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[1993] 3 C.F. 528

T-1482-93

R. James Travers et Southam Inc. (requérants)

c.

L’amiral J. R. Anderson, chef d’état-major de la défense (autorité convocatrice d’une commission d’enquête sur les activités du groupement tactique du Régiment aéroporté canadien en Somalie), le major-général T. F. deFaye (président de la commission d’enquête sur les activités du groupement tactique du Régiment aéroporté canadien en Somalie) et le procureur général du Canada (intimés)

Répertorié: Travers c. Canada (Chef d’état-major de la défense) (1re inst.)

Section de première instance, juge Joyal—Ottawa, 6 juillet et 23 août 1993.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Audience à huis clos de la commission d’enquête chargée de l’examen de divers principes, politiques et pratiques du groupement tactique du Régiment aéroporté canadien — Le droit à la liberté de la presse garanti à l’art. 2b) de la Charte n’a pas été violé car il ne s’agit pas d’une enquête judiciaire ou quasi judiciaire — La fonction de la commission ne satisfait pas aux critères énoncés dans l’arrêt MRN c. Coopers and Lybrand — Exiger une audience publique, c’est ériger le droit à l’information en droit absolu et transformer un processus d’enquête interne en une fonction juridictionnelle propre aux procédures judiciaires.

Forces armées — Audience à huis clos de la commission d’enquête chargée de l’examen de divers principes, politiques et pratiques du groupement tactique du Régiment aéroporté canadien — La commission n’exerce pas une fonction judiciaire ou quasi judiciaire — Il s’agit plus d’une enquête interne, normale — L’autorité convocatrice était habilitée à ne pas tenir de séance publique.

Il s’agit d’une demande visant à obliger le chef d’état-major de la défense à ordonner que les audiences de la commission d’enquête relative au groupement tactique du Régiment aéroporté canadien soient tenues publiquement. Les requérants soutiennent que la décision de tenir des séances à huis clos porte atteinte à leur droit à la liberté de la presse garanti par l’alinéa 2b) de la Charte. Le mandat de la commission d’enquête limite les audiences à l’examen des principes, politiques et pratiques du groupement tactique qui a été récemment affecté au maintien de la paix en Somalie, où se sont produits des incidents dont les médias se sont faits abondamment l’écho et au sujet desquels des accusations ont été portées contre quatre membres du Régiment.

Jugement: la demande doit être rejetée.

Comme ce n’est pas le genre d’enquête auquel le « droit d’accès à l’information » revendiqué peut s’appliquer, il n’y a pas eu d’atteinte à l’alinéa 2b ) de la Charte.

Depuis l’adoption de la Charte, la doctrine de la publicité des audiences a été appliquée à certains tribunaux administratifs qui exercent des fonctions quasi judiciaires, c’est-à-dire auxquels la loi attribue le pouvoir de statuer sur les droits et les obligations des parties, bien que les audiences de ces tribunaux puissent exceptionnellement être tenues à huis clos dans certains cas.

La Commission n’est pas une cour d’archives. Elle n’a pas le pouvoir de citer des témoins à comparaître, ni de se prononcer sur des droits ou d’imposer des obligations. Aucune de ses décisions n’a force exécutoire. Ses pouvoirs sont fixés dans son mandat et elle ne peut que formuler des recommandations. Pour s’acquitter de son mandat, la commission pourrait se voir dans la nécessité de communiquer des documents classifiés ou qui pourraient être préjudiciables aux accusés, ou dont la divulgation pourrait porter atteinte à l’intérêt public ou nuire à l’accomplissement du rôle international de maintien de la paix du Canada et pourtant, elle doit s’en acquitter dans un délai très court. Il aurait fallu, en cas d’audience publique, tenir une série de voir dire au sujet des témoins qu’il y avait lieu de faire entendre; étant donné leur objet, ces voir dire auraient été tenus à huis clos.

Il ressort de la Loi sur la défense nationale et de ses règlements d’application qu’une commission d’enquête est beaucoup plus un mécanisme interne qu’une procédure publique. Que la commission soit constituée sous le régime d’une disposition de la Loi sur la défense nationale et que sa constitution soit rendue publique, ou qu’elle émane d’une directive ministérielle, sa fonction est de telle nature qu’elle n’emporte pas nécessairement un droit concomitant d’assister à la prise des témoignages ou aux délibérations des membres de la commission. Affirmer le contraire, c’est ériger le droit à l’information en droit absolu et transformer un processus d’enquête interne en une fonction juridictionnelle propre aux procédures judiciaires.

Selon les critères énoncés dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495, le caractère judiciaire d’une commission d’enquête est déterminé au regard de la nature de sa fonction. Il ne s’agit pas d’une enquête judiciaire ou quasi judiciaire. Aucune irrégularité ou acte délictueux n’est en cause. Aucun droit ou obligation d’un individu ne fait l’objet d’un examen et aucune décision générale ne sera rendue sur des droits et des obligations. Il s’agit plus d’une enquête interne, relative au commandement, à la discipline, aux opérations, aux actions et aux méthodes du groupement tactique du Régiment aéroporté canadien et à l’opportunité de ses méthodes d’entraînement, de préparation et de discipline, soit un type d’enquête qui est normal dans le milieu de la Défense nationale. Le fait que la constitution de la commission d’enquête a été rendue publique n’en change pas la nature. La décision de ne pas permettre au public d’assister à ses audiences a été une décision de principe que l’autorité convocatrice était habilitée à prendre.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b).

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5.

Loi sur l’immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52.

Police Act, L.R.O. 1980, ch. 381.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES:

Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495; (1978), 92 D.L.R. (3d) 1; [1978] CTC 829; 78 DTC 6258; Re Southam Inc. and the Queen (No. 1) (1983), 41 O.R. (2d) 113; 3 C.C.C. (3d) 515; 34 C.R. (3d) 27; 33 R.F.L. (2d) 279 (C.A.); Re Southam Inc. and The Queen (1986), 53 O.R. (2d) 663; 26 D.L.R. (4th) 479; 12 O.A.C. 395 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES:

Re Ottawa Police Force and Lalande (1986), 57 O.R. (2d) 509 (C. dist.); Southam Inc. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 3 C.F. 329; (1987), 13 F.T.R. 138; 3 Imm. L.R. (2d) 226 (1re inst.).

DEMANDE visant à obliger le chef d’état-major de la défense à ordonner que les audiences de la commission d’enquête relative au groupement tactique du Régiment aéroporté canadien soient tenues publiquement, parce que la décision de tenir des séances à huis clos porte atteinte au droit des requérants à la liberté de la presse garanti par l’alinéa 2b) de la Charte. Demande rejetée.

AVOCATS:

Richard G. Dearden pour le requérant.

Graham R. Garton et Pamela Owen-Going pour l’intimé.

PROCUREURS:

Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Joyal: La présente demande concerne une contestation que les requérants ont fondée sur l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]. Elle a été mise au rôle de façon expéditive le 6 juillet 1993. Le jour suivant, le 7 juillet 1993, j’ai conclu qu’il y avait lieu de rejeter la demande et j’ai motivé brièvement ma décision à l’audience. Voici mes motifs écrits.

La contestation porte sur une décision du chef d’état-major de la défense, intimé. Ce dernier a ordonné que les séances de la commission d’enquête relative au groupement tactique du Régiment aéroporté canadien ne soient pas publiques. Les requérants soutiennent que cette décision constitue une violation des droits garantis par l’alinéa 2b) de la Charte et demandent que le public, qui s’entend aussi bien sûr des médias, puisse avoir accès aux séances.

Tout d’abord, il me semble que le contexte dans lequel la liberté énoncée à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier en ce qui a trait à la liberté de la presse, a souvent été analysée est celui d’un système de justice qui reconnaît la publicité des débats.

Longtemps avant l’adoption de la Charte, la doctrine de la publicité des débats était solidement établie en common law. Les tribunaux, tant anglais que canadiens, ont à maintes reprises réaffirmé cette doctrine. Elle a certes été exprimée différemment à certaines occasions, mais elle repose essentiellement sur l’idée que les séances publiques représentent la meilleure, voire la seule, manière d’assurer le bon déroulement des procédures judiciaires. Dans cette optique, le public est un jury permanent dont le rôle est de voir à ce que l’intégrité du système judiciaire soit maintenue.

Néanmoins, cette doctrine de la publicité des débats n’est pas absolue. Dans bien des cas, la doctrine entre en concurrence avec d’autres droits et il convient souvent de soupeser les intérêts antagoniques. C’est pourquoi les tribunaux ont souvent recours au huis clos ou restreignent la publicité des débats. Que ce soit parce que la publicité pourrait être préjudiciable à une partie ou à l’accusé, ou parce que la divulgation de l’identité des plaignants dans une affaire d’agression sexuelle retiendrait tout plaignant de se présenter, ou en raison du jeune âge des contrevenants et de la flétrissure dont ils seraient à jamais marqués, le législateur, d’une part, et les tribunaux, d’autre part, dans l’exercice de leur compétence inhérente pour déterminer la procédure dans les instances dont ils sont saisis, font de temps à autre une entorse à la norme bien établie et prescrivent le huis clos ou soumettent à diverses restrictions la publication de certains éléments ou parties des procédures.

Depuis l’adoption de la Charte, il est vrai que la doctrine de la publicité des audiences a été appliquée à certains tribunaux administratifs. Bien que la majeure partie de la jurisprudence se rapporte à des instances judiciaires, l’application de la doctrine a été étendue aux instances dans lesquelles des tribunaux administratifs exercent des fonctions quasi judiciaires, c’est-à-dire à l’égard desquelles la loi leur attribue le pouvoir de statuer sur les droits et les obligations des parties.

Cette extension de la doctrine semble tout à fait compatible avec son but premier. Si, dans le cas des tribunaux judiciaires, il doit apparaître clairement que la justice est impartiale, il n’y a pas de raison pour qu’elle ne le soit également en ce qui concerne les tribunaux administratifs qui exercent fondamentalement les mêmes fonctions judiciaires. Encore une fois, cependant, les audiences de ces tribunaux peuvent exceptionnellement être tenues à huis clos dans certains cas.

La nature de l’enquête effectuée à l’heure actuelle par les intimés justifie-t-elle l’application de la doctrine? Il convient d’analyser la situation. La commission n’est pas une cour d’archives, elle n’a pas le pouvoir de citer des témoins à comparaître et elle ne se prononce pas sur des droits ni n’impose d’obligations. Au surplus, aucune de ses décisions n’a force exécutoire. Ses pouvoirs sont fixés dans son mandat et, à cet égard, elle ne peut que formuler des recommandations qui sont, en temps voulu, transmises au chef d’état-major de la défense, qui peut les accepter ou les rejeter en tout ou en partie. Voici le texte du mandat en date du 28 avril 1993:

[traduction] 1. Une enquête doit être effectuée en conformité avec le paragraphe 45(1) de la Loi sur la défense nationale et avec les dispositions du chapitre 21 des Ordonnances et règlement royaux applicables aux Forces canadiennes et de l’Ordonnance administrative 21-9 des Forces canadiennes.

2. La commission d’enquête est composée des personnes suivantes:

Président—major-général T.F. deFaye, OMM, CD

Membre—brigadier-général C.J. Addy, CD

Membre—brigadier-général J.C.A. Émond, CD

Membre—professeur Harriet Critchley

Membre—Stephen Owen

Conseiller—lieutenant-colonel K.W. Watkin, CD

Conseiller—adjudant-chef J. Marr, OMM, CD

3. La commission d’enquête doit se réunir pour examiner le commandement, la discipline, les opérations, les actions et les méthodes du groupement tactique du Régiment aéroporté canadien. Dans la mesure où cela est utile pour l’examen de ces questions, la commission d’enquête doit examiner les antécédents du groupement tactique au Canada et au quartier général en Somalie avant et durant son affectation en Somalie. L’enquête ne doit pas porter sur les allégations concernant une conduite qui constituerait une infraction d’ordre militaire prévue par la Loi sur la défense nationale et, en particulier, toute infraction visée au Code criminel, qui a entraîné le dépôt d’une inculpation, l’arrestation d’une personne ou le déclenchement d’une enquête par la police militaire.

4. Si la commission d’enquête a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve qu’elle a reçus se rapportent à une allégation d’infraction d’ordre militaire, y compris une infraction visée par le Code criminel, à l’égard de laquelle l’accusé doit être informé de son droit d’être jugé par une cour martiale en application de l’article 108.31(1)a) des Ordonnances et règlement royaux applicables aux Forces canadiennes, ou qui doit faire l’objet d’un procès devant une cour martiale, la commission d’enquête doit mettre fin à son enquête sur cette allégation et faire rapport de la question à l’autorité convocatrice.

5. Pour effectuer l’enquête, la commission doit réunir les renseignements et faire part de ses conclusions et recommandations relativement aux questions exposées au paragraphe 3, notamment sous les aspects suivants:

a) l’état de la discipline durant l’entraînement jusqu’au déploiement en Somalie et sur le théâtre d’opérations;

b) les objectifs et normes d’entraînement qui ont été utilisés lors des préparatifs en vue du déploiement;

c) la sélection du personnel à affecter en Somalie;

d) l’efficacité du commandement à tous les niveaux durant l’entraînement jusqu’au déploiement et sur le théâtre d’opérations;

e) l’à-propos de la promulgation et le degré de compréhension des Règles d’engagement au sein du groupement tactique du Régiment aéroporté;

f) la composition et l’organisation du groupement tactique du Régiment aéroporté par rapport à sa mission et aux tâches assignées;

g) la mesure, le cas échéant, dans laquelle des différences culturelles ont influé sur la conduite des opérations;

h) l’attitude de tous les grades à l’égard de la conduite des opérations conformément à la loi;

i) la justesse des valeurs et des attitudes professionnelles au sein du Régiment aéroporté canadien et l’effet du déploiement en Somalie sur ces valeurs et attitudes.

6. En outre, mais sous réserve des paragraphes 3 et 4, la commission d’enquête fera des recommandations sur toute autre question découlant de son enquête.

7. Le président peut demander à l’autorité convocatrice l’autorisation de modifier ce mandat ou d’y ajouter des éléments.

8. Conformément à l’article 21.12 des Ordonnances et règlement royaux applicables aux Forces canadiennes, les audiences de la commission d’enquête ne doivent pas être accessibles au public.

9. Les procès-verbaux des audiences de la commission d’enquête doivent être non classifiés, sauf disposition contraire de la loi.

10. Les procès-verbaux des audiences de la commission d’enquête doivent être mis à la disposition du public, sauf disposition contraire de la loi.

11. La commission d’enquête doit commencer son examen dès que cela est matériellement possible.

12. La commission d’enquête doit remettre ses procès-verbaux d’audience à l’autorité convocatrice au plus tard le 30 juillet 1993.

De toute évidence, à mon avis, le mandat de la commission d’enquête limite les audiences à l’examen de divers principes, politiques et pratiques du groupement tactique du Régiment aéroporté canadien, groupement d’élite qui a été récemment affecté au maintien de la paix dans un pays dans la détresse, soit la Somalie. Les médias se sont faits abondamment l’écho des incidents qui s’y sont produits et l’on a porté à la connaissance de la Cour que des accusations ont été portées contre quatre membres du Régiment. Ces incidents sont de nature à attirer l’attention du public et encore plus celles des médias, qui se sentent obligés à mon sens de veiller à ce que l’attention du public ne décline pas.

Il ressort à l’évidence des témoignages que j’ai entendus que la commission doit s’acquitter de son mandat dans un délai très court. Lors de sa constitution le 28 avril 1993, la durée de son enquête a d’abord été fixée à 90 jours. Et pourtant la portée de son enquête est très large et générale; les audiences nécessiteront la communication de documents qui pourraient être classifiés ou qui pourraient être préjudiciables à l’un ou l’autre des accusés nommés, ou dont la divulgation pourrait porter atteinte à l’intérêt public ou nuire à l’accomplissement du rôle international de maintien de la paix du Canada. Aucun observateur sérieux ne conclurait que ce ne sont pas là à tout le moins des motifs plausibles pour mener une enquête discrète. Comme l’a expliqué le major-général deFaye, intimé, au cours de son contre-interrogatoire par les requérants, il aurait fallu, en cas d’audience publique, tenir une série de voir dire au sujet des témoins qu’il y avait lieu de faire entendre, au sujet de ce qui était classifié ou non et au sujet de ce qui était directement ou implicitement préjudiciable à des personnes. Il aurait fallu naturellement tenir ces voir dire à huis clos, sans quoi l’enquête dans l’enquête aurait perdu tout son sens.

La preuve indique également que le rapport de la commission d’enquête sera rendu public, sous réserve des contraintes précisées dans le mandat de la Commission ou imposées par la loi.

Il ressort de mon analyse du régime de la Loi sur la défense nationale [L.R.C. (1985), ch. N-5] et de ses règlements d’application qu’une commission d’enquête est beaucoup plus un mécanisme interne qu’une procédure publique à laquelle les citoyens peuvent assister librement ou sur laquelle les médias peuvent faire librement des reportages. Que la commission soit constituée sous le régime d’une disposition de la Loi sur la défense nationale et que sa constitution soit rendue publique, ou qu’elle émane d’une directive ministérielle, sa fonction, telle que définie dans son mandat, est de telle nature, à mon sens, qu’elle n’emporte pas nécessairement ou automatiquement un droit concomitant d’assister à la prise des témoignages ou aux délibérations des membres de la commission dans l’accomplissement de ce mandat. Affirmer le contraire, c’est ériger le droit à l’information en droit absolu et transformer un processus d’enquête interne en une fonction juridictionnelle propre aux procédures judiciaires.

Bien entendu, il ressort d’une abondante jurisprudence que, s’agissant d’une procédure judiciaire, la liberté de la presse englobe le droit d’assister aux procédures judiciaires; voir par exemple les arrêts Re Southam Inc. and The Queen (No. 1) (1983), 41 O.R. (2d) 113 (C.A.) et Re Southam Inc. and The Queen (1986), 53 O.R. (2d) 663 (C.A.). Comme le dit le juge MacKinnon, juge en chef adjoint de l’Ontario, dans l’arrêt Re Southam (No. 1) [à la page 119]:

[traduction] Il est évident que l’accessibilité du public aux tribunaux a été et continue d’être considérée comme une nécessité; elle offre une garantie contre toute mesure arbitraire de la part de ceux qui gouvernent ou qui sont puissants.

On peut alors se demander: qu’est-ce qu’une procédure judiciaire? Le juge Dickson (plus tard juge en chef), qui a toujours été un maître de la méthode analytique appliquée à la résolution de telles questions, propose les critères suivants dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495, à la page 504:

(1) Les termes utilisés pour conférer la fonction ou le contexte général dans lequel cette fonction est exercée donnent-ils à entendre que l’on envisage la tenue d’une audience avant qu’une décision soit prise? [Soulignement ajouté.]

(2) La décision ou l’ordonnance porte-t-elle directement ou indirectement atteinte aux droits et obligations de quelqu’un?

(3) S’agit-il d’une procédure contradictoire?

(4) S’agit-il d’une obligation d’appliquer les règles de fond à plusieurs cas individuels plutôt que, par exemple, de l’obligation d’appliquer une politique sociale et économique au sens large?

La doctrine selon laquelle la liberté de la presse englobe le droit à l’information ou le droit d’assister aux procédures judiciaires est bien établie et, je le répète, était connue et suivie depuis plusieurs décennies avant l’adoption de la Charte. De la même façon, la doctrine a été appliquée à d’autres procédures, comme une audience en vertu de la Police Act [L.R.O. 1980, ch. 381] relative à une accusation de conduite indigne d’un policier: Re Ottawa Police Force and Lalande (1986), 57 O.R. (2d) 509 (C. dist.); ou comme une audience de révision des motifs de la détention en vertu de la Loi sur l’immigration de 1976 [S.C. 1976-77, ch. 52] affaire Southam Inc. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] 3 C.F. 329 (1re inst.), dans laquelle le juge Rouleau conclut ceci, à la page 336:

… les tribunaux créés par la loi et qui exercent des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires donnant lieu à des procédures contradictoires qui entraînent des décisions quant aux droits des parties, participent vraiment à « l’administration de la justice ».

Il me semble que, vu les circonstances, le droit d’accès à l’information, en tant que corollaire de la liberté de la presse, a été reconnu de manière uniforme quand le droit revendiqué est celui de couvrir des procédures judiciaires ou quasi judiciaires. Toutefois, ce droit n’est tout au plus que l’expression de la doctrine de l’accessibilité des tribunaux. Si la règle est l’accessibilité, tous admettront que la presse a généralement accès aux séances et aux renseignements divulgués au cours de celles-ci.

Je doute néanmoins sérieusement que le droit d’accès à l’information s’applique aux audiences de comités, commissions d’enquête, groupes de travail ou autres groupes semblables qui pourraient être chargés d’entendre des témoignages ou de recevoir des mémoires et de faire des recommandations à ce sujet à l’autorité qui les a nommés. Si j’exprime un doute à ce propos, c’est pour fuir la tentation de généraliser. Ce n’est pas le nom donné à une enquête qui détermine son caractère judiciaire ou quasi judiciaire; c’est plutôt la nature de sa fonction qui satisfait ou non aux critères énoncés par le juge Dickson dans l’arrêt Coopers and Lybrand, précité.

C’est sous cet angle qu’il faut analyser l’enquête dont je suis saisi pour voir si, étant donné sa nature, les requérants peuvent invoquer la jurisprudence qui leur est favorable par ailleurs et qui porte soit sur des procédures judiciaires ou quasi judiciaires, soit sur des enquêtes pour lesquelles un certain modus vivendi a été trouvé quant à l’accès total ou partiel. Les avocats se sont reportés entre autres à l’enquête Marin [Commission d’enquête sur les plaintes du public, la discipline interne et le règlement des griefs au sein de la Gendarmerie Royale du Canada] qui, encore que ce fût à cause de la pression des médias, a modifié son mandat pour permettre l’accès limité à ses audiences. La nature de l’enquête, de toute façon, concernait tout acte délictueux commis par la GRC, élément absent du mandat de la présente commission d’enquête.

De la même façon, la ligne de conduite suivie par la célèbre Commission McDonald [Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie Royale du Canada] a été de tenir des audiences publiques restreintes et, une fois de plus, la commission avait reçu le mandat d’enquêter sur les activités de la GRC non autorisées ou non prévues par la loi, autrement dit, de recueillir des éléments de preuve relatifs à des actes délictueux.

La présente enquête n’est évidemment pas de la même nature. Aucune irrégularité ou acte délictueux n’est en cause. Aucun droit ou obligation de qui que ce soit ne fait l’objet d’un examen. Le mandat n’implique pas de décision générale sur des droits et des obligations. L’analyse du mandat m’indique qu’il s’agit beaucoup plus d’une enquête interne par laquelle le chef d’état-major de la défense, se trouvant devant certaines anomalies dans la conduite d’un groupement tactique d’élite, veut qu’on tire des conclusions et qu’on lui fasse des recommandations relativement au commandement, à la discipline, aux opérations, aux actions et aux méthodes de ce groupement et, selon mon interprétation du mandat, relativement à l’opportunité de ses méthodes d’entraînement de préparation et de discipline pour la conduite d’opérations de maintien de la paix.

À mon avis, c’est un type d’enquête qui est normal dans le milieu de la Défense nationale et qui, en temps normal, se déroule tout naturellement. Le fait que la constitution de la commission d’enquête a été rendue publique n’en change pas la nature. Il n’appartient pas à la présente Cour d’étudier l’objet de cette annonce et cet objet n’est pas pertinent par rapport à sa conclusion quant à la nature de l’enquête. Celle-ci, je le répète, ne porte pas sur la conduite d’individus appartenant au groupement tactique, même si c’est cette conduite qui, tous le reconnaissent, a éveillé l’attention des médias et en retour donné à l’affaire un caractère hautement politique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parlement.

Conformément à son mandat, la commission d’enquête aurait pu permettre au public d’assister à ses audiences. L’autorité convocatrice, pour les motifs précités, a décidé autrement. D’aucuns n’admettraient pas que les motifs avancés sont suffisants ou appropriés. D’aucuns affirmeraient qu’ils sont fallacieux, superficiels ou essentiellement intéressés. Tout cela pourrait donner lieu à un long débat public, mais à mon sens, ce sont des questions de politique et non des questions de droit qui sont soulevées.

Sous cet angle-là, les arguments vigoureux qu’a fait valoir l’avocat des requérants ne se rapportent tant aux garanties constitutionnelles qu’à une décision de principe que l’autorité convocatrice était habilitée à prendre. Comme ce n’est pas le genre d’enquête auquel le « droit d’accès à l’information » revendiqué peut s’appliquer, je ne suis pas d’avis que la décision de tenir l’enquête à huis clos porte atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte.

En l’absence de violation de la Charte, l’opportunité de cette décision est peut-être susceptible d’occasionner un long débat dans l’arène politique ou dans les médias, mais je conclurais qu’elle échappe à la sphère de compétence des tribunaux.

Je rejetterais donc la demande.

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