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[1993] 1 C.F. 710

A-904-90

Arthur Winters (appelant)

c.

Comité régional des transfèrements, Région des prairies (Service correctionnel du Canada) et Michael Gallagher, directeur de l’établissement d’Edmonton (intimés)

Répertorié : Williams c. Canada (Comité régional des transfèrements) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juges Pratte et Hugessen, J.C.A.—Edmonton, 3 décembre 1992; Ottawa, 14 janvier 1993.

PénitenciersLa décision du directeur de transférer un détenu de l’établissement d’Edmonton à l’unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan reposait sur une interprétation erronée des faitsLe sous-commissaire adjoint par intérim a confirmé la décision du directeurAucun rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’a été déposé, contrairement à la Directive du commissaireDes documents versés au dossier d’Edmonton parlaient favorablement du rendement du détenuViolation de l’équité en matière de procédureLa décision portant confirmation est annuléeLe transfèrement sans qu’il y ait possibilité de consulter un avocat est un déni du droit à l’assistance d’un avocatObligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat, de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit lorsqu’on décide de le placer en isolement préventif, de le transférerLe transfèrement à une unité d’isolement préventif, à une unité à sécurité maximale élevée constitue une nouvelle détention.

Droit constitutionnelCharte des droitsProcédures criminelles et pénalesDroit à l’assistance d’un avocatUn détenu d’un pénitencier fédéral a été transféré à un établissement à sécurité maximale élevée sans qu’il lui soit possible de consulter un avocatL’art. 10 de la Charte prévoit le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat en cas d’arrestation et de détentionLe transfèrement à une unité à sécurité élevée ou à une unité d’isolement préventif constitue une détention nouvelle et distincteObligation d’informer l’appelant de son droit à l’assistance d’un avocat et de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit lorsqu’on décide de le placer en isolement préventif, de le transférer à une unité à sécurité maximale élevée.

Contrôle judiciaireBrefs de prérogativeLa décision du directeur de transférer un détenu de l’établissement d’Edmonton à l’unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan reposait sur une interprétation erronée des faitsLe sous-commissaire adjoint par intérim a confirmé la décision du directeurAucun rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’a été déposé, contrairement à la Directive du commissaireDes documents versés au dossier d’Edmonton faisaient l’éloge du rendement du détenuLa décision portant confirmation est annuléeDans certaines circonstances, l’équité en matière de procédure exige d’une autorité administrative qu’elle communique tous les documents qui se trouvent en sa possession et qui se rapportent à la décision projetéeLa présence d’un rapport récapitulatif sur l’évolution du cas entre les mains du décideur est, en l’espèce, un élément essentiel de l’équité en matière de procédureLe fait de ne pas communiquer les documents favorables au détenu qui se trouvent en la possession des autorités pénitentiaires et de refuser de les examiner déroge à la justice fondamentale.

L’appelant purge une peine d’emprisonnement à perpétuité à l’établissement d’Edmonton, un pénitencier fédéral. Après une bagarre au couteau entre deux détenus, les détenus ont reçu l’ordre de réintégrer leur cellule pour y être enfermés (« isolement cellulaire »). Le directeur, se fondant sur les renseignements reçus de son personnel, a estimé que l’appelant était en partie responsable de la perturbation du déroulement sans heurt de l’isolement cellulaire. Il a ordonné l’isolement préventif de l’appelant et son transfèrement immédiat à l’unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Antérieurement à son départ de l’établissement d’Edmonton, l’appelant a reçu un avis de recommandation du transfèrement non sollicité exposant le motif de la décision du directeur. Dès qu’il a été informé de l’intention de le transférer, l’appelant a demandé l’autorisation de consulter un avocat, mais sa requête a été rejetée. Après son arrivée à Prince Albert, il a reçu un avis plus détaillé de recommandation du transfèrement non sollicité. On n’a pas satisfait aux demandes de consultation d’un avocat faites par l’appelant avant qu’il n’ait reçu le second avis. Après avoir consulté son avocat, l’appelant a rédigé et déposé une réponse écrite au transfèrement envisagé. Les accusations criminelles portées contre l’appelant pour avoir entravé le déroulement de l’isolement cellulaire ont par la suite été retirées, et on en a déduit que le directeur s’était mépris sur l’incident de l’isolement cellulaire. Le sous-commissaire adjoint par intérim a ensuite confirmé le transfèrement après qu’il eut examiné les deux avis de recommandation du transfèrement non sollicité et la réponse écrite de l’appelant à ceux-ci.

La Directive du commissaire no 540 énumère le rapport récapitulatif sur l’évolution du cas (brève image du comportement général du détenu et de l’évolution de son cas au cours de son incarcération) comme un document obligatoire que le décideur examinant un cas de transfèrement doit avoir en sa possession. On doit fournir, à part le rapport récapitulatif sur l’évolution du cas, un avis de recommandation du transfèrement non sollicité et la réponse écrite du détenu. Aucun rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’a jamais été soumis au sous-commissaire adjoint par intérim, même si le dossier de l’établissement d’Edmonton contenait plusieurs documents qui faisaient l’éloge du rendement de l’appelant, dont un établi ultérieurement à tous les incidents mentionnés dans l’avis de recommandation du transfèrement non sollicité, à l’exception d’un incident.

Dans le présent appel formé contre un jugement de première instance qui a rejeté une demande d’annulation de la décision de transfèrement et de la confirmation ultérieure de celle-ci, il s’agit d’examiner s’il y a eu déni du droit à l’équité en matière de procédure et du droit de l’appelant d’avoir recours à un avocat.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Il existe des cas où l’équité en matière de procédure exige d’une autorité administrative qu’elle communique à l’intéressé tous les documents qui se trouvent en sa possession et qui peuvent se rapporter à une décision envisagée le concernant. Cette obligation atteint son point culminant dans le processus pénal, où la poursuite doit communiquer à l’accusé tous les documents se trouvant en sa possession, que la Couronne ait l’intention d’utiliser ces documents ou non. Certes, les règles régissant les poursuites ne devraient pas être introduites sans distinction dans les procédures relatives au transfèrement de détenus d’un pénitencier; mais, dans les circonstances particulières de l’espèce, la présence obligatoire d’un rapport récapitulatif sur l’évolution du cas entre les mains du décideur était un élément essentiel de l’équité en matière de procédure. L’appelant avait été transféré d’Edmonton, où il aurait pu avoir accès à des documents et à des éléments susceptibles de lui être favorables, à Prince Albert, où un tel accès serait presque impossible et où il était détenu dans des conditions d’extrême sévérité frisant l’isolation. Les documents favorables à la cause de l’appelant étaient sous le contrôle exclusif des autorités pénitentiaires, et le fait pour celles-ci non seulement de ne pas les communiquer à l’appelant, mais en outre de refuser de les examiner, déroge à la justice fondamentale. Le sous-commissaire adjoint par intérim a pris sa décision en se fondant sur les renseignements dont on sait maintenant qu’ils sont faux et sans prendre en considération les documents plus à jour qui étaient très favorables à l’appelant. Ces documents, ou un résumé de ceux-ci, devaient être examinés, et il était possible de les fournir.

L’appelant s’est vu refuser le droit de consulter un avocat. Bien que le droit d’un détenu de consulter un avocat à un moment raisonnable se passe de démonstration et existe indépendamment des garanties prévues par la Charte, l’article 10 s’applique. Cet article prévoit que, en cas d’arrestation et de détention, chacun a le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Il est bien établi que le transfèrement à une unité à sécurité élevée ou à une unité d’isolement préventif équivaut à une nouvelle et distincte détention. Les autorités étaient indéniablement tenues d’informer l’appelant de son droit à l’assistance d’un avocat et de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit dès qu’elles avaient décidé de le placer en isolement préventif et de le transférer à un établissement à sécurité maximale élevée. D’après la preuve, il n’aurait nullement été impossible ni irréalisable de donner à l’appelant la possibilité de consulter un avocat. Le rejet de sa requête en consultation de son avocat ne pouvait se justifier par l’urgence de la situation. La décision du directeur a violé les droits que l’appelant tient de la Charte, et la confirmation du transfèrement devrait être annulée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 10, 24.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 39), art. 129, 279.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

La Reine c. Miller, [1985] 2 R.C.S. 613; (1985), 52 O.R. (2d) 585; 24 D.L.R. (4th) 9; 16 Admin. L.R. 184; 23 C.C.C. (3d) 97; 49 C.R. (3d) 1; 63 N.R. 321; 14 O.A.C. 33.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233; (1987), 41 D.L.R. (4th) 301; 34 C.C.C. (3d) 385; 58 C.R. (3d) 97; 76 N.R. 198; Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 21 C.R.R. 76; 67 N.R. 241; 16 O.A.C. 81; R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; (1988), 31 O.A.C. 81; 45 C.C.C. (3d) 204; 66 C.R. (3d) 193; 89 N.R. 161.

DÉCISION CITÉE :

R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 193; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161.

APPEL d’un jugement de première instance ([1991] 1 C.F. 251; (1990), 38 F.T.R. 169) qui a rejeté une demande visant à obtenir des ordonnances qui annuleraient la décision du directeur de placer l’appelant en isolement préventif et de le transférer d’urgence à une unité à sécurité maximale élevée, et la décision ultérieure de confirmer et d’approuver ce transfèrement. Appel accueilli.

AVOCATS :

Charalee F. Graydon pour l’appelant.

Larry M. Huculak pour les intimés.

PROCUREURS :

Bishop & McKenzie, Edmonton, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Hugessen, J.C.A. :

Introduction

L’appelant purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour avoir commis un meurtre au premier degré. Le 5 novembre 1989, il était détenu à l’établissement d’Edmonton, un pénitencier fédéral, et habitait l’unité résidentielle « A » qui était composée en grande partie de condamnés à perpétuité. À 18 h environ, il s’est produit une bagarre au couteau entre deux détenus dans la cour de l’établissement où se trouvait un grand nombre de détenus. L’appelant n’était pas dans la cour au moment de la bagarre, et il n’y était pas impliqué. En fait, il se trouvait dans son unité résidentielle. Les agents de correction ayant pu retrouver seulement une des deux armes utilisées dans la bagarre et étant donné la situation généralement tendue, les autorités ont ordonné un « isolement cellulaire » de tous les détenus, c’est-à-dire qu’ils devraient réintégrer leur cellule pour y être enfermés. L’isolement cellulaire ne s’est pas déroulé sans incident dans l’unité résidentielle « A », et le directeur de l’établissement, se fondant sur les renseignements reçus de ses subalternes, a estimé que l’appelant et quatre autres détenus étaient coupables d’avoir entravé le fonctionnement des barrières de blocage et empêché deux agents de correction, qui se trouvaient dans l’unité résidentielle à ce moment-là, de quitter celle-ci. Le 6 novembre 1989, il a ordonné l’isolement préventif de l’appelant et son transfèrement immédiat à l’unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Quelques semaines plus tard, le 22 décembre 1989, le transfèrement non sollicité de l’appelant à l’unité à sécurité maximale élevée a été confirmé par le sous-commissaire adjoint par intérim.

Le présent appel est interjeté de la décision par laquelle la Section de première instance [[1991] 1 C.F. 251] a rejeté la demande d’ordonnances présentée par l’appelant pour faire annuler tant la décision initiale du directeur de le placer en isolement préventif et de le transférer d’urgence à l’unité à sécurité maximale élevée que la décision ultérieure portant confirmation et approbation du transfèrement.

Les faits

La décision initiale du directeur reposait sur son interprétation des faits tels qu’ils lui ont été communiqués par le personnel de son établissement. Cette interprétation se trouve dans le premier paragraphe d’un « avis de recommandation du transfèrement non sollicité » donné à l’appelant le 6 novembre 1989 avant qu’il ne quitte Edmonton :

[traduction] À partir de 18 h 15 le 5 novembre 1989, vous avez effectivement aidé le détenu McLaren à ouvrir la barrière contre les émeutes de la partie inférieure de l’unité « A », et vous l’avez bloquée à l’aide d’une chaise. On vous a observé alors que vous donniez des instructions à d’autres détenus de l’unité A, et il en est résulté que deux agents n’ont pu sortir d’urgence du bureau de l’unité. Vous les avez empêchés en participant à un comportement d’intimidation et en plaçant des objets au plancher pour entraver leur possibilité de sortir. On a remarqué que, au cours de cet incident, vous étiez armé d’un objet ressemblant à une batte.

Le 24 août 1989, au cours d’une réunion du comité des détenus, vous êtes effectivement devenu verbalement agressif, et vous avez dit que vous vous en prendriez aux membres du personnel si on tentait de vous déplacer.

8-6-89—Vous avez menacé de perturber le programme des ateliers industriels donné à l’établissement, au cours d’une négociation portant sur l’introduction de programmes.

18-3-89—Vous avez signé une note à l’intention de tous les détenus indiquant que tous devaient participer à une grève sur le tas pacifique jusqu’à ce que l’établissement ait satisfait à sept demandes.

Le 16-2-89, à 13 h environ, vous avez participé à une bagarre avec le détenu Dingwall dans la cour.

Vos actes le 5 novembre 1989 ont contribué à un sérieux incident à l’établissement, en empêchant un isolement cellulaire d’urgence de tous les détenus à la suite d’une grave bagarre avec des armes dans la cour.

En conséquence du comportement perturbateur dont vous avez fait preuve, vous êtes transféré d’ugence à un établissement à sécurité supérieure. [Dossier d’appel, à la page 70.]

(On peut noter par parenthèse que les incidents allégués mentionnés dans les deuxième, troisième, quatrième et cinquième paragraphes de ce document n’ont jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire ou autre contre l’appelant et n’ont même pas, apparemment, donné lieu à des avertissements.)

Le point de vue des faits adopté par le directeur pour justifier le transfèrement a été développé dans un second « avis de recommandation du transfèrement non sollicité » qui a été donné à l’appelant le 7 novembre 1989, après son arrivée à Prince Albert :

[traduction] À partir de 18 h 15 environ, le 5 novembre 1989, vous avez effectivement aidé le détenu McLaren à ouvrir la barrière contre les émeutes de la partie inférieure de l’unité « A », et vous l’avez bloquée à l’aide d’une chaise. On vous a entendu dire « Diable, qu’est-ce qui se passe. Nous n’allons pas réintégrer notre cellule. » Vous êtes alors apparu à la porte du bureau de l’unité, et vous avez informé les agents Kerich et Reekie que presque tous les détenus de l’unité sont des condamnés à perpétuité et que « Nous n’avons rien à perdre ». On vous a dit de réintégrer votre cellule mais vous avez refusé. On vous a vu en train de faire le tour de l’unité, armé d’un objet en bois ressemblant à une batte de base-ball. Vous vous êtes compromis et on vous a entendu donner des instructions à d’autres détenus selon lesquelles ils devaient placer des manches de balai ou des manches de balai laveur ou les deux sur le plancher du foyer près de la base des escaliers, près de la salle de contrôle, afin que les agents Kerich et Reekie aient de la difficulté à traverser à pied la pièce pour sortir de l’unité. Vous avez également participé au blocage de la porte de l’unité « A » conduisant au vestibule de la salle de contrôle. Lorsque les agents Kerich et Reekie sont entrés dans le vestibule de l’unité « A », vous vous êtes placé dans la porte intérieure pour l’empêcher de fermer et donc pour empêcher les agents de sortir d’urgence de l’unité, puisque la porte intérieure doit être fermée pour que la porte extérieure s’ouvre. Au cours de l’incident, on vous a vu en train de donner des instructions à d’autres détenus de l’unité « A », ce qui a fait accroître la gravité de l’incident.

Vos actes le 5 novembre 1989 ont contribué à un sérieux incident à l’établissement, en empêchant un isolement cellulaire d’urgence de tous les détenus à la suite d’une grave bagarre avec des armes dans la cour.

Le 24 août 1989, au cours d’une réunion du comité des détenus, vous êtes effectivement devenu verbalement agressif, et vous avez dit que vous vous en prendriez aux membres du personnel si on tentait de vous déplacer. Le 8-6-89, vous avez menacé de perturber le programme des ateliers industriels donné à l’établissement, au cours d’une négociation portant sur l’introduction de programmes.

Le 18-3-89, vous avez signé une note à l’intention de tous les détenus indiquant que tous devaient participer à une grève sur le tas pacifique jusqu’à ce que l’établissement ait satisfait à sept demandes.

Le 16-2-89, à 13 h environ, vous avez participé à une bagarre à coups de poing avec le détenu Dingwall dans la cour intérieure de l’établissement d’Edmonton.

En conséquence du comportement perturbateur dont vous avez fait preuve à l’établissement d’Edmonton, vous êtes transféré d’urgence à un établissement à sécurité supérieure. [Dossier d’appel, à la page 71.]

À part le transfèrement à l’unité à sécurité maximale élevée, la participation alléguée de l’appelant et de quatre autres détenus à l’incident survenu le 5 novembre 1989 à l’unité résidentielle « A » de l’établissement d’Edmonton a donné lieu à des accusations portées contre eux en vertu de l’article 279 (séquestration) et de l’article 129 (entrave) du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 39)]. À l’audition de l’appel, les avocats nous ont informés que, ultérieurement à l’audition tenue devant la Section de première instance, ces accusations ont fait l’objet d’une enquête préliminaire devant les cours criminelles. Pour des raisons médicales, l’appelant n’a pu y être présent, mais, à la conclusion de l’enquête préliminaire, ses quatre co-accusés ont tous bénéficié d’un non-lieu pour tous les chefs d’accusation. Par la suite, la Couronne a retiré les accusations portées contre l’appelant. La seule conclusion que nous puissions en tirer est que le directeur s’est mépris sur ce qui avait eu lieu à l’unité résidentielle « A » le 5 novembre 1989, et que l’appelant était et est innocent des allégations faites à son égard.

Avant de quitter l’établissement d’Edmonton, et dès qu’il a été informé de l’intention des autorités de le transférer à l’unité à sécurité maximale élevée, l’appelant a demandé l’autorisation de consulter un avocat, mais sa requête a été rejetée. Voici la façon dont il voit la question dans son affidavit :

[traduction] 7. Le 6 novembre 1989 ou vers cette date, à environ 14 h, l’agent de correction Fecteau est venu dans ma cellule de l’unité A pour m’informer qu’on avait décidé de me transférer à l’unité à sécurité maximale élevée du pénitencier de la Saskatchewan. Au moment où l’agent de correction Fecteau se trouvait dans ma cellule, je me suis rendu compte qu’il était accompagné des membres de l’équipe pénitentiaire d’intervention d’urgence.

8. J’ai accompagné l’agent de correction Fecteau à l’aire d’admission et d’élargissement où j’ai reçu un avis disant que je serais transféré au pénitencier de la Saskatchewan dans lequel je serais placé en isolement préventif à l’unité à sécurité maximale élevée (une copie conforme de l’avis que j’ai reçu de M. Fisher à l’aire d’admission et d’élargissement le 6 novembre 1989, marquée Pièce « A », est jointe aux présentes).

9. Alors que je me trouvais à l’aire d’admission et d’élargissement, j’ai demandé à l’agent de correction Fisher de m’accorder la possibilité de consulter un avocat, et cet agent m’a informé que je ne serais pas autorisé à le faire. [Affidavit d’Arthur Winters, dossier d’appel, à la page 6.]

Après son arrivée à Prince Albert, l’appelant affirme avoir de nouveau fait plusieurs demandes de consultation de son avocat, mais qu’on n’a pas satisfait à ces demandes avant qu’il n’ait reçu le second « avis de recommandation du transfèrement non sollicité ». À son contre-interrogatoire, il a dit :

[traduction] Q. Je vois. Ainsi donc, dans l’avion, vous avez reçu la pièce C de M. Fecteau, je crois?

R.   Oui, je l’ai reçue.

Q.  Et avez-vous reçu d’autres documents portant sur la raison pour laquelle vous avez été transféré, soit dans l’avion, soit après votre arrivée à Prince Albert?

R.   Deux ou trois jours plus tard, nous avons reçu un autre de ces documents dans l’USD—c’est ainsi qu’ils appellent l’unité spéciale de détention—c’est deux ou trois pages plus loin.

Q.  Pièce E?

R.   Pièce E, oui. Nous l’avons reçue.

Q.  Ainsi, vous avez personnellement obtenu une copie de la pièce E d’un agent de sécurité ou de quelqu’un d’autre?

R.   Du type qui dirige l’USD. Son nom est Vic Taylor.

Q.  Et est-ce qu’il vous a lu cette pièce E?

R.   Non, il ne l’a pas fait. Il s’est contenté de me la donner.

Q.  Je vois, et y a-t-il eu une discussion entre vous et M. Taylor au sujet de la consultation d’un avocat?

A.   Oui, dès qu’il s’en rendu compte. Une fois rendus là, nous avons demandé à plusieurs reprises aux agents de l’USD de consulter des avocats, et on nous a dit que nous n’étions pas autorisés à faire des appels.

Q.  Vous dites « nous ». Je m’intéresse uniquement à ce que vous avez fait.

R.   D’accord. J’ai demandé et on m’a dit, non, on ne m’a pas autorisé à faire des appels avant que je n’aie vu ce M. Taylor. Je le lui ait dit et, à ce moment, il a donné l’ordre à ce sujet dès que j’ai eu fini de lui parler, et on m’a conduit devant un téléphone et j’ai été autorisé à téléphoner.

Q.  Vous dites que lorsque vous êtes arrivé à Prince Albert, vous avez demandé à consulter un avocat?

R.   Oui, je l’ai fait.

Q.  À combien d’occasions? Vous rappelez-vous?

R.   Pratiquement, je l’ait fait à quiconque—je ne peux me rappeler le nombre exact. Je l’ai demandé à quiconque écouterait plus ou moins. À tout agent qui est venu à ma porte.

Q.  À quel moment de la journée ces demandes ont-elles été faites?

R.   Plusieurs fois au cours de la journée. Ils font leur ronde ou ils font le—viennent à nos fentes pour les repas, quelque chose du genre.

Q.  Ainsi, lorsqu’on vous a emmené à Prince Albert, on vous a placé dans l’unité spéciale de détention?

R.   Ouais.

Q.  Oui?

R.   Oui.

Q.  Et en quoi cela diffère-t-il de la situation prévalant à l’établissement d’Edmonton?

R.   Eh bien, la différence, c’est que vous avez les menottes aux poignets, qu’on vous met aux fers partout où vous allez presque. Si vous allez quelque part où vous êtes en contact avec quelqu’un, vous avez les menottes aux poignets ou vous êtes placé dans une ceinture de force, vous êtes entravé avec vos mains à votre côté, avec vos fers à vos pieds. Un gardien armé d’un fusil vous surveille d’en haut, et vous êtes escorté partout où vous allez par au moins deux gardiens, et, à aucun moment, vous n’êtes autorisé à rester avec d’autres gens, avec des détenus ou des employés. [Contre-interrogatoire d’Arthur Winters, dossier d’appel, aux pages 94 à 96.]

Après qu’il eut finalement obtenu l’autorisation de consulter un avocat, l’appelant a rédigé et déposé une réponse écrite au transfèrement envisagé comme le prévoient les paragraphes 15 à 18 de la Directive du commissaire no 540 : « Transfèrement de détenus » :

TRANSFÈREMENTS NON SOLLICITÉS

15. Le détenu concerné doit être avisé, par écrit, du transfèrement non sollicité envisagé et des motifs de cette mesure. Le détenu doit également recevoir le plus de détails possible pour qu’il sache ce qu’on lui reproche et puisse répondre en connaissance de cause.

16. Il faut informer, par écrit, le détenu qu’il peut faire connaître sa réaction, de la même manière, à cette proposition de transfèrement dans les 48 heures qui suivent la réception de l’avis.

17. La réponse du détenu au sujet d’un transfèrement non sollicité doit être examinée par le décideur. Lorsque le décideur autorise un transfèrement non sollicité, il doit indiquer, par écrit, les motifs de sa décision au détenu. Dans le cas où ce dernier a répondu par écrit au sujet de la proposition, le décideur doit indiquer, lorsqu’il donne les motifs de sa décision, qu’il a pris en considération cette réponse.

18. En cas d’urgence, un transfèrement peut avoir lieu sans que le détenu en soit prévenu. On doit alors lui en communiquer les motifs dans un délai de deux jours ouvrables après son placement dans l’établissement d’accueil et lui accorder un délai de 48 heures après la réception de l’avis pour répondre par écrit. Le décideur doit examiner la justification du transfèrement et la réponse reçue et, si la décision sur le transfèrement non sollicité est maintenue, il doit faire connaître au détenu, par écrit, la décision et les motifs de celle-ci.

En temps utile, comme il a été indiqué, le sous-commissaire adjoint par intérim a approuvé le transfèrement :

[traduction] 7. J’ai décidé d’approuver le transfèrement après avoir examiné les avis qui constituent les pièces « A » et « B » jointes au présent affidavit, ainsi que la réponse du requérant à ces avis. [Affidavit de Jack Linklater, dossier d’appel, à la page 68.]

Les points litigieux en appel

Parmi les nombreux points soulevés par l’appelant, nous avons demandé aux intimés de répondre seulement à deux, à savoir l’omission de respecter les exigences de l’équité en matière de procédure et le déni du droit à l’assistance d’un avocat.

Équité en matière de procédure

Ainsi qu’il a été indiqué, la décision du sous-commissaire adjoint par intérim a été prise après examen seulement des deux « avis de recommandation du transfèrement non sollicité » et de la réponse écrite de l’appelant à ces avis. À l’évidence, il y a eu omission de respecter les dispositions de la directive 540 du commissaire, annexe A : « Normes relatives aux transfèrements de détenus », dont les paragraphes 3 et 4 sont ainsi rédigés :

DOCUMENTATION

3.   Chaque fois qu’un transfèrement est envisagé, excepté le cas de transfèrements ayant rapport au placement initial, le décideur doit avoir certains documents en sa possession, aux fins d’examen. La documentation en vue d’un transfèrement doit comprendre les renseignements ou documents suivants et peut en inclure d’autres :

a)   rapport récapitulatif sur l’évolution du cas;

b)   demande de transfèrement formulée par le détenu (dans le cas des transfèrements volontaires seulement);

c)   numéro SED;

d)   notes de service sur la sécurité préventive; et

e)   feuille de recommandation et de décision relatives au transfèrement;

4.   Outre les documents dont l’obtention est obligatoire pour toute décision, les renseignements indiqués ci-dessous doivent être fournis au décideur lorsqu’un transfèrement non sollicité est envisagé ou qu’un transfèrement est effectué par suite d’une situation d’urgence :

a)   avis de recommandation du transfèrement non sollicité; et

b)   réponse écrite du détenu. [C’est moi qui souligne.]

En particulier, il est tout à fait clair qu’aucun rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’a jamais été établi ni soumis au sous-commissaire adjoint par intérim :

[traduction] 8. Normalement, un rapport récapitulatif sur l’évolution du cas est établi lorsqu’un détenu est transféré. Toutefois, en l’espèce, l’examen des dossiers du Service correctionnel du Canada me permet de croire vraiment que, en raison du caractère urgent de ce transfèrement, un rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’a pas été établi. Cet examen me permet également de croire vraiment que, au moment du transfèrement, les personnes qui auraient normalement établi un rapport récapitulatif sur l’évolution du cas étaient en grève. [Affidavit de Jack Linklater, dossier d’appel, à la page 68.]

Le rapport récapitulatif sur l’évolution du cas, comme son nom le laisse entendre, vise à donner une brève image du comportement général du détenu et de l’évolution de son cas au cours de son incarcération. Il s’agit d’un document dont on peut s’attendre à ce qu’il contienne des éléments qui seront favorables au détenu. En fait, si ces éléments existent, ils devraient y être reflétés. Il est clair que, dans les faits, les dossiers de l’établissement d’Edmonton contenaient des rapports qui parlaient favorablement du rendement de l’appelant.

Dans un document intitulé « Rapport récapitulatif de l’évolution du cas » (on ne nous a pas fait savoir si ce rapport s’entendait d’un « progress summary ») et daté du 17 avril 1989, nous trouvons ce qui suit :

[traduction] RÉSUMÉ

En général, le rendement de M. Winters a été satisfaisant jusqu’au 2 février 1989. Sa participation au comité des détenus a attiré davantage sur lui l’attention du personnel de l’établissement. Ainsi qu’il a été dit dans tous les rapports sur l’évolution du cas de l’année passée ou des deux dernières années, M. Winters exprimera ses préoccupations, mais il n’y a pas eu confrontation physique entre lui et le personnel. En général, M. Winters est un médiateur efficace de l’unité et au comité. Il est prévu qu’il continuera d’être employé au centre d’artisanat et de bricolage et au service de soutien familial dans la prochaine période du rapport. [Dossier d’appel, à la page 62.]

Dans un autre document signé par l’agent de correction Harvie et daté du 11 septembre 1989, on lit ceci :

[traduction] 1) Pendant plus de 5 mois, Art Winters a été l’un des détenus employés au centre d’artisanat et de bricolage de l’établissement d’Edmonton.

2)   Art m’a aidé énormément dans la prestation des services administratifs et opérationnels du centre d’artisanat et de bricolage. Si j’avais une question sur la procédure, lorsque j’ai commencé à travailler pour la première fois dans ce centre, Art avait la réponse définitive.

3)   Au fur et à mesure qu’ Art est devenu plus habile, il a partagé volontiers ses connaissances avec les autres. Art était un employé très sérieux et consciencieux.

4)   Je serais toujours heureux qu’Art travaille pour moi. Il a de l’initiative et peut voir tous les aspects d’une situation. Dans son travail, il a besoin de peu de supervision. [Dossier d’appel, à la page 64.]

On peut noter que ce dernier document a été établi ultérieurement à tous les incidents allégués mentionnés dans l’« avis de recommandation du transfèrement non sollicité », à l’exception des événements allégués du 5 novembre 1989.

Étant donné la teneur de la Directive du commissaire no 540, précédemment citée, les intimés ne peuvent guère prétendre que le rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’aurait pas été pertinent à la décision prise par le sous-commissaire adjoint par intérim. En fait, bien qu’il soit constant que la Directive du commissaire n’a pas force de loi, elle décrit le rapport récapitulatif sur l’évolution du cas comme étant un document dont l’obtention est obligatoire pour le processus décisionnel.

À mon avis, il existe des cas où l’équité en matière de procédure exige d’une autorité administrative qu’elle communique et mette à la disposition de l’intéressé tous les documents qui peuvent se trouver en sa possession et qui, vraisemblablement, seraient susceptibles d’avoir une influence favorable ou défavorable sur la décision qu’elle se propose de prendre à l’égard de cette personne. Cette obligation atteint son point culminant dans le processus pénal, la Cour suprême ayant récemment confirmé en termes non équivoques l’obligation de la poursuite de communiquer à l’accusé tous les documents se trouvant en sa possession, que la Couronne ait l’intention d’utiliser ces documents ou non[1].

Certes, je ne désire pas qu’on pense que je suis d’avis d’introduire sans distinction les règles régissant les poursuites dans les procédures relatives au transfèrement de détenus d’un pénitencier; mais j’estime que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la présence obligatoire d’un rapport récapitulatif sur l’évolution du cas entre les mains du décideur était un élément essentiel de l’équité en matière de procédure.

On se rappellera que, selon la procédure exposée dans la Directive du commissaire no 540, l’appelant était tenu de répondre à l’« Avis de recommandation du transfèrement non sollicité » dans un délai de 48 heures. On se rappellera également que l’appelant avait, dans ce même délai de 48 heures, été transféré d’urgence, d’Edmonton, où se trouveraient vraisemblablement en sa possession ou faciles d’accès des documents et des éléments susceptibles de lui être favorables, à Prince Albert où un tel accès serait presque impossible et où il était détenu dans des conditions d’extrême sévérité frisant l’isolation. Les documents favorables à la cause de l’appelant étaient sous le contrôle exclusif des autorités pénitentiaires, et le fait pour celles—ci non seulement de ne pas les communiquer à l’appelant, mais en outre de refuser de les examiner, déroge tout simplement aux exigences de la justice fondamentale.

Le sous-commissaire adjoint par intérim a pris sa décision en se fondant sur les renseignements relatifs à l’incident du 5 novembre 1989 dont nous savons maintenant qu’ils sont faux. Il l’a également prise en tenant compte des allégations relatives à des incidents antérieurs, sans prendre en considération les documents plus à jour qui étaient très favorables à l’appelant et qui étaient sous le contrôle exclusif des autorités carcérales. Ces documents, ou un résumé de ceux-ci, devaient être examinés, et, que des employés soient en grève ou non, il était clairement possible de les fournir. Dans ces circonstances, la décision ne saurait être confirmée.

Le droit à l’assistance d’un avocat

Il est clair que l’appelant s’est vu refuser le droit de consulter un avocat. On ne peut mettre en doute l’existence de ce droit. Sa violation la plus importante a eu lieu alors que l’appelant se trouvait encore à Edmonton et lorsqu’on l’a informé pour la première fois de l’intention de le transférer à un établissement à sécurité maximale élevée. J’ai auparavant cité un extrait de l’affidavit de l’appelant à cet égard. Les circonstances du déni du droit à l’assistance d’un avocat sont plus pleinement exposées au contre-interrogatoire de l’appelant :

[TRADUCTION] R. On m’a fait venir la, a l’aire d’A et d’É de l’établissement, où on m’a emmené devant Ed Fisher.

Q.  Qu’est-ce que c’est que l’unité A et É?

R.   Les lettres A et É désignent l’admission et l’élargissement.

Q.  Qui est Ed Fisher?

R    Ed Fisher était un AS-5, et, à l’époque, autant que je sache, il dirigeait l’établissement.

Q.  Qu’est-ce qui lui est arrivé là?

R.   Il m’a donné cette feuille de papier qui se trouve tout juste là.

Q.  Qui est la pièce A jointe à votre affidavit?

R.   Oui.

Q.  Et vous a-t-il dit quelque chose lorsqu’il vous a donné ce morceau de papier?

R.   Il me l’a lu et il m’a informé que j’avais été transféré au pénitencier de Prince Albert, et que c’était urgent, et que c’est à peu près tout.

Q.  Vous a-t-il donné des motifs à ce moment-là?

R.   Les motifs du transfèrement?

Q.  oui.

R.   Non, il ne l’a pas fait. Tout ce qu’il a dit s’y trouve.

Q.  Il vous a essentiellement lu la pièce A?

R.   Il a lue.

Q.  Que s’est-il passé après lecture de cette pièce?

R.   Dès qu’il me l’a lue, j’ai demandé à consulter un avocat.

Q.  Quelle a été sa réponse?

R.   Non.

Q   A-t-il donné un motif?

R.   Non, il s’est contenté de dire non.

Q.  Et avez-vous été, en fait, transféré au pénitencier de Prince Albert ce jour?

R.   Oui, en moins de deux heures, je suis parti. [Contre-interrogatoire d’Arthur Winters, dossier d’appel, aux pages 88 et 89.]

Dans un affidavit donné par le directeur, les intimés tentent dans une certaine mesure de justifier le déni du droit à l’assistance d’un avocat, invoquant le caractère urgent du transfèrement:

[Traduction] 7. Normalement, un rapport récapitulatif sur l’évolution du cas est établi pour étayer une recommandation du transfèrement non sollicité. Toutefois, étant donné le caractère urgent de ce transfèrement, aucun rapport récapitulatif sur l’évolution du cas n’a été établi. Pour la même raison, on n’a pas eu le temps de lui accorder la possibilité de consulter un avocat. [Affidavit de Michael Gallagher, dossier d’appel, à la page 78.]

Toutefois, dans son contre-interrogatoire, le directeur a précisé qu’il n’aurait nullement été impossible ni irréalisable de donner à l’appelant la possibilité de consulter son avocat, du moins par téléphone :

[TRADUCTION] Q. Monsieur, avant leur transfèrement à l’unité à sécurité maximale élevée, on a emmené les requérants a l’aire d’admission et d’élargissement de l’établissement d’Edmonton; est-ce exact?

R.   C’est exact.

Q.  Et à quel moment environ cela  s’est-il passé?

R.   Je ne peux le dire avec certitude, mais je crois c’ était aux environs de 14 h.

Q.  Y a-t-il un téléphone à l’aire d’admission et  d’élargissement?

R.   Oui.

Q.  Monsieur, est-ce vrai que les requérants  sont  demeurés à l’établissement d’Edmonton du soir du 5 novembre au jour suivant, le 6 novembre, à 14 h environ?

R.   Oui.

Q.  Monsieur, est-il exact que les requérants ont chacun dormi dans leur cellule la nuit du 5 novembre à la suite de l’incident allégué?

R.   Je crois que c’est le cas.

Q.  Est-il exact qu’aucun des requérants n’a été déplacé à l’unité d’isolement à la suite de l’incident allégué.

R.   Oui. [Contre-interrogatoire de Michael Gallagher, dossier d’appel, annexe 1, à la page 61.]

On se rappellera que, selon le témoignage de l’appelant ci-dessus, jusqu’à deux heures se sont écoulées du moment où il a pour la première fois été emmené à l’aire d’admission et d’élargissement au moment ou ii a quitté Edmonton. Manifestement, le rejet de sa requête en consultation de son avocat ne pouvait se justifier par l’urgence de la situation.

Le droit d’une personne se trouvant dans la situation de l’appelant de consulter un avocat a un moment raisonnable se passe de démonstration et existe tout à fait indépendamment des garanties prévues par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no44]]. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, j’estime que l’article 10 de la Charte entre également en jeu. Cet article est ainsi rédigé :

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation et de détention :

a) d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.

II est maintenant établi en droit que le transfèrement à une unité à sécurité maximale élevée ou à une unité d’isolement préventif dont l’appelant a fait l’objet équivaut à une nouvelle et distincte détention en sus de la détention qu’il a déjà connue en raison de la peine à perpétuité qu’il purgeait. Dans l’arrêt La Reine c. Miller[2], le juge Le Dain a, au nom de la Cour, exposé la question en ces termes :

L’incarcération dans une unité spéciale de détention, ou en ségrégation administrative comme c’était le cas dans l’affaire Cardinal, constitue une forme de détention qui est tout à fait distincte de celle imposée à la population carcérale générale. Elle entraîne une diminution  importante de la liberté résiduelle du détenu. II s’agit en fait d’une nouvelle détention qui est censée avoir son propre fondement juridique. C’est cette forme précise de détention ou de privation de liberté qui est contesté par I’habeas corpus. C’est la  libération de cette forme de détention qu’on demande. Voilà pourquoi je ne vois aucune raison valable fondée sur la nature et le rôle de I’habeas corpus pour laquelle il ne devrait  pas servir à cette fin. Je ne dis pas qu’on devrait recourir à l’habeas corpus pour contester toutes et chacune des conditions d’incarcération dans un pénitencier ou une prison, y compris la perte d’un  privilège dont jouit la population carcérale générale. Mais, selon moi, il y a lieu d’y recourir pour contester la  validité d’une forme distincte de détention dans laquelle la contrainte physique réelle ou la privation de liberté, par opposition à la simple perte de certains privilèges, est plus restrictive ou sevrée que cela est normalement le cas dans un établissement carcéral.

Bien qu’il soit vrai que l’affaire Miller portait sur la définition de la détention aux fins de déterminer la possibilité de recourir au bref d’habeas corpus garanti par l’alinéa c) de l’article 10, je ne vois aucune raison valable pour accepter une définition différente aux fins de déterminer les limites du droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’alinéa b). Cela étant, et bien indépendamment de la demande faite par l’appelant de consulter son avocat, il me semble que les autorités étaient indéniablement tenues tant d’informer l’appelant de son droit à l’assistance d’un avocat que de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer ce droit dès qu’elles avaient décidé de le placer en isolement préventif et de le transférer à un établissement à sécurité maximale élevée. Les faits sont très parallèles à ceux de l’affaire R. c. Manninen[3], qui y sont commentés:

À mon avis, l’al. 10b) impose au moins deux obligations aux policiers, en plus de celle d’informer le détenu de ses droits. D’abord, le policier doit donner au détenu une possibilité raisonnable d’exercer son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Le détenu est sous le contrôle de la police et il ne peut exercer son droit de recourir à un avocat que si elle lui donne une possibilité raisonnable de le faire. Cet aspect du droit à l’assistance d’un avocat a été reconnu en droit canadien bien avant l’avènement de la Charte. Dans l’arrêt Brownridge c. La Reine, [1972] R.C.S. 926, fondé sur la Déclaration canadienne des droits, le juge Laskin, alors juge puîné, écrit à la p. 953 :

Le droit de retenir et constituer un avocat sans délai ne peut servir à une personne arrêtée ou détenue que si l’on considère qu’il entraîne de la part des autorités policières l’obligation corrélative de faciliter le recours à l’avocat. Cela veut dire qu’à la demande de cette personne, on doit lui permettre d’utiliser le téléphone à cette fin s’il en est un de disponible.

Les tribunaux d’instance inférieure ont constamment reconnu l’obligation de faciliter le recours à un avocat en vertu de l’al. 10b) de la Charte: R. v. Nelson (1982), 3 C.C.C. (3d) 147 (B.R. Mam), R. v. Anderson (1984), 10 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont), R. v. Dombrowski (1985), 18 C.C.C. (3d) 164 (C.A. Sask.), et la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce. Dans l’arrêt Dombrownski, la cour a jugé que lorsqu’un téléphone est disponible avant même l’arrivée au poste de police, rien ne justifie de retarder la possibilité d’entrer en communication avec un avocat jusqu’à l’arrivée au poste.

À mon avis, cet aspect du droit à l’assistance d’un avocat a manifestement été enfreint en l’espèce. L’intimé a clairement affirmé son droit de garder le silence et sa volonté de consulter son avocat. Il y avait, à portée de la main dans le bureau, un téléphone dont se sont servis les agents pour leurs propres fins. Il n’était pas nécessaire que l’intimé demande expressément à se servir du téléphone. L’obligation de faciliter le recours à un avocat incluait l’obligation d’offrir à l’intimé de se servir du téléphone. Il peut évidemment y avoir des circonstances où il est particulièrement urgent que la police poursuive une enquête avant qu’il lui soit possible de faciliter l’entrée en communication d’un détenu avec un avocat. Il n’y avait aucune urgence dans les circonstances ayant entouré les infractions en l’espèce.

En l’espèce, ce qui n’est pas clair, c’est la réparation qui devrait découler du déni du droit à l’assistance d’un avocat. D’une part, la violation du droit de l’appelant était flagrante et ne saurait être justifiée dans les circonstances. D’autre part, on peut soutenir que cette violation n’a eu aucune conséquence au-delà de la décision initiale du directeur, dont les effets ont cessé dès que l’appelant a en fait été emmené au pénitencier de la Saskatchewan où, en temps utile, il a obtenu le droit de consulter un avocat antérieurement à la décision définitive du sous-commissaire adjoint par intérim. Étant donné toutefois que, comme nous le savons maintenant, la décision du directeur reposait sur une interprétation erronée des faits et que, en réalité, l’appelant était innocent des infractions dont on l’a inculpé, je ne peux affirmer en toute confiance que l’intervention d’un avocat au tout début et antérieurement au départ de l’appelant d’Edmonton n’aurait pu avoir un impact favorable sur la décision du directeur. Et puisque la décision du directeur elle-même a donné lieu à celle du sous—commissaire adjoint par intérim, le déni par le directeur du droit à l’assistance d’un avocat peut avoir eu de graves conséquences dans les faits.

S’il le fallait, je n’hésiterais pas, m’autorisant des décisions Mills c. La Reine[4] et R. c. Gamble[5], à exercer le pouvoir discrétionnaire général conféré par le paragraphe 24(1) pour infirmer la décision du directeur. Toutefois, ayant conclu, compte tenu des faits de l’espèce, que la décision du sous—commissaire adjoint par intérim doit, en tout état de cause, être infirmée pour d’autres motifs, je déclarerais simplement que la décision du directeur avait été prise en violation des droits que l’appelant tient de la Charte.

Conclusion

Par ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens devant cette instance et devant l’instance inférieure. J’infirmerais la décision de la Section de première instance, et je déclarerais que la décision du directeur de l’établissement d’Edmonton de placer l’appelant en isolement préventif et de le transférer à l’unité à sécurité maximale élevée a été prise en violation des droits que l’appelant tient de la Charte. J’ordonnerais que la décision du sous—commissaire adjoint par intérim d’approuver et de confirmer le transfèrement de l’appelant de l’établissement d’Edmonton à l’Unité à sécurité maximale élevée soit annulée, et qu’une copie du jugement rendu en l’espèce soit verse au dossier de l’appelant conservé au Service correctionnel du Canada.

Le juge en chef Isaac : Je souscris à ces motifs.

Le juge Pratte, J.C.A. : Je Souscris à ces motifs.



[1] R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326.

[2] [1985] 2 R.C.S. 613 à la p. 641.

[3] [1987] l R.C.S. 1233, aux p. 1241 et 1242, le juge Lamer.

[4] [1986] l R.C.S. 863. Voir en particulier les motifs du juge McIntyre, à la p. 965, et ceux du juge Lamer [tel était alors son titre] aux p. 882 et 883.

[5] [1988] 2 R.C.S. 595, particulièrement les motifs du juge Wilson, à la p. 647.

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