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[1993] 2 C.F. 60

T-1774-92

Affaire intéressant une enquête du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports sur un accident maritime et le capitaine Roger Parrish

et

Association canadienne des pilotes de lignes aériennes

et

The Company of Master Mariners of Canada, Division de Vancouver

et

Harold Brown, Frank Dresser, Richard Hyne, Charles Lawlor, Lochlan McQuarrie, Allan Murray et British Columbia Ferry et Marine Workers Union

et

Guilde de la marine marchande du Canada, section de l’Ouest

et

The British Columbia Coast Pilots Ltd. (Intervenants)

Répertorié : Parrish (Re) (1re inst.)

Section de première instance, juge Rouleau—Vancouver, 2 décembre 1992; Ottawa, 14 janvier 1993.

Contrôle judiciaireRenvoisLe Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports peut-il contraindre ou non une personne à comparaître et à témoigner devant lui au sujet d’un accident maritime sans être accompagné d’un avocat?L’obligation d’agir équitablement exige qu’un avocat soit présent lorsque, notamment : a) un individu est cité à comparaître, est tenu de comparaître et de rendre témoignage sous serment sous peine d’une sanction; b) une confidentialité absolue n’est pas garantie et il n’est pas interdit à d’autres personnes d’être présentes; c) des rapports sont rendus publics; d) l’individu peut se voir privé de ses droits ou de ses moyens d’existence; e) il peut s’ensuivre un préjudice irréparable d’une autre nature.

TransportsEnquête du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports sur un accident maritimeCollision entre un vracquier et un traversierRefus signifié à un témoin d’être accompagné par un avocatLe Bureau n’a pas pour fonction de déterminer la responsabilité civile ou pénaleLe Bureau peut limiter le nombre d’avocats et leur rôleL’équité procédurale exige qu’un témoin ne soit pas privé du droit d’être accompagné d’un avocat pour des questions de célérité administrative.

Le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports faisait enquête sur une collision entre un traversier, le Queen of Alberni, et un vracquier japonais, le Shinwa Maru. Après avoir interrogé l’équipage du vracquier en présence d’un avocat, la Commission a voulu poser des questions au capitaine Parrish, du Queen of Alberni, mais sans qu’il soit accompagné d’un avocat. Lorsque le Bureau a déterminé que son avocat n’avait pas qualité pour agir, le capitaine Parrish a refusé de témoigner. Typiquement, lors d’une enquête du Bureau, l’enquêteur, habituellement un expert dans le domaine, convoque les témoins dans les jours, voire dans les heures seulement qui suivent le moment où un accident est porté à la connaissance du Bureau, qui cherchera à tirer des conclusions quant aux causes et aux facteurs de l’accident en question. Le but visé est de relever les manquements à la sécurité et de recommander des moyens d’éliminer ou d’atténuer les risques. À terme, le résultat de l’enquête est rendu public. La Loi précise que le Bureau n’est pas habilité à attribuer ou à déterminer les responsabilités civiles ou pénales, mais que ses conclusions doivent cependant être complètes, quelles que soient les inférences qu’on puisse en tirer à cet égard. La Loi dispose aussi qu’une personne qui, après avoir été convoquée par un enquêteur, ne témoigne pas ou fait un faux témoignage commet un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans. La question de droit soumise à la Cour pour fins de décision, en accord avec l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale, consistait à savoir si un enquêteur désigné par le Bureau pouvait contraindre le capitaine Parrish à comparaître et à témoigner au sujet de l’accident maritime sans être accompagné d’un avocat, en exécution du sous-alinéa 19(9)a)(i) de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports.

Jugement : la réponse à cette question doit être négative.

Il ne fait aucun doute qu’un certain nombre d’enquêtes menées par des tribunaux administratifs peuvent se dérouler sans la présence d’un avocat. Il ressort cependant de la jurisprudence que l’obligation d’agir équitablement implique la présence d’un avocat lorsque la combinaison d’une partie ou de l’ensemble des éléments suivants figure dans la loi habilitante ou, alors, découlent de l’application pratique de la loi qui régit le tribunal en question : lorsqu’un témoin est cité à comparaître, est tenu de comparaître et de rendre témoignage sous serment sous peine d’une sanction; lorsqu’une confidentialité absolue n’est pas garantie et qu’il n’est pas interdit à d’autres personnes d’être présentes; lorsque des rapports sont rendus public; lorsqu’une personne peut se voir privée de ses droits ou de ses moyens d’existence; ou lorsqu’il peut s’ensuivre un préjudice irréparable de quelque autre nature.

Il est indubitable que les offices ou les tribunaux sont maîtres de leurs propres procédures, et lorsqu’un témoin comparaît, comme l’a fait le capitaine Parrish, en compagnie de deux ou trois avocats, il est certainement loisible au Bureau de limiter non seulement le nombre de ces derniers mais aussi l’étendue de leur participation. Cependant, le Bureau ne peut, pour des questions de célérité administrative, priver un témoin du droit d’être représenté par un avocat. Un témoin est cité peu de temps après l’accident, alors qu’il est peut-être encore sous le choc des événements, pour comparaître et rendre témoignage sous serment sous peine de sanction. Il n’a peut-être pas les connaissances ou la présence d’esprit voulues pour protéger le mieux possible ses droits ou s’opposer à des questions inopportunes. Il s’expose au risque d’être privé non seulement de sa réputation mais aussi de son accréditation professionnelle et de ses moyens d’existence. Il arrive aussi parfois que des rapports provisoires soient mis prématurément entre les mains de journalistes avant que le témoin ait eu l’occasion de faire des commentaires.

Dans les circonstances de l’espèce, l’équité procédurale exige qu’il soit permis au témoin d’être accompagné d’un avocat à l’enquête. Il n’était nul besoin d’analyser l’argument selon lequel la privation du droit d’être représenté par un avocat violait l’article 7 de la Charte.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1.

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III.

Evidence Act, R.S.B.C. 1979, ch. 116.

Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.3 [édicté par L.C. (1990), ch. 8, art. 5).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5.

Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, L.C. 1989, ch. 3, art. 7, 9, 10, 14, 19(9),(10), 21, 23(2)d), 24, 25, 30, 35.

JURISPRUDENCE

DISTINCTION FAITE AVEC :

Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181; (1987), 41 D.L.R. (4th) 429; 24 Admin. L.R. 91; 74 N.R. 33; Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (In re) et in re Husted, [1981] 2 C.F. 791; (1981), 58 C.C.C. (2d) 156 (1re inst.); Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.); Re Pergamon Press Ltd, [1970] 3 All E.R. 535 (C.A.); Ha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), T-1426-91, juge Rouleau, ordonnance en date du 14-7-92, C.F. 1re inst., encore inédite.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Alliances des Professeurs Catholiques de Montreal v. Quebec Labour Relations Board, [1953] 2 R.C.S. 140; [1953] 4 D.L.R. 161; Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée c. A.C.P.L.A., [1988] 2 C.F. 493; (1988), 84 N.R. 81 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; (1990), 67 D.L.R. (4th) 161; 54 C.C.C. (3d) 417; 29 C.P.R. (3d) 97; 76 C.R. (3d) 129; 47 C.R.R. 1; 106 N.R. 161; 39 O.A.C. 161; R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; (1985), 18 D.L.R. (4th) 655; [1985] 4 W.W.R. 286; 38 Alta. L.R. (2d) 99; 40 Sask. R. 122; 18 C.C.C. (3d) 481; 13 C.P.R. 193; 45 C.R. (3d) 57; 32 M.V.R. 153; 59 N.R. 122; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; [1990] 5 W.W.R. 1; 47 B.C.L.R. (2d) 1; 57 C.C.C. (3d) 1; 77 C.R. (3d) 145; 49 C.R.R. 114; 110 N.R. 1; Morena et autre c. La Reine et autres (1990), 90 DTC 6685 (C.F. 1re inst.); La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335.

DOCTRINE

de Smith, S. A. Judicial Review of Administrative Action, 3rd ed. London : Stevens & Sons Ltd., 1973.

RENVOI soumis en vertu de l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale pour demander à la Cour fédérale de décider si un enquêteur désigné par le Bureau peut contraindre un témoin à comparaître et à témoigner au sujet d’un accident maritime sans être accompagné d’un avocat, en exécution du sous-alinéa 19(9)a)(i) de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports. Réponse négative.

AVOCATS :

D. Rodney Urquhart pour le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports.

W. G. Wharton pour le capitaine Parrish.

Caroline J. Askew pour British Columbia Ferry et Marine Workers Union.

J. T. Keenan pour l’Association canadienne des pilotes de ligne.

Stephen C. Best pour Company of Master Mariners of Canada.

Jack D. Buchan pour la Guilde de la marine marchande du Canada.

Mark Sachs pour British Columbia Coast Pilots Ltd.

PROCUREURS :

McCarthy Tétrault, Vancouver, pour la requérante.

Campney & Murphy, Vancouver, pour la défenderesse.

McGrady, Askew & Fiorillo, Vancouver, pour British Columbia Ferry et Marine Workers Union.

Gravenor Keenan, Montréal, pour l’Association canadienne des pilotes de ligne.

Russell & DuMoulin, Vancouver, pour Company of Master Mariners of Canada.

Cohen, Frost, Buchan, Edwards, Richmond (C.-B.), pour la Guilde de la marine marchande du Canada.

Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour British Columbia Coast Pilots Ltd.

Ce qui suit est la version française des motifs de la détermination d’une question de droit rendus par

Le juge Rouleau : En mars 1990, le Parlement a établi un organisme chargé de faire enquête sur les accidents maritimes, aéronautiques, ferroviaires et de productoduc par l’entremise de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, L.C. 1989, ch. 3, ci-après appelée la Loi. L’article 14 de la Loi porte sur les enquêtes menées au sujet de tout accident de transport.

Le capitaine Roger Parrish était tenu de comparaître devant le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, ci-après appelé le Bureau, à la suite d’un accident survenu le 12 mars 1992. Il s’est présenté devant le Bureau en compagnie de son avocat; ce dernier, a-t-il été déterminé, n’avait pas qualité pour agir. Le capitaine Parrish a refusé de témoigner. Par conséquent, conformément à l’article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [édicté par L.C. (1990), ch. 8, art. 5], le Bureau a soumis la question suivante à la Cour fédérale pour fins de détermination :

[traduction] Un enquêteur peut-il obliger le capitaine Parrish à comparaître devant lui et à témoigner sous la foi du serment sur l’accident maritime sans être accompagné d’un avocat, en application de l’article 19(9)a)(i) de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports?

L’accident en question était une collision entre un traversier de la Colombie-Britannique, le Queen of Alberni, et un vracquier japonais, le Shinwa Maru. Une enquête a été ouverte et, après avoir interrogé l’équipage du Shinwa Maru en présence d’un avocat, le Bureau a voulu poser des questions aux membres d’équipage du Queen of Alberni et, plus particulièrement, au capitaine Roger Parrish, sans permettre à celui-ci d’être accompagné d’un avocat. Il est allégué que, dans le passé, le Bureau permettait toujours qu’un avocat soit présent lors des enquêtes. Le capitaine Parrish a comparu à trois occasions différentes (13 mars, 23 mars et 28 avril 1992) pour aider au déroulement de l’enquête. À ces occasions, il était accompagné d’au moins deux avocats et était prêt à témoigner; le Bureau a toutefois refusé de l’entendre en présence des deux avocats. On a laissé entendre que l’enquêteur aurait pu entendre le témoin s’il avait été accompagné d’un seul conseiller, mais la question ultime consiste à savoir si une personne à qui l’on demande de comparaître devant le Bureau peut être accompagnée ou non d’un représentant légal.

Après que l’on eut soumis à la Cour la question précitée, de nombreuses associations professionnelles ont fait part de leur inquiétude vis-à-vis de l’issue de cette affaire, qui, dans le cadre d’enquêtes ultérieures, pourrait avoir des répercussions sur elles. Dans une requête présentée à la Cour le 20 août 1992, ces parties ont obtenu le statut d’intervenant.

Avant d’analyser les arguments des avocats, il est important de souligner que, dans la plupart des cas, aussitôt après qu’il survient un incident, le Bureau ouvre une enquête et le directeur des enquêtes d’une direction désignée nomme un enquêteur. Ce dernier, qui représente le directeur, est habituellement un expert dans le domaine; c’est le cas, en l’espèce, du capitaine Grabowski, qui possède sans aucun doute les qualités requises pour faire enquête sur les incidents maritimes. Pour obtenir des éléments de preuve précis sur les circonstances entourant un accident, l’enquêteur convoque des témoins dans les jours et, parfois, dans les heures seulement qui suivent le moment où un accident est porté à la connaissance du Bureau. Cette mesure permet évidemment de recueillir des renseignements exacts avant que les souvenirs ou la mémoire des témoins soient déformés ou influencés. Le délai dans lequel l’enquêteur met en marche la procédure visant à déterminer les causes d’un accident est important, non seulement pour le Ministère, mais aussi pour satisfaire au « besoin de savoir » du public et apaiser les craintes.

Interprétation de la teneur de la Loi, d’après l’avocat du Bureau

Le Bureau a pour mission de promouvoir la sécurité des transports, et il s’attend à accomplir cette mission en procédant à des enquêtes indépendantes sur des accidents de transport afin d’en dégager les causes et les facteurs. Le but visé est de relever les manquements à la sécurité et de recommander des moyens d’éliminer ou de réduire les risques. À terme, le résultat des enquêtes est rendu public.

La mission du Bureau, et les moyens qui lui permettent d’accomplir cette dernière, sont précisés à l’article 7 de la Loi.

7. (1) Le Bureau a pour mission de promouvoir la sécurité des transports :

a) en procédant à des enquêtes indépendantes et, au besoin, publiques sur les accidents de transport, afin d’en dégager les causes et les facteurs;

b) en publiant des rapports rendant compte de ses enquêtes, publiques ou non, et présentant les conclusions qu’il en tire;

...

(2) Dans ses conclusions, le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales; ses conclusions doivent toutefois être complètes, quelles que soient les inférences qu’on puisse en tirer à cet égard.

(3) Les conclusions du Bureau ne peuvent s’interpréter comme attribuant ou déterminant les responsabilités civiles ou pénales.

(4) Les conclusions du Bureau ne lient pas les parties à une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre.

Les articles 9 et 10 portent sur la nomination de directeurs des enquêtes dans divers domaines, ainsi que d’enquêteurs.

Selon l’article 14, aucun ministère autre que le ministère de la Défense nationale ne peut mener une enquête de sécurité sur un accident de transport lorsqu’il est révélé que le Bureau a soit entrepris une enquête soit proposé qu’un accident fasse l’objet d’une enquête. Seul le Bureau est autorisé à dégager les causes et les facteurs de l’accident en question. Cependant, il n’est pas interdit à la Gendarmerie Royale du Canada de mener des enquêtes pour ses propres besoins. Il est à noter que divers ministères sont autorisés à réaliser des enquêtes pour d’autres raisons, mais non à tirer des conclusions quant aux causes et aux facteurs qui se rapportent à des mesures de sécurité, car cette responsabilité relève exclusivement du Bureau. La Garde côtière peut mener ses propres enquêtes pour déterminer, d’un point de vue réglementaire, les fautes commises et les infractions aux règlements. Cela n’est pas comparable non plus aux fonctions du Bureau.

Aux termes de l’article 19 de la Loi, l’enquêteur, s’il est muni d’un mandat, est habilité à procéder à des perquisitions et à des saisies; il est toutefois possible de passer outre à cette exigence lorsqu’il est difficilement réalisable d’obtenir ce mandat. Les paragraphes 19(9) et (10) sont rédigés en partie comme suit :

19. ...

(9) Dans l’exercice de ses fonctions, l’enquêteur peut, après en avoir averti l’intéressé par écrit :

a) exiger de toute personne qui, à son avis, est en possession de documents ou de renseignements ayant rapport à son enquête la communication de ceux-ci—notamment pour reproduction totale ou partielle, selon ce qu’il estime nécessaire—ou obliger cette personne à comparaître devant lui et à témoigner à cet égard sous la foi du serment ou d’une déclaration solennelle;

...

(10) Nul ne peut contrevenir à l’ordre d’un enquêteur donné sous le régime des alinéas (9)a), c) ou d), selon le cas, en refusant de communiquer des documents ou des renseignements, de comparaître et de témoigner ou de mettre à disposition un cadavre ou des restes à des fins d’autopsie ou d’examen médical.

Les passages pertinents des articles 24, 25 et 30 sont les suivants :

24. (1) Au terme de son enquête, le Bureau fait rapport de ses conclusions et des manquements relevés à la sécurité et publie le rapport, y compris, si possible, les recommandations en découlant et portant sur la sécurité des transports.

(2) Avant la publication, le Bureau adresse le projet de son rapport sur ses conclusions et les manquements relevés à la sécurité, à titre confidentiel, à tout ministre ou toute autre personne qu’il estime directement intéressés par ses conclusions, le destinataire se voyant accorder la possibilité de lui présenter ses observations avant la rédaction du texte définitif.

(3) Il est interdit de communiquer ou laisser communiquer le projet de rapport, d’en faire usage ou d’en permettre l’utilisation, à des fins autres que la prise de mesures correctives ou à des fins non strictement nécessaires à l’étude du projet ou à la présentation d’observations à son sujet.

...

25. (1) Le Bureau communique à titre confidentiel, sur demande écrite, un rapport provisoire faisant le point de l’enquête et présentant ses conclusions à tout ministre responsable d’un ministère directement intéressé par l’objet de l’enquête. Après avoir fait des progrès notables dans son enquête sur un accident de transport où il y a eu perte de vie, il communique aussi à ce titre un tel rapport aux agents de la paix ou aux coroners qui enquêtent sur le même accident.

(2) Le destinataire—autre qu’un ministre—du rapport provisoire ne peut en faire usage ou en permettre l’utilisation qu’à des fins strictement nécessaires à son étude.

...

30. (1) Au présent article, « déclaration » s’entend de tout ou partie d’une déclaration verbale, écrite ou enregistrée, faite ou remise au Bureau, à l’enquêteur ou à leur délégué par son auteur et se rapportant à un accident de transport, ainsi que de la transcription ou d’un résumé substantiel de celle-ci. La présente définition vise également un comportement qui peut être assimilé à une pareille déclaration. Lorsqu’une déclaration est protégée, l’identité de son auteur l’est dans la même mesure.

(2) Les déclarations sont protégées. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou d’une autorisation écrite de leur auteur, nul ne peut sciemment, notamment s’il s’agit de personnes qui y ont accès au titre du présent article, les communiquer ou les laisser communiquer.

(3) Le Bureau peut utiliser les déclarations comme il l’estime nécessaire dans l’intérêt de la sécurité des transports.

(4) Le Bureau est tenu de mettre les déclarations à la disposition :

a) des agents de la paix autorisés par la loi à en prendre connaissance;

b) des coroners qui en font la demande pour leurs enquêtes;

c) des personnes qui participent aux enquêtes coordonnées visées à l’article 18 ou sont désignées par le ministre des Transports en application du paragraphe 23(2).

Selon l’article 35, la personne qui ne se conforme pas à la demande d’un enquêteur ou qui fait un témoignage faux ou trompeur commet un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans; elle peut aussi être inculpée d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

L’avocat du Bureau allègue que, dans la présente procédure, il n’existe aucun droit absolu à l’assistance d’un avocat, ni selon la common law ni selon la loi, et qu’il revient à l’enquêteur de décider si une partie peut être représentée ou non. Il est d’avis que la Loi confère une protection suffisante à toutes les personnes qui témoignent et que la présence d’un avocat, avec les interruptions et les objections qui en découleraient, ne ferait que retarder l’enquête. Il fait remarquer que le Bureau n’a pas pour mission d’imputer une faute ou de déterminer l’existence d’une responsabilité civile ou pénale; cependant, le Bureau ne s’abstiendra pas de signaler toutes les causes ou les facteurs d’un accident au simple motif qu’il serait possible de déduire, à partir de ses conclusions, l’existence d’une faute ou d’une responsabilité.

L’avocat du Bureau reconnaît qu’aux termes de l’article 19, une personne appelée à comparaître devant l’enquêteur est tenue de le faire; non seulement est-elle obligée de témoigner, mais elle doit aussi produire les documents pertinents. Il ne fait aucun doute qu’un manque de collaboration de la part de cette personne peut exposer celle-ci aux sanctions énoncées à l’article 35 de la Loi. Il reconnaît que cela élimine d’une manière effective [traduction] « ce que je pourrais appeler assez librement son droit au silence ». Il fait valoir, à juste titre d’ailleurs, qu’en l’absence du pouvoir de contraindre des témoins à comparaître, l’objet tout entier de la Loi, au point de vue de la sécurité dans le domaine des transports, serait sans effet.

L’avocat fait valoir de plus qu’aux termes de l’article 24, avant de publier un rapport, le Bureau doit remettre une version provisoire du rapport intérimaire aux parties qui sont directement intéressées par les conclusions, et donner à ces dernières une occasion raisonnable de présenter leurs observations avant la publication d’un texte définitif. À ce stade, des personnes comme le capitaine Parrish peuvent examiner avec leur avocat ces conclusions provisoires et en corriger ou en clarifier la teneur.

La Loi interdit d’utiliser les éléments de preuve qu’obtient le Bureau dans des actions criminelles ou quasi criminelles ainsi que dans des actions civiles, sauf, bien sûr, en cas de parjure. Les témoins qui sont tenus de comparaître peuvent solliciter la protection de la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5], de même que celle de la British Columbia Evidence Act de la Colombie-Britannique [R.S.B.C. 1979, ch. 116].

Pour résumer brièvement les observations de l’avocat du Bureau sur la Loi elle-même, il est d’avis que cette dernière procure à n’importe quel témoin des mesures de protection suffisantes et que le seul effet négatif d’une enquête serait d’entacher légèrement la réputation d’une personne.

Interprétation de la teneur de la Loi, selon le capitaine Roger Parrish et les intervenants

Tenant compte du fait qu’il est reconnu que la Loi prive le témoin de son droit au silence, ces parties font valoir que certaines dispositions de la Loi n’accordent pas la protection indiquée, qui, en fait, est illusoire. Donner toute latitude à l’enquêteur pour ce qui est de décider si un témoin peut être représenté ou non par un avocat est tout à fait contraire aux concepts de l’équité, ainsi qu’aux dispositions de la Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, et de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

Il ne fait aucun doute qu’il est possible de satisfaire aux objectifs énoncés à l’article 7 de la Loi sans qu’un avocat soit présent. Les parties font toutefois remarquer que cet article, où il est dit que le Bureau n’attribuera ou ne déterminera pas les responsabilités civiles ou pénales, ajoute que « ses conclusions doivent toutefois être complètes, quelles que soient les inférences qu’on puisse en tirer à cet égard » (paragraphe 7(2)). L’enquête et le rapport publié par la suite pour signaler tout manquement à la sécurité, laisseraient entendre, de toute évidence, qu’il y a eu commission d’une faute. Bien que la preuve découlant de l’enquête ne soit pas exécutoire dans un contexte civil ou pénal, il est évident que d’autres organismes d’enquête ou de réglementation seraient influencés par les conclusions tirées et lanceraient leurs propres enquêtes. À titre d’exemple concret, il a été fait référence à l’incident regrettable survenu en 1992 à la gare maritime de Nanaïmo, où il y avait eu perte de vie. Dans les heures qui avaient suivi l’accident, le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, la Garde côtière canadienne, la Gendarmerie royale du Canada et le coroner ont entrepris une enquête. Par ailleurs, le gouvernement de la Colombie-Britannique a ouvert une enquête publique et la British Columbia Ferry Commission a entamé une enquête interne.

L’avocat fait valoir que, sans l’assistance d’un avocat, les témoins ne peuvent être protégés convenablement. L’article 14 de la Loi traite de la compétence exclusive du Bureau pour ce qui est de déterminer les causes et les facteurs d’un accident sur le plan de la sécurité, mais il n’empêche pas d’autres organismes d’agir. Sans l’assistance d’un avocat, le témoin est à la merci d’éventuels organismes de réglementation ou d’enquête qui, sans aucun doute, lanceront leur propre enquête. La place d’un avocat n’est certainement pas dans le couloir. Quelqu’un devrait être présent, ne serait-ce que pour veiller à ce que l’enquêteur n’excède pas les limites de son pouvoir et pour restreindre la mesure dans laquelle un témoin devrait être soumis à un interrogatoire.

Il est allégué qu’une lecture attentive de l’article 21 de la Loi soulève aussi des difficultés. Selon cette disposition :

21. (1) Dans le cas où le gouverneur en conseil n’a pas exercé le pouvoir qui lui est conféré par la partie I de la Loi sur les enquêtes de faire ouvrir une enquête publique sur un accident de transport, le président peut, si, dans le cours d’une enquête, le Bureau l’estime nécessaire et sous réserve de l’article 18, ordonner l’ouverture d’une enquête publique—conformément aux règlements d’application de l’article 34—et la remise d’un rapport par les personnes qu’il désigne à cette fin. Il peut lui-même tenir l’enquête et procéder à l’établissement du rapport, ou y participer.

Contrairement à ce que laisse entendre l’avocat du Bureau à propos des mesures de protection fournies, il est évident que le Bureau peut, à tout moment, transformer une enquête privée en enquête publique. Là encore, on restreint la protection qui, selon l’avocat du Bureau, est assurée au témoin.

D’après le paragraphe 23(2) de la Loi, le Bureau peut, après avoir imposé les conditions jugées nécessaires, permettre à une personne de suivre une enquête à titre d’observateur. L’alinéa 23(2)d) est rédigé en ces termes :

23. ...

(2) Sous réserve des conditions fixées par le Bureau, peut suivre à titre d’observateur l’enquête menée par celui-ci sur un accident de transport toute personne :

...

d) invitée par le Bureau au motif qu’elle est, de l’avis de celui-ci, directement intéressée par l’objet de l’enquête et susceptible de contribuer à la réalisation de sa mission.

Cette disposition permet à des membres de la Garde côtière canadienne de suivre l’enquête à titre d’observateurs.

En ce qui concerne le paragraphe 24(2), qui porte sur les rapports provisoires et la possibilité donnée à une partie intéressée de présenter ses observations avant la rédaction du texte définitif, le législateur, implicitement, doit avoir tenu pour acquis que, pour faire des observations, il faudrait qu’un avocat soit présent durant le témoignage. Sans la présence de ce dernier depuis le tout début, il est impossible de donner au témoin une « possibilité » de répondre au rapport provisoire.

Aux termes de l’article 25, le Bureau peut communiquer, à titre confidentiel, des rapports provisoires sur les conclusions d’une enquête, sur demande écrite d’un ministre responsable d’un ministère directement intéressé et de tout agent de la paix, organisme de réglementation ou coroner faisant enquête sur un accident où il y a eu perte de vie. À ce stade de l’enquête, rien n’est prévu pour protéger le témoin, qui n’a pas encore eu la possibilité de prendre connaissance des conclusions ou qui n’a pas reçu non plus l’aide d’un avocat. Sans la présence d’un avocat, le témoin qui comparaît devant un enquêteur, lequel n’a généralement pas suivi une formation juridique, peut se voir poser des questions vagues ou équivoques, ou qu’il comprend tout simplement mal. Si des faits importants sont omis, il est possible que le rapport provisoire soit inexact ou injuste dans son évaluation de l’accident.

L’article 30, brièvement, dispose que les déclarations sont protégées, mais il est précisé au paragraphe (4) que « le Bureau est tenu de mettre les déclarations à la disposition des agents de la paix autorisés par la loi à en prendre connaissance ». Le législateur, fait-on valoir, a certainement dû présumer que, dans de tels cas, un témoin serait assisté d’un avocat. Cette disposition prescrit aussi que les déclarations peuvent être mises à la disposition des coroners ou des personnes participant à une enquête coordonnée. Cela englobe manifestement la Garde côtière qui, à son tour, pourrait prendre des décisions ayant de sérieuses répercussions sur la réputation professionnelle d’une personne.

Il ne fait aucun doute que l’article 30 a aussi une incidence sur la protection assurée par le paragraphe (7), où l’interdiction de faire usage des déclarations ne s’applique pas dans les procédures au civil. Comme l’a indiqué l’avocat des intervenants, il est absurde de penser qu’un non-spécialiste possède la compétence voulue pour se lever devant un enquêteur et solliciter la protection de la Loi sur la preuve au Canada et de la Evidence Act de la Colombie-Britannique.

En résumé, la présence d’un avocat garantirait :

1) que l’on traite d’une manière équitable le témoin;

2) que l’on pose au témoin des questions appropriées, dans les limites de la législation applicable (des questions qui se rapportent à l’enquête);

3) que le témoin, lorsqu’il témoigne, est conscient de ses droits et obligations;

4) que le témoin n’est pas aux prises avec une difficulté de langage quelconque ou quelque autre déficience;

5) que l’on protège le témoin contre les questions équivoques ou celles qui appellent des conclusions sur une question de droit ou l’interprétation de la loi;

6) que l’on assiste le témoin pour qu’il puisse examiner comme il faut l’ébauche de rapport et y répondre convenablement.

En ce qui concerne l’effet de l’enquête sur le témoin, il ne fait aucun doute, allègue-t-on, que le résultat de toute enquête trouvera en faute, soit expressément soit implicitement, certaines des parties et aura une incidence négative sur la réputation et les possibilités d’emploi des témoins. Même si l’identité d’une personne est protégée, il est évident que tout le milieu maritime sait qui était aux commandes d’un navire lorsque celui-ci a été impliqué dans un incident. Lorsque des membres de la Garde côtière assistent à une enquête à titre d’observateurs, il leur est possible de contester l’accréditation d’un officier maritime et de priver ce dernier de ses moyens d’existence. La protection qu’assure la Loi est insuffisante; non seulement a-t-elle l’effet, inoffensif en apparence, de porter atteinte à la réputation, mais un témoin s’expose à une poursuite possible et à des ramifications négatives de ses droits.

L’avocat a ensuite entrepris de décrire les divers groupes sur lesquels cette nouvelle politique aurait une incidence négative si elle était adoptée. La Company of Master Mariners of Canada, qui compte 600 membres titulaires d’un brevet de capitaine, serait fort probablement touchée s’il survenait un incident maritime de quelque importance que ce soit. Les répercussions possibles seraient non seulement la perte de réputation d’un capitaine mais aussi la perte de son brevet, et, par conséquent, de ses moyens d’existence. La tension psychologique qu’entraîne à lui seul le fait d’être impliqué dans un incident maritime et d’être convoqué à brève échéance devant un enquêteur requiert certainement l’assistance et les conseils d’un avocat.

L’Association canadienne des pilotes de ligne, qui compte quelque 4 000 membres, a toujours eu droit à l’assistance d’un avocat dans le passé lorsqu’elle participait à une enquête. Les difficultés que vit un pilote à la suite d’un incident aéronautique sont indescriptibles. Une enquête pourrait porter gravement préjudice à son emploi. L’utilisation de rapports intérimaires par d’autres ministères, comme celui des Transports, pourrait mener à la prise de mesures correctives ou d’exécution de la loi à l’encontre d’un pilote. Les rapports que l’on rend publics sont communiqués à la presse et peuvent porter gravement atteinte à la réputation d’une personne sur le plan professionnel. Les rapports provisoires où l’on fait vaguement état d’une erreur de pilotage peuvent s’avérer fort préjudiciables pour la personne concernée.

La Guilde de la marine marchande du Canada, qui représente les officiers et membres d’équipage agréés travaillant à bord de navires, peut aussi subir les effets préjudiciables mentionnés précédemment. Un affidavit présenté au nom de cet organisme fait état d’un rapport que le Bureau avait établi et communiqué à la presse environ cinq jours avant d’en informer les parties intéressées; à cause de cela, la Guilde n’avait jamais eu la possibilité d’y répondre. Celle-ci fait remarquer que si, en théorie, une telle erreur n’aurait jamais dû se produire, en pratique, il arrive que ce soit le cas. La Guilde de la marine marchande du Canada exprime les mêmes craintes.

La British Columbia Coast Pilots Limited déclare à son tour que, dans des enquêtes visant à améliorer la sécurité, jamais il ne lui a été demandé de répondre sans l’assistance d’un avocat. Selon ce groupe, de nombreuses enquêtes ouvertes à la suite d’un incident important débouchent sur une action au civil, faisant état d’une collision survenue entre deux traversiers pour voyageurs à la suite de laquelle le Bureau a rédigé et rendu public un rapport préliminaire sur les circonstances de la collision sans en avertir les parties en cause et sans permettre non plus à ces dernières d’examiner le document avec un avocat. Le Bureau a même remis une copie du rapport préliminaire aux médias d’information.

Arguments de l’avocat du Bureau sur la jurisprudence applicable

Pas de droit absolu à l’assistance d’un avocat selon la common law

L’avocat du Bureau déclare que, selon la common law, une personne n’a droit à l’assistance d’un avocat que dans les cas de détermination de droits juridiques et que, dans les présentes circonstances, la Loi empêche qu’une telle détermination soit faite. Les enquêtes menées ne revêtent pas un caractère criminel et ne sont certainement pas assimilables à une procédure judiciaire. Il n’y a aucune question de droit à régler et, de ce fait, l’enquête n’a aucune répercussion importante sur quiconque. L’unique chose qui peut être réellement touchée en l’espèce est la réputation du capitaine Parrish, et non ses moyens d’existence.

L’avocat fait valoir que, d’un point de vue historique, le droit d’être représenté par un avocat est apparu dans le contexte judiciaire plutôt que dans celui des enquêtes. Il cite le juge Estey, dans Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.C.S. 181 [à la page 210] :

L’institution que représentent les avocats fait partie intégrante de notre système de droit depuis au moins sept siècles. La pratique du recours à un avocat, et plus tard le droit à l’assistance d’un avocat, emportait le droit pour le justiciable de s’adresser aux tribunaux par l’intermédiaire de son avocat ... [Soulignement ajouté.]

Selon moi, cependant, cette déclaration du juge Estey n’est qu’une introduction à un survol historique de l’évolution du droit administratif au fil des ans. Les principes du droit administratif ont certainement évolué depuis cette époque.

Il est allégué que le gros de la jurisprudence relative aux entités administratives confirme le droit à l’assistance d’un avocat dans des circonstances fort restrictives, notamment lorsqu’une enquête peut avoir de graves répercussions; que ces procédures ne se comparent pas à la présente situation puisque les enquêtes que mène le Bureau ne revêtent aucun caractère criminel et n’ont pour objet que de recueillir des informations. Pour étayer la prétention selon laquelle la pratique consistant à autoriser la présence d’un avocat est fort restreinte, l’avocat indique que même dans les cas où une sanction peut être imposée, le recours à un avocat est limité. Il m’a renvoyé à l’affaire Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (In re) et in re Husted, [1981] 2 C.F. 791 (1re inst.), où le juge Addy a déclaré ce qui suit, à la page 795 du recueil :

La common law ne reconnaît nullement le droit absolu de se faire représenter par un avocat à la personne susceptible de quelque sanction.

Je suis convaincu que dans cette affaire-là, le juge Addy faisait une exception particulière à cause du sujet en question. Il a lui-même considéré ces circonstances exceptionnelles comme espèce différente en faisant remarquer qu’il avait affaire aux Forces armées. Il a déclaré, à juste titre, que les tribunaux refusent habituellement d’intervenir dans des questions de discipline militaire [à la page 795] :

... lorsque, en raison de son objet ou de la nature de l’infraction reprochée, l’audition relève de l’administration interne et porte sur une question de discipline au sein d’un corps spécial comme une arme des forces armées ou une force de police ... Le service exige une telle absence de formalités sans lequel le fonctionnement quotidien du corps considéré et le maintien de la discipline interne seraient si lourds et prendraient tellement de temps que l’efficacité du service en souffrirait.

L’avocat allègue de plus que cette prétention est étayée par la décision Selvarajan v Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.), où, à la page 19, lord Denning écrit ceci :

[traduction] Cependant, l’organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n’est pas nécessaire qu’il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n’est pas tenu de permettre la présence d’avocats. [C’est l’avocat qui souligne.]

Une lecture attentive de la décision Selvarajan v Race Relations Board, précitée, me donne à penser que la phrase soulignée « Il n’est pas tenu de permettre la présence d’avocats » constitue une remarque incidente. La question que lord Denning avait à trancher, au vu des faits soumis, était de savoir si une commission avait agi à bon droit en faisant enquête sur une allégation de préjudice, et non pas celle de savoir s’il fallait qu’un avocat soit présent ou non. Lord Denning a finalement jugé que les tribunaux sont maîtres de leur propre procédure, à la condition d’agir équitablement. La question de savoir s’il fallait recourir ou non aux services d’un avocat n’était pas en cause. Il vaut la peine de reproduire ici le passage suivant, tiré des motifs de lord Denning (à la page 19) :

[traduction] La règle fondamentale est que dès qu’on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu’on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l’enquête et du rapport, il faut l’informer de la nature de la plainte et lui permettre d’y répondre.

Équité procédurale

L’équité est une notion souple et son contenu varie selon la nature de l’enquête et les conséquences qu’elle peut avoir pour les individus en cause. Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1987] 1 R.S.C. 181 [à la page 231].

Il est allégué que, par souci d’efficacité administrative et d’économie, une enquête devrait rencontrer le minimum d’obstacles. À l’appui de cette allégation, l’avocat du Bureau fait référence aux propos de lord Sachs dans l’affaire Re Pergamon Press Ltd, [1970] 3 All E.R. 535 (C.A.), aux pages 541 et 542 du recueil :

[traduction] ... dans la conduite de l’instance, il faut faire montre du degré de justice naturelle que lord Reid, dans la décision Ridge v Baldwin, qualifie d’« impossible à définir d’une manière exacte mais que tout homme raisonnable considérerait comme une procédure équitable dans des circonstances particulières » ...

La notion de fair play doit être appliquée d’une manière réellement souple de sorte qu’il soit possible de répondre à des situations fort différentes sans avoir à produire des procédures qui ne cadrent pas avec l’objet visé.

Je me permets de faire remarquer qu’il s’agit là aussi, selon moi, d’une remarque incidente et qu’il convient de signaler qu’à la page 542 du recueil, lord Sachs ajoute ce qui suit :

[traduction] ... ce sont les caractéristiques de l’instance qui l’emportent, non le ou les compartiments précis dans lesquels elles se situent—et l’une des principales caractéristiques de l’instance en cause en l’espèce se trouve dans l’obligation des inspecteurs, dans la capacité que leur attribue la Loi de rechercher les faits, de produire un rapport qui peut être rendu public et dont les conclusions peuvent donc causer un préjudice important à un individu. [C’est moi qui souligne.]

Bien que la décision définitive rendue dans l’affaire Re Pergamon Press Ltd, précitée, fût d’empêcher toute intervention et participation supplémentaires de la part d’un avocat, il est intéressant, selon moi, de citer de nouveau lord Sachs (à la page 543), qui déclare ceci à propos des principes généraux concernant la protection d’un témoin :

[traduction] Il s’agit simplement d’une chose dont il faut tenir compte, car les déclarations que font des témoins à ces inspecteurs ne jouissent pas d’une protection absolue. Il est souvent assez difficile de convaincre un citoyen à témoigner dans une affaire mettant en cause un accident de la route. Si on ne leur assure pas une protection, les citoyens hésiteront peut-être encore davantage à s’exposer au risque d’être eux-mêmes mêlés à un litige parce que, obéissant à leur devoir public, ils comparaissent à une enquête.

L’avocat du Bureau s’est fondé dans une grande mesure sur la décision Irvine c. Canada (Commission sur les pratiques restrictives du commerce), précitée. Il a mentionné et cité un certain nombre de passages qui décrivent, selon lui, l’évolution historique du « droit d’être représenté par un avocat » dans des causes intéressant le droit administratif. L’avocat fait valoir que le rôle du Bureau établi par la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports est fort similaire à celui de la « Commission sur les pratiques restrictives du commerce », telle qu’elle existait à l’époque. Il fait valoir que la Cour suprême du Canada, en analysant le cas de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, a jugé que cette dernière ne devait pas non plus déterminer s’il y avait existence d’une faute, mais se borner à recueillir des informations. Comme dans la présente espèce, la Commission avait le pouvoir de citer des personnes à comparaître; les enquêtes étaient menées par un directeur; ce dernier devait présenter des rapports provisoires exposant les éléments de preuve obtenus ainsi que son opinion quant à leur effet, et ces rapports étaient ensuite transmis au procureur général du Canada « pour examen sur la question de savoir si l’on a commis ou si l’ont est sur le point de commetre une infraction à la présente loi » [à la page 196]. Aucun élément de preuve dégagé de conclusions obtenues à huis clos ne serait recevable contre un individu dans une poursuite au criminel et l’avocat aurait l’occasion d’examiner les arguments du directeur et de formuler des commentaires avant que des décisions ultimes soient prises.

Il ne fait aucun doute que les deux lois présentent de nombreuses similitudes; je suis toutefois d’avis qu’en ce qui concerne la protection accordée aux témoins, la décision Irvine, précitée, est fort dissemblable de la loi qui régit le Bureau. Il faut faire remarquer que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions [L.R.C. (1985), ch. C-34 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19)] (aujourd’hui la Loi sur le Tribunal de la concurrence) confère à un individu le droit d’être assisté par un avocat lorsqu’il comparaît devant la Commission sur les pratiques restrictives du commerce. En fait, dans l’affaire Irvine, le juge Estey déterminait si un avocat pouvait ou non exercer des fonctions plus étendues, comme celle de contre-interroger d’autres témoins. La Cour suprême du Canada a décidé en fin de compte que les commissions ou les tribunaux sont maîtres de leur propre procédure. Je crois qu’il est important de souligner les distinctions qui existent entre la loi qui habilite le Bureau dont il est question en l’espèce et la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, lesquelles sont décrites en termes succincts aux pages 231 et 232 du jugement, et je paraphrase ici ce que la Cour a indiqué. En ce qui concerne le Bureau, des observateurs et d’autres organismes de réglementation peuvent être présents. Dans l’affaire Irvine, l’officier enquêteur ne pouvait rendre publiques les notes sténographiques du témoignage; seul le directeur pouvait publier un rapport sur l’enquête. En ce qui concerne le Bureau, les notes sténographiques peuvent, dans certains cas, être communiquées. Dans l’affaire Irvine, la preuve recueillie n’était pas publiée mais remise par le directeur uniquement à la personne contre laquelle une allégation pouvait avoir été faite, et cette personne devait avoir eu « l’occasion voulue de se faire entendre en personne ou par un avocat ». Il ressort clairement de la preuve qui m’a été soumise que cela n’est pas le cas devant le Bureau.

Je conviens que le juge Estey a déclaré en termes assez catégoriques que le principe de l’équité procédurale ne prévoyait pas toujours que l’avocat d’une personne avait le droit de contre-interroger d’autres témoins eux aussi présents, mais il a certainement sous-entendu qu’en général, un organisme administratif doit exercer ses fonctions dans les limites de l’obligation d’agir équitablement.

Selon l’avocat, la jurisprudence établit que les critères qu’une Cour doit analyser lorsqu’elle détermine si un témoin doit avoir droit ou non aux services d’un avocat sont en gros les suivants : les circonstances de l’espèce, les caractéristiques de la procédure, la nature du rapport qui en résulte, la diffusion publique du rapport, les sanctions qui peuvent s’ensuivre, leur nature et leur gravité, la complexité et la capacité d’un individu à comprendre la cause et à présenter sa défense, l’importance capitale de la controverse que l’affaire suscite pour l’individu en cause et la question de savoir si la réputation, la liberté ou les moyens d’existence d’une personne sont en jeu. Selon l’avocat, dans les circonstances actuelles, la présente affaire ne satisferait pas à ces critères. Il est d’avis qu’il s’agit simplement en l’occurrence d’une étape du processus administratif, celle de la collecte d’informations, et que la maxime audi alteram partem ne s’applique pas à un agent administratif qui s’occupe simplement de ce processus.

Je suis en désaccord complet avec cette prétention, eu égard aux circonstances de l’enquête menée par le Bureau. Je crois que la complexité des questions en cause, l’obligation de comparaître sans protection convenable et la diffusion publique d’un rapport qui, implicitement, trouve des personnes en faute constituent plus qu’un simple exercice de collecte d’informations.

L’avocat fait référence à l’affaire Ha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), T-1426-91 (C.F. 1re inst.), qui illustre selon lui un cas où la représentation par avocat était interdite à l’étape de la collecte d’informations. J’ai examiné cette décision et il convient de se rappeler que la Cour avait affaire à un demandeur du statut de réfugié qui, à ce stade particulier, n’avait acquis aucune qualité et sollicitait un redressement en demandant au ministre de réviser son cas pour des raisons d’ordre humanitaire. Il n’y avait aucune question de droit complexe à trancher. Le réfugié qui cherche à faire réviser son statut en s’adressant au ministre pour ces raisons se trouve déjà dans une position négative. L’issue du processus ne peut être que positive et, par conséquent, on ne prive la personne d’aucun droit.

Arguments des avocats du capitaine Parrish et des intervenants à propos de la jurisprudence applicable

Il est allégué que, d’une manière générale, il existe peu ou pas de jurisprudence qui porte directement sur la situation dont il est question en l’espèce. Les avocats font valoir qu’au fil des ans, le droit administratif a considérablement évolué. Dans leur argumentation, ils font état d’un certain nombre de décisions où il est souligné que dans les cas où intervient une obligation d’agir équitablement, suivant la complexité des questions en cause et les effets de la décision rendue, la jurisprudence serait en faveur de l’assistance d’un avocat devant un tribunal administratif.

Une loi qui habilite un tribunal à refuser le droit d’être représenté par un avocat doit le faire en termes clairs et explicites, surtout lorsque les droits d’individus sont en jeu. Les avocats renvoient la Cour à la décision Alliances des Professeurs Catholiques de Montreal v. Quebec Labour Relations Board, [1953] 2 R.C.S. 140, où le juge en chef Rinfret a écrit ce qui suit [à la page 154] :

Le principe que nul ne doit être condamné ou privé de ses droits sans être entendu, et, surtout sans avoir même reçu avis que ses droits seraient mis en jeu est d’une équité universelle et ce n’est pas le silence de la loi qui devraît être invoquer pour en priver quelqu’un. A mon avis, il ne faudrait rien moins qu’une déclaration expresse du législateur pour mettre de côté cette exigence, qui s’applique à tous les tribunaux et à tous les corps appelés à rendre une décision qui aurait pour effet d’annuler un droit que possédé par un individu.

Les avocats font valoir aussi qu’il faut considérer le droit à l’assistance d’un avocat dans le contexte de la justice naturelle. La nature de l’enquête menée par le Bureau, qui requiert un interrogatoire sous serment, est du type de celle qui exigerait implicitement qu’un avocat soit présent.

Bien que la Cour suprême, dans l’arrêt Irvine, ait refusé d’étendre les limites de la participation de l’avocat devant la Commission, les intervenants soutiennent que cet arrêt peut être interprété comme autorisant le droit à la participation d’un avocat dans certaines circonstances. Cet argument s’appuie sur les propos suivants du juge Estey, aux pages 231 et 232 du recueil :

Tout dommage à la réputation ou au droit de conserver une bonne réputation au sein de la collectivité dépend largement, et probablement entièrement, de la publication de la transcription des témoignages entendus par l’officier enquêteur. L’officier enquêteur peut éviter cette publication. Ce dommage ou ce préjudice pourrait être causé à un appelant si le directeur rendait public un rapport sur la preuve réunie au cours de son enquête.

De l’avis des intervenants, il ressort d’une analyse soignée de ces propos que si une commission, en recueillant des informations, porte atteinte à la réputation d’un témoin en publiant la transcription d’un témoignage qui pourrait porter préjudice à ce dernier, il faudrait lui accorder une protection accrue. Contrairement à l’arrêt Irvine, dans la présente espèce, le Bureau est tenu de rendre compte publiquement du résultat de son enquête, et l’absence d’un avocat à l’enquête fait obstacle au droit d’examiner comme il se doit l’ébauche de rapport.

Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, les parties se sont appuyées dans une grande mesure sur l’arrêt Irvine et les résultats qui en ont découlé. Aucun passage de cette décision n’est plus convaincant que celui qui figure à la page 206, où ressort clairement la distinction entre les deux lois applicables :

Voilà un aperçu général du régime de réglementation qu’établit la Loi. Toute son application se fait à huis clos, sauf s’il est ordonné que le rapport ou les audiences de la Commission soient rendus publics et s’il y a des poursuites. Au stade de la procédure administrative, que l’on a atteint en l’espèce, rien n’a encore été fait en public si ce n’est la requête adressée à la Cour fédérale et à cette Cour.

Il est allégué de plus que le fait de contraindre une personne à témoigner sous peine de sanction est une fonction judiciaire et non un simple exercice de collecte d’informations. En traitant du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, ch. L-1] dans l’affaire Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée c. A.C.P.L.A., [1988] 2 C.F. 493 (C.A.), la Cour fédérale du Canada avait affaire à une ordonnance de production de documents en vue de conclure une enquête et, lorsqu’il lui a été demandé d’envisager de ne pas tenir compte de la directive, la Cour a déterminé que l’ordonnance du tribunal était obligatoire, ajoutant ceci [à la page 499] :

... il a été statué par l’instance suprême que l’exercice du pouvoir légal de contraindre des personnes à témoigner et à produire des documents, même exercé par des organismes administratifs, est un acte judiciaire.

Les tribunaux sont généralement tenus de fournir à une personne des renseignements sur l’affaire qu’elle doit défendre, ainsi que la possibilité convenable de présenter des observations. Les intervenants font valoir que les allégations que l’on formule contre des témoins et qui pourraient entraîner la perte d’un emploi auraient une sérieuse incidence sur le droit d’être entendu convenablement si l’on refusait à ces personnes le droit à l’assistance d’un avocat. Il s’agit là d’un principe de justice naturelle largement reconnu que les tribunaux ont confirmé, même lorsqu’un tribunal jouit d’une latitude absolue dans l’exercice de ses fonctions administratives. Comme l’a écrit S. A. de Smith dans Judicial Review of Administrative Action, 3e édition, (1973), à la page 208 :

[traduction] Le fait que le dépositaire d’un pouvoir se trouve dans l’obligation d’« agir équitablement » est un principe depuis longtemps reconnu qui régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire, encore que son sens soit fatalement imprécis. Depuis 1967, les juges ont souvent recouru au concept de l’obligation d’agir équitablement pour dénoter l’existence d’une obligation procédurale implicite. En général, cela signifie le fait d’être tenu d’observer les notions élémentaires de la justice naturelle pour une fin limitée, dans le cadre de fonctions qui, d’un point de vue analytique, ne sont pas judiciaires mais administratives.

Il est indubitable que l’étendue du principe de l’équité est fonction des conséquences et de la nature de l’enquête, de même que des répercussions de cette dernière sur les personnes en cause. Dans la présente espèce, un témoin pourrait être confronté à un rapport défavorable qui aurait une incidence sérieuse ou négative sur ses droits sans avoir une possibilité équitable de présenter ses arguments avec l’assistance d’un avocat. Le fait que le Parlement, par l’entremise de cette Loi, exige la comparution d’un témoin, ce qui pourrait aboutir à la publication d’un rapport fort imparfait ayant une incidence sur la réputation ou les moyens d’existence d’une personne, sous-entend que le législateur supposait qu’un avocat serait présent.

Il est reconnu que la participation de l’avocat serait peut-être restreinte, mais il faudrait néanmoins assurer à un témoin des mesures de protection convenables.

Arguments des avocats du capitaine Roger Parrish et des intervenants à propos de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés

Les avocats du capitaine Parrish et des intervenants font valoir que dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, la Cour suprême du Canada n’a pas réglé la question de savoir si la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, ch. C-23, dans la mesure où cette dernière contraint des personnes à témoigner, viole l’article 7 de la Charte et qu’il est donc loisible à la présente Cour de conclure que les droits visés à l’article 7 s’appliquent et que le droit à l’assistance d’un avocat en découle automatiquement.

Pour que l’article 7 s’applique, il faut qu’il y ait privation, et cette privation doit être conforme aux principes de justice naturelle. Les avocats allèguent qu’aussitôt que l’État garde un citoyen en détention, le droit au silence entre en vigueur. La définition de « détention » a été interprétée comme étant suffisamment étendue (R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613) pour embrasser les personnes contraintes à témoigner sous serment sous peine de sanctions et d’autres mesures accessoires sérieuses. Ce type de coercition de la part de l’État mène à une privation de la liberté et au droit au silence. Ils font valoir que ce pouvoir de contraindre une personne à rendre témoignage et à produire est assimilable, par essence, à un pouvoir de citation. Dès l’instant où l’État met la main sur l’épaule d’un citoyen et exige de lui des réponses sous peine de sanction, le droit au silence est menacé et le droit à l’assistance d’un avocat apparaît nécessairement. Cela est valable encore plus quand le tribunal d’enquête va au-delà de la simple collecte d’informations et analyse les données pour en dégager des conclusions et des recommandations qui sont publiées. En l’absence de déclaration expresse dans la loi, le droit constitutionnel fondamental doit prédominer. Il faudrait donc juger que le droit à l’assistance d’un avocat existe. Par conséquent, de par cette privation, la première étape de l’application de l’article 7 est satisfaite.

Les avocats soutiennent de plus que toute perte d’une liberté ou, ainsi qu’il a été dit précédemment, le droit de garder le silence, ne peut être restreint qu’en accord avec les principes de justice fondamentale. Cela englobe par ricochet les principes de la common law en matière d’équité procédurale, et la jurisprudence étayerait la prétention selon laquelle la présence d’un avocat est obligatoire dans de tels cas.

Arguments de l’avocat du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports à propos de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés

L’avocat du Bureau fait valoir, quant à lui, que la présente espèce, qui met en cause une enquête de nature non criminelle, ayant pour objet de recueillir des informations, ne tombe pas sous le coup de l’article 7 de la Charte. Selon une interprétation judiciaire du droit au silence, les mesures de protection que confère l’article 7 ne s’appliquent pas dans les circonstances où la personne qui est appelée à témoigner n’est pas un accusé ou un suspect dans un contexte criminel (R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151 et Morena et autre c. La Reine et autres (1990), 90 DTC 6685 (C.F. 1re inst.)). Par ailleurs, comme il n’y a pas de privation de liberté, l’article 7 de la Charte n’est pas violé.

Selon l’arrêt R. c. Hebert, précité, pour déterminer les principes de justice fondamentale et savoir s’il y a eu privation d’un droit contraire à la justice fondamentale dans chaque cas, il faut examiner la common law et les articles 8 à 14 de la Charte. Les principes de la common law ne prévoient pas le droit d’être représenté par un avocat, et aucun des articles 8 à 14 ne s’applique en l’espèce.

L’avocat soutient subsidiairement que s’il advenait que la Cour juge que l’article 7 de la Charte a été violé, une telle violation serait raisonnable et justifiée dans une société libre et démocratique, aux termes de l’article premier.

L’objectif visé, la promotion de la sécurité dans le domaine des transports, est suffisamment important pour qu’il soit justifié de passer outre aux droits que l’article 7 confère au capitaine Parrish. La sécurité dans le domaine des transports est un sujet pressant et important qui justifie que l’on impose des limites quelconques aux droits du capitaine Parrish au silence et à l’assistance d’un avocat dans le contexte d’une enquête de nature non criminelle ayant pour objet de recueillir des informations.

Le critère de la proportionnalité qui est spécifié dans l’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, est satisfait, en ce sens que l’interrogatoire du capitaine Parrish est logiquement lié à l’objectif de promouvoir la sécurité dans le domaine des transports; interroger le capitaine Parrish hors de la présence d’un avocat ne porte atteinte à ses droits que dans une mesure minimale; et les effets qu’entraîne le fait d’interroger le capitaine Parrish sont proportionnels à l’objectif que vise le Bureau sur le plan de la sécurité.

CONCLUSION

Comme je l’ai indiqué précédemment, le droit qui régit les tribunaux ou les organismes administratifs en général a nettement évolué. Il ne fait aucun doute qu’un certain nombre d’enquêtes menées par des tribunaux administratifs peuvent se dérouler sans la présence d’un avocat. Il ressort de l’examen que j’ai fait de la jurisprudence que l’obligation d’agir équitablement implique la présence d’un avocat lorsque la combinaison d’une partie ou de l’ensemble des éléments suivants figurent dans la loi habilitante ou, alors, découlent de l’application pratique de la loi qui régit le tribunal en question : lorsqu’un individu ou un témoin est cité à comparaître, est tenu de comparaître et de rendre témoignage sous serment sous peine d’une sanction; lorsqu’une confidentialité absolue n’est pas garantie et qu’il n’est pas interdit à d’autres personnes d’être présentes; lorsque des rapports sont rendus publics; lorsqu’une personne peut se voir privée de ses droits ou de ses moyens d’existence; ou lorsqu’il peut s’ensuivre un préjudice irréparable de quelque autre nature. Cette liste, qui n’est pas exhaustive, fait ressortir les situations de fait dans la jurisprudence qui donnent lieu à la nécessité d’assurer une protection convenable par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un autre conseiller.

Il est indubitable que les offices ou les tribunaux sont maîtres de leur propre procédure et que, lorsqu’un témoin comparaît en compagnie de deux ou trois avocats, il est certainement loisible au Bureau de limiter non seulement le nombre de ces derniers mais aussi l’étendue de leur participation. Dans l’enquête dont il est question en l’espèce, le capitaine Parrish s’est présenté la plupart des fois en compagnie d’avocats représentant des intérêts divers. Il y en avait un qui le conseillait sur sa situation professionnelle et d’autres qui lui donnaient des conseils sur les intérêts qui pouvaient être en jeu en matière de responsabilité. Le Bureau peut être parfaitement libre d’interdire la présence de plus d’un avocat, et il appartiendrait à l’enquêteur de déterminer si la présence de plus d’un avocat entraverait sérieusement le déroulement de l’enquête. Dans la plupart des causes que j’ai examinées, la loi prévoyait la présence d’avocats, mais laissait au Bureau le pouvoir de déterminer sa propre procédure. Si l’on juge que la participation est injustement limitée, il est généralement possible de solliciter un contrôle judiciaire.

Le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports ne soumet à la Cour qu’un seul argument ou qu’une seule explication valable quant à la raison pour laquelle il souhaite refuser à un témoin le droit d’être représenté par des avocats : la présence de ces derniers retarderait indûment l’enquête et entraverait peut-être la collecte immédiate d’informations. Il est ainsi demandé à la Cour de refuser à une personne son droit au silence. Lorsqu’il survient un incident tragique et catastrophique, un témoin est cité dans les heures et, au mieux, les jours qui suivent, pour comparaître et rendre témoignage sous serment sous peine de sanction, tout en étant peut-être encore sous le choc des événements. Cette personne n’a peut-être pas la présence d’esprit voulue pour invoquer la protection de la Loi sur la preuve au Canada et de la Evidence Act de la Colombie-Britannique. La personne témoignerait devant un enquêteur qui, habituellement, n’a pas suivi de formation juridique et est susceptible de poser des questions équivoques pouvant même, dans certains cas, déborder le cadre des attributions du Bureau, peut-être aussi en présence du coroner, d’autorités policières ou de représentants d’un organisme de réglementation habilité à le priver non seulement de sa réputation mais aussi de son accréditation professionnelle et de ses moyens d’existence. Le témoin est ensuite confronté à des rapports provisoires qui sont parfois mis prématurément entre les mains des journalistes avant qu’il ait eu l’occasion de faire des commentaires. Dans de telles circonstances, je ne puis souscrire à l’argument du Bureau selon lequel la célérité administrative que requièrent les procédures l’emporte sur la nécessité de protéger un témoin par la présence d’avocats.

Après avoir passé en revue la jurisprudence et les arguments que les parties ont présentés, je suis persuadé que dans les circonstances de l’espèce, l’équité procédurale exige qu’il soit permis au témoin d’être accompagné d’un avocat à l’enquête. Compte tenu de cette conclusion, il n’est nul besoin selon moi d’analyser les arguments liés à la Charte.

Je réponds donc à la question posée par la négative.

Les dépens sont adjugés au capitaine Roger Parrish ainsi qu’à tous les intervenants.

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