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[1993] 1 C.F. 696

A-1180-91

Van Hung Nguyen (requérant)

c.

Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Nguyen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Marceau, Hugessen et Décary, J.C.A.—Winnipeg, 16 décembre 1992; Ottawa, 15 janvier 1993.

Droit constitutionnelCharte des droitsDroits à l’égalitéLa décision d’expulser un immigrant ayant reçu le droit d’établissement, reconnu coupable de nombreuses infractions criminelles et faisant l’objet d’une attestation du ministre selon laquelle il constitue un danger pour le public au Canada, n’a pas été rendue contrairement à l’art. 15L’étranger n’a pas un droit absolu d’entrer et de demeurer au CanadaL’absence requise de condamnations pour infractions criminelles graves n’est pas illégitime ni arbitraireLa décision déclarant le requérant inadmissible à faire juger sa revendication du statut de réfugié conformément à l’art. 46.01(1)e)(ii) de la Loi sur l’immigration n’est pas contraire à l’art. 15Le refus aux criminels dangereux du droit de chercher refuge au Canada n’est pas une forme illégitime de discrimination.

Droit constitutionnelCharte des droitsVie, liberté et sécuritéLa procédure établie par la Loi sur l’immigration pour déterminer s’il y a eu violation de la condition visant l’absence de condamnations pour infractions criminelles graves, attachée au droit de l’immigrant qui a reçu le droit d’établissement de rester au Canada, ne viole pas les règles de la justice fondamentaleLa mesure établie par les art. 27, 32(2) et 46.01(1)e)(ii) de la Loi sur l’immigration n’est pas contraire à l’art. 7Il est inutile d’établir des lignes directrices formelles régissant les facteurs que doit prendre en considération le ministre avant de délivrer une attestation portant que le demandeur constitue un danger pour le public au CanadaL’opinion du ministre est aussi valable que celle de la CourAucune comparaison ayant un sens entre le danger pour le public au Canada que représente le demandeur et sa crainte d’être persécuté s’il était expulséAucun manque d’équité dans la procédure.

Citoyenneté et immigrationExclusion et renvoiRenvoi de résidents permanentsUn immigrant ayant reçu le droit d’établissement, criminel reconnu coupable, revendique le statut de réfugié au sens de la Convention au cours de l’enquête prévue à l’art. 27Le ministre délivre une attestation le déclarant un danger pour le public au CanadaL’arbitre et le membre de la section du statut déclarent que la revendication du requérant n’est pas recevable par la section du statut, conformément à l’art. 46.01(1)e)(ii)(B)Les décisions relatives à l’expulsion du requérant et à l’irrecevabilité de sa revendication par la section du statut de réfugié, la mesure établie par les art. 27(1)d)(i), 32(2) et 46.01(1)e)(ii) de la Loi sur l’immigration, sont constitutionnelles.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision déclarant la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du requérant irrecevable par la section du statut, et de la prise subséquente d’une mesure d’expulsion. Le requérant, un immigrant ayant reçu le droit d’établissement, a été reconnu coupable de nombreuses infractions criminelles sérieuses depuis son admission au Canada. Au début de l’enquête prévue au paragraphe 27(3) de la Loi sur l’immigration, il a fait savoir qu’il voulait revendiquer le statut de réfugié, et l’enquête a été ajournée. Lors de sa reprise en présence d’un membre de la section du statut de réfugié, l’arbitre a déterminé que le requérant était une personne visée à l’alinéa 27(1)d), mais l’enquête a été de nouveau ajournée avant que l’on ait décidé si la revendication du requérant était recevable par la section du statut. Lors de la reprise de l’enquête, l’attestation signée par le ministre, portant que le requérant constituait un danger pour le public au Canada, a été déposée. Le tribunal a alors déterminé que la revendication du requérant n’était pas recevable par la section du statut conformément à la disposition 46.01(1)e)(ii)(B), qui prévoit que la revendication de statut de réfugié au sens de la Convention du requérant dont le ministre atteste qu’il constitue un danger pour le public au Canada n’est pas recevable par la section du statut. L’arbitre a ensuite pris une mesure d’expulsion. Le requérant a fait valoir que son expulsion sans examen préalable de sa revendication du statut de réfugié pourrait entraîner son expulsion dans un pays où il serait persécuté et où il pourrait être exposé à la torture ou à l’exécution. Les questions litigieuses consistent à savoir si la décision d’expulser une personne, une fois qu’elle est déclarée être visée à l’alinéa 27(1)d) conformément au paragraphe 32(2), et la décision portant qu’une revendication du statut de réfugié n’est pas recevable par la section du statut, en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(ii), sont constitutionnelles.

Arrêt : la demande est rejetée.

La décision d’expulser le requérant, fondée sur les paragraphes 27(1) et 32(2), est constitutionnelle. Un non-citoyen n’a aucun droit absolu d’entrer et de demeurer au Canada. Par conséquent, l’établissement de conditions que doivent respecter les immigrants ayant reçu le droit d’établissement pour conserver leur droit de rester au pays et éviter l’expulsion, ne peut violer la Charte que (1) si les conditions sont en elles-mêmes discriminatoires (violant ainsi le droit de tous les immigrants ayant reçu le droit d’établissement au même bénéfice de la loi en vertu de l’article 15 de la Charte), ou (2) si leur application ne respecte pas pleinement les principes de justice fondamentale (violant ainsi le droit accordé à tous selon les principes de justice fondamentale). L’absence requise de condamnations pour de graves infractions n’est pas illégitime ni arbitraire, et la méthode établie par la Loi pour vérifier la violation de cette exigence dans la pratique ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale.

La décision visant l’irrecevabilité de la revendication du statut de réfugié par la section du statut est, elle aussi, valide sur le plan constitutionnel. Un étranger n’a aucun droit absolu d’être reconnu comme étant un réfugié politique, soit en vertu de la common law, soit en vertu de toute convention internationale à laquelle a adhéré le Canada. Les dispositions législatives qui définissent les conditions nécessaires à la revendication du statut de réfugié ne peuvent porter atteinte à la Charte que si ces conditions ont pour effet de faire preuve, à l’égard d’un groupe de demandeurs de statut, de discrimination au sens de l’article 15. Refuser à des criminels dangereux le droit de chercher refuge au Canada n’est pas une forme illégitime de discrimination. Seul l’article 15 est en cause car, contrairement à la première décision qui traitait de l’expulsion et par conséquent de la perte de la liberté, une déclaration d’irrecevabilité n’implique aucun acte qui puisse porter atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

L’économie de la Loi, établie par le sous-alinéa 27(1)d)(i), le paragraphe 32(2) et le sous-alinéa 46.01(1)e)(ii), est constitutionnelle et les décisions rendues contre le requérant en conformité avec elle ne portent pas atteinte aux droits que lui garantit la Charte. Comme le sous-alinéa 46.01(1)e)(ii) a pour effet de supprimer le seul obstacle possible à la prise d’une mesure d’expulsion pure et simple, contribuant comme tel à la perte de la liberté et, il est possible, de la sécurité de la personne résultant de l’expulsion, l’article 7 de la Charte entre en jeu. Le requérant a fait valoir que l’absence de garanties législatives qui protégeraient contre les attestations inconsidérées, jointe au fait que rien ne prévoit le contrôle judiciaire de l’opinion du ministre, rendent tout le cadre législatif contraire aux principes de justice fondamentale. Le ministre n’a pas à suivre des lignes directrices formelles en formant son opinion sur le danger pour le public que représente un individu, car son opinion à cet égard est aussi fiable que celle d’un tribunal. On ne pourrait faire une comparaison qui ait un sens entre le danger réel pour le public au Canada que représente un citoyen étranger, et la crainte de persécution éprouvée par ce dernier. Il n’est pas nécessaire de traiter des aspects procéduraux du cadre législatif parce que le tribunal n’avait pas compétence pour déterminer si l’attestation relative au danger public avait été délivrée en conformité avec les règles de justice naturelle. Seule, cette Cour possède une telle compétence. Quoi qu’il en soit, l’argument fondé sur l’équité dans la procédure n’a aucun fondement. Les formalités établies et suivies donnent à l’intéressé l’entière possibilité de faire valoir son point de vue, ce qui satisfait aux exigences de la maxime audi alteram partem. Il n’y a aucune raison d’exiger une audition orale. La prétention qu’il y aurait partialité est incompréhensible, car rien ne permet de croire que le ministre avait déjà formé son opinion sur l’affaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. 1985, appendice II, no 44], art. 7, 11, 12, 15.

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no. 6, Art. 33.

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-1977, ch. 52, art. 72(1)b), 82.1 (mod. par S.C. 1984, ch. 21, art. 84), 83 (mod., idem).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 27 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 11), 32 (mod., idem), 43 (mod., idem, art. 14), 46 (mod., idem), 46.01 (édicté, idem), 70(1)b) (mod., idem, art. 18).

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161.

DÉCISIONS CITÉES :

Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779; (1991), 84 D.L.R. (4th) 438; 67 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 1; 129 N.R. 81; Longia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), A-1059-90, juge Mahoney, J.C.A., jugement en date du 23-9-91, C.A.F., encore inédit; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Berrahma c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 132 N.R. 202 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision portant que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du requérant est irrecevable par la section du statut, et de la prise subséquente d’une mesure d’expulsion.

AVOCATS :

David Matas pour le requérant.

Harry Glinter pour l’intimé.

PROCUREURS :

David Matas, Winnipeg, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Marceau, J.C.A. : En novembre 1988, le requérant, admis au Canada en février 1981 en qualité d’immigrant ayant reçu le droit d’établissement, avait été convoqué à une enquête prévue au paragraphe 27(3) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (« la Loi »), suite au rapport d’un agent principal qui alléguait qu’il était une personne visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et 27(1)d)(ii) de la Loi, c’est-à-dire : celui qui a été déclaré coupable d’une infraction soit pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été imposée, soit qui peut être punissable d’au moins cinq ans d’emprisonnement[1]. Au début de l’enquête, le requérant a avisé l’arbitre qu’il souhaitait revendiquer le statut de réfugié. L’enquête a donc été ajournée comme le requiert la Loi[2].

Lors de la reprise de l’enquête en présence d’un membre de la section du statut de réfugié, l’arbitre a tout d’abord déterminé que l’allégation contenue dans le rapport était exacte selon les éléments de preuve dont il disposait voulant que, depuis son admission au Canada, le requérant avait été à deux reprises déclaré coupable d’avoir en sa possession une arme dangereuse, il avait à deux reprises aussi été reconnu coupable de voies de fait graves et une fois d’avoir eu des relations sexuelles avec une mineure de moins de 14 ans. L’arbitre a alors demandé à étudier la question de savoir si la revendication du requérant était recevable par la section du statut, comme il est prévu au paragraphe 46(1) [mod., par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14] de la Loi[3]. L’ajournement sollicité a été accordé, et à la reprise de l’enquête, un représentant du ministre a déposé en preuve une attestation signée par le ministre et portant que le requérant constituait un danger pour le public au Canada. La disposition 46.01(1)e)(ii)(B) [édicté, idem] de la Loi prévoit ce qui suit :

46.01 (1) La revendication de statut n’est pas recevable par la section du statut si le demandeur se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

...

e) ...

...

(ii) selon une attestation du ministre, il constitue un danger pour le public au Canada et :

...

(B) ou bien a été déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle une peine d’emprisonnement de dix ans ou plus est prévue,

Il est évident que ces conditions de la Loi étaient présentes, mais le requérant a avancé que les appliquer à son cas violerait les droits constitutionnels que lui accorde la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Le tribunal a rejeté cette prétention et déterminé que la revendication du requérant n’était pas recevable par la section du statut. L’arbitre a alors pris contre le requérant une mesure d’expulsion en vertu du paragraphe 32(2) [mod., idem, art. 11] de la Loi[4].

La présente demande de contrôle judiciaire, présentée avec autorisation de la Cour, conteste la validité aussi bien de la conclusion d’irrecevabilité que de la mesure d’expulsion.

Dans son exposé à l’appui de la demande, l’avocat du requérant a surtout réitéré devant nous les observations qu’il avait faites au tribunal. Celles-ci, comme on peut s’y attendre, s’appuyaient toutes sur la présomption que la prise d’une mesure d’expulsion, sans examen préalable de la revendication du statut de réfugié du requérant, pourrait entraîner l’expulsion forcée de celui-ci dans un pays où il pourrait être persécuté et, plus particulièrement, où il pourrait être exposé à la torture ou à l’exécution arbitraire. Mais ces observations étaient désordonnées et souvent confuses. Elles traitaient sans distinction de la délivrance de l’attestation ministérielle dans les circonstances de l’affaire, de la procédure établie pour la délivrance de telles attestations de danger public par une directive ministérielle générale et des dispositions législatives en cause, et elles invoquaient simultanément les articles 7, 11, 12 et 15 de la Charte. Les questions sérieuses soulevées par la demande, dont on nous dit qu’elles sont soulevées dans d’autres affaires, devront être exposées d’une façon plus ordonnée.

Ce que l’on conteste dans le libellé de la demande, c’est la constitutionnalité de toute l’économie de la Loi en vertu de laquelle l’expulsion du Canada d’un résident permanent peut être décrétée sans qu’il ait été donné suite à sa revendication du statut de réfugié. On ne doit pas oublier, toutefois, que ce régime législatif comporte deux décisions distinctes et indépendantes, prises en application de deux ensembles de dispositions. L’une de ces décisions est celle de l’arbitre selon laquelle l’intéressé, une fois déclaré être une personne visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et 27(1)d)(ii) de la Loi, fait l’objet d’une mesure d’expulsion en application du paragraphe 32(2) de la Loi; l’autre décision est celle de l’arbitre et du membre qui affirme, conformément au sous-alinéa 46.01(1)e)(ii), que la revendication de l’intéressé n’est pas recevable par la section du statut. Il me semble logique de commencer l’analyse en cherchant à savoir si l’une ou l’autre de ces décisions pourrait, en elle-même, être vulnérable sur le plan constitutionnel.

La validité constitutionnelle des décisions fondées sur les paragraphes 27(1) et 32(2) de la Loi est facile à vérifier, particulièrement à la suite des jugements de la Cour suprême dans Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, et Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711. Si l’on tient compte du fait que le non-citoyen n’a aucun droit absolu d’entrer et de demeurer au Canada, on voit que l’établissement par le Parlement, et leur mise à exécution dans des cas particuliers, de conditions que doivent respecter les immigrants ayant reçu le droit d’établissement pour conserver leur droit de rester au pays et d’éviter l’expulsion, ne peuvent violer la Charte que de deux façons : soit que les conditions soient en elles-mêmes discriminatoires (violant ainsi le droit de tous les immigrants ayant reçu le droit d’établissement au même bénéfice de la loi en vertu de l’article 15 de la Charte); soit que leur application dans des cas particuliers ne respecte pas pleinement les principes de justice fondamentale (violant ainsi le droit que l’article 7 de la Charte accorde à chacun de n’être pas privé de sa liberté, si ce n’est en conformité avec les principes de justice fondamentale[5]). Or, il est certain que l’absence requise de condamnations pour de graves infractions n’est pas illégitime ni arbitraire, et la méthode établie par la Loi pour vérifier la violation de cette exigence dans la pratique—méthode scrupuleusement suivie en l’espèce—ne porte pas atteinte aux principes de justice fondamentale. La première décision ne pose pas de problème, par conséquent : elle est, considérée isolément, constitutionnellement valide.

Il semble encore plus facile d’en arriver à la conclusion que l’autre décision, rendue conformément au sous-alinéa 46.02(1)e)(ii) de la Loi est, en elle-même, également valide sur le plan constitutionnel. Un étranger n’a aucun droit absolu d’être reconnu comme étant un réfugié politique, soit en vertu de la common law, soit en vertu de toute convention internationale à laquelle a adhéré le Canada[6]. Il s’ensuit que les dispositions législatives qui prétendent définir les conditions nécessaires à la revendication du statut de réfugié ne peuvent porter atteinte à la Charte que si ces conditions ont pour effet de faire preuve, à l’égard d’un groupe de demandeurs de statut, de discrimination au sens de l’article 15. Refuser à des criminels dangereux le droit, généralement accordé aux immigrants qui fuient la persécution, de chercher refuge au Canada ne saurait certes pas être considéré comme une forme illégitime de discrimination. Seul l’article 15 de la Charte est en cause car, contrairement à la première décision qui traitait de l’expulsion forcée et par conséquent de la perte de la liberté, une déclaration d’irrecevabilité n’implique ni n’entraîne, en elle-même, aucun acte qui puisse porter atteinte à la vie, la liberté ou la sécurité de la personne (voir Berrahma c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1991), 132 N.R. 202 et Longia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, encore inédit, A-1059-90, qui sur ce point ont établi une distinction avec l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 dans lequel le droit de revendiquer le statut de réfugié, droit déjà accordé, était contesté).

Donc, lorsqu’elles sont considérées indépendamment l’une de l’autre, aucune des deux décisions rendues en application de la mesure législative contestée n’est vulnérable sur le plan constitutionnel. Cette conclusion n’est toutefois pas décisive. Une mesure législative peut être contestée même si ses parties sont en elles-mêmes acceptables. En effet, l’action réciproque de ses parties peut créer un contexte complètement nouveau et imposer une approche différente. C’est là, je crois, l’attitude qu’a adopté la Cour suprême dans l’arrêt Chiarelli, précité.

Dans l’affaire Chiarelli, on avait ordonné l’expulsion d’un résident permanent après avoir déterminé qu’il était visé par l’article 27 de la Loi, et il avait perdu son droit d’interjeter appel pour des raisons d’ordre humanitaire en vertu de ce qui était alors l’alinéa 72(1)b) [S.C. 1976-77, ch. 52] de la Loi [Loi sur l’immigration de 1976] (aujourd’hui l’alinéa 70(1)b) [mod., idem, art. 18]) suite à la délivrance de l’attestation du ministre en vertu des articles 82.1 [mod. par S.C. 1984, ch. 21 art. 84] et 83 [mod., idem] de la Loi (aujourd’hui les articles 81 et 82). La Cour suprême, suivant à cet égard la ligne de conduite de cette Cour, a étudié le défi constitutionnel comme s’il s’adressait au cadre législatif pris dans son ensemble. Le retrait du droit particulier d’interjeter appel a été perçu comme le retrait d’un recours permettant de s’opposer à la mesure d’expulsion et, en conséquence, comme une atteinte possible à l’article 7 de la Charte. De la même façon en l’espèce, bien que la décision concluant à l’irrecevabilité en vertu du sous-alinéa 46.01(1)e)(ii) de la Loi ne soit qu’indirectement liée à la mesure d’expulsion, elle n’en supprime pas moins le seul obstacle possible à la prise d’une mesure d’expulsion pure et simple, et comme telle elle contribue à la perte de la liberté et, il est possible, de la sécurité de la personne résultant de l’expulsion. De façon plus générale, la perte de la liberté en cause dans toute expulsion forcée revêt une nouvelle dimension du fait que la personne qui doit être expulsée revendique le statut de réfugié. Il convient donc, par conséquent, de tenir pour acquis que l’article 7 de la Charte entre en jeu à l’égard du cadre législatif dans son ensemble, c’est-à-dire non seulement en ce qui concerne la prise de la mesure d’expulsion, mais aussi relativement à la conclusion d’irrecevabilité fondée sur l’attestation selon laquelle le requérant constitue un danger pour le public. La question devient donc celle de savoir si la délivrance de cette attestation, qui est la caractéristique principale du régime législatif dans son ensemble, peut être considérée comme une atteinte aux principes de justice fondamentale.

Pour répondre complètement à cette question, il faut étudier deux aspects du problème : l’aspect matériel, qui porte sur le contenu ou le fond de la disposition législative, et l’aspect procédural, qui vise la façon dont la Loi est de fait appliquée. L’avocat du requérant a fait de longues observations sur ces deux aspects, mais aucune d’elles ne m’a convaincu que la Loi ou son application en l’espèce sont invalides sur le plan constitutionnel.

Les aspects matériels

On fait valoir, à l’égard de la Loi elle-même, que l’absence de garanties législatives qui protégeraient contre les attestations inconsidérées, comme par exemple l’exigence que la conduite dangereuse soit susceptible de persister et que le danger soit incontrôlable, jointe au fait que rien ne prévoit le contrôle judiciaire de l’opinion du ministre, rendent tout le cadre législatif contraire aux principes de justice fondamentale. Je ne suis pas d’accord. Je ne crois pas que le ministre doive suivre des lignes directrices formelles quant aux facteurs dont il devrait tenir compte en formant son opinion, et je considère son opinion sur le danger pour le public que représente un individu aussi fiable que celle d’un tribunal. Adoptant un autre point de vue, l’avocat du requérant a fait en outre valoir qu’en excluant tout examen de la revendication, et partant toute preuve qui pourrait être présentée à l’appui, la disposition législative a pour conséquence d’écarter toute possibilité pour la section du statut et plus tard pour le ministre, de mettre dans la balance le danger que le requérant représente pour le public au Canada et la gravité de la persécution qu’il redoute s’il était expulsé. Ni la section du statut ni le ministre n’ont cependant à faire cette comparaison, puisqu’elle n’est pas pertinente aux décisions que la Loi leur impose de rendre. De plus, je ne comprends pas comment et sur quel fondement on pourrait jamais faire une comparaison qui ait un sens entre le danger réel pour le public au Canada et la crainte de persécution d’un citoyen étranger. L’approche subsidiaire de l’avocat du requérant ne mène nulle part.

La prétention voulant que le cadre législatif dont fait partie le sous-alinéa 46.01(1)e)(ii) constitue un outrage aux normes de décence du public canadien, et porte donc atteinte aux principes de justice fondamentale, est tout simplement intenable. On ne peut donc soutenir que l’article 7 exige, dans les circonstances, l’examen de la revendication du statut de réfugié.

Les aspects procéduraux

L’avocat du requérant a contesté les aspects prodécuraux du cadre législatif au motif que les formalités établies par le ministre à l’égard de la délivrance de ses attestations ne prévoient aucune audition orale ni aucun contrôle judiciaire. Il a soutenu en outre que même si ces formalités étaient adéquates, il y avait en l’espèce atteinte à la justice fondamentale parce que la délivrance d’une attestation initiale avant l’établissement des formalités, même s’il ne lui est pas donné suite, créait une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la décision de délivrer la seconde attestation à laquelle le tribunal a donné suite.

À vrai dire, il n’est pas nécessaire de traiter de ces observations. Nous faisons le contrôle judiciaire de la décision d’un tribunal qui, à mon sens, n’avait pas compétence pour déterminer si l’attestation relative au danger pour le public dont il était saisi avait été délivrée selon les principes de justice naturelle. Le mandat de ce tribunal ne lui permettait pas de se poser des questions sur une attestation à première vue valide. Bien qu’il s’agisse de l’expression d’une opinion, la délivrance d’une attestation est néanmoins, à mon sens, une décision susceptible du seul contrôle judiciaire de cette Cour, et non de celui des agents d’immigration[7]. Toutefois, afin de traiter de tous les moyens de contestation possibles, je vais expliquer brièvement pourquoi je ne trouve aucun bien-fondé à ces arguments. Les formalités établies et réellement suivies donnent à l’intéressé l’entière possibilité de faire valoir son point de vue ce qui, je crois, satisfait dans les circonstances aux exigences de la maxime audi alteram partem. Je ne vois pas plus de raisons d’exiger en l’espèce une audition orale que dans toute autre affaire analogue. D’autre part, je ne comprends même pas la prétention qu’il y aurait partialité. Il est vrai que la première attestation signée avant que soient établies les formalités procédurales a été remplacée par une autre, qui respecte entièrement les nouvelles exigences de la procédure. Toutefois, le nouveau processus, qui s’apparente à l’ordonnance de justification établit, comme première étape, l’avis d’intention de délivrer une attestation. Dans la pratique, je ne vois aucune distinction importante entre la délivrance préalable d’une attestation et l’avis d’intention de délivrer une attestation. Rien ne permet de croire que le ministre avait déjà formé son opinion sur l’affaire de sorte que toute observation à l’encontre aurait été futile. La partialité n’est pas une question litigieuse en l’espèce.

Mon analyse ne peut donc que m’amener à conclure que l’économie de la Loi, établie par le sous-alinéa 27(1)d)(i), le paragraphe 32(2) et le sous-alinéa 46.01(1)e)(ii), est constitutionnelle et que les décisions rendues contre le requérant en conformité avec elle ne portaient pas atteinte aux droits que lui garantit la Charte. Cette conclusion, bien entendu, règle la demande, mais avant de terminer je me permets une dernière brève remarque.

Nous avons traité en l’espèce : tout d’abord, de la délivrance d’une mesure d’expulsion, et non de sa mise à exécution vers un pays précis, et deuxièmement, du refus de faire enquête sur l’affirmation d’une crainte de persécution, non du refus de prendre en considération la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que la personne expulsée, si elle était renvoyée dans un certain pays, serait victime de persécution, dont la torture et peut-être l’exécution. J’aurais pu conclure aisément que les règles de justice naturelle n’exigeaient pas, dans le cas d’un criminel reconnu constituer un danger public, une enquête approfondie sur sa crainte de persécution avant qu’il ne fasse l’objet d’une mesure d’expulsion. Je serais toutefois d’avis que le ministre violerait carrément la Charte s’il prétendait exécuter une mesure d’expulsion en forçant l’intéressé à retourner dans un pays où, selon la preuve, il sera torturé et peut être mis à mort. Il me semble que ce serait participer à un traitement cruel et inusité au sens de l’article 12 de la Charte ou, à tout le moins, commettre un outrage aux normes publiques de la décence, en violation des principes de justice fondamentale visés à l’article 7 de la Charte. Il existe des moyens d’enjoindre au ministre de ne pas agir en violation de la Charte.

La demande dont la Cour est saisie est mal fondée et elle devrait être rejetée.

Le juge Hugessen, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.



[1] Les dispositions mentionnées sont libellées comme suit :

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :

...

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale :

(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée,

(ii) soit qui peut être punissable d'au moins cinq ans d'emprisonnement;

[2] Voici le libellé de l'art. 43(3) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 14] :

43. ...

(3) En cas de revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, l'enquête ne peut se poursuivre qu'en présence et de l'arbitre et d'un membre de la section du statut. Elle est ajournée, s'il y a lieu, pour permettre cette présence.

[3] L'art. 46(1) est libellé comme suit :

46. (1) Les règles suivantes s'appliquent aux enquêtes ou audiences tenues devant un arbitre et un membre de la section du statut :

a) dans le cas d'une enquête, l'arbitre détermine si le demandeur de statut doit être autorisé à entrer au Canada ou à y demeurer, selon le cas;

b) l'arbitre et le membre déterminent si la revendication est recevable par la section du statut;

c) si au moins l'un des deux conclut à la recevabilité, ils déterminent ensuite si la revendication a un minimum de fondement.

[4] L'art. 32(2) est libellé comme suit :

32. ...

(2) S'il conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvant dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre, sous réserve du paragraphe 32.1(2), prend une mesure d'expulsion contre lui.

[5] Bien que le juge Sopinka, en rédigeant le jugement de la Cour suprême dans l'affaire Chiarelli, précitée, n'a pas estimé nécessaire d'adopter une position ferme sur la question de l'atteinte à la liberté, au sens de ce mot à l'article 7 de la Charte, que constituerait une mesure d'expulsion, il me semble, en toute déférence, que l'expulsion d'un individu aurait pour conséquence nécessaire de porter atteinte à sa liberté, dans tous les sens possibles de cette expression, de la même façon que l'extradition a été considérée comme une atteinte à la liberté dans l'arrêt Kindler, précité.

[6] Voici le libellé de l'Article 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 :

Article 33

Défense d'Expulsion et de Refoulement

1. Aucun des États Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

[7] Le même raisonnement, et par conséquent la même réserve, ne s'appliquait pas à l'aspect matériel du problème déjà étudié puisqu'à cet égard, le caractère constitutionnel même de la mesure législative, indépendamment de son application dans un cas particulier, était contesté et nous savons désormais que les tribunaux administratifs sont habilités à se prononcer sur la validité constitutionnelle des mesures législatives en vertu desquelles ils agissent.

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