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IMM-739-98

2006 CF 602

Istvan Szebenyi fils (demandeur)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié  : Szebenyi c. Canada (C.F.)

Cour fédérale, juge Heneghan—Toronto, 14 et 15 novembre 2005; Ottawa, 15 mai 2006.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration —  « Parrainage » — Action intentée en vertu de l’art. 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (Loi) afin d’obtenir réparation pour le traitement prétendument fautif de la demande de parrainage de la mère du demandeur présentée conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration et ses règlements d’application pour qu’elle obtienne la résidence permanente —  Le demandeur était un citoyen canadien qui parrainait ses parents de nationalité hongroise —  Le diabète sucré a été diagnostiqué chez la mère —  Elle a subi un examen médical, mais Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a demandé d’autres renseignements médicaux et des tests complets —  Le dossier médical n’a jamais été complété malgré les nombreuses demandes de renseignements et les délais à les fournir —  En fin de compte, la demande des parents a été rejetée quelque huit années après la présentation de la demande parce que la mère était non admissible pour raisons d’ordre médical conformément à l’art. 19(1)a)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration — L’appel du demandeur devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a été rejeté parce que le refus de l’agent des visas était valide en droit —  Dans son action, le demandeur a réclamé des dommages-intérêts au titre des troubles psychologiques et du choc nerveux qu’il a subis et au titre d’une perte économique à cause de la manière dont la demande de droit d’établissement de ses parents a été traitée —  Importance de la politique d’immigration —  L’admission d’un étranger au Canada est un « privilège » déterminé par la Loi sur l’immigration et ses règlements d’application —  Le demandeur n’avait aucun droit à la délivrance d’un visa pour ses parents et il n’avait aucun droit d’imposer son opinion sur la nécessité des analyses médicales —  Il n’avait que le droit de présenter une demande de parrainage et d’interjeter appel de la décision —  Il a choisi de ne pas exercer son droit de solliciter le contrôle judiciaire du refus de l’agent des visas —  La preuve n’autorisait pas les allégations de mauvaise foi et de manque de soin —  Bien que les professionnels de la santé aient formulé une évaluation et une recommandation dans le cadre d’une demande de résidence permanente, la décision de délivrer un visa appartenait, en dernier ressort, à l’agent des visas.

Couronne — Responsabilité délictuelle — Action intentée en vertu de l’art. 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (Loi) afin d’obtenir réparation pour le traitement prétendument fautif de la demande de parrainage de la mère du demandeur présentée conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration et ses règlements d’application pour qu’elle obtienne la résidence permanente — La responsabilité civile de l’État, selon ce que prévoit la Loi, est une responsabilité du fait d’autrui — Le demandeur doit prouver qu’une action en responsabilité civile pourrait être déposée contre un employé de l’État, en sa qualité personnelle, en raison des prétendus actes ou omissions — Le demandeur n’a pas prouvé que le prétendu préjudice émotif et pécuniaire était une conséquence directe des actes d’un des employés de la défenderesse qui se sont occupés de la demande de visa de sa mère — De même, les plaintes n’intéressaient pas directement le demandeur puisqu’il les a faites au nom de sa mère, qui n’était plus partie au litige.

Responsabilité délictuelle — Négligence — Action intentée en vertu de l’art. 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (Loi) afin d’obtenir réparation pour le traitement prétendument fautif de la demande de parrainage de la mère du demandeur présentée conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration et ses règlements d’application pour qu’elle obtienne la résidence permanente — Dans une action pour négligence, le demandeur doit établir une obligation de diligence, un manquement à cette obligation et que ce manquement a entraîné un préjudice — La démarche en deux étapes exposée par la Chambre des lords dans l’arrêt Anns v. Merton London Borough Council a été appliquée à l’égard de l’obligation de diligence — De même, la loi applicable (la Loi sur l’immigration) a été considérée pour savoir si la relation présentait la proximité requise entre les parties — Le lien entre le gouvernement et l’entité administrée n’est pas un lien caractérisé par une grande proximité sur le plan individuel, y compris en matière d’immigration — Il n’y avait aucune obligation de diligence prima facie à l’appui des prétentions du demandeur à l’encontre de la défenderesse — De plus, il existait des considérations générales résiduelles dans la loi susceptibles de conforter la Cour dans son refus d’imputer une responsabilité — Action rejetée.

Il s’agissait d’une action intentée en vertu de l’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (la Loi) afin d’obtenir réparation pour le traitement prétendument fautif de la demande de parrainage de la mère du demandeur présentée conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration et à l’ancien Règlement sur l’immigration de 1978 pour qu’elle obtienne la résidence permanente. Les parents du demandeur sont de nationalité hongroise. Le demandeur a obtenu le droit d’établissement au Canada en 1987 et il est devenu citoyen canadien en 1990. Au début de 1993, le demandeur a présenté une demande de parrainage de ses parents pour que la famille soit réunie parce qu’il est leur unique enfant et qu’aucun proche ne vit en Hongrie. Par la suite, ses parents ont présenté leur propre demande de résidence permanente. En 1986, un diabète de type 2 a été diagnostiqué chez sa mère.

Après avoir subi un examen médical effectué par un médecin désigné, le père fut déclaré en parfaite santé. Cependant, la mère, après avoir été hospitalisée et avoir subi d’autres examens, a été déclarée non admissible parce qu’elle souffrait de diabète. Un deuxième rapport médical préparé par un autre médecin désigné a été déposé. Un troisième rapport médical a été produit en juillet 1995, plus d’un an après le deuxième rapport médical. Il ressortait du rapport que tous les examens de laboratoire nécessaires n’avaient pas été faits et qu’une décision médicale définitive ne pouvait pas être prise tant que tous les renseignements médicaux demandés n’avaient pas été communiqués. Par ailleurs, le deuxième examen médical effectué en mai 1994 était devenu périmé quelque deux mois avant la réception des renseignements médicaux complémentaires, qui étaient par ailleurs incomplets.

Entre-temps, le demandeur avait présenté une demande de communication du dossier médical de sa mère en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Il a reçu une réponse et une copie des documents demandés, sauf un, quelque cinq à six mois plus tard. Les parents du demandeur seraient arrivés au Canada en avril 1996 en qualité de visiteurs.

Pendant son séjour au Canada, la mère du demandeur a été examinée par un troisième médecin désigné, qui a indiqué dans le rapport qu’il a rédigé en janvier 1997 que la mère était généralement en bonne santé et que toutes les analyses de sang et d’urine étaient négatives. Ce rapport a été présenté, mais il a été classé au mauvais endroit. Lorsque d’autres analyses médicales ont été demandées, le demandeur a engagé une action en dommages-intérêts de 6 000 000 $ contre le gouvernement du Canada relativement à la façon négligente avec laquelle sa demande de parrainage avait été traitée.

En août 2000, la demande de visa des parents du demandeur a été refusée parce que la mère a été jugée non admissible pour des raisons médicales conformément au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration. L’appel que le demandeur a déposé auprès de la Section d’appel de l’immigration a été rejeté, le refus de l’agent des visas étant valide en droit. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. Dans son action, le demandeur a réclamé des dommages-intérêts au titre des troubles psychologiques et du choc nerveux qu’il a subis à cause de la manière dont la demande de droit d’établissement de ses parents a été traitée. Il a aussi réclamé des dommages-intérêts pécuniaires au titre d’une perte de possibilités et d’une perte économique par suite des agissements des préposés, mandataires et employés de la défenderesse. Les parents ont été retirés comme parties à l’instance au moyen d’une ordonnance du tribunal. L’instance ne portait que sur la question de la responsabilité de la défenderesse.

Jugement  : l’action est rejetée.

L’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif dispose qu’une action en responsabilité civile peut être déposée contre Sa Majesté la Reine, mais l’article 10 restreint la portée de la responsabilité aux actes ou omissions des préposés de l’État lorsqu’il y a lieu en l’occurrence à une action en responsabilité contre leur auteur. La notion de responsabilité civile de l’État, selon ce que prévoit la Loi, est une responsabilité du fait d’autrui et non une responsabilité directe. Le demandeur doit prouver qu’une action en responsabilité civile pourrait être déposée contre un employé ou des employés de l’État, en leur qualité personnelle.

Il s’agissait de savoir si le demandeur avait prouvé, selon la prépondérance de la preuve, qu’il avait subi un préjudice ouvrant droit à réparation. Cette question faisait nécessairement intervenir les principes fondamentaux de la responsabilité civile en tant que cause d’action. La jurisprudence a établi que dans une action pour négligence, un demandeur peut obtenir gain de cause en établissant, à la satisfaction du tribunal, l’existence d’une obligation de diligence, qu’il y a eu manquement à cette obligation et que ce manquement a entraîné un préjudice. Pour savoir s’il y avait une obligation de diligence, la Cour a d’abord considéré la question du préjudice. La preuve démontrait que le demandeur avait souffert de dépression, mais elle ne permettait pas de dire que cet état ou ses autres ennuis de santé pouvaient être imputés aux préposés et mandataires de la défenderesse. Selon les rapports médicaux, le demandeur souffrait de dépression en 1994.

Le demandeur aurait pu solliciter un permis du ministre pendant les huit années qui se sont écoulées entre la présentation de la demande de parrainage et le rejet de l’appel par la Section d’appel de l’immigration, mais il ne l’a pas fait. Il n’a pas montré que le stress auquel il a été exposé était une conséquence directe des actes d’un des employés de la défenderesse qui se sont occupés de la demande de visa de sa mère.

La démarche en deux étapes qui fut exposée par la Chambre des lords dans l’arrêt Anns c. Merton London Borough Council et approuvée par les tribunaux canadiens a été appliquée à l’égard de l’obligation de diligence. À la première étape du critère, deux questions se posent  : 1) le préjudice subi était-il la conséquence prévisible de l’acte du défendeur; et 2) malgré la proximité des parties qui a été établie dans la première partie de ce critère, existe-t-il des motifs pour lesquels la responsabilité délictuelle ne devrait pas être engagée. La première étape du critère met l’accent sur les facteurs découlant du lien existant entre le demandeur et la défenderesse. Si l’on fait la preuve de la prévisibilité et de la proximité à la première étape, il y a une obligation de diligence prima facie. La simple prévisibilité ne suffit pas à établir une obligation de diligence prima facie. Le demandeur doit aussi prouver l’existence d’un lien étroit—que le défendeur avait avec lui une relation à ce point étroite et directe qu’il est juste de lui imposer une obligation de diligence dans les circonstances. Un facteur essentiel à considérer pour savoir si la relation présente la proximité requise est la loi applicable, s’il y en a une.

La loi applicable était l’ancienne Loi sur l’immigration, qui avait pour objet général de réglementer l’admission au Canada de personnes qui par ailleurs n’ont pas un droit d’y entrer. L’un de ses objets est la réunification des familles, comme il appert de l’article 3. Les tribunaux ont mis l’accent sur l’importance de la politique d’immigration. L’admission d’un étranger au Canada est un « privilège » déterminé par la Loi sur l’immigration et ses règlements d’application. Le lien entre le gouvernement et l’entité administrée n’est pas un lien caractérisé par une grande proximité sur le plan individuel, y compris en matière d’immigration. Le demandeur n’avait aucun droit à la délivrance d’un visa pour sa mère. Il n’avait aucun droit d’imposer son opinion sur la nécessité ou la pertinence des analyses médicales qui étaient demandées pour que les fonctionnaires de CIC soient en mesure d’évaluer la demande de sa mère. Il n’avait aucun droit, si ce n’est celui de présenter la demande de parrainage. Il a exercé son droit d’interjeter appel de la décision ultime et il a choisi de ne pas exercer son droit de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision, la voie de recours appropriée pour faire réformer les décisions des agents d’immigration et de la Section d’appel de l’immigration. Il n’y avait pas d’obligation de diligence prima facie et même si cette preuve avait été apportée, il existait des considérations générales résiduelles susceptibles de conforter la Cour dans son refus d’imputer une responsabilité à la défenderesse. Autrement dit, il ne serait pas juste, équitable et raisonnable que la loi applicable impose une obligation de diligence aux personnes chargées de la mise en application administrative de politiques d’immigration, à moins d’une preuve de mauvaise foi, de faute ou d’abus de procédure.

Le demandeur a allégué la mauvaise foi de divers agents d’immigration. Il a expressément fait référence au rejet déraisonnable de rapports médicaux, aux demandes excessives faites à sa mère pour qu’elle subisse de nouvelles analyses médicales, au manque de soin avec lequel le dossier de sa mère a été traité, etc. La preuve n’autorisait pas les allégations du demandeur. Les demandes d’analyses médicales et de renseignements médicaux ont été faites par des médecins agréés dans l’exercice de leurs fonctions, pour qu’ils soient en mesure de dire si la mère du demandeur était, selon la Loi sur l’immigration, admissible sur le plan médical. Finalement, les professionnels de la santé ont formulé une évaluation, qui était en fait une recommandation. La décision de délivrer un visa appartenait à l’agent des visas. Bien qu’il ait été établi que des documents ont parfois été mal classés, cela n’équivalait pas à mauvaise foi ou prévarication. Par ailleurs, ces plaintes n’intéressaient pas directement le demandeur. Il les a faites au nom de sa mère, qui n’était plus partie au litige. Le demandeur n’était pas créancier d’aucune obligation de diligence qui pouvait appuyer ses prétentions à l’encontre de la défenderesse. Le demandeur n’avait aucune cause d’action.

lois et règlements cités

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21), 3 (mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 36), 10 (mod., idem, art. 40).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 3 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2), 19(1)a)(ii).

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172.

Règles de la Cour fédérale, 1998, DORS/98-106, règles 104(1)a), 287, 288.

jurisprudence citée

décisions appliquées  :

Farzam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1659; Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537; 2001 CSC 79; Edwards c. Barreau du Haut-Canada, [2001] 3 R.C.S. 562; 2001 CSC 80.

décisions examinées  :

Szebenyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] D.S.A.I. no 1473 (QL); Newfoundland Processing Ltd. c. South Angela (Le), [1995] A.C.F. no 784 (1re inst.) (QL); W. v. Home Office, [1997] E.W.J. no 3289 (QL).

décision citée  :

Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.

ACTION intentée contre l’État en vertu de l’article 3 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif afin d’obtenir réparation pour le traitement prétendument fautif d’une demande de parrainage présentée conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration et à l’ancien Règlement sur l’immigration de 1978. Action rejetée.

ont comparu  :

Istvan Szebenyi, fils, pour son propre compte.

Lorne McClenaghan et Kristina S. Dragaitis pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier  :

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus par

La juge Heneghan :

I. Introduction

[1]Par déclaration déposée le 18 février 1998, M. Istvan Szebenyi, Mme Gizella Szebenyi et M. Istvan Szebenyi fils ont introduit une action contre Sa Majesté la Reine (la défenderesse) afin d’obtenir réparation pour le traitement prétendument fautif d’une demande de parrainage présentée à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) conformément à l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (la Loi sur l’immigration) et à l’ancien Règlement sur l’immi-gration de 1978, DORS/78‑172, et modifications (le Règlement).

[2]M. Istvan Szebenyi et Mme Gizella Szebenyi sont les parents de M. Istvan Szebenyi fils. Ils sont de nationalité hongroise. M. Istvan Szebenyi fils a obtenu le droit d’établissement au Canada en 1987 et il est devenu citoyen canadien en 1990. En mai 2000, M. Szebenyi père a demandé à la Cour l’autorisation de renoncer à son statut de demandeur dans la présente action. Depuis l’ordonnance du 4 octobre 2000 rendue par le protonotaire Lafrenière, M. Szebenyi père n’a plus le statut de demandeur.

[3]Le 13 septembre 2004, le protonotaire Lafrenière ordonnait que Mme Szebenyi soit retirée comme demanderesse, en application de l’alinéa 104(1)a) des Règles de la Cour fédérale, 1998, DORS/98‑106, et modifications (les Règles). Il a invoqué comme fondement de l’ordonnance l’inobservation de directives antérieures de la Cour se rapportant à la conduite de l’action. M. Istvan Szebenyi fils est donc maintenant l’unique demandeur devant la Cour (le demandeur).

[4]Après de longues procédures, notamment une tentative infructueuse de la défenderesse d’obtenir la radiation de la déclaration originale, celle déposée au nom du demandeur et de ses parents, au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable, puis une instance introduite devant la Cour d’appel fédérale et enfin une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada qui fut rejetée, la présente affaire a commencé d’être instruite à Toronto le 14 novembre 2005. Conformément à l’ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 24 juin 2005, les parties avaient soumis un dossier d’instruction en trois volumes, étant entendu que les documents qu’il contenait étaient admis sans devoir être prouvés et que toutes les pièces du dossier d’instruction feraient partie intégrante de la preuve aux fins du procès.

[5]Le dossier d’instruction renferme les copies des actes de procédure concernés, les copies de certaines ordonnances, les questions écrites de l’interrogatoire préalable adressé par le demandeur à la défenderesse, et les affidavits de l’agent des visas, Donald Cochrane, et du Dr George Giovinazzo, en réponse aux questions écrites de l’interrogatoire préalable. Le dossier d’instruction contient aussi la transcription de l’interrogatoire préalable du demandeur et ses réponses aux engagements découlant de cet interrogatoire. Il contient aussi les mémoires des parties antérieurs au procès, deux pièces documentaires antérieures au procès produites par le demandeur et un affidavit produit au nom de la défenderesse, accompagné de 48 pièces.

[6]Au procès, le demandeur a assigné le Dr Raymond Wu, un praticien de Markham, en Ontario, qui avait procédé à un examen médical de Mme Szebenyi en janvier 1997. Le demandeur voulait obtenir un témoignage d’opinion du Dr Wu. La défenderesse s’est opposée à la production du témoignage d’opinion du Dr Wu, compte tenu de l’absence d’un rapport d’expert, en application des Règles.

[7]Le fondement de la réclamation du demandeur est la manière prétendument fautive dont CIC a traité la demande de parrainage de sa mère qu’il avait présentée pour qu’elle obtienne la résidence permanente au Canada.

II. Les faits

[8]Le demandeur a obtenu le droit d’établissement au Canada en 1987. En 1990, il est devenu citoyen canadien. En 1992, il lui est venu l’idée de parrainer ses parents pour qu’ils viennent au Canada, de sorte que la famille se trouve réunie et que les grands‑parents puissent voir grandir leurs petits‑enfants, c’est‑à‑dire les enfants du demandeur. Le demandeur entendait parrainer la demande d’immigration de ses parents au Canada et rassembler la famille parce qu’il est leur unique enfant et qu’aucuns proches ne vit en Hongrie.

[9]En janvier et février 1993, le demandeur a communiqué avec le bureau de CIC par téléphone, pour s’informer de la procédure à suivre, et il a parlé avec un certain M. Milton Best. Selon le demandeur, à l’époque de cette première démarche, il avait expressément mentionné qu’en 1986, un diabète de type 2, aussi appelé diabète sucré, avait été diagnostiqué chez sa mère. Il a précisé au cours de son interrogatoire préalable que M. Best lui avait dit que l’état diabétique de sa mère ne poserait pas de difficultés aux agents canadiens de l’immigration dans la mesure où il n’y avait pas de complications. Le demandeur a dit qu’il s’était fondé sur sa conversation avec M. Best et qu’il en avait conclu que la demande de sa mère ne poserait aucune difficulté.

[10]Le 15 février 1993, le demandeur remplissait un « engagement d’aide » pour le parrainage de ses parents, en vue de leur immigration au Canada. M. Istvan Szebenyi père et son épouse Gizella Szebenyi déposaient le 28 avril 1993 une demande de résidence permanente au Canada.

[11]Le 7 mai 1993, une lettre était envoyée aux parents du demandeur, lettre qui les priait de communiquer avec l’ambassade du Canada à Budapest pour qu’ils subissent les examens médicaux qui étaient requis dans le cours du traitement de cette demande de résidence permanente. Les parents du demandeur se sont présentés à un médecin désigné, à Budapest, le 19 mai 1993. Un médecin désigné est un médecin local qui, selon CIC, a les qualités requises pour faire à l’étranger l’examen médical des éventuels immigrants.

[12]Le père fut déclaré en parfaite santé. Le rapport médical de la mère mentionnait qu’elle était atteinte du diabète sucré. On n’avait pas décelé la présence de protéines dans l’urine, ni un taux de glucose trop élevé dans le sang.

[13]Du 14 au 19 juin 1993, Mme Szebenyi fut hospitalisée à l’hôpital St. Stephen. Le rapport de l’hôpital qui fut rédigé mentionnait qu’elle avait été [traduction] « hospitalisée pour la régularisation de son diabète ». Le rapport mentionnait aussi qu’elle présentait [traduction] « une glycémie élevée ».

[14]Selon le demandeur, la première fois que les résultats de sa mère à des analyses de protéinurie avaient été positifs avait été en juin 1993. Une autre analyse avait été effectuée le 8 septembre 1993 par le médecin désigné, à Budapest; là encore, on avait décelé la présence de protéines dans l’urine. Par prudence, Mme Szebenyi avait conservé une portion de l’échantillon d’urine qui avait été analysé le 8 septembre. Selon le demandeur, elle avait remis cet échantillon à un laboratoire pour analyse indépendante le 10 septembre 1993, et l’analyse indépendante n’avait pas révélé la présence de protéines.

[15]Le 24 septembre 1993, le Dr George Delios, médecin agréé principal auprès de l’ambassade du Canada à Vienne, a rédigé un avis médical relatif à Mme Szebenyi. Ce document renfermait les observations suivantes :

[traduction] Cette candidate à l’immigration, âgée de 61 ans, souffre d’un diabète sucré qui est mal contrôlé, doublé de complications rénales et rétiniennes, qui sont appelées à s’aggraver, ce qui nécessitera l’attention constante d’un spécialiste ainsi qu’une hospitalisation pour la gestion des complications, entraînant de ce fait un fardeau excessif pour le système de santé.

Elle n’est pas admissible, en application du sous‑alinéa 19(1)a)(ii).

[16]Par une note de service en date du 27 septembre 1993, le Dr Delios transmettait au Dr Elliott, à Londres (Angleterre), le formulaire 1014 d’avis médical, en lui demandant de contresigner le document s’il partageait son opinion. Le Dr Delios avait jugé Mme Szebenyi [traduction] « non admissible pour raisons d’ordre médical », en lui attribuant la cote M‑5. Dans sa réponse datée du 2 octobre 1993, le Dr Elliott écrivait qu’il attribuerait à Mme Szebenyi la cote M‑7. Il n’a pas signé le formulaire d’avis médical.

[17]Par lettre datée du 17 décembre 1993, le Dr Delios transmettait les résultats d’autres analyses au Dr Bernstein, de la Section du contrôle d’évaluation et du soutien médico‑légal, à Ottawa.

[18]L’avis médical final du médecin agréé principal fut délivrée le 12 janvier 1994. Dans cet avis, le Dr Delios réitérait son opinion antérieure concernant l’état de santé de Mme Szebenyi et concluait qu’elle était non admissible pour raisons d’ordre médical, en application du sous‑alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l’immigration, parce qu’elle souffrait du diabète. À Ottawa, le Dr Bernstein souscrivit à cette évaluation, ainsi qu’en témoigne sa signature apposée sur le document.

[19]En avril 1994, les parents du demandeur furent convoqués pour un entretien à l’ambassade du Canada à Budapest. Ce jour‑là, M. Peter Duschinsky, conseiller en immigration et consul à l’ambassade, expliqua à Mme Szebenyi le sens de la non‑admissibilité pour raisons d’ordre médical. Il lui a dit qu’elle avait deux possibilités : soit demander un permis du ministre conformément à la Loi sur l’immigration, soit se soumettre à un nouvel examen médical. Le demandeur n’était pas présent lors de cet entretien, mais il a appris qu’il avait eu lieu, à la suite d’une conversation téléphonique qu’il avait eue avec sa mère. Il a téléphoné à l’ambassade du Canada à Budapest et, ainsi qu’il appert de son interrogatoire préalable, on lui a dit que ces deux possibilités avaient été présentées à sa mère.

[20]Sa mère a décidé de se soumettre à un nouvel examen médical, puis a communiqué avec un certain Dr Halmy, un médecin désigné qui avait pour mandat de faire l’examen médical des éventuels immigrants au Canada. Le Dr Halmy n’avait pas effectué le premier examen médical qui avait eu lieu en mai 1993.

[21]Le 18 mai 1994, le Dr Halmy rédigeait son rapport, dans lequel il écrivait que Mme Szebenyi était atteinte du diabète sucré. Il affirmait que la protéinurie et la glycémie étaient normales.

[22]Le 25 mai 1994, le Dr Delios envoyait de Vienne une lettre à Mme Szebenyi, dans laquelle il l’informait que son dossier médical ne pouvait pas être complété sans d’autres renseignements. De nouvelles analyses étaient requises, à savoir pour le taux d’azote uréique sanguin, le taux de créatinine dans le sang et le taux de protéines dans les urines sur une période de 24 heures.

[23]Dans l’intervalle, Mme Szebenyi avait été hospitalisée à Budapest durant la période allant du 12 mai au 19 mai 1994. Selon le certificat de sortie de l’hôpital qui a été produit par le demandeur en réponse aux engagements donnés durant son interrogatoire préalable, elle avait récemment montré une glycémie élevée le matin. Durant son interrogatoire préalable, le demandeur a d’abord dit que cette hospitalisation avait été « voulue » par sa mère, en précisant que le second médecin désigné, c’est‑à‑dire le Dr Halmy, lui avait conseillé de se rendre à l’hôpital. Finalement, le demandeur a dit qu’il « se pouvait » que le Dr Halmy lui ait donné ce conseil. Il n’y a pas de preuve documentaire permettant de penser que le médecin désigné a fait cette recommandation.

[24]Durant son interrogatoire préalable, le demandeur a dit que sa mère avait subi un test neurologique, c’est‑à‑dire une tomodensitographie, et qu’un rapport avait été rédigé le 7 juin 1994. Le demandeur a dit aussi, durant son interrogatoire préalable, que sa mère avait subi d’autres analyses de glycémie et de protéinurie en décembre 1994.

[25]Le 17 juillet 1995, l’ambassade du Canada à Vienne recevait du Dr Halmy un rapport daté du 14 juillet 1995 concernant Mme Szebenyi. Le Dr Halmy faisait le point sur la glycémie et la protéinurie et donnait une évaluation neurologique.

[26]Ce rapport fut suivi d’un échange de messages électroniques entre le Dr Delios à Vienne et M. Duschinsky à Budapest. Dans un message électronique daté du 17 juillet 1995, le Dr Delios écrivait ce qui suit :

[traduction] La candidate à l’immigration s’est vu attribuer la cote M‑5 le 12 janvier 1994.

Le 18 mai 1994, elle a subi de nouveaux examens (faits par le professeur Halmy). Les résultats de ces examens ont été reçus à nos bureaux le 24 mai 1994. Le 25 mai 1994, nous avons envoyé une demande de suivi au professeur Halmy, ainsi qu’une lettre à la candidate pour qu’elle communique avec son médecin. Ce n’est qu’aujourd’hui, 17 juillet 1995, que nous avons reçu du médecin désigné l’information demandée (plus de 13 mois plus tard!).

Entre‑temps, les examens médicaux sont devenus périmés. Nous vous remercions pour vos observations.

[27]Dans sa réponse du 4 août 1995, M. Duschinsky exprimait un doute sur la signification du rapport médical du Dr Halmy. Il se demandait si ce rapport montrait que Mme Szebenyi demeurait non admissible pour raisons d’ordre médical et, dans l’affirmative, il n’était pas certain qu’il valait la peine qu’elle se soumette de nouveau à des examens médicaux complets. En revanche, s’il était « bien possible » qu’elle ne serait pas refusée pour raisons d’ordre médical, alors elle devait « probablement » subir de nouveau la panoplie complète d’examens médicaux.

[28]Le Dr Delios a répondu au message électronique du 4 août 1995, affirmant qu’il ressortait du rapport du 14 juillet 1995 que tous les examens de laboratoire nécessaires n’avaient pas été faits. Il disait qu’il était par conséquent [traduction] « très difficile, voire impossible, de prédire si cette candidate à l’immigration sera ou non refusée ».

[29]Dans un message électronique daté du 24 août 1995, le Dr Delios décrivait ainsi à M. Duschinsky l’historique du dossier médical de Mme Szebenyi :

[traduction]

18 mai 1994

a) Examen médical—formulaire IMM 1017 rempli et rapport de laboratoire

b) Réception à nos bureaux le 24 mai 1994

c) Demande de suivi envoyée par la poste au professeur L. Halmy le 25 mai 1994, le priant de transmettre :

1. le rapport (traduit) d’un spécialiste du diabète concernant l’état de santé suivant et renfermant le détail des examens effectués, ainsi que l’étiologie, le diagnostic, le traitement et le pronostic du diabète sucré;

2. les résultats d’analyses mesurant la glycémie à jeun et postprandiale (2 heures), le taux d’azote uréique dans le sang et le taux de créatinine dans le sang (il s’agit là dans tous les cas d’analyses du sang);

Résultats d’analyses portant sur la protéinurie au cours d’une période de 24 heures;

Détails d’une ophtalmoscopie et d’une neuropathie périphérique s’ils sont également requis.

Le 16 juin 1995, nous avons reçu par télécopieur une demande du Dr A. Bernstein, directeur adjoint de l’Assurance de la qualité, à Ottawa, et nous lui avons répondu comme suit :

Le 17 juillet 1995, nous avons reçu un rapport de 25 lignes rédigé en hongrois et signé par le Dr Toth Ceza, ainsi que la traduction correspondante en cinq lignes, faite par le professeur L. Halmy—le rapport et la traduction portaient tous deux la date du 14 juillet 1995.

Prière de noter que la validité des examens médicaux était déjà expirée depuis huit semaines, et aussi que les renseignements médicaux reçus étaient incomplets étant donné que :

1. Aucun rapport d’un spécialiste du diabète n’était transmis;

2. Les résultats des analyses du sang et des urines étaient eux aussi incomplets—deux seulement des cinq résultats d’analyses ont été envoyés.

Nous envoyons par télécopieur la correspondance reçue d’Ottawa, notre réponse et les rapports de suivi.

[30]Le 29 août 1995, M. Duschinsky répondait au Dr Delios pour lui exposer comment il voyait les choses. Il envoyait aussi au Dr Delios copie d’une note de service qu’il avait transmise à la Section de réexamen des dossiers à Ottawa. M. Duschinsky présentait un compte rendu qui faisait le point sur la demande de parrainage, en indiquant la position adoptée par le demandeur, selon laquelle les conclusions des médecins étaient inexactes et se fondaient sur des erreurs. Il relevait que, à la suite du second examen médical du 18 mai 1994, une demande de renseignements complémentaires avait été envoyée le 25 mai 1994, et que rien n’avait été reçu avant le 17 juillet 1995 du médecin désigné. Il signalait aussi que le rapport du 17 juillet 1995 était incomplet et que, à l’époque, c’est‑à‑dire août 1995, le dossier demeurait incomplet.

[31]M. Duschinsky a demandé au bureau d’Ottawa [traduction] « d’expliquer au répondant que nous avons fait tout ce que nous pouvions faire », y compris informer sa mère de la possibilité d’obtenir un permis du ministre. Finalement, il a dit qu’une décision médicale ne pouvait pas être prise à propos de Mme Szebenyi tant que ne seraient pas communiqués tous les renseigne-ments médicaux demandés.

[32]Le 30 août 1995, le Dr Delios envoyait de Vienne une note de service au Dr Bernstein, directeur adjoint, Assurance de la qualité, concernant Mme Szebenyi. Cette note était censée faire suite à une demande d’accès à l’information se rapportant à Szebenyi Gizella Istvanne. Sans faire de plus amples commentaires, le Dr Delios expliquait qu’il lui était encore impossible de donner un avis formel sur la demande de Mme Szebenyi car l’examen médical antérieur, c’est‑à‑dire celui du 18 mai 1994, était devenu périmé quelque deux mois avant la réception des renseignements médicaux complémen-taires, outre que lesdits renseignements étaient par ailleurs incomplets. Le Dr Delios disait qu’il croyait qu’un nouveau rapport médical devait être demandé, mais que M. Duschinsky [traduction] « ne semble pas penser la même chose ». Il demandait l’avis du Dr Bernstein.

[33]Dans une note manuscrite portée sur le document se trouvant aux pages 805 et 806 du dossier d’instruction, le Dr Bernstein disait que les renseigne-ments complémentaires demandés en mai 1994 étaient nécessaires et que, tant qu’ils ne seraient pas tous obtenus, une nouvelle attestation médicale était exclue. Le Dr Bernstein reconnaissait que Mme Szebenyi pourrait encore une fois être jugée non admissible pour raisons d’ordre médical après que seraient communiqués les renseignements précisés dans la demande de mai 1994. Il relevait aussi que, si ces renseignements devaient se révéler non concluants, alors un nouvel examen médical serait requis.

[34]Le 14 septembre 1995, le Dr Delios communi-quait par courrier électronique avec M. Duschinsky, à qui il transmettait l’avis reçu du Dr Bernstein. Le même jour, le Dr Delios envoyait au Dr Halmy, à Budapest, une lettre énumérant les renseignements médicaux non reçus et expliquant que les analyses suivantes demeuraient nécessaires :

[traduction]

a)            Le rapport complet d’un diabétologue concernant l’état de santé suivant, et renfermant le détail des analyses effectuées, l’étiologie, le diagnostic, le traitement et le pronostic du DIABÈTE SUCRÉ (avec traduction en anglais ou en français).

b)            Les résultats d’analyses mesurant les taux d’azote uréique dans le sang et de créatinine dans le sang et la glycémie à jeun et postprandiale (2 heures), ainsi que les résultats d’analyses portant sur la protéinurie au cours d’une période de 24 heures.

c)            Le rapport d’un ophtalmologiste, avec détails de l’examen du fond de l’œil (avec traduction en anglais ou en français).

Notre administration centrale, à Ottawa, a été informée de ce qui précède et donne son assentiment; notre directeur adjoint demande lui aussi que tout rapport de spécialiste soit intégralement traduit en anglais ou en français.

[35]Il n’y a pas eu de réponse à cette lettre. Selon un message électronique envoyé le 9 février 1996 par le Dr Delios au Dr George Giovinazzo, médecin agréé auprès de CIC, un rapport daté du 24 janvier 1996 et rédigé par le Dr Winkler Gabor a été reçu à l’ambassade du Canada à Vienne le 9 février 1996. Dans son message électronique, le Dr Delios décrivait ainsi la substance du rapport en question :

[traduction]

Nous avons reçu ce matin, 9 février 1996, un rapport de consultation signé du Dr G. Winkler. Après examen du dossier, on relève ce qui suit :

a) le taux de protéines dans les urines au cours d’une période de 24 heures ne dépasse pas les limites normales;

b) ophtalmoscopie : aucune angiopathie diabétique n’est décelée;

c) l’examen neurologique indique lui aussi que les limites normales ne sont pas dépassées.

[36]Le Dr Delios écrivait que Mme Szebenyi avait été examinée à l’origine en mai 1993 et qu’elle avait été jugée non admissible pour raisons d’ordre médical en janvier 1994. Il exprimait l’avis que, eu égard à cet examen tout récent, le profil de Mme Szebenyi pouvait être haussé au niveau M‑3. Il demandait une opinion, mais disait aussi qu’il avait des doutes sur la validité de l’examen médical du 18 mai 1994.

[37]Le Dr Giovinazzo a répondu au Dr Delios le jour même. Il lui donna les raisons pour lesquelles un reclassement n’était pas possible. La première était l’absence d’un relevé de la présence de créatinine dans le sang, relevé qui [traduction] « est essentiel pour l’évaluation de cette candidate à l’immigration ». Il fit aussi remarquer que l’on ne pouvait pas hausser au niveau M‑3 le profil de Mme Szebenyi à ce stade puisqu’elle ne justifiait pas d’un examen médical susceptible de la rendre admissible. Il donnait l’explication détaillée suivante :

[traduction]

Comme vous le savez, le Dr Fortin a déjà envoyé des messages à l’étranger disant qu’il ne devrait y avoir AUCUNE prorogation de validité des examens médicaux au‑delà de la période normale d’un an lorsque l’intéressé est déclaré admissible. Pour les personnes déclarées NON ADMISSIBLES, la validité des examens médicaux n’a pas de date d’expiration (c’est‑à‑dire que les évaluations M4, M4/5, M5, M6, M6/7 et M7 n’ont AUCUNE date d’expiration). Les dossiers M1, M2 et M2/3 ne sont tous valides que durant un an à compter de la date de l’examen médical initial pour le MS1017 (ou durant un an à compter de la dernière radiographie thoracique postéro‑antérieure si la radiographie a été prise avant l’examen médical pour le MS1017). Pour reclasser aux niveaux M1, M2 ou M2/3 le profil d’un patient, il faut avoir à disposition un examen médical complet effectué au plus douze mois avant la date de l’évaluation d’admissibilité.

Donc, pour répondre à votre question : Sans un nouvel examen médical, il est impossible d’attribuer à ce dossier les cotes M1/M3/M2,3.

[. . .]

[. . .] Comment résoudre ce problème? Je vous suggère de notifier à l’agent des visas compétent les indications suivantes : « Je viens de recevoir de nouveaux renseignements médicaux (en date du 24 janvier 1996) concernant cette candidate. Comme vous le savez, cette candidate s’est déjà vu attribuer le niveau M5 en janvier 1994. Selon cette nouvelle information, l’intéressée pourrait maintenant être reclassée, pour l’immigration au Canada, à un niveau qui la rende admissible sur le plan médical (c’est‑à‑dire le niveau M3). Compte tenu de cette nouvelle information, vous voudrez sans doute délivrer de nouveaux documents médicaux pour cette personne, puisque les anciens ne sont plus valides et ne permettent donc plus de la déclarer admissible sur le plan médical. » Il appartiendra alors à l’agent des visas de décider ou non d’émettre de nouveaux documents médicaux (il pourrait effectivement avoir d’autres motifs de ne pas vouloir rouvrir à ce stade le dossier de cette candidate).

[38]Finalement, le Dr Giovinazzo soulignait que les médecins agréés tels que le Dr Helios ne sont pas autorisés à délivrer de nouveaux documents médicaux. C’était là le rôle de l’agent des visas, qui seul peut décider de délivrer ou non ces documents.

[39]Par lettre datée du 21 février 1996, le bureau de Vienne écrivait à Mme Szebenyi pour lui demander de communiquer avec l’ambassade du Canada. Elle ne l’a pas fait. Aucun nouveau renseignement médical n’a été communiqué avant le début de 1997.

[40]Une explication de la lenteur à recevoir les renseignements médicaux requis a été donnée par le demandeur durant son interrogatoire préalable. Il était devenu soupçonneux des résultats obtenus à la suite des examens médicaux effectués pour CIC. En novembre 1994, il avait présenté, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, et modifications, une demande de communication du dossier médical de sa mère. Durant son interrogatoire préalable, il a dit que, à la fin de 1994, il n’avait pas conseillé à sa mère de refuser de subir d’autres analyses. Il a confirmé que, à l’époque, il savait que l’examen médical entrepris à des fins d’immigration n’était valide que pour un an. S’il n’a pas fait avancer la demande de parrainage ni demandé d’autres renseignements à cette époque, c’est parce qu’il trouvait qu’on abusait de leur patience, à lui et à ses parents.

[41]Il s’est écoulé environ cinq à six mois avant que le demandeur reçoive une réponse à sa demande d’accès. En avril 1995, il a déposé une plainte en règle à l’encontre du délai de réponse. Il a reçu le 23 mai 1995 une réponse à sa demande d’accès, avec copie des documents qu’il avait demandés, à l’exception du rapport neurologique du 7 juin 1994.

[42]Au printemps de 1994, le demandeur a communiqué avec son député, pour solliciter son aide. Le bureau de M. Eggleton a correspondu avec l’ambassade du Canada à Budapest, et, par lettre datée du 15 août 1994, M. Duschinsky envoya à M. Eggleton une longue lettre décrivant l’historique de la demande de parrainage et se référant à la demande de communi-cation des résultats d’autres analyses médicales.

[43]Le demandeur a écrit à la Commission canadienne des droits de la personne en 1995. Par lettre datée du 16 juin 1995, il fut informé que l’objet de sa demande de renseignements, c’est‑à‑dire la délivrance d’un visa à sa mère, ressortissait à la compétence de CIC et que la Commission des droits de la personne ne pouvait pas donner suite à sa plainte.

[44]Le demandeur a aussi envoyé une lettre, accompagnée de documents, au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de l’époque, en juin 1995, lui demandant de l’aider à faire aboutir les demandes de visas. Le cabinet du ministre a accusé réception de sa lettre par lettre datée du 10 juillet 1995.

[45]En mars 1996, le demandeur signait un avis d’appel à la Section d’appel de l’immigration. L’avis fut reçu par la Section le 2 mai 1996. Durant son interrogatoire préalable, il a dit que, s’il avait fait cette démarche, c’est parce qu’il avait le sentiment que la demande de visa de sa mère serait refusée. Le demandeur était représenté par une avocate dans le dépôt de cet appel. Il fut informé par son avocate qu’aucune décision n’avait été rendue sur la demande de visa de sa mère et que le dossier demeurait ouvert. Son avocate a semble‑t‑il cessé de le représenter avant la tenue d’une conférence préparatoire devant la Section d’appel de l’immigration le 13 novembre 1996. Le demandeur, accompagné de sa mère, s’est présenté à la conférence préparatoire devant la Section d’appel de l’immigration. On lui a dit qu’il y avait deux possibilités : soit sa mère sollicitait un permis du ministre, soit elle se soumettait à nouveau à un examen médical complet.

[46]Le demandeur a témoigné qu’il avait dit à son avocate de faire appel, devant la Cour fédérale, de la décision de la Section d’appel de l’immigration : toutefois, il ne lui a pas expressément demandé d’obtenir une ordonnance de mandamus. Quoi qu’il en soit, aucune demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’a été déposée.

[47]Comme je l’ai dit, Mme Szebenyi s’est présentée à la conférence préparatoire en novembre 1996. Selon le demandeur, ses parents sont arrivés au Canada le 18 avril 1996 en qualité de visiteurs. Il semble que Mme Szebenyi n’a pas reçu la lettre du 21 février 1996, envoyée à leur adresse à Budapest, parce qu’elle‑même et son mari avaient déménagé à la fin de 1994. Le demandeur a dit que ce n’est qu’en août 1996 qu’il a eu connaissance de la lettre du 21 février 1996, dans une lettre reçue de son avocate. Durant son interrogatoire préalable, il a dit que ses parents avaient oralement informé l’ambassade du Canada à Budapest de leur changement d’adresse. Toutefois, il n’a produit aucun document montrant que l’ambassade avait été informée de ce fait.

[48]Le demandeur s’est adressé à une graphologue au Canada pour qu’il examine la signature de sa mère sur le formulaire du premier examen médical, c’est‑à‑dire le formulaire daté du 19 mai 1993. Le 14 juin 1996, il recevait de la graphologue un rapport dans lequel elle disait que le formulaire ne portait pas la signature de sa mère. L’analyse effectuée par la graphologue se fondait sur une photocopie du formulaire du 19 mai 1993. Le demandeur a pris cette mesure parce qu’il avait des doutes sur le contenu de ce formulaire.

[49]Finalement, Mme Szebenyi est examinée par un troisième médecin désigné, au Canada, le Dr Raymond Wu. Dans son rapport en date du 31 janvier 1997, il écrit que Mme Szebenyi est généralement en bonne santé et que toutes les analyses de sang et d’urine ont été négatives.

[50]Ce rapport a été présenté à l’ambassade à Vienne, mais il a été classé au mauvais endroit en raison d’une mention erronée qu’aucun examen médical antérieur à des fins d’immigration n’avait été effectué. Par lettres datées du 13 mars 1997 et du 29 septembre 1997, le bureau de Vienne a demandé d’autres renseignements médicaux. La lettre du 29 septembre 1997 énumérait expressément cinq analyses de labora-toire, dont celle concernant la présence de créatinine dans le sang et celle concernant l’hémoglobine A.

[51]Mme Szebenyi ne s’est pas présentée pour ces analyses. À partir de ce moment‑là, le demandeur a conseillé à sa mère de ne pas se soumettre à d’autres analyses. À son avis, les analyses n’étaient pas requises et n’étaient pas validement exigées. En décembre 1997, le demandeur décida d’engager une action contre le gouvernement du Canada pour obtenir réparation d’un préjudice qu’il imputait à la façon négligente avec laquelle sa demande de parrainage avait été traitée.

[52]La déclaration fut déposée le 16 février 1998. Jusqu’à cette date, aucun refus de la demande n’avait été décidé par CIC. Dans la déclaration originale, le demandeur et ses parents voulaient un dédommagement se chiffrant à 9 000 000 $. La demande fut plus tard ramenée à 6 000 000 $.

[53]Par lettre datée du 16 août 2000, l’agent des visas Donald Cochrane refusa la demande de visa présentée par M. et Mme Szebenyi. La lettre était adressée à M. Szebenyi et l’informait que la demande de visa était refusée parce que son épouse à charge, Mme Gizella Szebenyi, avait été jugée non admissible au Canada pour raisons d’ordre médical, conformément au sous‑alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l’immigration.

[54]M. Cochrane a relaté l’historique des examens médicaux subis par Mme Szebenyi. Il a expliqué que l’unique évaluation médicale complète apparaissant dans le dossier était celle de 1994. Il a mentionné qu’un appel pouvait être interjeté à la Section d’appel de l’immi-gration.

[55]Après réception de la lettre de refus du 16 août 2000, le demandeur a déposé un appel auprès de la Section d’appel de l’immigration. Dans des motifs écrits datés du 28 novembre 2001 [[2001] D.S.A.I. no 1473 (QL)], la Section d’appel de l’immigration a rejeté l’appel. Elle a conclu que le refus de l’agent des visas était valide en droit. Selon elle, le demandeur avait, par ses agissements, remis en cause les conclusions des médecins agréés, et la décision de l’agent des visas de s’en remettre à l’avis médical de 1994 était raisonnable et valide en droit.

[56]Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision de la Section d’appel de l’immigration. Il a décidé plutôt de poursuivre l’action en dommages‑intérêts dont il s’agit ici.

[57]Le demandeur dit qu’il a subi des troubles psychologiques et un choc nerveux à cause de la manière dont la demande de droit d’établissement de ses parents a été traitée. Il dit aussi qu’il a subi un préjudice pécuniaire, à savoir une perte de possibilités et une perte économique, par suite des agissements des préposés, mandataires et employés de la défenderesse.

III. La preuve

[58]Les détails susmentionnés proviennent des pièces produites, en particulier la pièce documentaire du demandeur antérieure au procès et l’affidavit de Mme Rehal, produit au nom de la défenderesse. Selon la transcription de l’audience, le demandeur et la défenderesse s’étaient entendus sur l’utilisation, au procès, des documents contenus dans le dossier d’instruction. On peut lire ce qui suit, aux pages 1, 2, 3 et 4 de la transcription :

[traduction]

M. McCLENAGHAN : Madame la juge, je viens d’avoir une conversation avec le demandeur. Ce sur quoi les parties se sont mises d’accord, c’est que tout document qui se trouve dans le dossier d’instruction est, pour l’essentiel, admis, et que vous pouvez le recevoir comme preuve et l’examiner. Il n’est donc pas nécessaire de prouver l’un quelconque des documents provenant de Citoyenneté et Immigration—nous en avons discuté.

[…]

M. McCLENAGHAN : C’est exact. Vous avez dit aussi qu’il y a deux affidavits dans le dossier d’instruction : un affidavit de Donald Cochrane, qui résulte des questions écrites du demandeur, que le demandeur a dit souhaiter soumettre à la Cour, et qui est naturellement recevable en application de l’article 268 des Règles; et aussi l’affidavit de George Giovinazzo, qui est la réponse de la défenderesse aux questions écrites du demandeur, lesquelles nécessitaient une opinion médicale.

Ces affidavits sont donc dans le dossier d’instruction, et le demandeur voudrait qu’ils soient produits comme preuve.

S’agissant de [. . .]

LA COUR : Un petit instant. Ils sont dans le dossier d’instruction; la défenderesse ne s’oppose donc pas à ce qu’ils soient produits comme preuve.

M. McCLENAGHAN : Oui.

LA COUR : Très bien.

M. McCLENAGHAN : Cependant j’avais cru comprendre lors de la dernière conférence de gestion de l’instance que le demandeur souhaitait leur dépôt comme preuve, mais il est certainement exact qu’il ne s’oppose pas à leur admission.

S’agissant de la transcription de l’interrogatoire préalable de la défenderesse, ou plutôt du demandeur, elle fait partie du dossier d’instruction. Je suis tout à fait d’accord pour qu’elle soit examinée par la Cour. Je dirais cependant que d’importants extraits de la transcription constituent une preuve par ouï‑dire, ou plutôt qu’il y a des preuves par ouï‑dire dans la transcription. Je pourrais donc décider—et je m’en remets ici à la Cour—que l’interrogatoire préalable du demandeur contient des passages que je souhaiterais inclure dans mon argumentation.

LA COUR : Très bien.

M. McCLENAGHAN : Je pourrais me limiter à cela plutôt que vous faire examiner toute la transcription, qui contient 200 pages. Encore une fois, elle est chargée de dépositions faites sur la foi d’autrui, et il vaudrait peut‑être donc mieux que je me borne à présenter comme preuve les parties pertinentes.

LA COUR : Bon, en présentant comme preuve les parties pertinentes, ou en présentant comme preuve ce que vous voulez, vous adoptez alors cette preuve en tant que preuve de la défenderesse.

[59]Le demandeur a fait une déclaration liminaire au cours de laquelle il s’est référé à divers documents. Conformément à l’article 287 des Règles, il avait remis le double d’une vidéocassette à l’avocat de la défenderesse, accompagnée d’une lettre datée du 18 novembre 2003, et il a donné avis de son intention de produire cette vidéocassette au procès comme preuve matérielle. La vidéocassette porte sur l’analyse d’urine subie par Mme Szebenyi à l’été de 2003.

[60]Le demandeur a assigné un témoin au procès, à savoir le Dr Wu, un médecin désigné, qui avait fait le troisième examen médical de Mme Szebenyi au Canada le 31 janvier 1997. Au procès, le demandeur a voulu produire le témoignage d’opinion du Dr Wu à propos des analyses auxquelles devait se soumettre Mme Szebenyi. Il voulait aussi interroger le Dr Wu sur la vidéocassette. L’avocat de la défenderesse s’est opposé à la production d’un témoignage d’opinion du Dr Wu puisqu’aucun rapport d’expert n’avait été déposé en application des Règles. L’avocat de la défenderesse s’est également opposé à la production de la vidéocassette comme preuve, en alléguant l’absence de pertinence.

[61]Les objections de la défenderesse ont été admises, et le Dr Wu n’a pas été autorisé à produire un témoignage d’expert. Quant à la vidéocassette, elle a été marquée comme pièce et visionnée, sous réserve ultérieurement d’une décision sur sa pertinence. J’arrive à la conclusion que la vidéocassette n’intéresse pas les points soulevés, et il n’en sera pas tenu compte.

[62]Quant à la défenderesse, elle s’est fondée sur les documents déposés dans le dossier d’instruction, bien que son avocat ait exprimé certaines craintes quant à l’examen, par la Cour, de la transcription intégrale de l’interrogatoire préalable du demandeur, affirmant que la transcription était « chargée » de dépositions faites sur la foi d’autrui. La défenderesse a choisi, conformément à l’article 288 des Règles, de présenter comme preuve les questions suivantes de l’interrogatoire préalable du demandeur :

Questions 157, 158, 277 à 286, 338, 365 à 379, 406 à 421, 504, 505, 551 à 565, 705 à 711, 745 à 777, 786 à 788, 846, 847, 865 à 867, 977 à 986, 1014 à 1025, 1133 à 1138, 1157 et 1158.

Conformément à l’article 288, une partie peut présenter comme preuve tout extrait des dépositions recueillies à l’interrogatoire préalable d’une partie adverse et adopter cette preuve comme si elle était la sienne.

[63]La défenderesse a prétendu se fonder sur l’article 288 des Règles pour les affidavits produits par M. Cochrane et le Dr Giovinazzo. Toutefois, à mon avis, elle ne le peut pas puisque ces affidavits ont été remis au demandeur dans le cadre de son interrogatoire préalable. Le demandeur était libre d’utiliser cette preuve conformément à l’article 288 s’il le souhaitait, mais je ne suis pas persuadée que c’est ce qu’il a voulu faire. Ce n’est qu’au cours de ses arguments liminaires que le demandeur s’est référé auxdits affidavits.

[64]Dans la décision Newfoundland Processing Ltd. c. South Angela (Le), [1995] A.C.F. no 784 (1re inst.) (QL), la Cour avait refusé de permettre à une partie d’utiliser comme preuve, durant le procès, l’interrogatoire préalable de l’un de ses propres éventuels témoins. En l’espèce, le dossier d’instruction ne permet pas d’affirmer que la défenderesse pouvait utiliser comme sa propre preuve les affidavits de M. Cochrane et du Dr Giovinazzo. J’accorderai peu de poids auxdits affidavits. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis qu’ils n’intéressent pas le point essentiel à décider, celui de savoir si le demandeur a une cause d’action.

IV. Les points litigieux

[65]Par ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 24 juin 2005, la présente instance ne devait porter que sur la question de la responsabilité. Si la défenderesse est jugée responsable, alors elle sera condamnée à des dommages‑intérêts.

[66]L’ordonnance du 24 juin 2005 définissait ainsi les points litigieux :

[traduction]

2. Les points à décider au procès sont les suivants :

a) le demandeur a‑t‑il une cause d’action valable ou l’intérêt pour agir dans la présente instance?

b) dans l’affirmative, la défenderesse a‑t‑elle commis une faute ou est‑elle d’une autre manière responsable du préjudice qu’aurait subi le demandeur parce que la demande de droit d’établissement au Canada présentée par sa mère a été rejetée pour des raisons d’ordre médical?

V. Examen et décision

[67]La réclamation du demandeur est le seul point dont est maintenant saisie la Cour. À la suite du retrait de son père en tant que demandeur, conformément à l’ordonnance du protonotaire Lafrenière rendue le 4 octobre 2000, la procédure introduite par le père a été abandonnée.

[68]L’autre ordonnance du protonotaire Lafrenière, rendue le 13 septembre 2004 conformément à l’alinéa 104(1)a) des Règles, a eu pour effet le retrait de Mme Gizella Szebenyi comme partie à l’instance. Cela équivaut à désistement d’action en ce qui la concerne. L’unique procédure dont la Cour est saisie concerne donc l’action du demandeur.

[69]Le demandeur invoque, au soutien de son action, la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C‑50 [art. 1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 21)], et modifications (la Loi) et la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], et modifications. Conformément à l’article 3 [mod. par L.C. 2001, ch. 4, art. 36] de la Loi, une action en responsabilité civile peut être déposée contre Sa Majesté la Reine. L’article 3 concerne notamment ce qui suit :

3. En matière de responsabilité, l’État est assimilé à une personne pour :

[. . .]

b) dans les autres provinces :

(i) les délits civils commis par ses préposés,

(ii) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l’occupation, à la possession ou à la garde de biens.

[70]La grande portée de l’article 3 est limitée par l’article 10 [mod., idem, art. 40] de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

10. L’État ne peut être poursuivi, sur le fondement des sous‑alinéas 3a)(i) ou b)(i), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu’il y a lieu en l’occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité contre leur auteur, ses représentants personnels ou sa succession.

[71]Les faits déterminants en ce qui concerne le demandeur sont les suivants : en tant que citoyen canadien, il a présenté une demande de parrainage de ses parents, qui sont de nationalité hongroise, pour qu’ils deviennent des résidents permanents du Canada. Cette demande était régie par la Loi sur l’immigration et le Règlement. C’est à l’agent des visas, non au demandeur, qu’il appartenait de dire si M. et Mme Szebenyi remplissaient les conditions d’admissibilité, y compris l’admissibilité sur le plan médical, fixées par la législation et la réglementation.

[72]Le demandeur a exercé son droit de contester la procédure qui a conduit au refus des visas, en faisant appel de la décision de l’agent des visas à la Section d’appel de l’immigration. Il a décidé de ne pas solliciter le contrôle judiciaire de cette décision quand son appel a été rejeté.

[73]Ces faits justifient‑ils le dépôt d’une action en responsabilité civile contre la défenderesse?

[74]La notion de responsabilité civile de l’État, selon ce que prévoit la Loi, est une responsabilité du fait d’autrui et non une responsabilité directe, comme l’expliquait récemment le juge Martineau dans la décision Farzam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1659. Cela signifie que, s’agissant de l’article 10 de la Loi, le demandeur doit prouver que la prétendue action ou omission d’un préposé de l’État, en l’occurrence un ou plusieurs des employés qui avaient pour tâche d’évaluer la demande de visa, aurait donné lieu à une cause d’action en responsabilité civile contre cet employé ou son représentant personnel. En bref, le demandeur doit prouver qu’une action en responsabilité civile pourrait être déposée contre un employé ou des employés de la défenderesse, en leur qualité personnelle.

[75]Il s’agit de savoir si le demandeur a prouvé, selon la prépondérance de la preuve, qu’il a subi un préjudice ouvrant droit à réparation. Cette question fait nécessairement intervenir les principes fondamentaux de la responsabilité civile en tant que cause d’action.

[76]Dans la décision Farzam, la Cour s’exprimait ainsi, au paragraphe 83, sur les conditions fondamen-tales d’une action pour négligence :

Selon cette règle, dans une action pour négligence un demandeur peut obtenir gain de cause en établissant trois éléments à la satisfaction du tribunal : A) il existe une obligation de diligence; B) il y a eu manquement à cette obligation; C) ce manquement a entraîné un préjudice. Il s’agit là de l’approche anglaise traditionnelle en matière de responsabilité pour négligence (Allen M. Linden, Canadian Tort Law, 7e éd. (Markham, Ont. : Butterworths, 2001) à la page 102, et jurisprudence citée par l’auteur). Cela étant dit, le cadre d’analyse suivant peut s’avérer fort utile : 1) le demandeur subit un préjudice; 2) le préjudice doit être causé par la conduite du défendeur; 3) la conduite du défendeur est négligente, c’est‑à‑dire qu’elle n’est pas conforme à la norme de diligence établie par la loi; 4) il existe une obligation reconnue par la loi permettant d’éviter ce préjudice; 5) la conduite du défendeur est une cause immédiate de la perte ou, autrement dit, le préjudice n’est pas une conséquence trop éloignée de la conduite du défendeur; 6) la conduite du demandeur n’est pas telle qu’elle fait obstacle à une réparation ou réduit celle‑ci, c’est‑à‑dire que le demandeur ne doit pas être coupable de négligence contributive et ne doit pas avoir assumé volontairement le risque (Canadian Tort Law, op. cit., à la page 103). En l’espèce, quelle que soit la méthode employée, le résultat est le même : la présente action doit être rejetée car les conditions requises ne sont pas toutes remplies.

[77]Pour savoir s’il y a une obligation de diligence, je dois d’abord considérer la question du préjudice. Le demandeur dit qu’il a subi des troubles psychologiques et traversé un état dépressif parce que la résidence permanente a été refusée à ses parents. Il dit aussi qu’il a subi une perte de jouissance de la vie, un préjudice économique ainsi que des souffrances et douleurs.

[78]Au vu de la preuve documentaire produite par le demandeur, notamment les dossiers médicaux, les analyses de laboratoire et les copies d’ordonnances médicales, je suis convaincue qu’il a souffert d’une dépression. Toutefois, la preuve ne permet pas de dire que cet état a été causé par les préposés ou employés de la défenderesse. Je ne crois pas que le demandeur ait montré que ses ennuis de santé, y compris son état dépressif et ses troubles psychologiques, peuvent être imputés aux préposés et mandataires de la défenderesse. Je relève que, selon les rapports médicaux produits, qui embrassent la période allant de 1994 à 2004, le demandeur souffrait de dépression en 1994.

[79]Il est vrai que huit années environ se sont écoulées entre la présentation de la demande de parrainage en février 1993 et le rejet de l’appel du demandeur par la Section d’appel de l’immigration en novembre 2001. Toutefois, durant cette période, d’autres possibilités étaient offertes au demandeur, par exemple celle d’obtenir un permis du ministre. Cette solution lui a été suggérée la première fois en avril 1994, puis signalée également en 1996 par la Section d’appel de l’immigration. Un permis du ministre offre moins de garantie que le statut de résident permanent, mais il aurait permis aux parents du demandeur de vivre au Canada, dans une famille réunie.

[80]Le demandeur a décidé de ne pas solliciter un permis du ministre. Dans la mesure où il a souffert de stress durant la période en cause, je suis d’avis qu’il n’a pas montré que ce stress est une conséquence directe des actes d’un des employés de la défenderesse qui se sont occupés de la demande de visa de sa mère.

[81]Ensuite, y a‑t‑il obligation de diligence? La démarche admise pour répondre à cette question est la démarche en deux étapes qui fut exposée par la Chambre des lords dans l’arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.). Ce critère a été adopté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2, et, depuis, il a toujours été appliqué par les tribunaux canadiens.

[82]Dans l’arrêt Cooper c. Hobart, [2001] 3 R.C.S. 537, au paragraphe 30, la Cour suprême décrivait ainsi la démarche en deux étapes :

En résumé, nous sommes d’avis que dans l’état actuel du droit, tant au Canada qu’à l’étranger, il convient d’interpréter l’analyse établie dans l’arrêt Anns comme suit. À la première étape du critère de l’arrêt Anns, deux questions se posent : (1) le préjudice subi était‑il la conséquence prévisible de l’acte du défendeur; (2) malgré la proximité des parties qui a été établie dans la première partie de ce critère, existe‑t‑il des motifs pour lesquels la responsabilité délictuelle ne devrait pas être engagée en l’espèce? L’analyse relative à la proximité que comporte la première étape du critère de l’arrêt Anns met l’accent sur les facteurs découlant du lien existant entre la demanderesse et le défendeur. Ces facteurs comprennent des questions de politique, ce terme étant pris dans son sens large. Si l’on fait la preuve de la prévisibilité et de la proximité à la première étape, il y a une obligation de diligence prima facie. À la deuxième étape du critère de l’arrêt Anns il reste toujours à trancher la question de savoir s’il existe des considérations de politique étrangères au lien existant entre les parties qui sont susceptibles d’écarter l’obligation de diligence. [Souligné dans l’original.]

[83]Dans l’arrêt Edwards c. Barreau du Haut‑Canada, [2001] 3 R.C.S. 562, qui concernait des organismes de réglementation, la Cour s’est exprimée ainsi sur l’arrêt Cooper, aux paragraphes 9 et 10 :

La simple prévisibilité ne suffit pas à établir une obligation de diligence prima facie. Le demandeur doit aussi prouver l’existence d’un lien étroit—que le défendeur avait avec lui une relation à ce point étroite et directe qu’il est juste de lui imposer une obligation de diligence dans les circonstances. Les facteurs donnant lieu à l’existence d’un lien étroit doivent être fondés sur la loi applicable le cas échéant, comme en l’espèce.

Si, à la première étape du critère énoncé dans l’arrêt Anns, le demandeur réussit à établir à une obligation de diligence prima facie (malgré le fait que l’obligation proposée ne corresponde pas à une catégorie de réparation déjà reconnue), il faut passer à la deuxième étape de ce critère. Il s’agit de savoir s’il existe des considérations de politique résiduelles qui justifient l’annulation de la responsabilité. De telles considérations comprennent notamment l’effet qu’aurait la reconnaissance d’une telle obligation de diligence sur d’autres obligations légales, son incidence sur le système juridique et, d’une façon moins précise mais tout aussi importante, l’effet qu’aurait l’imposition d’une responsabilité sur la société en général.

[84]Il est clair que, appliquant le « critère de l’arrêt Anns », la Cour doit considérer l’étroitesse du lien entre le demandeur et la défenderesse et mesurer la relation. La relation est‑elle à ce point « étroite et directe » qu’il est juste d’imposer, dans ces circonstances, une obligation de diligence? Un facteur essentiel à considérer ici est la loi applicable, s’il y en a une.

[85]En l’espèce, comme dans l’affaire Farzam, il y a une loi applicable, à savoir la Loi sur l’immigration. Cette loi a pour objet général de réglementer l’admission au Canada de personnes qui par ailleurs n’ont pas un droit d’y entrer. Sur ce point, je me réfère à l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.

[86]Dans la décision Farzam, la Cour écrivait ce qui suit, au paragraphe 94 :

En l’espèce, tout lien entre le demandeur et la défenderesse découle exclusivement de la mise en application de la politique canadienne d’immigration qui est reconnue par une loi, c’est‑à‑dire la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2. Le demandeur est arrivé au Canada en 1988 en qualité de réfugié pris en charge par le gouvernement (CR1), en vertu d’un permis ministériel. L’engagement pris par le gouvernement d’aider financièrement le demandeur a pris fin un an après son admission. En novembre 1991, le demandeur a obtenu le droit d’établissement. Les actes négligents reprochés à des agents d’immigration en poste à l’extérieur du Canada ont été commis dans le cadre du traitement d’une demande, présentée en 1990, en vue d’obtenir la délivrance d’un permis ministériel à la femme du demandeur et, plus tard, d’une demande, présentée par cette dernière en 1992, en vue d’obtenir un visa de résidente permanente. Un permis ministériel a été délivré en 1994, mais Mme Mohiti a refusé de venir au Canada. En 1994, le lien entre le demandeur et la défenderesse était celui d’un résident permanent parrainant sa femme pour qu’elle vienne au Canada. Dans les circonstances de l’espèce, s’agit‑il d’une preuve suffisante pour établir le lien de proximité requis entre le demandeur et la défenderesse?

[87]Dans cette affaire, M. Farzam avait poursuivi la défenderesse pour un préjudice qu’il disait résulter de la faute commise par les fonctionnaires de CIC dans le traitement de sa demande de résidence permanente et dans la gestion du dossier d’immigration de son épouse. Il y a quelques similitudes avec la présente affaire, puisque les deux instances portent sur des demandes de visas présentées pour des proches. Dans chaque cas, les demandeurs avaient, lorsqu’ils se sont adressés à la Cour, un statut au Canada; M. Farzam, celui de résident permanent, et le demandeur dans la présente espèce, celui de citoyen canadien.

[88]Dans l’arrêt Cooper, la Cour suprême du Canada écrivait au paragraphe 43 qu’il faut examiner l’économie de la loi applicable pour savoir si la relation présente la proximité requise :

En l’espèce, les facteurs de proximité, s’ils existent, doivent découler de la loi en vertu de laquelle le registrateur est nommé. Cette loi constitue la seule source de ses obligations, que celles‑ci soient de nature privée ou publique. Sauf pour ce qui est de cette loi, le registrateur se trouve dans la même position que monsieur ou madame tout le monde. Seule cette loi peut donner naissance à une obligation du registrateur envers ceux qui investissent auprès des courtiers en hypothèques soumis à la réglementation.

[89]La Loi sur l’immigration dispose, en son article 3 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 2], que l’un de ses objets est la réunification des familles.

[90]Dans la décision Farzam, la Cour écrivait ce qui suit, au paragraphe 97, sur l’importance de la politique d’immigration exposée dans la législation :

En l’espèce, comme dans l’arrêt Cooper, la loi est la seule source des pouvoirs décisionnels de l’État. Il est bien établi en droit que l’admission d’un étranger au Canada est un « privilège » déterminé par la Loi sur l’immigration et ses règlements d’application. Mme Mohiti était une « immigrante » et devait satisfaire aux critères d’admissibilité prévus par la loi ainsi qu’à toutes les exigences réglementaires applicables. Mme Mohiti ne satisfaisait pas à ces exigences, mais un permis ministériel lui a été délivré en janvier 1994. Il n’y avait certes aucune obligation de délivrer d’avance un tel permis à Mme Mohiti. Il s’agissait d’une décision tout à fait discrétionnaire, prise en vertu de l’article 37 de la Loi sur l’immigration. Pour délivrer un permis ministériel, le ministre ou son délégué ont tenu compte des retards dans le traitement de la demande de Mme Mohiti visant à obtenir un visa de résidente permanente. Je ne puis conclure qu’il y a eu, lors du traitement de la demande de visa de résident permanent de Mme Mohiti, manquement à une obligation imposée par la loi. Mme Mohiti a renvoyé la demande en octobre 1992. L’agent des visas chargé de traiter la demande n’était soumis à aucun délai législatif ou réglementaire particulier. Le traitement durait habituellement entre six mois et un an. Si la décision d’accorder un visa de résidente permanente à Mme Mohiti avait été retardée indûment, le recours consistait à présenter une demande de contrôle judiciaire sollicitant la délivrance d’un bref de mandamus avec l’autorisation d’un juge de la Cour fédérale, en vertu de l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration (voir Dragan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 211, [2003] 4 C.F. 189 (C.F. 1re inst.); Bhatnager c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 315 (C.F. 1re inst.)).

[91]Il y a aussi le paragraphe 98 :

En fait, de nombreuses décisions de la Cour permettent d’affirmer que le lien entre le gouvernement et l’entité administrée n’est pas un lien caractérisé par une grande proximité sur le plan individuel, y compris en matière d’immigration : A.O. Farms Inc. c. Canada, [2000] A.C.F. no 1771, aux paragraphes 10 à 12 (C.F. 1re inst.) (QL); Benaissa c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1220, [2005] A.C.F. no 1487, au paragraphe 35 (QL); Premakumaran c. Canada, 2005 CF 1131, [2005] A.C.F. no 1388, au paragraphe 25 (QL). L’approche adoptée par la Cour dans ces décisions est compatible avec celle qui est suivie dans d’autres pays, notamment en Angleterre.

[92]Je fais mien ce raisonnement dans la présente affaire. Le demandeur n’avait aucun droit à la délivrance d’un visa pour sa mère. Il n’avait aucun droit d’imposer son opinion sur la nécessité ou la pertinence des analyses médicales qui étaient demandées, pour que les fonctionnaires de CIC soient en mesure d’évaluer la demande de visa de sa mère. Il n’avait aucun droit, si ce n’est celui de présenter la demande de parrainage. Dans la mesure où la décision ultime était susceptible d’appel, il a exercé ce droit. Il a choisi de ne pas exercer son droit de solliciter le contrôle judiciaire de cette décision. Ainsi que l’écrivait la Cour d’appel d’Angleterre dans l’arrêt W. v. Home Office, [1997] E.W.J. no 3289 (QL), au paragraphe 21, la voie de recours appropriée pour faire réformer les décisions des agents d’immigration est le contrôle judiciaire. Les décisions de la Section d’appel de l’immigration peuvent elles aussi être réformées par contrôle judiciaire.

[93]Dans ces conditions, je suis d’avis que le demandeur n’a pas apporté la preuve prima facie d’une obligation de diligence. Par acquit de conscience, j’examinerai brièvement si, à supposer qu’une telle preuve eût été apporté, il existerait des considérations générales résiduelles susceptibles de conforter la Cour dans son refus d’imputer une responsabilité à la défenderesse. Je fais mienne la conclusion à laquelle est arrivé sur ce point le juge Martineau dans la décision Farzam, au paragraphe 102, où il écrivait ce qui suit :

À mon avis, il ne serait pas juste, équitable et raisonnable que la loi de notre pays impose une obligation de diligence aux personnes chargées de la mise en application administrative de politiques d’immigration du genre de celles dont il est question dans le cas du demandeur, à moins d’une preuve de mauvaise foi, de faute ou d’abus de procédure.

[94]Or, en l’espèce, le demandeur a allégué la mauvaise foi de divers agents d’immigration. Il évoque le rejet déraisonnable de rapports médicaux, les demandes excessives faites à sa mère pour qu’elle subisse de nouvelles analyses médicales, le manque de soin avec lequel le dossier de sa mère a été traité, qu’il s’agisse du classement des documents ou de leur transmission.

[95]Je suis d’avis que la preuve produite n’autorise pas les allégations du demandeur. D’abord, les demandes d’analyses médicales et de renseignements médicaux ont été faites par des médecins agréés, dans l’exercice de leurs fonctions, pour qu’ils soient en mesure de dire si la mère du demandeur était, selon la Loi sur l’immigration, admissible sur le plan médical. Finalement, les professionnels de la santé ont formulé une évaluation, qui était en fait une recommandation. La décision de délivrer un visa appartenait à l’agent des visas.

[96]Il est établi que des documents ont parfois été mal classés, mais, comme dans l’affaire Farzam, cela n’équivaut pas à mauvaise foi ou prévarication.

[97]Quoi qu’il en soit, ces plaintes n’intéressent pas directement le demandeur. Il les fait au nom de sa mère, qui n’est plus partie à ce litige.

[98]Le demandeur n’est créancier d’aucune obligation de diligence qui puisse appuyer ses prétentions à l’encontre de la défenderesse. Il ne m’est pas nécessaire d’examiner les autres aspects de la négligence alléguée. Le demandeur n’a aucune cause d’action, et son action sera rejetée. Si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens, alors de brèves conclusions pourront être déposées dans les 10 jours qui suivront la délivrance de l’ordonnance.

ORDONNANCE

L’action est rejetée. Si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens, elles pourront présenter des conclusions dans les 10 jours qui suivront la présente ordonnance.

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