajouté, au paragraphe 67 de sa décision, que « la carrière fulgurante du demandeur principal et son poste stratégique à la [Mission permanente] de [la RDC à New York] au point où sa démission est considérée comme un acte de trahison sont la preuve d’une vision commune dans l’accomplissement des objectifs de son gouvernement »  [note de bas de page omise]. Le tribunal s’est d’ailleurs appuyé sur la décision Omar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 861 (Omar), pour conclure que l’ambassadeur d’un pays peut être jugé complice par association des crimes commis par le gouvernement du pays qu’il représente en raison de son association étroite avec le gouvernement qui l’a nommé à ce poste de confiance.

[31] Le tribunal a donc conclu comme suit au sujet de la complicité du demandeur, au paragraphe 71 de sa décision :

Ainsi, il est raisonnable de conclure que le demandeur principal avait une « connaissance personnelle et consciente » des agissements du gouvernement congolais, ce qui est « l’élément requis pour qu’il y ait complicité » .

[32] Quant à l’élément de la dissociation, le tribunal a conclu que le demandeur n’aurait subi aucunes représailles s’il avait démissionné de son poste avant que ses problèmes personnels ne débutent lors des élections de 2006. Le tribunal a reproché au demandeur de ne pas avoir profité de l’occasion qui lui était offerte, lorsqu’il a pris la parole au Conseil de sécurité des Nations Unies en juin 2007, pour dénoncer les exactions en RDC. Le tribunal a noté que ce n’est que lorsque sa sécurité personnelle a été mise en péril que le demandeur a démis- sionné. Le tribunal en a donc tiré la conclusion suivante, au paragraphe 75 de sa décision :

Par conséquent, le tribunal estime qu’il y a « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur principal a participé personnellement et sciemment aux crimes commis par le gouvernement de la RDC du fait qu’il s’est fait complice par association de crimes graves contre l’humanité. Bien qu’il soit manifeste que le demandeur principal n’ait pas personnellement commis des exactions contre des civils, d’importantes fonctions et responsabilités permettaient de perpétuer la pérennité du gouvernement congolais et il n’a rien fait pour s’en dissocier. [Note de bas de page omise.]

[33] Le tribunal a donc exclu le demandeur en vertu de l’alinéa 1Fa).

La position du demandeur

[34] Le demandeur note qu’au paragraphe 43 de sa décision, le tribunal a reconnu que le gouvernement de la RDC n’est pas une organisation ayant des fins limitées et brutales.

[35] Après une telle conclusion, le tribunal ne peut légalement conclure que la simple association ou adhésion à la fonction publique de la RDC justifie en soi une exclusion en vertu de l’alinéa 1Fa) pour complicité.

[36] Puisque le gouvernement de la RDC n’a pas des fins limitées et brutales, on ne peut pas faire un lien systématique entre le travail dans la fonction publique de ce gouvernement et les exactions de certains acteurs de ce gouvernement. Cela est d’autant plus vrai que ce gouvernement n’est pas « banni » par les instances internationales.

[37] En conséquence, l’unique fait de travailler au sein du corps diplomatique du gouvernement et d’assister un ambassadeur auprès des Nations Unies ne peut permettre d’inférer que le demandeur a participé, par complicité ou association, à la perpétration de crimes contre l’humanité en RDC.

[38] Le tribunal a donc erré en droit en concluant que la simple connaissance personnelle et consciente des actes du gouvernement suffisait pour qu’il y ait preuve de complicité de crimes contre la paix, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Le tribunal devait plutôt délimiter l’intention commune au sein du gouvernement ainsi que la mens rea du demandeur.

[39] La preuve révèle pourtant que les crimes commis ne résultent pas d’une concertation gouvernementale, mais plutôt de divers éléments autonomes et peu maîtrisables agissant dans une situation politique et militaire confuse et chaotique, d’autant plus que le gouvernement de coalition résultant des accords de Sun City comprenait plusieurs factions divergentes et opposées. Tirer la conclusion qu’il y avait une « intention commune »  au sein d’un tel gouvernement relève de l’absurde.

[40] De plus, le demandeur a dénoncé publiquement les violations des droits de la personne pendant les conflits armés, et ce, tant devant le Conseil économique et social des Nations Unies que devant le Conseil de sécurité. Le tribunal n’a pas tenu compte de ces allocutions, de même que de l’abondante preuve documentaire qui démontre la grande confusion qui règne en RDC et l’absence d’intention commune de la part des divers acteurs de l’État en RDC. Cela justifie en soi l’intervention de cette Cour.

[41] Le tribunal n’a établi aucun lien entre le demandeur et des crimes précis. Le tribunal n’a donc pas identifié les crimes pour lesquels la complicité du demandeur serait établie. Cette approche du tribunal est contraire aux enseignements de cette Cour. En bref, le demandeur soutient qu’il n’a pas personnellement participé à un quelconque crime contre l’humanité, et qu’il est déraisonnable de lui attribuer une telle participation au seul motif qu’il occupait un poste au sein de la fonction publique de son pays.

La position du défendeur

[42] Le défendeur note qu’il n’est pas contesté que les divers gouvernements de la RDC ont commis des crimes contre l’humanité. Il ne s’agit donc pas d’une question en litige. La question qui se pose donc en l’instance est celle de savoir si le tribunal a erré en concluant que le demandeur était complice de ces crimes.

[43] Il ressort de la jurisprudence qu’une personne est complice de crimes contre l’humanité si elle a connaissance des exactions, si elle partage une intention commune avec l’organisation qui commet les crimes et si elle ne fait rien pour s’en dissocier.

[44] Le défendeur note que le gouvernement de la RDC a commis des crimes contre l’humanité, que le demandeur s’est joint volontairement à la fonction publique de la RDC, que celui-ci occupait un rang important à titre de diplomate auprès des Nations Unies, qu’il ne pouvait ignorer les exactions du gouvernement en RDC, que le demandeur a travaillé pour la RDC pendant près de neuf années et qu’il n’a jamais cherché à quitter volontairement ce gouvernement ou à s’en dissocier.

[45] Tenant compte de tous ces éléments, le tribunal a conclu que le demandeur s’était associé au gouvernement de la RDC dans une intention commune, et qu’il était donc complice par association de ce gouvernement.

[46] Le défendeur soulève une ressemblance entre le cas du demandeur et la décision Omar, précitée. Dans cette décision, la Section de la protection des réfugiés avait conclu que M. Omar s’était rendu complice de crimes contre l’humanité en raison de ses fonctions au ministère des Affaires étrangères de la République de Djibouti, notamment à titre d’ambassadeur de Djibouti en France.

Le cadre législatif

[47] La principale disposition législative en cause est la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies reproduite à l’annexe de la Loi :

   F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

[48] Cette disposition mérite d’être examinée à la lumière de l’article 96, du paragraphe 97(1), de l’article 98, du paragraphe 112(1) et de l’alinéa 112(3)c) de la Loi, reproduits ci-dessous :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Définition de
« réfugié »

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

Personne à protéger

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[…]

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

[…]

Demande de protection

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

[…]

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

Restriction

Les questions pertinentes

[49] Compte tenu de la norme de contrôle applicable discutée ci-dessous, il n’y a pas lieu de remettre en question les conclusions de fait du tribunal à moins qu’elles soient déraisonnables.

[50] Aux fins de la révision judiciaire, je tiens pour établies les conclusions du tribunal que les divers gouvernements qui se sont succédé en RDC n’étaient pas des organisations aux fins limitées et brutales, mais qu’ils ont néanmoins tous commis des crimes contre l’humanité, que le demandeur avait une connaissance personnelle des actes criminels de ces gouvernements, et qu’il avait fait peu pour dénoncer ces gouvernements ou s’en dissocier tant que sa situation personnelle n’a pas été mise en cause.

[51] En l’occurrence, la question qui se pose est si le fait de détenir un poste diplomatique et le fait d’avoir une connaissance personnelle et consciente des actes de ces gouvernements congolais sont en soi suffisants pour établir qu’il y a complicité par association avec ces derniers et qu’il y a participation personnelle et consciente aux crimes commis. C’est en effet la conclusion du tribunal aux paragraphes 71 et 75 de sa décision.

[52] Le tribunal a confirmé que le demandeur n’a pas lui-même participé à des crimes contre l’humanité ou à des crimes de guerre, ni comploté en vue de commettre des crimes de ce genre ou ordonné qu’ils soient commis. L’ensemble de la décision du tribunal tourne autour du fait que le demandeur agissait à titre de fonctionnaire et de diplomate de la RDC, et qu’il était donc associé aux crimes contre l’humanité et aux crimes de guerre commis par les gouvernements successifs de la RDC, même s’il n’a commis aucun crime de ce genre de son propre chef et même s’il n’a jamais été membre d’un parti politique, ni fait de service militaire, ni été membre d’une force policière ou d’un service de renseignements.

[53] La question fondamentale qui se pose donc en l’occurrence est celle de la portée de la complicité par association à l’égard de crimes contre l’humanité. Il s’agit là d’une question de droit. Une fois établi le cadre juridique de la complicité par association, il faut appliquer les faits à ce cadre.

La norme de contrôle

[54] Comme le notait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 54, 57 et 62, la première étape afin de déterminer la norme de contrôle applicable est de vérifier si la jurisprudence a déjà établi de façon satisfaisante la norme applicable à la question en litige.

[55] Or, plusieurs décisions de la Cour d’appel fédérale et de cette Cour permettent d’établir ainsi cette norme. Dans l’arrêt Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39 (Harb), le juge Décary notait ce qui suit au paragraphe 14 :

   Ces conclusions, dans la mesure où elles sont factuelles, ne peuvent être révisées que si elles sont erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Section du statut disposait […] Ces conclusions, dans la mesure où elles appliquent le droit aux faits de la cause, ne peuvent être révisées que si elles sont déraisonnables. Ces conclusions, dans la mesure où elles interprètent le sens de la clause d’exclusion, peuvent être révisées si elles sont erronées.

[56] De même, dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100 (Mugesera), au paragraphe 38, la Cour suprême du Canada affirme sans ambiguïté que le tribunal de révision doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions de fait du tribunal.

[57] Par contre, au paragraphe 59 de l’arrêt Mugesera, la Cour suprême du Canada ajoute que les questions de droit seront soumises à la norme de contrôle de la décision correcte, ce qui comprend les éléments constitutifs d’un crime contre l’humanité. Cette approche s’étend non seulement à la norme de contrôle applicable mais aussi à l’application de la norme de preuve. Comme le signale la Cour suprême du Canada au paragraphe 116 de l’arrêt Mugesera :

   Pour l’application de la norme des « motifs raisonnables [de penser] » , il importe de distinguer entre la preuve d’une question de fait et le règlement d’une question de droit. En effet, cette norme de preuve ne s’applique qu’aux questions de fait : Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), p. 311. Dans la présente affaire, elle s’applique pour décider si M. Mugesera a prononcé le discours en cause et pour établir le contenu du message communiqué par celui-ci et son contexte. Par contre, lorsqu’il s’agit de décider si ces faits satisfont aux exigences d’un crime contre l’humanité, la question devient une question de droit. Le règlement d’une question de droit n’est pas assujetti à la norme des « motifs raisonnables [de penser] » , car l’existence de simples motifs raisonnables de penser que le discours pourrait être considéré comme un crime contre l’humanité ne suffit pas pour satisfaire au critère juridique applicable à la perpétration d’un tel crime. Les faits établis selon la norme des « motifs raisonnables [de penser] »  doivent prouver que le discours constituait un crime contre l’humanité.

[58] La complicité aux fins de l’alinéa 1Fa) est un concept juridique qui doit être établi et révisé selon la norme de la décision correcte. Le tribunal ne peut pas mal apprécier ou modifier la notion de complicité telle qu’établie par le droit : Bouasla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 930 (Bouasla), au paragraphe 132; Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.) (Moreno), au paragraphe 27; et Nagamany c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1554 (Nagamany), au paragraphe 20.

[59] C’est donc en tenant compte de ces considérations quant à la norme de contrôle applicable que l’analyse requise doit s’effectuer.

Analyse

Le cadre juridique

[60] Le concept de la complicité à l’égard des crimes contre l’humanité comporte deux volets dans la jurisprudence canadienne : la complicité au sens traditionnel du droit pénal canadien, et la complicité par association. Ici, seule la complicité par association est en cause. S’agit-il vraiment d’une modalité particulière de la complicité, et quels sont les éléments requis pour établir la complicité par association? Voilà les questions qui doivent être traitées.

[61] Les décisions clés à l’égard de la complicité par association aux crimes contre l’humanité sont Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.) (Ramirez); Moreno, précité; et Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.) (Sivakumar).

[62] Dans l’arrêt Ramirez, le juge MacGuigan a établi d’emblée le principe qu’une personne ne peut avoir commis ce type de crime par complicité « sans qu’il n’y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente »  (à la page 317). Le juge MacGuigan distingue alors les organisations aux fins limitées et brutales pour lesquelles la simple appartenance à ces organisations suffit pour établir la participation personnelle et consciente.

[63] Cependant, dans l’arrêt Ramirez, le juge MacGuigan ne se prononce pas clairement sur les principes de la complicité par association applicables lors de la participation à une organisation qui ne rencontre pas la définition des fins limitées et brutales. Le juge MacGuigan renvoie plutôt aux concepts de la complicité analogues à ceux du droit pénal, à être tranchés en fonction des faits particuliers en cause, tout en ayant à l’esprit qu’il ne faut pas dépasser le critère susmentionné de la participation personnelle et consciente aux actes de persécution (à la page 320 de l’arrêt Ramirez). La notion de complicité par association dans une organisation qui n’a pas des fins limitées et brutales n’est donc pas directement abordée dans l’arrêt Ramirez.

[64] Par contre, dans l’arrêt Moreno, le juge Robertson aborde directement la question en soulignant au départ qu’il « est bien établi que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d’invoquer la disposition d’exclusion »  (à la page 321). Le juge Robertson confirme aussi les propos tenus dans l’arrêt Ramirez voulant que pour conclure à la complicité, il faut établir une participation personnelle et consciente aux actes de persécution, ce qui implique que la mens rea est un élément essentiel du crime par complicité (à la page 323). Ainsi, les actes ou omissions qui équivalent à un acquiescement passif ne permettent pas d’invoquer la disposition d’exclusion; il faut une participation personnelle aux actes reprochés.

[65] Dans l’arrêt Sivakumar, la Cour d’appel fédérale devait décider si la responsabilité des crimes contre l’humanité qu’aurait commis l’organisation des Tigres de libération de l’Îlam tamoul s’étendait par complicité au demandeur dans ce dossier, qui était un membre dirigeant de cette organisation, mais n’avait pas participé personnellement aux crimes. En décidant que le demandeur était complice de ces crimes, le juge Linden a abordé certains critères afin d’établir la complicité par association aux crimes contre l’humanité (aux pages 439 à 442) :

   Un autre type de complicité qui présente un intérêt particulier pour l’affaire en instance est la complicité par association, laquelle s’entend du fait qu’un individu peut être tenu responsable d’actes commis par d’autres, et ce en raison de son association étroite avec les auteurs principaux. Il ne s’agit pas simplement du cas de l’individu « jugé à travers ses fréquentations » , ni non plus du cas de l’individu responsable de crimes internationaux du seul fait qu’il appartient à l’organisation qui les a commis (Voir Ramirez, à la page 317). Ni l’un ni l’autre de ces cas ne constitue en soi un élément de responsabilité, à moins que cette organisation n’ait pour but de commettre des crimes internationaux. Il y a cependant lieu de noter, comme l’a fait observer le juge MacGuigan, que : « un associé des auteurs principaux ne pourrait jamais, à mon avis, être qualifié de simple spectateur. Les membres d’un groupe peuvent à bon droit être considérés comme des participants personnels et conscients, suivant les faits »  (Ramirez, supra, aux pages 317 et 318).

   À mon avis, la complicité d’un individu dans des crimes internationaux est d’autant plus probable qu’il occupe des fonctions importantes dans l’organisation qui les a commis. Tout en gardant à l’esprit que chaque cas d’espèce doit être jugé à la lumière des faits qui le caractérisent, on peut dire que plus l’intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l’organisation, plus il est vraisemblable qu’il était au courant du crime commis et partageait le but poursuivi par l’organisation dans la perpétration de ce crime. En conséquence, peut être jugé complice celui qui demeure à un poste de direction de l’organisation tout en sachant que celle-ci a été responsable de crimes contre l’humanité. Dans Crimes Against Humanity in International Criminal Law (1992), M. Cherif Bassiouni a fait cette observation, à la page 345 :

[traduction] Ainsi donc, plus la personne participe de près à la prise de décisions et moins elle cherche à combattre ou à prévenir la décision prise, ou à s’en dissocier, plus il est vraisemblable que sa responsabilité pénale est en cause.

   Il faut noter qu’en droit d’immigration, si l’État tolère les actes de persécution par la population locale, c’est lui qui en est directement responsable (voir par exemple le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, à la page 17). De même, si les dirigeants tolèrent sciemment des agissements criminels de la part d’une organisation paramilitaire ou révolutionnaire non officielle, ils peuvent également en être tenus responsables. La complicité du fait de l’occupation d’une position de dirigeant d’une organisation responsable de crimes internationaux s’apparente à la théorie de la responsabilité du fait d’autrui en matière de délits civils, mais cette analogie n’est pas tout à fait juste, puisqu’il est indiscutable que dans le contexte des crimes internationaux, l’accusé doit avoir été au courant des actes constitutifs de ces crimes.

   En bref, l’association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l’intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. La simple appartenance à un groupe responsable de crimes internationaux ne suffit pas, à moins que cette organisation ne poursuive des « fins limitées et brutales »  (Ramirez, supra, à la page 317). D’autre part, plus l’intéressé occupe les échelons de direction ou de commandement au sein de l’organisation, plus on peut conclure qu’il était au courant des crimes et a participé au plan élaboré pour les commettre.

[66] Dans l’arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1996 CanLII 3972 (C.A.F.), le juge Décary précisait que c’est le fait de contribuer aux activités du groupe plutôt que l’appartenance au groupe qui permet d’établir la complicité par association :

   Il va de soi, nous semble-t-il, qu’une « participation personnelle et consciente »  puisse être directe ou indirecte et qu’elle ne requière pas l’appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s’adonne aux activités condamnées. Ce n’est pas tant le fait d’œuvrer au sein d’un groupe qui rend quelqu’un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l’intérieur ou de l’extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n’est nul besoin d’être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318, « dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont » . Celui qui met sa propre roue dans l’engrenage d’une opération qui n’est pas la sienne mais dont il sait qu’elle mènera vraisemblablement à la commission d’un crime international, s’expose à l’application de la clause d’exclusion au même titre que celui qui participe directement à l’opération.

[67] Dans l’arrêt Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 66 (C.A.), le juge Létourneau est venu préciser que la preuve de la complicité par association dans les crimes contre l’humanité n’exige pas une preuve qu’un demandeur soit lié à des crimes précis en tant que leur auteur réel (au paragraphe 31). Cette précision fut d’ailleurs confirmée par le juge Décary dans l’arrêt Harb, précité, au paragraphe 11 :

Ce n’est pas la nature des crimes reprochés à l’appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s’être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l’humanité et que l’appelant rencontre les exigences d’appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence [...], l’exclusion s’applique quand bien même les gestes concrets posés par l’appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l’humanité. Bref, si l’organisation persécute la population civile, ce n’est pas parce que l’appelant lui-même n’aurait persécuté que la population militaire qu’il échappe à l’exclusion, s’il est par ailleurs complice par association.

[68] Ces principes ont été appliqués à de nombreuses reprises par notre Cour, notamment dans les décisions Penate c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.), et Collins c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 732.

[69] La question qui se pose donc en l’instance est celle de savoir si le fait que le demandeur occupait un poste de haut fonctionnaire d’un gouvernement qui commet des crimes contre l’humanité, joint au fait que le demandeur avait connaissance de ces crimes sans les dénoncer, suffit pour établir une complicité par association lorsqu’il n’y a aucune preuve de participation directe ou indirecte du demandeur d’asile dans ces crimes, ni d’encouragement ou de soutien actif de ces crimes, ni de participation aux services de répression tels la police, l’armée ou les services de renseignements.

[70] À la lumière de la jurisprudence ci-dessus et des motifs supplémentaires ci-dessous, je suis d’avis que l’exclusion de l’alinéa 1Fa) ne s’applique pas dans de telles circonstances. Il doit en effet exister un lien personnel entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés, lien qui n’a pas été établi à l’égard du demandeur.

[71] D’ailleurs, c’est la conclusion à laquelle le juge Gibson est arrivé dans la décision Aden c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 625 (1re inst.) (Aden). Dans cette cause, le demandeur s’était joint à l’armée somalienne et y avait fait une carrière entièrement consacrée à l’administration. Il fut promu à un grade supérieur d’officier et nommé directeur des finances et conseiller financier principal du ministre de la Défense. Après que la guerre eut éclaté entre la Somalie et l’Éthiopie en 1988, il est devenu le porte-parole de l’armée et du ministère de la Défense lors des relations avec les attachés militaires et le personnel diplomatique en Somalie. Il était conscient des atrocités et des violations des droits de la personne qui étaient commises par l’armée, mais il a continué à communiquer le message du gouvernement, qui consistait à nier les abus, en sachant qu’il mentait ainsi à la communauté internationale.

[72] En accueillant la demande de révision judiciaire de la décision du tribunal ayant exclu le demandeur au motif de complicité par association à des crimes contre l’humanité, le juge Gibson a confirmé l’importance d’établir une implication personnelle dans les crimes reprochés avant de conclure à l’application de l’exclusion. Il s’est d’ailleurs exprimé comme suit (Aden, aux pages 633 et 634, je souligne) :

   Si j’ai reproduit un si long passage de la décision de la SSR, c’est que, très humblement, j’ai conclu qu’en se fondant sur les faits et l’analyse énoncés ci-dessus pour conclure que le requérant tombe sous le coup de l’exclusion de la définition de « réfugié au sens de la Convention »  parce qu’elle a des raisons sérieuses de penser qu’il a commis des crimes contre l’humanité ou des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, ou qu’il y a consciemment participé, la SSR a commis une erreur dans l’application de la conclusion énoncée dans l’arrêt Ramirez, commettant ainsi une erreur de droit.

   La question qu’appelle l’arrêt Ramirez est de savoir si, compte tenu des faits de l’espèce, le requérant a personnellement et consciemment participé à des actes de persécution. À titre de directeur des Finances et de conseiller financier principal auprès du ministre des Finances et à titre de directeur des relations étrangères et du Bureau de la coopération militaire, il était à toutes les époques concernées loin des lieux où les actes de persécution ont été commis et, selon son propre témoignage, que la SSR a jugé crédible, loin des conseils de guerre au cours desquels les décisions relatives aux actes de persécution ont été prises. Il appert que, sans danger pour lui-même ou pour sa famille, il aurait pu démissionner de son poste, quitter l’armée et le gouvernement ou fuir le pays pour un motif autre que la poursuite de ses études. Il aurait pu s’exprimer publiquement, au risque toutefois de se mettre lui-même en péril. Le juge MacGuigan souligne dans l’arrêt Ramirez [à la page 320] que « [l]a loi n’a pas habituellement pour effet d’ériger l’héroïsme en norme » .

   J’ai conclu, après avoir lu la transcription complète du témoignage du requérant devant la SSR, que ses actes ne révèlent aucune participation personnelle et consciente aux actes de persécution commis par le régime de Barré en Somalie. Par conséquent, je n’ai pas de raisons sérieuses de penser qu’il a commis un crime contre l’humanité ou qu’il s’est rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Il s’ensuit par ailleurs que le requérant n’était pas nécessairement tenu de démissionner de son poste, de quitter l’armée et le gouvernement, de fuir le pays ou de s’exprimer publiquement pour éviter d’être complice. [Note de bas de page omise.]

[73] C’est aussi la conclusion du juge Blanchard dans la décision Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1207, [2003] 3 C.F. 192 (Sungu). Il s’agissait de citoyens de la RDC qui invoquaient leur persécution sous le régime Kabila père, mais à qui le tribunal avait refusé le statut de réfugiés au motif qu’ils étaient complices de crimes contre l’humanité, vu les liens très étroits qu’ils entretenaient avec le régime Mobutu, alors déchu. La complicité par association était alors en cause. Le juge Blanchard a établi le cadre de l’analyse comme suit, aux paragraphes 34 à 39 :

   En l’espèce, la section du statut a déterminé que le demandeur ne pouvait bénéficier du statut de réfugié en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention. Elle a estimé qu’il avait commis, à titre de complice, des crimes contre l’humanité. Elle s’est fondée notamment sur la conclusion que le demandeur était suffisamment proche de l’ex-président Mobutu pour faire de lui un complice de son régime.

   Avant de procéder avec cette analyse en l’espèce, il est important de faire deux constatations : premièrement, il n’est pas contesté que le régime Mobutu pratiquait la torture et était responsable de « crimes internationaux » . Ces actes de torture sont visés par la définition de crimes contre l’humanité en tant qu’« actes inhumains commis contre la population civile ou un groupe identifiable de personnes »  au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24. (Alinéa 35(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi).) Je suis donc satisfait que la preuve documentaire devant la section du statut lui permettait de raisonnablement conclure ainsi.

   En deuxième lieu, en l’espèce, l’organisation, le régime Mobutu, n’a pas été caractérisé comme étant une « organisation poursuivant une fin limitée et brutale » . Alors, il n’y a pas lieu d’appliquer la présomption qui verrait le demandeur exclu uniquement en vertu de son appartenance à une telle organisation. En l’espèce, la caractérisation de l’association n’a pas été faite par la section du statut et, à mon avis, n’est pas essentielle dans les circonstances.

   Alors, pour en venir à sa conclusion de complicité par association, la section du statut devait donc être satisfaite au regard de la preuve que le complice « doit y avoir participé »  personnellement et sciemment. La complicité dans la perpétration d’une infraction repose sur l’intention commune. (Penate, supra, à la page 84.)

   Dans ses motifs la section du statut a déterminé que « Le demandeur avait connaissance personnelle et consciente de ces actes (crimes internationaux); de par son poste, il ne pouvait ignorer ou être inconscient des actions commises par le régime dont il faisait partie. »

   La preuve établit clairement que le demandeur était au courant des crimes internationaux et des exactions du régime Mobutu.

[74] Malgré cette preuve de la connaissance des crimes et de la proximité du régime Mobutu, le juge Blanchard a accueilli la demande de révision judiciaire dans la décision Sungu pour les motifs suivants (aux paragraphes 51 et 52) :

   À la lecture de ces motifs, je suis d’avis que le demandeur a été exclu de la protection de la Convention parce qu’il était soi-disant « un proche de Mobutu »  et donc, coupable par association. Même si la preuve démontrait (ce qu’elle ne fait pas) que le demandeur était un « proche »  de Mobutu, ce n’est certes pas un motif qui pourrait justifier à lui seul l’exclusion du demandeur de la protection de la Convention (Cardenas c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 74 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.)).

   Ce qui découle de cette conclusion de la section du statut est qu’elle a appliqué un principe inapproprié afin de déterminer sa complicité, soit d’être « un homme suffisamment proche de Mobutu pour faire de lui un complice » . En formulant ainsi sa conclusion, la section du statut a commis une erreur révisable.

[75] C’est aussi là l’approche du juge Lemieux dans la décision Bouasla, précitée. M. Bouasla fut membre de la Direction générale de la Sûreté nationale algérienne, puis officier de rééducation dans le système pénitentiaire algérien. Le tribunal l’a exclu de la protection vu les nombreuses exactions du gouvernement algérien par la voie de ses forces de sécurité, exactions qui correspondent à la définition de crimes contre l’humanité. M. Bouasla lui-même n’avait participé ni comme auteur, ni comme complice direct dans la perpétration d’un crime quelconque. Une participation par association fut donc attribuée par le tribunal à M. Bouasla, puisqu’il était membre des forces de l’ordre du gouvernement algérien, qu’il avait connaissance des exactions et qu’il ne s’en était pas dissocié.

[76] Le juge Lemieux a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans la décision Bouasla au motif qu’il faut un certain degré de participation personnelle et consciente pour conclure à une participation par association à des crimes contre l’humanité. Il a d’ailleurs conclu comme suit, aux paragraphes 138 à 140 de cette décision (je souligne) :

   Après avoir lu la preuve présentée durant les audiences et d’avoir appliqué cette preuve aux principes de la jurisprudence en matière de complicité, j’estime que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour les motifs que le tribunal, premièrement, a omis d’appliquer le critère essentiel pour juger de la complicité de monsieur Bouasla — un certain degré de participation personnelle et consciente dans les crimes commis par l’armée, la police nationale et le système pénitencier en Algérie et, deuxièmement, n’a pas considéré toute la preuve devant elle en application de la jurisprudence.

   La jurisprudence exige une preuve d’un certain degré de participation personnelle et consciente de monsieur Bouasla dans les crimes reprochés essentiellement la torture.

   Comme le dit le juge Décary dans Bazargan pour conclure à la complicité du demandeur le tribunal devait posséder des éléments de preuve démontrant qu’il avait contribué « de près ou de loin, de l’intérieur ou de l’extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités condamnées ou de les rendre possibles » . La preuve devait démontrer que monsieur Bouasla avait « mis sa propre roue dans l’engrenage d’une opération qui n’est pas la sienne mais dont il sait qu’elle mènera vraisemblablement à la commission d’un crime international. »

[77] Cette approche, qui engage la complicité par association dans la mesure où il existe un certain degré de participation personnelle du demandeur d’asile dans les crimes reprochés, est d’ailleurs celle préconisée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dans sa Note d’information sur l’application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (HCR/GIP/03/05, 4 septembre 2003), aux paragraphes 51 à 58. Notons, entre autres, les commentaires suivants du Haut Commissariat :

   En général, la responsabilité individuelle, et donc le fondement de l’exclusion, existe lorsque la personne a commis, ou a contribué de manière importante à l’acte criminel, en sachant que son acte ou son omission d’agir faciliterait la conduite criminelle. Ainsi, le degré d’implication de la personne concernée doit être analysé avec attention dans chaque cas. Le fait que des actes de nature odieuse et scandaleuse aient eu lieu ne doit pas brouiller la question.

[...]

   La « complicité »  nécessite que la personne ait contribué de manière substantielle à la commission d’un crime en sachant que cela aiderait ou faciliterait la commission de l’infraction. La contribution peut être sous forme d’assistance pratique, d’encouragement ou de soutien moral et doit avoir un effet très important (mais pas nécessairement de causalité) sur la perpétration du crime. La complicité peut consister en un acte ou une omission et peut avoir lieu avant, pendant ou après la commission du crime, bien que l’exigence d’une contribution substantielle doive toujours être gardée à l’esprit, en particulier lorsqu’il s’agit d’un manquement à agir.

[...]

   Étant donné les principes énoncés ci-dessus, il n’est pas justifié d’exclure automatiquement des personnes sur le seul fondement de leur rang élevé au sein d’un gouvernement. « La culpabilité par association »  revient à juger une personne sur la base de son titre plutôt que sur ses responsabilités ou actions réelles. Au contraire, une détermination individuelle de la responsabilité est requise pour chaque fonctionnaire afin de s’assurer si le requérant avait la connaissance des actes commis ou prévus, s’il a tenté de les stopper ou de s’y opposer et/ou s’il s’est retiré volontairement du processus. En outre, il faut prendre en considération la question de savoir si l’intéressé avait ou non un choix moral. Doivent être exclues du statut de réfugié les personnes dont on établit qu’elles ont procédé, contribué, participé à orchestrer, planifier et/ou mettre en œuvre des actes criminels ou qui ont toléré ou approuvé leur réalisation par des subordonnés. [Notes de bas de page omises.]

[78] Il s’agit là également de l’approche favorisée par la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’affaire très récente de R (on the application of JS) (Sri Lanka) v. Secretary of State for the Home Department, [2010] UKSC 15. Quoique cette décision du plus haut tribunal judiciaire du Royaume-Uni ne lie pas cette Cour, le raisonnement qui y est étayé est convaincant. De plus, vu que l’alinéa 1Fa) fait partie d’un instrument international, il est souhaitable de se tenir au courant des développements internationaux et des décisions récentes rendues par d’autres tribunaux étrangers d’instance supérieure au sujet de cette disposition : Nagamany, précité, au paragraphe 64.

[79] L’intimé dans cette affaire a demandé le statut de réfugié au Royaume-Uni. Il était citoyen du Sri Lanka. Il a été membre des Tigres de libération de l’Îlam tamoul (TLIT) pendant environ 15 ans. Il s’est joint aux TLIT en 1992, à l’âge de 10 ans. L’année suivante, il s’est joint aux services de renseignements des TLIT. Il a occupé divers postes au fil des années : il a été chef d’une unité de combat regroupant neuf hommes, et ensuite chef d’une section de 45 hommes; il a dirigé une unité mobile responsable du transport d’équipement militaire et de personnes dans la jungle; il a été sous-chef de l’unité de combat des services de renseignements des TLIT. Finalement, en octobre 2006, il a été envoyé à Colombo incognito, mais en décembre, il a appris que sa présence avait été signalée et il a quitté le Sri Lanka.

[80] L’intimé est arrivé au Royaume-Uni en février 2007 et a demandé l’asile. Sa demande d’asile ainsi que sa demande de protection humanitaire ont été rejetées en septembre 2007 au seul motif que l’intimé était exclu en vertu de l’alinéa 1Fa). La décision du Secrétaire d’État se fondait sur le fait que l’intimé s’était joint volontairement aux TLIT, sur la durée de son implication, et sur le fait qu’il avait eu des promotions et qu’il avait détenu un poste de commandement. Le Secrétaire d’État a décidé que l’appartenance volontaire à un groupe extrémiste crée une présomption de connaissance et de participation personnelle, ou de tolérance consciente, qui équivaut à la complicité aux crimes commis. L’intimé a alors demandé le contrôle judiciaire de la décision et la Cour d’appel, Division civile, a annulé la décision du Secrétaire d’État, qui a alors interjeté appel à la Cour suprême du Royaume-Uni. L’appel du Secrétaire d’État a été rejeté par la Cour suprême du Royaume-Uni.

[81] Lord Brown a énoncé qu’il ne doit plus y avoir de présomption de complicité par association si un groupe a principalement pour but des activités terroristes. Il a souligné de plus qu’il ne peut y avoir de responsabilité en l’absence de mens rea. En s’inspirant de l’article 30 du Statut de Rome [Statut de Rome de la Cour pénale international, 17 juillet 1998, [2002] R.T. Can. no 13], il a décidé que si une personne est consciente qu’une circonstance existe ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements en raison de ses actions, elle sera considérée comme ayant agi avec la connaissance et l’intention requise. Il a donc conclu que l’exclusion en vertu de l’alinéa 1Fa) ne sera fondée que s’il y a des motifs sérieux de croire que le demandeur a volontairement contribué, et ce, d’une façon significative, à l’habileté du groupe de poursuivre ses activités criminelles, alors qu’il était conscient que sa contribution servirait à faire avancer les fins criminelles.

[82] Lord Kerr a ajouté ce qui suit, au paragraphe 56 de la décision (je souligne) :

   [traduction] Les décisions que lord Brown a examinées dans son jugement ont décrit de différentes façons la nature de la participation nécessaire. Dans un document intitulé « Amicus Curiae Brief of Professor Antonio Cassese and members of the Journal of International Criminal Justice on Joint Criminal Enterprise Doctrine »  (dossier no 001/18-07-2007-ECCC-OCIJ), (2009) 20 CLF 289, on a suggéré que la participation doive être telle qu’elle « permette à l’organisme de fonctionner » , ou qu’elle eût permis « la commission des crimes » , ou qu’elle fût « un élément indispensable » . Dans Prosecutor v Krajišnik, 17 mars 2009, on a affirmé que « ce qui importe, du point de vue du droit, c’est que l’accusé ait apporté une contribution importante aux crimes de (l’entreprise commune) » , au paragraphe 696. Toutes ces descriptions ont en commun que la participation doit aller plus loin que la simple passivité ou la simple participation continue à l’organisme après avoir pris connaissance des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

[83] Il s’agit là de l’approche prise également dans le Statut de Rome, A/CONF. 183/9, 17 juillet 1998 (tel que modifié), qui établit la Cour pénale internationale. Le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Les dispositions du Statut de Rome sont importantes et ont un poids certain dans l’analyse requise en vertu de l’alinéa 1Fa), d’autant plus que les dispositions pertinentes du Statut de Rome ont été presque intégralement reproduites dans la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, et mises en œuvre dans le droit interne canadien par la voie de cette Loi. Comme le signalait le juge Décary dans Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761, au paragraphe 151 : « La section Fa) de l’article premier doit désormais être interprété à la lumière, entre autres, de ce Statut [de Rome]. »

[84] Le Statut de Rome prévoit la responsabilité pénale individuelle, la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques et les éléments psychologiques des crimes contre l’humanité. Les dispositions pertinentes du Statut de Rome à ces égards reprennent d’ailleurs avec beaucoup plus de précisions et de détails les principes qui avaient déjà été adoptés à l’article 7 du Statut du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (Nations Unies, résolution 827 adoptée le 25 mai 1993, tel que modifié) et à l’article 6 du Statut du tribunal pénal international pour le Rwanda (Conseil de sécurité, résolution 955, 1994).

[85] Les dispositions pertinentes du Statut de Rome sont l’article 25, concernant la responsabilité pénale individuelle, l’article 28, concernant la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques, et l’article 30, concernant l’élément psychologique. Ces dispositions sont ici reproduites :

Article 25

Responsabilité pénale individuelle

1.    La Cour est compétente à l’égard des personnes physiques en vertu du présent Statut.

2.    Quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent Statut.

3.    Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence de la Cour si :

a)    Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par l’intermédiaire d’une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable;

b)    Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel crime, dès lors qu’il y a commission ou tentative de commission de ce crime;

c)    En vue de faciliter la commission d’un tel crime, elle apporte son aide, son concours ou toute autre forme d’assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y compris en fournissant les moyens de cette commission;

d)    Elle contribue de toute autre manière à la commission ou à la tentative de commission d’un tel crime par un groupe de personnes agissant de concert. Cette contribution doit être intentionnelle et, selon le cas :

i)     Viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou ce dessein comporte l’exécution d’un crime relevant de la compétence de la Cour; ou

ii)     Être faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre ce crime;

e)    S’agissant du crime de génocide, elle incite directement et publiquement autrui à le commettre;

f)     Elle tente de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel, constituent un commencement d’exécution mais sans que le crime soit accompli en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Toutefois, la personne qui abandonne l’effort tendant à commettre le crime ou en empêche de quelque autre façon l’achèvement ne peut être punie en vertu du présent Statut pour sa tentative si elle a complètement et volontairement renoncé au dessein criminel.

Article 28

Responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques

Outre les autres motifs de responsabilité pénale au regard du présent Statut pour des crimes relevant de la compétence de la Cour :

a)    Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu’il ou elle n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas où :

i)     Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes; et

ii)     Ce chef militaire ou cette personne n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l’exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites;

b)    En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu’il ou elle n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces subordonnés dans les cas où :

i)     Le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir compte d’informations qui l’indiquaient clairement;

ii)     Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs; et

iii)    Le supérieur hiérarchique n’a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l’exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites.

[...]

Article 30

Élément psychologique

1. Sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime est commis avec intention et connaissance.

2. Il y a intention au sens du présent article lorsque :

a)    Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement;

b)    Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.

3. Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu’une personne est consciente qu’une circonstance existe ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements. « Connaître »  et « en connaissance de cause »  s’interprètent en conséquence.

[86] À la lecture de ces dispositions du Statut de Rome, la responsabilité pénale pour les crimes contre l’humanité requiert une participation personnelle au crime reproché ou un contrôle personnel sur les événements menant au crime reproché. Cette exigence doit également servir à éclairer le concept de participation par association.

[87] Ainsi, même dans le cas de chefs militaires, ceux-ci ne deviennent pénalement responsables des crimes commis par leurs subordonnés que dans la mesure où ces derniers sont placés sous leur autorité et leur contrôle effectifs et que si les chefs militaires n’ont pas exercé le contrôle qui convenait sur ceux-ci. Il en est de même pour les supérieurs hiérarchiques.

[88] Je note de plus que même dans le cas de la responsabilité civile résultant du fait d’autrui, dont les éléments constitutifs sont bien moins stricts que dans le cas de la responsabilité pénale, cette responsabilité a son fondement juridique dans le pouvoir de surveillance et de contrôle sur autrui. Comme le notent J.-L. Baudouin et Patrice Deslauriers dans La responsabilité civile, 7e édition, Éditions Yvon Blais, 2007, au paragraphe 1- 670 : « Dans chacun des cas prévus par la loi [dans les cas de responsabilité du fait d’autrui], le “répondant” a, en effet, sur l’auteur de l’acte dommageable un droit de contrôle qui s’exerce soit sur l’activité de celui-ci (ouvrier, préposé), soit sur sa personne (enfant, insensé). Ce droit de contrôle comporte un pouvoir de supervision ou de surveillance, et donc une responsabilité pour le préjudice causé au tiers lorsqu’il y a manquement. »  Ce sont les mêmes fondements qui sont à l’origine de la responsabilité délictuelle du fait d’autrui en common law : [traduction] « La règle [de la responsabilité du fait d’autrui] s’applique lorsqu’il serait juste d’exiger que l’employeur réponde pour l’employé parce que, le plus souvent, l’employeur dirigeait l’employé et tirait profit de ses actes »  (A. Linden et B. Feldthusen, Canadian Tort Law, 8e édition, LexisNexis Butterworths, 2006, à la page 553). Il serait inusité de conclure que la complicité par association pour crimes contre l’humanité engage une responsabilité pénale personnelle dans des circonstances bien moins rigoureuses que celles requises au regard de la responsabilité civile du fait d’autrui.

[89] Ainsi, les notions de responsabilité pénale individuelle et de contrôle effectif sur autrui et l’élément psychologique décrits dans le Statut de Rome peuvent et doivent servir à éclairer ce que la jurisprudence canadienne désigne comme la complicité par association aux fins de l’alinéa 1Fa). Cela découle tant de l’alinéa 1Fa), qui renvoie explicitement aux « instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes » , que des principes mis de l’avant par la Cour suprême du Canada dans des cas similaires : Mugesera, précité, au paragraphe 82.

[90] À la lumière de cette revue de la jurisprudence canadienne et étrangère et des dispositions des principaux instruments internationaux contemporains concernant les crimes contre l’humanité, la complicité par association doit être comprise comme étant une présomption qui repose sur un ensemble de faits permettant de conclure qu’il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile a participé personnellement aux crimes reprochés, y a comploté personnellement, ou en a personnellement facilité l’exécution.

[91] Ainsi, les fonctions à titre de dirigeant d’une organisation qui est elle-même responsable de crimes contre l’humanité peuvent être telles qu’il y a des raisons sérieuses de croire que le dirigeant a effectivement participé personnellement aux crimes reprochés, soit en complotant à leur réalisation, soit en aidant à l’exécution de ces crimes, soit en les facilitant. Mais cette croyance doit elle-même s’appuyer sur des faits qui étayent une participation personnelle et consciente du dirigeant en cause aux crimes reprochés, ou un contrôle effectif du dirigeant sur ceux qui ont commis ces crimes. Ainsi, la complicité par association n’est pas un concept juridique autonome, mais une présomption de complicité directe fondée sur l’hypothèse que celui qui dirige une organisation commentant des crimes contre l’humanité y a probablement personnellement participé.

[92] Le simple fait de travailler dans la fonction publique d’un État dont le gouvernement commet des crimes contre l’humanité ne suffit donc pas, ni la simple connaissance de ces crimes. Il doit y avoir un lien personnel entre le demandeur d’asile et les crimes reprochés. Ce lien personnel peut être présumé lorsque le demandeur d’asile occupe un rang dans la hiérarchie de l’organisation qui est tel qu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il a personnellement participé aux crimes reprochés. Cependant, pour qu’une telle présomption puisse s’appliquer, un ensemble de faits pouvant laisser sérieusement penser une participation personnelle aux crimes doit être établi.

[93] Ainsi, le chef d’un camp de concentration où des crimes contre l’humanité ont été commis par des subalternes sera présumé avoir participé à ces crimes dans la mesure où les faits en cause laissent sérieusement penser qu’il contrôlait effectivement ses subalternes et qu’il pouvait intervenir pour empêcher la réalisation de ces crimes, et ce, même si aucune preuve de participation directe aux crimes n’a été faite.

[94] À l’inverse, le dirigeant de la banque centrale d’un pays dont l’armée a commis des crimes contre l’humanité ne pourra faire l’objet de la présomption de complicité par association malgré son haut rang hiérarchique et sa connaissance des exactions, à moins qu’il y ait des raisons sérieuses de penser qu’il a participé personnellement dans les crimes reprochés ou exercé un contrôle effectif sur ceux qui y ont participé. La présomption ne pourra s’appliquer du simple fait que le titulaire détient un poste hiérarchique élevé dans une partie de la fonction publique qui n’a aucun lien, ou peu de liens, avec ceux qui ont réellement organisé ou exécuté les crimes.

[95] Évidemment, tout doit être évalué en fonction des faits propres à chaque cas, et je ne voudrais pas laisser entendre qu’en aucun cas le dirigeant d’une banque centrale ne pourrait faire l’objet d’une présomption de complicité par association si les circonstances sont telles qu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il y a participé à un crime contre l’humanité.

[96] Je note de plus que l’approche préconisée ci-haut se reflète aussi dans les dispositions de la Loi et du Règlement [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227].

[97] En effet, l’alinéa 35(1)a) de la Loi prévoit l’interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux pour ceux qui commettent, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Les décisions de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié fondées sur les conclusions que l’intéressé a commis un crime de guerre ou un crime contre l’humanité et qu’il est visé par l’alinéa 1Fa) ont force de chose jugée aux fins de l’interdiction du territoire prévue à cet alinéa 35(1)a) de la Loi, et ce par l’effet de l’alinéa 15b) du Règlement. Un tel individu est donc exclu du statut de réfugié au sens de la Convention et est interdit du territoire canadien. Il peut néanmoins exceptionnellement obtenir un sursis de la mesure de renvoi le concernant en vertu de l’alinéa 113d) et du paragraphe114(1) de la Loi s’il satisfait les critères de l’article 97 de la Loi, mais seulement si sa demande ne devrait pas être rejetée en raison da la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

[98] Par contre, l’alinéa 35(1)b) de la Loi prévoit une mesure d’interdiction distincte pour un individu qui occupe un rang supérieur au sein d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. En vertu de l’article 16 du Règlement, les individus visés par cette disposition sont ceux qui sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement ou ceux qui en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment les hauts fonctionnaires, les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang, parmi d’autres. Un individu visé par cette disposition est aussi interdit du territoire, mais l’interdiction peut être levée en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi si l’individu convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[99] La Loi prévoit donc un traitement distinct pour les individus visés à l’alinéa 1Fa) et ceux qui, quoiqu’ils n’aient pas nécessairement commis un crime contre l’humanité, ont néanmoins participé à l’exercice du pouvoir ou ont tiré avantage d’un gouvernement qui viole les droits de la personne, a commis un génocide un crime contre l’humanité ou un crime de guerre.

[100] Ainsi, les mécanismes juridiques applicables et les modalités législatives et réglementaires en cause ne sont pas les mêmes pour un individu visé par l’alinéa 1Fa) pour lequel il existe des raisons sérieuses de penser qu’il a commis un crime contre l’humanité, et l’individu visé à l’alinéa 35(1)b) de la Loi qui n’a pas nécessairement commis un tel crime, mais qui a pu influencer ou profiter d’un gouvernement qui en a commis.

L’application des faits au cadre juridique

[101] Je note en premier lieu qu’il est important de tenir compte de la norme de preuve applicable aux fins de l’alinéa 1Fa) lorsqu’il s’agit d’établir les faits. Cette norme est celle des « raisons sérieuses de penser » , reproduite dans le texte même de l’alinéa 1Fa) et définie dans l’arrêt Ramirez, précité, aux pages 311 à 314, comme étant bien moins exigeante que celle du droit pénal (« hors de tout doute raisonnable » ) ou du droit civil (« prépondérance des probabilités »  ou « prépondérance de la preuve » ). Voir également à ces égards la décision Moreno, précitée.

[102] Cette norme de preuve réduite doit-elle s’étendre aux éléments factuels qui doivent être préalablement établis afin d’appliquer la présomption de complicité par association? À la lumière des arrêts Ramirez et Moreno, je ne vois pas pourquoi cette norme de preuve ne pourrait s’appliquer pour décider ces faits, mais encore faut-il que les faits en cause soient tels qu’ils puissent étayer suffisamment d’éléments pour avoir des raisons sérieuses de penser que le demandeur d’asile à participer personnellement dans les crimes reprochés.

[103] Les crimes contre l’humanité commis par les forces de sécurité de la RDC sont vraiment odieux et scandaleux. Les prétentions du demandeur qu’il n’avait aucune connaissance de ces crimes ne sont pas crédibles au regard des fonctions qu’il occupait, ce qui rend le demandeur peu sympathique au tribunal et à cette Cour. Cependant, ces faits ne peuvent mener à eux seuls à une conclusion de complicité dans les crimes commis.

[104] En effet, dans ce cas-ci, les faits reconnus par le tribunal ne permettent pas à celui-ci d’imputer une responsabilité personnelle au demandeur à l’égard des crimes reprochés. Il n’y a aucun élément de preuve tendant à démontrer une participation personnelle directe ou indirecte du demandeur dans les crimes reprochés, et il y a absence de toute preuve d’encouragement ou de soutien actif du demandeur à l’égard de ces crimes.

[105] La décision d’exclusion repose plutôt sur la participation du demandeur dans le corps diplomatique de son pays. Cependant, il y a absence de preuve que le poste occupé par le demandeur, soit deuxième conseiller d’une mission diplomatique, permettait au demandeur de participer personnellement aux crimes contre l’humanité commis par les forces de sécurité en RDC, ou de les faciliter personnellement. Notons à cet égard que le tribunal lui-même constate « que 86 % des violations des droits de l’homme sont commises par l’armée et la police en RDC »  (au paragraphe 61 de la décision).

[106] Or, la preuve retenue par le tribunal n’établit pas un lien entre le poste occupé par le demandeur et l’armée ou la police de la RDC. Il n’y a aucun élément de preuve permettant de croire que le demandeur exerçait un contrôle quelconque sur les forces de sécurité de la RDC, ou sur l’une quelconque des composantes de ces forces, ou sur l’un quelconque de leurs membres.

[107] Appliquer la présomption de la complicité par association dans un tel contexte factuel m’apparaît déraisonnable, et ce, même en tenant compte de la norme réduite de la preuve applicable en l’espèce, soit la norme des « raisons sérieuses de penser » .

[108] Compte tenu de ce qui précède, la demande de révision judiciaire sera accordée.

L’inclusion

[109] Je note finalement que dans ce dossier-ci, il aurait été souhaitable que le tribunal se prononce sur l’inclusion du demandeur, puisque cette question devait être tranchée de toute façon pour son épouse et leurs enfants. L’absence de conclusion à l’égard de l’inclusion du demandeur n’est cependant pas une erreur susceptible de révision vu la décision de la Cour d’appel fédérale dans Gonzales c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 646 (C.A.) (Gonzales), aux pages 655 à 657.

[110] Je note toutefois que tant dans la décision Moreno, précitée, aux pages 326 et 327, que dans la décision Gonzales, précitée, à la page 657, la Cour d’appel fédérale a recommandé au tribunal de se prononcer à l’égard de l’inclusion et de tous les autres éléments d’une revendication. Il serait souhaitable que ces recommandations soient mises en œuvre.

Question à certifier

[111] J’accorde à chacune des parties, si l’une ou l’autre le juge opportun, la possibilité de me proposer dans les sept jours de ce jugement une ou des questions aux fins de l’alinéa 74d) de la Loi, avec réplique d’une part ou de l’autre signifiée et déposée dans les cinq jours qui suivent une telle proposition.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2. La décision du tribunal est cassée quant à sa conclusion que le demandeur est exclu par l’effet de l’alinéa 1Fa);

3. Le dossier est renvoyé à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour en saisir un autre tribunal de la Section de la protection des réfugiés, qui devra l’examiner à nouveau conformément aux dispositions du présent jugement.

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