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[1993] 2 F.C. 505

IMM-352-93

Verona Seegoolam Petit (requérante)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Petit c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Ottawa, 28 février 1993.

Compétence de la Cour fédérale — Section de première instance — Demande de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi en attendant qu’il soit statué sur une demande d’autorisation de demander le contrôle judiciaire d’une décision portant qu’il n’existait pas de considérations humanitaires suffisantes pour que le droit d’établissement puisse être revendiqué au Canada — Objet de l’art. 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale — L’art. 18.2 est attributif de compétence pour accorder, aux fins de maintenir le statu quo, le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi dans le contexte d’une procédure de contrôle judiciaire — La divergence d’opinions au niveau de la Section de première instance nécessite que la Cour d’appel fédérale tranche.

Citoyenneté et immigrationExclusion et renvoiProcessus d’enquête en matière d’immigrationL’entrevue visant à déterminer si le mariage de la requérante avec un citoyen canadien avait été contracté de bonne foi n’a eu lieu qu’à la veille de l’expulsion, bien que la requérante ait demandé plusieurs fois qu’une décision soit rendue antérieurementAucune possibilité de contester la décisionLes motifs de la décision sur la question de la bonne foi n’ont pas été communiqués à la requéranteUn argument soutenable a été présenté, la prépondérance des inconvénients joue en faveur de la requérante et celle-ci subira un préjudice irréparable, et ce même s’il n’existe pour elle aucune menace de préjudice physique à la Trinité, car c’est surtout à l’intimé qu’est imputable l’injustice de la situation.

Il s’agit d’une demande de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi en attendant qu’il soit statué sur une demande d’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision portant qu’il n’existait pas de considérations humanitaires suffisantes pour qu’il soit permis à la requérante de revendiquer, au Canada, le droit d’établissement. En 1988, la requérante, accompagnée de ses deux enfants, a quitté la Trinité pour venir au Canada. Ayant épousé un citoyen canadien en juin 1992, elle a par la suite demandé qu’une décision soit rendue sur la question de savoir s’il existait des considérations humanitaires suffisantes pour qu’elle puisse demander, au Canada, le droit de s’y établir du fait de son mariage avec un citoyen canadien. Le 5 février 1993, la requérante et son mari ont passé une entrevue. On a laissé croire à la requérante que le mariage serait probablement jugé avoir été contracté de bonne foi. Quatre jours plus tard, elle a été informée que le mariage était considéré comme n’ayant pas été contracté de bonne foi et qu’il n’existait pas de considérations humanitaires suffisantes pour justifier qu’une demande du droit d’établissement se fasse au Canada. Cette conclusion semble avoir été tirée après que l’interviewer eut discuté de l’entrevue avec son surveillant. Les questions en litige sont celle de savoir si la Cour a compétence pour surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi et celle de savoir s’il y a lieu à un tel sursis en l’espèce.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Aux termes de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, qui porte que « la Section de première instance peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive », la Cour a compétence pour ordonner le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi. Étant donné la divergence d’opinions au sein de la Section de première instance sur cette question de compétence, il serait souhaitable que la Cour d’appel la tranche. L’article 18.2 habilite la Cour à accorder des injonctions interlocutoires destinées à maintenir le statu quo dans le contexte d’une procédure de contrôle judiciaire et non pas simplement à préserver l’efficacité et l’intégrité des procédures introduites devant elle.

L’argument avancé par la requérante était soutenable. Elle a été convoquée à l’entrevue à la veille de son expulsion, de sorte qu’elle n’a eu aucune possibilité de contester avant l’expulsion la décision prise à la suite de l’entrevue. La décision que le mariage avait été contracté de bonne foi a été annulée pour des motifs qui n’ont jamais été communiqués à la requérante et auxquels elle n’a pas eu la possibilité de répondre. La prépondérance des inconvénients joue en faveur de la requérante. Le temps qui devra encore s’écouler avant l’issue de cette procédure sera minime par rapport au temps que la requérante a déjà passé au Canada, tandis que le bouleversement que cela entraînerait pour la requérante si elle était obligée de retourner à la Trinité pour ensuite revenir au Canada dépasserait nettement tout inconvénient pour l’intimé. Bien qu’il soit plus difficile d’affirmer que la requérante subirait un préjudice irréparable si elle était renvoyée dans un pays où il n’existe aucune menace de danger physique, il reste que c’est surtout l’intimé qui a mis la requérante et ses enfants dans une situation où tout doit se faire à la dernière heure, ce qui sent l’injustice et constitue en l’espèce une considération prépondérante.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.2 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).

Loi sur la procédure de révision judiciaire, L.R.O. 1990, ch. J-1, art. 4.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 52.1 (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17, 114(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102).

Rules of the Supreme Court (R.-U.), O. 53, r. 3(10)(a).

JURISPRUDENCE

DÉCISION NON SUIVIE :

Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 92-T-1647, juge Strayer, ordonnance en date du 17-11-92, C.F. 1re inst., encore inédite.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Kerrutt c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 53 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.); Khan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 92-T-1311, juge MacKay, ordonnance en date du 6-11-92, C.F. 1re inst., encore inédite.

DÉCISIONS CITÉES :

Hosein c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 125 (C.F. 1re inst.); Hamilton c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 1 C.F. 3; (1990), 36 F.T.R. 167; 11 Imm. L.R. (2d) 225 (1re inst.); Paul c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 93-T-86, juge Noël, ordonnance en date du 21-1-93, C.F. 1re inst., encore inédite; Regina v. Licensing Authority Established under Medicines Act 1968, Ex parte Smith Kline & French Laboratories Ltd. (No. 2), [1990] 1 Q.B. 574 (C.A.); Regina v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Herbage, [1987] 1 Q.B. 872; People First of Ontario et al. v. Regional Coroner of Niagara et al. (1991), 54 O.A.C. 182 (C.A.); Middlesex (County) v. Ontario (Minister of Municipal Affairs), [1992] O.J. No. 1145 (Div. gén.) (Q.L.); Dennison v. Algonquin College of Applied Arts and Technology et al. (1990), 38 O.A.C. 134 (C. div.); Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123; 86 N.R. 302 (C.A.F.).

DOCTRINE

Emploi et Immigration Canada. Examen et application de la loi. Ottawa : Emploi et Immigration Canada, 1991.

Sgayias, Davis, et al. Federal Court Practice 1990. Toronto : Carswell, 1990.

Wade, H. W. R. Administrative Law, 6th ed. Oxford : Clarendon Press, 1988.

DEMANDE de sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi en attendant qu’il soit statué sur une demande d’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision portant qu’il n’existait pas de considérations humanitaires suffisantes pour justifier qu’il soit permis à la requérante de revendiquer, au Canada, le droit d’établissement. Demande accueillie.

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

Murray Tkatch pour la requérante.

Harley R. Nott pour l’intimé.

PROCUREURS :

Tkatch & Young, Toronto, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : La requérante demande le sursis à l’exécution, prévue pour le vendredi 26 février 1993, d’une mesure de renvoi.

Accompagnée de ses deux enfants, maintenant âgés de sept et de onze ans, la requérante est arrivée au Canada de la Trinité le 23 novembre 1988. Elle a revendiqué le statut de réfugié. Elle dit s’être fiancée à son conjoint actuel en 1991 et l’avoir épousé en juin 1992.

Postérieurement à cette date, elle a demandé à deux et peut-être à trois reprises qu’une décision soit rendue sur la question de savoir s’il existait des considérations humanitaires suffisantes pour qu’elle puisse demander, au Canada, le droit de s’y établir du fait qu’elle était l’épouse d’un citoyen canadien. Des demandes de trancher cette question ont été adressées aux autorités de l’Immigration dans des lettres en date du 13 août et du 13 octobre 1992.

Le 5 février 1993, la requérante et son mari ont été convoqués à une entrevue au sujet de leur mariage. Ils ont été interrogés séparément par un nommé M. Murray Carnegie. Au terme des entrevues, affirme la requérante, M. Carnegie a dit : [traduction] « c’est prometteur ». Dans son affidavit en date du 17 février 1993, elle déclare :

[traduction] Je crois en vérité, me fondant sur l’observation de l’agent d’immigration, sur ce que j’ai vécu à l’entrevue, sur les questions posées et sur mes discussions avec mon mari, que l’entrevue s’est en fait très bien passée et qu’il n’y avait aucune raison de douter du caractère véritable de mon mariage.

Quatre jours après cette entrevue, soit le 9 février 1993, la requérante a été avisée qu’elle devait quitter le Canada le 26 février 1993 au plus tard et qu’il n’existait pas de considérations humanitaires suffisantes pour justifier qu’il lui soit permis de demander, au Canada, le droit d’établissement. Je cite de nouveau son affidavit :

[traduction] Quand M. Carnegie m’a fait part de l’issue de mon entrevue le 9 février 1993, il a indiqué que la décision était défavorable parce que mon mariage n’avait pas été contracté de bonne foi. C’était après qu’il eut discuté de mon cas avec son surveillant. Je crois en vérité, d’après tout ce que m’a dit M. Carnegie, qu’à son avis il s’agissait en fait d’un mariage contracté de bonne foi, même si la décision finalement rendue a été différente.

Se pose d’abord la question de savoir si cette Cour a compétence pour prononcer le sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi dans un cas comme celui qui se présente en l’espèce. C’est là un point sur lequel les opinions de différents membres de cette Cour divergent nettement. Dans la décision Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (encore inédite, le 17 novembre 1992, 92-T-1647), le juge Strayer a conclu à l’inexistence d’une telle compétence. Ce qui suit est le texte intégral de cette décision :

La seule ordonnance virtuellement contestée dans la demande d’autorisation en vue de demander un contrôle judiciaire est la décision de l’agent d’immigration ayant refusé d’accorder un traitement particulier pour des considérations humanitaires. Le requérant demande la suspension d’une mesure de renvoi en attendant l’issue de cette demande.

La suspension, chacun le sait, ne peut être accordée en vue d’empêcher qu’une mesure de renvoi soit exécutée si la validité de cette mesure n’est pas contestée. [Voir par exemple Asumadu c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 113 N.R. 150 (C.A.F.); Akyampong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 18 (C.A.F.).] La contestation d’une décision défavorable à l’endroit d’une revendication du statut de réfugié est en fait la contestation de la validité de l’exécution d’une mesure de renvoi prise sous réserve de la reconnaissance du statut de réfugié [Benhene c. M.E.I., inédit, jugement rendu le 13 avril 1992, 92-A-2193 (C.A.F.)]. Toutefois, la contestation de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 114(2) n’est en aucune façon la contestation de la validité de l’exécution d’une mesure de renvoi. Le caractère exécutoire de la mesure de renvoi n’est pas légalement tributaire d’une décision défavorable ou de toute décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 114(2).

La demande de suspension doit par conséquent être rejetée.

Ce raisonnement a été suivi par le juge Noël dans la décision Paul c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (encore inédite, 29 janvier 1993, 93-T-86).

Pourtant, il a été jugé dans d’autres décisions de cette Cour que le sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion peut être prononcé dans un cas où a été présentée une demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision défavorable rendue en vertu du paragraphe 114(2) [Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2] (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 102)[1]. Ce point de vue repose sur le texte de l’article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5], entré en vigueur le 1er février 1992 :

18.2 La Section de première instance peut, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.

Faisons remarquer que cette disposition ne dit pas simplement que la Cour peut surseoir à l’exécution d’une décision ou d’une ordonnance faisant l’objet, devant elle, d’une demande de contrôle judiciaire, ou modifier cette décision ou ordonnance, avant de rendre sa décision définitive sur ladite demande. Sa portée est plus large. Elle dispose en effet que la Section de première instance « peut … prendre les mesures provisoires qu’elle estime indiquées avant ».

Antérieurement à l’adoption de cette modification, plusieurs décisions établissaient clairement que la Cour avait compétence pour accorder des sursis aux fins d’assurer l’intégrité de toute procédure engagée devant la Cour. La question du pouvoir de la Cour pour surseoir à l’exécution d’ordonnances de tribunaux est traitée par Sgayias, Kinnear, Rennie et Saunders dans Federal Court Practice 1990, à la page 259 :

[traduction] Lorsqu’un sursis est demandé à l’égard d’une procédure introduite devant un tribunal ou un corps administratif, ou à l’égard d’une ordonnance de l’un ou l’autre, doit être abordée à titre préliminaire la question de savoir si la Cour fédérale détient le pouvoir de suspendre les procédures de ce tribunal ou corps administratif. L’article 50 n’est pas attributif d’un tel pouvoir. Toutefois, dans l’arrêt Comm. d’énergie électrique du N.-B. c. Maritime Electric Co., [1985] 2 C.F. 13, 60 N.R. 352 (C.A.F.), autorisation d’en appeler devant la C.S.C. refusée (1985), 64 N.R. 240n (C.S.C.), la Cour d’appel a statué qu’elle possédait le pouvoir implicite de suspendre de telles procédures en attendant l’issue de l’appel interjeté contre la décision d’un tribunal. Tous les doutes qui ont pu planer quant à la portée de cet arrêt ont été levés par les arrêts rendus par la Cour d’appel fédérale dans les affaires Yri-York Ltd. c. Can. (P.G.), [1988] 3 C.F. 186, 30 Admin. L.R. 1, 21 C.P.R. (3d) 161, 16 F.T.R. 319 (note), 83 N.R. 195 (C.A.), et Toth c. Can. (Min. de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123, 86 N.R. 302 (C.A.F.).

L’article 18.2, je le répète, ne se borne pas à simplement conférer à la Cour compétence pour préserver l’efficacité et l’intégrité de toute procédure introduite devant elle. Il semble s’inspirer de l’article 4 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. J-1. Une disposition analogue existe également au Royaume-Uni dans les Rules of the Supreme Court, O. 53, r. 3(10)(a). Voir, par exemple, Regina v. Licensing Authority Established under Medicines Act 1968, Ex parte Smith Kline & French Laboratories Ltd. (No. 2), [1990] 1 Q.B. 574 (C.A.); Regina v. Secretary of State for the Home Department, Ex parte Herbage, [1987] 1 Q.B. 872, et Wade, Administrative Law, 6e éd., 1988, aux pages 671 et suivantes.

La raison d’être de dispositions comme l’article 18.2 est d’investir les cours du pouvoir de maintenir le statu quo[2] chaque fois qu’il y a demande de contrôle judiciaire. Antérieurement à l’attribution expresse du pouvoir d’accorder un tel redressement, les cours hésitaient à s’immiscer dans l’exécution par un fonctionnaire ou un ministre de l’obligation légale lui incombant. Il existait pendant bien des années une réticence générale à rendre des injonctions contre la Couronne. Or, l’article 18.2 et les dispositions analogues, telles que l’article 4 de la Loi sur la procédure de révision judiciaire de l’Ontario, autorisent les cours à accorder des injonctions interlocutoires destinées à maintenir le statu quo dans le contexte d’une procédure de contrôle judiciaire.

Un requérant ne demande une décision visée au paragraphe 114(2) qu’afin de pouvoir rester au Canada pour y demander le droit d’établissement. En l’espèce, si la décision de l’agent d’immigration relativement au caractère véritable du mariage de la requérante avait été différente et qu’on eût en conséquence fait droit à sa demande fondée sur le paragraphe 114(2), la mesure exigeant qu’elle quitte le pays le 26 février n’aurait pas été prise. À supposer qu’une décision concernant le mariage de la requérante eût été rendue à temps pour qu’elle puisse en interjeter appel et que l’autorisation d’appel lui eût été accordée, il est peu probable qu’eût été prise à son égard la mesure de renvoi. Or, l’exécution de celle-ci est intimement reliée à la demande fondée sur le paragraphe 114(2).

Bien que reconnaissant que certains de mes collègues donnent à l’article 18.2 une interprétation différente, je ne puis conclure à l’impossibilité, pour cause d’incompétence, d’accorder le redressement sollicité en l’espèce. De toute évidence, cette divergence d’opinions au sein de la Section de première instance constitue un point qu’il serait souhaitable de voir tranché par la Cour d’appel fédérale.

Quoi qu’il en soit, puisque je m’estime habilitée par l’article 18.2 à rendre l’ordonnance demandée, la question qui se pose est celle de savoir s’il y a lieu à une telle ordonnance en l’espèce. Trois considérations sont normalement tenues pour pertinentes aux fins de cette détermination, à savoir : (1) l’argument du requérant est-il soutenable? (2) le requérant subira-t-il un préjudice irréparable si une ordonnance n’est pas rendue? (3) la prépondérance des inconvénients joue-t-elle en faveur du requérant ou bien de l’intimé? Voir Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 123 (C.A.F.).

En ce qui concerne la qualité soutenable de l’argument, je conclus que celui avancé en l’espèce possède cette qualité. Il est fort troublant de constater que la requérante en l’espèce a fait d’itératives demandes (en août et en octobre 1992) pour obtenir une entrevue au sujet de son mariage, lesquelles sont restées sans écho. Si des entrevues avaient eu lieu à ce moment-là, il y aurait eu suffisamment de possibilités d’en contester les résultats au moyen d’une demande d’autorisation d’appel, et, ainsi, de faire régler l’affaire avant le 26 février. Ce qui s’est passé, toutefois, c’est que la requérante s’est vu convoquer à une entrevue au sujet de son mariage juste avant la date prévue de l’expulsion, de sorte qu’elle n’a eu aucune possibilité de contester avant cette date la décision prise à la suite de l’entrevue. Qui plus est, en l’espèce, tout indique jusqu’ici (c.-à-d. du point de vue de la requérante) que la personne qui a mené l’entrevue au sujet du mariage a semblé conclure au caractère probablement véritable de ce mariage, mais que quelqu’un d’autre (son surveillant) a annulé cette décision pour des motifs qui n’ont jamais été communiqués à la requérante et auxquels elle n’a jamais eu la possibilité de répondre.

Sur la question de la prépondérance des inconvénients, il ne fait aucun doute que ce facteur joue en faveur de la requérante. Elle habite ce pays avec ses enfants depuis 1988. Se révèle donc minime par comparaison le temps qui s’écoulerait encore à la suite d’une ordonnance obligeant l’intimé à surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion en attendant que soit rendue une décision sur la demande d’autorisation présentée par la requérante et, s’il y est fait droit, sur la demande de contrôle judiciaire. Serait nettement plus grand, par ailleurs, le bouleversement qui se produirait dans la vie de la requérante si elle était maintenant obligée de retourner avec ses deux enfants à la Trinité pour ensuite revenir au Canada.

La considération qui présente la plus grande difficulté d’appréciation est celle consistant à déterminer si la requérante subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé. Il ressort de certaines décisions de cette Cour que, quand une personne se fait renvoyer dans un pays où n’existe aucune menace de danger physique ou de persécution, on peut difficilement alléguer le préjudice irréparable : Kerrutt c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1992), 53 F.T.R. 93 (1re inst.); Khan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (le 6 novembre 1992, 92-T-1311, encore inédit). En outre, l’avocat de l’intimé m’a indiqué que si l’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire est accordée à la requérante, l’intimé la fera revenir par avion au Canadaaccompagnée de ses deux enfants, je présume, aux frais de l’État. Si j’ai bien compris, l’avocat a mentionné l’article 52.1 [édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 17] de la Loi sur l’immigration. Or, celui-ci ne semble s’appliquer que s’il y a annulation de la mesure de renvoi, ce qui n’est pas le cas au stade de la demande d’autorisation.

Il se dégage d’ailleurs des directives administratives de l’intimé lui-même que la séparation des conjoints occasionne normalement des difficultés pour les personnes concernées. Le paragraphe 9.06 2) du Guide de l’immigration porte en effet :

On examinera favorablement les demandes de dispense de visa présentées par les conjoints de résidents canadiens, en tenant compte du fait que la séparation des conjoints ayant contracté un mariage véritable occasionne des difficultés justifiant habituellement des mesures spéciales (voir les formalités exposées à l’IE 9.14 pour les exceptions). Dans le cas d’un mariage véritable, c’est-à-dire d’une union solide, reposant sur des bases durables et contractée de bonne foi et non simplement aux fins de l’immigration, il n’est pas nécessaire que les personnes concernées prouvent qu’elles rencontreront d’autres difficultés pour que soit examinée une demande de dispense de l’application du L9(1).

Dans les circonstances qui se présentent en l’espèce, je crois qu’il existe une considération prépondérante qui milite en faveur du sursis à l’exécution de l’ordonnance de renvoi : c’est l’intimé qui a mis la requérante et ses enfants dans une situation où tout doit se faire à la dernière heure. Si l’intimé avait tenu les entrevues au sujet du mariage aux mois d’août ou d’octobre de l’année précédente, comme le lui avait demandé la requérante, celle-ci ne se serait pas trouvée dans cette situation. Elle aurait eu la possibilité de faire vérifier, avant d’être obligée de quitter le pays, la validité de toute décision rendue. Qu’une personne soit convoquée à une entrevue au sujet de son mariage à la veille d’être expulsée, qu’elle se fasse dire par l’interrogateur que c’était prometteur, que cette décision soit annulée par un surveillant sans qu’aucune explication ne soit donnée à la requérante et puis qu’une mesure de renvoi soit exécutée avant même que la requérante n’ait la possibilité de demander l’autorisation de contester la décision, voilà qui sent l’injustice.

La Cour ne voit pas d’un bon œil les requérants qui arrivent au dernier moment, avant l’exécution prévue d’une mesure de renvoi, nouvellement mariés ou présentant de nouvelles demandes d’examen pour des raisons d’ordre humanitaire. Ils sont dans une large mesure l’auteur de leur propre malheur. En l’espèce, toutefois, la situation dans laquelle se trouvent la requérante et ses enfants est en grande partie imputable à l’intimé. Il convient donc, selon moi, d’accorder le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant qu’il soit statué sur la demande d’autorisation de la requérante et, s’il y est fait droit, jusqu’à ce que soit rendue la décision définitive sur sa demande de contrôle judiciaire.



[1] Hosein c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 17 Imm. L.R. (2d) 125 (C.F. 1re inst.); Hamilton c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 1 C.F. 3 (1re inst.).

[2] People First of Ontario et al. v. Regional Coroner Niagara et al. (1991), 54 O.A.C. 182 (C.A.); Middlesex (County) v. Ontario (Minister of Municipal Affairs), [1992] O.J. No. 1145 (Div. gén.) (Q.L.) et Dennison v. Algonquin College of Applied Arts and Technology et al. (1990), 38 O.A.C. 134 (C. div.).

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