Référence : |
somodi c. canada, 2008 CF 1356, [2009] 4 R.C.F. 91 |
IMM-3145-07 |
Zsolt Somodi (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Somodi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Mandamin—Toronto, 22 juillet; Ottawa, 5 décembre 2008.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté une demande de résidence permanente présentée dans la catégorie du regroupement familial. L’épouse du demandeur, en tant que répondante, a également interjeté appel de la décision de l’agent auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La question litigieuse était celle de savoir si l’alinéa 72(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), qui dispose qu’il est interdit de présenter une demande de contrôle judiciaire tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées, interdit au demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire.
Jugement : la demande doit être rejetée.
La LIPR et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés fournissent une procédure permettant de réunir les familles lorsque l’un de ses membres est citoyen canadien ou résident permanent et que l’autre est un étranger. Ce processus place le répondant canadien de la famille en charge des demandes d’immigration de la catégorie du regroupement familial. S’il y a un droit d’appel en vertu de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, il doit être exercé par le répondant, qui a l’autorité d’introduire une demande dans la catégorie du regroupement familial, de la faire traiter ou d’y mettre fin. Le paragraphe 63(1) de la LIPR prévoit que le répondant peut « interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent ». Cette disposition ne limite pas les appels interjetés par le répondant canadien aux questions de parrainage; elle confère également au répondant le droit d’interjeter appel sur des questions relatives à la demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial. Ainsi, pour contester la décision d’un agent d’immigration, il faut passer par un appel du répondant, qui est citoyen canadien ou résident permanent du Canada.
S’agissant de la question de savoir si l’appel interjeté par le répondant auprès de la SAI constitue un autre recours approprié, il ressort clairement du libellé du paragraphe 63(1) de la LIPR que la SAI a amplement compétence pour examiner les questions soulevées en l’espèce. Qui plus est, cet appel est pratique dans la mesure où il est facilement accessible au membre canadien de la famille, il s’agit d’un appel de novo et il permet la réparation demandée si elle convient (comparativement au contrôle judiciaire qui n’entraîne que des réparations plus limitées). Le demandeur dispose donc d’un autre recours, soit l’appel interjeté par le répondant canadien de la famille.
Bien que le libellé de l’alinéa 72(2)a) n’interdise pas expressément la demande de contrôle judiciaire, il la diffère plutôt « tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées ». Puisque l’expression « voies d’appel » a une large portée, l’interdiction s’applique aux demandes de contrôle judiciaire portant sur la même question, jusqu’à ce que le processus soit terminé. Par conséquent, il est interdit au demandeur de déposer une demande de contrôle judiciaire jusqu’à ce que les voies d’appel de sa répondante soient épuisées.
Une question relative à l’effet de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, à savoir s’il interdit une demande de contrôle judiciaire présentée par la personne ayant déposé une demande pour conjoint pendant que le répondant exerce une voie d’appel en vertu de l’article 63, a été certifiée.
LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11 (mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 116), 12, 13(1), 16, 25, 63, 67, 72 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194).
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 116, 117 (mod. par DORS/2004-167, art. 41; 2005-61, art. 3), 118 (mod. par DORS/2005-61, art. 4), 119, 120, 121 (mod. par DORS/2004-167, art. 42), 122 (mod. par DORS/2008-202, art. 9(F)), 124a).
JURISPRUDENCE CITÉE
décisions appliquées :
Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 260; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3.
décisions examinées :
Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 363 (1re inst.) (QL); Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1109; Ramautar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1003.
décisions citées :
Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190; (2008), 329 R.N.-B. (2e) 1; 2008 CSC 9; Gumbura c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 833; Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1673; Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 104 (C.A.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente présentée dans la catégorie du regroupement familial. Demande rejetée.
ONT COMPARU
Rocco Galati pour le demandeur.
Gordon Lee pour le défendeur.
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Galati, Rodrigues & Associates, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1] Le juge Mandamin : M. Zsolt Somodi (le demandeur) a déposé le 3 août 2007 une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 12 juillet 2007 par un agent d’immigration (l’agent) à l’ambassade du Canada (l’ambassade) à Bucarest, en Roumanie, lequel agent a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur dans la catégorie du regroupement familial. La présente demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
[2] Le ministre a sollicité, le 28 septembre 2007, une ordonnance qui rejetterait la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur au motif que celui-ci ne pouvait pas déposer de demande de contrôle judiciaire parce que, selon l’alinéa 72(2)a) de la LIPR, il est interdit de présenter une demande de contrôle judiciaire tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées.
[3] Le 3 décembre 2007, le juge Hughes a reporté l’audition de la requête au moment où serait entendue la demande d’autorisation. Le 1er mai 2008, le juge O’Keefe a accueilli la demande d’autorisation et a rejeté la requête du ministre visant à faire radier la demande de contrôle judiciaire.
[4] Les questions soulevées par le demandeur dans son dossier de demande sont nombreuses et diverses :
1. La décision de l’agent des visas est-elle nulle parce qu’il n’a pas donné de motifs adéquats, comme l’exigent les arrêts Baker [Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817] et Johnson?
2. L’agent a-t-il refusé ou omis d’exercer sa compétence en n’examinant pas la possibilité d’exempter, comme le prévoit l’article 25 de la LIPR, le demandeur de l’entrevue ou en n’accordant pas l’exemption?
3. L’agent a-t-il rendu sa décision sans tenir compte de la preuve et de l’ensemble des circonstances en l’espèce?
4. Le droit du demandeur à l’assistance d’un avocat a-t-il été déprécié, voire bafoué et abrogé, ce qui va à l’encontre de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Burlingham [R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206]?
5. L’agent a-t-il rendu, dans l’ensemble, une décision déraisonnable contraire à Baker?
6. Le demandeur s’est-t-il vu refuser, dans l’ensemble, une audience équitable?
[5] Le défendeur soutient que la question à trancher est la suivante :
1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur devrait-elle être rejetée au motif que l’alinéa 72(2)a) de la LIPR interdit au demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire?
[6] J’estime que les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :
1. L’alinéa 72(2)a) de la LIPR interdit-il au demandeur de présenter une demande de contrôle judiciaire?
2. Si l’alinéa 72(2)a) n’interdit pas le dépôt de la demande,
a. l’agent a-t-il omis d’exercer sa compétence en n’accueillant pas la demande d’exemption de l’entrevue personnelle présentée par le demandeur?
b. l’agent a-t-il omis de prendre en considération l’ensemble de la preuve, en particulier la lettre de l’agent d’immigration précédent qui semble reconnaître la validité du mariage du demandeur?
LE CONTEXTE
[7] Le demandeur est citoyen de la Roumanie. Il a demandé l’asile en tant que réfugié au sens de la Convention, mais la [Section de la protection des réfugiés] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande.
[8] Le demandeur a présenté depuis le Canada sa demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire qui ont été examinés dans le cadre de la nouvelle politique sur les époux et les conjoints de faits. Cette demande de résidence permanente a été rejetée le 8 décembre 2005 pour plusieurs motifs :
i. le demandeur ne serait pas visé par le nouveau programme pour les époux et les conjoints de fait parce qu’il est entré au Canada en utilisant un faux passeport qu’il n’a pas remis à son entrée;
ii. le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 124a) du Règlement [Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227], lequel exige que le demandeur prouve qu’il est « l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada » [non souligné dans l’original];
iii. pour ce qui est de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le ministre n’a pas accordé au demandeur l’exemption nécessaire pour permettre à sa demande d’être traitée depuis le Canada.
[9] Il n’était pas interdit au demandeur de présenter depuis l’étranger une demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial. Le Règlement fait en sorte que la demande serait traitée par l’ambassade en Roumanie. Son premier avocat a présenté la demande de résidence permanente du demandeur depuis l’étranger et a demandé qu’il soit permis au demandeur de rejoindre sa famille au Canada.
[10] L’agent à l’ambassade a demandé que le demandeur se présente pour une entrevue. La chronologie des faits est la suivante :
– Le 3 avril 2006 : le premier avocat du demandeur a agi pour le compte du demandeur et a présenté la demande de résidence permanente pour un membre parrainé de la catégorie du regroupement familial.
– Le 22 mars 2007 : l’ambassade a demandé au demandeur, par l’intermédiaire de son premier avocat, de se présenter à l’ambassade pour une entrevue le 23 avril 2007. Le demandeur ne se présente pas, sans donner de préavis ni expliquer son absence.
– À un certain moment entre le 22 mars 2007 et le 2 mai 2007 : le demandeur change d’avocat.
– Le 2 mai 2007 : l’ambassade informe le demandeur par l’intermédiaire de son premier avocat qu’il est de nouveau convoqué à une entrevue, le 4 juin 2007, à l’ambassade.
– Le 3 mai 2007 : le premier avocat fait savoir au demandeur par courrier électronique qu’il doit informer l’ambassade qu’il a changé d’avocat.
– Le 8 mai 2007 : le second avocat du demandeur informe l’ambassade que le premier avocat n’a plus titre pour agir. Dans son avis, le second avocat informe l’ambassade que le demandeur craint de retourner en Roumanie pour l’entrevue, mais que l’épouse du demandeur et lui-même seront en mesure de se présenter à l’entrevue du 4 juin 2007 pour le compte du demandeur.
– Le 17 mai 2007 : l’ambassade envoie une lettre au demandeur, par l’intermédiaire du premier avocat, dans laquelle elle précise que le demandeur est tenu de se présenter en personne à l’entrevue du 4 juin 2007. Le même jour, le premier avocat envoie un courrier électronique à la personne qui parraine le demandeur pour l’informer que l’ambassade a encore une fois communiqué avec lui.
– Le 4 juin 2007 : le demandeur ne se présente pas à l’entrevue à l’ambassade.
[11] Le 12 juillet 2007, l’agent à l’ambassade fait part au demandeur, par l’intermédiaire de son premier avocat, de sa décision de rejeter sa demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. L’agent précise qu’il est incapable d’établir si le demandeur est admissible au Canada parce qu’il ne s’est pas présenté à l’entrevue et n’a pas donné à l’agent la chance de l’interroger.
[12] Le 3 août 2007, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de l’agent de rejeter sa demande de résidence permanente présentée depuis l’étranger.
[13] L’épouse du demandeur, en tant que répondante, a également interjeté appel de la décision de l’agent auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 3 août 2007.
LA NORME DE CONTRÔLE
[14] La question préliminaire, soit l’effet de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR sur la demande de contrôle judiciaire du demandeur, nécessite l’application des principes d’interprétation des lois et, de par leur nature, les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 55).
[15] La décision de l’agent de ne pas exempter le demandeur de l’entrevue sur place repose sur l’exercice qu’a fait l’agent de ses responsabilités et de son pouvoir discrétionnaire. Le fait d’accorder ou non une exemption n’entraîne pas de résultat précis : il donne lieu à un certain nombre de résultats possibles, allant de l’obligation de se présenter en personne à l’entrevue à l’octroi de l’exemption comme le prévoit l’article 25 de la LIPR. Puisqu’elle relève d’un pouvoir discrétionnaire, la décision de l’agent devrait être examinée selon la norme de la raisonnabilité, en ayant déférence aux connaissances et à l’expertise de l’agent dans l’examen de cas semblables (voir l’arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 53).
[16] La norme de contrôle applicable à la décision qu’a prise l’agent à partir des renseignements dont il disposait est également susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Les décisions prises par les agents d’immigration dans l’exercice de leurs fonctions sont examinées selon la norme de la raisonnabilité : Gumbura c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 833.
ANALYSE
[17] L’article 11 [mod. par L.C. 2008, ch. 28, art. 116] de la LIPR prévoit que l’étranger doit demander un visa et faire l’objet d’un contrôle par un agent d’immigration :
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
(2) Ils ne peuvent être délivrés à l’étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage.
[18] Selon le paragraphe 13(1) de la LIPR, tout citoyen canadien et tout résident permanent peut parrainer un étranger de la catégorie du regroupement familial :
13. (1) Tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l’étranger de la catégorie « regroupement familial ».
[19] La personne ayant déposé une demande de parrainage peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent, aux termes du paragraphe 63(1) de la LIPR :
63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.
[20] Tout demandeur peut solliciter le contrôle judiciaire d’une décision rendue en application de la LIPR conformément au paragraphe 72(1) :
72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.
[21] La demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) est régie par le paragraphe 72(2) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194], en particulier l’alinéa 72(2)a), lequel est rédigé ainsi :
72. (1) [. . .]
(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :
a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;
[22] Le demandeur soutient que l’alinéa 72(2)a) ne l’empêche pas de solliciter un contrôle judiciaire parce que le droit d’appel prévu par la loi appartient au répondant, et non au demandeur. Il soutient que le libellé du paragraphe 63(1) est clair : le droit d’appel appartient au répondant. Rien dans les articles 116 à 122 [art. 117 (mod. par DORS/2004-167, art. 41; 2005‑61, art. 3), 118 (mod., idem, art. 4), 121 (mod. par DORS/2004-167, art. 42), 122 (mod. par DORS/2008‑202, art. 9(F))] du Règlement ne corrobore une affirmation selon laquelle le répondant et l’étranger formeraient une seule entité dans le cadre d’une demande de parrainage dans la catégorie du regroupement familial. Il soutient que le droit d’appel du répondant ne peut constituer une entrave au droit, conféré au demandeur par la loi, à un contrôle judiciaire, puisque le répondant et le demandeur sont des personnes distinctes.
[23] Le défendeur soutient que l’alinéa 72(2)a) interdit expressément à tout individu de demander le contrôle judiciaire avant que toutes les voies d’appel prévues par la LIPR aient été épuisées.
[24] Dans Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 363 (1re inst.) (QL), le juge Noël a déclaré [au paragraphe 8] :
Il est établi en droit qu’un droit d’appel prévu par la loi exclut le contrôle judiciaire. Toutefois, le droit d’appel conféré à l’article 77 appartient au répondant, en l’espèce l’épouse du requérant, et non à ce dernier. Aucune jurisprudence ne me permet de conclure que le droit d’appel appartenant à une personne a pour effet d’éteindre le droit au contrôle judiciaire appartenant à une autre personne.
[25] La décision Grewal a été rendue sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, laquelle ne comportait pas de disposition équivalente à l’alinéa 72(2)a) de la LIPR. Dans Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 260, la juge Dawson a rejeté la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un agent de ne pas accorder la résidence permanente au motif que l’ancienne Loi prévoyait un droit d’appel et qu’il existait donc un autre recours. Après avoir examiné soigneusement les dispositions de la Loi sur l’immigration, elle a conclu que celles-ci établissaient une procédure complète régissant la résidence permanente, notamment un droit d’appel lorsque la résidence permanente est refusée. Elle a affirmé [aux paragraphes 31 à 34] :
Selon un principe de droit bien établi, la Cour ne devrait pas accorder les réparations de la nature de celles sollicitées dans la présente demande de contrôle judiciaire si elle est convaincue que le demandeur dispose d’un recours subsidiaire adéquat. Voir, par exemple Anderson c. Canada (Forces armées), [1997] 1 C.F. 273 (C.A.F.). On exprime souvent ce principe en disant que le demandeur devrait épuiser tous les recours prévus par la loi avant de solliciter le contrôle judiciaire, et ce principe reflète la nature discrétionnaire et extraordinaire du contrôle judiciaire.
Je suis d’avis qu’en l’espèce, les dispositions législatives régissant le droit d’établissement fournissent un recours subsidiaire adéquat au contrôle judiciaire de la décision de l’agent principal.
Pour tirer cette conclusion, j’ai tenu compte des facteurs suivants. La teneur des Règles de la Section d’arbitrage, DORS/93-47, et des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/93-46, incite les parties à agir rapidement. Rien n’indique que le processus soit coûteux ni, de toute manière, plus coûteux que le contrôle judiciaire. Un arbitre a compétence pour accorder le droit d’établissement, ce qui constitue une réparation supérieure à celle susceptible d’être obtenue par voie de demande de contrôle judiciaire, où l’affaire peut tout simplement être renvoyée pour nouvel examen. La décision finale de la Section d’appel peut faire l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.
Le fait que je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire à ce stade-ci en raison de l’existence d’un recours subsidiaire adéquat préserve l’intégrité du processus établi par le législateur, reflète le souci justifié et raisonnable d’utiliser de façon économique les ressources judiciaires et garantit que la Cour aura l’avantage de disposer des motifs de la Section d’appel si elle doit trancher en bout de ligne des questions de droit dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.
[26] Ces affaires ont été tranchées sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration. Elles ne viennent pas confirmer la proposition voulant que le demandeur ait droit au contrôle judiciaire quand les voies d’appel du répondant n’ont pas été épuisées selon l’alinéa 72(2)a).
[27] Dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1109, le juge Shore a entendu une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un agent des visas, lequel avait conclu que le demandeur ne faisait pas partie de la catégorie du regroupement familial applicable à la résidence permanente et que les motifs d’ordre humanitaire invoqués ne justifiaient pas qu’on fasse droit à la demande de résidence permanente. Le juge Shore s’est penché sur la question de savoir s’il avait compétence pour contrôler le fond de la décision de l’agent des visas, soit examiner s’il était correct que le demandeur ait été exclu de la catégorie du regroupement familial. Il a conclu qu’il n’avait pas compétence en raison de l’alinéa 72(2)a) et a ensuite procédé au contrôle judiciaire de la décision portant sur les motifs d’ordre humanitaire.
[28] Le juge Shore a appliqué l’alinéa 72(2)a), mais il n’a pas analysé la raison d’être de cette disposition ni son effet sur la demande de contrôle judiciaire. Il a affirmé [aux paragraphes 20 à 22] :
En tant que répondant, le père de M. Li a le droit d’interjeter appel, devant la Section d’appel de l’immigration, du rejet de la demande de résidence permanente de son fils, M. Li. Or, en l’espèce, le père de M. Li n’a pas épuisé les droits d’appel que lui confère le paragraphe 63(1) de la LIPR.
L’article 72 de la LIPR porte sur les demandes de contrôle judiciaire. Le paragraphe 72(1) dispose qu’aucune demande ne peut être présentée tant que les voies d’appel prévues par la Loi ne sont pas épuisées :
72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonnée au dépôt d’une demande d’autorisation.
(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation :
a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées;
[. . .]
En conséquence, seule la décision défavorable rendue à l’issue d’une demande fondée sur les raisons d’ordre humanitaire prévues au paragraphe 25(1) de la LIPR peut, pour le moment, être contestée par voie de contrôle judiciaire.
[29] Plus récemment, dans la décision Ramautar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1003, le juge Pinard a entendu une demande de contrôle judiciaire d’une décision dans laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Le demandeur avait le droit d’interjeter appel auprès de la Section d’appel de l’immigration en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR. Le juge Pinard a conclu que le libellé de l’alinéa 72(2)a) était clair, qu’on ne peut déposer une demande de contrôle judiciaire tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées. Il a appliqué le raison-nement exposé par la juge Dawson dans la décision Sidhu. Il a déclaré, au paragraphe 6 : [traduction]
« [l]e demandeur dispose d’un recours subsidiaire et il doit s’en prévaloir avant de pouvoir demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission ».
[30] La LIPR et le Règlement fournissent une procédure permettant de réunir les familles lorsque l’un de ses membres est citoyen canadien ou résident permanent (membre canadien de la famille ou répondant canadien) et que l’autre est un étranger :
1. l’étranger peut demander la résidence permanente en tant que membre de la catégorie du regroupement familial (article 12 de la LIPR);
2. l’étranger appartient à la catégorie du regroupement familial s’il est l’époux ou un membre de la famille du répondant canadien (article 117 du Règlement);
3. le membre canadien de la famille peut parrainer un étranger qui demande la résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial (article 120 du Règlement);
4. la demande de résidence permanente ne peut faire l’objet d’une décision si le membre canadien de la famille retire sa demande de parrainage (article 119 du Règlement);
5. le membre canadien de la famille peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent auprès de la Section d’appel de l’immigration (article 63 de la LIPR).
[31] Ces dispositions ont pour effet de placer le répondant canadien de la famille en charge des demandes d’immigration de la catégorie du regroupe-ment familial. Un demandeur ne peut déposer de demande à moins qu’un membre canadien de sa famille ne parraine sa demande. Celle-ci ne peut pas être traitée si le membre canadien de la famille retire sa demande de parrainage. Selon l’alinéa 72(2)a), s’il y a un droit d’appel, cet appel doit être interjeté par le membre canadien de la famille qui agit comme répondant. Sous ce régime législatif, le répondant canadien de la famille a l’autorité de décider dans les faits d’introduire une demande dans la catégorie du regroupement familial, de la faire traiter ou d’y mettre fin. Le répondant canadien de la famille est également le seul à pouvoir interjeter appel d’une décision concernant la demande dans la catégorie du regroupement familial.
[32] Le paragraphe 63(1) prévoit que le répondant peut « interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent ». Le libellé de cette disposition ne limite pas les appels interjetés par le membre canadien de la famille aux questions de parrainage. Elle confère également au répondant canadien le droit d’interjeter appel sur des questions relatives à la demande de résidence permanente du demandeur dans la catégorie du regroupement familial.
[33] De même, l’alinéa 72(2)a), qui limite l’accès du demandeur au contrôle judiciaire, mentionne « les voies d’appel », ce qui comprend notamment le droit d’appel du répondant canadien de la famille.
[34] Par conséquent, bien qu’il soit vrai que le droit d’appel n’est conféré qu’au répondant canadien de la famille et non au demandeur, je conclus que, pour contester la décision d’un agent d’immigration, il faut passer par un appel du répondant, qui est citoyen ou résident permanent du Canada.
[35] Je me pencherai maintenant sur la question de savoir si l’appel interjeté par le répondant canadien de la famille auprès de la SAI constitue un autre recours approprié. La SAI doit trancher les appels conformément à l’article 67 de la LIPR, lequel dispose ceci :
67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :
a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;
b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;
c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.
[36] Il ressort clairement du libellé du paragraphe 63(1) que la SAI a amplement compétence pour examiner les questions soulevées en l’espèce.
[37] En outre, la jurisprudence a constamment conclu qu’un appel interjeté devant la SAI est un appel de novo. La SAI peut prendre en considération toute la preuve dont elle est saisie (voir Mendoza c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1673; Kahlon c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 104 (C.A.) (QL)). La SAI n’est pas confinée aux questions précises résultant de la décision de l’agent. La SAI peut entendre en appel toute la preuve relative à la demande de résidence permanente présentée au titre de la catégorie du regroupement familial.
[38] Dans l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, le juge en chef Lamer a déclaré, au paragraphe 37 :
Me fondant sur ce qui précède, je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d’une procédure d’appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent: la commodité de l’autre recours, la nature de l’erreur et la nature de la juridiction d’appel (c.-à‑d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d’offrir un redressement). Je ne crois pas qu’il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents. [Non souligné dans l’original.]
[39] L’appel auprès de la SAI est pratique dans la mesure où il est facilement accessible au membre canadien de la famille et que le processus permet d’examiner les questions de novo. Les questions que le demandeur souhaite soulever vont plus loin que le refus par l’agent d’accorder la résidence permanente parce que le demandeur ne s’est pas présenté à l’entrevue. L’appel auprès de la SAI permet également l’examen de toutes les questions découlant du refus d’accorder la résidence permanente étant donné le mandat que confère la loi à la SAI et la capacité de celle-ci d’entendre une affaire de novo. Enfin, la SAI a la capacité d’accorder la réparation demandée si elle convient, alors que le contrôle judiciaire n’entraîne que des réparations plus limitées.
[40] J’estime que le demandeur dispose d’un autre recours, soit l’appel interjeté par le répondant canadien de la famille. J’appliquerais le même raisonnement qu’a appliqué la juge Dawson dans la décision Sidhu, aux paragraphes 31 à 34, c’est-à-dire que le demandeur d’un visa de résident permanent appartenant à la catégorie du regroupement familial est assujetti à l’alinéa 72(2)a) et qu’il doit interjeter appel par l’intermédiaire de son répondant.
[41] Le libellé de l’alinéa 72(2)a) n’interdit pas expressément la demande de contrôle judiciaire. Il la diffère plutôt, « tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées ». Puisque l’expression « voies d’appel » a une large portée, j’estime que l’interdiction s’applique aux demandes de contrôle judiciaire portant sur la même question, jusqu’à ce que le processus d’appel soit terminé. Toute demande de contrôle judiciaire serait nécessairement déposée à la suite d’une décision en appel de la SAI.
CONCLUSION
[42] Le demandeur dispose d’un autre recours approprié, c’est-à-dire le droit d’appel auprès de la SAI de sa répondante. Je conclus qu’il est interdit au demandeur de déposer une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR jusqu’à ce que les voies d’appel de sa répondante soient épuisées.
[43] Puisque j’ai décidé de rejeter la demande de contrôle judiciaire au motif que l’alinéa 72(2)a) de la LIPR l’interdit, je n’ai pas besoin de répondre aux autres questions relatives à la décision de l’agent.
[44] Le demandeur propose que les questions suivantes soient certifiées :
[traduction]
1. L’article 72 de la LIPR interdit-il toute demande de contrôle judiciaire présentée par la personne ayant déposé une demande pour conjoint pendant que le répondant exerce un droit d’appel en vertu de l’article 63 de la LIPR?
2. a) Dans le cadre d’une demande pour conjoint, les articles 11 et 16 de la LIPR requièrent-ils en général une entrevue personnelle sur place, dans un bureau des visas à l’étranger? et
b) En cas de réponse affirmative à la question 2a), les articles 11 et 16 requièrent-ils une telle entrevue pour un demandeur qui est un demandeur d’asile dont la demande d’asile n’a pas été tranchée définitivement?
[45] La Cour d’appel fédérale ne s’est jamais penchée sur la première question, soit l’effet de l’alinéa 72(2)a) de la LIPR sur un demandeur dont le répondant détient le droit d’appel. En l’espèce, la première requête du défendeur visant à faire rejeter la demande de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour, laquelle a ordonné que la demande de contrôle judiciaire soit entendue. Lors du contrôle judiciaire, le défendeur a répété ses observations dans lesquelles il invoquait l’alinéa 72(2)a) pour faire rejeter la demande et j’ai donné effet à ces observations.
[46] Puisque cette question n’a pas été tranchée par un tribunal plus élevé et puisque le régime d’immigration bénéficierait d’un éclaircissement sur la question, j’estime qu’il convient de certifier la question comme étant de portée générale.
[47] La seconde question proposée par le demandeur, au sujet de l’entrevue personnelle sur place, porte sur un domaine où l’agent d’immigration a un certain pouvoir discrétionnaire. Je ne crois pas qu’il convienne de certifier cette question ou la question subséquente.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Une question sur l’effet de l’alinéa 72(2)a) est certifiée :
L’article 72 de la LIPR interdit-il toute demande de contrôle judiciaire présentée par la personne ayant déposé une demande pour conjoint pendant que le répondant exerce un droit d’appel en vertu de l’article 63 de la LIPR?
3. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.