[1993] 3 C.F. 756
T-2760-92
Victor Pierre (demandeur)
c.
Le conseil tribal de Roseau River (défendeur)
et
La Banque de Nouvelle-Écosse (tiers saisi)
Répertorié : Pierre c. Conseil tribal de Roseau River (1re inst.)
Section de première instance, juge Rothstein—Winnipeg, 26 mai; Ottawa, 15 juin 1993.
Relations du travail — Le demandeur a été congédié de son emploi dans une réserve indienne — L’arbitre a conclu au congédiement injuste et ordonné sa réintégration — Ordonnance enregistrée en Cour fédérale — Le demandeur n’a jamais repris le travail — L’administrateur-séquestre, nommé pour s’occuper des affaires financières du défendeur, a licencié le demandeur — Rejet de la requête en annulation de l’ordonnance de saisie-arrêt — Une ordonnance de réintégration ne garantit pas un emploi indéfini pour l’employé, mais la question de l’obligation de l’employeur après réintégration ne se pose pas en l’espèce parce qu’il n’y a jamais eu réintégration — La réintégration ne peut être déduite de la lettre de licenciement ou de la plainte du demandeur auprès du CCRT — Le droit d’être réintégré ne saurait être tourné au moyen d’une réintégration fictive — Bien que le Code canadien du travail l’emporte sur la common law en ce qui concerne l’inapplicabilité de la règle de l’exécution intégrale aux contrats de travail, il n’y a lieu à ordonnance de réintégration que si les circonstances le justifient — L’ordonnance enregistrée de l’arbitre demeure valide à titre de jugement sur lequel se fonde l’ordonnance de saisie-arrêt.
Pratique — Outrage au tribunal — Le demandeur a été congédié de son emploi dans une réserve indienne — L’arbitre a conclu au congédiement injuste et ordonné sa réintégration — Ordonnance déposée en Cour fédérale — Un administrateur-séquestre a été nommé pour s’occuper des affaires financières du défendeur — Le demandeur n’a jamais repris le travail — Ordonnance de justification — Rejet de la fin de non-recevoir opposée au recours en outrage au tribunal pour cause de non-signification au chef et aux conseillers — Le fait que leur avocat était au courant de l’ordonnance arbitrale permet de conclure que le chef et les conseillers étaient au courant — Le défendeur n’est pas coupable d’outrage au tribunal — Les éléments constitutifs de l’outrage au tribunal doivent être prouvés sans l’ombre d’un doute raisonnable — Nécessité de prouver que le défendeur avait le pouvoir de se conformer à l’ordonnance — On ne sait pas s’il avait ce pouvoir après la nomination de l’administrateur-séquestre.
Il y a en l’espèce recours en outrage au tribunal et requête en annulation d’une ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Le 13 février 1991, le demandeur est congédié de son poste de directeur de l’enseignement de la réserve indienne de Roseau River. Un arbitre du CCRT conclut qu’il a été injustement congédié et ordonne sa réintégration avec rappel de solde. Le 26 octobre 1992, un administrateur-séquestre est nommé pour s’occuper des affaires financières du défendeur. L’ordonnance de l’arbitre est déposée au greffe de la Cour fédérale le 9 novembre. Le demandeur n’a jamais repris le travail, mais était prêt à le faire au 17 août 1992. Le 14 décembre 1992, l’administrateur-séquestre lui écrit pour mettre fin à son emploi à compter du 11 décembre 1992. Le demandeur porte plainte de nouveau auprès de Travail Canada, introduit son recours en outrage au tribunal, et une ordonnance provisoire de saisie-arrêt est rendue sur la base de l’ordonnance arbitrale déposée auprès de la Cour fédérale. Le 8 janvier 1993, la Cour annule l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt et ordonne le versement des sommes calculées conformément à l’ordonnance arbitrale. Le 18 mars, signification en bonne et due forme de l’ordonnance arbitrale au chef et aux conseillers du défendeur. Le 31 mars, règlement intégral des sommes prévues à l’ordonnance du 8 janvier. Le 16 avril, seconde ordonnance provisoire de saisie-arrêt rendue sur plainte de non-paiement de la somme ordonnée par l’arbitre pour la période allant du 22 décembre 1992 au 27 avril 1993.
Le demandeur soutient que le refus de la part du défendeur de le réintégrer conformément à l’ordonnance de l’arbitre, qui a été déposée auprès de la Cour, équivaut à outrage au tribunal. Le défendeur oppose une fin de non-recevoir au recours en outrage au tribunal par ce motif que l’ordonnance arbitrale n’a été signifiée à personne au chef et aux conseillers que le 18 mars, et qu’il ne saurait y avoir outrage sans qu’il y ait eu signification à personne. Il soutient aussi qu’à la suite de la désignation de l’administrateur-séquestre, il n’avait plus le pouvoir de réintégrer le demandeur. À l’appui de la requête en annulation de l’ordonnance de saisie-arrêt, l’administrateur-séquestre soutient que l’ordonnance arbitrale a été exécutée par la réintégration de l’employeur, qu’une ordonnance de réintégrer ne saurait contraindre l’employeur à garder un employé indéfiniment à son service, et qu’un employeur a toujours le droit de congédier soit pour motif justifié soit sans motif mais avec indemnité tenant lieu de préavis.
Jugement : les demandes en l’espèce doivent être rejetées.
La fin de non-recevoir opposée au recours en outrage au tribunal est rejetée. Bien que la common law ait toujours exigé la signification à personne ou la connaissance personnelle de l’ordonnance du tribunal comme condition préalable à la responsabilité pour outrage au tribunal, le fait que le procureur en ait été informé permet d’inférer que le client en a eu connaissance. L’avocat du défendeur avait reçu copie de toutes les décisions et ordonnances pertinentes. Son client en recevait copie et était tenu au courant tout au long. On peut donc en conclure que le chef et les conseillers du défendeur avaient personnellement connaissance de l’ordonnance arbitrale. Le défendeur n’est pas coupable d’outrage au tribunal. L’action en outrage était intentée contre le conseil tribal, et non contre l’administrateur-séquestre. L’outrage au tribunal doit tenir au défaut du défendeur de réintégrer le demandeur après que l’ordonnance arbitrale eut été déposée (le 9 novembre). Les éléments constitutifs de l’outrage au tribunal doivent être prouvés sans l’ombre d’un doute raisonnable, ce qui s’entend notamment de la preuve que le défendeur avait le pouvoir de se conformer à l’ordonnance (c’est-à-dire qu’il pouvait réintégrer le demandeur avec le même traitement annuel de 40 202 $). Une fois l’administrateur-séquestre nommé, il y avait deux possibilités aussi logiques l’une que l’autre : ou bien le défendeur avait ce pouvoir ou bien il ne l’avait pas. Selon la jurisprudence citée, on ne saurait décider dans ce cas que l’outrage est prouvé sans l’ombre d’un doute raisonnable. Il n’a pas été prouvé sans l’ombre d’un doute raisonnable que le défendeur avait toujours le contrôle de ses affaires financières au point d’être en mesure de réintégrer le demandeur et de l’indemniser après que l’administrateur-séquestre eut été nommé. Le conseil n’avait pas volontairement abandonné le contrôle de ses affaires pour se soustraire à l’ordonnance judiciaire. L’administrateur-séquestre a été nommé par suite d’un manquement à un accord conclu avec Affaires indiennes et du Nord Canada.
Il n’y a pas lieu à annulation de la seconde ordonnance de saisie-arrêt (16 avril 1993). Une ordonnance de réintégration ne garantit pas un emploi indéfini pour l’employé, mais la question de l’obligation de l’employeur après réintégration ne se pose pas en l’espèce parce qu’il n’y a jamais eu réintégration. À la suite de l’ordonnance de l’arbitre, le demandeur n’a jamais vraiment repris le travail, bien qu’il ne demandât qu’à le faire. Si tant est qu’il y ait eu quelque preuve de réintégration, il s’agit de la réintégration « implicite » qui se dégage du licenciement du demandeur par l’administrateur-séquestre et du fait qu’il s’est plaint subséquemment auprès de Travail Canada. On ne saurait déduire de la lettre de licenciement ou de la plainte qu’il y a eu réintégration, autrement n’importe quel employeur pourrait se soustraire à une ordonnance arbitrale de réintégration en congédiant l’employé immédiatement après la délivrance de cette ordonnance. Le législateur a certainement entendu faire du droit d’être réintégré un droit effectif, et non un droit qu’il serait possible de tourner par la réintégration fictive, effectuée par l’employeur dans le seul but d’observer formellement l’ordonnance arbitrale puis d’y faire échec par un nouveau congédiement. Par la plainte déposée auprès de Travail Canada, le demandeur n’a fait qu’exprimer ce que signifiait à son sens la lettre de l’administrateur-séquestre, il n’a pas souscrit ou acquiescé à quelque réintégration implicite qu’aurait effectuée l’employeur à seule fin de le congédier par la suite. En common law, la règle de l’exécution intégrale ne s’appliquait pas aux contrats de travail, mais le Code canadien du travail l’emporte sur la common law. Il ressort des difficultés illustrées par l’affaire en instance qu’il n’y a lieu de rendre une ordonnance de réintégration que si les circonstances le justifient. L’arbitre a pris en considération les facteurs pertinents pour décider s’il fallait ordonner la réintégration, et a conclu qu’il y avait lieu à réintégration. La Cour ne fait pas fonction de juridiction d’appel vis-à-vis de l’ordonnance de l’arbitre et doit donc accepter le fait qu’une ordonnance valide de réintégration a été rendue puis enregistrée. Le demandeur n’a pas été réintégré et l’ordonnance de l’arbitre, qui a été enregistrée, demeure en vigueur à titre de jugement sur lequel se fonde l’ordonnance de saisie-arrêt du 16 avril. Elle ne sera pas annulée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 240 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15), 242 (mod. idem, art. 16), 243, 244.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 355.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217; (1990), 71 D.L.R. (4th) 84; 44 Admin. L.R. 1; 43 C.P.C. (2d) 213; 12 Imm. L.R. (2d) 81; 111 N.R. 185; In re Bramblevale Limited, [1970] Ch. 128 (C.A.); Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065; (1992), 96 D.L.R. (4th) 376; 76 C.C.C. (3d) 289; 141 N.R. 281; Beloit Can. Ltée/Ltd. c. Valmet Oy (1988), 18 C.I.P.R. 1; 20 C.P.R. (3d) 1; 15 F.T.R. 240; 82 N.R. 235 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC :
Corneau v. Canadian Pacific Express and Transport Ltd., Roach, décision en date du 9-2-82, C.C.R.T., non publiée.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Re Pierre et Conseil tribal de Roseau River, ordonnance no 092/282/080, arbitre Schulman, ordonnance en date du 31-7-92, C.C.R.T., 28 C.L.A.S. 36, encore inédit; United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901; (1991), 71 C.C.C. (3d) 225; 135 N.R. 321; Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431; (1986), 13 C.C.E.L. 264; 68 N.R. 355 (C.A.).
DOCTRINE
Grosman, M. Norman. Federal Employment Law in Canada. Toronto : Carswell, 1990.
Sopinka, John, et al. The Law of Evidence in Canada. Toronto : Butterworths, 1992.
DEMANDES en outrage au tribunal et en annulation d’une ordonnance provisoire de saisie-arrêt. Demandes rejetées.
AVOCATS :
Harvey I. Pollock et Robert B. Doyle pour le demandeur.
Douglas N. Abra pour le défendeur administrateur-séquestre.
Jeffrey F. Harris pour le défendeur.
Richard S. Literovich pour le tiers saisi.
PROCUREURS :
Pollock & Company, Winnipeg, pour le demandeur.
Hill & Abra, Winnipeg, pour le défendeur administrateur-séquestre.
Keyser, Harris, Winnipeg, pour le défendeur.
Buchwald Asper Gallagher Henteleff, Winnipeg, pour le tiers saisi.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Rothstein : Il y a en l’espèce recours en outrage au tribunal, exercé en application de la Règle 355 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663. Par accord des avocats en présence, ce recours a été entendu en même temps qu’une requête en annulation d’une ordonnance provisoire de saisie-arrêt relative à la même cause.
LE RECOURS EN OUTRAGE AU TRIBUNAL
La Règle 355 porte :
Règle 355. (1) Est coupable d’outrage au tribunal quiconque désobéit à un bref ou une ordonnance de la Cour ou d’un de ses juges, ou agit de façon à gêner la bonne administration de la justice, ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour. En particulier, un officier de la justice qui ne fait pas son devoir, et un shérif ou huissier qui n’exécute pas immédiatement un bref ou qui ne dresse pas le procès-verbal d’exécution y afférent ou qui, enfreint une règle dont la violation le rend passible d’une peine, est coupable d’outrage au tribunal.
(2) Sauf disposition contraire, quiconque est coupable d’outrage au tribunal est passible d’une amende qui, dans le cas d’un particulier ne doit pas dépasser $ 5,000 ou d’un emprisonnement d’un an au plus. L’emprisonnement et, dans le cas d’une corporation, une amende, pour refus d’obéissance à un bref ou une ordonnance, peuvent être renouvelés jusqu’à ce que la personne condamnée obéisse.
(3) Quiconque se rend coupable d’outrage au tribunal en présence du juge dans l’exercice de ses fonctions peut être condamné sur-le-champ, pourvu qu’on lui ait demandé de justifier son comportement.
(4) Une personne ne peut être condamnée pour outrage au tribunal commis hors de la présence du juge que s’il lui a été signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de comparaître devant la Cour, au jour et à l’heure fixés pour entendre la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite. Cette ordonnance, rendue par le juge soit de sa propre initiative, soit sur demande, doit obligatoirement être signifiée à personne, à moins qu’un autre mode de signification ne soit autorisé pour des raisons valables. La demande d’ordonnance de justification enjoignant d’exposer les raisons peut être présentée sans qu’il soit nécessaire de la faire signifier.
(5) La procédure prévue à l’alinéa (4) n’exclut pas une demande d’incarcération en vertu du chapitre I de la Partie VII. L’une ou l’autre de ces deux méthodes de procédure peut être appliquée, mais le fait de s’être engagé dans l’une de ces deux voies supprime la possibilité de s’engager dans l’autre. Les autres dispositions de la présente Règle n’excluent pas les pouvoirs inhérents à la Cour; et la présente règle ainsi que les pouvoirs inhérents à la Cour peuvent être invoqués en toute circonstance appropriée.
Voici le résumé des faits de la cause. Le demandeur avait été directeur de l’enseignement de la réserve indienne de Roseau River depuis un certain nombre d’années quand il fut congédié le 13 février 1991. Il s’est fondé sur le paragraphe 240(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15], pour porter plainte auprès de Travail Canada et, conformément au paragraphe 242(1) du même Code, un arbitre a été désigné pour prononcer sur le congédiement. Par décision en date du 31 juillet 1992, l’arbitre ordonne au défendeur de réintégrer le demandeur dans son emploi [Re Pierre et Conseil tribal de Roseau River (1992), 28 C.L.A.S. 36 (C.C.R.T.)]. Une ordonnance modifiée est rendue le 23 octobre 1992, qui ne touche pas au dispositif portant réintégration mais prévoit que celle-ci prend effet à compter du 17 août 1992, et non du 1er août 1992. Le 26 octobre 1992, Colin Moncrieff, comptable agréé, est nommé administrateur-séquestre des affaires financières du défendeur. L’ordonnance de l’arbitre est déposée auprès de la Cour fédérale du Canada le 9 novembre 1992. Le demandeur n’a jamais repris son travail. Cependant, le 14 décembre 1992, l’administrateur-séquestre lui écrit pour mettre fin à son emploi à compter du 11 décembre 1992 et l’informer qu’il communiquerait avec lui ou avec son avocat au sujet de l’indemnité de départ et d’autres questions connexes. Par la suite les deux parties ont engagé des pourparlers mais, à cette date, ne sont parvenues à aucun règlement définitif.
Voici le chronologie détaillée de l’affaire :
1. Le 13 février 1991 : Victor Pierre, le demandeur, est renvoyé de son poste de directeur de l’enseignement par son employeur, le Conseil tribal de Roseau River, défendeur en l’espèce.
2. Vers la fin de 1991 ou le début de 1992, le demandeur porte plainte pour congédiement injuste, en se fondant sur la section XIV du Code canadien du travail.
3. Du 25 mars au 10 juin 1992 : la plainte est instruite par l’arbitre P. W. Schulman, c.r. (actuellement juge à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba) à Winnipeg.
4. Le 31 juillet 1992 : l’arbitre Schulman rend sa décision, par laquelle il conclut que le demandeur a été injustement congédié, ordonne qu’il soit réintégré dans son emploi au traitement annuel de 40 202 $ à compter du 1er août 1992, et que l’employeur lui verse l’arriéré de solde et d’avantages sociaux, défalcation faite de toute rémunération qu’il aurait touchée entre-temps, et 1 000 $ à titre d’intérêts et de frais et dépens. L’arbitre retient compétence pour reprendre l’audience s’il est nécessaire de prononcer sur le montant de l’une quelconque des réparations accordées.
5. Le 18 août 1992 : l’avocat du défendeur écrit à celui du demandeur ce qui suit :
[traduction] Objet : Victor Pierre et Roseau River
Comme suite à notre entretien du 14 août 1992, je confirme par les présentes que j’ai pour instructions de ne pas souscrire à votre projet d’ordonnance et d’introduire un recours en contrôle judiciaire contre l’ordonnance de M. Schulman. Je vous informe en outre qu’il n’est pas nécessaire que M. Victor Pierre se présente au travail le 17 août 1992. Nous avons convenu que cette date serait le jour de son retour au travail, mais mon client ne tient pas à ce qu’il se présente ce jour-là ou à quelque autre date que ce soit. Par contre, nous sommes disposés à admettre qu’il était prêt à retourner au travail le 17 août 1992; en conséquence, toute responsabilité que mon client aurait à assumer faute de le réintégrer dans son emploi courrait de cette date.
Je suis à votre disposition pour tout éclaircissement que vous jugeriez nécessaire.
6. Le 27 août 1992 : avis de requête introductif d’instance, en contrôle judiciaire et en infirmation de l’ordonnance arbitrale du 31 juillet 1992. La requête n’a pas eu de suite.
7. Le 15 octobre 1992 : décision complémentaire rendue par l’arbitre.
8. Le 23 octobre 1992 : ordonnance modifiée rendue par l’arbitre comme suit :
[traduction] 1. IL EST DÉCLARÉ PAR LES PRÉSENTES que l’intimé a injustement congédié le plaignant le 13 février 1991;
2. IL EST ORDONNÉ que l’intimé réintègre le plaignant dans ses fonctions de directeur de l’enseignement du Conseil tribal de Roseau River à compter du 17 août 1992, avec le même traitement annuel de 40 202,00 $;
3. IL EST ORDONNÉ EN OUTRE que l’intimé verse au plaignant la somme de 50 709,34 $ avec intérêts courus au 16 septembre 1992;
4. IL EST ORDONNÉ EN OUTRE que l’intimé verse au plaignant la somme de 154,62 $ par jour ouvrable à compter du 18e jour d’août 1992, jusqu’à ce que celui-ci soit réintégré dans son emploi chez l’intimé, défalcation faite de toute rémunération qu’il aurait touchée entre-temps;
5. IL EST ORDONNÉ EN OUTRE que l’intimé verse au plaignant la somme de 22 835,08 $ à titre de dépens, y compris frais, débours et T.P.S.
9. Le 26 octobre 1992 : Colin Moncrieff, comptable agréée, est nommé administrateur-séquestre du défendeur.
10. Le 4 novembre 1992 : lettre de l’avocat du demandeur à celui du défendeur, avec copie jointe de l’ordonnance du 23 octobre 1992 de l’arbitre.
11. Le 9 novembre 1992 : l’ordonnance du 23 octobre 1992 de l’arbitre est déposée au greffe de la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 244(1) du Code canadien du travail.
12. Le 19 novembre 1992 : lettre de l’avocat du demandeur à celui du défendeur, avec copie jointe de l’ordonnance de l’arbitre telle qu’elle a été déposée auprès de la Cour fédérale du Canada.
13. Le 14 décembre 1992 : lettre de Colin Moncrieff au demandeur, comme suit :
[traduction] Comme vous devez le savoir, la Première nation Anishinabe de Roseau River a été mise sous séquestre par Affaires indiennes et du Nord Canada. Après examen des besoins en personnel de la Première nation, dont ceux de son école, nous avons conclu que la personne actuellement employée comme directeur de l’enseignement du Conseil tribal de Roseau River donne entière satisfaction dans l’exercice de ses fonctions.
En conséquence, en notre qualité d’administrateur-séquestre de la Première nation Anishinabe de Roseau River, nous mettons fin par les présentes à vos fonctions de directeur de l’enseignement du Conseil tribal de Roseau River, et ce à compter du 11 décembre 1992.
Nous nous mettrons en rapport avec vous-même ou avec votre avocat au sujet de l’indemnité de départ et d’autres questions connexes.
14. Le 18 décembre 1992 : Colin Moncrieff et son avocat, Me Dave Hill, rencontrent le demandeur et son avocat, Me Harvey Pollock, c.r., pour discuter du renvoi du demandeur de son poste de directeur de l’enseignement. M. Moncrieff informe le demandeur et Me Pollock qu’il est disposé à verser au premier une somme raisonnable à titre d’indemnité de départ, somme qu’il spécifie au cours de l’entretien.
15. Le 21 décembre 1992 : le demandeur porte plainte auprès de Travail Canada contre Colin Moncrieff qui a déclaré mettre fin à son emploi à compter du 11 décembre 1992.
16. Le 21 décembre 1992 : le demandeur introduit son recours en outrage au tribunal.
17. Le 24 décembre 1992 : ordonnance provisoire de saisie-arrêt rendue sur la base de l’ordonnance arbitrale déposée auprès de la Cour fédérale du Canada.
18. Le 8 janvier 1993 : ordonnance du juge Cullen qui annule l’ordonnance provisoire de saisie-arrêt et ordonne le versement des sommes calculées conformément à l’ordonnance arbitrale et selon les modalités acceptables par le demandeur.
19. Le 26 janvier 1993 : ordonnance de justification rendue dans l’action en outrage au tribunal.
20. Janvier et février 1993 : correspondance et communications entre Colin Moncrieff et Travail Canada, d’ou il ressort qu’il y a eu des pourparlers en vue d’un règlement.
21. Le 18 mars 1993 : présentation de l’ordonnance de justification. L’instance est ajournée pour que le défendeur puisse constituer avocat.
22. Le 18 mars 1993 : signification en bonne et due forme de l’ordonnance arbitrale du 23 octobre 1992 à Lawrence Henry, John T. James, Martha Larocque et Charles Nelson, respectivement chef et conseillers du défendeur.
23. Le 31 mars 1993 : règlement intégral des sommes prévues à l’ordonnance du 8 janvier 1993 du juge Cullen.
24. Le 16 avril 1993 : seconde ordonnance provisoire de saisie-arrêt, rendue sur plainte de non-paiement de la somme ordonnée par l’arbitre pour la période allant du 22 décembre 1992 au 27 avril 1993.
25. Le 27 avril 1993 : date prévue pour l’audition du recours en outrage au tribunal. Audition ajournée pour permettre au défendeur de constituer avocat.
26. Le 26 mai 1993 : audition du recours en outrage au tribunal et de la requête en annulation de l’ordonnance provisoire de saisi-arrêt en date du 16 avril 1993.
Les dispositions applicables de la section XIV du Code canadien du travail sont les suivantes :
240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d’un inspecteur si :
a) d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;
b) d’autre part, elle ne fait pas partie d’un groupe d’employés régis par une convention collective.
…
242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d’arbitre la personne qu’il juge qualifiée pour entendre et trancher l’affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l’éventuelle déclaration de l’employeur sur les motifs du congédiement.
(2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :
a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;
b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;
c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).
(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l’arbitre :
a) décide si le congédiement était injuste;
b) transmet une copie de sa décision, motifs à l’appui, à chaque partie ainsi qu’au ministre.
(3.1) L’arbitre ne peut procéder à l’instruction de la plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :
a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d’un poste;
b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours. [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 16.]
(4) S’il décide que le congédiement était injuste, l’arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur :
a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait gagné s’il n’avait pas été congédié;
b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;
c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.
243. (1) Les ordonnances de l’arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.
(2) Il n’est admis aucune recours ou décision judiciaire — notamment par voie d’injonction, de certiorari , de prohibition ou de quo warranto—visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l’action d’un arbitre exercée dans le cadre de l’article 242.
244. (1) La personne intéressée par l’ordonnance d’un arbitre visée au paragraphe 242(4), ou le ministre, sur demande de celle-ci, peut, après l’expiration d’un délai de quatorze jours suivant la date de l’ordonnance ou la date d’exécution qui y est fixée, si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie du dispositif de l’ordonnance.
(2) Dès le dépôt de l’ordonnance de l’arbitre, la Cour fédérale procède à l’enregistrement de celle-ci; l’enregistrement confère à l’ordonnance valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures découlant de l’ordonnance peuvent être engagées.
Le demandeur soutient que conformément à l’ordonnance de l’arbitre, il devait être réintégré dans son emploi et que le défendeur, ayant refusé de s’exécuter, est coupable d’outrage au regard de cette ordonnance qui a été déposée auprès de la Cour.
Le défendeur invoque divers moyens de défense :
1. L’ordonnance au regard de laquelle il serait coupable d’outrage n’a été signifiée à personne à son chef et à ses conseillers que le 18 mars 1993. Il ne saurait y avoir outrage au tribunal sans qu’il y ait eu signification à personne de l’ordonnance.
2. Par suite de la désignation de l’administrateur-séquestre, le défendeur n’a plus le pouvoir de réintégrer le demandeur et de se conformer à l’ordonnance de l’arbitre.
3. Le demandeur a été en fait réintégré, puisque l’administrateur-séquestre n’aurait pu mettre fin à ses fonctions à compter du 11 décembre 1992 s’il ne l’avait pas été.
4. Le libellé de l’ordonnance de l’arbitre sous-entend la possibilité que le demandeur ne soit pas réintégré; en conséquence, le défaut de réintégrer ne constitue pas un outrage au tribunal.
Vu ma décision relative au recours en outrage au tribunal, il me suffit d’examiner les deux premiers arguments proposés par l’avocat du défendeur dans le cadre de cette requête.
Il a été jugé que les instances engagées en application de la Règle 355 des Règles de la Cour fédérale sont dans une certaine mesure pénales ou quasi pénales, ce qui signifie que les éléments constitutifs de l’outrage au tribunal doivent être prouvés sans l’ombre d’un doute raisonnable. Dans Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 R.C.S. 217, le juge Sopinka a fait cette observation, à la page 224 :
Tout d’abord, il convient de se rappeler qu’une allégation d’outrage au tribunal a une dimension criminelle (ou du moins quasi criminelle) : voir Poje v. Attorney General for British Columbia, [1953] 1 R.C.S. 516, le juge Kellock, aux pp. 517 et 518; et In re Bramblevale Ltd., [1970] ch. 128 (C.A.), le maître des rôles, lord Denning, à la p. 137. En l’espèce, une déclaration de culpabilité aurait pu assujettir les appelants à une amende d’au plus 5 000 $ et à la possibilité d’une peine d’emprisonnement maximale d’un an : voir la Règle 355(2). Par conséquent, il est nécessaire que les éléments constitutifs de l’outrage soient démontrés contre les appelants et soient prouvés hors de tout doute raisonnable.
Dans In re Bramblevale Limited, [1970] Ch. 128 (C.A.), le juge Denning, M.R., s’est prononcé en ces termes, à la page 137 :
[traduction] Cet aveu signifie deux possibilités : ou bien il avait [les livres] à cette date en novembre 1968 et a refusé à tort de les livrer, ou bien il s’en était débarrassé auparavant et, de ce fait, n’était pas en mesure de les livrer. Ces deux hypothèses sont aussi probables l’une que l’autre. Il est impossible de dire laquelle des deux est correcte. Le tribunal saisi ne peut conclure sans l’ombre d’un doute raisonnable qu’il les avait encore en novembre 1968. Ce serait supputation et non conclusion de sa part, conjecture et non pas preuve concluante. Lorsque le tribunal se trouve en présence de deux possibilités aussi logiques l’une que l’autre, il ne peut décider que l’infraction est prouvée sans l’ombre d’un doute raisonnable. L’attitude de M. Hamilton qui disait des mensonges était très répréhensible, mais ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu’il a commis un outrage au tribunal au sujet de ces deux livres.
En ce qui concerne la norme de preuve, rien ne distingue l’outrage civil de l’outrage criminel. Cette question a été abordée par le juge Gonthier qui prononçait les motifs du jugement majoritaire dans Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065. Il conclut qu’il y avait en l’espèce outrage civil (page 1075) mais, à son avis, le facteur important à prendre en considération est l’élément de droit public de l’outrage et non la distinction entre outrage civil et outrage criminel. Il se prononce en ces termes, pages 1075 et 1076 :
Cette définition [à l’article 50 du Code de procédure civile du Québec] met bien en évidence les traits communs à tous les types d’outrage couverts par le Code de procédure civile, traits communs qui peuvent être indûment masqués par une trop forte insistance sur la distinction entre outrage civil et outrage criminel. La sanction de l’outrage au tribunal, même lorsqu’elle sert à assurer l’exécution d’une ordonnance purement privée, comporte toujours un élément de « droit public », en quelque sorte, car elle met toujours en jeu le respect du rôle et de l’autorité des tribunaux, un des fondements de l’État de droit …
Cet aspect de droit public de l’outrage au tribunal se traduit bien sûr dans les sanctions qui l’accompagnent. Tout outrage au tribunal, même s’il s’agit d’un outrage civil, peut entraîner une peine de prison d’un an …
Et à la page 1078 :
En somme, le régime spécial de l’outrage au tribunal en droit québécois procède du principe suivant : l’outrage au tribunal est strictissimi juris et de nature quasi pénale, étant donné les conséquences possibles. À mon avis, il serait à tout le moins incohérent que l’intimé cité pour outrage soit contraignable à témoigner. Ce serait contraire à un principe fondamental du droit pénal du Québec, expressément reconnu à l’art. 33.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12. Cela aurait pour effet de faciliter singulièrement la preuve au-delà du doute raisonnable, dont le requérant doit par ailleurs scrupuleusement s’acquitter. Je conclus donc que l’intimé ne doit pas être tenu pour contraignable, dans le cadre exceptionnel de l’outrage au tribunal au sein du Code de procédure civile.
Cette solution correspond d’ailleurs à celle qui a été retenue en common law, d’où le droit québécois de l’outrage au tribunal tire sa source …
Je conclus des faits de la cause que ce qui est reproché au défendeur, c’est l’outrage civil, mais il n’est pas nécessaire que je qualifie l’outrage reproché pour prononcer en l’espèce. La preuve sans l’ombre d’un doute raisonnable est la norme de preuve que je dois appliquer pour examiner si les éléments constitutifs de l’outrage reproché ont été prouvés.
L’avocat représentant le défendeur a initialement opposé une fin de non-recevoir au recours en outrage au tribunal par ce motif qu’il n’y avait pas eu signification à personne aux chef et conseillers du défendeur. J’ai pris la requête en délibéré; voici ma décision à ce sujet. En l’espèce, la seule preuve directe en la matière est l’affidavit par lequel Richard McRae, étudiant stagiaire à l’étude Pollock and Company, avocats du demandeur, témoigne que le 18 mars 1993, il a signifié l’ordonnance de l’arbitre Schulman à Lawrence Henery [sic], John T. James, Martha Larocque et Charles Nelson. L’avocat du défendeur soutient que pareille signification ne suffit pas pour justifier un verdict d’outrage au tribunal. Son argument serait que le défendeur n’aurait pu commettre un outrage au tribunal qu’avant la réintégration implicite par l’administrateur-séquestre à compter du 11 décembre 1992. Or, avant cette dernière date, il n’y avait aucune signification à personne.
Dans Bhatnager, supra, le juge Sopinka a réitéré le principe en la matière, page 225 :
D’après la jurisprudence, il n’y a aucun doute que la common law a toujours exigé la signification à personne ou la connaissance personnelle réelle de l’ordonnance d’un tribunal comme condition préalable à la responsabilité pour outrage au tribunal.
Et à la page 226 :
À mon avis, dans certaines circonstances, le fait que le procureur en ait été informé permet d’inférer que le client en a eu connaissance. En fait, cette inférence est normale dans le cas ordinaire d’une partie engagée dans des litiges isolés.
En l’espèce, il ressort des preuves versées au dossier que l’avocat qui occupait pour le défendeur à l’époque, Me Jeffrey J. Palamar, avait reçu les ordonnances et les décisions de l’arbitre. Me Palamar a déposé auprès de cette Cour un avis de requête introductif d’instance pour faire infirmer l’ordonnance du 31 juillet 1992 de l’arbitre (requête à laquelle il n’a pas été donné suite). Par contre, il a approuvé l’ordonnance du 23 octobre 1992 de l’arbitre quant à sa forme. Me Pollock lui a écrit le 4 novembre 1992, avec copie jointe de l’ordonnance de l’arbitre Schulman. Le 19 novembre 1992, Me Pollock lui a écrit de nouveau, avec copie jointe de l’ordonnance de l’arbitre Schulman telle qu’elle avait été déposée auprès de la Cour fédérale du Canada le 9 novembre 1992.
Dans son témoignage de vive voix, Me Palamar fait savoir qu’il tient toujours ses clients informés des ordonnances les concernant. D’après sa correspondance versée au dossier, ses lettres indiquent que copie en a été envoyée au « Conseiller John James » ou à « Roseau River ».
À mon avis, cette affaire est le « cas ordinaire » cité par le juge Sopinka dans Bhatnager, supra. L’avocat du défendeur a reçu copie de toutes les décisions et ordonnances concernant ce dernier. Sa correspondance indique que son client en a reçu copie et son témoignage de vive voix confirme qu’il tenait ce dernier informé tout au long. D’autres lettres versées au dossier indiquent aussi que le défendeur était au courant. Par exemple, dans une lettre en date du 4 janvier 1993 adressée à Travail Canada, M. Colin Moncrieff fait état des échanges qu’il a eus avec le défendeur au sujet de l’ordonnance de l’arbitre Schulman. En conséquence, je n’ai aucun mal à conclure que le chef et les conseillers du défendeur avaient personnellement connaissance de l’ordonnance et de l’ordonnance modifiée de l’arbitre Schulman. Par ces motifs, je rejette la requête de l’avocat du défendeur à ce sujet.
Avant que ce dernier eût présenté sa fin de non-recevoir, l’avocat du demandeur a cherché à l’obliger à choisir entre l’introduction de cette requête et l’administration des preuves, en citant l’ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 1992, page 131, qui explique que si, du moins en matière civile, le défendeur oppose une fin de non-recevoir à l’action du demandeur, il ne pourra plus administrer les preuves par la suite si sa requête est rejetée.
L’avocat du défendeur réplique qu’en matière pénale, l’accusé n’est pas irrecevable à produire des preuves après avoir été débouté de sa fin de non-recevoir, et que l’extrait cité de l’ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant ne s’applique pas aux affaires pénales.
Il y a lieu de noter que les parties sont convenues que le recours en outrage au tribunal et la requête en annulation de l’ordonnance de saisie-arrêt seraient instruites ensemble, et qu’il était généralement entendu que les preuves concernant les deux requêtes pouvaient se chevaucher. Comme j’ai pris en délibéré la fin de non-recevoir opposée au recours en outrage au tribunal et qu’il n’y avait aucune raison d’interdire au défendeur ou à l’administrateur-séquestre de produire des preuves ou témoignages au sujet de la requête en annulation de l’ordonnance de saisie-arrêt, j’ai autorisé l’avocat du défendeur à les produire.
Colin Moncrieff a témoigné de vive voix pour le compte du défendeur et de l’administrateur-séquestre. En outre, son affidavit en date du 22 avril 1993 a été admis à titre de preuve. Le paragraphe 1 de cet affidavit, qui rappelle sa nomination aux fonctions d’administrateur-séquestre, porte entre autres :
[traduction] 1. Le 26 octobre 1992, j’ai été nommé administrateur-séquestre du défendeur en l’espèce, Roseau River, par le Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Ci-joint, à titre de pièce « A » du présent affidavit, copie de la lettre en date du 26 octobre 1992 et portant ma nomination aux fonctions d’administrateur-séquestre; à titre de pièce « B », copie de ma lettre en date du 29 octobre 1992 au Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, par laquelle j’ai accepté cette nomination; et, à titre de pièce « C », copie de la lettre en date du 29 octobre 1992 de ce Ministère au sujet de ma nomination.
Dans son témoignage de vive voix, M. Moncrieff confirme qu’il a été nommé administrateur-séquestre par Affaires indiennes et du Nord Canada qui assurait le financement du défendeur. Celui-ci recevait aussi des fonds d’autres sources comme Santé et Bien-être Canada. Dans les faits cependant, M. Moncrieff contrôlait tous les fonds du défendeur. Dans sa lettre en date du 26 octobre 1992 à M. Moncrieff, Affaires indiennes et du Nord Canada fait savoir entre autres ce qui suit :
[traduction] Vous prendrez le contrôle des opérations de la bande et aurez pour responsabilité de remplir les obligations qu’elle tient de l’accord de financement.
Selon M. Moncrieff, le défendeur peut toujours fonctionner dans les domaines politique et administratif, l’administrateur-séquestre n’ayant pas voix au chapitre en la matière. Par contre, il a contrôle sur les fonds. M. Moncrieff témoigne qu’après qu’il eut été nommé administrateur-séquestre, le chef ou les conseillers du défendeur ne lui ont jamais demandé d’employer le demandeur. Il confirme qu’après avoir été nommé administrateur-séquestre, il avait la responsabilité du dossier concernant ce dernier.
L’action en outrage au tribunal est intentée en l’espèce contre le Conseil tribal de Roseau River, et non contre l’administrateur-séquestre. L’ordonnance de justification du 26 janvier 1993 reprend cette observation de l’avocat du demandeur :
[traduction] Et l’avocat du demandeur ayant confirmé que le recours de celui-ci en outrage au tribunal est introduit contre le défendeur et non pas contre l’administrateur-séquestre de ce dernier.
L’outrage au tribunal doit tenir en l’espèce au défaut du défendeur de se conformer à l’ordonnance de l’arbitre Schulman, qui a été déposée auprès de la Cour. Cette ordonnance ayant été déposée le 9 novembre 1992, l’outrage doit tenir au défaut du défendeur, après cette dernière date, de réintégrer le demandeur.
Après avoir été nommé administrateur-séquestre le 26 octobre 1992, M. Moncrieff a pris le contrôle des affaires financières du défendeur. Il échet d’examiner si, après cette date, le défendeur aurait pu, de son propre chef, réintégrer le demandeur dans son emploi conformément à l’ordonnance de l’arbitre Schulman.
Je sais que les dirigeants du défendeur auraient pu, s’ils le voulaient, recommander à M. Moncrieff de réintégrer le demandeur dans son emploi, mais pareille action ne signifie pas à elle seule exécution de l’ordonnance de l’arbitre. Dans Beloit Can. Ltée/Ltd c. Valmet Oy (1988), 18 C.I.P.R. 1 (C.A.F.), le juge Pratte s’est prononcé en ces termes dans une note explicative en fin de texte, à la page 22 :
L’avocat des intimées a également fait valoir qu’un défendeur qui fait l’objet d’une injonction est coupable s’il ne fait pas tout ce qui est en son pouvoir pour amener les sociétés qui relèvent de lui à se conformer à l’injonction. À l’appui de cet argument, il a cité une décision américaine : Rohm & Haas Co. v. Polycast Technology Corp., 174 U.S.P.Q. 293 (1972). La réponse à cet argument est que l’idée avancée par l’avocat n’est vraie que si les rapports entre le défendeur et la société qui relève de lui sont tels qu’ils rendent le défendeur responsable des actes de la société. Telle était la situation de l’affaire citée par l’avocat où il a été jugé, à tort ou à raison, que la société qui avait réellement violé l’injonction était la mandataire du défendeur. La question de savoir si telle est la situation en l’espèce est une question à laquelle je vais répondre dans un moment.
En l’espèce, je ne pense pas qu’on puisse dire que l’administrateur-séquestre est responsable des actes du défendeur. En fait, le recours en outrage au tribunal est expressément dirigé contre ce dernier, et non contre l’administrateur-séquestre.
L’avocat du demandeur soutient encore que le défendeur aurait pu réintégrer ce dernier, même s’il n’avait pas le pouvoir de le payer. Ce type d’action toute théorique ne vaut pas, à mon avis, exécution de l’ordonnance de l’arbitre Schulman. Cette ordonnance prescrit que le demandeur soit réintégré « avec le même traitement annuel de 40 202,00 $ » Il ressort des preuves produites que le défendeur n’avait pas le pouvoir, après le 26 octobre 1992, de s’engager à payer le traitement du demandeur.
Il incombe au demandeur de prouver sans l’ombre d’un doute raisonnable les éléments constitutifs de l’outrage reproché au défendeur, ce qui s’entend également de la preuve que celui-ci avait le pouvoir de se conformer à l’ordonnance. Ce pouvoir pourrait être évident ou, dans certains cas, implicite; mais il n’existe certainement pas dans les cas où un administrateur-séquestre a été nommé, comme dans l’affaire en instance. En l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’une fois l’administrateur-séquestre nommé, le défendeur eût le pouvoir de se conformer à l’ordonnance de l’arbitre. Il y a au moins deux possibilités : ou bien le défendeur avait ce pouvoir ou bien il ne l’avait pas. Dans In re Bramblevale, supra, le juge Denning, M.R., a jugé que lorsque le tribunal se trouve en présence de deux possibilités aussi logiques l’une que l’autre, il ne peut décider que l’outrage est prouvé sans l’ombre d’un doute raisonnable.
L’avocat du demandeur a porté à mon attention divers précédents où il a été jugé que les pouvoirs de l’autorité judiciaire en matière d’outrage au tribunal visent à assurer la bonne marche de la justice et d’avertir le public que la désobéissance à ses ordres signifie punition immédiate, et que rien ne doit faire obstacle à l’ordre et à la bonne administration de la justice. Dans United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901, Madame le juge McLachlin s’est prononcée à ce sujet en ces termes, page 931 :
La primauté du droit est le fondement de notre société; sans elle, la paix, l’ordre et le bon gouvernement n’existent pas. La primauté du droit est directement tributaire de la capacité des tribunaux de faire observer leur procédure et de maintenir leur dignité et le respect qui leur est dû. Pour ce faire, les tribunaux ont, depuis le XIIe siècle, exercé le pouvoir de punir pour outrage au tribunal.
Je partage entièrement les prescriptions ci-dessus. J’estime cependant que l’exercice des pouvoirs en matière d’outrage au tribunal est subordonné à la condition que le défendeur ait eu le pouvoir légal de se conformer à l’ordonnance rendue.
Il va de soi que si le défendeur essayait de se soustraire à une ordonnance judiciaire en abandonnant à autrui le contrôle de ses affaires, il pourrait toujours être coupable d’outrage au tribunal. Il se trouve cependant qu’en l’espèce, le défendeur a dû laisser le contrôle de ses affaires financières à l’administrateur-séquestre pour une autre raison, savoir le manquement à un accord conclu avec Affaires indiennes et du Nord Canada, et non pas dans le but d’éviter l’exécution de l’ordonnance de l’arbitre.
Sur la foi des preuves et témoignages produits, je ne doute pas que le défendeur ne voulait pas réintégrer le demandeur. Ses dirigeants auraient dû recommander à l’administrateur-séquestre de le faire, puisque c’est ce que prescrivait l’ordonnance de l’arbitre, qui a été déposée auprès de la Cour. Il appert qu’ils ont décidé autrement. Cela ne porte cependant pas à conséquence puisque la violation de l’ordonnance de l’arbitre consistait à ne pas réintégrer le demandeur dans son emploi. Si le défendeur avait continué de refuser de réintégrer le demandeur tout en ayant le contrôle de ses affaires financières, je pense qu’il aurait commis indubitablement un outrage au tribunal au regard de l’ordonnance de l’arbitre. Cependant, il n’a pas été prouvé sans l’ombre d’un doute raisonnable qu’il avait toujours le contrôle de ses affaires financières au point d’être en mesure de réintégrer le demandeur et de l’indemniser après que l’administrateur-séquestre eut été nommé. Je ne saurais donc conclure que le défendeur est coupable d’outrage au tribunal.
Puisqu’il en est ainsi, je dois rejeter le recours en outrage au tribunal.
LA REQUÊTE EN ANNULATION DES ORDONNANCES DE SAISIE-ARRÊT
Outre les actions en outrage au tribunal, il ressort de l’état chronologique des événements que deux ordonnances provisoires de saisie-arrêt ont été rendues en l’espèce. La première de ces ordonnances fut rendue le 24 décembre 1992. Le 8 janvier 1993, elle a été annulée et remplacée par une ordonnance du juge Cullen, qui ordonnait le paiement au demandeur de 89 224,74 $ avec intérêts, savoir la somme qui lui était due à la date du 21 décembre 1992, conformément à l’ordonnance de l’arbitre et selon les modalités acceptables par le demandeur. La somme de 91 442,51 $ a été intégralement réglée depuis.
Le 16 avril 1993, le juge Denault a rendu une ordonnance provisoire de saisie-arrêt enjoignant à la Banque de Nouvelle-Écosse, le tiers saisi, de verser jusqu’à concurrence de 14 070,42 $, dont le demandeur soutient qu’elle lui était due conformément à l’ordonnance de l’arbitre Schulman, pour la période allant du 22 décembre 1992 au 27 avril 1993.
L’administrateur-séquestre conclut maintenant à l’annulation de cette dernière ordonnance de saisie-arrêt, par ce motif figurant au paragraphe 9 de son affidavit en date du 22 avril 1993 :
[traduction] 9. Je soutiens, en ma qualité d’administrateur-séquestre, que l’ordonnance de l’arbitre Schulman a été exécutée par réintégration de M. Victor Pierre aux fonctions de directeur de l’enseignement et du fait que je lui ai versé la somme de 91 442,51 $, ainsi qu’en a fait état le paragraphe 4 de l’affidavit de M. Pierre. Après cette réintégration, il a été de nouveau mis fin à l’emploi de M. Pierre par ma lettre du 14 décembre 1992. Ce licenciement peut être indemnisé par une somme d’argent tenant lieu de préavis. Je suis et ai toujours été disposé et habilité à négocier une indemnité raisonnable de départ pour M. Pierre.
L’avocat représentant l’administrateur-séquestre soutient qu’une ordonnance de réintégrer ne saurait contraindre l’employeur à garder un employé indéfiniment à son service, et qu’un employeur a toujours le droit soit de congédier pour motif justifié soit de congédier sans motif mais avec indemnité tenant lieu de préavis. Que l’ordonnance de l’arbitre Schulman a été exécutée par ce qu’il qualifie de réintégration du demandeur et par paiement de la somme de 91 442,51 $; et qu’aucun jugement n’ayant été rendu qui aurait pu servir de fondement à l’ordonnance de saisie-arrêt, celle-ci devrait être annulée.
Je comprends qu’une ordonnance de réintégration ne garantisse pas un emploi indéfini pour l’employé, mais la question de l’obligation de l’employeur après réintégration ne se pose pas en l’espèce parce que, à mon avis, il n’y a jamais eu réintégration.
Il ressort des preuves et témoignages produits qu’à la suite de l’ordonnance de l’arbitre Schulman, le demandeur n’a jamais vraiment repris ses fonctions de directeur de l’enseignement au service du défendeur, bien qu’il ne demandât qu’à le faire. Dans sa lettre du 18 août 1992, Me Palamar a informé Me Pollock de ce qui suit :
… mon client ne tient pas à ce qu’il se présente ce jour-là ou à quelque autre date que ce soit … toute responsabilité que mon client aurait à assumer faute de le réintégrer dans son emploi courrait de cette date.
Dans sa lettre du 4 janvier 1993 à Travail Canada, M. Moncrieff a donné entre autres les détails suivants :
[traduction] 2. Pour autant que nous sachions, M. Pierre a voulu reprendre ses fonctions de directeur de l’enseignement mais le chef et le conseil en fonction ont refusé de l’y réintégrer.
3. Après avoir été nommé administrateur-séquestre, nous avons discuté de la situation avec le chef et le conseil, et ils ont réitéré leur volonté de ne pas permettre à M. Pierre de reprendre ses fonctions de directeur de l’enseignement.
Si tant est qu’il y ait quelque preuve de réintégration, il s’agit de la réintégration « implicite » qui se dégage du licenciement du demandeur par la lettre en date du 14 décembre 1992 que lui adressait M. Moncrieff, et du fait qu’il s’est plaint subséquemment auprès de Travail Canada d’avoir été congédié le 11 décembre 1992. Je ne déduis cependant pas de la lettre de M. Moncrieff ou de la plainte du demandeur qu’il y a eu réintégration. Si le licenciement de ce dernier par M. Moncrieff pouvait constituer une réintégration « implicite », n’importe quel employeur pourrait se soustraire à une ordonnance arbitrale de réintégration en congédiant l’employé immédiatement après la délivrance de cette ordonnance. Je ne pense pas que le législateur ait voulu prévoir, par le Code canadien du travail, un pouvoir arbitral de réintégration que pourrait rendre inopérant pareille action unilatérale de la part de l’employeur. Dans Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Boisvert, [1986] 2 C.F. 431 (C.A.), le juge Marceau, J.C.A., explique en ces termes les ramifications du paragraphe 242(4) du Code canadien du travail, aux pages 439 et 440 :
Il est banal de rappeler que l’introduction, en 1978, du recours à l’article 61.5 [le paragraphe 242(4) actuel] du Code a constitué une étape tout à fait majeure dans la transformation qu’a connue le droit du travail applicable aux entreprises fédérales depuis l’époque où il se présentait encore comme un droit d’inspiration purement libérale fondé sur le dogme de l’autonomie de la volonté. Sans doute le droit de l’employeur de mettre fin à l’engagement de son employé était déjà loin d’être sans condition (préavis, indemnité de départ) et la jurisprudence de droit commun n’hésitait plus à faire usage de la théorie de l’abus des droits pour sanctionner l’exercice intempestif par lui du droit de licencier. Mais une fois le recours de l’article 61.5 en place, il n’était certes plus possible de présenter comme auparavant le droit de résiliation comme étant de l’essence même du contrat de travail à durée indéterminée; il n’était plus question non plus de parler à ce sujet de liberté des conventions car les dispositions nouvelles étaient dites d’ordre public et, par conséquent, non affectées par les termes des contrats d’engagement. Et plus spectaculaire encore, non seulement n’était-il plus question pour l’employeur de songer à mettre fin à volonté à l’engagement de son employé, il pouvait même à l’avenir se voir imposer d’autorité un employé qu’il ne voudrait pas. Tout employé congédié injustement (s’il ne faisait pas partie de la direction au sens du paragraphe 27(4)) avait maintenant un moyen d’obtenir, en plus d’une indemnisation monétaire complète, la réintégration dans son emploi.
Si, comme l’explique le juge Marceau, J.C.A., le paragraphe 242(4) du Code canadien du travail garantit à l’employé injustement congédié le droit d’être réintégré, le législateur a certainement entendu faire de ce droit un droit effectif, et non un droit qu’il serait possible de tourner par la réintégration fictive, effectuée par l’employeur dans le seul but d’observer formellement l’ordonnance arbitrale puis d’y faire échec par un nouveau congédiement. À mon avis, tel est essentiellement l’argument qui soutient que le plaignant a été réintégré, et je ne l’accepte pas.
Quant à la plainte déposée par le plaignant auprès de Travail Canada, je pense qu’il n’a fait qu’y exprimer ce que signifiait à son sens la lettre de M. Moncrieff, et qu’il n’a pas souscrit ou acquiescé à quelque réintégration implicite qu’aurait effectuée l’employeur à seule fin de le congédier par la suite.
Les avocats représentant le défendeur et l’administrateur-séquestre citent la décision [non publiée] Corneau v. Canadian Pacific Express and Transport Ltd. en date du 9 février 1982, où l’arbitre Joseph E. Roach s’est prononcé comme suit, à la page 16 :
[traduction] En l’espèce, la réintégration du plaignant signifie indubitablement le congédiement de l’un des surveillants de terminal. J’estime cependant que cette décision revient à l’employeur et non pas à l’arbitre saisi de la plainte de congédiement injuste.
Ils soutiennent que d’après le passage ci-dessus, en cas d’ordonnance de réintégration, l’employeur a le droit de congédier l’employé après l’avoir réintégré. Après examen de cette décision, je suis parvenu à une conclusion différente. Dans l’affaire citée, il y avait trois postes de surveillant de terminal au moment du congédiement du plaignant mais par suite d’une réorganisation, il n’en restait que deux au moment où l’arbitre ordonna sa réintégration. À mon avis, l’arbitre faisait état dans ce passage du droit de l’employeur de décider lequel des surveillants de terminal en fonction il devrait congédier pour faire la place à l’employé dont l’intégration a été ordonnée.
D’après le témoignage de vive voix de M. Moncrieff, le poste de directeur de l’enseignement qu’occupait le demandeur aurait été fusionné avec celui de directeur d’école, ce qui fait qu’il n’y avait aucun poste auquel le demandeur aurait pu retourner. Il se peut que les deux postes aient été fusionnés, mais la raison que M. Moncrieff a donnée dans sa lettre du 14 décembre 1992 et dans son affidavit du 23 avril 1993 pour expliquer le refus de réintégrer le demandeur, était qu’il y avait une autre personne remplissant de façon satisfaisante le poste de directeur de l’enseignement et que le défendeur n’avait pas besoin de deux directeurs de l’enseignement. On ne peut conclure de pareille assertion qu’il n’y avait aucun poste auquel le demandeur aurait pu retourner, bien que sa réintégration eût pu nécessiter le déplacement du titulaire du moment.
En common law, la règle de l’exécution intégrale ne s’appliquait pas aux contrats de travail parce qu’il n’était pas possible pour les tribunaux de contrôler les rapports entre employeur et employé. Cependant, comme l’a fait remarquer le juge Marceau, J.C.A., dans Boisvert, supra, la loi écrite que sont les dispositions du Code canadien du travail l’emporte sur la common law. Ces dispositions prévoient entre autres l’enregistrement des ordonnances des arbitres à la Cour fédérale et les moyens de procédure auxquels on peut recourir pour en assurer l’exécution devant la Cour.
Il ne me revient de me prononcer sur la sagesse du principe de la réintégration sur le plan général ou dans ce cas d’espèce, bien que, étant donné les difficultés illustrées par ce dernier, j’estime qu’il n’y a lieu de rendre une ordonnance de réintégration que si les circonstances le justifient pleinement. Dans l’ouvrage de Grosman, Federal Employment Law in Canada, 1990, Carswell, l’auteur expose les difficultés inhérentes aux ordonnances de réintégration comme suit, aux pages 180 et 181 :
[traduction] Un arbitre peut ordonner la réintégration, avec ou sans indemnité pour l’intervalle de temps entre le congédiement et la date de réintégration effective. Depuis 1984, à peu près 15 p. 100 des décisions en matière de congédiement injuste ont ordonné la réintégration de l’employé. Cette statistique concerne les employeurs. L’employeur qui a accompli l’acte plein de conséquences qu’est un congédiement, presque toujours à la suite de ce qui était à son avis une faiblesse ou une faute de l’employé, ne tient pas du tout à voir cet employé réintégré dans son emploi. Il y est d’autant moins disposé qu’il a été « entraîné de force », sur les instances du même employé, dans une procédure qui lui a coûté cher en temps et en argent et qui a été probablement très conflictuelle. Du point de vue de l’entreprise, la réintégration est rarement un remède satisfaisant. Par contre, elle est un parfait remède du point de vue de la théorie juridique. Si le congédiement a été vraiment injuste, pourquoi l’employé devrait-il pâtir d’une erreur de jugement de l’employeur? Pourquoi ne devrait-il pas réintégrer le poste même qu’il aurait continué à occuper « n’eût été » l’acte injuste de son employeur? Du point de vue de la théorie juridique, la simple réponse est qu’il devrait le réintégrer.
Cependant, dans les faits et du point de vue de l’entreprise, la réintégration est un remède très peu satisfaisant. Le problème ne réside pas dans le verdict de congédiement injuste, mais dans la police des rapports artificiellement rétablis, après réintégration, entre l’employé et l’employeur. Après avoir rendu l’ordonnance de réintégration, l’arbitre se retire gracieusement de la scène, laissant aux deux parties (souvent) aigries le soin d’établir de nouveaux rapports sur la base d’une animosité existante. L’impossibilité de contrôler les relations entre employeur et employé après la réintégration explique justement pourquoi, en common law, les tribunaux se refusent par principe à accorder cette réparation. À notre avis, elle n’est efficace que dans les cas rares où il y a une possibilité réelle de rapports de travail durables à l’avenir entre les parties. La réintégration est considérée à l’heure actuelle comme la forme première de réparation ouverte à l’employé touché qui en cherche l’application. Le taux d’application de 15 p. 100 est illusoire parce qu’il ne tient pas compte des employés injustement congédiés qui n’ont pas cherché à se faire réintégrer. Il y a eu recours excessif au remède puissant de la réintégration dans le cadre du Code canadien du travail, lequel remède devrait être l’exception circonspecte à la règle, non pas la règle elle-même.
En l’espèce, l’arbitre a pris en considération les facteurs évoqués à la page 182 de l’ouvrage de Grosman pour décider s’il fallait ordonner la réintégration. À son avis, il y avait lieu à réintégration. Je ne fais pas fonction de juridiction d’appel vis-à-vis de l’ordonnance de l’arbitre et dois donc accepter le fait qu’une ordonnance de réintégration valide a été rendue puis enregistrée à la Cour fédérale du Canada. Sur la foi des preuves et témoignages produits, je conclus que le demandeur n’a pas été réintégré et que l’ordonnance de l’arbitre Schulman, qui a été enregistrée auprès de la Cour, demeure en vigueur à titre de jugement sur lequel se fonde l’ordonnance de saisie-arrêt du 16 avril 1993. En conséquence, je rejette la requête en annulation de cette dernière.
CONCLUSION
En conclusion, le demandeur n’a pas prouvé que le défendeur est coupable d’outrage au tribunal. Cependant il n’y a pas eu réintégration en exécution de l’ordonnance de l’arbitre Schulman et l’administrateur-séquestre n’a pas droit à l’annulation de l’ordonnance de saisie-arrêt du 16 avril 1993. Le recours en outrage au tribunal est rejeté, de même que la requête en annulation de l’ordonnance de saisie-arrêt.
Je retiens compétence vis-à-vis de l’ordonnance de saisie-arrêt afin d’être en mesure de prononcer, en cas de demande faite par l’une ou l’autre partie, sur toute autre mesure proposée au sujet des fonds visés par l’ordonnance de saisie-arrêt susmentionnée.
Le défendeur a droit à ses dépens relatifs au recours en outrage au tribunal. L’administrateur-séquestre paiera au demandeur ses dépens relatifs à la requête en annulation de l’ordonnance de saisie-arrêt.