[1993] 1 C.F. 641
A-466-91
Michael W. Clare (requérant)
c.
Le procureur général du Canada (intimé)
Répertorié : Clare c. Canada (Procureur général) (C.A.)
Cour d’appel, juges Heald, Linden et Robertson, J.C.A.—Ottawa, 17 novembre 1992 et 18 janvier 1993.
Fonction publique — Fin d’emploi — Renvoi justifié — Demande fondée sur l’art. 28 en vue d’annuler la décision d’un comité d’appel de la CFP rejetant l’appel à l’égard d’un congédiement pour cause d’incompétence en application de l’art. 31 de la LEFP — Le rendement insatisfaisant de l’employé était attribuable à des problèmes familiaux et au stress lié à son travail — L’employeur a refusé sans motif une demande d’aide médicale dans le cadre du Programme d’aide aux employés (PAE) — Distinction faite entre l’incompétence et l’incapacité temporaire — Explication du but de l’art. 31 de la Loi — Examen de la jurisprudence sur l’incapacité temporaire — L’incapacité du requérant n’était pas temporaire — L’« obligation d’envoyer en consultation » est-elle reconnue par l’art. 31? — Dans le cas d’un employé justifiant de longs états de service, cette obligation existe s’il y a déjà une « obligation d’avertir » — L’intimé a manqué à son obligation d’envoyer en consultation — Il n’est pas réputé avoir agi de mauvaise foi — Le manquement vicie la recommandation de renvoi.
Il s’agit d’une demande fondée sur l’article 28 en vue de faire annuler une décision d’un comité d’appel de la Commission de la fonction publique, lequel a maintenu une recommandation ministérielle portant que le requérant soit congédié pour cause d’incompétence en application de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Le requérant, qui justifiait de longs états de service auprès du gouvernement fédéral, a été muté de Transports Canada au ministère des Approvisionnements et Services en décembre 1984. Son rendement a été jugé « satisfaisant » du mois de décembre 1985 au 1er décembre 1987, mais a été jugé « insatisfaisant » du 1er décembre 1987 au 31 mars 1989, et de nouveau, du 1er avril 1989 au 8 janvier 1991. Pour expliquer son piètre rendement au travail, le requérant a affirmé que pendant les périodes en cause, il souffrait d’une incapacité temporaire attribuable au stress que lui causaient des problèmes familiaux et professionnels. En outre, son employeur n’avait pas donné suite à ses demandes répétées d’aide conformément au Programme d’aide aux employés (PAE) et, à son avis, ce défaut d’avoir rempli l’« obligation d’envoyer en consultation » équivalait à de la mauvaise foi. Les questions en litige étaient de savoir 1) si le Comité d’appel avait commis une erreur de droit en entérinant la conclusion selon laquelle le requérant était incompétent et 2) si l’intimé avait une « obligation d’envoyer en consultation » et, dans l’affirmative, si cette obligation avait été remplie.
Arrêt : la demande doit être accueillie.
1) Il est extrêmement rare que l’incompétence soit considérée comme un motif suffisant de renvoi. Dans la plupart des cas, le mauvais rendement au travail résulte de plusieurs facteurs contributoires, y compris les problèmes de santé et les conflits de personnalité avec l’employeur. En outre, il est souvent difficile de savoir si un renvoi est justifié pour motif d’incompétence ou d’indiscipline. Bien qu’une distinction valable puisse être faite entre l’employé « incompétent » et l’employé « incapable », il est trompeur de suggérer que l’article 31 de la Loi vise à classer les employés en deux catégories, c’est-à-dire les incompétents et ceux qui souffrent d’une incapacité. Aux fins de cette disposition, il faut se demander si un employé a fait défaut de remplir les normes de rendement voulues au travail et non se demander pourquoi il ne les a pas remplies. Le mot « incapable » s’entend de l’employé qui est empêché de remplir ses fonctions, si bien qu’il est impossible, aux fins d’évaluer son rendement, de parler d’incompétence, c’est-à-dire le défaut de remplir une norme objective. Le requérant a démontré qu’il était capable de remplir les fonctions de son poste. Il n’importe pas que les termes « incompétent » et « incapable » soient synonymes ou non. La seule question importante pour le requérant est de savoir si l’incompétence ou l’incapacité est « temporaire ». L’article 31 ne vise pas à permettre à un ministère de renvoyer un employé dont le système immunitaire est incapable de le protéger contre un mal temporaire. L’incapacité temporaire est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de faire une recommandation de renvoi conformément à l’article 31. En l’espèce, rien ne permettait de qualifier de temporaire la prétendue incapacité du requérant au moment où la recommandation de renvoi a été faite.
2) Pour répondre à la question de savoir s’il y lieu de reconnaître une « obligation d’envoyer en consultation » conformément à l’article 31 de la Loi, il faut circonscrire la portée exacte de cette obligation. Dès que l’employeur établit un PAE et que l’employé demande de l’aide, il y a une « obligation d’envoyer en consultation » si l’employeur, vu les circonstances, est déjà assujetti à une « obligation d’avertir » d’après les critères énoncés dans l’arrêt Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique). L’« obligation d’envoyer en consultation », qu’il faut reconnaître comme obligation concomitante à l’« obligation d’avertir », n’est qu’un prolongement logique de la règle de droit appliquée dans l’arrêt Dansereau, règle conforme aux exigences de l’équité et des relations du travail modernes. Ces obligations implicites d’« accommoder », d’« avertir » ou d’« envoyer en consultation » sont à l’avantage des employés justifiant de longs états de service, dont l’ancienneté est elle-même un obstacle direct à un verdict d’incompétence ou d’incapacité. L’« obligation d’envoyer en consultation » ne donne pas force de loi à la politique du gouvernement énoncée dans le PAE et ne nous amène pas à examiner une foule de questions juridiques soulevées par l’établissement et la mise en œuvre de tels programmes. Le défaut de l’intimé d’avoir pris des mesures raisonnables pour veiller à ce que le requérant se prévale du PAE a causé une injustice puisqu’il a empêché l’employé de prendre une décision éclairée face aux possibilités qui lui étaient offertes, notamment la possibilité de prendre un congé temporaire. L’« obligation d’envoyer en consultation » dont il est question en l’espèce n’empiète pas indûment sur les droits de l’employeur. Elle permet d’atteindre un autre objectif, également valable, c’est-à-dire veiller à ce qu’un employeur qui agit véritablement de bonne foi prenne une décision qui soit dans le meilleur intérêt des deux parties.
Le requérant, de sa propre initiative, a demandé de l’aide professionnelle et l’intimé a répondu à la demande par une lettre qui témoignait de son « indifférence », parce qu’il croyait que le requérant était déjà suivi par un professionnel. Si l’intimé avait communiqué directement avec le requérant, tout malentendu aurait pu être évité. Que l’intimé ait mal apprécié les faits ne saurait avoir pour effet juridique de le dispenser de l’« obligation d’envoyer en consultation ». Puisque cette obligation n’a pas été remplie, il faut prescrire les conséquences juridiques du manquement. Ni les faits, ni le droit ne nous permettent de conclure que l’intimé a agi de mauvaise foi. Il appartient à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver; il n’est pas facile de s’acquitter de ce fardeau et, de ce fait, un verdict de mauvaise foi, comme celui dans l’arrêt Dansereau, est l’exception, et non la règle. Le rendement au travail du requérant ne remplissait pas la norme requise et, même si le milieu de travail de ce dernier a pu contribuer au stress qu’il vivait à cause de sa situation familiale, l’on ne peut pas dire que les actes ou les omissions de l’intimé étaient à l’origine du rendement « insatisfaisant » du requérant. Le manquement de l’intimé doit être considéré comme un défaut d’avoir rempli une condition préalable, ce qui a pour effet de vicier la recommandation de renvoi. Telle doit être la conséquence du manquement car autrement, il serait inutile de reconnaître l’existence d’une « obligation d’envoyer en consultation », voire une « obligation d’avertir ».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, art. 61.5.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).
Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 27, 31.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444; (1990), 91 CLLC 14,010; 122 N.R. 122 (C.A.); Bell Canada c. Hallé (1989), 29 C.C.E.L. 213; 89 CLLC 14,052; 99 N.R. 149 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES :
Homstel c. Canada (Comité d’appel de la Commission de la fonction publique), A-303-89, le juge Heald, J.C.A., jugement en date du 14-2-90, C.A.F., non publié; Perras c. R., [1982] 2 C.F. 589 (1re inst.); Drummond c. ministère des Pêches et des Océans, [1986] DCA [7-1] 3.1 (a)-12 (C.A.C.F.P.); Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644; (1974), 51 D.L.R. (3d) 470; 6 N.R. 287 (C.A.); Dickinson c. ministère du Revenu national (Impôt), [1987] DCA [8-1] 162 (C.A.C.F.P.); Casey v. General Inc. Ltd. (1988), 73 Nfld. & P.E.I.R. 103 (C.S. 1re inst.); Yeager v. R.J. Hastings Agencies Ltd., [1985] 1 W.W.R. 218; (1984), 5 C.C.E.L. 266 (C.S.C.-B.); Rivest v. Canfarge Ltd. (1977), 4 A.R. 164; [1977] 4 W.W.R. 515; 1 B.L.R. 316 (C.S. 1re inst.);Claver c. Canada, A-1892-83, le juge Pratte, J.C.A., jugement en date du 21-2-91, C.A.F., non publié.
DÉCISIONS CITÉES :
Snaauw c. Le Comité d’appel de la Commission de la Fonction publique, [1980] 1 C.F. 78; (1979), 30 N.R. 581 (C.A.); Nelson c. Le procureur général du Canada, [1980] 2 C.F. 38 (C.A.); Schecter c. Canada (1986), 8 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.); Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Niles, A-481-91, le juge Heald, J.C.A., jugement en date du 2-7-92, C.A.F., encore inédit; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689.
DOCTRINE
Finkelman, Jacob. Employeur-employés—Relations de travail dans la Fonction publique du Canada; Propositions de modification législative, Partie I, mars 1974, Information Canada, 1974.
Lehr, Richard I. & David J. Middlebrooks, « Legal Implications of Employee Assistance Programs » (1986), 12 Employee Relations Law Journal 262.
Loomis, Lloyd. « Employee Assistance Programs : Their Impact on Arbitration and Litigation of Termination Cases » (1986), 12 Employee Relations Law Journal 275.
Sproat, John R. Employment Law Manual, Toronto : Carswell, 1990.
DEMANDE en vue d’annuler une décision d’un comité d’appel de la Commission de la fonction publique entérinant une recommandation ministérielle pour que le requérant soit congédié pour cause d’incompétence conformément à l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Demande accueillie.
AVOCATS :
Andrew J. Raven pour le requérant.
Dogan D. Akman pour l’intimé.
PROCUREURS :
Raven, Jewitt & Allen, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Robertson, J.C.A. : La présente demande, fondée sur l’article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [mod. par S.C. 1990, ch. 8, art. 8] intéresse les droits et obligations d’un employeur dont un des employés justifiant de longs états de service ne fournit plus un rendement satisfaisant au travail, par rapport à une norme objective. Comme c’est souvent le cas, l’employé en cause prétend que son employeur n’a pas le droit de le renvoyer, même pour un motif déterminé, vu qu’il n’a pas rempli une certaine obligation. En l’espèce, il s’agit essentiellement de décider s’il y a lieu, à première vue, de reconnaître et de sanctionner l’existence d’une obligation qui, dans le contexte de la législation applicable, doit être caractérisée comme une condition implicite du contrat de travail.
La demande vise à faire annuler une décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique (ci-après appelé le « Comité »), établi par la Commission de la fonction publique (ci-après appelée la « Commission »). Le Comité était saisi d’un appel, interjeté par le requérant, à l’encontre d’une recommandation ministérielle portant que le requérant soit congédié pour cause d’incompétence, en application de l’article 31 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (ci-après appelée la « Loi »). Vu le rejet de l’appel du requérant par le Comité, la Commission a dû le renvoyer après vingt-trois années de service à la fonction publique fédérale.
Le requérant prétend que le Comité a eu tort d’entériner la conclusion du Ministère selon laquelle il était incompétent, alors qu’en fait et en droit, il souffrait plutôt d’une incapacité temporaire, attribuable au stress que lui causaient des problèmes familiaux et professionnels. De façon corrélative, le requérant soutient que le ministère en cause avait l’obligation de donner suite à ses demandes répétées d’aide (sous forme de counselling professionnel), eu égard au Programme d’aide aux employés (ci-après appelé le « PAE »), établi par l’employeur. Selon le requérant, le défaut d’avoir rempli cette obligation, que je qualifierais d’« obligation d’envoyer en consultation », équivaut à de la mauvaise foi, si bien que la décision du Comité doit être annulée.
Selon l’intimé : (1) rien ne permet d’infirmer la conclusion du Ministère selon laquelle le requérant était incompétent; (2) il n’existe aucune « obligation d’envoyer en consultation »; (3) les fonctionnaires de l’intimé n’ont pas agi de mauvaise foi.
LES FAITS
Les faits pertinents en l’espèce intéressent trois questions distinctes : (1) les appréciations de rendement du requérant pendant qu’il était à l’emploi du ministère en cause; (2) les motifs invoqués pour expliquer son « rendement insatisfaisant »; (3) les circonstances dans lesquelles il a demandé de l’aide.
En décembre 1984, le requérant a été nommé comme stagiaire au poste d’agent de négociation des contrats au ministère des Approvisionnements et des Services (ci-après appelé le « Ministère »), à la suite d’une mutation latérale de Transports Canada. À l’expiration de son stage de douze mois, le requérant a été titularisé. Puis, jusqu’au 1er décembre 1987, le rendement du requérant a toujours été jugé « satisfaisant »[1]. Autrement dit, il remplissait toutes les exigences fondamentales du poste, bien que son travail laissât à désirer sous certains rapports.
Du 1er décembre 1987 au 31 mars 1989, le rendement du requérant a été jugé « insatisfaisant »[2]. Au cours de cette période, il ne remplissait pas une ou plusieurs des exigences fondamentales du poste, de sorte qu’il devait améliorer sensiblement son rendement au travail. Qui plus est, la situation ne s’est pas améliorée.
Du 1er avril 1989 au 8 janvier 1991, le rendement du requérant a continué d’être « insatisfaisant », sauf pour une courte période de quatre mois (de novembre 1989 à février 1990), quand il travaillait, à sa propre demande, sous étroite supervision[3], pour la période du 1er décembre 1987 au 31 mars 1989; vol. I, pièce D-29, à la p. 113, pour la période du 1er octobre 1989 au 31 mars 1990; vol. I, pièce D-13, à la p. 52, pour la période du 1er avril 1990 au 31 octobre 1990. . En somme, les évaluations révèlent que le rendement du requérant était « satisfaisant » pendant les trois premières années et « insatisfaisant » pendant les trois années subséquentes.
Il faut tout d’abord énoncer les motifs donnés par le requérant pour expliquer son rendement insatisfaisant pendant trois ans. À cet égard, il convient d’abord de relater des événements survenus en dehors du milieu de travail. Il ressort du dossier d’appel que les problèmes de santé qu’a connus l’épouse du requérant et les abus sexuels dont son fils a été victime ont très bien pu avoir une incidence profonde sur cet employé, ce qui a eu des répercussions sur sa vie professionnelle.
En 1985, l’épouse de M. Clare est tombée gravement malade et elle a failli mourir un an plus tard. Les médecins avaient diagnostiqué qu’elle souffrait de la maladie de Crohn, ce qui a nécessité une importante intervention chirurgicale. En 1990, elle a été hospitalisée à cause de complications de la maladie et de l’intervention chirurgicale. En juin 1990, ses médecins lui ont fait subir des tests, croyant qu’elle souffrait du cancer des os; cependant, ils ont découvert plus tard que son mal était symptomatique du traitement qui lui était administré pour la maladie de Crohn.
En 1987, le fils du requérant suivait un cours donné par une école près de chez lui[4]. Un moniteur a gagné l’amitié de l’enfant et l’a agressé sexuellement sur une longue période. Ce n’est qu’en 1990 que toute l’affaire a été mise au jour[5]. Pendant cette période, l’enfant et ses parents en sont venus aux coups, ce qui a nécessité l’intervention de la police.
Selon le témoignage accepté du docteur Waye, un psychologue qui a témoigné pour le requérant, ce dernier avait souffert d’un stress important au travail et à la maison pendant deux ans[6]. En ce qui a trait au stress lié au travail, le docteur Waye et le Comité ont expressément mentionné le [traduction] « conflit de personnalité » entre le requérant et son superviseur, conflit qui a donné lieu à de fréquentes vérifications du travail du requérant[7].
Devant le Comité, le débat a porté en grande partie sur la question de savoir si les demandes d’aide du requérant étaient demeurées sans réponse et, ce qui est aussi important, si le Ministère était tenu d’envoyer le requérant au PAE. Un examen de la correspondance pertinente qui a mené à la recommandation de renvoi du 8 janvier 1991 nous renseigne sur les faits.
Le 7 juin 1990, le requérant a été avisé que son rendement avait été jugé insatisfaisant. Ce n’est qu’à cette date qu’il a officiellement informé le Ministère par écrit des problèmes familiaux qui, à son avis, l’empêchaient sérieusement de remplir ses fonctions. Le requérant a rédigé une note de service à cet effet, en plus de demander de l’aide personnelle et une réaffectation temporaire. Il a également informé le Ministère qu’il [traduction] « obtenai[t] actuellement de l’aide—ou cherchai[t] à en obtenir—de [son] médecin de famille, de la section des jeunes contrevenants des services sociaux de l’Alberta, d’un psychiatre et de plusieurs autres organismes pour régler [ses] problèmes familiaux »[8].
Cependant, c’était apparemment la famille du requérant qui recevait de l’aide sous forme de counselling, et non pas le requérant. Celui-ci s’est contenté de consulter un médecin parce qu’il souffrait régulièrement d’insomnie et d’indigestion pour lesquelles son médecin de famille lui avait prescrit des médicaments[9]. Par conséquent, si je comprends bien, le requérant ne consultait personne relativement aux conséquences que sa situation familiale pouvait avoir sur sa capacité de fonctionner efficacement au travail.
En ce qui a trait aux demandes d’aide du requérant, on lui a conseillé, le 23 juillet 1990, de consulter l’infirmière de la santé publique du gouvernement. Cette dernière a informé le requérant qu’il n’existait aucun programme gouvernemental qui fournissait un tel service de counselling, mais que s’il le voulait, son superviseur pouvait demander au régime de santé publique de lui administrer un examen médical spécial. La demande du requérant du 6 août 1990, en vue de subir un tel examen, a été refusée le 10 août 1990. Ce refus n’a pas été motivé.
Après cet échange de lettres, le requérant a reçu, le 3 octobre 1990, une évaluation de son rendement dans laquelle on l’informait que, si son travail ne s’améliorait pas dans les trente jours, il serait [traduction] « muté, réaffecté à d’autres fonctions, rétrogradé ou renvoyé »[10]. En fait, l’intimé remplissait son « obligation d’avertir » qui, dans un cas comme celui dont nous sommes saisis, est, à mon avis, une condition préalable à une recommandation de renvoi en application de l’article 31.
Le 28 novembre 1990, le requérant a encore une fois demandé une réaffectation temporaire, signalant que ses problèmes familiaux n’avaient pas été réglés[11]. Enfin, le 8 janvier 1991, le requérant a reçu une lettre l’avisant de la décision de recommander son renvoi en application de l’article 31 de la Loi. Le lendemain, pendant une réunion avec des responsables du Ministère, le requérant s’est vu offrir verbalement un poste comme « magasinier libre-service ». (Pour être tout à fait juste envers le requérant, je ne crois pas que l’on puisse lui reprocher d’avoir rejeté l’offre sur-le-champ, vu les circonstances dans lesquelles elle avait été faite.)
L’avocat de l’intimé a porté deux autres faits à notre attention. L’un d’entre eux est consigné au dossier. L’autre constitue, en fait, une preuve supplémentaire. Premièrement, il a signalé que le requérant était arrivé au Ministère à la suite d’une mutation latérale d’un autre ministère à cause de « problèmes familiaux ». La nature de ces problèmes n’a toujours pas été révélée. Deuxièmement, il nous a informés qu’à la fonction publique fédérale, une évaluation du rendement « satisfaisante », comme celle qu’avait obtenue le requérant pendant ses trois premières années au Ministère, était invariablement mal vue. Même le Comité a commenté sur le fait que le requérant n’avait jamais obtenu d’évaluation « entièrement satisfaisante »[12].
Je suppose que l’intimé voudrait nous amener à conclure que le requérant a des problèmes familiaux depuis longtemps et qu’en fait, si on l’a muté au Ministère en 1984, c’était pour se montrer complaisant envers un employé « difficile » ou « troublé ». En outre, le fait que son rendement n’ait jamais été jugé « entièrement satisfaisant » voudrait censément dire que cet employé était incompétent.
Chacune des conclusions négatives suggérées peut être réfutée, au plan juridique. Premièrement, les motifs pour lesquels le requérant a été muté en 1984 n’ont pas été allégués devant le Comité, si bien qu’ils ne peuvent faire l’objet de conjectures (voir l’arrêt Dansereau c. Canada (Comité d’appel de la fonction publique), [1991] 1 C.F. 444 (C.A.), aux pages 460 à 462, en ce qui a trait à la preuve sur laquelle on peut s’appuyer pour justifier un renvoi). Deuxièmement, le fait que le requérant n’ait jamais obtenu une évaluation « entièrement satisfaisante » est sans importance, vu les normes de rendement établies par le gouvernement.
Je crois qu’il est important de reconnaître qu’il serait téméraire pour l’avocat de l’intimé ou pour la Cour de tirer des conclusions, invariablement négatives, à l’égard de faits qui ne sont pas directement en cause. L’avocat de l’intimé doit se rappeler qu’un tel exercice peut être une arme à double tranchant. En l’espèce, on pourrait tirer plusieurs conclusions, défavorables à la thèse de l’intimé, à partir de faits que l’avocat ou le Comité n’ont pas voulu aborder pour des motifs que je ne suis pas en mesure d’apprécier. Je vais examiner ces faits, ne serait-ce que pour dissiper les doutes de l’avocat de l’intimé, qui semble craindre que la Cour ne rende sa décision en se fondant sur des sentiments mal placés plutôt que sur des motifs juridiques.
Je me suis demandé comment un employé pouvait garder son poste alors que son rendement avait été jugé « insatisfaisant » pendant si longtemps, soit trois ans. Serait-ce parce que l’employeur avait toléré cette situation? Par ailleurs, le dossier d’appel révèle que, deux semaines avant que les fonctionnaires de l’intimé aient évalué, le 17 mai 1989, le rendement du requérant pour la période du 1er décembre 1987 au 31 mars 1989, le requérant et son superviseur avaient eu un grave désaccord[13]. Cela explique pourquoi il est souvent question, dans le dossier d’appel, d’un « conflit de personnalité » entre ces deux employés.
La mention la plus explicite de ce conflit se trouve dans les motifs du Comité : [traduction] « Selon le docteur Waye, les exigences élevées du travail de l’appelant, un conflit de personnalité entre l’appelant et son superviseur, et les graves problèmes familiaux ont tous contribué à créer une situation extrêmement stressante »[14]. Une note de service rédigée par le requérant, en réponse à l’évaluation de son rendement pour la période du 1er décembre 1987 au 31 mars 1989, révèle clairement l’étendue du conflit de personnalité[15] :
[traduction] Je voudrais maintenant affirmer que depuis dix-huit mois, le climat qui règne entre [le superviseur] et moi-même s’apparente ni plus ni moins à celui d’un camp militaire. Il y a entre nous un sentiment de méfiance attribuable à un certain nombre de situations qui ont eu lieu depuis un an. À mon sens, [le superviseur] n’est donc pas en mesure de faire une évaluation juste et équitable, même si ce rapport doit porter uniquement sur le rendement et être dépourvu de partialité.
Les faits susmentionnés peuvent amener à tirer certaines conclusions. Par exemple, je pourrais être porté à croire que, même s’il est question d’« incompétence » dans le dossier de travail du requérant, celui-ci avait été renvoyé, en réalité, pour des raisons de « discipline ». Je sais fort bien qu’il est extrêmement rare que l’incompétence soit considérée comme un motif suffisant de renvoi et que, dans la plupart des cas, le mauvais rendement au travail résulte de plusieurs facteurs contributoires, y compris les problèmes de santé et les conflits de personnalité avec l’employeur (voir Sproat, Employment Law Manual, aux pages 4-11 à 4-15). En outre, on ne peut pas nier qu’il est souvent difficile de savoir si un renvoi est justifié pour motif d’incompétence ou de discipline :
Il est peu probable qu’on parvienne à faire une nette distinction entre l’incompétence ou l’incapacité d’une part et la mauvaise conduite ou les manquements à la discipline d’autre part; il est très peu probable, de plus, qu’on puisse arriver à définir clairement les deux concepts en termes juridiques. [J. Finkelman, Employeur-employés—Relations de travail dans la Fonction publique du Canada; Propositions de modification législative, Partie I, mars 1974, à la page 247.]
L’évaluation du rendement rédigée en mai 1989 pourrait assurément nous amener à cette conclusion. Dans ce document, il y a une section intitulée [traduction] « Évaluation globale du rendement » qui décrit en ces termes le rendement du requérant au travail[16] :
[traduction] Mike est un employé ponctuel qui ne s’intéresse qu’à la charge de travail de son poste. Il aide le [superviseur] à contre-cœur et seulement s’il est directement prié de le faire. Même après une réprimande verbale du [superviseur], Mike continue à le défier et à contester son autorité d’une manière qui perturbe le climat de travail.
On ne peut pas non plus faire abstraction des commentaires du Comité de révision, griffonnés sur l’évaluation du rendement[17] :
[traduction] Le Comité de révision a discuté de l’évaluation avec le superviseur et l’agent de révision et reconnaît la complexité de la présente situation. Bien qu’il y ait des incohérences, nous souscrivons à l’évaluation. [C’est moi qui souligne.]
Le dossier d’appel ne révèle ni la complexité de la situation, ni ses incohérences.
En définitive, je dois accepter que le piètre rendement du requérant au travail et sa tendance à affronter son superviseur sont des manifestations du stress que lui causait sa situation familiale. Cette déduction est conforme au témoignage du requérant devant le Comité : [traduction] « La crise familiale a atteint son paroxysme en avril 1989, juste avant que le Ministère ne lui retire son habilité à signer[18] ». Bien entendu, il est avéré que le rendement du requérant au travail était inacceptable. Il serait donc inopportun, à cette étape, de déduire que les effets débilitants du stress étaient davantage liés à son milieu de travail.
Plutôt que de m’interroger sur le bien-fondé de l’espèce, je préfère analyser les questions en cause en étudiant la situation de l’employé-type, c’est-à-dire l’employé justifiant de longs états de service qui jouissait de l’estime et du respect de ses collègues et de ses superviseurs et dont la loyauté et les capacités n’avaient jamais, jusqu’à récemment, fait l’objet de critiques et encore moins de mesures disciplinaires ou de renvoi. Mon raisonnement est simple : les obligations que la loi impose aux employeurs profitent à tous les employés, même ceux dont le rendement n’est pas jugé « entièrement satisfaisant ».
L’INCOMPÉTENCE PAR OPPOSITION À l’INCAPACITÉ TEMPORAIRE
Le requérant soutient que le Comité a eu tort de conclure qu’il [traduction] « ne remplissait pas les fonctions de son poste de manière compétente pour des motifs indépendants de sa volonté[19] ». Il plaide en gros que le Comité a mal interprété et mal appliqué l’article 31 de la Loi en ne reconnaissant pas qu’il souffrait d’une incapacité temporaire attribuable au stress causé par des problèmes familiaux et professionnels. Autrement dit, les termes « incompétence » et « incapacité » ne seraient pas synonymes et constitueraient des motifs distincts qui empêcheraient un employé d’atteindre une norme de rendement. Le paragraphe 31(1) dispose :
31. (1) L’administrateur général qui juge un fonctionnaire incompétent dans l’exercice des fonctions de son poste ou incapable de remplir ces fonctions peut recommander à la Commission soit le renvoi de ce fonctionnaire, soit sa rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur. Dans les deux cas, il en avise par écrit le fonctionnaire.
L’avocat du requérant plaide qu’un employé est incompétent au sens de cet article s’il n’a pas les aptitudes et la formation voulues pour remplir les fonctions dont il est chargé. Par ailleurs, un employé devrait être réputé incapable dans les cas où il possède les aptitudes voulues, mais où il est néanmoins incapable de donner le rendement nécessaire à cause de circonstances indépendantes de sa volonté. Il est avéré que le requérant a démontré qu’il était capable de remplir les fonctions du poste[20].
La manière dont le requérant a choisi de définir chacun de ces termes n’a rien d’exceptionnel, ne serait-ce qu’à cause de leur simplicité. En outre, je soupçonne que le non-juriste aurait de la difficulté à comprendre en quoi un employé pourrait être réputé « incompétent » après avoir travaillé pour le même employeur pendant vingt-trois ans. Par conséquent, un verdict d’« incapacité » semble tout à fait raisonnable. Cependant, à mon avis, il est trompeur de suggérer que l’article 31 vise à classer les employés en deux catégories, c’est-à-dire les incompétents et ceux qui souffrent d’une incapacité.
À l’article 31, il est question d’une personne qui est soit « incompétent[e] dans l’exercice des fonctions de son poste », soit « incapable de remplir ces fonctions » (voir l’arrêt Snaauw c. Le Comité d’appel de la Commission de la Fonction publique, [1980] 1 C.F. 78 (C.A.), aux pages 82 et 83, où cette distinction est soulevée). Dans cet article, les mots « incompétent » et « incapable » n’ont pas nécessairement le même sens que celui que leur donne le requérant. À mon avis, aux fins de l’article 31, il faut se demander si un employé a fait défaut de remplir les normes de rendement voulues au travail, et non pas se demander pourquoi il ne les a pas remplies, comme le voudrait le requérant. Une brève explication s’impose.
On pourrait invoquer toutes sortes de raisons ou d’excuses pour expliquer le rendement insatisfaisant d’un employé, le manque d’aptitudes, par exemple. Par ailleurs, il a peut-être simplement cessé de s’intéresser à son travail ou a été distrait par d’autres préoccupations pressantes. Dans un cas comme dans l’autre, il aura fait preuve d’incompétence dans l’exercice de ses fonctions. À mon avis, les motifs sous-jacents demeurent sans importance, si bien qu’il est inutile, par exemple, de décider si l’employé avait les aptitudes voulues, et ainsi de suite.
Cependant, il est plus difficile de définir la notion d’employé « incapable de remplir ses fonctions ». À cet égard, je crois qu’une distinction valable peut être faite entre l’employé « incompétent » et l’employé « incapable », sans donner à l’une ou l’autre de ces expressions un sens technique. À mon avis, l’employé « incapable » s’entend de l’employé qui est empêché de remplir ses fonctions, si bien qu’il est impossible, aux fins d’évaluer son rendement, de parler d’incompétence, c’est-à-dire le défaut de remplir une norme objective. La notion d’« incapacité » conviendrait dans le cas d’un employé qui n’est plus physiquement apte à remplir ses fonctions de travail. Cependant, indépendamment des motifs pour lesquels l’employé ne remplit pas ses fonctions, un employeur aurait le droit de le renvoyer. Il est vrai que la dure réalité qui attend l’employé frappé d’incapacité physique peut être atténuée par les régimes d’assurance invalidité à long terme, les conventions collectives et la possibilité que l’employeur vienne en aide à l’employé touché en lui trouvant un emploi compatible avec ses capacités actuelles (voir l’arrêt Nelson c. Le procureur général du Canada, [1980] 2 C.F. 38 (C.A.)).
Si nous appliquons l’analyse précédente aux faits en l’espèce, nous voyons qu’il n’importe pas que les termes « incompétent » et « incapable » soient synonymes ou non. Par conséquent, la seule question importante pour le requérant est de savoir si l’incompétence ou l’incapacité est « temporaire ». À cet égard, nous pouvons admettre, sans risquer de nous tromper, que l’article 31 ne vise pas à permettre à un ministère de renvoyer un employé dont le système immunitaire est incapable de le protéger contre un mal temporaire. Cette concession explique peut-être pourquoi la jurisprudence sur cette question est rare.
Dans l’affaire Homstel c. Canada (Comité d’appel de la Commission de la fonction publique), A-303-89, le juge Heald, J.C.A., le 14 février 1990, non publiée, le Comité d’appel devait statuer sur le cas d’un employé qui avait perdu son permis de conduire pendant quinze mois et qui avait été renvoyé en application de l’article 31 parce que plusieurs de ses fonctions l’obligeaient à conduire des véhicules automobiles. Le ministère était d’avis que la perte du droit de conduire rendait l’appelant incapable de remplir une partie essentielle de ses fonctions et que l’incapacité n’était pas temporaire. Le Comité a statué en ces termes (à la page 17) :
[traduction] Avant qu’un ministère ne puisse faire une recommandation en application de l’article 31 pour motif d’incapacité, il faut estimer, au moment de faire la recommandation, que cette incapacité durera aussi longtemps qu’il est raisonnablement possible de le prévoir et qu’elle n’est pas purement temporaire.
Le Comité a donc conclu que l’incapacité n’était pas purement temporaire et que, dans ce cas-là, le Ministère avait agi raisonnablement. Cette Cour a rejeté la demande fondée sur l’article 28 au motif que le Comité était raisonnablement en droit de conclure à l’incapacité, vu la preuve qui lui avait été soumise.
À certains égards, l’affaire Homstel ressemble davantage à l’affaire Perras c. R., [1982] 2 C.F. 589 (1re inst.), où l’employé était réputé avoir abandonné son poste, conformément à l’article 27[21] de la Loi, après avoir été reconnu coupable de certaines infractions et condamné à quinze mois d’emprisonnement. À l’origine, l’employeur avait renvoyé l’employé, conformément à l’article 31 de la Loi, au motif qu’il était incapable de remplir ses fonctions. L’employé a eu gain de cause en appel devant le Comité et, plutôt que de demander le contrôle judiciaire de cette décision, l’employeur a renvoyé l’employé en application de l’article 27. Cette Cour a maintenu le renvoi.
Bien que l’affaire Homstel ressemble peu à l’espèce dans les faits, elle confirme néanmoins que l’incapacité temporaire est un facteur dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit de faire une recommandation de renvoi conformément à l’article 31. S’il est possible de démontrer qu’au moment où la décision de renvoi a été prise, l’incapacité était purement temporaire, l’employeur n’aurait apparemment pas le droit absolu d’invoquer l’article 31. Peut-on dire que l’incapacité ou l’incompétence causée par le stress est de nature purement temporaire? Cette question a été soulevée dans l’affaire suivante.
Dans l’affaire Drummond c. ministère des Pêches et des Océans, [1986] DCA [7-1] 3.1 (a)-12 (C.A.C.F.P.), une employée ayant sept ans de service avait été renvoyée pour incompétence. Reconnaissant que son rendement au travail n’était pas satisfaisant, l’employée a toutefois informé le Ministère qu’elle souffrait de stress, après quoi elle a été envoyée en consultation auprès d’un médecin du ministère de la Santé et du Bien-être social. Par la suite, le médecin a déclaré que l’employée recevait des traitements, mais que son rendement au travail ne s’améliorerait pas nécessairement. Le Comité d’appel a rejeté son appel. Il a jugé que l’employée était incompétente dans l’exercice de ses fonctions au moment où la recommandation de renvoi avait été faite. En ce qui a trait à la défense d’incapacité temporaire, le Comité a commenté en ces termes (aux pages 8 et 9) :
Bref, je ne peux conclure que le pronostic [sic] d’un retour inconditionnel de Mme Drummond au travail est entièrement favorable. Par conséquent, je crois que le ministère n’a pas l’obligation en l’espèce d’accorder à Mme Drummond une chance supplémentaire de démontrer qu’elle peut remplir ses fonctions d’une manière entièrement satisfaisante.
À mon avis, l’aspect le plus important de l’affaire Re Drummond est que l’envoi en consultation par l’employeur a permis à un professionnel désintéressé de se prononcer sur le caractère temporaire de l’incompétence.
En l’espèce, rien ne permettait au requérant ou à l’intimé de qualifier de temporaire la prétendue incapacité du requérant au moment où la recommandation de renvoi a été faite. En effet, ce n’est qu’à l’audience devant le Comité que le requérant a affirmé avoir eu le temps de [traduction] « régler ses problèmes » et être maintenant en mesure de remplir ses fonctions[22]. Par conséquent, si le requérant doit avoir gain de cause, c’est parce que le Ministère n’a pas rempli son obligation de répondre à ses demandes d’aide.
Avant d’aborder cette question, je voudrais affirmer que, même si l’incapacité ou l’incompétence temporaire était prouvée, avant qu’une recommandation ne soit formulée en application de l’article 31 de la Loi, je ne vois pas en quoi cela pourrait porter atteinte au droit de l’employeur d’exiger une norme minimale de rendement. L’avocat de l’intimé a plaidé que si le stress avait causé une « incapacité temporaire », le requérant aurait dû demander, par exemple, un congé médical. Je suis d’accord. Sauf si elle est sans conséquence, l’incompétence ou l’incapacité temporaire n’autorise pas l’employé à demeurer au travail. D’autres solutions s’imposent, comme celle que mentionne l’article 27 de la Loi. Un employé ne peut pas continuer à fournir un rendement inférieur à la norme requise en arguant l’« incapacité temporaire », de sorte que l’employeur soit empêché d’invoquer l’article 31. Cela ne veut pas dire que l’incapacité temporaire n’a jamais d’importance. Il faut se demander dans quelle mesure l’employeur est tenu d’aider l’employé qui est incapable de faire un tel pronostic. Par conséquent, ce qui importe vraiment, c’est l’« obligation d’envoyer en consultation », et non pas la notion d’« incapacité temporaire ».
LA RECONNAISSANCE D’UNE OBLIGATION D’ENVOYER EN CONSULTATION
À mon avis, il est relativement clair que la jurisprudence permet à cette Cour d’ajouter au contrat de travail le type d’obligation dont le requérant fait état. Dans l’arrêt Ahmad c. La Commission de la Fonction publique, [1974] 2 C.F. 644 (C.A.), le juge en chef Jackett a notamment statué qu’un comité d’appel ne pouvait pas infirmer le verdict d’incompétence du ministère en l’absence [à la page 647] « de mauvaise application d’une directive légale ou juridique ». [C’est moi qui souligne.]
Récemment, cette Cour a imposé aux employeurs l’obligation d’avertir les employés dont ils n’étaient pas satisfaits qu’ils risquaient le renvoi si leur rendement ne s’améliorait pas dans un délai stipulé (voir l’arrêt Dansereau, précité). Les juges majoritaires dans l’arrêt Dansereau ont adopté l’approche énoncée dans une affaire antérieure, entendue devant un comité (voir Dickinson c. ministère du Revenu national (Impôt), [1987] DCA [8-1] 162 (C.A.C.F.P.). Dans cette décision, le raisonnement du Comité montre comment certaines questions sont véritablement perçues et résolues par ceux qui connaissent davantage le milieu de travail (aux pages 173, 176 et 177) :
Le point crucial, cependant, concerne l’avertissement qui touche le cœur même du principe de la justice élémentaire ... le fait d’avertir un employé des conséquences qu’il encourt s’il continue à agir de façon inacceptable représente plus qu’une formalité ou qu’une politesse dont on en fait [sic] profiter que les employés appréciés par ailleurs; c’est un principe de justice élémentaire.
...
Comme on peut le voir dans ce qui précède, il est essentiel, dans le champs [sic] des relations de travail, de donner un avertissement sans équivoque avant de prendre des mesures comme la rétrogradation ou la destitution; il s’agit également, d’après mon expérience, d’une pratique universelle dans la Fonction publique fédérale. [C’est moi qui souligne.]
Dans ses motifs rédigés au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Dansereau, M. le juge Décary a soigneusement établi les conditions auxquelles l’« obligation d’avertir » s’applique aux employés « établis » ou « justifiant de longs états de service » dont l’emploi est en jeu (à la page 460) :
... lorsqu’un employé qui a exercé les mêmes fonctions pendant plusieurs années reçoit de façon constante des rapports de rendement satisfaisants et n’est l’objet d’aucune critique sérieuse de la part de son employeur, il se dégage une présomption qu’il a la compétence voulue pour exercer lesdites fonctions et l’employeur, sauf circonstances extraordinaires ou pressantes, ne saurait le congédier pour cause d’incompétence à moins qu’il ne l’ait informé des lacunes qui lui sont reprochées, qu’il ne lui ait donné la possibilité de les corriger et qu’il ne lui ait indiqué les dangers de congédiement auxquels il s’exposait s’il ne les corrigeait pas. Chaque cas, bien sûr, en sera un d’espèce et le type d’avertissement ainsi que la période de correction varieront au gré des circonstances. Dans le cas présent, le requérant, fort de rapports de rendement satisfaisants et d’une carrière jusque-là sans reproches sérieux dans des fonctions qu’il occupait depuis plus de dix ans, aurait dû, à moins de circonstances extraordinaires ou pressantes, recevoir un avertissement avant d’être congédié, et le Comité d’appel a erré en droit en ne jugeant pas pertinent ce défaut d’avertissement ou en ne se demandant pas si des circonstances extraordinaires ou pressantes pouvaient le justifier. [Renvoi omis]
Nous devons donc décider s’il existe une « obligation d’envoyer en consultation » dans le contexte de l’article 31 de la Loi. Bien qu’une telle obligation ne semble jamais avoir été invoquée devant les tribunaux de common law, il a parfois été jugé que le « stress » pouvait être un facteur pertinent dans les actions pour congédiement injustifié. Cette jurisprudence montre que les tribunaux sont enclins à statuer en faveur des employés justifiant de longs états de service.
Dans la décision Casey v. General Inc. Ltd. (1988), 73 Nfld.& P.E.I.R. 103 (C.S. 1re inst.), le tribunal a jugé que le défaut d’un employé de remplir ses fonctions malgré les avertissements répétés de l’employeur constituait normalement un motif valable de renvoi sans préavis. Cependant, lorsque l’employé souffrait d’une maladie aiguë liée au stress causé par son travail, le tribunal a jugé que l’employeur n’avait pas le droit de le renvoyer sans préavis, même si les deux parties ignoraient la maladie à la date du renvoi. Les faits révèlent que l’employé avait été au service de cet employeur pendant vingt-deux ans.
Dans l’affaire Yeager v. R.J. Hastings Agencies Ltd., [1985] 1 W.W.R. 218 (C.S.C.-B.), l’employé-demandeur (un acheteur pour un agent de fabricants) avait été renvoyé après trente ans de service. Au cours des deux années qui ont précédé le renvoi du demandeur, en avril 1982, son rendement s’était progressivement détérioré. En 1979, le président de la défenderesse a conseillé au demandeur de consulter un spécialiste pour ses problèmes émotifs, problèmes que l’on croyait d’abord liés à des difficultés matrimoniales, mais qui se sont révélés liés au travail. En fin de compte, on a déterminé que le demandeur souffrait d’un [traduction] « léger désordre organique » qui se manifestait par des sautes d’humeur, des difficultés à maîtriser ses frustrations et des problèmes de mémoire. Vu que la défenderesse connaissait les problèmes du demandeur, son défaut d’avertir le demandeur que son rendement au travail était inadéquat rendait irrecevable sa défense de renvoi justifié. Le raisonnement du juge qui présidait l’instruction est instructif (à la page 246) :
[traduction] ... les remarques citées énoncent une norme que cette Cour impose à l’employeur lorsqu’un employé fait preuve d’un rendement professionnel insatisfaisant qui ne répond pas aux attentes de l’employeur ou qui ne correspond pas au rendement antérieur de l’employé. En l’espèce, le fait que l’employeur connaissait en partie la cause des problèmes du demandeur rendait la norme à laquelle il était assujetti d’autant plus exigeante. Si [l’employeur] avait donné suite aux renseignements qu’il avait conformément à cette norme, il aurait probablement aidé le demandeur à prendre conscience du fait que son rendement au travail était nettement insuffisant. [C’est moi qui souligne.]
Il serait faux de prétendre que les jugements précités témoignent d’une libéralisation des principes qui sous-tendent la common law en la matière. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que les tribunaux ont reconnu qu’un contrat de travail signifiait plus qu’un échange de services contre salaire. Si, en théorie, le droit du travail, en tant que branche du droit des contrats, ne s’intéresse toujours pas aux motifs de la non-exécution, il n’est pas surprenant par ailleurs que, dans certains marchés, les employés qui ont invoqué leur « innocence » ont réussi à obtenir un minimum de protection contre l’exercice, par l’employeur, de ses droits reconnus en common law[23].
Il en va de même, à cet égard, en l’espèce. En fait, le requérant plaide l’incapacité temporaire au soutien de la thèse voulant qu’un employeur ne devrait pas pouvoir exercer son droit de renvoyer un employé, même pour un motif déterminé, lorsque celui-ci n’est pas responsable de l’inexécution de ses obligations contractuelles. Pour arriver à ce résultat, encore faut-il reconnaître que l’employeur n’a pas rempli une obligation qui doit être considérée comme une condition préalable à une recommandation de renvoi, ou considérer que ce manquement constitue de la mauvaise foi.
Même s’il est important de décider s’il y a lieu de reconnaître une telle obligation, il faut néanmoins circonscrire la portée exacte de l’obligation qui doit être imposée. Selon le requérant, dès que l’employeur établit un PAE et que l’employé demande de l’aide, il y a, en fait, une « obligation d’envoyer en consultation ». Je suis d’accord, sous réserve d’une condition indispensable. En effet, il faut que l’employeur, vu les circonstances, soit déjà assujetti à une « obligation d’avertir ».
S’il y a « obligation d’avertir » d’après les critères énoncés par cette Cour dans l’arrêt Dansereau, on devrait également reconnaître l’« obligation d’envoyer en consultation » comme obligation concomittante. Cette obligation n’est qu’un prolongement logique des règles de droit appliquées dans l’arrêt Dansereau. En outre, elle est conforme aux exigences de l’équité et des relations de travail modernes. À mon avis, le critère essentiel qui permet de décider s’il y a lieu de reconnaître ou d’imposer une obligation implicite d’« accommoder », d’« avertir » ou d’« envoyer en consultation », tient au fait que les personnes en cause sont des employés justifiant de longs états de service. Normalement, leur ancienneté est elle-même un obstacle direct à un verdict d’incompétence ou d’incapacité. Par exemple, en l’espèce, le requérant a vingt-trois années de service alors que l’employé dans l’affaire Dansereau en avait vingt-deux. La réalité inéluctable est qu’aujourd’hui, l’employeur doit beaucoup plus à ses employés justifiant de longs états de service qu’il ne leur devait il y a un siècle. Cependant, d’autres motifs convaincants militent en faveur de la reconnaissance d’une « obligation d’envoyer en consultation ».
Le gestionnaire prudent ne verrait-il pas les avantages réciproques qui découlent d’un dialogue ouvert et franc lorsque le rendement et le comportement d’un employé au travail diffèrent manifestement de l’habitude? En effet, je serais très surpris d’apprendre que les gestionnaires de la fonction publique fédérale ne sont pas formés pour réagir ainsi. D’après la décision Dickinson, précitée, se conformer à l’« obligation d’avertir » est une « pratique universelle » à la fonction publique fédérale. Dans ce cas, je ne vois vraiment pas pourquoi on rejetterait l’« obligation d’envoyer en consultation », surtout quand l’on reconnaît que la décision de principe de mettre en œuvre un Programme d’aide aux employés a été prise dans les années 1970.
Les objectifs de ce programme sont exposés dans le Manuel de gestion du personnel[24] :
D’une manière générale, ce programme doit permettre de fournir une aide ou des conseils, à titre confidentiel, aux employés qui en demandent ou à ceux qui peuvent en avoir besoin quand leur état de santé a des répercussions défavorables sur leur performance. Cependant, étant donné la gravité particulière des problèmes de santé et de comportement causés par une consommation abusive d’alcool, et vu la nécessité de méthodes spéciales permettant de déceler l’alcoolisme, c’est à cette maladie surtout que nous songeons en proposant aux ministères les principes et les procédures énoncés ici.
La responsabilité de l’employeur est énoncée en ces termes[25] :
... le surveillant ou l’administrateur chargé d’évaluer la performance, n’est pas appelé à diagnostiquer la maladie dont il soupçonne l’existence, mais simplement à dépister les employés dont la performance baisse constamment (Voir paragraphe 16). Cette méthode constitue le moyen le plus efficace pour reconnaître et aborder l’employé qui peut avoir besoin d’aide à cause d’un problème de santé.
...
21. La réussite du programme dépend pour beaucoup du dépistage précoce des problèmes éventuels de comportement et de santé chez les employés, lequel s’appuie sur la constatation de la détérioration continue de la performance ou sur l’affaiblissement constant des relations de travail interpersonnelles.
22. Le programme exige des gestionnaires et des surveillants une participation active et des qualités de jugement pour dépister et étayer les cas de baisse de performance attribuable à un problème de comportement ou de santé, et pour inciter les employés à accepter de bonne grâce les arrangements que l’on fait pour eux à des fins de consultation et de traitement.
23. Les ministères doivent inciter les employés à faire eux-mêmes une demande d’aide au sujet de tout problème de santé, sans risque pour la sécurité de leur emploi. Toutefois, lorsque le surveillant ou le gestionnaire aura étayé un cas de baisse de performance pendant une période raisonnable, il prendra, au nom de l’employé, un rendez-vous obligatoire chez un conseiller professionnel en matière d’hygiène, désigné par Santé et Bien-être social Canada, à des fins d’examen médical.
Je tiens à souligner que l’« obligation d’envoyer en consultation » ne donne pas force de loi à la politique du gouvernement énoncée dans le PAE et qu’elle ne nous amène pas à examiner une foule de questions juridiques soulevées par l’établissement et la mise en œuvre de tels programmes (voir Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Niles, A-481-91, le juge Heald, J.C.A., le 2 juillet 1992, encore inédit, et, généralement, R. Lehr et D. Middlebrooks « Legal Implications of Employee Assistance Programs » (1986), 12 Employee Relations Law Journal 262, et L. Loomis, « Employee Assistance Programs : Their Impact on Arbitration and Litigation of Termination Cases » (1986), 12 Employee Relations Law Journal 275).
L’arrêt Bell Canada c. Hallé (1989), 29 C.C.E.L. 213 (C.A.F.), nous permet d’affirmer que la politique du gouvernement elle-même ne peut être élevée au rang de règle juridique. Dans cette affaire, l’employée avait contesté son renvoi conformément à l’article 61.5 du Code canadien du travail, S.R.C. 1970, ch. L-1, parce que son employeur n’avait pas suivi « à la lettre » la procédure relative à l’« obligation d’avertir », prescrite par la compagnie dans ses directives internes. La compagnie avait pour politique de donner six mois à un employé pour lui permettre d’améliorer son rendement, alors que l’employée en cause dans l’affaire Hallé n’avait censément bénéficié que de trois mois seulement. M. le juge Pratte a statué que l’arbitre était tenu de trancher deux questions, savoir : (1) si le rendement de l’employée était insatisfaisant, auquel cas son renvoi était justifié; et (2) si la procédure de renvoi suivie par l’employeur était, en soi, juste ou injuste indépendamment des autres directives adoptées par l’employeur. En ce qui a trait au défaut de la compagnie d’avoir suivi sa propre politique, M. le juge Pratte a conclu en ces termes (à la page 217) :
En premier lieu, je dirai que le congédiement de l’intimée, si on le suppose par ailleurs justifié, ne pouvait être jugé injuste pour le seul motif que la requérante n’avait pas suivi à la lettre la procédure de congédiement décrite dans ses directives internes. À ce que je sache, cette procédure n’est pas une condition des contrats de travail des employés de Bell Canada. La requérante peut donc y déroger sans que l’on puisse s’en plaindre sauf dans les cas où la dérogation serait source d’injustice.
À mon avis, le défaut de l’intimé d’avoir pris des mesures raisonnables pour veiller à ce que le requérant se prévale du PAE cause une injustice. En effet, l’« obligation d’envoyer en consultation » sert à une fin pratique et valide puisqu’elle permet à l’employé de prendre une décision éclairée face aux possibilités qui lui sont offertes. Par exemple, en l’espèce, on aurait pu conseiller au requérant de prendre un congé temporaire. C’était le cas dans l’affaire Rivest v. Canfarge Ltd. (1977), 4 A.R. 164 (C.S. 1er inst.), où M. le juge Bowen a observé ce qui suit (à la page 171) :
[traduction] Le demandeur avait fourni dix-neuf ans de service exemplaire à la compagnie. À la suite d’événements indépendants de sa volonté, au printemps 1974, il s’est trouvé dans une situation d’angoisse et de tension qui l’a rendu malade. Si ses supérieurs avaient pris le temps, en juin 1974, d’évaluer la situation d’un point de vue raisonnable et compréhensif, il aurait assurément été envoyé en congé de maladie jusqu’à ce qu’il puisse retourner au travail.
Il est bien plus souhaitable d’entreprendre de telles démarches avant de faire une recommandation de renvoi, plutôt que d’intenter des procédures longues et coûteuses qui ne donnent gain de cause ni à l’employé, ni à l’employeur.
À mon avis, l’« obligation d’envoyer en consultation » dont il est question en l’espèce n’empiète pas indûment sur les droits de l’employeur. Cette obligation existe dans la mesure où il y a déjà une « obligation d’avertir », laquelle existe seulement envers les employés justifiant de longs états de service (voir l’arrêt Claver c. Canada , A-1892-83, le juge Pratte, J.C.A., le 21 février 1991, non publié, où la Cour a statué qu’il n’y avait pas d’obligation d’avertir dans un cas où l’employé avait été embauché pour une période d’un an, avait gravement manqué à ses obligations et où l’employeur n’avait pas toléré ces manquements). En fait, je crois que les cas plus difficiles seront ceux où les employés n’auront pas demandé l’aide de leur employeur et où l’employeur, tout en connaissant la situation de l’employé, aura omis d’inviter ce dernier à s’inscrire à un PAE ou son équivalent. Un cas plus difficile serait celui où l’employé n’a fait aucune demande d’aide, et où l’employeur n’a pas établi de PAE mais connaît les problèmes de l’employé qui se manifestent dans le milieu de travail. Il est évident que l’obligation en l’espèce est passablement différente de celle qui pourrait exister dans de telles situations.
L’EXÉCUTION DE L’OBLIGATION
Ayant établi que l’intimé avait l’« obligation d’envoyer en consultation », nous devons maintenant voir si cette obligation a été remplie. À cet égard, l’espèce comporte une difficulté supplémentaire. Dans une lettre du 7 juin 1990, le requérant, de sa propre initiative, a demandé à l’intimé de lui fournir de l’aide professionnelle. Le 23 juillet 1990, l’intimé a répondu à la demande du requérant par une lettre qui témoignait de ce que l’on pourrait qualifier d’« indifférence ». Selon l’avocat de l’intimé, si ce dernier n’a pas répondu aux demandes d’aide du requérant, c’était parce qu’il croyait que celui-ci était déjà suivi par un professionnel. Je réponds à cet argument en peu de mots : si l’intimé avait communiqué directement avec le requérant, tout malentendu aurait pu être évité. Que l’intimé ait mal apprécié les faits ne saurait avoir pour effet juridique de le dispenser de l’« obligation d’envoyer en consultation ».
EFFETS JURIDIQUES DU MANQUEMENT
Ayant conclu que l’intimé a manqué à son obligation d’envoyer en consultation, il faut prescrire les conséquences juridiques du manquement. Vicie-t-il la recommandation de renvoi? Est-ce simplement un indice de mauvaise foi? Constitue-t-il de la mauvaise foi, en soi, comme le prétend le requérant?
Nous pouvons régler sommairement la thèse du requérant. Ni les faits, ni le droit ne nous permettent de conclure que l’intimé a agi de mauvaise foi. Si l’intimé n’a pas rempli son obligation, c’était, au mieux, parce qu’il s’était véritablement trompé ou, au pire, parce qu’il croyait que le requérant tentait de retarder l’inévitable en demandant de l’aide pour se protéger. À mon sens, ni l’une ni l’autre de ces hypothèses n’équivaut à de la mauvaise foi, d’après les principes exposés plus loin. Par conséquent, le manquement à l’obligation peut, soit vicier la recommandation, soit être traité comme un indice de mauvaise foi.
Dans l’arrêt Dansereau, il a été question de l’effet juridique que devait entraîner le défaut d’un employeur de remplir son « obligation d’envoyer en consultation », mais ce point n’a pas été résolu (aux pages 458 et 459). La Cour n’a pas eu à statuer sur cette question puisqu’elle a jugé que les actes de l’employeur, pris ensemble, constituaient de la mauvaise foi. Dans cette affaire, le défaut d’avertir, combiné à d’autres éléments de preuve, ont permis de démontrer que l’employeur n’avait pas agi de bonne foi.
À mon avis, le manquement de l’intimé doit être considéré comme un défaut d’avoir rempli une condition préalable, ce qui a pour effet de vicier la recommandation de renvoi. Telle doit être la conséquence du manquement car autrement, il serait inutile de reconnaître l’existence d’une « obligation d’envoyer en consultation », voire une « obligation d’avertir ». En arrivant à cette conclusion, j’ai tenu compte du fait que la théorie de la bonne foi est d’application limitée, si bien qu’elle ne répond pas aux intérêts légitimes des employés.
Selon une règle de droit bien établie, il appartient à celui qui allègue la mauvaise foi de la prouver. En outre, il est bien reconnu qu’il n’est pas facile de s’acquitter de ce fardeau et, de ce fait, les recueils de jurisprudence révèlent qu’un verdict de mauvaise foi, comme celui dans l’arrêt Dansereau, est l’exception, et non la règle. Ce phénomène peut s’expliquer, en partie, par la règle juridique voulant que, pour pouvoir établir la mauvaise foi, il faut prouver que l’auteur de la décision voulait parvenir à une fin ou à un objectif illicite (voir l’arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, motifs du juge Rand, à la page 143). Dans le domaine des relations du travail, l’employeur qui souhaite se débarrasser d’un employé compétent par ailleurs, peut employer des tactiques (par exemple, « monter un dossier ») qui camouflent les véritables motifs du renvoi. La théorie de la bonne foi vise à dénoncer les employeurs qui ne veulent pas respecter les règles juridiques. Par ailleurs, l’« obligation d’envoyer en consultation » (ou l’« obligation d’avertir ») permet d’atteindre un autre objectif, également valable, c’est-à-dire faire en sorte qu’un employeur qui agit véritablement de bonne foi prenne une décision qui soit dans le meilleur intérêt des deux parties.
Bien qu’il soit inutile, aux fins de la présente demande, d’analyser en profondeur la question de la mauvaise foi, il me semble opportun de faire quelques commentaires.
Le fait que l’intimé ait manqué à son « obligation d’envoyer en consultation » et qu’il n’ait pas envisagé sérieusement la possibilité de réaffecter temporairement le requérant (ce que le requérant a demandé à au moins deux reprises), ou de le rétrograder, pourrait amener certains à croire que l’intimé a agi de mauvaise foi. Je ne serais pas de cet avis. Il faut se rappeler que l’intimé a permis au requérant de demeurer à son poste pendant au moins un an et demi et, pendant cette période, son rendement ne s’est pas amélioré. Il est incontestable que le rendement au travail du requérant ne remplissait pas la norme requise et que, même si le milieu de travail de ce dernier a pu contribuer au stress qu’il vivait à cause de sa situation familiale, l’on ne peut pas dire que les actes ou les omissions de l’intimé étaient à l’origine du rendement « insatisfaisant » du requérant. Un verdict de mauvaise foi ne doit pas être rendu à la légère. Comme l’a affirmé M. le juge Décary dans l’arrêt Dansereau (à la page 463) :
... le dossier [doit être] tissé d’éléments de mauvaise foi si nombreux et si manifestes que le Comité d’appel ne pouvait sans commettre une lourde erreur conclure, comme il l’a fait, à l’absence de mauvaise foi.
CONCLUSION
À mon avis, le Comité a commis une erreur de droit lorsqu’il a jugé que l’intimé n’avait aucune obligation de renvoyer le requérant au Programme d’aide aux employés. En outre, il est évident que cette obligation n’a pas été remplie en l’espèce. Par conséquent, la présente demande fondée sur l’article 28 devrait être accueillie et la décision du Comité d’appel de la Commission de la fonction publique devrait être annulée. D’après les suggestions des parties pendant l’audition de la demande, l’affaire devrait être renvoyée devant une autre formation du Comité pour qu’elle l’examine de nouveau et rende une autre décision en s’appuyant sur le dossier actuel de cette Cour, conformément aux présents motifs.
Le juge Heald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
Le juge Linden, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.
[1] Voir D.A., vol. II, pièce D-43, à la p. 163.
[2] Voir D.A., vol. II, pièce D-39, à la p. 143.
[3] Voir D.A., vol. II, pièce D-39, à la p. 143
[4] On peut déduire qu’il s’agissait de 1987 d’après le rapport d’analyse psychologique du docteur Waye (voir D.A., vol. II, pièce A-2, à la p. 198).
[5] Voir D.A., vol. II, pièce A-2, aux p. 198 et 199, rapport d’analyse psychologique du docteur Michael Waye.
[6] Voir D.A., vol. II, à la p. 200.
[7] Voir D.A., vol. II, décision du Comité, à la p. 219. L’importance de ce « conflit de personnalité » est examinée plus loin.
[8] Voir D.A., vol. I, à la p. 121.
[9] Voir D.A., vol. II, décision du Comité, à la p. 222.
[10] Voir D.A., vol. I, à la p. 86.
[11] Voir D.A., vol. I, pièce D-12, à la p. 50.
[12] Voir D.A., vol. II, à la p. 208.
[13] Voir D.A., vol. II, pièce D-41, à la p. 159, où il est mentionné que le gestionnaire de district avait demandé que le requérant et son superviseur se réunissent pour discuter des propos désobligeants et déplacés qu’aurait tenus le requérant. Ces propos sont également notés dans le D.A., vol. II, à la p. 211.
[14] Voir D.A., vol. II, à la p. 219.
[15] Voir D.A., vol. II, à la p. 149.
[16] Voir D.A., vol. II, pièce D-39, à la p. 146
[17] Ibid, à la p. 143.
[18] Voir D.A., vol. II, décision du Comité, à la p. 221.
[19] Voir D.A., vol. II, décision du Comité, à la p. 228.
[20] Voir D.A., vol. II, décision du Comité, à la p. 223.
[21] L’art. 27 de la Loi dispose :
27. L’administrateur général peut conclure à l’abandon de poste par un fonctionnaire lorsque celui-ci s’absente pendant au moins une semaine sans pouvoir lui faire valoir des raisons indépendantes de sa volonté ou sans qu’il s’agisse d’un cas autorisé ou prévu par une loi fédérale ou sous son régime. Il notifie l’abandon de poste à la Commission et le fonctionnaire perd dès lors sa qualité de fonctionnaire.
[22] Voir D.A., vol. II, décision du Comité, à la p. 221.
[23] En faisant cette affirmation, je suis conscient des différences qui sont censées exister entre les obligations qui incombent à l’État-employeur par opposition à celles d’un employeur du secteur privé (voir Schecter c. Canada (1986), 8 F.T.R. 144 (C.F. 1re inst.)).
[24] Voir D.A., appendice I, à la p. 2.
[25] Voir D.A., appendice I, aux p. 2 et 10.