[1993] 3 C.F. 251
A-891-92
Sa Majesté la Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Crestbrook Forest Industries Limited (intimée) (demanderesse)
Répertorié : Crestbrook Forest Industries Limited c. Canada (C.A.)
Cour d’appel, juge en chef Isaac, juge Stone, J.C.A. et juge suppléant Craig—Vancouver, 3 mars; Ottawa, 22 avril 1993.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire préalable — Interrogatoire préalable — Impôt sur le revenu — La Cour peut ordonner à une société canadienne d’obtenir d’actionnaires majoritaires non résidants qui ne sont pas parties à l’action, mais avec lesquels elle a conclu une entente commerciale internationale, les réponses aux questions posées pendant les interrogatoires préalables — La déclaration déposée par l’intimée sera radiée s’il n’est pas répondu aux questions susmentionnées.
Pratique — Preuve — Commission rogatoire — Une commission ne sera normalement pas émise pour obtenir une preuve par un interrogatoire préalable — Les circonstances ne sont pas assez exceptionnelles pour émettre une commission.
Corporations — Interrogatoire préalable — La Cour peut ordonner à une société canadienne d’obtenir d’actionnaires majoritaires non résidants qui ne sont pas parties à l’action, mais avec lesquels elle a conclu une entente commerciale internationale, les réponses aux questions posées pendant les interrogatoires préalables — Il convient de faire abstraction de la personnalité morale pour identifier les principaux bénéficiaires de l’entreprise exploitée au Canada par l’intimée — Il serait déraisonnable de permettre à des corporations non résidantes d’organiser leurs affaires pour qu’elles soient libres d’exploiter, au Canada, une entreprise commerciale rentable sans être également tenues de respecter la loi canadienne.
L’intimée, Crestbrook Forest Industries Limited (Crestbrook), exploite une usine de pâte en Colombie-Britannique. En 1966, pour obtenir des capitaux en vue de la construction d’une usine de pâte, Crestbrook a conclu un contrat de coentreprise avec deux compagnies japonaises. Avec l’achat d’actions et les nominations au conseil d’administration, les compagnies japonaises prenaient le contrôle du conseil d’administration. Le contrat de coentreprise comprenait également un contrat de vente de pâte qui prévoyait que Crestbrook vendrait la pâte produite par son usine de pâte aux Japonais avec un abattement généreux (de 5,6 p. 100 à 6 p. 100) et absorberait les coûts de la revente ou de la livraison à leurs clients.
Dans ses déclarations de revenus pour les années 1984, 1985 et 1986, Crestbrook a déclaré des pertes de 452 715 $, 22 632 915 $ et 934 534 $, respectivement. Concluant qu’un taux d’abattement de 5,6 p. 100 était excessif, le ministre a ajouté au revenu de Crestbrook les montants des abattements qui dépassaient 2,5 p. 100, le taux qu’il jugeait raisonnable soit, 2 116 665 $ pour 1984, 1 758 275 $ pour 1985 et 2 567 153 $ pour 1986. En outre, le ministre a établi que Crestbrook devait payer des impôts supplémentaires en application de la Partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu du fait que le montant de l’abattement qui dépassait 2,5 p. 100 représentait un dividende réputé et versé à des contribuables non résidants, dividende sur lequel Crestbrook aurait dû déduire et retenir à la source l’impôt payable sur ce dividende.
Crestbrook a interjeté appel de la décision du ministre. Aux fins des interrogatoires préalables, le représentant de Crestbrook s’est fait poser un certain nombre de questions sur le paiement des abattements accordés sur le prix de la pâte. Pour remplir ses engagements, soit de s’informer et de fournir des réponses, le représentant a écrit aux compagnies japonaises pour tenter d’obtenir des réponses. Les compagnies ont refusé de répondre volontairement.
Dans un avis de requête, le ministère public a demandé une ordonnance en application de la Règle 465(18) pour obliger Crestbrook à fournir des réponses aux vingt-deux questions. À titre subsidiaire, il demandait une ordonnance conformément à la Règle 465(20) pour radier l’action de Crestbrook, ou une ordonnance en application de la Règle 477 pour émettre une commission rogatoire afin d’interroger au Japon des personnes liées aux compagnies.
Le protonotaire adjoint a ordonné à Crestbrook de répondre à trois des vingt-deux questions en cause qui se rapportaient à des faits survenus après la conclusion du contrat de coentreprise. Il a conclu qu’il n’était pas nécessaire de répondre aux dix-neuf autres questions qui portaient sur des faits antérieurs au contrat de coentreprise.
En appel de la décision de la Section de première instance, le juge des requêtes a statué qu’il n’était pas nécessaire de répondre aux dix-neuf questions puisqu’elles n’avaient effectivement rien à voir avec l’entreprise commerciale internationale qui avait donné lieu à l’instance dont la Cour était saisie. Quant aux trois questions qui portaient sur des faits postérieurs à la coentreprise, le juge des requêtes a statué qu’il n’était pas loisible à la Cour de contraindre une partie à répondre à une question à laquelle seul pouvait répondre un tiers sur lequel la partie n’avait aucun contrôle. Il a noté que dans un appel en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre est autorisé à fonder ses conclusions sur ses propres hypothèses de fait et qu’il incombait alors au contribuable de les réfuter.
Appel de cette décision a été interjeté.
Arrêt : l’appel est accueilli.
Le but des Règles de la Cour fédérale a été d’assurer à tous les plaideurs un interrogatoire préalable complet avant l’instruction et à faire obstacle autant que possible à ce qu’on appelait communément les manœuvres « guet-apens » dans le système contradictoire. Le but de l’interrogatoire est de délimiter les points en litige et de réduire le plus possible le nombre des questions qui devront être tranchées au procès.
Aux fins de l’espèce, la limite pertinente est celle que posait la Règle 465(15) qui obligeait l’individu interrogé à « répondre à toute question sur tout fait » que la partie qu’il représentait « (connaissait) ou (avait) les moyens de connaître ». L’état du droit positif en la matière est exprimé dans le jugement Monarch Marking Systems, Inc. c. Esselte Meto Ltd., [1984] 1 C.F. 641 (1re inst.) : dans les cas appropriés, cette Cour a effectivement le pouvoir d’exiger le genre de réponses que tente d’obtenir le ministère public en l’espèce lorsqu’il est démontré au préalable qu’il y va de l’intérêt de l’administration de la justice de faire abstraction de la personnalité morale.
En l’espèce, les trois compagnies sont liées. Les deux compagnies japonaises possèdent une partie importante du capital-actions de Crestbrook et des rapports commerciaux à long terme lient les trois compagnies en vertu du contrat de vente de pâte. En fait, Crestbrook est assujettie à un contrôle actif des compagnies japonaises. L’idée selon laquelle les compagnies japonaises étaient considérées comme une seule entité est appuyée par la preuve documentaire.
Le juge des requêtes a donc eu tort de conclure que le rapport entre les compagnies japonaises, d’une part, et de Crestbrook, d’autre part, était tel que Crestbrook ne devrait pas être contrainte de fournir des réponses aux questions auxquelles le protonotaire adjoint lui avait ordonné de répondre.
Puisqu’il était clair que toutes les questions étaient pertinentes, il n’y avait pas lieu de faire de distinctions selon que ces questions portaient sur des événements antérieurs ou postérieurs à la conclusion du contrat de coentreprise.
Crestbrook était l’alter ego des compagnies japonaises qui la contrôlaient et qui ont toujours agi de concert dans l’exercice de ce contrôle. Par conséquent, cette dernière était en mesure d’obtenir les réponses aux questions en cause.
En plus de la contre-passation des commissions sur les ventes, il est allégué que les compagnies japonaises procèdent systématiquement à des « doubles prélèvements » par lesquels elles reçoivent des abattements sur le prix payé pour la pâte, permettant ainsi à Crestbrook (leur alter ego) de subir des pertes supplémentaires qui sont défalquées du bénéfice de Crestbrook. Il était donc opportun de faire abstraction de la personnalité morale pour identifier les principaux bénéficiaires de l’entreprise exploitée au Canada par Crestbrook. Il y va de la bonne administration de la justice que les âmes dirigeantes de Crestbrook soient tenues de répondre aux questions posées par le ministère public. Il serait déraisonnable de permettre à des corporations non résidantes d’organiser leurs affaires pour qu’elles soient libres d’exploiter, au Canada, une entreprise commerciale rentable sans être également tenues de respecter la loi canadienne.
Les commissions ne seront normalement pas émises pour obtenir une déposition qui serait obtenue pendant des interrogatoires préalables, et il ne s’agit pas d’un cas exceptionnel qui justifierait d’émettre une commission.
Crestbrook devrait répondre aux vingt-deux questions posées dans les quatre-vingt-dix jours sous peine de la radiation de sa déclaration.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 231.6 (édictée par L.C. 1988, ch. 55, art. 175), 251 (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 126; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 129; 1984, ch. 1, art. 105; ch. 45, art. 94).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 3.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, R. 465(1), (15),(17),(18),(20), 477.
Règles de procédure civile, R. Ont. 560/84, R. 30.02(4).
Rules of the Supreme Court 1965, R.S.C., O. 24, rr. 2, 3 (Angl.).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Monarch Marking Systems, Inc. c. Esselte Meto Ltd., [1984] 1 C.F. 641; (1983), 75 C.P.R. (2d) 130 (1re inst.); Leitch v. Grand Trunk R. W. Co., (1890), 13 P.R. 369 (C.A. Ont.); Irish Shipping Ltd. c. La Reine, [1974] 1 C.F. 445 (1re inst.); Champion Truck Bodies Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 245; (1986), 6 F.T.R. 63 (1re inst.); Dallas v. Dallas (1960), 24 D.L.R. (2d) 746 (C.A.C.-B.); Doyle (JC) c. MRN, [1978] CTC 597 (C.F. 1re inst.); Zingre c. La Reine et autres, [1981] 2 R.C.S. 392; (1981), 127 D.L.R. (3d) 223; 10 Man. R. (2d) 62; 61 C.C.C. (2d) 465; 23 C.P.C. 259; 38 N.R. 272.
DÉCISION NON SUIVIE :
Indalex Ltd. c. R. (1983), 40 C.P.C. 28; [1984] C.T.C. 51; 84 DTC 6018 (C.F. 1re inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
Lonrho Ltd. v. Shell Petroleum Co. Ltd., [1980] Q.B. 358 (C.A.), conf. par [1980] 1 W.L.R. 627 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES :
Sperry Corporation c. John Deere Ltd. et autre (1984), 82 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Control Data Canada, Ltd. c. Senstar Corp. (1987), 13 C.P.R. (3d) 546; 10 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.); Indalex Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 219; (1986), 86 DTC 6039; 1 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.); Indalex Ltd. c. La Reine, [1988] 1 C.T.C. 60; (1987), 88 DTC 6053; 83 N.R. 185 (C.A.F.); Indalex Ltd. c. Canada, [1987] 1 C.F. 570 (C.A.); Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd., [1976] 1 C.F. 213; (1975), 24 C.P.R. (2d) 175 (1re inst.).
DOCTRINE
Williston, W. B. et R. J. Rolls. The Law of Civil Procedure. Toronto : Butterworths, 1970.
APPEL d’une décision de la Section de 1re instance ((1992), 55 F.T.R. 146) selon laquelle une partie à une action n’était pas obligée d’obtenir d’actionnaires majoritaires non résidants qui ne sont pas parties à l’action mais avec lesquels elle a conclu un contrat de coentreprise, qu’ils répondent aux questions posées pendant l’interrogatoire préalable. La déclaration déposée par l’intimée sera radiée si les réponses aux questions susmentionnées ne sont pas fournies dans les quatre-vingt-dix jours. Appel accueilli.
AVOCATS :
John R. Shipley pour l’appelante (défenderesse).
Loren A. Green et Ian H. Pitfield pour l’intimée (demanderesse).
PROCUREURS :
Le sous-procureur général du Canada, pour l’appelante (défenderesse).
Thorsteinssons, Vancouver, pour l’intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge en Chef Isaac : Il s’agit d’un appel contre l’ordonnance d’un juge des requêtes de la Section de première instance [(1992), 55 F.T.R. 146], lequel a rejeté un appel interjeté par l’appelante et a accueilli un contre-appel interjeté par l’intimée, contre une ordonnance du protonotaire adjoint. Dans son ordonnance, le protonotaire adjoint avait enjoint à un dirigeant de l’intimée de s’informer et de répondre à certaines questions posées par l’appelante pendant un interrogatoire préalable.
Dans le présent appel, il faut se demander si une compagnie, partie à une action, est tenue d’obtenir d’actionnaires majoritaires non résidants qui ne sont pas parties à l’action, mais avec lesquels elle a conclu une entente commerciale internationale, les réponses aux questions, posées pendant les interrogatoires préalables, qui sont pertinentes au litige. Si une telle obligation existe, il faut ensuite se demander quelles sont les conséquences juridiques en cas d’inexécution.
HISTORIQUE
L’intimée, Crestbrook Forest Industries Limited (« Crestbrook »), est une société par actions constituée en vertu des lois de la Colombie-Britannique, ayant son siège social dans la ville de Cranbrook (C.-B.). Crestbrook exploite une usine de pâte à Skookumchuck, dans le sud-est de cette province. Jusqu’en 1967, la dénomination sociale de Crestbrook était Crestbrook Timber Limited (« Crestbrook Timber »).
Entre 1964 et 1966, pour obtenir des capitaux en vue de la construction d’une usine de pâte, Crestbrook Timber a entrepris une série de négociations avec deux compagnies japonaises, Honshu Paper Company (« Honshu ») et Mitsubishi Corporation (« Mitsubishi »). Ces négociations ont abouti à la conclusion d’un contrat de coentreprise en date du 15 août 1966. Les parties au contrat de coentreprise étaient Crestbrook Timber, Honshu et Mitsubishi (dans le contrat, ces deux dernières compagnies étaient collectivement appelées « Honshu Mitsubishi ») et les quatre principaux actionnaires de Crestbrook Timber, savoir MM. V. C. Brown, A. O. Farstad, Alphonse Fabro et Chester Chastek (désignés collectivement comme « les principaux actionnaires »).
Le contrat de coentreprise renfermait notamment les attendus suivants :
[traduction] A. Crestbook [Timber] et Honshu Mitsubishi ont poursuivi des négociations pour établir une usine de pâte dans le sud-est de la Colombie-Britannique dans le cadre d’une coentreprise qui comprendrait la constitution d’une nouvelle compagnie, laquelle serait la propriétaire exploitante de l’usine de pâte;
…
C. Crestbrook est une compagnie dûment constituée en vertu des lois de la province de la Colombie-Britannique, ayant un capital-actions autorisé de 700 000 $ divisé en 14 000 actions privilégiées d’une valeur nominale de 50 $ chacune; Crestbrook est également autorisée à émettre 1 500 000 actions ordinaires sans valeur nominale, dont 664 064 sont en circulation; Crestbrook et les principaux actionnaires proposent que soient émises 29 000 actions ordinaires supplémentaires conformément aux ententes intervenues jusqu’ici, attendu que ces 29 000 actions supplémentaires sont, aux fins des présentes, considérées comme étant également en circulation;
…
E. Crestbrook est titulaire du permis de sylviculture no 14 et d’un certain nombre de contrats de vente de bois accordés par le ministère des Forêts de la province de Colombie-Britannique pour l’exploitation forestière et le débitage de bois dans la région d’East Kootenay de cette province, lesquels permis et contrats sont valides à tous points de vue; en outre, Crestbrook exploite des scieries situées à Creston, Cranbrook, Canal Flats et Parson (C.-B.) et une usine auxiliaire de contreplaqué située à Fort McLeod (Alberta), et elle peut produire environ 50 000 unités de copeaux de bois qui peuvent être utilisés pour l’exploitation de l’usine de pâte proposée;
…
G. Les parties ont convenu qu’Honshu Mitsubishi acquerrait une participation dans Crestbrook, sous réserve des engagements de Honshu Mitsubishi énoncés ci-après;
En vertu de l’article 1.01 du contrat de coentreprise, Crestbrook Timber offrait à Honshu Mitsubishi 650 000 actions ordinaires de son capital-actions moyennant un prix d’émission de 7,50 $ l’action. Livraison de ces actions devait être prise au plus tard le 31 mars 1967. Honshu Mitsubishi a accepté ces actions sous réserve de certaines conditions énoncées dans le contrat, dont les suivantes :
[traduction] 1. le principal actionnaire, Farstad, devait donner à Honshu Mitsubishi, ou à ses prête-noms, dès la conclusion du contrat, une procuration irrévocable de dix ans pour exercer le droit de vote afférent à 25 000 de ses actions aux assemblées générales ou extraordinaires des actionnaires, tenues pendant cette période (article 1.05);
2. si Honshu Mitsubishi acceptait l’offre d’achat des 650 000 actions ordinaires, il lui serait loisible de tenter d’acquérir au moins 22 000 actions supplémentaires du capital-actions de Crestbrook Timber; les principaux actionnaires n’empêcheraient pas Honshu Mitsubishi de tenter d’acquérir des actions supplémentaires (article 1.06).
En vertu de l’article 2.03 du contrat de coentreprise, Honshu Mitsubishi devait tenter d’obtenir tout le financement important du projet d’usine de pâte, dont le coût prévu s’élevait à environ trente-trois millions de dollars.
En vertu de l’article 3.02, si Honshu Mitsubishi acceptait l’offre d’achat des actions, les principaux actionnaires feraient démissionner un nombre suffisant d’administrateurs de Crestbrook Timber et les remplaceraient par des personnes désignées par Honshu Mitsubishi de manière à donner à ces personnes le contrôle du conseil d’administration.
En vertu des articles 3.03 et 3.11, Crestbrook Timber s’engageait à modifier ses statuts pour que le conseil d’administration soit composé de douze personnes, dont six seraient choisies par Honshu Mitsubishi, et six par les autres actionnaires. En outre, les statuts modifiés devaient stipuler qu’une personne désignée par Honshu Mitsubishi serait président du conseil. Le président siégerait à toutes les réunions des administrateurs et il aurait une deuxième voix, ou une voix prépondérante, en cas d’égalité des voix.
À l’article 3.06, Honshu Mitsubishi s’engageait à conclure un contrat de vente de pâte avec Crestbrook Timber à des conditions sensiblement identiques au projet de contrat annexé au contrat de coentreprise. Comme nous le verrons, le différend au cœur du litige qui oppose le ministère public et Crestbrook intéresse l’une des conditions de ce contrat de vente de pâte.
Conformément aux conditions du contrat de coentreprise, en mars 1967, Honshu et Mitsubishi ont chacune acquis 325 000 actions ordinaires du capital-actions de Crestbrook Timber. Le contrat de vente de pâte a ensuite été conclu par Crestbrook et Honshu Mitsubishi le 30 septembre 1967. En vertu de l’article premier du contrat de vente de pâte, Crestbrook a accepté de vendre à Honshu et à Mitsubishi toute la pâte produite par son usine de pâte et celles-ci ont accepté d’acheter conjointement cette pâte. L’article 5 stipulait une formule pour calculer le prix de la pâte ainsi vendue. Entre autres choses, l’article 5 faisait la distinction entre la pâte vendue à Honshu pour sa propre consommation (Honshu était une compagnie fabricante de papier) et celle qui était vendue à Honshu et à Mitsubishi pour être revendue à leurs clients.
Pour la pâte vendue à Honshu pour sa propre consommation, le prix à payer à Crestbrook était [traduction] « égal au prix trimestriel courant le plus bas auquel Mitsubishi achète la pâte de [Crestbrook] pour les ventes au Japon ». Cependant, en ce qui a trait aux ventes à Honshu et à Mitsubishi pour la revente à leurs clients, le prix à payer à Crestbrook devait être calculé conformément à une formule qui peut être résumée comme suit :
a) le prix de vente réel de la pâte au client de Honshu ou de Mitsubishi, moins
b) tous les frais engagés par Honshu et Mitsubishi pour livrer la pâte à leurs clients depuis le point auquel Crestbrook la leurs a livrée, moins
c) un abattement de 5,6 p. 100 (ou 6 p. 100, selon les circonstances).
Le contrat de vente de pâte prévoyait également que Honshu Mitsubishi réviserait le taux d’abattement dix ans après la conclusion du contrat et à des intervalles de cinq ans par la suite. Pour des raisons qui deviendront claires plus loin, j’accorde de l’importance au fait que le contrat conférait un pouvoir de « révision » à Honshu Mitsubishi, en tant qu’entité unique, au lieu d’obliger trois parties distinctes à renégocier.
Le cas de Gottesman Company illustre la façon dont Honshu et Mitsubishi exerçaient leurs activités commerciales et le rôle qu’y jouait Crestbrook. Mitsubishi International Corporation, une filiale de Mitsubishi, a engagé Gottesman, une firme new-yorkaise, pour agir comme agent des ventes pour la pâte que Mitsubishi avait achetée à Crestbrook. Cependant, le contrat prévoyait que toutes les commissions que Gottesman portait au compte de Mitsubishi étaient, de fait, portées au compte de Crestbrook par la suite. Autrement dit, même si elle avait apparemment vendu sa pâte à Mitsubishi, Crestbrook était obligée d’assumer les frais de sa revente aux consommateurs ultimes.
Dans ses déclarations de revenus pour les années 1984, 1985 et 1986, Crestbrook a déclaré des pertes de 452 715 $, 22 632 915 $ et 934 534 $, respectivement. Dans ces mêmes années d’imposition, Crestbrook a déclaré les abattements suivants :
1984 |
1985 |
1986 |
|
Ventes |
67 060 725 $ |
55 591 118 $ |
83 690 773 $ |
Abattement |
3 793 193 $ |
3 148 053 $ |
4 659 422 $ |
Abattement en pourcentage |
5,65 p. 100 |
5,66 p. 100 |
5,567 p. 100 |
Dans un avis de nouvelle cotisation donné en application de la Partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Crestbrook pour ces années d’imposition. Affirmant qu’un taux d’abattement de 5,6 p. 100 pour la vente de pâte était excessif, le ministre a ajouté au revenu de Crestbrook les montants des abattements qui dépassaient 2,5 p. 100, le taux qu’il jugeait raisonnable. Pour chacune des années en cause, les sommes suivantes ont été ajoutées :
a) 1984 - 2 116 665 $
b) 1985 - 1 758 275 $
c) 1986 - 2 567 153 $
En outre, le ministre a établi que Crestbrook devait payer les impôts supplémentaires suivants, en application de la Partie XIII de la Loi de l’impôt sur le revenu :
a) 1984 - 317 500 $
b) 1985 - 263 741 $
c) 1986 - 385 073 $ (en sus des intérêts sur toutes ces sommes)
L’obligation de payer de l’impôt supplémentaire était fondée sur le fait que le montant de l’abattement qui dépassait 2,5 p. 100 représentait un dividende réputé et versé à des contribuables non résidants. Crestbrook aurait donc dû déduire et retenir à la source l’impôt payable sur ce dividende.
Crestbrook a produit des avis d’opposition aux nouvelles cotisations établies en application de la Partie I et aux cotisations établies en application de la Partie XIII. Cependant, le ministre a confirmé ses conclusions au motif que les transactions intervenues entre Crestbrook et Honshu Mitsubishi relativement aux abattements consentis ne correspondaient pas à un accord commercial véritable. Dans sa défense, le ministre a fait valoir ce qui suit :
a) lorsqu’elles négociaient le contrat de vente de pâte, Crestbrook et Honshu Mitsubishi n’étaient pas véritablement en concurrence;
b) en réalité, au plan commercial, Honshu et Mitsubishi contrôlaient Crestbrook; en outre, elles « agissaient de concert et dans le but commun de négocier le taux d’abattement »;
c) dans les années en cause, un abattement raisonnable pour la vente de pâte ne dépassait pas 2,5 p. 100;
d) par conséquent, les sommes reçues par Crestbrook de Honshu Mitsubishi relativement aux ventes de pâte pour les années en cause ne constituaient pas des sommes raisonnables;
e) vu les circonstances, l’abattement excédentaire constituerait, au plan juridique, un avantage ou une attribution de biens en faveur d’actionnaires non résidants, lequel représentait un dividende réputé en vertu de l’alinéa 214(3)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Dans une déclaration déposée devant la Section de première instance le 23 novembre 1989, Crestbrook a interjeté appel de la décision du ministre. Le 13 février 1990, le ministère public a déposé sa défense. Il ressort clairement des actes de procédure que la principale question en litige était la décision du ministre quant au caractère raisonnable du montant de l’abattement.
Aux fins des interrogatoires préalables tenus en l’espèce, Crestbrook était représentée par John A. Croll, son vice-président et chef des finances. M. Croll s’était joint à Crestbrook en mars 1987. Avant cette date, il n’avait eu aucun lien avec la compagnie.
Pendant les interrogatoires préalables, M. Croll s’est fait poser un certain nombre de questions sur le paiement des abattements accordés sur le prix de la pâte. Il a avoué ne rien savoir à ce sujet, mais il s’est engagé à s’informer et à fournir des réponses. Comme le montre la transcription des interrogatoires préalables, les questions se rapportaient au rôle qu’avait joué Honshu Mitsubishi dans la fixation du taux d’abattement[1].
Pour remplir ses engagements, M. Croll a écrit à Honshu et à Mitsubishi pour tenter d’obtenir des réponses. Honshu n’a donné aucune réponse à la demande, alors que Mitsubishi a refusé de fournir les renseignements dans une lettre datée du 21 novembre 1990. La partie pertinente de la réponse de Mitsubishi est rédigée en ces termes :
[traduction] Cependant, nous devons refuser, à regret, de répondre volontairement aux questions posées au cours des interrogatoires préalables. Comme nous l’avons mentionné dans notre lettre à Revenu Canada le 1er février 1988, nous suggérons que Revenu Canada prenne les mesures officielles à sa disposition pour nous soumettre ces questions et nous serons alors heureux d’y répondre dans la mesure où le droit canadien et le droit japonais nous y obligent[2].
La lettre à Revenu Canada dont il est question renfermait une réponse semblable que Mitsubishi avait donnée à une demande de renseignements antérieure de Revenu Canada lui-même.
Dans un avis de requête daté du 13 mars 1991, le ministère public a demandé une ordonnance en application de la Règle 465(18) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] en vigueur à l’époque[3] pour obliger Crestbrook à fournir des réponses aux vingt-deux questions. À titre subsidiaire, il demandait une ordonnance conformément à la Règle 465(20) pour radier l’action de Crestbrook, ou une ordonnance en application de la Règle 477 pour émettre une commission rogatoire afin d’interroger au Japon des témoins de Honshu Mitsubishi.
Le 23 mai 1991 (après que le ministère public eut déposé son avis de requête), M. Croll a écrit de nouveau à Honshu et à Mitsubishi. Dans ses lettres, il a donné aux compagnies japonaises une explication assez détaillée des redressements que tentait d’obtenir le ministère public. Cependant, malgré cette deuxième demande, Mitsubishi, dans une lettre de réponse datée du 28 mai 1991, s’est contentée de répéter sa position antérieure[4]. Honshu a répondu à son tour dans une lettre datée du 31 mai 1991, dont voici un extrait :
[traduction] Nous avons attentivement examiné votre demande, mais nous regrettons de devoir refuser de répondre aux questions à moins d’y être contraint par le droit canadien et le droit japonais[5].
Comme l’a noté le juge des requêtes aux pages 148 et 149 de ses motifs, ce refus correspondait à l’attitude peu coopérative dont avait fait preuve Honshu Mitsubishi envers Revenu Canada lorsque celui-ci avait demandé les mêmes renseignements pendant sa vérification des comptes de Crestbrook.
Dans une ordonnance datée du 1er octobre 1991, le protonotaire adjoint a accueilli en partie la demande du ministère public et, sans motiver sa décision par écrit, il a ordonné à Crestbrook de répondre à trois des vingt-deux questions en cause qui se rapportaient à des faits survenus après la conclusion du contrat de coentreprise. Le protonotaire adjoint a conclu qu’il n’était pas nécessaire de répondre aux dix-neuf autres questions qui portaient sur des faits antérieurs au contrat de coentreprise, même si le témoin de l’intimée a admis qu’elles étaient pertinentes au litige.
Le ministère public a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire adjoint et Crestbrook a déposé un contre-appel relativement aux trois questions auxquelles on lui avait ordonné de répondre.
Le juge des requêtes a rejeté l’appel du ministère public, mais il a accueilli le contre-appel. Il a statué que le protonotaire adjoint avait eu raison de conclure qu’il n’était pas nécessaire de répondre aux questions qui se rapportaient aux événements antérieurs au contrat de coentreprise. Selon le juge des requêtes, ces questions n’avaient effectivement rien à voir avec l’entreprise commerciale internationale qui avait donné lieu à l’instance dont la Cour était saisie.
Quant aux trois questions auxquelles le protonotaire adjoint avait ordonné de répondre, c’est-à-dire les questions qui portaient sur des faits postérieurs à la coentreprise, le juge des requêtes a statué qu’il n’était pas loisible à la Cour de contraindre une partie à répondre à une question à laquelle seul pouvait répondre un tiers sur lequel la partie n’avait aucun contrôle. Selon le juge des requêtes, tout ce que la Cour pouvait faire était d’obliger une partie à demander une réponse, ce que Crestbrook avait déjà fait. Le juge des requêtes a également affirmé que, contrairement à l’allégation du ministère public quant au caractère sérieux de sa demande, l’incapacité du ministère public de contraindre Crestbrook à obtenir une réponse ne nuisait pas à l’administration de la justice. Le juge a noté que dans un appel en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre est autorisé à fonder ses conclusions sur ses propres hypothèses de fait et qu’il incombait alors au contribuable de les réfuter.
QUESTIONS EN LITIGE
Comme nous l’avons mentionné, le présent appel soulève la question de savoir si une compagnie, partie à une action, peut être contrainte à obtenir d’actionnaires majoritaires non résidants, qui ne sont pas parties à l’action, mais avec lesquels elle a conclu une entente commerciale internationale les réponses aux questions posées pendant les interrogatoires préalables et qui sont pertinentes au litige. Dans l’affirmative, il faut ensuite se demander quelles sont les conséquences de l’inexécution de cette obligation.
ANALYSE
La portée de l’interrogatoire préalable en Cour fédérale—grands principes
Puisque l’action a été intentée avant 1990, la présente instance est régie par les règles en matière d’interrogatoire préalable en vigueur avant les modifications déjà mentionnées. La Règle 465 énonçait la portée des interrogatoires préalables :
Règle 465. (1) Aux fins de la présente Règle, on peut procéder à l’interrogatoire préalable d’une partie, tel que ci-après prévu dans cette Règle,
…
b) si la partie est une corporation … en interrogeant un membre de la direction ou autre membre de cette corporation ou de ce groupe,
…
(15) À un interrogatoire préalable … l’individu qui est interrogé doit répondre à toute question sur tout fait que la partie interrogée au préalable connaît ou a les moyens de connaître et qui peut soit démontrer ou tendre à démontrer ou réfuter ou tendre à réfuter une allégation de fait non admis dans une plaidoirie à la cause de la partie qui est interrogée au préalable ou de la partie qui procède à l’interrogatoire.
…
(17) Afin de se conformer à l’alinéa (15), l’individu interrogé peut être requis de se renseigner et, à cet égard, l’interrogatoire peut être ajourné si nécessaire.
…
(20) Si un individu qui doit être interrogé omet sans excuse raisonnable de comparaître et de se soumettre à un interrogatoire comme l’exige la présente Règle … la Cour pourra, à sa discrétion, si la partie qui est interrogée est un demandeur, rejeter son action … La preuve de « l’excuse raisonnable », aux fins de la présente Règle, incombe à la partie qui est interrogée.
Dans l’arrêt Leitch v. Grand Trunk R. W. Co. (1890), 13 P.R. 369 (C.A. Ont.), le juge Osler, J.C.A., a fait un historique de l’interrogatoire préalable (y compris la pratique qui consiste à interroger les personnes morales parties à une instance par le biais de leurs dirigeants). Cependant, dans le jugement Irish Shipping Ltd. c. La Reine, [1974] 1 C.F. 445 (1re inst.), le juge Collier a succinctement expliqué pourquoi les règles relatives aux interrogatoires préalables avaient été rédigées en termes aussi larges. Le juge a affirmé ce qui suit, à la page 449 :
Nos tribunaux ont eu tendance depuis quelques années à assurer à tous les plaideurs un interrogatoire préalable complet avant l’instruction et à faire obstacle autant que possible à ce qu’on appelait communément les manœuvres « guet-apent » dans le système contradictoire. C’est, à mon avis, le but des Règles de la Cour fédérale.
Pareillement, dans la décision Champion Truck Bodies Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 245 (1re inst.) le juge Strayer a affirmé ce qui suit à la page 247 :
Il est dans l’intérêt de la justice que les interrogatoires préalables soient complets, ce qui veut dire que les questions posées doivent être aussi pertinentes que possible. Le but de l’interrogatoire est d’examiner en profondeur les points soulevés dans les plaidoiries écrites, de comprendre la position de la partie interrogée au préalable et d’obtenir des aveux de celle-ci et ce, dans le but de délimiter les points en litige et de réduire le plus possible le nombre des questions qui devront être tranchées au procès.
Limites à la portée de l’interrogatoire
Malgré cette large déclaration de principe, toutefois, il y a certaines limites à la portée de l’interrogatoire, dont la plus évidente est peut-être que la Cour ne permettra pas d’employer l’interrogatoire préalable pour obtenir des renseignements « à l’aveuglette » (voir, par exemple, le jugement Sperry Corporation c. John Deere Ltd. et autre (1984), 82 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.)). Cependant, pour les fins de l’espèce, la limite pertinente est celle que posait la Règle 465 elle-même. Rappelons que le paragraphe 15 obligeait l’individu interrogé à « répondre à toute question sur tout fait » que la partie qu’il représentait « (connaissait) ou (avait) les moyens de connaître » [soulignement ajouté]. À mon avis, cette disposition crée une présomption évidente selon laquelle une partie ne peut répondre qu’aux questions auxquelles elle peut trouver une réponse.
Dans le jugement Control Data Canada, Ltd. c. Senstar Corp. (1987), 13 C.P.R. (3d) 546 (C.F. 1re inst.), à la page 547, le juge Cullen a confirmé ce principe, statuant que normalement, la Cour ne peut contraindre une personne à obtenir des renseignements d’une tierce partie. Dans le jugement Indalex Ltd. c. R. (1983), 40 C.P.C. 28 (C.F. 1re inst.), le juge Walsh est allé encore plus loin. Dans un cas semblable à celui dont nous sommes saisis, c’est-à-dire une affaire où le ministère public avait tenté de contraindre une personne morale liée à collaborer dans une instance intentée contre une compagnie contribuable, le juge a affirmé ce qui suit aux pages 47 et 48 :
Il est vrai que la demanderesse a obtenu un avantage fiscal attribuable à la manière dont les corporations qui la contrôlaient lui disaient comment exploiter son entreprise. Il y a donc lieu d’examiner attentivement ce qui a été fait pour s’assurer que les diverses opérations, de par la manière dont elles ont été mises en oeuvre, ne constituaient pas une manœuvre factice. Cependant, à mon avis, après avoir attentivement examiné la jurisprudence que j’ai mentionnée et d’autres arrêts invoqués par la demanderesse et la défenderesse, il n’y a pas lieu de faire une enquête approfondie sur les transactions commerciales de corporations qui ne sont pas parties à la présente action, même si ces dernières contrôlent les opérations de la demanderesse qui a une personnalité juridique distincte, ce qui a des conséquences qu’il faut reconnaître et respecter[6].
Cependant, dans le jugement Monarch Marking Systems, Inc. c. Esselte Meto Ltd., [1984] 1 C.F. 641 (1re inst.), le juge Mahoney (alors en première instance) a ordonné à un dirigeant d’une compagnie de répondre, dans une action en matière de brevets, à des questions intéressant des faits que connaissaient des compagnies étrangères liées. Dans cette décision, le juge a mentionné une considération très importante dont il faut tenir compte, à mon avis, dans les litiges commerciaux modernes. À la page 646, il a affirmé ce qui suit :
Étant donné la réalité du monde commercial d’aujourd’hui, avec des sociétés internationales, grandes et petites, faisant des affaires presque partout dans le monde par l’entremise de filiales et considérant les frontières nationales comme des inconvénients négligeables auxquels on peut remédier par des moyens d’organisation, il est indispensable de ne pas permettre au voile de l’anonymat des sociétés de faire obstacle à l’administration de la justice au Canada. L’interrogatoire préalable est un instrument important dans l’administration de la justice civile. Je suis certain que, sous la menaces des sanctions judiciaires appropriées, les sociétés canadiennes peuvent facilement et à peu de frais obtenir de leurs filiales étrangères des réponses aux questions valablement posées à l’interrogatoire. Je suis persuadé qu’on devrait leur demander d’essayer de les obtenir et les tenir responsables de leur défaut ou de la réticence de leurs filiales. On ne devrait pas permettre aux entreprises internationales, qu’il s’agisse d’effet secondaire ou de l’objet de leur structure, d’éviter de se conformer à la loi du Canada relativement aux activités commerciales qu’elles y exercent.
À mon avis, les commentaires du juge Mahoney étaient conformes aux principes qui sous-tendaient la Règle 465 (et son successeur, la Règle 455). Dans les cas appropriés, cette Cour a effectivement le pouvoir d’exiger le genre de réponses que tente d’obtenir le ministère public en l’espèce. Cependant, la Cour n’exercera ce pouvoir qu’exceptionnellement, lorsqu’il est démontré au préalable qu’il y va de l’intérêt de l’administration de la justice de faire abstraction de la personnalité morale. Par conséquent, dans la mesure où la décision de la Cour dans l’affaire Indalex entre en conflit avec le jugement Monarch Marking Systems Inc. c. Esselte Meto, il y a lieu de considérer que c’est ce dernier jugement qui représente l’état du droit positif en la matière.
Ce pouvoir est reconnu depuis assez longtemps, quoique les tribunaux ne l’exercent que rarement, pour des motifs faciles à comprendre. Par exemple, dans l’arrêt Dallas v. Dallas (1960), 24 D.L.R. (2d) 746, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué qu’une partie à une action pouvait être tenue de produire des documents qui appartenaient à une compagnie dont elle était l’alter ego. Le juge Sheppard, J.C.A. au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit, à la page 748 :
[traduction] En l’espèce, la compagnie a la personnalité juridique et la capacité d’exercer un véritable contrôle sur ces documents. Cependant, la preuve montre que la compagnie est un instrument du défendeur qui est son seul dirigeant. Tout contrôle apparemment exercé par la compagnie serait en réalité exercé par le défendeur. Je ne suis pas disposé à statuer que la théorie énoncée dans l’arrêt Saloman v. Saloman, [1897] A.C. 22 permet de nier que le défendeur en l’espèce avait effectivement le contrôle de manière à lui permettre de se soustraire à la communication de documents pertinents en sa possession en interposant cette entité qu’il contrôlait[7].
Avant de passer à une autre question, je voudrais dire quelques mots sur le jugement de lord Denning, M.R. dans l’arrêt Lonrho Ltd. v. Shell Petroleum Co. Ltd., [1980] Q.B. 358 (C.A.), que l’avocat de Crestbrook a invoqué devant nous au soutien de la thèse selon laquelle nous ne devrions pas enquêter sur les accords conclus par la compagnie pour exercer ses activités.
Dans l’arrêt Lonrho, la Cour d’appel a refusé d’ordonner à des filiales africaines de Shell Petroleum de produire des documents dans une action en dommages-intérêts pour la prétendue violation d’un contrat relatif à un oléoduc pendant l’embargo imposé à la Rhodésie après sa déclaration unilatérale d’indépendance en 1965. Crestbrook a tout à fait raison d’affirmer que dans cette affaire (et ce, comme le fait remarquer Crestbrook à juste titre, même si les compagnies dont on demandait les documents étaient des filiales en propriété exclusive de la compagnie partie à l’action) lord Denning a refusé de « faire abstraction » de la personnalité morale, comme il le disait. Cependant, à mon avis, il est important d’examiner le jugement de sa Seigneurie dans son ensemble afin de savoir s’il peut s’appliquer en l’espèce.
Par exemple, à la page 371, lord Denning a affirmé que la décision de faire abstraction de la personnalité morale [traduction] « dépendait en grande partie des faits de l’affaire ». En particulier, il jugeait que l’on pouvait faire abstraction de la personnalité morale dans un cas où une compagnie était [traduction] l’« alter ego » d’une autre (ibid.). En outre, lord Denning a noté qu’en vertu des Règles de pratique anglaises [Rules of the Supreme Court 1965] dont il était question dans cette affaire[8], il y avait une obligation de divulguer tous les documents [traduction] « que la partie qui communiquait la preuve avait ou avait déjà eus en sa possession, sous sa garde ou sous son autorité » [soulignement ajouté] (pages 370 et 371). Il ressort clairement des commentaires de lord Diplock, affirmant la décision de la Cour d’appel dans la Chambre des lords ([1980] 1 W.L.R. 627), à quel point le libellé de la règle anglaise était important (voir les pages 634 à 637)[9]. Comme je l’ai noté, dans la Règle 465(15) des Règles de la Cour fédérale, il était question de fournir les renseignements que la personne interrogée « [avait] les moyens de connaître », ce qui, pourrait-on prétendre, implique une norme un peu moins exigeante. Pour ces motifs, je ne crois pas que l’on puisse affirmer que l’arrêt Lonrho impose aux pouvoirs de la Cour une limite plus grande que celle que j’ai déjà mentionnée.
En l’espèce, il est avéré que les trois compagnies—Honshu, Mitsubishi et Crestbrook—sont liées. La preuve documentaire montre clairement que les deux compagnies japonaises possèdent une partie importante du capital-actions de Crestbrook et que des rapports commerciaux à long terme lient les trois compagnies en vertu du contrat de vente de pâte. En outre je suis tout à fait convaincu que la réalité du monde commercial, pour reprendre les mots du juge Mahoney, est que Crestbrook est assujettie au contrôle actif de Honshu Mitsubishi. L’accord de coentreprise prévoit (comme je l’ai noté ci-dessus) que Honshu et Mitsubishi devaient ensemble exercer le contrôle sur le conseil d’administration de Crestbrook. Qui plus est, dans sa plaidoirie devant nous, l’avocat de Crestbrook a admis que Honshu et Mitsubishi votaient toujours ensemble et agissaient comme une seule entité.
Cette idée, selon laquelle Crestbrook considérait Honshu et Mitsubishi comme une seule entité, est appuyée par la preuve documentaire. Ceci ressort clairement de la réponse de Crestbrook à l’un des engagements donnés pendant les interrogatoires préalables :
[traduction] Q : Est-ce que l’expression « côté japonais », employée dans les divers documents, était censée indiquer que Honshu et Mitsubishi agissaient de concert pendant les négociations? Ont-elles déjà adopté des positions divergentes et, dans l’affirmative, quelles étaient-elles?
R : [Donnée par J.R. Croll, le représentant de Crestbrook pendant les interrogatoires] Oui, du point de vue de Crestbrook, elles semblaient agir ensemble; elles n’ont pas adopté de positions divergentes[10].
Les réponses aux engagements donnés à l’interrogatoire préalable amènent également à conclure que Honshu Mitsubishi exerçait un contrôle actif sur Crestbrook. Relativement à la clause du contrat de coentreprise par laquelle le principal actionnaire, Farstad, acceptait d’accorder à Honshu Mitsubishi une procuration pour exercer le droit de vote afférent à 25 000 de ses actions, l’échange suivant a eu lieu :
[traduction] Q : Est-ce que la convention de vote Farstad a été mise en oeuvre? Du point de vue de la demanderesse, quel était le but de l’accord?
R. Oui. La convention de vote avait pour but de conférer à Honshu et à Mitsubishi le contrôle de la compagnie[11].
La transcription de l’interrogatoire préalable fournit également une preuve à cet égard. Pendant l’interrogatoire de M. Croll par l’avocat du ministère public, l’échange suivant a eu lieu :
[traduction] Me SHIPLEY [Avocat du ministère public] : … D’après ce que j’ai compris, conformément à ce contrat [c’est-à-dire le contrat de coentreprise], Honshu et Mitsubishi ont obtenu collectivement 650 000 actions de Crestbrook et environ 25 000 actions supplémentaires de manière à donner à Crestbrook le véritable contrôle—excusez-moi, à Honshu et à Mitsubishi le véritable contrôle de Crestbrook; est-ce exact?
M. CROLL : Oui. Je crois que c’est exact.
Me GREEN [Avocat de Crestbrook] : Ils avaient des droits de vote afférents à ces dernières actions.
Me SHIPLEY : Grosso modo.
Me GREEN : Oui.
Me SHIPLEY : Et le but de ces—en fait la procuration accordée relativement à ces 25 000 actions supplémentaires avaient pour but de conférer le contrôle à Honshu et à Mitsubishi, n’est-ce pas?
M. CROLL : Oui.
Q : Et n’est-il pas également vrai que conformément à ce même contrat, le président du conseil d’administration devait être nommé par Honshu et Mitsubishi?
R : Oui.
Q : Et que le président du conseil d’administration aurait voix prépondérante?
R : Oui[12].
Dernier point, et non le moindre : il est significatif, à mon sens, que dans les documents créant les rapports commerciaux entre les compagnies, Honshu et Mitsubishi étaient toujours mentionnées comme une seule entité et non pas comme deux compagnies ayant chacune ses propres intérêts.
Pareillement, le ministère public ne paraît absolument pas vouloir obtenir les réponses aux questions en cause par un interrogatoire à l’aveuglette. En fait, le fait même que M. Croll se soit engagé à obtenir les réponses indique que pour Crestbrook, les questions étaient pertinentes au litige en l’instance.
Vu tout ce qui précède, j’estime que le juge des requêtes a eu tort de conclure que le rapport entre Honshu Mitsubishi, d’une part et Crestbrook, d’autre part était tel que Crestbrook ne devrait pas être contrainte de fournir des réponses aux questions auxquelles le protonotaire adjoint lui avait ordonné de répondre.
En ce qui a trait aux questions auxquelles il n’était pas nécessaire de répondre, au dire du protonotaire adjoint, je suis d’avis que même si ce dernier a eu raison de statuer que les événements visés par ces questions précédaient les rapports contractuels entre les trois parties, ils fournissaient néanmoins un contexte qui permettait de bien comprendre les clauses en matière d’abattement stipulées dans le contrat de vente de pâte. M. Croll se trouve à avoir corroboré ceci en avouant que ces questions étaient pertinentes. À mon avis, le protonotaire adjoint et le juge des requêtes ont eu tort de ne pas avoir lié, comme cela s’imposait, les événements sur lesquels portaient ces questions et la clause d’abattement en cause en l’espèce. À mon sens, la seule question est de savoir si ces questions sont pertinentes et je suis convaincu, comme le concède M. Croll, à juste titre, qu’il faut répondre par l’affirmative. Par conséquent, il n’y avait pas lieu de faire de distinctions selon que ces questions portaient sur des événements antérieurs ou postérieurs à la conclusion du contrat de coentreprise.
Je conclus que, de fait, Crestbrook était l’alter ego de Honshu et de Mitsubishi. Ensemble, ces dernières contrôlaient Crestbrook; en outre, comme l’indique la preuve documentaire, et comme l’avocat de Crestbrook l’a admis, elles ont toujours agi de concert dans l’exercice de ce contrôle. Par conséquent, même si une preuve contraire était présentée à l’instruction au fond, je suis convaincu, pour les fins de la présente demande, qu’en réalité, au plan commercial, en vertu de l’accord intervenu entre les compagnies en cause, les deux compagnies japonaises étaient engagées de fait dans une coentreprise au Canada, Crestbrook était leur source d’approvisionnement et cette dernière est en mesure d’obtenir les réponses aux questions en cause.
Les questions que devra trancher le juge chargé de l’instruction en l’espèce sont très sérieuses. En plus de la contre-passation des commissions sur les ventes dont il a déjà été question, il est allégué que Honshu et Mitsubishi procèdent systématiquement à des « doubles prélèvements » par lesquels elles reçoivent des abattements sur le prix qu’elles paient sur la pâte, permettant ainsi à Crestbrook (leur alter ego) de subir des pertes supplémentaires qui sont défalquées du bénéfice de Crestbrook. Vu les faits qui nous ont été présentés, j’estime opportun de faire abstraction de la personnalité morale pour identifier les principaux bénéficiaires de l’entreprise exploitée au Canada par Crestbrook. Après quoi, il est évident, à mon sens, qu’il y va de la bonne administration de la justice que les âmes dirigeantes de Crestbrook, savoir Honshu et Mitsubishi, soient tenues de répondre aux questions posées par le ministère public. À mon avis, il serait déraisonnable de permettre à des corporations non résidantes d’organiser leurs affaires pour qu’elles soient libres d’exploiter, au Canada, une entreprise commerciale rentable sans être également tenues de respecter la loi canadienne.
En plaidoirie, l’avocat de Crestbrook a fait valoir deux arguments fondés sur la Loi de l’impôt sur le revenu, arguments que je voudrais commenter avant de clore le débat sur la question principale.
Premièrement, selon l’avocat de Crestbrook, puisque l’article 251 [mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 126; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 129, 1984, ch. 1, art. 105, ch. 45, art. 94] de la Loi énonçait de façon assez détaillée les modalités selon lesquelles les personnes morales sont réputées liées aux fins de l’impôt sur le revenu, il n’y a pas lieu, en l’espèce, de nous intéresser principalement au « contrôle » qu’exerçaient Honshu et Mitsubishi sur Crestbrook, mais plutôt au « lien » réputé entre Crestbrook et les deux compagnies japonaises. J’ai examiné assez attentivement cet argument et, bien qu’il puisse avoir un certain poids pour la décision à rendre à l’instruction, je n’y vois aucun bien-fondé à cette étape du litige. Encore une fois, ce qui nous intéresse ici est de savoir dans quelle mesure chacune des parties doit informer l’autre afin que les questions soulevées dans les plaidoiries écrites soient examinées en profondeur, pour reprendre les mots du juge Strayer, dans le jugement Champion Truck Bodies Ltd. c. R. (précité). Pour tous les motifs que j’ai énoncés (y compris—et ce n’est pas le moindre—l’aveu de pertinence de la part de M. Croll, le témoin de Crestbrook), je crois que l’information demandée par le ministère public est nécessaire pour faire un tel examen.
Deuxièmement, selon l’avocat de Crestbrook, même si nous jugions pertinents les renseignements demandés par le ministère public, nous ne devrions pas accorder la réparation demandée : nous devrions plutôt rendre une ordonnance en application de l’article 231.6 [édicté par S.C. 1988, ch. 55, art. 175] de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui prévoit un mécanisme par lequel le ministre peut obliger quiconque exploite une entreprise au Canada à fournir des « renseignements étrangers ». J’ai également examiné cet argument, mais la réparation prévue dans la disposition, savoir le refus du dépôt en preuve de ces renseignements par son propriétaire, n’est manifestement pas opportune en l’espèce.
L’émission d’une commission rogatoire
En vertu de la Règle 477 des Règles de la Cour fédérale, une commission peut obtenir une preuve dans un ressort étranger. À l’instar de la Règle 465, la Règle 477 est libellée en termes larges : elle prévoit qu’« une partie » qui veut prendre la déposition d’« une personne » peut demander à la Cour d’« ordonner l’émission, à cette fin, d’une commission rogatoire sous son sceau » et la Cour pourra rendre cette ordonnance si, pour une raison quelconque, « il convient de le faire ». Néanmoins, à l’instar de la Règle 465 encore une fois, la Cour a limité la portée de la Règle.
Les circonstances dans lesquelles la Cour émettra généralement une commission ont été résumées par le juge Addy dans l’affaire Doyle (JC) c. MRN, [1978] CTC 597 (C.F. 1re inst.), à la page 600[13], mais, en ce qui concerne l’espèce, il existe une règle de droit bien établie selon laquelle des commissions ne seront normalement pas émises pour obtenir une preuve par un interrogatoire préalable. Comme l’a affirmé le juge Dickson (tel était alors son titre) dans l’arrêt Zingre c. La Reine et autres, [1981] 2 R.C.S. 392, à la page 403, ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour émettra une commission pour obtenir une déposition qui serait normalement obtenue pendant des interrogatoires préalables. Bien qu’il s’exprimât sur la situation inverse de celle dont nous sommes saisis—dans cette affaire un tribunal étranger avait demandé une preuve qui devait servir dans une instance à l’étranger—son arrêt, à mon avis, représente un énoncé exact des principes applicables en l’espèce :
En règle générale, nos cours n’ordonneront le tenue d’un interrogatoire que pour recueillir des preuves destinées à être utilisées à un procès, mais cela ne veut pas dire qu’une ordonnance ne sera jamais rendue au stade préalable au procès … Je n’estime pas sage d’établir une règle rigide qui ne souffre aucune exception. L’octroi d’une ordonnance pour la tenue d’un interrogatoire, étant discrétionnaire, dépendra des faits et des circonstances particulières de chaque cas … Il se peut très bien que, suivant les circonstances, un tribunal soit disposé à ordonner la tenue d’un interrogatoire même si la preuve devait servir à des procédures préalables au procès.
Même si nous présumons, sans statuer définitivement sur cette question, que cette Cour a le pouvoir d’émettre une commission rogatoire en application de la Règle 477[14], à mon avis, il ne s’agit pas ici de l’un de ces cas exceptionnels, et je refuserais de rendre une telle ordonnance. Je ferais également remarquer que le ministère public n’a pas encore, officiellement communiqué à Crestbrook les noms des représentants japonais qu’il veut interroger. Vu l’avis des avocats japonais produit par Crestbrook1515 Voir dossier d’appel, vol. II, à la p. 329. , indiquant que la Cour suprême du Japon n’accueillerait pas une demande pour que soient interrogés des témoins anonymes, même si j’avais été enclin, par ailleurs, à accueillir la demande de commission rogatoire du ministère public, je conclurais que, dans ce cas, il est prématuré de le faire.
CONCLUSION
Pour tous les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel et j’annulerais l’ordonnance du juge des requêtes et du protonotaire adjoint dans la mesure où elle rejetait une partie de la requête du ministère public. Je rétablirais le reste de l’ordonnance du protonotaire adjoint. J’adjugerais les dépens au ministère public, en appel et en première instance. En outre, j’ordonnerais à Crestbrook de répondre aux vingt-deux questions posées devant le protonotaire adjoint dans les quatre-vingt-dix jours de la date du prononcé des présents motifs. Si Crestbrook ne répondait pas, dans le délai imparti, à toutes les questions et aux autre questions qui pourraient valablement découler des réponses données, j’ordonnerais la radiation de sa déclaration.
Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
Le juge suppléant Craig : Je souscris à ces motifs.
[1] Des extraits de cette transcription se trouvent aux p. 66 à 70 du dossier d'appel.
[2] Dossier d'appel, vol. I, à la p. 71.
[3] En vertu de DORS/90-846, les Règles de la Cour fédérale ont fait l'objet d'importantes modifications établissant de nouvelles règles en matière d'interrogatoires préalables. Le nouveau régime relatif aux interrogatoires préalables est prévu dans les Règles 455 et suivantes.
[4] Dossier d'appel, vol. II, à la p. 189.
[5] Dossier d'appel, vol. II, à la p. 190.
[6] Le jugement de la Section de première instance sur le fond est publié sous le renvoi Indalex Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.T.C. 219. Ce jugement a été porté en appel (Indalex Ltd. c. La Reine, [1988] 1 C.T.C. 60 (C.A.F.)) et une requête a été présentée en Cour d’appel pour le cumul d’instances connexes (Indalex Ltd. c. Canada, [1987] 1 C.F. 570). Cependant, la question en litige en l’espèce ne semble pas avoir été traitée par la suite.
[7] Bien que les nouvelles Règles de procédure civile [R. Ont. 560/84] de l’Ontario renferment maintenant une disposition particulière (la Règle 30.02(4)) qui permet au tribunal d’ordonner la production de documents en la possession de compagnies affiliées, l’arrêt Dallas v. Dallas est invoqué dans l’ouvrage de Williston et Rolls, The Law of Civil Procedure, Vol. II, aux p. 899 à 905.
[8] R.S.C., O. 24, Règles 2, 3.
[9] Je voudrais également mentionner qu’à mon sens, les avocats en l’espèce ont eu tort de ne pas avoir signalé à la Cour que l’affaire avait été portée en appel devant la Chambre des lords.
[10] Voir question 5/10/37, dossier d’appel, vol. I, à la p. 133.
[11] Voir question 33/65/256-7, dossier d’appel, vol. I, à la p. 138.
[12] Dossier d’appel, vol. II, à la p. 215.
[13] Le juge Addy a adopté le critère employé par le juge Osler, J.C.A. dans l’arrêt Ferguson v. Millican (1905), 11 O.L.R. 35 (C.A.). Avant d’émettre une commission, la Cour doit être convaincue de ce qui suit : 1. que la requête a été faite de bonne foi; 2. qu’il y a lieu pour le tribunal de connaître du litige; 3. que les dépositions des témoins faisant l’objet de la commission rogatoire sont d’une grande importance pour les questions en litige; 4. qu’il existe un motif valable expliquant que ces témoins ne peuvent être interrogés dans le ressort du tribunal.
[14] En vertu de l’art. 3 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], cette Cour est constituée cour supérieure ayant compétence en matière civile et pénale; en outre, la reconnaissance d’une commission rogatoire est une question de courtoisie internationale. Je n’aurais donc pas cru que cette question pouvait être mise en doute. Néanmoins, vu la décision du juge Heald (tel était alors son titre) dans l’affaire Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd., [1976] 1 C.F. 213 (1re inst.), où il a exprimé une certaine réserve sur la question (voir p. 217), et vu que la question n’a pas été débattue en profondeur devant nous et qu’il n’est pas absolument nécessaire de statuer sur ce point pour trancher le présent litige, je ne me prononcerais donc pas de façon définitive.