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[1993] 2 C.F. 179

A-1161-91

Sa Majesté la Reine (appelante) (défenderesse)

c.

Vancouver Art Metal Works Ltd. (intimée) (demanderesse)

Répertorié : Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Létourneau et Robertson, J.C.A.—Vancouver, 9 février; Ottawa, 18 février 1993.

Impôt sur le revenu Calcul du revenu Revenu ou gain en capital L’art. 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu permet au contribuable de considérer ses gains et ses pertes découlant de ses placements dans des titres canadiens comme ayant un caractère de capital mais, en vertu de l’art. 39(5), ce choix est refusé au « commerçant ou courtier en valeurs mobilières » — Appel contre la décision de la Section de première instance, en réponse à la question de droit soumise conformément à la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale, selon laquelle les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » à l’art. 39(5) visaient uniquement les personnes inscrites auprès d’une instance de réglementation ou autorisées par elle à acheter et à vendre des valeurs mobilières et celles qui, dans le cours normal des affaires, achètent et vendent des valeurs mobilières pour le compte d’autrui L’appel est accueilli Les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » désignent quiconque fait le commerce ou le courtage des valeurs mobilières, et non seulement les agents ou les professionnels qui sont inscrits auprès d’une instance de réglementation ou autorisés par celle-ci; ces mots ont une portée suffisamment large pour embrasser toute personne qui s’est engagée dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial La question de savoir si des activités équivalent à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise constitue une question de fait.

Interprétation des lois L’expression « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » à l’art. 39(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu Les mots visent-ils uniquement les agents ou les personnes inscrits auprès d’une instance de réglementation ou autorisés par celle-ci? Il ne faut pas interpréter l’art. 39(5) comme si les mots « inscrite auprès d’une instance de réglementation ou autorisée par celle-ci à acheter et à vendre des valeurs mobilières » figuraient dans la disposition La présence d’une restriction dans un alinéa renforce la position selon laquelle le législateur n’entendait pas restreindre l’étendue des autres alinéas dans lesquels la restriction ne figurait pas Cette interprétation est renforcée par le fait qu’une modification subséquente de la Loi limitait expressément l’application de la définition aux professionnels inscrits auprès d’une instance de réglementation ou autorisés par celle-ci, mais ne rendait pas la restriction applicable à l’art. 39(5) Pour que la règle d’interprétation noscitur a sociis s’applique, il doit exister un genre distinct capable de donner aux termes généraux leur caractère ou leur signification On ne trouve à l’art. 39(5) aucun genre de la sorte qui puisse justifier le sens restreint En donnant aux mots « un commerçant ou un courtier » leur sens habituel, l’interprétation est non seulement conforme au libellé de la disposition, mais aussi à l’intention du législateur.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 443 (mod. par L.C. 1985, ch. 19, art. 69).

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 38 (mod. par S.C. 1977-78, ch. 42, art. 2; 1983-84, ch. 1, art. 12), 39(4) (édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 16; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 18; 1985, ch. 45, art. 126), (5) (édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 16; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 18; 1985, ch. 45, art. 14), 47.1 (édicté par S.C. 1984, ch. 1, art. 17).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 474 (mod. par DORS/79-57, art. 14).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Multiform Manufacturing Co., [1990] 2 R.C.S. 624; (1990), 1 C.B.R. (3d) 290; 58 C.C.C. (3d) 257; 79 C.R. (3d) 390; 113 N.R. 373; 32 Q.A.C. 241; Palmer, MA c. La Reine, [1973] CTC 323; (1973), 73 D.T.C. 5248 (C.F. 1re inst.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Stouffville Assessment Commissioner of The Corporation of the Village of c. Mennonite Home Association of York County et autre, [1973] R.C.S. 189; (1972), 31 D.L.R. (3d) 237; Imperial Stables (1981) Ltd. c. Ministre du Revenu national (1990), 32 F.T.R. 279; 90 DTC 6135 (C.F. 1re inst.); confirmé par A-996-90, juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 17-2-92, C.A.F., encore inédit sous l’intitulé Imperial Stables (1981) Ltd. c. Canada; Forest Lane Holdings Ltd. et autre c. La Reine (1990), 90 DTC 6495 (C.F. 1re inst.); Karben Holdings Ltd. c. Canada, [1989] 2 C.T.C. 145; (1989), 89 D.T.C. 5413 (C.F. 1re inst.); Minister of National Revenue v. Taylor, James A., [1956-60] R.C.É. 3; [1956] C.T.C. 189; 56 D.T.C. 1125; Tara Exploration & Development Co. Ltd. v. M.N.R., [1970] C.T.C. 557; (1970), 70 D.T.C. 6370 (C. de l’É.).

DOCTRINE

Black’s Law Dictionary. 6th ed. St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1990 « dealer », « trader ».

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1982; Cowansville, Qué.

Cross, Sir Rupert. Statutory Interpretation. London : Butterworths, 1976.

Dictionnaire Encyclopédique Quillet. Paris : Librairie Aristide Quillet, 1975 « courtier », « négociant ».

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes. 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

Grand Robert de la langue française, 2e éd. Paris : Dictionnaires Le Robert, 1986.

Harrap’s Shorter dictionnaire anglais-français, French-English dictionary. Diffulivre-Gage, 1982 « commerçant », « négociant ».

Oxford English Dictionary. 2nd ed. Oxford : Clarendon Press, 1989 « dealer », « trader ».

Roget’s II : The New Thesaurus. Boston : Houghton Mifflin Co., 1980 « dealer », « trader ».

Shorter Oxford English Dictionary. 3rd ed. Oxford : Clarendon Press, 1975, « broker ».

Words and Phrases. Permanent Edition, St. Paul, Minn. : West Publishing Co., 1979 « dealer », « trader ».

APPEL interjeté contre une décision de la Section de première instance (T-2074-87, juge en chef adjoint Jerome, jugement en date du 4-4-91, (C.F. 1re inst.) non publié), en réponse à une question déjà posée en vertu de la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale, selon laquelle les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » au paragraphe 39(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu visent uniquement les personnes inscrites auprès d’une instance de réglementation ou autorisées par celle-ci à acheter et à vendre des valeurs mobilières et celles qui, dans le cours normal des affaires, achètent et vendent des valeurs mobilières pour le compte d’autrui. L’appel est accueilli.

AVOCATS :

I. E. Lloyd pour l’appelante (défenderesse).

C. C. Sturrock et Karen R. Sharlow pour l’intimée (demanderesse).

PROCUREURS :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante (défenderesse).

Thorsteinssons, Vancouver, pour l’intimée (demanderesse).

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Létourneau, J.C.A. : Conformément à la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/79-57, art. 14)], les parties avaient soumis la question de droit suivante :

Les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » au paragraphe 39(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu désignent-ils seulement la personne inscrite auprès d’une instance de réglementation ou autorisée par celle-ci à acheter et à vendre des valeurs mobilières, ou la personne qui, dans le cours normal des affaires, achète et vend des valeurs mobilières pour le compte d’autrui, ou leur sens est-il assez large pour embrasser tout autre que la personne engagée dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial?

En termes larges, le paragraphe 39(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63 (édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 16; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 18; 1985, ch. 45, art. 126)] autorise le contribuable qui dispose de titres canadiens au cours d’une certaine année, de choisir dans sa déclaration de revenu pour l’année en cause ou toute année d’imposition subséquente de considérer tous ses gains et ses pertes imputables à ces opérations comme ayant un caractère de capital. Cependant, le paragraphe 39(5) [édicté par S.C. 1977-78, ch. 1, art. 16; 1980-81-82-83, ch. 140, art. 18; 1985, ch. 45, art. 14] refuse ce choix à certains contribuables, dont ceux qui peuvent être considérés comme étant des commerçants ou des courtiers en valeurs mobilières. Voici le libellé des paragraphes 39(4) et 39(5) :

39. ...

(4) Sauf dans les cas prévus au paragraphe (5), lorsqu’un contribuable dispose d’un titre canadien dans une année d’imposition et qu’il exerce un choix, selon le formulaire prescrit, dans sa déclaration de revenu pour l’année en vertu de la présente Partie,

a) chacun des titres canadiens qu’il possède dans ladite année ou dans toute année d’imposition subséquente est réputé avoir été un bien en immobilisation qu’il possédait dans ces années; et

b) chaque disposition par le contribuable d’un tel titre canadien est réputée être une disposition par lui d’un bien en immobilisation.

(5) Un choix fait en vertu du paragraphe (4) ne s’applique pas à une disposition d’un titre canadien faite par un contribuable qui, au moment de cette disposition, est

a) un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières,

b) une banque visée par la Loi sur les banques ou la Loi sur les banques d’épargne de Québec,

c) une corporation autorisée, par voie de permis ou autrement, en vertu des lois du Canada ou d’une province, à exploiter au Canada une entreprise consistant à offrir des services au public à titre de fiduciaire,

d) une caisse de crédit,

e) une corporation d’assurance,

f) une corporation dont l’activité principale consiste à prêter de l’argent ou à acheter des créances, ou une combinaison de ce qui précède, ou

g) un non-résident

ou toute combinaison de ce qui précède.

En Section de première instance de cette Cour [T-2074-87, jugement en date de 4-4-91, inédit], le juge en chef adjoint a statué que ces mots visaient uniquement en effet les personnes qui sont inscrites auprès d’une instance de réglementation ou autorisées par celle-ci à acheter et à vendre des valeurs mobilières et celles qui, dans le cours normal des affaires, achètent et vendent des valeurs mobilières pour le compte d’autrui. Il a ensuite interprété la Loi en fonction de son objet en renvoyant aux débats parlementaires afin de déterminer le contexte dans lequel la disposition a été adoptée.

L’avocate de l’appelante avance que le juge de première instance a mal interprété la disposition concernée et que « commerçant » ou « courtier » désigne quiconque fait le commerce ou le courtage des valeurs mobilières, et non seulement les agents ou les professionnels qui sont inscrits auprès d’une instance de réglementation ou autorisés par celle-ci. À mon humble avis, j’estime que son interprétation correspond bien à l’intention du Parlement. Qu’on interprète littéralement ou en fonction de son objet le paragraphe 39(5) de la Loi, on ne peut en arriver à la conclusion que les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » ont une portée aussi limitée que le prétend l’intimée.

Littéralement, on ne peut interpréter le paragraphe 39(5) comme si les mots « inscrite auprès d’une instance de réglementation ou autorisée par celle-ci à acheter et à vendre des valeurs mobilières » figuraient dans la disposition pour restreindre le sens des mots commerçants et courtiers. Il n’existe pas de telle restriction. De plus, comme l’a souligné l’avocate de l’appelante, l’alinéa 39(5)c) fait mention d’une corporation « autorisée, par voie de permis ou autrement ». Si le législateur avait voulu qu’une telle restriction s’applique aux mots « un commerçant ou un courtier » à l’alinéa 39(5)a), il l’aurait dit.

En tirant cette conclusion, je ne fais que suivre la règle d’interprétation appliquée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Multiform Manufacturing Co.[1] dans son interprétation de l’article 443 du Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34 (mod. par S.C. 1985, ch. 19, art. 69)]. L’alinéa 443(1)e) apportait une réserve à l’application générale de cet alinéa que les autres alinéas ne contenaient pas. En décidant que l’application des alinéas 443(1)a) et b) ne souffrait aucune restriction, la Cour suprême a renvoyé à la maxime voulant que la mention de l’un implique l’exclusion de l’autre, et elle a statué que la présence d’une restriction dans un alinéa renforçait la position selon laquelle le législateur n’entendait pas restreindre l’étendue des autres alinéas dans lesquels la restriction ne figurait pas[2].

En outre, ma conclusion est aussi appuyée par une modification subséquente apportée par le législateur à la Loi de l’impôt sur le revenu. De fait, l’article 47.1 a été ajouté à la Loi en 1983-84 [S.C. 1984, ch. 1, art. 17], c’est-à-dire après l’adoption du paragraphe 39(5), et on y a introduit avec cette disposition applicable aux régimes de placements en titres indexés les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières ». Les mots ont été définis et restreints aux personnes que les lois d’une province autorisent, notamment par voie de permis, à faire le commerce des valeurs mobilières. En ajoutant cet article à la Loi, le législateur a expressément limité l’application de cette définition aux seuls articles 47.1 et 38 [mod. par S.C. 1977-78, ch. 42, art. 2; 1983-84, ch. 1, art. 12]. Si le législateur avait voulu qu’une définition aussi restrictive des mots commerçant ou courtier s’applique aussi à l’alinéa 39(5)a), il l’aurait précisé.

En faisant allusion au discours du budget prononcé par le ministre des Finances le 31 mars 1977, le juge en chef adjoint a conclu que l’intention du législateur, lorsqu’il a adopté le paragraphe 39(5), était de ne pas accorder aux grands investisseurs (institutional investors) ou aux institutions financières le droit de faire le choix prévu au paragraphe 39(4). D’où sa conclusion que les mots « un commerçant ou un courtier » à l’alinéa 39(5)a) ne visent que les agents (brokers) ou les personnes inscrites auprès d’une instance de réglementation ou autorisées par celle-ci. L’avocat de l’intimée soutient que cette conclusion peut se justifier par l’application de la règle d’interprétation noscitur a sociis. Selon cette règle, « [l]e sens d’un terme peut être révélé par son association à d’autres termes »[3], et lorsque des termes généraux et des termes particuliers sont associés ensemble et peuvent avoir un sens analogue, le sens des termes généraux devrait se restreindre à celui des termes particuliers, à moins que cela n’aille à l’encontre de l’intention évidente du législateur[4].

Cependant, pour que la règle s’applique, il doit exister une catégorie ou un genre distinct capable de donner aux termes généraux leur caractère ou leur signification[5]. Avec égards, on ne trouve au paragraphe 39(5) aucun genre de la sorte qui puisse justifier le sens restreint, soit celui de grand investisseur (institutional investor), donné aux termes généraux « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » figurant à l’alinéa 39(5)a) de la Loi. L’alinéa mentionne un non-résident, quelques corporations de types différents (corporation d’assurance, corporation de crédit, entreprise consistant à offrir des services au public à titre de fiduciaire), une caisse de crédit et les banques. On ne peut certainement pas dire que l’énumération aux alinéas 39(5)b) à g) n’aurait aucun sens si on donnait aux termes généraux « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » leur sens ordinaire ou s’ils n’étaient nullement restreints[6]. En fait, en raison de son statut, une corporation de crédit, par exemple, se verrait privée du droit de faire un choix, même si ses opérations n’en faisaient pas un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières. Quel est donc le sens de ces mots qui ne sont ni définis ni précisés?

À mon sens, on devrait donner aux mots « un commerçant ou un courtier » leur sens courant. Ils désignent habituellement celui qui fait le commerce des marchandises, qui achète et vend ou dont l’entreprise est le commerce. Black’s Law Dictionary définit « courtier » (dealer) comme [traduction] « toute personne dont l’entreprise consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières pour son propre compte, par l’entremise d’un agent (broker) ou autrement, à l’exclusion des banques et de toute personne qui achète ou vend des valeurs mobilières pour son propre compte, à titre personnel ou de fiduciaire, sans que cela fasse partie de son entreprise habituelle »[7] (Je souligne.)

Dans une grande mesure, les deux mots « trader » et « dealer » dans la version anglaise font double emploi[8]. Il en va de même pour leurs équivalents français « commerçant et négociant »[9], sauf que le mot « négociant » (dealer) a, selon le Dictionnaire encyclopédique Quillet[10], un sens plus large ou moins précis que le mot « commerçant » (trader). Les deux termes, toutefois, comportent la notion d’entreprise ou de profession[11].

Je souligne au passage que le mot « dealer » a été traduit en français libéralement par l’expression « courtier ». Un « courtier » est un « agent de change » (broker), c’est-à-dire une personne engagée comme intermédiaire pour traiter des affaires ou conclure des marchés[12]. La notion d’ »agent de change » (broker) comprend nécessairement l’achat et la vente pour le compte d’autrui. La portée de ce mot est donc plus restreinte que celle des termes « commerçant » et « négociant ». Je m’empresse d’ajouter que cela n’a aucune incidence sur la question dont nous sommes saisis puisque la version anglaise de l’alinéa 39(5)a) ne contient aucune ambiguïté de ce genre et que de toute façon, le mot français « commerçant » est suffisamment large pour comprendre un agent de change.

Je ne doute aucunement que le contribuable dont la profession ou l’entreprise consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières est un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières au sens de l’alinéa 39(5)a) de la Loi. Comme l’a dit le juge Cattanach dans l’arrêt Palmer, MA c. La Reine[13], « [o]n reconnaît qu’une personne qui accomplit de manière habituelle des actes susceptibles d’engendrer des bénéfices s’est engagée dans un commerce ou une entreprise »[14]. La question de savoir si une série d’actes équivaut à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise constitue toutefois une question de fait. Chaque cas sera jugé selon les faits qui lui sont propres. Il est évident que les facteurs tels que la fréquence des opérations, le temps pendant lequel les valeurs ont été conservées, (pour réaliser un bénéfice rapide ou pour en faire un placement à long terme, par exemple), l’intention d’acheter pour revendre à profit, la nature et la quantité des valeurs mobilières détenues ou qui font l’objet de l’opération, le temps consacré à l’activité en question, sont tous des facteurs pertinents et qui aident à déterminer si une personne exerce un commerce ou une entreprise de courtage[15].

En adoptant les paragraphes 39(4) et 39(5), le législateur n’avait, selon moi, nullement l’intention de permettre au contribuable, dont l’entreprise ou la profession consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières, de convertir ses revenus ou ses pertes d’entreprise en gains ou pertes en capital comme peut le faire un simple investisseur engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial. En outre, à mon humble avis, limiter l’étendue de l’exception aux commerçants et aux courtiers inscrits ou autorisés conformément aux conclusions du juge de première instance aurait d’étranges conséquences. Le contribuable dont l’entreprise consiste à faire le commerce des valeurs mobilières pourrait faire le choix prévu au paragraphe 39(4), convertir son revenu en gains en capital et échapper à l’exception visant les courtiers non parce qu’il n’en est pas un, mais simplement parce qu’il n’est ni inscrit ni autorisé comme l’exigent les instances de réglementation.

L’avocat de l’intimée a habilement fait valoir que l’intention du législateur était d’encourager les placements dans les titres canadiens en assurant un traitement fiscal certain aux contribuables qui choisissent de façon irrévocable de faire imposer à titre de capital tous leurs gains et leurs pertes afférents à des titres canadiens. À son avis, la certitude absolue ne peut être obtenue que si les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » sont restreints, comme l’a conclu le juge de première instance, à ceux qui sont autorisés ou inscrits ou qui achètent et vendent pour le compte d’autrui. Sinon, la possibilité pour le contribuable de faire un choix en vertu du paragraphe 39(4) devrait être déterminée de façon individuelle ou au cas par cas.

Il est vrai que ce genre d’appréciation sera nécessaire dans les cas où les achats et les ventes du contribuable sont assimilables au commerce et au courtage en valeurs mobilières. Il ne fait aucun doute que le législateur aurait pu obtenir la certitude absolue recherchée par l’intimée soit en ne créant aucune exception, soit en en créant une bien précise à l’égard des commerçants et des courtiers en valeurs mobilières. De toute évidence, il n’a choisi ni l’une ni l’autre de ces solutions, d’où l’incertitude qui en résulte. Il est évident que le législateur n’entendait pas que le droit de faire un choix prévu au paragraphe 39(4) soit une disposition générale applicable à chaque contribuable, indépendamment de sa situation. Il est aussi clair qu’il ne voulait pas que l’exception visant les commerçants et les courtiers s’applique uniquement aux agents de change et autres professionnels semblables. En donnant aux mots « un commerçant ou un courtier » leurs sens évident et habituel, cette Cour adopte non seulement une interprétation qui est conforme au libellé de la disposition, mais aussi qui rend justice à l’intention du législateur lorsqu’il a édicté la règle relative au choix et ses exceptions.

Conclusion

En guise de conclusion, le contribuable ne perd pas nécessairement le droit de faire un choix prévu au paragraphe 39(4) lorsqu’il achète et vend des valeurs mobilières pour son propre compte. Il perd cependant ce droit de choisir lorsqu’il devient un commerçant ou un courtier, c’est-à-dire lorsqu’il se livre professionnellement au commerce des valeurs mobilières ou lorsque ses activités sont assimilables à l’exploitation d’une entreprise et qu’elles ne peuvent plus être qualifiées d’opérations de placement ou de simples risques ou affaires de caractère commercial.

À mon avis, les mots « un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières » à l’alinéa 39(5)a ) de la Loi de l’impôt sur le revenu ont une portée suffisamment large pour embrasser toute personne qui n’est pas engagée dans un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. J’accueillerais l’appel avec dépens et, conformément au quatrième paragraphe de l’ordonnance du juge Strayer, en date du 22 octobre 1990, je renverrais l’affaire à la Section de première instance pour qu’elle tienne une audience sur les autres questions soulevées dans l’action.

Le juge Marceau, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Robertson, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] [1990] 2 R.C.S. 624.

[2] Id., à la p. 631.

[3] P. A. Côté, Interprétation des lois, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1982, à la p. 263.

[4] Voir E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Butterworths, Toronto, 1983, à la p. 109.

[5] Stouffville, Assessment Commissioner of the Corporation of the Village of c. Mennonite Home Association of York County et autre, [1973] R.C.S. 189.

[6] Voir l’ouvrage de Sir Rupert Cross, Statutory Interpretation, Butterworths, Londres, 1976, à la p. 116, où l’on donne deux raisons pour l’existence de la règle ejusdem generis et noscitur a sociis :

[traduction] Une des raisons de l’existence de la règle est que l’on doit présumer que le législateur a placé les termes généraux au cas où un élément qui aurait dû figurer au nombre de ceux qui sont expressément énumérés serait omis; une autre raison est que si l’on entendait donner aux termes généraux leur sens ordinaire, l’énumération expresse n’aurait aucun sens.

[7] 6e éd., West Publishing Co., St. Paul, Minn., 1990, à la p. 399.

[8] Voir Roget’s II : The New Thesaurus, Houghton-Mifflin Co., Boston, 1980, aux pp. 968 et 232; The Oxford English Dictionary, 2e éd., Clarendon Press, Oxford, 1989, vol. XVIII, à la p. 351 et vol. IV, à la p. 297; Black’s Law Dictionary, précité, note 7, aux p. 1494 et 399.

Voir aussi Words and Phrases, Permanent Edition, West Publishing Co., St. Paul, Minn., 1971, vol. 11, aux p. 247 et 265.

[9] Voir Harrap’s Shorter dictionnaire anglais-français, French-English dictionary, Diffulivre-Gage, 1982, aux pp. 873 et 203; Le Grand Robert de la langue française, 2e éd., Dictionnaires Le Robert, Paris, 1986, tome II, Bip-Court, à la p. 734.

[10] Voir le Dictionnaire encyclopédique Quillet, Librairie Aristide Quillet, Paris, 1975, tome 2 (Bl-Cos), à la p. 1417.

[11] Id.

[12] Voir The Shorter Oxford English Dictionary 3e éd., Clarendon Press, Oxford, 1973, vol. 1, à la p. 241; le Dictionnaire encyclopédique Quillet, susmentionné à la note 10 en bas de page, tome 3, (Cot-Es), à la p. 1577.

[13] [1973] CTC 323 (C.F. 1re inst.).

[14] Id., à la p. 325.

[15] Voir les arrêts Imperial Stables (1981) Ltd. c. Ministre du Revenu national (1990), 32 F.T.R. 279 (C.F. 1re inst.), confirmé par la C.A.F., A-996-90, le 17 février 1992 encore inédit; Forest Lane Holdings Ltd. et autre c. La Reine (1990), 90 DTC 6495 (C.F., 1re inst.); Karben Holdings Ltd. c. Canada, [1989] 2 C.T.C. 145 (C.F. 1re inst.); Minister of National Revenue v. Taylor, James A., [1956-60] R.C.É.; Tara Exploration & Development Co. Ltd. v. M.N.R., [1970] C.T.C. 557 (C. de l’É.).

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