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Référence :

nation crie de samson c. nation crie de samson (Chef et conseil), 2008 CF 1308, [2009] 4 R.C.F. 3

T-880-06

Andrew Mark Buffalo, également connu sous le nom d’Andrew Mark Freeman, en son nom personnel et au nom de toutes les personnes devenues membres de la Nation crie de Samson à compter du 29 juin 1987 (demandeurs)

c.

Chef et Conseil de la Nation crie de Samson et la Nation crie de Samson (défendeurs – demandeurs mis en cause)

et

Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (défenderesse – défenderesse mise en cause)

Répertorié : Nation crie de Samson c. Nation crie de Samson (Chef et conseil) (C.F.)

Cour fédérale, juge Mactavish—Edmonton, 27 et 28 octobre; Ottawa, 24 novembre 2008.

Pratique — Recours collectifs — Requête pour faire autoriser une action à titre de recours collectif — Allégation selon laquelle la Nation crie de Samson traitait le demandeur et certains membres de la bande de manière inéquitable jusqu’à ce qu’ils soient officiellement reconnus comme membres de la Nation crie de Samson — La règle 334.16(1) des Règles des Cours fédérales énonce cinq éléments du test qui doivent être remplis pour que l’instance soit autorisée comme recours collectif — La déclaration du demandeur faisait état d’une cause d’action valable et d’un groupe identifiable d’au moins deux personnes, comme prévu — Néanmoins, le demandeur n’a pas satisfait au critère parce qu’il n’a pas réussi à soulever des questions de fait ou de droit communes à tous les membres du groupe et à démontrer que le recours collectif était le meilleur moyen de régler de façon équitable les points communs — Certaines questions nécessitaient une évaluation individuelle comme la question de la possibilité de découvrir la preuve, c.‑à‑d. le moment auquel chacun des membres du groupe a appris ou aurait dû apprendre des faits essentiels donnant lieu à sa cause d’action — En l’espèce, il était évident que les questions individuelles prédominaient sur les points communs — En outre, le demandeur n’a pas démontré qu’il serait un représentant demandeur acceptable comme l’exige la règle 334.16(1)e) des Règles — Requête rejetée.

Il s’agissait d’une requête pour faire autoriser une action intentée contre les défendeurs à titre de recours collectif. L’affaire découlait de la différence de traitement accordée aux Autochtones qui épousaient des non‑Autochtones selon la Loi sur les Indiens en vigueur avant 1985, différence de traitement qui a été éliminée lorsque la Loi sur les Indiens a été modifiée en 1985. À compter du 17 avril 1985, certaines personnes qui n’étaient pas membres de la Nation crie de Samson auparavant, comme le demandeur, sont devenues autorisées à faire inscrire leurs noms sur la liste des effectifs de la bande. La mise en œuvre des nouvelles dispositions législatives concernant les effectifs des bandes a suscité plusieurs problèmes. En conséquence, la Nation crie de Samson a tardé à reconnaître l’adhésion de certaines personnes, y compris le demandeur. L’action du demandeur a été intentée en son nom personnel et au nom de toutes les personnes qui sont devenues membres de la Nation crie de Samson à compter du 29 juin 1987.

La Nation crie de Samson touche des redevances de la Couronne relativement aux ressources naturelles exploitées sur les terres des réserves qu’elle occupe ou dans lesquelles elle possède une participation indivise avec d’autres bandes. Le calcul des paiements se fait par tête et est fondé sur les listes des membres que tient le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAIN) pour chaque bande. La Nation crie de Samson ne verse des allocations par tête qu’aux personnes qu’elle reconnaît à titre de membres. La Nation crie de Samson a reconnu le demandeur comme membre le 1er juin 1995 et celui‑ci reçoit depuis de la bande des montants au titre de l’allocation par tête. Néanmoins, il soutient essentiellement que lui et d’autres membres de la bande auraient été traités de manière inéquitable parce qu’ils n’ont reçu aucune somme de la Nation crie de Samson au titre des allocations par tête pendant certaines périodes, notamment pour la période allant du 1er mai 1988 au 1er juin 1995. De même, il a affirmé que la Nation crie de Samson a dissimulé frauduleusement le fait qu’elle touchait des redevances de la Couronne calculées en fonction des données couvrant les membres du groupe envisagé.

Jugement : la requête doit être rejetée.

Il y a peu de jurisprudence de la Cour fédérale au sujet du processus d’autorisation de recours collectifs. Les requêtes portant autorisation d’une instance comme recours collectif sont régies par le paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, qui dispose que le juge autorise l’instance comme recours collectif lorsque les cinq éléments du test sont établis. Selon le premier élément qui devait être rempli, les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable (alinéa 334.16(1)a)). Étant donné que cet élément ne scellait pas l’issue du litige, la Cour a présumé, aux fins de la présente requête, que la déclaration révèle effectivement une cause d’action valable.

S’agissant du deuxième élément, c’est‑à‑dire s’il existe un groupe identifiable d’au moins deux personnes conformément à l’alinéa 334.16(1)b) des Règles, il faut démontrer qu’il ne serait pas possible de définir le groupe de façon plus restreinte sans exclure de façon arbitraire des personnes qui ont un intérêt commun dans le règlement de la question collective. De même, un lien rationnel doit exister entre le groupe identifiable et les points communs. Bien que la définition proposée comporte des lacunes et ne soit pas liée aux faits essentiels donnant lieu à la réclamation formulée par le demandeur, il existait un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes; ce groupe était circonscrit et défini par rapport à un critère objectif.

Pour pouvoir être autorisée comme recours collectif, l’instance doit soulever des questions de fait ou de droit communes à tous les membres du groupe. Une question ne sera donc « commune » que lorsque sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre. Toutefois, bien qu’il ne soit pas nécessaire que les points communs visent à trancher la responsabilité pour tous les membres du groupe, la question commune doit être suffisamment importante par rapport à la réclamation pour que sa résolution permette de faire évoluer le litige de manière significative. En outre, les points communs doivent être définis de manière précise. En l’espèce, le demandeur n’a proposé aucune question de cette nature, et il ne s’est donc pas déchargé du fardeau qui lui incombait. Même si le demandeur n’a pas rempli le test applicable à l’autorisation d’une instance, les autres éléments du test ont été analysés.

Il fallait aussi établir que le recours collectif était le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait communs. Le paragraphe 334.16(2) des Règles des Cours fédérales énonce les éléments qui doivent être pris en compte à cet égard. L’omission du demandeur de formuler des points de droit ou de fait commun devant être résolus au moyen du recours collectif a fait en sorte qu’il était pour ainsi dire impossible d’établir si les questions communes prédominaient sur les questions qui ne concernaient que certains membres. S’agissant des questions liées à la prescription du recours collectif envisagé, dans la mesure où la réclamation concerne la Couronne, l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif prévoit que les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. La question de la possibilité de découvrir la preuve, c’est‑à‑dire la question du moment auquel chacun des membres du groupe a appris ou aurait dû apprendre des faits essentiels donnant lieu à sa cause d’action, nécessiterait une évaluation individuelle. Une évaluation individuelle s’imposerait aussi pour trancher les réclamations relatives aux avantages perdus comme le logement, l’éducation et l’aide sociale. La valeur des réclamations individuelles en litige pouvait être élevée. En conséquence, comme il était évident que les questions individuelles prédominaient, il n’a pas été établi que le recours collectif était le meilleur moyen de régler de façon juste et efficace les questions en litige en l’espèce.

Enfin, le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il serait un représentant demandeur acceptable comme l’exige l’alinéa 334.16(1)e) des Règles. Il a omis de préparer ne serait‑ce qu’un plan rudimentaire au sujet du litige, qui couvrait des questions comme les mesures qui seraient prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et la façon dont les indemnités seraient évaluées.

    LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50.

Limitations Act, R.S.A. 2000, ch. L‑12, art. 3(1), 4, 11.

Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6.

Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4.

Loi modifiant la Loi sur les Indiens (règles relatives au décès), L.R.C. (1985) (4suppl.), ch. 43, art. 2.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), 32 (mod., idem, art. 31).

Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, L.R.C. (1985), ch. I‑7.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 39(1) (mod., idem, art. 38).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 10 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), 11 (mod., idem; (4e suppl.), ch. 43, art. 2).

Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, DORS/94‑753.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 221(1), 334.16 (édicté par DORS/2007‑301, art. 7), 334.17(1) (édicté, idem), 334.18 (édicté, idem), 334.39 (édicté, idem).

    JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534; 2001 CSC 46; Cloud v. Canada (Attorney General) (2004), 73 O.R. (3d) 401; 247 D.L.R. (4th) 667; 27 C.C.L.T. (3d) 50 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] 1 R.C.S. vi; Sorotski v. CNH Global N.V., [2008] 1 W.W.R. 386; (2007), 304 Sask. R. 83; 2007 SKCA 104.

décisions examinées :

Nation crie de Samson c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2002 CFPI 1299; Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 R.C.S. 158; 2001 CSC 68; Manuge c. Canada, [2009] 1 R.C.F. 416; 2008 CF 624; Harrington v. Dow Corning Corp., [1996] 8 W.W.R. 485; (1996), 22 B.C.L.R. (3d) 97; 31 C.C.L.T. (2d) 48 (C.S.); conf. par (2000), 193 D.L.R. (4th) 67; [2000] 1 W.W.R. 201; 144 B.C.A.C. 51; 2000 BCCA 605; Caputo v. Imperial Tobacco Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 728; 250 D.L.R. (4th) 756; 9 C.P.C. (6th) 175 (C.S.J.); Yellowbird v. Samson Cree Nation No. 444 (2006), 405 A.R. 333; 61 Alta. L.R. (4th) 315; 2006 ABQB 434; conf. par (2008), 433 A.R. 350; 92 Alta. L.R. (4th) 235; 2008 ABCA 270.

décisions citées :

Bande de Samson c. Canada, [1989] 1 C.N.L.R. 110; (1988), 24 F.T.R. 130 (C.F. 1re inst.); Rumley c. Colombie‑Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184; 2001 CSC 69; Sauer v. Canada (Agriculture), 2008 CanLII 43774 (C.S.J. Ont.); Sander Holdings Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), 2006 CF 327; Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 4 R.C.F. 341; 2006 CF 197; Sylvain c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2004 CF 1610; Rasolzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 386; 2005 CF 919; Le Corre c. Canada (Procureur général), 2004 CF 155; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Peppiatt et al. v. Nicol et al. (1993), 16 O.R. (3d) 133; 20 C.P.C. (3d) 272; (Div. gén.); Denis v. Bertrand & Frere Construction Co., [2000] O.J. no 5783 (C.S.J.) (QL); Campbell v. Flexwatt Corp., [1998] 6 W.W.R. 275; (1997), 98 B.C.A.C. 22; 44 B.C.L.R. (3d) 343 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] S.C.C.A. n13 (QL); Carom v. Bre‑X Minerals Ltd. (1999), 44 O.R. (3d) 173; 46 B.L.R. (2d) 247; 35 C.P.C. (4th) 43 (C.S.J.); Rosedale Motors Inc. v. Petro‑Canada Inc., [2001] O.J. n 5368 (C. div.) (QL); Daniels v. Canada (Attorney General), [2003] 6 W.W.R. 72; (2003), Sask. R. 120; [2003] 2 C.N.L.R. 98; 2003 SKQB 58; Signalta Resources Limited v. Dominion Exploration Canada Ltd., 2007 ABQB 636; Knight v. Imperial Tobacco Canada Ltd. (2006), 267 D.L.R. (4th) 579; [2006] 9 W.W.R. 393; 54 B.C.L.R. (4th) 204; 2006 BCCA 235; Bodnar v. The Cash Store Inc., [2006] 9 W.W.R. 41; (2006), 55 B.C.L.R. (4th) 53; 2006 BCCA 260; Williams v. College Pension Board of Trustees (2005), 254 D.L.R. (4th) 536; 45 B.C.L.R. (4th) 158; 41 C.C.E.L. (3d) 228; 2005 BCSC 788; Fakhri v. Alfalfa’s Canada Inc. (2003), 26 B.C.L.R. (4th) 152; 41 C.P.C. (5th) 369; 2003 BCSC 1717; Paron v. Alberta (Environmental Protection) (2006), 402 A.R. 85; [2006] 9 W.W.R. 450; 60 Alta. L.R. (4th) 95; 2006 ABQB 375; Bellaire v. Independent Order of Foresters (2004), 19 C.C.L.I. (4th) 35; 5 C.P.C. (6th) 68 (C.S.J. Ont.); Public Service Alliance of Canada Pension Plan Members v. Public Service Alliance of Canada (2005), 47 C.C.P.B. 5; 18 C.P.C. (6th) 391 (C.S.J. Ont.); Carom v. Bre‑X Minerals Ltd. (1998), 20 C.P.C. (4th) 163 (Div. gén. Ont.); Toms Grain & Cattle Co. Ltd. v. Arcola Livestock Sales Ltd., 2004 SKQB 338.

    doctrine citée

Alberta Law Reform Institute. Class Actions: Final Report No. 85. Edmonton : Alberta Law Reform Institute, décembre 2000.

    REQUÊTE pour faire autoriser une action intentée contre les défendeurs à titre de recours collectif. Requête rejetée.

    ONT COMPARU

Terence Glancy pour les demandeurs.

Marco S. Poretti pour les défendeurs, chef et conseil de la Nation crie de Samson et Nation crie de Samson.

Kevin P. Kimmis et Teresa A. Crotty‑Wong pour la défenderesse Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Royal, McCrum, Glancy & Teskey, Edmonton, pour les demandeurs.

Parlee McLaws LLP, Edmonton, pour les défendeurs, chef et conseil de la Nation crie de Samson et Nation crie de Samson.

Le sous‑procureur général du Canada pour Sa Majesté la Reine, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

    Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]     La juge Mactavish : Andrew Buffalo a intenté une action contre le chef et le conseil de la Nation crie de Samson et contre la Nation crie de Samson elle‑même (collectivement les défendeurs Samson), ainsi que contre Sa Majesté La Reine, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il a intenté cette action « en son nom personnel et au nom de toutes les personnes qui sont devenues membres de la Nation crie de Samson à compter du 29 juin 1987 ».

[2]     M. Buffalo veut aujourd’hui faire autoriser l’action à titre de recours collectif. Pour les motifs exposés ci‑après, je suis d’avis que M. Buffalo n’a pas établi plusieurs éléments du test applicable à l’autorisation d’une instance comme recours collectif. En conséquence, la requête sera rejetée.

Les faits à l’origine de l’action

[3]     Afin de comprendre les questions que les parties ont soulevées au sujet de la requête en autorisation d’un recours collectif, il est nécessaire de connaître l’histoire complexe des relations entre les parties qui ont mené à l’introduction de l’action en l’espèce.

[4]     La présente affaire découle de la différence de traitement accordée aux hommes et femmes qui épousaient des non‑Autochtones, selon les dispositions de la Loi sur les Indiens [maintenant L.R.C. (1985), ch. I‑5] en vigueur avant 1985. Lors de l’adoption des modifications apportées à la Loi en 1985 par le projet de loi C‑31 (Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4), cette différence de traitement d’origine législative a été éliminée.

[5]     Conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens modifiée, le ministère des Affaires indiennes et du Nord (MAIN ou la Couronne) devait tenir une liste de bande sur laquelle le nom de chaque personne ayant le droit de devenir membre de la bande en question serait inscrit.

[6]     À compter du 17 avril 1985, certaines personnes qui n’étaient pas membres de la Nation crie de Samson auparavant sont devenues autorisées à faire inscrire leurs noms sur la liste des effectifs de la bande. Le 28 juin 1987, d’autres personnes qui n’avaient pas été membres de la Nation crie de Samson avant le 17 avril 1985 ont obtenu le droit de le devenir. Ce dernier groupe comprenait des personnes faisant partie de la première génération de descendants de ceux et celles qui avaient précédemment été exclus comme membres de la bande en application de la Loi sur les Indiens en vigueur avant 1985.

[7]     Conformément à l’article 10 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4] de la Loi sur les Indiens en vigueur après 1985, les bandes ont pu décider de l’appartenance à leurs effectifs avec l’autorisation d’une majorité de leurs électeurs pourvu, notamment, qu’un avis convenable ait été donné et que la majorité des électeurs aient consenti aux règles d’appartenance qu’elles avaient fixées.

[8]     Après l’entrée en vigueur des modifications prévues au projet de loi C‑31, la Nation crie de Samson a tenté de reprendre le pouvoir de décision quant à l’appartenance à ses effectifs. Cependant, la Couronne a rejeté le code d’appartenance de la bande à la fin de 1987, parce qu’il n’était pas conforme aux exigences de la Loi sur les Indiens. Une demande de contrôle judiciaire relative à cette décision a été rejetée [Bande de Samson c. Canada, [1989] 1 C.N.L.R. 110 (C.F. 1re inst.)] et un appel interjeté à l’égard de cette décision a plus tard fait l’objet d’un désistement.

[9]     En 1988, le législateur a apporté à la Loi sur les Indiens [à l’article 11 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 4)] d’autres modifications [Loi modifiant la Loi sur les Indiens (règles relatives au décès), L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 43, art. 2] qui ont eu pour effet de permettre aux descendants des défunts de devenir membres de la bande. Ces modifications ont été appelées [traduction] « modifications relatives au décès ».

[10]     La mise en œuvre des nouvelles dispositions législatives concernant les effectifs des bandes a suscité plusieurs problèmes. Certaines bandes, dont la Nation crie de Samson, estimaient que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens en 1985 portaient atteinte à leurs droits à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale, qui sont des droits ancestraux et des droits issus de traités, ainsi qu’à leur droit de décider de l’appartenance à leurs effectifs. En conséquence, la Nation crie de Samson a tardé à reconnaître l’adhésion de certaines personnes qui avaient obtenu le statut de membres en vertu du projet de loi C‑31, y compris le demandeur, Andrew Buffalo.

[11]     La Nation crie de Samson occupe les réserves nos 137 et 137A, en Alberta, et possède une participation indivise avec trois autres bandes sur la réserve no 138 (également appelée la réserve du lac Pigeon).

[12]     Vers le 30 mai 1946, la Nation crie de Samson a cédé ses droits, titre et intérêt afférents au pétrole, au gaz naturel et à certains minéraux se trouvant sur les réserves 137 et 138 à la Couronne, en fiducie, pour qu’elle les exploite au profit de la Nation.

[13]     La Couronne négocie les baux relatifs à la production de pétrole, calcule les redevances et paie les intérêts afférents aux ressources pétrolières et gazières qui se trouvent sur les terres des réserves, conformément à la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, L.R.C. (1985), ch. I‑7, et au Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, DORS/94‑753. Les redevances provenant des réserves nos 137 et 137A sont versées à la bande, tandis que celles qui proviennent de la réserve no 138 sont réparties entre Samson et trois autres bandes. Le calcul des paiements se fait par tête, et est fondé sur les listes des membres que tient le MAIN pour chaque bande. Les questions en litige en l’espèce concernent cette dernière catégorie de redevances.

[14]     À l’occasion, la Nation crie de Samson verse des allocations par tête aux personnes qu’elle reconnaît à titre de membres. De plus, des avantages liés à des aspects comme le logement, l’éducation et l’aide sociale sont offerts aux membres de la bande qui sont réputés y avoir droit.

[15]     Conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens, la Nation crie de Samson tient un compte de capital et un compte de revenu. Les paiements qu’elle verse à même son compte de capital nécessitent l’approbation du MAIN, tandis qu’aucune approbation de cette nature n’est nécessaire dans le cas des paiements qu’elle verse à même son compte de revenu.

[16]     Jusqu’en 2005, la Couronne a versé les redevances pétrolières dans l’un des deux comptes de la bande. Les redevances étaient d’abord versées dans le compte de capital de la bande, et la Nation crie de Samson payait à même ce compte les allocations par tête aux membres de la bande.

[17]     Cependant, en 1987, la Nation crie de Samson s’est opposée au paiement d’allocations par tête à certaines des personnes figurant sur la liste du MAIN comme membres de la bande. Tant la bande qu’Andrew Buffalo ont intenté une action devant la Cour fédérale. M. Buffalo était le demandeur qui représentait environ 391 autres membres du groupe dans l’action engagée devant la Cour fédérale dans le dossier T‑430‑01 (le litige concernant le compte d’attente).

[18]     Par suite de mesures interlocutoires, le MAIN a commencé à transférer la partie des redevances se rapportant aux personnes dont la bande contestait l’appartenance dans un « compte d’attente » et a versé les montants dans ce compte entre le 29 juin 1987 et le 1er mai 1988.

[19]     Vers le mois de mai de 1988, la Nation crie de Samson a commencé à verser des paiements au titre des allocations par tête à même les intérêts accumulés dans son compte de revenu. Apparemment, ce changement visait notamment à empêcher le MAIN de verser les allocations par tête aux personnes, y compris Andrew Buffalo, que la Nation crie de Samson ne reconnaissait pas comme membres.

[20]     Le litige concernant le compte d’attente a finalement été résolu en 2002 au moyen d’une série d’ordonnances du juge Hugessen. Le 12 février 2008, M. Buffalo a signé une entente de règlement, de décharge générale et de confidentialité en faveur de la Couronne. La portée de la décharge accordée par M. Buffalo est contestée. Le document avait pour effet, à tout le moins, de libérer la Couronne de la responsabilité relative aux réclamations concernant les paiements qu’elle avait versés dans le compte d’attente au titre des allocations par tête à l’égard de M. Buffalo.

[21]     Dans l’intervalle, le 1er juin 1995, M. Buffalo a conclu avec la Nation crie de Samson une entente par laquelle la bande a reconnu celui‑ci comme membre; de son côté, M. Buffalo a dégagé la bande de la responsabilité relative aux réclamations qu’il aurait pu avoir contre elle [traduction] « à l’égard ou au titre des allocations par tête ». Même si ce fait n’est pas précisé dans l’entente de règlement, M. Buffalo a manifestement reçu la somme de 1 000 $ de la Nation crie de Samson à l’époque. Depuis ce temps, il a reçu de la bande des montants au titre de l’allocation par tête.

[22]     Par ailleurs, d’autres personnes dont la Nation crie de Samson avait contesté l’appartenance ont également signé à différentes dates avec elle des ententes de règlement et de décharge semblables, mais pas nécessairement identiques. La Couronne affirme que ces ententes ont été signées à l’insu du MAIN.

[23]     Dans ses motifs d’ordonnance du 11 décembre 2002 [motifs publiés à Nation crie de Samson c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2002 CFPI 1299], le juge Hugessen a conclu que l’entente de règlement et de décharge intervenue entre M. Buffalo et la Nation crie de Samson ne pouvait être invoquée contre M. Buffalo dans le litige concernant le compte d’attente, parce que la réclamation de M. Buffalo dans cette affaire a été formulée contre la Couronne, tandis que l’entente de règlement a été conclue avec la Nation crie de Samson.

[24]     Le juge Hugessen a reconnu [au paragraphe 9] que cette décharge pouvait « à juste titre libérer la bande », mais a précisé que l’entente était fondée sur la prétention de la bande selon laquelle elle exerçait un contrôle sur ses propres membres, car elle ne pourrait autrement permettre à M. Buffalo de devenir membre en échange de la décharge de responsabilité. Étant donné que tel n’était pas le cas, le juge Hugessen a conclu que la contrepartie essentielle du contrat était fausse, de sorte que la Nation crie de Samson ne pouvait opposer l’entente à M. Buffalo.

[25]     Le juge Hugessen a également fait remarquer que la bande avait des obligations fiduciaires envers ses membres et qu’elle devait traiter avec ceux‑ci d’une façon équitable. Il incombait à la Nation crie de Samson de démontrer qu’elle n’avait pas agi en violation de son obligation fiduciaire envers M. Buffalo en concluant l’entente, ce qu’elle n’avait pas réussi à faire.

[26]     Exception faite du paiement de 1 000 $ susmentionné, M. Buffalo soutient qu’il n’a reçu aucune somme de la Nation crie de Samson au titre des allocations par tête pour la période allant du 1er mai 1988, lorsque la Nation a commencé à verser des paiements de cette nature à même son compte de revenu, au 1er juin 1995, lorsqu’il a apparemment réglé avec la bande. Le recours collectif que propose M. Buffalo concerne cette période. La nature de la réclamation sera commentée de façon plus détaillée plus loin dans la présente décision.

[27]     Avant d’examiner les différents éléments du test applicable à l’autorisation d’une instance comme recours collectif, il convient d’abord de résumer les principes généraux régissant les recours collectifs.

Principes généraux régissant les recours collectifs

[28]     Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné, les recours collectifs visent à faciliter l’accès à la justice à ceux qui ne pourraient pas revendiquer leurs droits dans le cadre du processus judiciaire habituel. Les recours collectifs permettent en outre de réaliser des économies sur le plan judiciaire en donnant à la Cour la possibilité de rendre une décision dans une seule action, décision qui s’appliquera à de nombreuses autres réclamations portant sur des questions semblables. Enfin, les recours collectifs sont utiles parce qu’ils encouragent les malfaisants à modifier leur comportement : voir Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534; Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 R.C.S. 158; et Rumley c. Colombie‑Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184.

[29]     Dans la trilogie susmentionnée, la Cour suprême du Canada a également dit que les tribunaux devaient éviter d’appliquer une démarche trop restrictive en matière d’autorisation des recours collectifs pour adopter une interprétation qui donne pleinement effet aux avantages escomptés.

[30]     En outre, comme l’a dit la Cour suprême dans Hollick (au paragraphe 16) :

L’étape de la certification intéresse la forme que revêt l’action.  La question à cette étape n’est pas s’il est vraisemblable que la demande aboutisse, mais s’il convient de procéder par recours collectif.

[31]     En d’autres termes, une requête en autorisation d’un recours collectif est une question de procédure. Elle vise non pas à savoir si le litige a des chances de succès, mais plutôt comment il devrait se dérouler : voir Sauer v. Canada (Agriculture), 2008 CanLII 43774 (C.S.J. Ont.), au paragraphe 12.

[32]     Dans une requête semblable à celle dont la Cour est saisie en l’espèce, il appartient à la partie demanderesse d’établir un certain fondement factuel à l’appui de l’autorisation, c’est‑à‑dire qu’elle doit établir un certain fondement factuel pour chacune des conditions énoncées dans les règles, y compris l’exigence voulant que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable. Cette dernière exigence est régie par le principe selon lequel un acte de procédure ne devrait pas être radié à moins qu’il ne soit « manifeste et évident » qu’il n’y a lieu à aucune réclamation : voir Hollick, au paragraphe 25.

Dispositions applicables des Règles des Cours fédérales

[33]     Les requêtes portant autorisation d’une instance comme recours collectif sont régies par le paragraphe 334.16(1) [édicté par DORS/2007‑301, art. 7] des Règles des Cours fédérales [DORS/98‑106, règle 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2)], dont voici le libellé :

    334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux‑ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e) il existe un représentant demandeur qui :

         (i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

         (ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

         (iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

         (iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[34]     Il convient de souligner que le paragraphe 334.16(1) est rédigé en des termes péremptoires et prévoit que le juge autorise l’instance comme recours collectif lorsque les cinq éléments du test sont établis.

[35]     Les parties conviennent que le test énoncé au paragraphe 334.16(1) est conjonctif. Par conséquent, si l’un ou l’autre des cinq critères énumérés n’est pas établi, la requête devra être rejetée : voir Sander Holdings Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), 2006 CF 327, au paragraphe 38.

[36]     La règle 334.18 [édictée par DORS/2007‑301, art. 7], dont le texte est reproduit ci‑dessous, est également pertinent :

    334.18 Le juge ne peut invoquer uniquement un ou plusieurs des motifs ci‑après pour refuser d’autoriser une instance comme recours collectif :

a) les réparations demandées comprennent une réclamation de dommages‑intérêts qui exigerait, une fois les points de droit ou de fait communs tranchés, une évaluation individuelle;

b) les réparations demandées portent sur des contrats distincts concernant différents membres du groupe;

c) les réparations demandées ne sont pas les mêmes pour tous les membres du groupe;

d) le nombre exact de membres du groupe ou l’identité de chacun est inconnu;

e) il existe au sein du groupe un sous‑groupe dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe. [Je souligne.]

[37]     L’utilisation du mot « uniquement » ou « solely » donne à penser que, même si les facteurs énumérés sont réellement pertinents lors d’une requête en autorisation, aucun des facteurs, soit seul, soit combiné à d’autres facteurs énumérés, ne constitue, en soi, un motif suffisant pour refuser l’autorisation : voir Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 4 R.C.F. 341 (C.F.), au paragraphe 41.

[38]     Après avoir expliqué les dispositions applicables des Règles, je vais maintenant examiner la question de savoir si M. Buffalo a satisfait à chacune des conditions du test relatif à l’autorisation, de sorte que l’instance devrait être autorisée comme recours collectif.

La présente instance devrait‑elle être autorisée comme recours collectif?

[39]     Les Règles des Cours fédérales ont été modifiées en 2002 pour prévoir les recours collectifs [DORS/2002‑417, art. 17]. Étant donné que ce type de recours est assez récent à la Cour fédérale, celle‑ci n’a rendu que peu de décisions au sujet du processus d’autorisation.

[40]     Les Règles des Cours fédérales concernant l’autorisation des recours collectifs sont toutefois essentiellement les mêmes que les règles correspondantes de la Colombie‑Britannique [Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50] : Sylvain c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2004 CF 1610, au paragraphe 26 et Rasolzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 386 (C.F.), au paragraphe 23.

[41]     Les Règles sont également très semblables à celles qui existent en Ontario [Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6] : voir Le Corre c. Canada (Procureur général), 2004 CF 155, au paragraphe 17. En conséquence, la jurisprudence de ces provinces peut aider sensiblement la Cour à décider s’il convient, en l’espèce, d’accorder l’autorisation demandée.

[42]     Cela étant, je vais maintenant examiner chacun des facteurs énumérés au paragraphe 334.16(1) des Règles en commençant par la question de savoir si les actes de procédure révèlent une cause d’action valable.

a)      Y a‑t‑il une cause d’action valable?

[43]     Les parties conviennent que le critère imposé à cette étape est semblable à celui qui est appliqué à l’égard des requêtes visant à radier des actes de procédure. La question est donc de savoir s’il est « évident et manifeste » que les actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, à la page 980. Les parties reconnaissent également qu’il s’agit d’un seuil peu élevé : voir, par exemple, Manuge c. Canada, [2009] 1 R.C.F. 416 (C.F.), au paragraphe 38; Peppiatt et al. v. Nicol et al. (1993), 16 O.R. (3d) 133 (Div. gén.), aux pages 140 et 141; et Denis v. Bertrand & Frere Construction Co., [2000] O.J. no 5783 (C.S.J.) (QL).

[44]     De plus, les parties admettent que, contrairement à la règle applicable à la requête en radiation fondée sur le paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, il appartient dans ce cas‑ci à la partie demanderesse de démontrer que ses actes de procédure révèlent effectivement une cause d’action valable.

[45]     L’action de M. Buffalo en l’espèce a été engagée au moyen d’une déclaration délivrée le 24 mai 2006. Dans cette déclaration, M. Buffalo soutient qu’il n’a reçu aucune somme au titre des allocations par tête, que ce soit de la Couronne ou de la Nation crie de Samson, entre le 1er mai 1988 et le 1er juin 1995, et que d’autres personnes parmi les demandeurs n’ont pas reçu non plus de montants de cette nature pendant la même période ou des périodes plus courtes ou plus longues.

[46]     Bref, M. Buffalo allègue dans sa déclaration que la Nation crie de Samson a reçu de la Couronne des redevances se rapportant aux terres de Samson situées sur la réserve du lac Pigeon, lesquelles redevances ont été calculées en fonction des nombres de membres donnés par le MAIN qui comprenaient les membres du groupe envisagé.

[47]     M. Buffalo fait également valoir dans sa déclaration que les défendeurs Samson ont exclu par la suite les demandeurs de la distribution des allocations par tête et d’autres paiements ainsi que de l’accès aux avantages. Selon la déclaration, en agissant de la sorte, les défendeurs Samson ont violé l’obligation fiduciaire qu’ils avaient à l’endroit des demandeurs.

[48]     La violation de l’obligation fiduciaire résiderait, d’après la description figurant dans la déclaration, dans le fait d’avoir utilisé les noms des demandeurs pour obtenir une plus grande part par tête des redevances pétrolières provenant des terres de la réserve tout en refusant aux demandeurs les avantages financiers associés à l’appartenance à la bande, ce qui a donné lieu à un enrichissement sans cause au profit de celle‑ci. Les défendeurs Samson seraient également coupables, d’après la déclaration, de fraude selon l’equity.

[49]     Il est également allégué que la bande a omis de rendre compte aux demandeurs [traduction] « des redevances excédentaires reçues par tête selon l’entente signée par quelques‑uns ou l’ensemble des demandeurs; ce faisant, elle a dissimulé et continue à dissimuler frauduleusement l’ampleur des montants auxquels ils ont droit en equity ».

[50]     Enfin, il appert de la déclaration que les défendeurs Samson auraient traité les demandeurs de manière inéquitable par rapport aux autres membres de la bande en ce qui a trait à la distribution des allocations par tête et d’autres avantages depuis le 29 juin 1987 et en ce qui a trait à la dissimulation frauduleuse et continue de l’enrichissement.

[51]     En ce qui concerne la réclamation formulée contre la Couronne, M. Buffalo fait valoir que celle‑ci a reçu des redevances pétrolières et gazières de sociétés pétrolières et gazières en fiducie, au profit des bandes concernées, dont la Nation crie de Samson. Il ajoute que la Couronne est en mesure de retracer ces redevances ainsi que les intérêts versés sur celles‑ci.

[52]     Toujours selon la déclaration, la Couronne a une obligation fiduciaire envers la Nation crie de Samson, y compris les membres de celle‑ci, et a violé cette obligation en omettant de révéler aux demandeurs que les redevances pétrolières étaient calculées en fonction de leur appartenance à la Nation.

[53]     De plus, la Couronne aurait violé l’obligation fiduciaire qu’elle avait envers les demandeurs en portant les redevances et intérêts au crédit du compte de la Nation crie de Samson alors qu’elle savait que Samson agissait de façon malhonnête et frauduleuse parce qu’elle ne traite pas ses membres de manière équitable. La Couronne aurait également violé son obligation fiduciaire en omettant de prendre des mesures pour protéger les intérêts financiers des demandeurs du traitement inéquitable dont ils ont fait l’objet de la part de la Nation crie de Samson, dissimulant frauduleusement à ceux‑ci l’ampleur de leur droit en equity.

[54]     Chacun des défendeurs a formulé des observations étoffées au sujet des lacunes que comporterait la déclaration, afin d’établir que celle‑ci ne révèle aucune cause d’action valable. Étant donné que cette question ne scellerait pas l’issue du litige, je suis disposée à présumer, aux fins de la présente requête, que la déclaration révèle effectivement une cause d’action valable.

b)      Existe‑t‑il un groupe identifiable d’au moins deux personnes?

[55]     La Cour suprême du Canada a dit que la définition d’un groupe « est essentielle parce qu’elle précise qui a droit aux avis, qui a droit à la réparation (si une réparation est accordée), et qui est lié par le jugement » : Western Canadian Shopping Centres Inc., précité, au paragraphe 38.

[56]     Comme l’a également dit la Cour suprême dans l’arrêt Hollick, au paragraphe 21, cette exigence n’est pas lourde. Cependant, même si M. Buffalo n’est pas tenu de démontrer que chaque membre du groupe partage le même intérêt dans le règlement de la question collective invoquée, il doit être démontré que le groupe n’est pas trop large.

[57]     Cela signifie que M. Buffalo doit démontrer qu’il ne serait pas possible de définir le groupe de façon plus restreinte sans exclure de façon arbitraire des personnes qui ont un intérêt commun dans le règlement de la question collective : Hollick, au paragraphe 21.

[58]     Pour satisfaire à ce critère, M. Buffalo doit démontrer qu’il existe un groupe identifiable d’au moins deux personnes, lequel groupe est circonscrit et défini par rapport à un critère objectif : Hollick, au paragraphe 17.

[59]     Les paramètres de la définition du groupe que M. Buffalo a proposée ont varié tout au long de la présente instance. Dans la déclaration, le groupe envisagé est décrit comme M. Buffalo « en son nom personnel et au nom de toutes les personnes qui sont devenues membres de la Nation crie de Samson à compter du 29 juin 1987 ».

[60]     Au cours de sa plaidoirie, l’avocat de M. Buffalo a reconnu que cette définition était plutôt ouverte et mentionné qu’elle pourrait être modifiée par l’ajout des mots [traduction] « et qui ne sont pas reconnues à ce titre par la Nation crie de Samson ». Selon M. Buffalo, environ 400 personnes feraient partie de cette catégorie.

[61]     Lorsque la Cour a souligné que cette définition modifiée du groupe aurait pour effet d’exclure M. Buffalo, qui est lui‑même reconnu comme membre de la Nation crie de Samson depuis 1995, l’avocat a proposé une autre modification de la définition, selon laquelle le groupe comprendrait M. Buffalo [traduction] « en son nom personnel et au nom de toutes les personnes qui sont devenues membres de la Nation crie de Samson à compter du 29 juin 1987 et qui n’ont pas été reconnues à ce titre à un moment ou l’autre ». La requête a ensuite été débattue sur la base de cette définition proposée du groupe.

[62]     Dans ses observations en réponse, l’avocat de M. Buffalo a proposé une autre modification à la définition du groupe de façon à inclure M. Buffalo [traduction] « en son nom personnel et au nom de toutes les personnes qui sont devenues membres de la Nation crie de Samson à compter du 29 juin 1987 et qui n’ont pas été reconnues à ce titre à un moment ou l’autre entre le 29 juin 1987 et le 1er juin 1995 inclusivement ».

[63]     L’avocat a ensuite suggéré la création d’un sous‑groupe composé des membres du groupe qui n’ont jamais signé d’ententes de règlement avec la Nation crie de Samson. Lorsque la Cour a demandé à l’avocat s’il serait nécessaire de nommer un représentant demandeur distinct pour ce sous‑groupe, étant donné que M. Buffalo n’en serait pas membre, l’avocat a répondu qu’il appartiendrait à la Cour de décider si cette mesure était appropriée. Aucune personne n’a été proposée comme représentant acceptable pour le sous‑groupe.

[64]     Étant donné que la définition proposée du groupe a évolué, l’avocat des défendeurs a été autorisé à présenter des observations supplémentaires à titre de contre‑preuve.

[65]     Au cours de l’audience, la Cour a demandé au demandeur s’il voulait que chacun des membres du groupe puisse faire valoir une demande de dommages‑ intérêts nés au cours de la période postérieure au 1er juin 1995. L’avocat de M. Buffalo a répondu que, d’après ce qu’il avait compris, les demandes de dommages‑intérêts seraient limitées à celles qui sont nées au plus tard le 1er juin 1995 pour tous les membres du groupe, sauf en ce qui a trait aux demandes d’intérêts avant jugement.

[66]     Cependant, dans une lettre remise à la Cour après la fin de l’audience, l’avocat a plutôt souligné que [traduction] « les membres du groupe auront subi différents préjudices (pertes correspondantes) avant ou après le 1er juin 1995, notamment les personnes qui n’ont pas signé d’ententes avec Samson et qui n’ont donc jamais reçu de montants au titre des allocations par tête, si la Cour conclut qu’elles sont membres du groupe ».

[67]     Je reviendrai sur ce point lorsque je m’attarderai à la question de savoir si M. Buffalo peut être considéré comme un représentant demandeur. Cependant, avant de débuter mon analyse concernant l’existence d’un groupe identifiable, il m’apparaît impérieux d’exprimer ma préoccupation très réelle au sujet de la réflexion insuffisante que le demandeur semble avoir accordée à la question de la définition du groupe.

[68]     Comme je l’ai souligné au début, la définition du groupe est essentielle dans un recours collectif pour plusieurs raisons différentes. La définition proposée en l’espèce a évolué, le demandeur l’ayant modifiée constamment afin de répondre aux préoccupations soulevées par les parties adverses et par la Cour.

[69]     Je suis également préoccupée par le fait que M. Buffalo n’a proposé aucun point de droit ou de fait commun pour tous les membres du groupe. Je commenterai cette question dans la section suivante de la présente décision. Cependant, il convient de souligner à ce moment‑ci qu’un lien rationnel doit exister entre le groupe identifiable et les points communs. Il en est ainsi parce que la définition du groupe identifiable dépendra souvent en partie de la détermination des points communs, et vice versa : voir Cloud v. Canada (Attorney General) (2004), 73 O.R. (3d) 401 (C.A.), au paragraphe 48; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2005] 1 R.C.S. vi.

[70]     En conséquence, étant donné que M. Buffalo n’a pas proposé de points communs à résoudre dans le cadre d’un recours collectif, il est plus difficile de définir correctement le groupe.

[71]     De plus, la définition que M. Buffalo a finalement proposée n’est pas liée aux faits essentiels donnant lieu à la réclamation formulée par le demandeur. Si j’ai bien compris, cette réclamation repose en grande partie sur l’inclusion des noms de certains membres de la bande sur la liste de bande des effectifs tenue par le MAIN, laquelle liste a été utilisée aux fins du calcul des redevances à payer à la bande à l’égard de la réserve du lac Pigeon. Cette façon de procéder a donné lieu au paiement d’une part accrue des redevances pétrolières par tête et, apparemment, à l’enrichissement sans cause de la bande.

[72]     Un autre aspect important de la réclamation et, par conséquent, de la définition du groupe réside dans le fait que la bande n’a pas reconnu comme membres certaines personnes que le ministre avait reconnues à ce titre, de sorte que celles‑ci se seraient vu refuser des paiements à l’égard des allocations par tête et d’autres avantages et que la Nation crie de Samson aurait ainsi bénéficié d’un enrichissement sans cause.

[73]     Malgré les problèmes relevés plus haut et eu égard au fait que l’exigence relative au groupe identifiable n’est pas lourde, comme l’a dit la Cour suprême du Canada, je suis convaincue malgré tout qu’il existe en l’espèce un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes, lequel groupe est circonscrit et défini par rapport à un critère objectif.

[74]     Ce groupe peut être décrit comme suit :

Toutes les personnes qui sont devenues membres de la Nation crie de Samson entre le 29 juin 1987 et le 1er juin 1995 inclusivement, dont le nom a été inscrit sur la liste des effectifs tenue par le ministère des Affaires indiennes et du Nord pendant cette période et qui n’ont pas été reconnues comme membres de la bande par la Nation crie de Samson à un moment ou l’autre entre la date à laquelle leur nom a été ajouté à la liste tenue par le ministre et le 1er juin 1995.

[75]     Tel qu’il est mentionné plus haut, M. Buffalo a également proposé, dans ses observations en réponse, la création d’un sous‑groupe qui se limiterait selon lui aux quelque 42 personnes qui n’ont jamais signé d’ententes de règlement avec la Nation crie de Samson.

[76]     La création de sous‑groupes est régie par le paragraphe 334.16(3) [édicté par DORS/2007‑301, art. 7] des Règles des Cours fédérales, qui permet la création de sous‑groupes « de membres dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe de sorte que la protection des intérêts du sous‑groupe exige qu’ils aient un représentant distinct ».

[77]     Les parties ne s’entendent pas en l’espèce sur la force obligatoire des ententes de règlement et décharges qu’ont signées certains membres du groupe envisagé, y compris M. Buffalo, en faveur de la Nation crie de Samson. (Bien que M. Buffalo n’ait pas mentionné cet aspect relativement à la question de la définition du groupe, l’effet juridique des décharges signées par les membres du groupe envisagé en faveur de la Couronne dans le contexte du litige concernant le compte d’attente est également contesté.)

[78]     Cependant, le sous‑groupe dont M. Buffalo envisage la création se compose de personnes dont les réclamations ne soulèvent pas de point commun. De plus, M. Buffalo n’a pas expliqué pourquoi il est nécessaire que ces personnes soient représentées séparément pour que leurs intérêts soient protégés. En conséquence, il ne m’a pas convaincue de l’existence d’un sous‑groupe qui respecte les exigences du paragraphe 334.16(3) des Règles.

[79]     Avant de conclure sur cette question, j’aimerais souligner que, étant donné que la définition du groupe formulée par la Cour comporte une limitation temporelle claire, je ne partage pas l’avis des défendeurs selon lequel la composition du groupe évoluerait sans cesse ou selon lequel des personnes qui sont nées et ont été ajoutées à la liste du MAIN après juin 1995 deviendraient membres du groupe. Compte tenu de la définition formulée par la Cour, aucune personne ajoutée à la liste du MAIN après le 1er juin 1995 ne pourrait faire partie du groupe.

c)       Les réclamations des membres du groupe soulèvent‑elles des points de droit ou de fait communs?

[80]     Pour pouvoir être autorisée comme recours collectif, l’instance doit soulever des questions de fait ou de droit communes à tous les membres du groupe : voir Western Canadian Shopping Centres Inc., au paragraphe 39.

[81]     Effectivement, l’existence de questions communes est considérée comme l’aspect crucial d’un recours collectif : voir Manuge, au paragraphe 26 et Campbell v. Flexwatt Corp., [1998] 6 W.W.R. 275 (C.A.C.‑B.), au paragraphe 52; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] S.C.C.A. no 13 (QL).

[82]     Au moment de se demander si une affaire donnée soulève des questions de fait ou de droit communes à tous les membres du groupe, la Cour devrait s’attarder à l’objet visé. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer au paragraphe 39 de l’arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc., la question sous‑jacente est de savoir « si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique ». Selon la Cour suprême, une question ne sera donc « “commune” que lorsque sa résolution est nécessaire pour le règlement des demandes de chaque membre du groupe ».

[83]     La Cour suprême a ensuite formulé les remarques suivantes (au paragraphe 39) :

Il n’est pas essentiel que les membres du groupe soient dans une situation identique par rapport à la partie adverse.  Il n’est pas nécessaire non plus que les questions communes prédominent sur les questions non communes ni que leur résolution règle les demandes de chaque membre du groupe. Les demandes des membres du groupe doivent toutefois partager un élément commun important afin de justifier le recours collectif.  Pour décider si des questions communes motivent un recours collectif, le tribunal peut avoir à  évaluer l’importance des questions communes par rapport aux questions individuelles.  Dans ce cas, le tribunal doit se rappeler qu’il n’est pas toujours possible pour le représentant de plaider les demandes de chaque membre du groupe avec un degré de spécificité équivalant à ce qui est exigé dans une poursuite individuelle.

[84]     Pour que l’instance puisse être autorisée comme recours collectif, il n’est pas nécessaire que les points communs visent à trancher la question de la responsabilité pour tous les membres du groupe ou à sceller par ailleurs l’issue du litige : voir Campbell v. Flexwatt Corp., précité.

[85]     Cependant, la question commune doit être suffisamment importante par rapport à la réclamation pour que sa résolution permette de faire évoluer le litige de manière significative : voir Carom v. Bre‑X Minerals Ltd. (1999), 44 R.J.O. (3e) 173 (C.S.J.), au paragraphe 63 et Rosedale Motors Inc. v. Petro‑Canada Inc., [2001] O.J. no 5368 (C. div.) (QL).

[86]     Dans la présente affaire, M. Buffalo donne la description suivante des points communs dans son mémoire : [traduction] « en ce qui concerne les questions de fait, les membres du groupe envisagé sont tous des membres de Samson » et « en ce qui concerne les questions de droit, ils sont tous visés par le même régime législatif fédéral et peuvent tous invoquer les mêmes obligations fiduciaires à leur endroit ».

[87]     Au cours de sa plaidoirie, l’avocat de M. Buffalo a décrit les questions de fait communes comme des questions soulevées [traduction] « au nom de toutes les personnes de la Nation crie de Samson qui ont reçu des redevances pétrolières », et en précisant que [traduction] « jusqu’à ce qu’ils signent des ententes, les membres du groupe n’ont reçu aucun avantage de la Nation crie de Samson ».

[88]     Cependant, même si les déclarations susmention-nées portent peut‑être sur les caractéristiques communes du groupe envisagé, aucune des questions relevées par l’avocat de M. Buffalo n’est une question commune qui doit être résolue afin que le litige puisse progresser de manière significative. Effectivement, je crois qu’aucune de ces questions appelées « questions communes » ne soit sérieusement contestée en l’espèce.

[89]     Pour que l’instance puisse être autorisée comme recours collectif, les points communs doivent être définis de manière précise en vue de leur inclusion dans l’ordonnance d’autorisation et sont habituellement présentés sous forme de questions à trancher au cours du litige.

[90]     À titre d’exemple, dans Harrington v. Dow Corning Corp., [1996] 8 W.W.R. 485 (C.S.C.‑B.); conf. par (2000), 193 D.L.R. (4th) 67 (C.A.C.‑B.), une des questions autorisées par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique [au paragraphe 41] était la suivante : [traduction] « Les prothèses mammaires en gel de silicone sont‑elles raisonnablement adaptées à leur objet? »

[91]     Dans la même veine, dans Manuge, la Cour fédérale a autorisé un certain nombre de questions, notamment « La Couronne a‑t‑elle des obligations fiduciaires envers le demandeur et le groupe et a‑t‑elle manqué aux obligations fiduciaires qu’elle a envers le groupe, par suite de l’application de l’alinéa 24a)(iv) de la partie III(B) de la police no 901102 du RARM », « La Couronne s’est‑elle enrichie sans cause, et une ordonnance de restitution est‑elle justifiée? » et « la Couronne devrait‑elle être tenue de verser des dommages‑intérêts généraux pour discrimination, violation d’obligations fiduciaires et mauvaise foi? » [voir l’ordonnance de la Cour fédérale].

[92]     Le demandeur n’a soulevé aucune question commune de cette nature en l’espèce.

[93]     Comme je l’ai souligné au début de la présente analyse, il incombe aux demandeurs de prouver un fondement à l’appui de chacun des critères de l’autorisation, y compris l’existence de questions de fait ou de droit communes à tous les membres du groupe, dont la résolution permettra de faire avancer le litige de manière significative.

[94]     Quelles que soient les questions de fait ou de droit communes pouvant exister en l’espèce, étant donné que M. Buffalo n’a proposé aucune question de cette nature dans le cadre de la présente requête, il est évident qu’il ne s’est pas déchargé du fardeau qui lui incombait à cet égard.

[95]     Tel qu’il est mentionné plus haut, le test applicable à l’autorisation d’une instance comme recours collectif est conjonctif. Étant donné que M. Buffalo n’a pas prouvé cet élément du test, la présente requête doit être rejetée. Cependant, pour le cas où un tribunal de révision verrait les choses différemment, je vais analyser les autres éléments du test.

d)      Le recours collectif est‑il le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait communs?

[96]     Les arguments des défendeurs au sujet de la présente requête ont porté principalement sur la question du meilleur moyen de régler les questions communes.

[97]     Dans Caputo v. Imperial Tobacco Ltd. (2005), 74 O.R. (3d) 728 (C.S.J.), le juge Winkler (alors juge de la Cour supérieure) a décrit l’examen visant à déterminer si un recours collectif est le meilleur moyen de trancher les questions communes comme un processus [traduction] « de nature largement discrétionnaire » (au paragraphe 29).

[98]     Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen en l’espèce, la Cour fédérale doit, selon le paragraphe 334.16(2) [édicté par DORS/2007‑301, art. 7] des Règles des Cours fédérales, tenir compte des éléments suivants :

    334.16 (1) […]

    (2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

[99]     Les arguments des parties à cet égard ont porté principalement sur le facteur mentionné à l’alinéa 334.16(2)a) des Règles, soit la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres.

Les questions communes prédominent‑elles sur les questions qui ne concernent que certains membres?

[100]      Dans l’arrêt Hollick, susmentionné, la Cour suprême du Canada a précisé que les tribunaux inférieurs ne devraient pas donner une interprétation trop restrictive du « meilleur moyen » et que cette exigence pouvait être respectée même lorsque des questions importantes nécessitant une évaluation individuelle existaient, pourvu que le règlement des questions communes permette de faire progresser substantiellement l’instance.

[101]      Dans Cloud, la Cour d’appel de l’Ontario a fait remarquer que l’évaluation du lien entre les questions communes et les questions individuelles est une démarche qualitative et non quantitative et que l’importance des questions communes doit être examinée par rapport à l’ensemble de la réclamation (voir le paragraphe 84).

[102]      Cependant, la Cour d’appel de l’Ontario a ajouté que la mesure dans laquelle le règlement des questions communes fera progresser substantiellement l’instance ne peut être déterminée qu’à la lumière des questions communes précises qui ont été formulées. À cet égard, elle a précisé que [traduction] « si les questions communes ne sont pas formulées avec précision, il sera impossible à toutes fins utiles d’en apprécier l’importance relative dans le contexte de l’ensemble de la réclamation », au paragraphe 77.

[103]      Cette remarque est particulièrement pertinente en l’espèce car, étant donné que M. Buffalo n’a formulé aucun point de droit ou de fait commun devant être résolu au moyen du recours collectif, il est pour ainsi dire impossible de procéder à une évaluation qualitative du critère du meilleur moyen aux fins de la requête en autorisation.

[104]      Cela étant dit, il convient de souligner que la présente instance soulève des questions importantes qui nécessiteront une évaluation individuelle.

i)        Les questions liées à la prescription

[105]      Tel qu’il est mentionné plus haut, la réclamation de M. Buffalo concerne, en partie, le refus des allocations par tête que lui devait selon lui la Nation crie de Samson pour la période allant du 1er mai 1988 au 1er juin 1995. La déclaration de M. Buffalo n’a été délivrée que le 24 mai 2006, près de 11 ans après qu’il eut été reconnu membre par la Nation crie de Samson et qu’il eut commencé à recevoir des allocations à ce titre.

[106]      Conformément au paragraphe 39(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 38] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre les particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

[107]      Dans la mesure où la réclamation concerne la Couronne, l’article 32 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 31] de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50 [art. 1 (mod., idem, art. 21)], prévoit que les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province.

[108]      Dans la présente affaire, la loi provinciale qui s’applique en matière de prescription est la Limitations Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, ch. L‑12, dont l’article 3(1) est ainsi libellé :

[traduction]

3(1) Sous réserve de l’article 11, si la demande d’ordonnance remédiatrice n’est pas présentée :

(a) dans les deux années suivant la date à laquelle le demandeur a appris ou, eu égard aux circonstances, aurait dû apprendre :

(i) que le préjudice visé par la demande a été subi,

(ii) que le préjudice est attribuable à la conduite du défendeur, et

(iii) que le préjudice, à supposer que le défendeur en soit responsable, justifie l’introduction d’une instance,

ou

(b) dans les dix années suivant la date à laquelle la cause d’action a pris naissance,

selon l’événement qui se produit en premier lieu, le défendeur, en invoquant la présente loi comme moyen de défense, est exonéré de toute responsabilité à l’égard de la demande.

[109]      L’article 11 de cette même Loi prévoit également ce qui suit :

[traduction]

11 Si, dans les dix années suivant la date à laquelle la cause d’action a pris naissance, le demandeur ne sollicite pas d’ordonnance remédiatrice à l’égard d’une réclamation fondée sur un jugement ou une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent, le défendeur, en invoquant la présente loi comme moyen de défense, est exonéré de toute responsabilité à l’égard de la demande.

[110]      Les défendeurs soutiennent que M. Buffalo était au courant de tous les faits essentiels nécessaires pour engager la présente action avant août 2000, lorsqu’il a retenu les services d’un avocat et intenté le litige concernant le compte d’attente. Étant donné qu’il n’a pas intenté la présente action dans les deux années suivant la date à laquelle il a appris ou aurait dû apprendre les faits essentiels donnant lieu à la réclamation, celle‑ci est prescrite, ajoutent‑ils.

[111]      Subsidiairement, les défendeurs font valoir que la réclamation de M. Buffalo est prescrite par application de l’article 3(1)(b) de la Limitations Act qui, selon eux, interdit l’introduction de toute réclamation plus de dix ans après la survenance du dernier préjudice subi. De l’avis des défendeurs, la dernière date à laquelle la réclamation de M. Buffalo aurait pu naître était le 1er juin 1995, soit la date à laquelle il a signé son entente avec la Nation crie de Samson et a commencé à recevoir des sommes au titre des allocations par tête. La déclaration n’ayant été délivrée que le 24 mai 2006, les défendeurs font valoir que la réclamation de M. Buffalo est prescrite.

[112]      Enfin, pour le cas où la réclamation de M. Buffalo serait visée par les dispositions transitoires de la Limitations Act, les défendeurs allèguent que le délai de prescription applicable est le délai prévu dans la loi précédente ou celui qui est prévu dans la nouvelle, selon celui qui survient le premier. Dans la présente affaire, le premier délai dans le temps serait le délai de six ans applicable à l’introduction d’actions relatives à la violation d’une obligation fiduciaire, de sorte que la réclamation de M. Buffalo est devenue prescrite le 1er juin 2001.

[113]      Les défendeurs ajoutent qu’une évaluation individuelle devrait être menée à l’égard de chaque membre du groupe en vue de déterminer ce que chacune de ces personnes savait et à quel moment elle l’a appris, ce qui permettrait de savoir si elles avaient une cause d’action viable à la date à laquelle la déclaration de M. Buffalo a été délivrée.

[114]      M. Buffalo répond que sa cause d’action n’est née qu’en décembre 2005, lorsqu’il a reçu une copie d’un document intitulé « Samson Cree Nation Information on the Capital Account from 1969 to 2003 ».

[115]      M. Buffalo invoque également l’article 4 de la Limitations Act de l’Alberta, dont voici le texte :

[traduction]

4(1) L’application du délai de prescription prévu à l’alinéa
3(1)(b) est suspendue pendant la période au cours de laquelle le défendeur a dissimulé frauduleusement le préjudice visé par la demande d’ordonnance remédiatrice.

(2) En vertu du présent article, il incombe au demandeur de prouver que l’application du délai de prescription prévu à l’alinéa 3(1)(b) a été suspendue.

[116]      Selon M. Buffalo, étant donné qu’il allègue dans sa déclaration que les défendeurs ont dissimulé frauduleusement le fait que la Nation crie de Samson touchait des redevances calculées en fonction des données couvrant les membres du groupe, le délai de prescription n’a commencé à courir qu’en 2005.

[117]      En dernier lieu, M. Buffalo fait valoir qu’aucune évaluation individuelle n’est nécessaire en ce qui a trait à la question de la prescription relative à la dissimulation frauduleuse. À son avis, une conclusion portant que le délai de prescription n’avait pas commencé à courir dans le cas de sa réclamation personnelle vaudrait pour tous les autres membres du groupe.

[118]      Contrairement à ce que M. Buffalo soutient, je ne crois pas qu’une conclusion en sa faveur en ce qui a trait aux questions relatives à la prescription lierait tous les membres du groupe. Si tel était le cas, une personne qui aurait été parfaitement au courant dès 1995 de tous les faits allégués dans la déclaration de M. Buffalo et dont la réclamation serait par ailleurs prescrite pourrait faire ressusciter cette réclamation simplement par son appartenance au groupe.

[119]      Quels que soient les autres avantages inhérents aux recours collectifs, la résurrection après coup des réclamations prescrites n’en fait pas partie.

[120]      De plus, il appert clairement de l’article 4(2) de la Limitations Act qu’il appartient au demandeur de prouver que l’application du délai de prescription prévu à l’article 3(1)(b) a été suspendue en raison de la dissimulation frauduleuse faite par le défendeur.

[121]      En conséquence, la question du moment auquel chacun des membres du groupe a appris ou aurait dû apprendre les faits essentiels donnant lieu à sa cause d’action se posera sans l’ombre d’un doute. Or, la question de la possibilité de découvrir la preuve ne peut être tranchée de manière globale : voir Daniels v. Canada (Attorney General), [2003] 6 W.W.R. 72 (B.R. Sask.), au paragraphe 65. Elle nécessite plutôt une évaluation individuelle de l’état des connaissances de chaque membre du groupe ou sous‑groupe : voir également Signalta Resources Limited v. Dominion Exploration Canada Ltd., [2007] ABQB 636 et Knight v. Imperial Tobacco Canada Ltd. (2006), 267 D.L.R. (4th) 579 (C.A.C.‑B.).

ii)       Les réclamations relatives aux avantages perdus

[122]      Contrairement aux allocations par tête, qui sont versées sur une base égale à chaque membre reconnu de la Nation crie de Samson conformément à une formule fixe, les avantages relatifs aux aspects comme le logement, l’éducation et l’aide sociale sont offerts à l’occasion aux membres de la bande qui sont réputés y avoir droit.

[123]      Selon l’affidavit de Clifford Potts, technicien juridique de la Nation crie de Samson, les décisions liées à l’admissibilité aux avantages ne dépendent pas de la question de savoir si un demandeur est devenu membre de la Nation par suite des modifications apportées à la Loi sur les Indiens par le projet de loi C‑31, ni ne sont liées par ailleurs à cette question.

[124]      À titre d’exemple, le financement des études post‑secondaires est déterminé sur une base individuelle. Les subventions et bourses accordées par l’entremise du Samson Education Trust Fund peuvent dépendre du rendement scolaire, de la disponibilité des fonds et de l’existence d’une demande d’aide financière présentée par la personne concernée.

[125]      Dans la même veine, les demandes relatives à un logement sur la réserve sont également évaluées sur une base individuelle. La question de savoir si une personne recevra des fonds au titre du logement peut dépendre de facteurs comme le nombre de membres de la famille, la disponibilité des fonds et l’existence d’une demande d’aide financière de la part de la personne concernée.

[126]      En ce qui concerne les prestations d’aide sociale, elles sont accordées en fonction de critères comme le lieu de résidence de la personne, les besoins financiers démontrés de celle‑ci et le fait qu’elle a présenté ou non une demande de prestations.

[127]      En conséquence, il est indéniable que, dans la mesure où la réclamation se rapporte aux avantages perdus, une évaluation individuelle devra être menée pour chaque membre du groupe.

iii)      Les questions liées à la décharge

[128]      Enfin, des questions se poseront quant à l’opposabilité des décharges signées par certains membres du groupe en faveur de la Nation crie de Samson, et ces questions devront être évaluées de manière individuelle. Effectivement, l’avocat de M. Buffalo a admis au cours de sa plaidoirie qu’il serait nécessaire d’examiner la situation de chaque demandeur en ce qui a trait à la négociation et à la signature de chaque décharge.

[129]      Il sera également nécessaire d’examiner la situation individuelle de toutes les personnes qui ont été mêlées d’une façon ou d’une autre au litige concernant le compte d’attente et qui ont peut‑être signé des décharges en faveur de la Couronne.

Conclusion concernant la prédominance des questions individuelles

[130]      Tel qu’il est mentionné plus haut, pour décider si les questions de droit ou de fait communes prédominent sur celles qui touchent seulement certains membres, il convient de se demander non pas s’il existe des questions qui nécessitent une évaluation individuelle, mais plutôt s’il existe des questions communes dont le règlement permettrait de faire progresser l’instance.

[131]      Toutefois, dans la présente affaire, M. Buffalo n’a proposé aucune question de fait ou de droit commune dont le règlement pourrait faire progresser l’instance, tandis que les défendeurs ont relevé plusieurs questions qui nécessiteront une évaluation individuelle. Dans ces circonstances, il est évident que les questions individuelles prédominent, de sorte que le recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler de façon juste et efficace les questions en litige en l’espèce.

Autres considérations concernant la procédure souhaitable

[132]      Tel qu’il est mentionné plus haut, les arguments des parties ont porté principalement sur le facteur énoncé à l’alinéa 334.16(2)a) des Règles, soit la prédominance des points de droit ou de fait communs aux membres du groupe sur ceux qui ne concernent que certains membres. Cependant, la valeur des réclamations possibles a également été décrite comme un facteur militant à l’encontre de l’autorisation de l’instance comme recours collectif.

[133]      Un des avantages du recours collectif est le fait qu’il permet l’examen des réclamations d’une valeur peu élevée dans des circonstances où l’action individuelle ne serait par ailleurs tout simplement pas viable. Effectivement, la valeur minime des réclamations individuelles peut être un facteur militant en faveur de l’autorisation d’une instance comme recours collectif : voir, par exemple, Manuge, au paragraphe 28; Sorotski v. CNH Global N.V., [2008] 1 W.W.R. 386 (C.A. Sask.), au paragraphe 66; et Bodnar v. The Cash Store Inc., [2006] 9 W.W.R. 41 (C.A.C.‑B.), aux paragraphes 19 et 20.

[134]      Peu de renseignements ont été fournis au sujet du montant des réclamations individuelles en litige en l’espèce, bien que l’avocat du demandeur ait mentionné à un certain moment que la réclamation personnelle de M. Buffalo s’établirait à un montant oscillant autour de 192 000 $.

[135]      M. Buffalo allègue également dans sa déclaration que, du moins en mai 1988, le budget annuel de Samson prévoyait des paiements mensuels de 500 $ au titre des allocations par tête, ainsi que quatre distributions trimestrielles de 600 $ chacune.

[136]      J’ai également été saisie de la décision que le juge Slatter, alors juge de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, a rendue dans Yellowbird v. Samson Cree Nation No. 444 (2006), 405 A.R. 333; conf. par (2008), 433 A.R. 350 (C.A.). Bien qu’elle soit formulée de manière différente, l’action intentée dans Yellowbird portait sur des réclamations relatives aux allocations par tête présentées par des personnes dont l’appartenance à la Nation crie de Samson a été touchée par le projet de loi C‑31.

[137]      Il appert de la décision que la valeur du droit d’une personne au titre des allocations par tête pour la période allant de juin 1987 à février 2006 s’élevait à 197 547,55 $, y compris les intérêts.

[138]      Il semble donc que la valeur des réclamations individuelles en litige en l’espèce pourrait être élevée, de sorte qu’une instance séparée constitue effectivement une option viable. De plus, la valeur possible de ces réclamations individuelles est telle que les membres du groupe pourraient avoir intérêt à poursuivre des actions séparées.

Conclusion au sujet de la procédure souhaitable

[139]      Pour les motifs exposés ci‑dessus, M. Buffalo ne m’a pas convaincue qu’un recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les questions en litige en l’espèce.

e)       M. Buffalo est‑il un représentant demandeur acceptable?

[140]      Les éléments à présenter pour établir que le représentant demandeur envisagé serait effectivement acceptable sont énoncés à l’alinéa 334.16(1)e) des Règles. Selon cette disposition, il est nécessaire d’établir que le représentant demandeur envisagé :

334.16 (1) [….]

e) [….]

         (i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

         (ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

         (iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

         (iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

[141]      M. Buffalo soutient qu’il est un représentant demandeur acceptable, en se fondant principalement sur le fait que le juge Hugessen l’a jugé acceptable dans le contexte du litige concernant le compte d’attente.

[142]      M. Buffalo a déclaré sous serment que son avocat l’avait informé qu’il n’avait pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe envisagé. Il a également fourni une copie de l’entente sur les honoraires qu’il a signée avec son avocat.

[143]      En ce qui a trait au plan relatif au litige, M. Buffalo a proposé une méthode pour tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance, mais n’offre aucune autre suggestion concernant la poursuite de celle‑ci.

[144]      Je conviens avec les défendeurs que le fait que M. Buffalo a été approuvé comme représentant demandeur acceptable dans le contexte du litige concernant le compte d’attente ne signifie pas qu’il est nécessairement un représentant demandeur acceptable en l’espèce.

[145]      D’abord, il n’appert nullement des décisions du juge Hugessen qui m’ont été remises qu’une objection a été formulée relativement au fait que M. Buffalo agisse comme représentant demandeur dans cette affaire‑là. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

[146]      Je suis également troublée par l’omission de M. Buffalo de préparer ne serait‑ce qu’un plan rudimentaire au sujet du litige en l’espèce, comme l’exige le sous‑alinéa 334.16(1)e)(ii) des Règles. Lorsque la Cour a interrogé l’avocat à ce sujet, il a répondu que l’affaire faisait l’objet d’une gestion d’instance et qu’un plan de litige pourrait être élaboré dans le cadre de cette démarche. À un autre moment au cours de ses observations, l’avocat a mentionné que les Règles des Cours fédérales prévoyaient un modèle aux fins de son plan de litige.

[147]      Cependant, ces réponses sont tout simplement insuffisantes.

[148]      Je reconnais qu’il n’y a pas lieu d’examiner en détail un plan de litige à l’étape de l’autorisation, parce qu’il est probable qu’il sera modifié pendant l’instance. Cependant, le plan doit démontrer que le demandeur et son avocat ont réfléchi au déroulement de l’instance et qu’ils en saisissent les complexités : voir Sorotski, au paragraphe 95. Voir également Williams v. College Pension Board of Trustees (2005), 254 D.L.R. (4th) 536 (C.S.C.‑B.), aux paragraphes 139 et 140 et Fakhri v. Alfalfa’s Canada Inc. (2003), 26 B.C.L.R. (4th) 152 (C.S.), aux paragraphes 77 et 78.

[149]      De plus, le plan de litige aidera la Cour à décider si le recours collectif est le meilleur moyen de procéder dans une affaire donnée et si le litige peut être géré dans la forme sous laquelle il est présenté (voir Carom, précité).

[150]      Je conviens également avec la Cour d’appel de la Saskatchewan qu’aucune règle ou exigence fixe n’existe à l’égard des plans de litige et que la question de savoir si le contenu de celui‑ci est satisfaisant dépendra de la nature, de la portée et de la complexité du litige qu’il concerne (voir Sorotski, au paragraphe 78).

[151]      Cependant, il appert de la jurisprudence que le plan de litige doit couvrir les éléments suivants, laquelle liste n’est pas exhaustive :

i) les mesures qui seront prises pour déterminer l’identité des témoins nécessaires, les trouver et recueillir leur preuve;

ii) la collecte des documents pertinents auprès des membres du groupe et d’autres personnes;

iii) l’échange et la gestion des documents produits par toutes les parties;

iv) la remise d’un rapport régulier aux membres du groupe;

v) les mécanismes permettant de répondre aux questions des membres du groupe;

vi) la probabilité qu’un interrogatoire préalable soit tenu auprès de certains membres du groupe et, dans l’affirmative, la procédure envisagée à cette fin;

vii) la nécessité de recourir à des experts et, dans l’affirmative, les mesures à prendre pour les trouver et retenir leurs services;

viii) les mesures envisagées pour résoudre les questions individuelles qui demeureront encore en litige après le règlement des questions communes, le cas échéant;

ix) la façon dont les indemnités et autres formes de réparation seront évaluées ou déterminées une fois que les questions communes auront été tranchées.

Voir Sorotski, au paragraphe 78. Voir également Paron v. Alberta (Environmental Protection) (2006), 402 A.R. 85 (B.R.), au paragraphe 130; Bellaire v. Independent Order of Foresters (2004), 19 C.C.L.I. (4th) 35 (C.S.J. Ont.), au paragraphe 53; et Public Service Alliance of Canada Pension Plan Members v. Public Service Alliance of Canada (2005), 47 C.C.P.B. 5 (C.S.J. Ont.), au paragraphe 29.

[152]      En dernier lieu, comme l’a souligné la Cour d’appel de la Saskatchewan dans Sorotski, le plan de litige fourni par le représentant demandeur envisagé doit, à tout le moins, permettre au juge des requêtes de décider [traduction] « s’il y a lieu de confier au représentant demandeur la responsabilité de poursuivre l’instance pour le compte des membres du groupe », au paragraphe 81. Le « plan » présenté par M. Buffalo ne respecte pas ce seuil minimum.

[153]      Il est loisible à la Cour de permettre à l’avocat de déposer un plan révisé lorsque les autres exigences relatives à l’autorisation ont été satisfaites; voir, par exemple, Sorotski, au paragraphe 82. Voir également Carom v. Bre‑X Minerals Ltd. (1998), 20 C.P.C. (4th) 163 (Div. gén. Ont.) et Toms Grain & Cattle Co. Ltd. v. Arcola Livestock Sales Ltd., 2004 SKQB 338.

[154]      Toutefois, je ne suis pas disposée à le faire en l’espèce, étant donné que d’autres exigences relatives à l’autorisation n’ont pas été respectées et que j’ai d’autres réserves au sujet de l’acceptabilité de M. Buffalo comme représentant demandeur, question que je commenterai plus loin.

[155]      J’ai plusieurs autres raisons de conclure que M. Buffalo n’est pas un représentant demandeur acceptable en l’espèce. L’omission de sa part de déterminer des points de fait ou de droit communs m’incite à m’interroger sur sa capacité de représenter « de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe », comme l’exige le sous‑alinéa 334.16(1)e)(i) des Règles. Il en va de même de l’attention insuffisante qu’il a accordée à la description du groupe envisagé.

[156]      Enfin, les avocats ne m’ont pas demandé de rendre une décision définitive sur la question de savoir si la réclamation de M. Buffalo est prescrite ou sur l’effet des décharges qu’il a signées, et je ne l’ai pas fait en l’espèce. Cependant, j’estime qu’il existe au moins une question au sujet de laquelle M. Buffalo lui‑même a une réclamation viable, ce qui m’incite encore une fois à douter de l’acceptabilité de cette personne à titre de représentant demandeur.

[157]      En conséquence, M. Buffalo n’a pas réussi à me convaincre qu’il est un représentant demandeur acceptable en l’espèce.

Conclusion

[158]      Pour les motifs exposés plus haut, je suis d’avis que M. Buffalo n’a pas réussi à formuler de points de fait ou de droit communs qui peuvent être réglés au moyen du recours collectif. Il ne m’a pas convaincue non plus que le recours collectif est le meilleur moyen de régler le présent litige de façon juste et efficace. Enfin, il ne m’a pas convaincue qu’il est un représentant demandeur acceptable en l’espèce.

[159]      Comme je l’ai souligné au début de mon analyse, la liste figurant au paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales est conjonctive. Étant donné qu’au moins trois des critères relatifs à l’autorisation de l’instance comme recours collectif n’ont pas été établis, la requête est rejetée.

Dépens

[160]      Les défendeurs reconnaissent qu’en général, aucun montant n’est accordé au titre des dépens à l’égard des requêtes en autorisation d’un recours collectif, indépendamment du résultat de celles‑ci. Néanmoins, ils font valoir qu’ils devraient avoir droit à leurs dépens dans la présente affaire en raison de la conduite de M. Buffalo.

[161]      Voici le texte de la règle 334.39 [édictée par DORS/2007‑301, art. 7] des Règles des Cours fédérales :

    334.39 (1) Sous réserve du paragraphe (2), les dépens ne sont adjugés contre une partie à une requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif, à un recours collectif ou à un appel découlant d’un recours collectif, que dans les cas suivants :

a) sa conduite a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance;

b) une mesure prise par elle au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été effectuée de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

c) des circonstances exceptionnelles font en sorte qu’il serait injuste d’en priver la partie qui a eu gain de cause.

    (2) La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger les dépens qui sont liés aux décisions portant sur les réclamations individuelles de membres du groupe.

[162]      Se fondant sur les alinéas 334.39(1)a) et c), les défendeurs Samson font valoir que la requête de M. Buffalo est incomplète à plusieurs égards, notamment en raison de l’absence de points de fait ou de droit communs, ce qui justifierait l’octroi de dépens procureur‑client en leur faveur.

[163]      Les défendeurs Samson ajoutent qu’ils ont travaillé avec acharnement pour résoudre la question complexe et émotive de l’appartenance à la bande par suite des modifications apportées à la Loi sur les Indiens par le projet de loi C‑31 et que la grande majorité des membres du groupe envisagé ont déjà réglé leurs différends avec les défendeurs Samson et ont décidé de passer à autre chose.

[164]      Selon les défendeurs Samson, en voulant saisir à nouveau les tribunaux du litige, M. Buffalo cherche à défaire tout ce qui a été accompli tant par la Nation crie de Samson que par ceux qui soutiennent appartenir à celle‑ci.

[165]      Tout en reconnaissant que l’adjudication de dépens contre M. Buffalo pourrait avoir un « effet paralysant », les défendeurs Samson font valoir que cet effet [traduction] « n’est pas mauvais dans certains cas ».

[166]      La Couronne invoque également l’existence de « circonstances exceptionnelles » au sens de l’alinéa 334.39(1)c) des Règles pour solliciter des dépens. Se fondant sur le paragraphe 334.17(1) [édicté, idem] des Règles, elle souligne qu’une ordonnance autorisant une instance comme recours collectif doit énoncer les points de fait ou de droit communs au groupe. Étant donné qu’aucun point de fait ou de droit à trancher au moyen du recours collectif n’a été proposé, la requête ne comportait aucune allégation à laquelle la Couronne pouvait répondre.

[167]      La Couronne ajoute qu’elle n’a pas sollicité ses dépens dans le litige concernant le compte d’attente, même si elle a engagé des frais et qu’elle n’avait aucun intérêt direct dans l’issue de ce litige. Étant donné qu’elle est appelée à nouveau à plaider une affaire dans laquelle des questions similaires sont soulevées, la Couronne soutient qu’elle devrait avoir droit à un certain montant au titre des dépens.

[168]      M. Buffalo répond que la règle habituelle de la « non‑adjudication de dépens » devrait s’appliquer en l’espèce, soulignant que le juge Hugessen n’a accordé aucun montant au titre des dépens dans le litige concernant le compte d’attente. M. Buffalo ajoute que l’adjudication de dépens contre lui aurait un effet paralysant et qu’aucun aspect de sa conduite n’était déplacé au point de justifier une ordonnance en ce sens.

[169]      En raison des nombreuses lacunes que comportent les documents de la requête de M. Buffalo et les arguments connexes et que j’ai relevés dans les présents motifs, j’ai examiné très sérieusement la demande de dépens des défendeurs. J’ai également tenu compte des facteurs politiques sous‑jacents à la règle générale de la « non‑adjudication de dépens ».

[170]      Comme je l’ai mentionné plus haut dans les présents motifs, les recours collectifs visent, en partie, à favoriser un plus grand accès à la justice. La personne qui agit comme représentant demandeur ne tire habituellement aucun avantage personnel supplémentaire à ce titre et les frais additionnels seront habituellement associés à la poursuite de l’instance comme recours collectif plutôt que comme action individuelle. En conséquence, l’adjudication de dépens contre une personne dont la demande visant à faire autoriser une instance comme recours collectif est rejetée pourrait avoir pour effet de dissuader d’autres représentants demandeurs éventuels d’exercer des recours collectifs, ce qui irait totalement à l’encontre de l’objet de ceux‑ci : voir, par exemple, Alberta Law Reform Institute, Class Actions: Final Report No. 85 (Edmonton, Alberta : Alberta Law Reform Institute, décembre 2000), aux pages 143 et 144.

[171]      Bien que le paragraphe 334.39(1) des Règles des Cours fédérales autorise l’octroi de dépens dans certaines circonstances, il est évident que l’adjudication de dépens dans le cadre d’une requête en autorisation rejetée sera exceptionnelle. Au vu des circonstances et des facteurs énoncés dans la règle, et dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je ne délivrerai pas d’ordonnance sur les dépens en l’espèce.

ORDONNANCE

La requête est rejetée, sans frais.

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