[1993] 3 C.F. 675
A-223-92
Kwong Hung Chan (appelant)
c.
Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)
Répertorié : Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.)
Cour d’appel, juges Heald, Mahoney et Desjardins, J.C.A.—Vancouver, 27 avril; Ottawa, 21 juillet 1993.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Appel à l’encontre d’une décision par laquelle la SSR a refusé à l’appelant le statut de réfugié au sens de la Convention — L’appelant et son épouse ont eu un deuxième enfant, contrairement à la politique de contrôle démographique d’un enfant par famille de la Chine — Les autorités locales ont effectué des pressions sur lui et son épouse pour qu’un d’eux soit stérilisé — L’appelant a consenti à la procédure, mais il a fui la Chine avant qu’elle ne soit effectuée — Sa revendication du statut de réfugié est fondée sur sa crainte d’être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social — La crainte de subir une stérilisation forcée peut-elle fonder une crainte d’être persécuté? — La persécution découle-t-elle de l’appartenance à un groupe social? — La persécution découle-t-elle des opinions politiques?
Le présent appel est interjeté à l’encontre d’une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé à l’appelant le statut de réfugié au sens de la Convention. L’appelant est un citoyen de la République populaire de Chine, qui a adopté une politique de contrôle démographique d’un enfant par famille. Le gouvernement central fixe un objectif national annuel pour le nombre de naissances autorisées, que les autorités locales doivent appliquer, sinon elles sont pénalisées. À cette fin, des primes et des peines pécuniaires sont généralement utilisées pour appliquer la politique, mais certaines autorités locales ont eu recours à l’avortement ou à la stérilisation forcées. Ces pratiques, si elles ne sont pas autorisées par le gouvernement central sont tacitement acceptées. En 1989, l’épouse de l’appelant a donné naissance à leur deuxième enfant. Les pressions effectuées par les autorités locales ont amené l’appelant à accepter de se faire stériliser dans les trois mois suivants, mais il a quitté le pays avant l’expiration de ce délai. À son arrivée au Canada, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention, fondant sa revendication sur son appartenance à un groupe social et sur ses opinions politiques. L’appelant craint que s’il retourne en Chine, il sera stérilisé de force et, de ce fait, il ne veut se réclamer de la protection de la Chine, le pays dont il a la nationalité. La Commission a conclu que la stérilisation n’est pas en soi une forme de persécution pour un motif visé par la Convention et que la crainte de l’appelant d’être persécuté n’était pas fondée. L’appelant a invoqué l’arrêt Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) pour soutenir que la stérilisation forcée, telle que pratiquée en Chine, constituait de la persécution visée par la définition d’un réfugié au sens de la Convention. Il a également allégué que le refus de se faire stériliser conformément à la politique de l’enfant unique serait perçu comme une opinion politique anti-gouvernementale.
La question était de savoir si l’appelant craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social.
Arrêt (le juge Mahoney, J.C.A., dissident) : l’appel doit être rejeté.
Le juge Heald, J.C.A. : L’appelant n’avait pas de motif raisonnable de craindre d’être persécuté. La stérilisation forcée ou fermement imposée d’un homme ou d’une femme constitue de la persécution. Le caractère raisonnable d’une crainte de stérilisation dépend de la preuve concernant les pratiques des autorités locales. Le fait de savoir si une personne avec plus d’un enfant craint avec raison d’être persécutée ou non est une conclusion de fait. La Commission n’est arrivée à aucune conclusion expresse quant à savoir si l’appelant, s’il était renvoyé en Chine, risquait vraisemblablement d’être stérilisé de force. Des sanctions économiques ont été imposées à l’appelant et à sa famille (son épouse a perdu son emploi pour ne pas avoir respecté la politique de l’enfant unique). Toutefois, les sanctions économiques ne sont pas suffisantes pour établir la persécution. Elles sont une mesure valable pour mettre en œuvre une politique également valable d’application générale, la politique de l’enfant unique.
L’appelant n’a pas réussi à établir qu’il craignait d’être persécuté du fait de son appartenance à un « groupe social ». La Cour suprême du Canada a identifié trois catégories de « groupes sociaux » : (1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable; (2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et (3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique. La Cour a conclu que les motifs énumérés existaient afin de fixer une limite intrinsèque aux obligations des États signataires. Deux principes pour définir « les groupes sociaux » ont été identifiés. Premièrement, la Cour a approuvé l’utilisation de la notion de motifs analogues pour définir « les groupes sociaux ». Deuxièmement, la Cour a jugé qu’une personne qui alléguait la persécution du fait de son appartenance à un « groupe social » devait être visée pour ce qu’elle était, et non pas pour ce qu’elle faisait. L’appelant appartenait à un groupe social regroupant « les parents en Chine qui ont plus d’un enfant et qui ne sont pas d’accord avec la stérilisation forcée ». Un tel groupe ne tombe pas dans les catégories de « groupe social » énumérées dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689. La crainte de l’appelant découle de ce qu’il a fait et non pas de ce qu’il était. Il est impossible de restreindre le cadre du groupe social puisque les distinctions entre les hommes mariés et les hommes célibataires ou entre les hommes mariés et les femmes mariées émanent des circonstances particulières de cet appelant puisqu’un groupe social, par définition, doit être défini par rapport à la société et non par rapport à des facteurs individuels. Même si la description d’un groupe social était restreinte pour viser « les parents avec plus d’un enfant qui sont confrontés et opposés à la stérilisation », ce groupe ne tombe pas non plus dans l’une des catégories de l’arrêt Ward en raison du manque d’association entre les individus de ce groupe. Ceux qui sont confrontés à la stérilisation forcée ne peuvent être identifiés tant que l’opération n’aura pas été ordonnée. Il existe une objection fondamentale à ce que le groupe de parents avec plus d’un enfant qui sont confrontés à la stérilisation forcée soit considéré comme un « groupe social » : ce groupe n’est défini que par le fait que ses membres font face à une forme particulière de persécution. L’appartenance à un groupe social est déterminée par l’existence de persécution. Une telle logique renverse complètement la définition légale du statut de réfugié au sens de la Convention, selon laquelle la persécution doit être fondée sur l’un des motifs énumérés et non pas inversement, et elle prive les motifs énumérés de tout contenu.
L’appelant n’a pas réussi à établir que la persécution alléguée découlait de ses « opinions politiques ». Une définition très générale des « opinions politiques » parerait à tous les motifs énumérés, mais, dans l’arrêt Ward, il a été affirmé que les motifs énumérés sont une composante distincte et essentielle de la définition de réfugié au sens de la Convention. Il est nécessaire de restreindre la définition d’« opinions politiques ». Le désaccord avec la politique de l’enfant unique en Chine constitue une prise de position politique puisqu’elle concerne une politique gouvernementale. Néanmoins, il n’y a aucune preuve comme quoi les personnes qui expriment simplement leur désaccord avec la politique de l’enfant unique ou avec la stérilisation forcée ne sont pas tolérées. La persécution ne découle pas du refus de subir la stérilisation mais plutôt de la violation de la politique de l’enfant unique. La violation de la politique de l’enfant unique et la répugnance à subir la stérilisation ne seraient pas perçues comme autre chose que la violation d’une loi et l’hésitation à subir la pénalité qui s’en suit. Il n’y a pas de preuve que les autorités ont perçu les actes de l’appelant comme une prise de position politique ou comme une tentative de saper leur autorité. Ce sera le contexte qui déterminera si les actes seront perçus comme une tentative de saper l’autorité du persécuteur. Les preuves apportées ne permettent pas de conclure que les autorités chinoises pensaient que l’acceptation de la politique de l’enfant unique faisait partie intégrante de leur autorité. La politique de l’enfant unique relève de la compétence du gouvernement chinois et ne peut pas, en soi, être considérée comme une source de persécution. Les sanctions prévues en cas de violation de la politique doivent être acceptées. Une conclusion selon laquelle l’appelant fait face à la persécution du fait de ses opinions politiques devrait reposer sur l’horreur de la pénalité pour violation d’une politique valable. Seule la persécution motive le statut de réfugié au sens de la Convention. La définition de réfugié au sens de la Convention milite en faveur d’une distinction entre la persécution et les motifs énumérés.
Le juge Mahoney, J.C.A. (dissident) : Le témoignage de l’appelant comme quoi il ne souhaitait plus avoir d’enfants et sa déclaration selon laquelle il ne lui serait pas absolument nécessaire de subir l’intervention de stérilisation ne permettent pas de conclure que sa crainte d’être persécuté par le biais d’une stérilisation forcée n’est pas fondée. Il s’agit de son opinion, fondée sur son intention personnelle. Cependant, rien n’indique qu’il s’agit d’une opinion partagée par les autorités locales. Dans l’arrêt Cheung, la Cour a conclu que la stérilisation forcée, telle que pratiquée en Chine, constituait de la persécution visée par la définition d’un réfugié au sens de la Convention. La stérilisation non sollicitée » un sévice qui représente un atteinte irréversible et grave aux droits fondamentaux d’une personne »constitue de la persécution, peu importe qu’elle soit imposée à un homme ou une femme. Bien que le gouvernement central de Chine soit incapable de protéger ses citoyens contre les excès commis par les autorités locales, par sa passivité, il tolère ou encourage l’application de la politique de contrôle démographique par un moyen qu’il désavoue officiellement. Quelqu’un qui craint avec raison d’être stérilisé de force craint avec raison d’être persécuté, et la crainte de l’appelant d’être stérilisé de force s’il devait retourner en Chine est fondée aux plans subjectif et objectif.
Le groupe social visé en l’espèce regroupe les « hommes mariés en Chine, dont les épouses font face à la stérilisation forcée parce qu’elles ont eu plus d’un enfant, qui acceptent d’être stérilisés pour éviter que leurs épouses ne soient stérilisées de force ». Il a été jugé dans l’arrêt Ward que la façon de distinguer les groupes aux fins du droit relatif à la discrimination peut s’appliquer au domaine du droit relatif aux réfugiés. Dans l’application de la méthode des « motifs analogues », utilisée pour déterminer si les droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte ont été violés, au processus de détermination du statut de réfugié, la première question à résoudre est de savoir si ce que craint le demandeur est de la persécution et si cette crainte est fondée. Il faut ensuite se demander : (1) si la personne est persécutée à cause de son appartenance à un groupe social et, dans l’affirmative, (2) si le groupe social fait partie de l’une des catégories identifiées dans l’arrêt Ward. Autrement dit, la caractéristique personnelle que partagent les membres du groupe est-elle analogue à la race, à la religion, à la nationalité ou aux opinions politiques du fait qu’elle soit immuable parce qu’elle est innée ou parce qu’il s’agit d’un fait rendu permanent par l’histoire soit, bien que changeable, si fondamentale à leur dignité humaine, qu’ils ne devraient pas être forcés à l’abandonner? Pour ce qui est des deuxième et troisième catégories, la notion d’« association volontaire » s’oppose à la notion de caractéristique innée ou immuable de la première, et elle n’implique pas l’adhésion à une organisation ou la formation d’une association. C’est la raison partagée, essentielle à la dignité humaine de ses membres, qui définit et constitue le deuxième groupe. Un acte conscient d’association n’est pas un élément essentiel.
La légitimité de la politique de contrôle démographique de la Chine n’exclut pas de la définition de réfugié au sens de la Convention la persécution faite dans l’application de cette politique. Le droit à la procréation est fondamental à la dignité humaine. Bien qu’il n’y ait aucune conclusion que l’appelant serait stérilisé de force s’il retournait en Chine, la persécution n’a pas à être certaine pour que le demandeur ait raison de la craindre. Il suffit qu’il y ait une possibilité sérieuse de persécution. C’est le cas en l’espèce : il y a une possibilité sérieuse que l’appelant soit stérilisé de force s’il est renvoyé en Chine.
Le juge Desjardins, J.C.A. (souscrivant au dispositif) : Puisqu’il n’y a aucun statut volontaire en l’espèce, si l’appelant faisait partie de l’une des trois catégories de « groupe social » énumérées dans l’arrêt Ward, ce serait dans la première, soit un groupe défini par une caractéristique innée ou immuable. Ce qui unit les membres du groupe social doit donc être si fondamental qu’il ne peut être modifié. Une telle modification équivaudrait à anéantir la personnalité de l’intéressé. La dissociation d’une personne de son groupe serait donc inacceptable. Il faut faire une distinction entre la caractéristique innée ou immuable mentionnée comme étant la marque d’un groupe social et le droit fondamental de la personne que ce groupe peut défendre. La caractéristique innée doit être un facteur si puissant qu’elle constitue l’essence d’un groupe d’individus (par exemple, le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle). Elle doit exister indépendamment de ce pourquoi ils luttent. La perception du groupe social par le persécuteur est un facteur externe. La violation d’un droit fondamental de la personne dirigée contre un groupe de personnes ne crée pas par elle-même un « groupe social ». La « caractéristique innée ou immuable » est un facteur interne pour la détermination du groupe. Les caractéristiques internes doivent exister indépendamment de la persécution; toutefois, les caractéristiques doivent jouer un rôle important dans la persécution. La persécution doit être crainte, ou doit exister, à cause des caractéristiques. L’appelant est une personne parmi d’autres qui, individuellement, a résisté à la politique de l’enfant unique, si bien qu’il fait face à la même sanction générale, savoir la stérilisation forcée. Les membres de ce groupe ne sont pas liés entre eux de façon fondamentale, si bien qu’ils ne remplissent pas le critère qui ferait d’eux un « groupe social ». En refusant d’être stérilisé contre son gré, l’appelant revendique un droit fondamental de la personne (le droit fondamental à la procréation). La stérilisation forcée viole un droit fondamental de la personne. L’on a soutenu que la politique chinoise de l’enfant unique n’est peut-être pas contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme puisqu’elle peut assurer la « dignité » aux générations à venir. L’appelant est visé à cause de ce qu’il a fait (c’est-à-dire d’avoir violé la politique de l’enfant unique) et non à cause de ce qu’il est (c’est-à-dire, un père chinois). La sanction, savoir la stérilisation forcée, est une violation de son droit fondamental de la personne, mais ce droit appartient à tous les êtres humains et non seulement aux membres de son groupe. Il s’oppose à la stérilisation forcée. Il s’agit de l’objet de sa lutte. Cela ne peut être une caractéristique innée de son groupe. Le groupe auquel l’appelant allègue appartenir est susceptible d’être connu du fait de la décision des autorités chinoises locales qui ont pratiqué la stérilisation forcée comme moyen de faire respecter une politique générale du gouvernement. Ce qui unit les membres du groupe est un facteur externe qui ne suffit pas à en faire un groupe social, selon la définition, puisque le groupe de personnes ne peut être défini du seul fait de leur victimisation commune en tant qu’objets de persécution. Il n’existe aucun groupe social auquel le demandeur appartient de façon innée ou immuable pour qu’il puisse fonder sa revendication.
Toute opinion sur toute question relative aux affaires de l’État exprimée par un demandeur ou imputée à lui par une autorité peut servir de fondement à une revendication du fait d’opinions politiques. L’appelant n’a pas exprimé son opposition à la politique de l’enfant unique ou à la stérilisation. La conduite de l’appelant, motivée par le souci de défendre ses droits fondamentaux de la personne risque peu d’être vue par les autorités chinoises locales comme un geste de défi à l’endroit de l’autorité nationale en l’absence de preuve particulière en ce sens, vu que les autorités locales elles-mêmes, lorsqu’elles imposent la stérilisation, n’agissent pas avec le plein soutien de l’État, bien qu’il puisse exister un soutien tacite.
La « persécution » visée par la Convention comprend les traitements tellement odieux qu’il serait impensable qu’ils soient sollicités. La légitimité de la politique du gouvernement chinois en matière de contrôle démographique n’est pas en cause. L’on ne peut pas dire qu’en principe, lorsqu’un gouvernement étranger emploie des moyens qui violent des droits fondamentaux de la personne pour assurer le respect d’un objectif social valide, ces moyens équivalent à de la « persécution ». Il faut donc considérer toutes les circonstances pertinentes. La situation en cause se situe en-dehors de la portée de la Convention, qui visait à protéger ceux qui deviennent victimes parce que l’État poursuit des buts illégitimes et non ceux qui résistaient à la réalisation d’objectifs valides de l’État. La Convention ne vise pas les violations de droits de la personne commises par des autorités locales dans la poursuite de ce qui constitue un objectif légitime de l’État, savoir le contrôle démographique.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 15.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, le 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.
Déclaration universelle des droits de l’homme, N.U. Ass. Gén. Rés. 217 A (III), 10 déc. 1948, art. 3, 5.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 52.
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1), 69.1 (édictée idem, art. 18).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, [1976] R.T. Can. no 47.
Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés, 31 janvier 1967, [1969] R.T. Can. no 29.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; (1993), 103 D.L.R. (4th) 1; 153 N.R. 321; Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 C.F. 314; (1993), 102 D.L.R. (4th) 214; 19 Imm. L.R. (2d) 81; 153 N.R. 145 (C.A.); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mayers, [1993] 1 C.F. 154 (C.A.); E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388; (1986), 31 D.L.R. (4th) 1; 185 A.P.R. 273; 61 Nfld. & P.E.I.R. 273; 8 C.H.R.R. D/3773; 13 C.P.C. (2d) 6; 71 N.R. 1.
DÉCISIONS EXAMINÉES :
R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; Davis v. Johnson, [1978] 2 W.L.R. 553 (H.L.); Rajudeen c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES :
Subilomar Properties (Dundas) Ltd. c. Cloverdale Shopping Centre Ltd., [1973] R.C.S. 596; (1973), 35 D.L.R. (3d) 1; Surujpal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.); Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.); Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680; (1989), 57 D.L.R. (4th) 153 (C.A.); Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274; (1984), 56 N.R. 198 (C.A.); National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; (1990), 74 D.L.R. (4th) 449; 45 Admin. L.R. 161; 114 N.R. 81; Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316; Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 518 (C.A.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Matter of Acosta, décision provisoire 2986, 1985 WL 56042 (B.I.A.).
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APPEL d’une décision par laquelle la section du statut de réfugié a refusé d’accorder à l’appelant, qui avait enfreint la politique de contrôle démographique de l’enfant unique de la Chine en ayant deux enfants, et qui craignait devoir subir une stérilisation forcée s’il y était renvoyé, le statut de réfugié au sens de la Convention. Appel rejeté.
AVOCATS :
Simmi K. Dhami pour l’appelant.
Deirdre A. Rice pour l’intimé.
PROCUREURS :
Chow, Dhami & Company, Vancouver, pour l’appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Heald, J.C.A. : Le présent appel est interjeté avec l’autorisation de cette Cour à l’encontre d’une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans cette décision, l’appelant s’est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention, conformément au paragraphe 69.1 de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2 (édictée par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18)].
Les faits
L’appelant est un citoyen de la République populaire de Chine (RPC). Il s’est enfui de la RPC le 19 juillet 1990, il s’est arrêté à Hong Kong, puis est reparti le 23 juillet 1990 pour se rendre au Canada où il a immédiatement revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Il fonde sa revendication sur la crainte d’être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. Dans son témoignage, l’appelant a dit que sa famille avait été persécutée pendant la révolution culturelle du fait que son père était un ancien propriétaire foncier. L’appelant exploitait un restaurant à Guangzhou. Les 5 et 6 juin 1989, des étudiants faisant partie du mouvement pro-démocratique ont manifesté devant son restaurant. L’appelant a exprimé son appui au mouvement en donnant à manger et à boire aux étudiants. Il a aussi versé de l’argent pour leur cause. Une fois la manifestation étudiante écrasée par les autorités, des agents du bureau de la sécurité publique (BSP) ont commencé à rendre visite à l’appelant, à son restaurant. Entre juillet 1989 et avril 1990, ils s’y sont rendus au moins à treize reprises. Les agents ont accusé l’appelant d’avoir pris part au mouvement pro-démocratique. Ils ont aussi interrogé des membres de son personnel et des clients sur les activités de l’appelant et des manifestants étudiants. En juillet 1989, l’appelant a avoué, de son plein gré, au BSP, avoir pris part aux activités pro-démocratiques. En novembre 1989, l’épouse de l’appelant a donné naissance à leur deuxième enfant. Il fait valoir comme preuve que le BSP avait appris la naissance de leur deuxième enfant et que des agents l’ont alors accusé d’avoir violé la politique de contrôle des naissances de la RPC. Des agents du BSP se sont rendus chez lui à cinq reprises. Puisque son épouse n’avait pas respecté la politique de l’enfant unique, elle a perdu son emploi. L’appelant a alors accepté de se faire stériliser dans les trois mois suivants mais il a quitté la RPC en juillet 1990, avant l’expiration de ce délai, sans avoir été stérilisé. Il dit qu’après son départ, sa famille a continué d’être harcelée pour avoir violé la politique de l’enfant unique.
La décision de la Commission (Dossier d’appel vol. II, à la page 269)
La Commission a d’abord traité la revendication du statut de réfugié de l’appelant fondée sur son appartenance à un groupe social. Ce groupe social était sa famille. Bien que la Commission ait accepté que l’appelant avait été persécuté pendant la révolution culturelle du fait de ses antécédents familiaux, elle a conclu qu’aucune preuve n’appuyait son allégation d’avoir été persécuté après la révolution culturelle. En fait, il a pu aller à l’université et occuper des postes de gestion pendant ce temps. Voici ce qu’a conclu la Commission en ce qui a trait à cette question (Dossier d’appel, vol. II, à la page 269) :
[traduction] … ce tribunal ne juge pas que le demandeur a des motifs valables de craindre la persécution du fait de son appartenance à un groupe social, savoir, ses antécédents familiaux.
Abordant ensuite l’allégation de l’appelant selon laquelle il craignait avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques, la Commission a noté que l’appelant n’a jamais été arrêté ou détenu après qu’il eut, de son plein gré, avoué au BSP avoir pris part aux activités pro-démocratiques, en juillet et en août 1989. La Commission a aussi constaté qu’aucune preuve n’indiquait que le BSP s’intéressait toujours aux activités pro-démocratiques de l’appelant après avril 1990. En dernier lieu, la Commission a conclu que la famille de l’appelant n’avait pas eu de difficultés à renouveler le permis de conduire de l’appelant, avec le concours du BSP, en décembre 1990, soit cinq mois après que l’appelant eut quitté la RPC. En ce qui concerne la question de la stérilisation, la Commission a dit ceci (Dossier d’appel, vol. II, à la page 269) :
[traduction] Le demandeur a allégué qu’il craignait d’être persécuté en étant forcé de subir la stérilisation. Ce tribunal conclut que la stérilisation n’est pas en soi une forme de persécution pour un motif visé par la Convention; nous estimons plutôt qu’il s’agit d’une mesure du gouvernement chinois pour mettre en œuvre une politique de planification familiale applicable à tous ses citoyens. En outre, le demandeur a attesté qu’il ne voulait plus avoir d’enfants et aucune preuve n’a été présentée indiquant que le demandeur subirait des sévices pendant l’intervention de stérilisation. Vu tout ce qui précède, ce tribunal conclut que la crainte du demandeur d’être persécuté par le biais d’une stérilisation forcée n’est pas fondée.
Discussion
Au début de son plaidoyer oral devant nous, l’avocate de l’appelant a affirmé franchement que la seule question qu’elle soulèverait dans cet appel serait la « question de la stérilisation » et les répercussions de la décision récente de cette Cour dans l’affaire Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[1]. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, la Commission a conclu que l’allégation de persécution du fait des antécédents familiaux de l’appelant n’était pas appuyée par la preuve. À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement tirer cette conclusion, vu la preuve au dossier, et cette conclusion ne devrait pas être modifiée. De même, la conclusion de la Commission selon laquelle la preuve dont elle avait connaissance ne permettait pas de soutenir l’allégation que l’appelant avait raison de craindre d’être persécuté du fait de ses opinions politiques, était également soutenable, vu le dossier. Dès lors, nous sommes d’accord avec l’avocate de l’appelant pour dire que la seule question dont nous sommes saisis est la « question de la stérilisation », ce qui nous amène forcément à considérer la pertinence de l’arrêt Cheung pour ce qui est des faits de l’espèce.
Comme l’a noté la Cour dans l’arrêt Cheung, l’analyse doit porter sur deux questions : a) l’existence d’une crainte fondée de persécution b) du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un groupe social (les motifs énumérés). L’appelant fonde sa revendication sur son appartenance à un groupe social et sur ses opinions politiques.
(a) une crainte fondée de persécution
Dans l’arrêt Cheung, la Cour a conclu que « la stérilisation forcée ou fermement imposée » constituait de la persécution étant donné que la stérilisation forcée d’une femme était une violation de la sécurité de sa personne et la soumettait à des traitements cruels, inhumains et dégradants. Je suis d’accord pour dire que, vu la preuve dont nous avons connaissance, il n’a pas été démontré que la stérilisation de l’homme est qualitativement différente de la stérilisation de la femme. Par conséquent, conformément à l’arrêt Cheung, la stérilisation forcée ou fermement imposée d’un homme ou d’une femme constitue de la persécution.
Il faut se rappeler que l’arrêt Cheung faisait une distinction entre les femmes qui ont plus d’un enfant et craignent avec raison la stérilisation forcée et celles qui ont plus d’un enfant et qui ne craignent pas avec raison la stérilisation forcée. Cette distinction découle de l’affirmation claire du juge Linden (à la page 322), comme quoi « toutes les femmes en Chine qui ont plus d’un enfant [ne] peuvent [pas] automatiquement réclamer le statut de réfugié au sens de la Convention. Seules les femmes qui craignent également avec raison d’être persécutées par suite de cette situation qui peuvent revendiquer un tel statut ». Toutes les femmes qui ont plus d’un enfant ont enfreint la politique de l’enfant unique et si les autorités devaient avoir connaissance de l’existence du deuxième enfant, elles risqueraient de faire l’objet de « pénalités » en raison de la violation de la politique de l’enfant unique. Il faut donc faire une distinction entre les femmes qui risquent vraisemblablement de faire l’objet de sanctions acceptables (peut-être économiques) et celles qui craignent avec raison la sanction de persécution que constitue la stérilisation forcée. Cette distinction doit être faite à la lumière du fait (pris en considération dans l’arrêt Cheung) que la stérilisation forcée n’est pas une règle d’application générale; il s’agit plutôt d’une mesure d’exécution prise par certaines autorités locales, mesure qui, tout au plus, est tacitement acceptée par le gouvernement central. Le caractère raisonnable d’une crainte de stérilisation semblerait donc dépendre de la preuve concernant les pratiques des autorités locales pertinentes.
Dès lors, le fait de savoir si une personne avec plus d’un enfant craint avec raison d’être persécutée ou non est une conclusion de fait subtile. À cet égard, il est important de noter les faits incontestés dans l’affaire Cheung.
Dans l’affaire Cheung, la demanderesse a dû renoncer au dispositif intra-utérin et s’est fait avorter plusieurs fois. Après la naissance de son deuxième enfant, le bureau de planification familiale est venu chez elle et l’a emmenée en vue d’une stérilisation; l’opération de stérilisation a été reportée de six mois à cause d’une infection; avant la fin de cette période, Mme Cheung a fui Guangzhou afin d’éviter d’être stérilisée. Le juge Linden note ce qui suit dans ses motifs (à la page 318) :
La Commission a accepté le fait que l’appelante serait stérilisée si elle était forcée à retourner en Chine.
Il s’agit d’une conclusion de fait claire et sans équivoque, grandement appuyée par une preuve convaincante.
En l’espèce, la Commission n’est arrivée à aucune conclusion expresse quant à savoir si l’appelant, s’il était renvoyé en Chine, risquait vraisemblablement d’être stérilisé de force. De plus, le témoignage de l’appelant sur ce point est équivoque. Le dossier de l’audience devant la Commission révèle que l’appelant a fait le témoignage suivant (Dossier d’appel, vol. II, à la page 258) :
[traduction] Q. Avez-vous déjà eu l’intention de vous conformer à leur demande de stérilisation?
R. Je crois que la décision de se faire stériliser est un choix personnel. Même si j’ai décidé de ne pas avoir un troisième enfant, il ne me serait pas absolument nécessaire de subir l’intervention de stérilisation. Je n’avais donc jamais envisagé de subir ce type d’opération cruelle.
et aux pages 259 et 260 :
[traduction] Q. Que pensez-vous qu’il se passerait si vous retourniez en Chine?
R. Si je rentre en Chine, le plus probable serait que je me fasse arrêter ou mettre en prison. Je pourrais aussi passer toute ma vie au chômage et ne pas être capable de gagner ma vie. Si l’on parle de conséquences plus graves, je pourrais être tué.
Q. Pourquoi pensez-vous que cela se produirait si vous deviez retourner.
R. Ce qui s’était passé autour de moi étaient des choses qui étaient—qui seraient contre le gouvernement. Le gouvernement chinois n’écoute pas les plaintes et n’est pas prêt à entendre raison. En ce qui concerne mon deuxième enfant, il est vrai que cela a eu une incidence sur la prime de certains membres du comité du voisinage. Ils seraient hostiles et voudraient se venger. Ils prendraient pour prétexte mes opinions politiques différentes pour m’arrêter et me mettre en prison.
De plus, l’appelant a fait la déclaration suivante dans sa FRP (Fiche de renseignements personnels), Dossier d’appel, vol. I, à la page 37 :
[traduction] Pendant mon absence d’environ deux mois, le BSP a fait cinq autres visites chez moi. Pendant la première de ces visites, j’étais à la maison. Le BSP a découvert mon deuxième enfant (un fils, non inscrit). Avant de quitter les lieux, ils m’ont dit que j’avais deux jours pour inscrire mon fils au BSP. J’y suis allé.
Pendant la deuxième et la troisième de ces cinq visites, je n’étais pas à la maison. Ma famille m’a relaté par la suite que le BSP avait dit que j’avais violé la politique relative aux naissances et que je devais payer une amende de 8 000 et que mon épouse ou moi-même devait subir la stérilisation.
Pendant la quatrième visite, j’étais à la maison. Le BSP m’a demandé de confirmer quand je paierais l’amende. Ils ont dit qu’ils reviendraient trois jours plus tard. Ils me demanderaient alors de fournir une confirmation écrite indiquant qui (mon épouse ou moi-même) subirait la stérilisation.
Avant la dernière visite du BSP, toute ma famille a été d’accord pour répondre au BSP du bout des lèvres : je signerais la confirmation pour la stérilisation, puis je quitterais la Chine. J’ai signé et j’ai quitté vingt jours plus tard.
Le témoignage a prouvé l’imposition (et la menace de l’imposition) de sanctions économiques importantes contre l’appelant et sa famille. Toutefois, les sanctions économiques ne sont pas (comme il est indiqué dans l’arrêt Cheung) suffisantes pour établir la persécution; les sanctions économiques sont une mesure valable pour mettre en œuvre une politique également valable d’application générale, la politique de l’enfant unique[2]. Il est clair que ces pressions économiques ont influencé l’appelant en ce qui concerne son « consentement » à la stérilisation. Il est également possible que sa décision reflétait sa volonté de ne pas avoir d’autres enfants. De plus, l’appelant a omis de se présenter pour la stérilisation dans les trois mois, comme « convenu ». Néanmoins, cinq mois après le départ de l’appelant, son permis de conduire a été renouvelé sans difficultés et, alors qu’il prétendait que sa femme continuait d’être harcelée, il n’y avait pas de preuve que l’on exerçait de la pression sur elle pour qu’elle subisse la stérilisation.
Vu qu’il faut faire une distinction entre les personnes qui ont plus d’un enfant et qui courent un risque raisonnable de se voir imposer une stérilisation forcée et celles qui n’en courent pas, je ne suis pas convaincu, vu la preuve, que l’appelant craignait avec raison d’être persécuté.
Si elle est exacte, cette conclusion résout l’affaire. En effet, il s’ensuit que l’appelant est incapable d’établir une composante essentielle de la définition de réfugié au sens de la Convention. Toutefois, au cas où j’aurais tort de tirer cette conclusion, je prendrai en considération l’autre composante essentielle du critère du réfugié au sens de la Convention ou non, savoir, les motifs énumérés.
b) motifs énumérés
(i) appartenance à un « groupe social »
L’arrêt Cheung énonce clairement que les femmes en Chine qui ont plus d’un enfant et qui font face à une stérilisation forcée forment un « groupe social » (voir les commentaires du juge Linden, J.C.A., à la page 322). Dans l’arrêt, on cite une définition en quatre éléments de l’expression « groupe social », définition proposée par cette Cour dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mayers, [1993] 1 C.F. 154, à la page 165 :
(1) groupe naturel ou non de personnes (2) qui partagent des antécédents, des habitudes, un statut social, des vues politiques, une instruction, des valeurs, des aspirations, une histoire, des activités ou des intérêts économiques similaires, souvent des intérêts contraires à ceux du gouvernement au pouvoir et (3) qui partagent des caractéristiques, une conscience et une solidarité inaltérables, innées et fondamentales ou (4) qui partagent un statut temporaire mais volontaire, afin que leur association soit si essentielle à leur dignité humaine qu’elles ne devraient pas être obligées de la modifier.
Plus récemment, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward[3]3, la Cour suprême du Canada a identifié trois catégories de « groupes sociaux » :
(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable (par exemple, les personnes qui craignent la persécution du fait de leur sexe, de leurs antécédents linguistiques et de leur orientation sexuelle);
(2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association (par exemple, des défenseurs des droits de la personne) et
(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique. Par exemple, les personnes qui étaient des capitalistes et des hommes d’affaires indépendants dans l’Europe de l’Est pré-communiste.
Lorsque la Cour suprême a rendu sa décision de limiter la portée de l’expression « groupe social » à ces catégories, elle a d’abord discuté puis rejeté une définition générale de l’expression, « comprenant essentiellement toute alliance d’individus ayant un objectif commun » ou une interprétation qui caractérisait un groupe « du seul fait de leur victimisation commune en tant qu’objets de persécution ». Les motifs énumérés n’étaient pas « superflus » et existaient « afin de fixer une autre limite intrinsèque aux obligations des États signataires »[4]. Deux principes pour définir « les groupes sociaux » ont été identifiés. Premièrement, la Cour a approuvé l’utilisation de notions de discrimination et, plus particulièrement, la notion de motifs analogues pour définir « les groupes sociaux ». Il s’agit là de l’approche utilisée dans les arrêts Mayers et Cheung, précités[5]. Deuxièmement, la Cour a jugé qu’une personne qui alléguait la persécution du fait de son appartenance à un groupe social devait être visée pour ce qu’elle est ou était, et ce, « d’une façon immuable ou fondamentale », et non pas pour ce qu’elle fait ou faisait[6].
L’avocate de l’appelant a allégué que, d’après les faits de l’espèce, le « groupe social » visé par la définition de réfugié au sens de la Convention dans la Loi serait [traduction] « les parents en Chine qui ont plus d’un enfant et qui ne sont pas d’accord avec la politique de stérilisation du gouvernement ». Tout d’abord, je voudrais faire remarquer que, puisque la preuve établit que la stérilisation forcée était une pratique de fonctionnaires locaux plutôt qu’une politique du gouvernement, la définition, pour être justifiée dans ce dossier, devrait être revue pour lire « les parents en Chine qui ont plus d’un enfant qui ne sont pas d’accord avec la stérilisation forcée ». Quoi qu’il en soit, un tel groupe ne tombe pas dans l’une des trois catégories énumérées dans l’arrêt Ward, précité :
a) Catégorie (1)—le nombre d’enfants d’un couple n’est ni inné, ni immuable »avoir des enfants implique un choix. De plus, dire que des personnes partagent des caractéristiques innées revient simplement à dire que nous sommes tous humains;
b) Catégorie (2)—le « groupe » identifié en l’espèce n’est manifestement pas compris dans la catégorie 2. Il n’y a pas de preuve d’une association volontaire et active. Le caractère volontaire fait nécessairement référence à la décision de s’associer en soi et non pas à la décision d’avoir un deuxième enfant ou d’adopter un point de vue particulier. Une telle conclusion est conforme au principe de l’arrêt Ward énoncé ci-dessus selon lequel la crainte doit découler de ce que le demandeur était et non pas de ce qu’il a fait;
c) Catégorie (3)—Il est clair que cette catégorie ne s’applique pas en l’espèce. Si le « groupe » suggéré par l’avocate de l’appelant existe, il doit nécessairement être défini au présent. Il serait absolument impossible que ce « groupe » ait un effectif immuable du fait de sa « permanence historique »[7].
Ce dossier ne fait pas de distinction entre les parents de plus d’un enfant qui sont d’accord avec la stérilisation forcée et ceux qui ne sont pas d’accord. En outre, je ne vois aucun fondement de discrimination dicté par des principes entre les parents qui ne sont pas d’accord avec la stérilisation forcée du fait que certains ont enfreint la politique de l’enfant unique et d’autres ne l’ont pas enfreint. On peut soutenir que les membres du dernier groupe ont souffert plus que ceux du premier groupe. De toute manière, la distinction entre les parents qui ont enfreint la politique de l’enfant unique et ceux qui ne l’ont pas enfreinte découle de ce que les personnes ont fait (violer une loi chinoise en vigueur) et non de ce qu’elles sont.
En conséquence, pour les motifs susmentionnés, j’ai conclu que « le groupe social » allégué par l’appelant n’est compris dans aucune des catégories identifiées dans l’arrêt Ward.
De plus, je ne peux souscrire à la thèse selon laquelle, dans ce dossier, il est possible de restreindre de façon significative le cadre du « groupe social ». Il n’y a aucune preuve qui permette de faire une distinction entre les hommes mariés et les hommes célibataires ou entre les hommes mariés et les femmes mariées. Ces distinctions émanent entièrement des circonstances particulières de cet appelant puisqu’un groupe social, par définition, doit être défini par rapport à la société et non par rapport à des facteurs individuels. De plus, il n’y a aucune preuve en l’espèce comme quoi l’épouse de l’appelant a été, au départ, choisie par les autorités pour être stérilisée. Au contraire, la preuve indique clairement que les autorités ont exigé que l’un d’entre eux soit stérilisé et, alors que l’appelant avait omis depuis plusieurs mois de se conformer à son « consentement » à la stérilisation, aucune preuve n’indiquait que l’on imposait la stérilisation à sa femme.
La seule description possible d’un groupe social qui soit plus restreinte que celle préconisée par l’appelant serait « les parents avec plus d’un enfant qui sont confrontés et opposés à la stérilisation ». Toutefois, pour les motifs énumérés ci-dessus, ce groupe ne tombe pas non plus dans l’une des catégories de l’arrêt Ward . Je voudrais insister, une fois de plus, sur le manque d’association entre les individus de ce groupe. Tandis que les parents qui ont enfreint la politique de l’enfant unique peuvent être identifiés, rien n’indique que le sous-groupe (ceux qui sont confrontés à la stérilisation) puisse être identifié tant que l’opération n’aura pas été ordonnée.
Ce qui précède me conduit à formuler une objection fondamentale à ce que le groupe de parents avec plus d’un enfant qui sont confrontés à la stérilisation forcée soit considéré comme un « groupe social ». À mon avis, ce groupe n’est défini que par le fait que ses membres font face à une forme particulière de persécution. Autrement dit, l’appartenance à un groupe social est déterminée par l’existence de persécution. Une telle logique renverse complètement la définition légale en cause du statut de réfugié au sens de la Convention (selon laquelle la persécution doit être fondée sur l’un des motifs énumérés et non pas inversement) et prive les motifs énumérés de tout contenu. La logique s’oppose également au rejet, dans l’arrêt Ward, précité, de groupes définis « du seul fait de leur victimisation commune en tant qu’objets de persécution » [à la page 729] et à l’affirmation, dans l’arrêt Ward , précité, que les motifs énumérés n’étaient pas « superflus », mais visaient plutôt à limiter la portée de la définition de réfugié au sens de la Convention. Alors que certains pensent que la définition de réfugié au sens de la Convention devrait englober toutes les personnes qui craignent avec raison d’être persécutées, il ne s’agit pas de la définition que le Parlement a jugé bon d’adopter. À défaut d’une modification de la loi, les tribunaux doivent interpréter la définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l’immigration de façon à donner un sens à tous ses termes explicites[8].
Je conclus donc que l’appelant n’a pas établi la persécution du fait de l’appartenance à un groupe social. Comme dans l’arrêt Ward, la crainte de l’appelant découle clairement de ce qu’il a fait et non pas de ce qu’il était.
(ii) opinions politiques
L’appelant a allégué que le refus d’un citoyen de se faire stériliser conformément à la politique en vigueur dans la RPC, équivalait à une prise de position politique dans le sens où ce refus serait perçu comme une opinion politique anti-gouvernementale qui serait à la base d’une crainte fondée de persécution. La seule preuve qui soutiendrait cette allégation est la question suivante posée à l’appelant et sa réponse (Dossier d’appel, vol. II, page 256) :
[traduction] Q. Et vous déclarez qu’ils ont dit que vous aviez enfreint la politique de contrôle des naissances. Quelle est la politique de contrôle des naissances en Chine?
R. La politique des naissances en Chine était d’avoir un enfant par famille. Comme je suis fils unique, j’aimerais bien avoir plusieurs enfants.
À mon avis, une telle déclaration ne devrait pas être considérée comme une prise de position politique si on la considère dans le contexte toute la preuve présentée en l’espèce.
Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême a fait référence à une « interprétation plus générale des opinions politiques » proposée par Goodwin-Gill dans The Refugee in International Law (à la page 31) comme [traduction] « toute opinion sur une question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé ». M. le juge La Forest, toutefois, s’est empressé d’apporter deux précisions à cette catégorie[9]. En premier lieu, il n’est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées—dans bien des cas, les opinions ressortent des actions du demandeur et ont dit qu’elles sont imputées à ce dernier. En second lieu, le demandeur n’a pas réellement à avoir les opinions politiques qui lui sont attribuées—puisque « [l]es circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c’est ce qui est déterminant lorsqu’il s’agit d’inciter à la persécution »[10].
Il va de soi qu’un persécuteur ne persécuterait pas s’il ne pensait pas que la personne persécutée représentait une opinion hostile aux opinions du persécuteur. De plus, à un moment ou l’autre, l’État peut s’intéresser à presque toutes les questions et il aura vraisemblablement à intervenir souvent en matière de race, de nationalité, de religion et de groupes sociaux ou d’autres motifs énumérés. On peut donc soutenir qu’une définition très générale des « opinions politiques » pare à tous les motifs énumérés; le simple fait de la persécution pourrait satisfaire à la définition de réfugié au sens de la Convention. Puisque cette hypothèse est opposée à l’affirmation de la Cour suprême dans l’arrêt Ward, selon laquelle les motifs énumérés sont une composante distincte et essentielle de la définition de réfugié au sens de la Convention, il s’avère nécessaire de restreindre la définition d’« opinions politiques ».
Si l’on se penche sur le cas en espèce, je n’ai aucun doute que le désaccord avec la politique de l’enfant unique en Chine constitue une prise de position politique, comme il s’agit d’une prise de position qui concerne une importante politique gouvernementale. Néanmoins, il n’y a aucune preuve comme quoi les personnes qui expriment simplement leur désaccord avec la politique de l’enfant unique ou avec la stérilisation forcée ne sont pas tolérées. En fait, le gouvernement central n’a pas autorisé, du moins ouvertement, de mesures d’application forcée[11]. Il reste à savoir si l’appelant, qui a enfreint la politique de l’enfant unique et ne s’est pas plié à la demande de stérilisation subséquente, craint avec raison d’être persécuté (par la stérilisation forcée) du fait de ses opinions politiques. Une fois de plus, je crois que ce n’est pas le cas. La persécution ne découle pas du refus de subir la stérilisation mais plutôt de la violation de la politique de l’enfant unique; la violation est la cause, la stérilisation l’effet. Il n’y a pas d’indication que la violation de la politique de l’enfant unique et la répugnance à subir la stérilisation seront perçues par le gouvernement central ou les autorités locales comme autre chose que la violation d’une loi et l’hésitation à subir la pénalité qui s’en suit. Il convient de faire le parallèle avec le droit pénal. La violation de dispositions du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] n’est généralement pas perçue comme une prise de position politique. Dans certains contextes, la violation peut prendre une signification politique et peut avoir pour but de traduire une prise de position politique. Toutefois, ce n’est pas le cas lorsqu’il n’a pas été établi que la violation découle de bien plus qu’une simple inadvertance. Certes, il n’y a pas de preuve que les autorités ont perçu les actes de l’appelant comme une prise de position politique ou comme une tentative de saper leur autorité. Ce sera nécessairement le contexte qui déterminera si les actes ou points de vue seront perçus comme une tentative de saper l’autorité du persécuteur. Par exemple, dans le cas d’un persécuteur dont l’autorité est fondée principalement sur la religion, la violation d’un dogme religieux pourrait être perçue par ce persécuteur comme une tentative de saper son autorité alors que, si la religion ne fait pas partie intégrante de l’autorité du persécuteur, la violation du même dogme ne sera pas perçue de la même façon. En l’espèce, je ne pense pas que les preuves apportées permettent de conclure que les autorités chinoises pensent que l’acceptation de la politique de l’enfant unique fait partie intégrante de leur autorité et, par conséquent, la violation de cette politique ne sera pas perçue comme une tentative de saper leur autorité.
En conclusion, il n’y a pas de preuve que le traitement en question soit motivé par autre chose que la violation de la politique de l’enfant unique. Il y a une pléthore de preuve documentaire qui explique le raisonnement sous-jacent à la politique de l’enfant unique. Dans son livre, Slaughter of the Innocents : Coercive Birth Control in China (le massacre des innocents—le contrôle coercitif des naissances en Chine), (Dossier d’appel, vol. I, aux pages 83 et 84), John S. Aird déclare que l’objectif du gouvernement était de limiter la population chinoise à 1,2 milliard en l’an 2006. À la page 84, il dit :
[traduction] Au milieu de 1987, il était question d’augmenter l’objectif pour l’année 2000 jusqu’à 1,25 milliard mais même ce chiffre risquait d’être dépassé. On craignait que la Chine ne soit pas capable d’augmenter son niveau de vie et même de nourrir sa population, à moins que cet objectif ne soit atteint.
Cette politique relève tout à fait de la compétence du gouvernement chinois et ne peut pas, en soi, être considérée comme une source de persécution. En général, les sanctions prévues en cas de violation de la politique doivent, par conséquent, être acceptées. Une conclusion selon laquelle l’appelant fait face à la persécution du fait de ses opinions politiques ne devrait reposer que sur l’horreur de la pénalité pour violation d’une politique valable. Seule la persécution motive le statut de réfugié au sens de la Convention. J’ai également la pénalité en horreur, mais la définition de réfugié au sens de la Convention, conformément à la Loi sur l’immigration milite en faveur d’une distinction entre la persécution et les motifs énumérés. La Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Ward.
En conséquence, je conclus que l’appelant n’a pas réussi à établir que la persécution allégué découlait de ses « opinions politiques ».
CONCLUSION
Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais l’appel.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Mahoney, J.C.A. (dissident) : L’avocate de l’appelant a choisi de ne plaider aucun des motifs d’appel soulevés dans son exposé; s’appuyant entièrement sur l’arrêt récent de cette Cour dans l’affaire Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[12], elle a plutôt fait valoir une revendication fondée uniquement sur la crainte de l’appelant d’être stérilisé en tant que membre d’un groupe social, c’est-à-dire [traduction] « les parents en Chine qui ont plus d’un enfant et qui ne sont pas d’accord avec la politique de stérilisation du gouvernement ». Je ne vois pas comment nous pourrions conclure que la section du statut de réfugié a commis une erreur pour un motif que l’appelant, représenté par son avocate, a expressément choisi de ne pas plaider en appel, de sorte que l’intimé n’a pas fait valoir d’argument à l’encontre de ce motif. Je vais donc trancher l’appel uniquement à partir du motif plaidé.
Pour les fins du présent appel, un réfugié au sens de la Convention est défini en ces termes à l’article 2 de la Loi sur l’immigration[13] :
2. …
« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :
a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
La preuve de l’appelant
L’appelant était souvent absent de chez lui en 1990, avant de quitter la Chine. Dans sa Fiche de renseignements personnels, ci-après appelée la « FRP », il a écrit ce qui suit[14] :
[traduction] Pendant mon absence d’environ deux mois, le BSP a fait cinq autres visites chez moi. Pendant la première de ces visites, j’étais à la maison. Le BSP a découvert mon deuxième enfant (un fils, non inscrit). Avant de quitter les lieux, ils m’ont dit que j’avais deux jours pour inscrire mon fils au BSP. J’y suis allé.
Pendant la deuxième et la troisième de ces cinq visites, je n’étais pas à la maison. Ma famille m’a relaté par la suite que le BSP avait dit que j’avais violé la politique relative aux naissances et que je devais payer une amende de 8 000 et que mon épouse ou moi-même devait subir la stérilisation.
Pendant la quatrième visite, j’étais à la maison. Le BSP m’a demandé de confirmer quand je paierais l’amende. Ils ont dit qu’ils reviendraient trois jours plus tard. Ils me demanderaient alors de fournir une confirmation écrite indiquant qui (mon épouse ou moi-même) subirait la stérilisation.
Avant la dernière visite du BSP, toute ma famille a été d’accord pour répondre au BSP du bout des lèvres : je signerais la confirmation pour la stérilisation, puis je quitterais la Chine. J’ai signé et j’ai quitté vingt jours plus tard.
Voici les passages pertinents de son témoignage de vive voix[15] :
[traduction] Q. M. Chan, dans votre Fiche de renseignements personnels, vous parlez d’autres visites du BSP à l’égard de votre deuxième fils. Pourriez-vous décrire ces visites, s’il vous plaît?
R. Mon deuxième enfant est né en novembre 1989. Entre avril et juin 1990, le Bureau de sécurité publique, conjointement avec le comité du quartier, faisait un recensement, et ils ont découvert que j’avais un enfant de plus. Ils étaient très fâchés et ils ont dit que nous avions désobéi à la politique de contrôle des naissances. Il me serait très difficile de vous relater en détail. Et ils nous ont demandé de nous présenter au poste de police dans les deux jours, parce que ce soir-là, j’étais à la maison.
Deux jours plus tard, donc, je suis allé au poste de police et me suis inscrit. À l’inscription, j’ai simplement rédigé un document dans lequel je disais que mon deuxième enfant était né, à telle date.
Environ une semaine plus tard, ils sont revenus chez nous une deuxième fois. À chaque fois qu’ils venaient, ils avaient l’habitude de nous insulter. Pendant la deuxième et la troisième visites, ils ont exigé une amende de 8 000 dollars, et ils ont exigé que moi ou mon épouse subisse la stérilisation. Si personne ne consentait, nous serions amenés de force—pour être stérilisés.
Puisqu’ils nous ont rendu visite quatre fois, notre famille a discuté de ce problème et nous avons dit que nous allions répondre à leur demande par écrit, affirmant que j’acceptais de subir l’intervention de stérilisation.
…
La cinquième fois qu’ils sont venus, ils ont demandé ce document et les 8 000 dollars aussi. Mon épouse a perdu son emploi à cause d’eux et nous leur avons dit que nous n’avions pas cette somme d’argent. Pour ce qui est du congédiement de mon épouse, même à l’extérieur de son unité de travail, la nouvelle circulait qu’elle ne serait pas autorisée à occuper un emploi, si bien que nous étions très touchés par cette mesure.
…
Trois jours après la cinquième visite, je suis allé au poste de police et j’ai remis le document dans lequel j’affirmais que j’étais disposé à subir l’intervention de stérilisation dans les trois mois; vingt jours plus tard, j’ai quitté la Chine. Même si j’ai quitté ma famille, les autorités continuent de venir chez nous pour nous harceler, pour demander quand l’intervention aura lieu et pour réclamer l’amende de 8 000 dollars. Voilà la situation.
…
Q. Vous avez affirmé avoir signé la confirmation comme quoi vous subiriez la stérilisation. Pourquoi avez-vous signé cette confirmation?
R. Parce que je croyais que si je signais pas, je ne pouvais donner suite à leur demande. Ils peuvent venir tous les jours, du matin au soir. Psychologiquement, c’est insupportable; et ils peuvent aller encore plus loin, ils peuvent me congédier et congédier mes parents. Si les choses devaient se rendre à un tel point, nous ne pourrions pas vivre; nous avons donc signé—j’ai signé ce document pour contourner cette difficulté.
Q. Avez-vous déjà eu l’intention de vous conformer à leur demande de stérilisation?
R. Je crois que la décision de se faire stériliser est un choix personnel. Même si j’ai décidé de ne pas avoir un troisième enfant, il ne me serait pas absolument nécessaire de subir l’intervention de stérilisation. Je n’avais donc jamais envisagé de subir ce type d’opération cruelle.
La « FRP » et le témoignage de vive voix concordent en tous points.
La preuve documentaire
La preuve documentaire comprend une publication de l’American Entreprise Institute intitulée Slaughter of the Innocents : Coercive Birth Control in China (le massacre des innocents—le contrôle coercitif des naissances en Chine). J’estime qu’il serait important de connaître quelque chose au sujet de l’éditeur et de l’auteur, et de leurs points de vue sur le contrôle des naissances en général, avant d’accepter cette preuve comme objectivement fiable.
La seule autre preuve documentaire ayant trait à la politique chinoise de contrôle démographique est le Country Report on Human Rights Practices for 1990 de février 1991, du Département d’État américain. J’accepte son objectivité. Il mérite d’être cité assez longuement, puisqu’il décrit la politique, son fondement et les sanctions employées pour inciter les gens à la respecter et pour punir ceux qui ne la respectent pas[16].
[traduction] La population de la Chine a approximativement doublé depuis quarante ans, ce qui a gravement nui à la capacité du pays de nourrir sa population et développer son économie. Au début des années 1980, le gouvernement a fixé l’objectif de limiter la population à 1,2 milliard en l’an 2000. Pour atteindre cet objectif, il a adopté un programme de planification familiale complet—et très peu respectueux de la vie privée—qui vise à mettre en œuvre une politique d’un enfant par famille pour les Chinois Han dans les régions urbaines (de nombreuses exceptions sont autorisées pour les Han qui vivent dans les régions rurales). Les minorités ethniques sont soit dispensées, soit assujetties à des méthodes de contrôle démographique moins rigoureuses.
Les décisions individuelles et familiales d’avoir des enfants sont réglementées par l’État; des récompenses sont accordées à ceux qui respectent les directives officielles et des sanctions sévères sont imposées à ceux qui en dévient. Le gouvernement central fixe un objectif national annuel pour le nombre de naissances autorisées; ce chiffre est réparti jusqu’au niveau local et, ultimement, jusqu’à chaque unité de travail. Dans les régions urbaines, on encourage les couples à retarder le mariage longtemps après l’âge légal minimum, de 22 ans pour les hommes et de 20 ans pour les femmes, et à retarder la naissance jusqu’à ce qu’ils aient atteint au moins le milieu de la vingtaine. Pour les couples urbains, il est très difficile d’obtenir la permission d’avoir un deuxième enfant.
La politique chinoise en matière de contrôle démographique s’appuie sur l’éducation, la propagande et les primes, ainsi que sur des mesures plus coercitives, y compris la pression psychologique et d’importantes peines pécuniaires. Les récompenses accordées aux couples qui respectent la politique comprennent une rémunération mensuelle et des avantages médicaux, alimentaires et scolaires préférentiels. Les mesures disciplinaires prises contre ceux qui violent la politique comprennent souvent de fortes amendes, le refus de dispenser des services sociaux, la rétrogradation et d’autres sanctions administratives. Dans quelques cas au moins, des gens ont été congédiés (une peine très grave en Chine puisqu’elle a une incidence sur le logement, la pension, et d’autres avantages sociaux) pour avoir refusé de mettre fin à des grossesses non autorisées.
La contrainte physique pour obliger quelqu’un à se faire avorter ou se faire stériliser n’est pas autorisée, mais continue à se produire alors que les fonctionnaires tentent d’atteindre les objectifs démographiques. On signale encore des cas d’avortements et de stérilisations forcées, quoiqu’ils soient beaucoup moins fréquents qu’au début des années 1980. Bien qu’ils reconnaissent qu’il existe des abus, les fonctionnaires soutiennent que la Chine ne cherche pas à excuser l’avortement ou la stérilisation forcés et que les abus commis par des fonctionnaires locaux sont punis. Cependant, ils avouent que les cas de sanctions sont rares et ils n’ont pas encore fourni de documents constatant des sanctions.
L’application de la politique de planification familiale ne s’est pas faite de façon uniforme et varie beaucoup selon le lieu et l’année. Les données du recensement de 1990 indiquent que le nombre moyen d’enfants par famille (2,3) et le taux de croissance démographique (1,5 p. 100) demeurent sensiblement plus élevés que les chiffres qui seraient obtenus par une application réussie de la politique officielle. Dans plusieurs régions, des couples peuvent apparemment avoir plusieurs enfants sans encourir de peines tandis que, dans d’autres régions, l’application a été plus rigoureuse. Les fonctionnaires locaux ont un large pouvoir discrétionnaire quant à la manière de mettre en œuvre la politique et quant à la rigueur avec laquelle elle le sera. Parce que des peines peuvent être infligées contre des fonctionnaires locaux et des unités de travail des femmes si le nombre de naissances dépasse le nombre autorisé, plusieurs individus sont personnellement touchés, ce qui crée une autre source éventuelle de pression. [C’est moi qui souligne.]
Les faits
La section du statut de réfugié n’a tiré aucune conclusion négative—expresse ou implicite—de la preuve. En l’espèce, nous sommes uniquement intéressés par l’application de la politique par les autorités locales qui exigent la stérilisation non sollicitée. Voici les faits essentiels :
1. L’appelant et son épouse devaient choisir lequel des deux subirait une stérilisation non sollicitée.
2. L’appelant a choisi d’être stérilisé à la place de sa femme, et il a quitté la Chine avant de subir l’intervention.
3. L’appelant craint que s’il retourne en Chine, il sera stérilisé de force et, de ce fait, il ne veut se réclamer de la protection de la Chine, le pays dont il a la nationalité.
4. L’application de sa politique de contrôle démographique par la stérilisation non sollicitée n’est pas autorisée par le gouvernement chinois.
5. Les autorités locales jouissent d’un grand pouvoir discrétionnaire quant à la manière d’appliquer la politique et elles peuvent être pénalisées si leurs contingents ne sont pas respectés.
6. Le gouvernement chinois reconnaît que certaines autorités locales pratiquent la stérilisation non sollicitée comme moyen d’appliquer la politique.
7. Le gouvernement chinois affirme punir les autorités locales qui font appel à la stérilisation non sollicitée, avoue que ces sanctions sont rares et n’a pas encore fourni de documents constatant de telles sanctions.
La décision de la section du statut de réfugié
Voici le texte intégral de la décision portée en appel en ce qui concerne la crainte de stérilisation de l’appelant[17] :
[traduction] Le demandeur a allégué qu’il craignait d’être persécuté en étant forcé de subir la stérilisation. Ce tribunal conclut que la stérilisation n’est pas en soi une forme de persécution pour un motif visé par la Convention; nous estimons plutôt qu’il s’agit d’une mesure du gouvernement chinois pour mettre en œuvre une politique de planification familiale applicable à tous ses citoyens. En outre, le demandeur a attesté qu’il ne voulait plus avoir d’enfants et aucune preuve n’a été présentée indiquant que le demandeur subirait des sévices pendant l’intervention de stérilisation. Vu tout ce qui précède, ce tribunal conclut que la crainte du demandeur d’être persécuté par le biais d’une stérilisation forcée n’est pas fondée.
Le fait de laisser entendre qu’une preuve est nécessaire pour établir que la stérilisation forcée entraîne des sévices met en doute la compréhension du tribunal de ce qui signifie le mot « sévice » dans son sens courant.
Le témoignage de l’appelant comme quoi il ne souhaitait plus avoir d’enfants et sa déclaration complémentaire, passée inaperçue, selon laquelle
[traduction] … il ne [lui] serait pas absolument nécessaire de subir l’intervention de stérilisation
ne permettent pas de conclure, à mon avis, que sa crainte d’être persécuté par le biais d’une stérilisation forcée n’est pas fondée. Il s’agit de son opinion, fondée sur son intention personnelle. Cependant, rien n’indique qu’il s’agit d’une opinion partagée par les autorités locales ou qu’il croyait que ces dernières la partageaient. C’est plutôt le contraire. D’après la preuve, de leur point de vue, le respect de son engagement à subir la stérilisation ne serait inutile que si son épouse était stérilisée à sa place.
La validité de la conclusion du tribunal selon laquelle [traduction] « la stérilisation [n’est pas] une forme de persécution pour un motif visé par la Convention » dépend entièrement de la qualification « pour un motif visé par la Convention ». Voilà la question à trancher.
L’arrêt Cheung
Dans l’affaire Cheung, la section du statut de réfugié avait accepté le fait que la demanderesse « serait stérilisée si elle était forcée à retourner en Chine ». Il n’y a pas eu d’acceptation semblable en l’espèce. Concluant que la stérilisation forcée de la demanderesse serait de la persécution, le juge Linden, J.C.A., au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit [aux pages 323 et 324] :
Camoufler la persécution sous un vernis de légalité ne modifie pas son caractère. La brutalité visant une fin légitime reste toujours de la brutalité.
La stérilisation forcée des femmes est une violation essentielle des droits fondamentaux de la personne. Elle va à l’encontre des articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies[18]….
Article 3
Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne.
…
Article 5
Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Pour ce qui est de l’appartenance à un groupe social, la Cour a statué comme suit [à la page 322] :
Il est clair que les femmes en Chine qui ont [plus d’][19] un enfant et qui font face à la stérilisation forcée satisfont suffisamment aux critères ci-dessus[20] pour être considérées comme formant un groupe social. Elles forment un groupe partageant le même statut social et ont un intérêt similaire que ne partage pas leur gouvernement. Elles ont en commun certaines caractéristiques fondamentales. Toutes celles qui entrent dans ce groupe poursuivent ou ont en commun une fin si essentielle à leur dignité humaine qu’elles ne devraient pas être obligées de la modifier pour le motif que l’ingérence dans la liberté de procréation d’une femme est un droit fondamental qui « se situe en haut de notre échelle de valeurs ».
Dans l’arrêt Cheung, la Cour a conclu que la stérilisation forcée, telle que pratiquée en Chine, constituait de la persécution visée par la définition d’un réfugié au sens de la Convention, tout comme elle avait jugé, dans les arrêts Surujpal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration[21] et Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[22], que des traitements non sanctionnés par le gouvernement national étaient de la persécution.
Persécution et complicité de l’État
Dans l’arrêt E. (Mme) c. Eve[23], la Cour suprême a caractérisé la stérilisation non thérapeutique pratiquée sans consentement de « grave atteinte au droit d’une personne » et d’« atteinte irréversible et grave aux droits fondamentaux d’une personne ». Cette affaire concernait une femme. Il n’existe aucune distinction entre les sexes qui amènerait à caractériser autrement la stérilisation forcée d’un homme.
La persécution transcende la discrimination. Quoique l’on puisse penser des autres sanctions par lesquelles la politique de contrôle démographique est appliquée, la stérilisation non sollicitée—un sévice qui représente un atteinte irréversible et grave aux droits fondamentaux d’une personne—constitue de la persécution.
Dans un arrêt très récent, Canada (Procureur général) c. Ward[24], la Cour suprême du Canada a traité la complicité de l’État dans un contexte différent de celui en l’espèce : l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants de la persécution commise par d’autres. Le fondement sur lequel la Cour s’est appuyée pour conclure à la complicité de l’État dans l’arrêt Cheung demeure valide. La preuve n’amène pas à conclure que le gouvernement central de Chine est incapable de protéger ses citoyens contre les excès commis par les autorités locales. Elle montre plutôt un gouvernement central qui, par sa passivité, tolère ou encourage l’application de la politique de contrôle démographique par un moyen qu’il désavoue officiellement.
À mon avis, quelqu’un qui craint avec raison d’être stérilisé de force craint avec raison d’être persécuté et, d’après la preuve, la crainte de l’appelant d’être stérilisé de force s’il devait retourner en Chine est fondée au plan subjectif et objectif.
Groupe social
L’argument de l’avocate de l’appelant selon lequel le groupe social en cause est formé des « parents en Chine qui ont plus d’un enfant et qui ne sont pas d’accord avec la politique de stérilisation du gouvernement » est totalement inacceptable. Définir ainsi le groupe revient simplement à renvoyer la question au domaine des opinions politiques.
Le groupe social identifié dans l’arrêt Cheung [à la page 322] était « les femmes en Chine qui ont plus d’un enfant et qui, de ce fait, font face à la stérilisation forcée ». Je ne vois aucune distinction significative entre ce groupe et les « hommes mariés en Chine, dont les épouses font face à la stérilisation forcée parce qu’elle ont eu plus d’un enfant, qui acceptent d’être stérilisés pour éviter que leurs épouses ne soient stérilisées de force ».
Parmi les questions traitées par le juge La Forest, en prononçant l’arrêt de la Cour dans l’affaire Ward, il y avait la suivante [à la page 708] :
a) Quel est le sens de l’expression « groupe social » utilisée dans la définition du réfugié au sens de la Convention, figurant au par. 2(1) de la Loi sur l’immigration de 1976 ?
Les commentaires pertinents sur cette question se trouvent aux pages 728 à 739 de l’arrêt. Voici quelques conclusions auxquelles la Cour suprême est arrivée :
La façon de distinguer les groupes aux fins du droit relatif à la discrimination peut donc à bon droit s’appliquer à ce domaine du droit relatif aux réfugiés.
…
La méthode des « motifs analogues » utilisée pour aborder l’art. 15 de la Charte est semblable à celle que la Cour d’appel fédérale, dans les arrêts qu’elle a rendus récemment, et l’Immigration Board of Appeals américain[25] ont employée pour définir l’expression « groupe social », lorsqu’il s’est agi de dégager le point que les motifs énumérés ont en commun et d’extrapoler à partir de ce point commun.
Ces types de critères nous semblent appropriés.
…
Le sens donné à l’expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d’établir une bonne règle pratique en vue d’atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées :
(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;
(2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et
(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.
La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d’être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d’intentions historiques, quoiqu’elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d’une personne constitue une partie immuable de sa vie.
Il convient de remarquer que les exemples donnés intéressent des individus et non des groupes organisés.
Le paragraphe 15(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] dispose :
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Le juge en chef Lamer, dans l’arrêt R. c. Swain[26], a été le dernier à énoncer de nouveau la méthode des motifs analogues :
La cour doit d’abord déterminer si le plaignant a démontré que l’un des quatre droits fondamentaux à l’égalité a été violé (i.e. l’égalité devant la loi, l’égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d’autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une « discrimination ». Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres. De plus, pour déterminer s’il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s’assurer que la plainte correspond à l’objectif général de l’art. 15, c’est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.
Si l’on transpose cette méthode pour l’appliquer au processus de détermination du statut de réfugié, la résolution des questions de savoir si ce que craint le demandeur est de la persécution et si cette crainte est fondée semblerait englober la première enquête et les conséquences du traitement différent qui s’ensuivent. Il s’agit là d’une enquête commune à la résolution de toutes les revendications du statut de réfugié.
Pour la détermination du statut de réfugié, il faut ensuite se demander : (1) si la personne est persécutée à cause de son appartenance à un groupe social et, dans l’affirmative, (2) si le groupe social fait partie de l’une des catégories identifiées dans l’arrêt Ward. Autrement dit, la caractéristique personnelle que partagent les membres du groupe est-elle analogue à la race, à la religion, à la nationalité ou aux opinions politiques du fait qu’elle soit immuable parce qu’elle est innée ou parce qu’il s’agit d’un fait rendu permanent par l’histoire soit, bien que changeable, si fondamentale à leur dignité humaine, qu’ils ne devraient pas être forcés à l’abandonner?
Pour ce qui est des deuxième et troisième catégories, je considère que la notion d’« association volontaire » s’oppose à la notion de « caractéristique innée ou immuable » de la première, et qu’elle n’implique pas nécessairement l’adhésion à une organisation ou la formation d’une association. Cette interprétation paraît conforme à la définition « normale » du Guide du HCNUR[27].
77. Par « un certain groupe social », on entend normalement des personnes appartenant à un groupe ayant la même origine et le même mode de vie ou le même statut social.
En outre, la notion d’association volontaire des deuxième et troisième catégories me semble nécessairement la même; la distinction est que la caractéristique personnelle commune qui distingue la deuxième subsiste, alors que celle de la troisième, quoique passée, demeure sa caractéristique marquante à cause de sa permanence historique.
Dans l’arrêt Ward, à la page 731, le juge La Forest a examiné la raison pour laquelle la notion de « groupe social » avait été incluse dans la définition de réfugié au sens de la Convention. À partir de la preuve historique, il a conclu en ces termes :
Au départ, cette catégorie a été ajoutée pour élargir l’éventail des cas visés par la définition du terme « réfugié » qu’on y trouve, et ce, en réponse à la guerre froide afin d’assurer un havre aux capitalistes qui fuyaient la persécution à laquelle ils faisaient face dans les régimes du bloc de l’Est, après la Deuxième guerre mondiale … Dans les « affaires de guerre froide », les capitalistes étaient persécutés non pas à cause de leurs activités contemporaines, mais à cause de la situation antérieure que leur imputaient les leaders communistes. Compte tenu de cette origine historique, la définition de l’expression « groupe social » doit tout au moins viser ces genres de situations. Toutefois, la portée de l’expression « groupe social » n’était pas destinée à être limitée à cette situation historique précise et personne n’a jamais soutenu cela.
C’était parce qu’ils partageaient une caractéristique commune, celle d’avoir été des capitalistes, et non pas parce qu’ils avaient déjà fait officiellement partie d’une association ou d’une organisation que l’on pouvait dire que les anciens capitalistes derrière le rideau de fer appartenaient à la troisième catégorie.
Je n’ai pas pu imaginer de raison, fondamentale à la dignité humaine, pour laquelle des gens s’associeraient officiellement sans que cela ne donne lieu à une appartenance qui ne soit pas, ou bien d’ordre religieux, ou bien l’expression d’une opinion politique et qui rende donc inutile le recours à la catégorie de groupe social de la définition. À mon avis, c’est la raison partagée, essentielle à la dignité humaine de ses membres qui définit et constitue le deuxième groupe. Un acte conscient d’association n’est pas un élément essentiel.
Dans l’arrêt Ward, à la page 736, le juge La Forest a cité le passage tiré de l’arrêt Cheung que j’ai déjà moi-même, mais que je répète en partie :
Toutes celles qui entrent dans ce groupe poursuivent ou ont en commun une fin si essentielle à leur dignité humaine qu’elles ne devraient pas être obligées de la modifier pour le motif que l’ingérence dans la liberté de procréation d’une femme est un droit fondamental « qui se situe en haut de notre échelle de valeurs ».
Il a décrit en ces termes la méthode suivie par cette Cour :
Ainsi, l’enquête était axée sur le droit fondamental à la procréation.
Plus loin, dans un passage déjà cité [à la page 738], le juge La Forest a caractérisé la méthode suivie dans les arrêts Cheung, Mayers et Acosta de semblable à « la méthode des ‘motifs analogues’ utilisée pour aborder l’art. 15 de la Charte ». Rien dans l’arrêt Cheung n’indique que le demandeur avait adhéré à une association officielle quelconque.
Conclusion
Je suis en profond désaccord avec l’idée que la légitimité d’une politique de contrôle démographique puisse exclure de la définition de réfugié au sens de la Convention la persécution faite dans l’application de cette politique.
À mon sens, l’arrêt Eve a établi que le droit à la procréation est fondamental à la dignité humaine et l’arrêt Ward, par sa manière de traiter l’arrêt Cheung, entérine ce principe. S’il est vrai que, comme dans l’affaire Ward, l’appelant en l’espèce est menacé de persécution pour ce que lui (et son épouse) ont fait, et non pas pour ce qu’ils étaient, ce qu’ils ont fait—savoir, exercer un droit fondamental de la personne, soit le droit à la procréation—est de nature très différente de ce que Ward avait fait et identique à ce que Mme Cheung (et son époux) avaient fait.
Il y a des différences entre l’espèce et l’affaire Cheung, mais je ne crois pas qu’elles permettent de faire une distinction entre les deux. Dans l’affaire Cheung, il s’agissait d’une femme; en l’espèce, il s’agit d’un homme. Le droit à la procréation, un droit fondamental de la personne, n’est pas exclusivement réservé aux femmes. Dans l’affaire Cheung, on a conclu que l’intéressée serait stérilisée de force si elle retournait en Chine; cela réglait la question de savoir si elle avait raison de craindre d’être stérilisée. En l’espèce, il n’y a aucune conclusion en ce sens, mais la persécution n’a pas à être certaine pour que le demandeur ait raison de la craindre. Il suffit qu’il y ait une possibilité sérieuse de persécution[28]. C’est le cas en l’espèce : il y a une possibilité sérieuse que l’appelant soit stérilisé de force s’il est renvoyé en Chine. Dans l’affaire Cheung, la sanction devait être imposée à la mère de l’enfant dont la naissance avait violé la politique de contrôle démographique; en l’espèce, le père avait choisi d’être lui-même stérilisé pour éviter que son épouse ne soit stérilisée de force.
À mon avis, rien ne permet de distinguer l’espèce de l’arrêt Cheung et rien dans l’arrêt Ward ne permet de douter du bien-fondé de l’arrêt Cheung. C’est plutôt le contraire.
La jurisprudence et la doctrine sur les cas dans lesquels cette Cour peut s’éloigner de ses arrêts antérieurs ont fait l’objet d’une étude poussée dans les motifs de l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Widmont[29]. Elles sont résumées dans la citation suivante d’un jugement de lord Diplock[30] :
[traduction] La Cour d’appel doit se conformer à ses propres décisions et à celles des juridictions de même degré, la cour « plénière » étant dans la même position que ses sections de trois membres. Les seules exceptions à cette règle sont : (1) la cour peut et doit décider quelle, de ses deux propres décisions contradictoires, elle suivra; (2) elle doit refuser de se conformer à l’une de ses propres décisions qui, quoique non expressément réformée, ne peut, à son avis, être maintenue sans entrer en conflit avec un arrêt de la Chambre des lords; (3) elle n’a pas à se conformer à l’une de ses décisions si elle est convaincue qu’elle a été rendue per incuriam, v.g. lorsqu’une loi, ou une règle ayant l’effet d’une loi, qui aurait modifié la décision, n’a pas été portée à l’attention de la première cour.
À mon avis, aucune de ces exceptions n’existe en l’espèce.
J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la section du statut de réfugié et, conformément au sous-alinéa 52c)(i) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], je déclarerais l’appelant réfugié au sens de la Convention.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Desjardins, J.C.A. : L’appelant, qui revendique le statut de réfugié du fait de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques, fonde son appel sur l’arrêt que cette Cour a rendu dans l’affaire Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[31]. Il allègue avoir raison de craindre d’être persécuté du fait que, peu de temps avant de s’enfuir de la Chine, il s’était engagé à subir la stérilisation contre son gré. S’il n’avait pas offert de le faire, son épouse aurait été obligée de subir cette opération puisque le couple a plus d’un enfant et contrevient donc à la politique du gouvernement chinois.
On trouve une description de la politique chinoise en matière de contrôle démographique dans un document déposé auprès de la Commission intitulé Slaughter of the Innocents : Coercive Birth Control in China (le massacre des innocents : le contrôle coercitif des naissances en Chine), écrit par John S. Aird. Ce document fait état des craintes exprimées en Chine au sujet de la capacité du pays d’élever le niveau de vie, voire de nourrir sa population si les objectifs fixés par le gouvernement ne sont pas atteints[32]. Dans les Country Reports on Human Rights Practices for 1990, on décrit diverses mesures appliquées pour faire respecter la politique de l’enfant unique[33] :
[traduction] La politique chinoise en matière de contrôle démographique s’appuie sur l’éducation, la propagande et les primes, ainsi que sur des mesures plus coercitives, y compris la pression psychologique et d’importantes peines pécuniaires. Les récompenses accordées aux couples qui respectent la politique comprennent une rémunération mensuelle et des avantages médicaux, alimentaires et scolaires préférentiels. Les mesures disciplinaires prises contre ceux qui violent la politique comprennent souvent de fortes amendes, le refus de dispenser des services sociaux, la rétrogradation et d’autres sanctions administratives. Dans quelques cas au moins, des gens ont été congédiés (une peine très grave en Chine puisqu’elle a une incidence sur le logement, la pension, et d’autres avantages sociaux) pour avoir refusé de mettre fin à des grossesses non autorisées.
…
La contrainte physique pour obliger quelqu’un à se faire avorter ou se faire stériliser n’est pas autorisée, mais continue à se produire alors que les fonctionnaires tentent d’atteindre les objectifs démographiques. On signale encore des cas d’avortements et de stérilisations forcées, quoiqu’ils soient beaucoup moins fréquents qu’au début des années 1980. Bien qu’ils reconnaissent qu’il existe des abus, les fonctionnaires soutiennent que la Chine ne cherche pas à excuser l’avortement ou la stérilisation forcés et que les abus commis par des fonctionnaires locaux sont punis. Cependant, ils avouent que les cas de sanctions sont rares et ils n’ont pas encore fourni de documents constatant des sanctions.
L’application de la politique de planification familiale ne s’est pas faite de façon uniforme et varie beaucoup selon le lieu et l’année. Les données du recensement de 1990 indiquent que le nombre moyen d’enfants par famille (2,3) et le taux de croissance démographique (1,5 p. 100) demeurent sensiblement plus élevés que les chiffres qui seraient obtenus par une application réussie de la politique officielle. Dans plusieurs régions, des couples peuvent apparemment avoir plusieurs enfants sans encourir de peines tandis que, dans d’autres régions, l’application a été plus rigoureuse. Les fonctionnaires locaux ont un large pouvoir discrétionnaire quant à la manière de mettre en œuvre la politique et quant à la rigueur avec laquelle elle le sera. Parce que des peines peuvent être infligées contre des fonctionnaires locaux et des unités de travail des femmes si le nombre de naissances dépasse le nombre autorisé, plusieurs individus sont personnellement touchés, ce qui crée une autre source éventuelle de pression.
L’infanticide contre les enfants du sexe féminin persiste dans certaines régions rurales pauvres. Les pressions exercées pour que les unités locales atteignent les objectifs démographiques ont contribué au maintien de cette pratique traditionnelle, généralement chez les parents qui souhaitent avoir plus de fils sans encourir de sanctions officielles. Le gouvernement s’oppose vigoureusement à l’infanticide et a poursuivi les délinquants, mais n’a pas été en mesure d’éliminer la pratique.
La stérilisation serait donc une mesure pratiquée par certaines autorités locales. Elle n’est pas autorisée par le gouvernement central, mais elle demeure généralement impunie.
Mes deux collègues ont relaté la preuve en détail et ils ont tiré des conclusions contraires quant à savoir si, vu les faits, le demandeur a réussi à établir qu’il avait raison de craindre d’être persécuté.
Comme l’a fait remarquer le juge Heald, J.C.A., la Commission n’est arrivée à aucune conclusion expresse quant à savoir si l’appelant risquait vraisemblablement d’être stérilisé de force, s’il était renvoyé en Chine. J’estime que le témoignage de l’appelant et la preuve comportent une part d’ambiguïté. Cependant, je ne me propose pas de trancher cet appel en me fondant uniquement sur les faits. Des questions hautement complexes sont soulevées en ce qui concerne le sens des expressions « groupe social », « opinions politiques » et « persécutée » dans la définition du « réfugié au sens de la Convention » qui se trouve au paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration[34]. Il y a lieu d’aborder ces questions puisqu’il ne servirait à rien de les laisser en suspens pour qu’elles soient résolues plus tard.
« Groupe social »
Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward[35], dans les motifs du jugement prononcés par le juge La Forest, la Cour suprême du Canada nous indique clairement la voie à suivre en ce qui concerne la signification et la portée de l’expression « groupe social ».
Vu que la définition du « réfugié au sens de la Convention » qui se trouve dans la Loi sur l’immigration tire en grande partie ses origines de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [[1969] R.T. Can. no 6] de 1951 et du protocole de 1967 [Protocole des Nations Unies relatif au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 29] qui s’y rattache (la « Convention »), la Cour a consulté le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés)[36] (le « guide du HCNUR ») qui se fonde sur l’expérience acquise par le Haut commissariat sur une période de vingt-cinq ans compte tenu, notamment « de la pratique des États en ce qui concerne la détermination du statut de réfugié, des échanges de vues que le Haut Commissariat a eus avec les autorités compétentes des États contractants et de ce qui a été publié sur le sujet depuis un quart de siècle »[37].
Le Guide du HCNUR dit ce qui suit en ce qui concerne l’expression « appartenance à un groupe social »[38] :
77. Par « un certain groupe social », on entend normalement des personnes appartenant à un groupe ayant la même origine et le même mode de vie ou le même statut social. La crainte d’être persécuté du fait de cette appartenance se confondra souvent en partie avec une crainte d’être persécuté pour d’autres motifs, tels que la race, la religion ou la nationalité.
78. L’appartenance à un certain groupe social peut être à l’origine de persécutions parce que les prises de position politique, les antécédents ou l’activité économique de ses membres, voire l’existence même du groupe social en tant que tel, sont considérés comme un obstacle à la mise en œuvre des politiques gouvernementales.
79. Normalement, la simple appartenance à un certain groupe social ne suffira pas à établir le bien-fondé d’une demande de reconnaissance du statut de réfugié. Il peut cependant y avoir des circonstances particulières où cette simple appartenance suffit pour craindre des persécutions.
Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a rejeté le point de vue de Helton pour qui la catégorie du « groupe social » serait censée comprendre [traduction] « tous les motifs et genres de persécutions qu’un despote imaginatif pourrait inventer »[39]. La Cour a également rejeté l’opinion d’Isi Foighel qu’elle a décrit comme étant une interprétation selon laquelle « une association de gens est essentiellement un « groupe social » du seul fait de leur victimisation commune en tant qu’objets de persécution »[40].
La Cour a entériné le critère proposé par l’avocate du requérant dans l’affaire Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mayers[41], qui a servi de guide d’interprétation dans l’arrêt Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)[42]. Voici ce critère :
… un groupe social désigne (1) un groupe naturel ou non de personnes (2) qui partagent des antécédents, des habitudes, un statut social, des vues politiques, une instruction, des valeurs, des aspirations, une histoire, des activités ou des intérêts économiques similaires, souvent des intérêts contraires à ceux du gouvernement au pouvoir et (3) qui partagent des caractéristiques, une conscience et une solidarité inaltérables, innées et fondamentales ou (4) qui partagent un statut temporaire mais volontaire, afin que leur association soit si essentielle à leur dignité humaine qu’elles ne devraient pas être obligées de la modifier.
Dans le passage qui semble renfermer le point essentiel de son raisonnement sur ce que constitue un « groupe social », la Cour suprême du Canada a affirmé[43] :
Ces types de critères nous semblent appropriés. L’obligation qui incombe au Canada de donner asile aux personnes qui fuient leur pays d’origine n’est pas illimitée. Les gouvernements étrangers devraient avoir une certaine liberté d’action en définissant ce qui constitue un comportement antisocial de la part de leurs ressortissants. Le Canada ne devrait pas outrepasser son rôle sur le plan international en engageant sa responsabilité dès qu’un groupe est visé. Il existe sûrement des groupes auxquels l’affiliation de la personne en cause n’est pas à ce point importante pour elle qu’il conviendrait davantage qu’elle s’en dissocie pour que la responsabilité du Canada soit engagée. La façon la plus simple de faire la distinction consiste peut-être à mettre en opposition ce à quoi une personne s’oppose et ce qu’elle fait, à un moment donné. Par exemple, on pourrait examiner les faits en cause dans Matter of Acosta, où le demandeur était visé parce qu’il était membre d’une coopérative de chauffeurs de taxis. À supposer qu’aucune question d’opinion politique ou de droit de gagner sa vie ne soit en cause, le demandeur a été visé en raison de ce qu’il faisait et non de ce qu’il était, et ce, d’une façon immuable ou fondamentale.
Le sens donné à l’expression « groupe social » dans la Loi devrait tenir compte des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés. Les critères proposés dans Mayers, Cheung et Matter of Acosta, précités, permettent d’établir une bonne règle pratique en vue d’atteindre ce résultat. Trois catégories possibles sont identifiées :
(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;
(2) les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et
(3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.
La première catégorie comprendrait les personnes qui craignent d’être persécutées pour des motifs comme le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle, alors que la deuxième comprendrait, par exemple, les défenseurs des droits de la personne. La troisième catégorie est incluse davantage à cause d’intentions historiques, quoiqu’elle se rattache également aux influences antidiscriminatoires, en ce sens que le passé d’une personne constitue une partie immuable de sa vie.
Il n’y a aucun statut volontaire en l’espèce. Par conséquent, si l’appelant faisait partie de l’une des trois catégories de la définition mentionnée par le juge La Forest, ce serait dans la première, soit un groupe « défini par une caractéristique innée ou immuable ». Le juge La Forest a également écrit que l’expression « groupe social » exclut « les groupes définis par une caractéristique changeable ou dont il est possible de se dissocier, dans la mesure où aucun de ces choix n’exige la renonciation aux droits fondamentaux de la personne »[44]. Ce qui unit les membres du groupe doit donc être si fondamental qu’il ne peut être modifié. Une telle modification équivaudrait à anéantir la personnalité de l’intéressé. La dissociation d’une personne de son groupe serait donc inacceptable.
Il faut faire une distinction entre la « caractéristique innée ou immuable » mentionnée comme étant la marque d’un groupe social, dans la première catégorie de la définition, et le droit fondamental de la personne que ce groupe (qui n’est pas une association volontaire comme dans les deuxième et troisième catégories de la définition) peut défendre. La caractéristique innée doit être un facteur si puissant qu’elle constitue l’essence d’un groupe d’individus (par exemple, le sexe, les antécédents linguistiques et l’orientation sexuelle). Elle doit exister indépendamment de ce pourquoi ils luttent. La violation d’un droit fondamental de la personne dirigée contre un groupe de personnes ne crée pas par elle-même un « groupe social ».
Cette « caractéristique innée ou immuable » est un facteur interne pour la détermination du groupe. La Cour a également traité la perception du groupe social par le persécuteur, ce qui est un facteur externe pour la reconnaissance du groupe, lorsqu’elle a affirmé que « [l]es circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c’est ce qui est déterminant lorsqu’il s’agit d’inciter à la persécution[45]. Comme je comprends l’arrêt, les caractéristiques internes doivent exister indépendamment de la persécution; toutefois, les caractéristiques doivent jouer un rôle important dans la persécution. La persécution doit être crainte, ou doit exister, à cause des caractéristiques.
En l’espèce, l’appelant est une personne parmi d’autres qui, individuellement, a résisté à la politique de l’enfant unique, si bien qu’à l’instar des autres de sa catégorie, il fait face à la même sanction générale, savoir la stérilisation forcée.
À mon avis, les membres de ce groupe, dont les droits fondamentaux de la personne sont menacés, ne sont pas liés entre eux de façon fondamentale, si bien qu’ils ne remplissent pas le critère qui ferait d’eux un « groupe social ».
Il ne fait aucun doute qu’en refusant d’être stérilisé contre son gré, l’appelant revendique un droit fondamental de la personne[46] caractérisé par le juge La Forest, dans l’arrêt Ward, de « droit fondamental à la procréation »[47].
La liberté de procréation est le droit de faire des choix en matière de procréation. Cette expression paraît être, dans une grande mesure, non définie et comporter de nombreux aspects[48]. En l’espèce, elle représente, d’une part, le droit de ne pas être stérilisé et, d’autre part, le droit d’avoir des enfants, et pas nécessairement un seul.
Dans l’arrêt E. (Mme) c. Eve[49], la Cour suprême du Canada a statué que la compétence parens patriae qui appartenait aux cours supérieures n’allait pas jusqu’à leur permettre d’ordonner à un adulte atteint de déficience mentale de subir une stérilisation non thérapeutique. Même s’il ne s’agissait pas d’une affaire fondée sur la Charte, la Cour a employé des expressions comme « grave atteinte au droit d’une personne »[50] et « droits fondamentaux d’une personne »[51] en traitant la stérilisation. Par conséquent, la stérilisation forcée viole un droit fondamental de la personne.
En ce qui a trait au fait de donner naissance à un enfant, la Cour, dans l’arrêt Eve, a affirmé ce qui suit[52] :
L’importance du maintien de l’intégrité physique d’un être humain se situe en haut dans notre échelle de valeurs, particulièrement en ce qui a trait au privilège de procréer. [C’est moi qui souligne.]
Dans l’arrêt Eve, la Cour qualifie donc de privilège le fait de donner naissance à un enfant, mais elle n’étoffe pas cette notion davantage.
La mesure prise en Chine par certaines autorités locales ne consiste pas à pratiquer la stérilisation pour empêcher la procréation, mais d’imposer des peines pour des naissances qui dépassent la limite permise, c’est-à-dire la naissance de plus d’un enfant. Cette politique générale n’a pas été contestée devant nous et demeure donc légitime.
La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ne nous aide pas beaucoup à définir les limites du droit d’avoir des enfants. L’on a même soutenu que la politique chinoise de l’enfant unique n’est peut-être pas contraire à la Déclaration universelle des droits de l’homme puisqu’elle peut assurer la « dignité » aux générations à venir[53]. En outre, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [[1976] R.T. Can. no 47] ne m’est pas très utile. Bien que le Pacte renferme ses propres mécanismes d’exécution, aucune décision du Comité des droits de l’homme institué en vertu du Pacte n’a été portée à mon attention.
J’ai pris connaissance de la Proclamation de Téhéran (1968)[54] et du Plan d’action mondial sur la population, Bucarest (1974)[55]. Toutefois, les limites du droit de mettre au monde des enfants demeurent encore non définies, en grande partie, tant au Canada qu’au plan international.
Essentiellement, l’appelant est visé à cause de ce qu’il a fait (c’est-à-dire d’avoir violé la politique de l’enfant unique) et non à cause de ce qu’il est (c’est-à-dire, un père chinois). La sanction, savoir la stérilisation forcée, est une violation de son droit fondamental de la personne, mais ce droit appartient à tous les êtres humains et non seulement aux membres de son groupe. Il s’oppose avec raison à la stérilisation forcée. Cependant, il s’agit de l’objet de sa lutte. Cela ne peut être une caractéristique « innée » de son groupe.
Le dossier, tel qu’il se présente, indique que le groupe auquel l’appelant allègue appartenir est susceptible d’être connu du fait de la décision des autorités chinoises locales qui ont pratiqué la stérilisation forcée comme moyen de faire respecter une politique générale du gouvernement de limiter le nombre des naissances, politique à laquelle certains s’opposaient. Ce qui unit les membres du groupe est un facteur externe qui, d’après l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ward, comme je l’ai mentionné plus tôt, ne suffit pas à en faire un « groupe social », selon la définition, puisque le groupe de personnes ne peut être défini « du seul fait de leur victimisation commune en tant qu’objets de persécution »[56].
Je conclus qu’il n’existe aucun « groupe social » auquel le demandeur appartient de façon innée ou immuable pour qu’il puisse fonder sa revendication sur l’appartenance à un tel groupe.
La revendication pourrait-elle être fondée sur le motif des opinions politiques?
Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a indiqué qu’elle préférait l’interprétation suivante des opinions politiques, lesquelles comprennent :
… toute opinion sur une question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé …
La Cour a apporté deux précisions à cette définition, dont l’une seulement nous intéresse, savoir qu’il n’est pas nécessaire que les opinions politiques en question aient été carrément exprimées. La Cour a poursuivi en ces termes :
Dans bien des cas, le demandeur n’a même pas la possibilité d’exprimer ses convictions qui peuvent toutefois ressortir de ses actes. En pareil cas, on dit que les opinions politiques pour lesquelles le demandeur craint avec raison d’être persécuté sont imputées à ce dernier. Il se peut qu’étant donné qu’il ne s’exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d’être persécuté, mais cela ne l’empêche pas d’être protégé[57].
L’arrêt Ward nous enseigne que toute opinion sur toute question relative aux affaires de l’État exprimée par un demandeur ou imputée à lui par une autorité peut servir de fondement à une revendication du fait d’opinions politiques.
En l’espèce, l’appelant n’a pas exprimé son opposition à la politique de l’enfant unique ou à la stérilisation. Il a violé ce que l’on doit considérer être une politique légitime, il s’est soumis à la stérilisation, quoique sous pression, et s’est ensuite enfui pour éviter des sanctions.
La preuve montre que le peuple chinois continue de résister à la planification familiale et que le taux de natalité monte en flèche du moment que la pression s’adoucit. Les autorités locales risquent-elles donc d’imputer à l’appelant des opinions politiques à cause de sa résistance à une politique générale du gouvernement[58]?
Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a conclu que le refus de M. Ward, pour des motifs d’ordre moral, d’exécuter les ordres de l’Irish National Liberation Army avait pris une importance politique. À la lumière de cette conclusion, dois-je estimer, en l’espèce, que la conduite de l’appelant, motivée par le souci de défendre ses droits fondamentaux de la personne, peut être vue par les autorités chinoises locales comme un geste de défi à l’endroit de l’autorité nationale, en particulier puisqu’un régime de gouvernement autoritaire est au pouvoir?
Je doute sérieusement pouvoir tirer une telle conclusion en l’absence de preuve particulière en ce sens, vu que les autorités locales elles-mêmes, lorsqu’elles imposent la stérilisation, n’agissent pas avec le plein soutien de l’État, bien qu’il puisse exister un soutien tacite.
Cependant, je préfère ne pas trancher le présent appel en me fondant uniquement sur une absence de preuve en ce qui a trait aux opinions politiques.
Puisque le demandeur s’oppose aux moyens employés par certaines autorités locales en Chine pour faire respecter une politique générale du gouvernement, je dois poser deux questions. Premièrement, la stérilisation forcée employée comme mesure de contrôle démographique équivaut-elle à de la « persécution » visée par la Convention et la Loi sur l’immigration? Deuxièmement, quelle est la portée de la Convention?
La notion de « persécution »
La portée de la Convention relative au statut des réfugiés
Dans l’arrêt Rajudeen c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, cette Cour a affirmé ce qui suit[59] :
La définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l’immigration ne comprend pas une définition du mot « persécution ». Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le « Living Webster Encyclopedic Dictionary » définit [traduction] « persécuter » ainsi :
[traduction] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier. »
Le « Shorter Oxford English Dictionary » contient, entre autres, les définitions suivantes du mot « persécution » :
[traduction] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine. »
La torture, les coups et le viol sont les meilleurs exemples de « persécution », mais il y en a probablement beaucoup d’autres. L’on a prétendu, par exemple, que le déni d’aide en cas de famine dans les zones hostiles au gouvernement[60] peut être compris dans cette définition. La guerre chimique en est un autre exemple[61]. La « persécution » visée par la Convention comprend sans nul doute les traitements tellement odieux qu’il serait impensable qu’ils soient sollicités. Si l’on devait prouver que quelqu’un avait « acquiescé » à la torture, aux coups et au viol, par exemple, cette preuve ferait immédiatement l’objet d’une sérieuse contestation comme quoi l’acquiescement n’avait pas été libre et volontaire ou donné en pleine reconnaissance des droits fondamentaux de la personne.
En l’espèce, le traitement dont il est question est la stérilisation forcée. Le dossier ne dit rien quant à la méthode médicale suivie. Je dois donc présumer que la stérilisation se fait conformément aux méthodes normales actuellement employées pour ceux qui choisissent volontairement de subir cette intervention dans d’autres pays, y compris celui-ci. Ce à quoi l’on s’oppose, c’est l’absence de consentement.
La légitimité de la politique du gouvernement chinois en matière de contrôle démographique n’est pas en cause. Par conséquent, l’on ne peut pas dire qu’en principe, lorsqu’un gouvernement étranger emploie des moyens qui violent des droits fondamentaux de la personne, tels qu’ils sont connus au Canada, pour assurer le respect d’un objectif social valide, ces moyens équivalent à de la « persécution » au sens de la Convention. Si c’était le cas, ceux qui sont passibles de la peine capitale en conséquence d’une violation d’une loi valide et légitime deviendraient automatiquement des réfugiés au sens de la Convention. Ce serait là un principe surprenant, puisque la peine capitale est encore infligée dans plusieurs États démocratiques pour punir les crimes graves[62].
Il faut donc considérer toutes les circonstances pertinentes.
La définition de « réfugié au sens de la Convention » dans la Loi sur l’immigration provient d’un traité.
Les documents constitutionnels comme la Charte canadienne des droits et libertés doivent recevoir une interprétation libérale[63].
Les traités obéissent à d’autres règles.
G. G. Fitzmaurice[64] a résumé les différentes approches d’interprétation des traités :
[traduction] Aujourd’hui, il y a trois principales écoles de pensée sur le sujet, que l’on pourrait commodément appeler l’école des ‘intentions des parties’ ou des ‘pères fondateurs’, l’école ‘textuelle’ ou du ‘sens courant des mots’, et l’école ‘téléologique’ ou des ‘buts et objets’. Les idées prônées par ces trois écoles ne sont pas nécessairement exclusives les unes des autres, et les théories d’interprétation des traités peuvent être élaborées à partir d’éléments provenant des trois écoles (c’est d’ailleurs la manière dont on considère normalement ces théories). Cependant, chacune de ces écoles tend à accorder la primauté à un aspect en particulier de l’interprétation des traités, sinon à l’exclusion des autres, assurément en tenant les autres pour subordonnées. De toute façon, chacune emploie une approche différente. Pour l’école des ‘intentions’, il convient avant tout—et tel serait, de fait, le seul objet légitime—de déterminer les intentions réelles ou présumées des parties et de leur donner effet : l’approche consiste donc à découvrir ce qu’étaient ces intentions ou celles qu’il faut présumer. Pour l’école du ‘sens du texte’, il convient avant tout d’établir ce que signifie le texte d’après le sens courant ou apparent de ses termes : l’approche consiste donc à étudier et à analyser le texte. Pour l’école des ‘buts et objets’, c’est le but général du traité lui-même qui compte, le traité étant considéré, dans une certaine mesure, comme ayant, ou ayant fini par avoir, une existence propre, indépendante des intentions initiales de ses auteurs. Il convient surtout d’établir ce but général et d’interpréter les dispositions particulières à la lumière de ce but : par conséquent, pour cette école, ce sont des questions comme la teneur générale et l’économie du traité, les circonstances dans lesquelles il a été fait et la place qu’il en est venu à occuper sur la scène internationale qui indiquent l’approche d’interprétation. Il faut ajouter que cette dernière approche, soit l’approche téléologique, s’applique presque exclusivement dans le domaine des conventions générales multilatérales, particulièrement celles qui portent sur des questions sociales, humanitaires et législatives.
L’auteur ajoute ce qui suit dans un renvoi en bas de page :
[traduction] Il peut être utile d’énoncer brièvement le principal inconvénient de chaque méthode, si elle est employée isolément ou à l’extrême. Dans le cas de la méthode des ‘intentions’, on retrouve souvent un élément d’irréalité ou de fiction. Dans bien des cas, le litige a pris naissance justement parce que les parties n’avaient aucune intention sur la question, du moins aucune intention véritablement commune. Faire dépendre la question de ces intentions implique, soit une recherche stérile, soit une interprétation artificielle qui ne représente pas, de fait, leurs intentions. La méthode ‘textuelle’ a pour inconvénient les éléments subjectifs que comprennent les notions de sens ‘courant’ ou ‘usuel’, notions qui peuvent être comprises et appliquées différemment selon le point de vue de chaque juge. Il peut également y avoir des cas où les parties voulaient qu’une expression soit interprétée dans un sens spécialisé, différent de son sens courant, mais qu’elles aient omis de le dire clairement dans le texte. Enfin, la méthode téléologique risque toujours d’amener le juge à ‘empiéter’ sur le pouvoir législatif : elle peut revenir, non pas à interpréter, mais, de fait, à modifier un texte pour le rendre plus conforme à ce que le juge considère être ses vrais fins.
À mon avis, il est loin d’être certain que les personnes soumises à des techniques coercitives de contrôle démographique, comme la stérilisation forcée employée par les États à des fins de contrôle démographique, soient des réfugiés au sens de la Convention, particulièrement lorsque la légitimité des mesures prises par le gouvernement n’est pas contestée[65].
Bien que de telles mesures puissent certainement entraîner de grands drames personnels, je doute sérieusement que la Convention puisse être raisonnablement interprétée, en l’espèce, dans le sens préconisé par l’appelant, aussi importunes que soient les mesures appliquées.
En affirmant ce qui précède, je garde à l’esprit ce qu’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ward :
Par exemple, on a donné le sens suivant au mot « persécution » qui n’est pas défini dans la Convention : [traduction] « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État »; voir Hathaway, op. cit., aux pp. 104 et 105. Goodwin-Gill, op. cit., fait lui aussi remarquer, à la p. 38, que [traduction] « l’analyse exhaustive exige que la notion générale [de persécution] soit liée à l’évolution constatée dans le domaine général des droits de la personne[66] ». [C’est moi qui souligne.]
Cependant, j’ai l’impression que la situation en cause se situe en-dehors de la portée de la Convention. Idéalement, des objectifs légitimes devraient être poursuivis conjointement par le gouvernement et ses citoyens. J’aurais donc cru que la Convention ne visait pas à protéger ceux qui résistaient à la réalisation d’objectifs valides de l’État, mais visait particulièrement ceux qui deviennent victimes parce que l’État poursuit des buts illégitimes. Toutefois, il peut en aller autrement dans la réalité. Des conflits surviennent entre les citoyens et leur État, indépendamment de la légitimité des objectifs poursuivis; des mesures rigoureuses sont parfois prises et des abus sont commis.
Le contrôle démographique et les droits relatifs à la procréation font l’objet d’un grand nombre de discussions et de préoccupations internationales à l’égard des droits de la personne[67]. Cependant, il n’appartient pas aux juges de modifier un texte international sur lequel leur loi nationale est fondée. Il se peut que la communauté internationale ait à modifier la Convention pour qu’elle s’applique aux droits relatifs à la procréation.
Je conclus qu’à moins d’être modifiée, la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés ne viserait pas les violations de droits de la personne commises par des autorités locales dans la poursuite de ce qui constitue, d’après le dossier, un objectif légitime de l’État, savoir le contrôle démographique.
Conclusion
Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais cet appel.
[1] Cheung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 C.F. 314 (C.A.).
[2] Voir D.A., vol. I, à la p. 100.
[3] [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 739, motifs du juge La Forest.
[4] Arrêt Ward, précité, aux p. 728 à 732.
[5] Voir l’arrêt Ward, précité, à la p. 738.
[6] Voir l’arrêt Ward, précité, à la p. 739.
[7] Voir l’arrêt Ward, précité, à la p. 744.
[8] Voir P. A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd. (Montréal : Les Éditions Yvon Blais, 1990). Voir aussi l’arrêt Subilomar Properties (Dundas) Ltd. c. Cloverdale Shopping Centre Ltd., [1973] R.C.S. 596, à la p. 603.
[9] Voir l’arrêt Ward, précité, aux p. 746 et 747.
[10] Voir l’arrêt Ward, précité, à la p. 747.
[11] D.A., Vol. I, à la p. 100.
[12] [1993] 2 C.F. 314 (C.A.).
[13] L.R.C. (1985), ch. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 1).
[14] D.A., Vol. I, à la p. 37.
[15] D.A., Vol. II, aux p. 255 et ss.
[16] Country Reports on Human Rights Practices for 1990. Washington : U.S. Government Printing Office, 1991, aux p. 852 et 853.
[17] D.A., Vol. II, à la p. 269.
[18] Résolution de l’Assemblée générale 217 A (III), le 10 décembre 1948
[19] Je considère que l’omission des mots « plus d’ » dans l’arrêt Cheung était involontaire. Il ressort clairement de l’arrêt que la menace de la stérilisation forcée dans cette affaire, comme en l’espèce, était occasionnée par la naissance d’un deuxième enfant.
[20] Vide. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Mayers, [1993] 1 C.F. 154 (C.A.), à la p. 165.
[21] (1985), 60 N.R. 73 (C.A.F.).
[22] [1991] 3 C.F. 605 (C.A.).
[23] [1986] 2 R.C.S 388, aux p. 431, 432.
[24] [1993] 2 R.C.S. 689.
[25] Identifiées auparavant par les intitulés Mayers, Cheung et Matter of Acosta, décision provisoire 2986, 1985 WL 56042 (B.I.A.), (banque de données FIM-BIA).
[26] [1991] 1 R.C.S. 933, à la p. 992.
[27] Nations Unies. Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du protocole de 1967 relatifs au statut de réfugiés. Genève : 1979.
[28] Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.), à la p. 683.
[29] [1984] 2 C.F. 274 (C.A.), à la p. 279.
[30] Davis v. Johnson, [1978] 2 W.L.R. 553 (H.L.), à la p. 558.
[31] [1993] 2 C.F. 314 (C.A.).
[32] D.A., à la p. 84. Les articles suivants, qui ne font pas partie du dossier, traitent aussi de la politique démographique chinoise : E. T Shiers, « Coercive Population Control Policies : An Illustration of the Need for a Conscientious Objector Provision for Asylum Seekers » (1990), 30 Va. J. Int’l L. 1007; J. A. Clarke, « The Chinese Population Policy : A Necessary Evil? » (1987), 20 N.Y.U. J. Int’l L. & Pol. 321.
[33] Country Reports on Human Rights Practices for 1990 : Report submitted to the Committee on Foreign Relations U.S. Senate and the Committee on Foreign Affairs House of Representatives by the Department of State. Washington : U.S. Government Printing Office, 1991, aux p. 852 et 853.
[34] Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) :
2. …
« réfugié au sens de la Convention » désigne toute personne :
a) qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut pas se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouvant hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) n’a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l’application de la Convention par les sections E ou F de l’article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l’annexe de la présente loi. [C’est moi qui souligne.]
[35] [1993] 2 R.C.S. 689.
[36] Ceci est conforme à la jurisprudence de la Cour. Voir les arrêts National Corn Growers Assoc. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324 et Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316.
[37] Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (Genève : Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, 1979), à la page 1.
[38] Ibid.
[39] A. Helton, « Persecution on Account of Membership in a Social Group as a Basis for Refugee Status » (1983), 15 Colum. Hum. Rts. L. Rev. 39, à la p. 45.
[40] Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 729.
[41] [1993] 1 C.F. 154 (C.A.), à la p. 165.
[42] [1993] 2 C.F. 314 (C.A.).
[43] Ward, précité, aux p. 738 et 739.
[44] Arrêt Ward, aux p. 737 et 738.
[45] Arrêt Ward, à la p. 747.
[46] E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388.
[47] Arrêt Ward, précité, à la p. 736.
[48] Le sens de l’expression « liberté de procréation » est proposé dans un article de B. E. Hernández, « To Bear or Not to Bear : Reproductive Freedom as an International Human Right » (1991), XVII Brooklyn J. Int’l L. 309, à la note 1 :
[traduction] 1. Dans le présent article, l’expression « liberté de procréation » signifie justement cela : le choix de l’individu de procréer ou de ne pas procréer. Dans ce contexte, l’expression comprend, par exemple, le droit de se faire avorter ou de ne pas se faire avorter. Bien qu’il ne soit pas courant de parler de ce dernier droit, il est important vu que de grands pays populeux, notamment l’Inde et la Chine, pour essayer de maîtriser leur énorme croissance démographique, encouragent les femmes à se faire avorter et vont souvent jusqu’à appliquer des mesures coercitives contre elles, même si la femme souhaite porter l’enfant.
[49] [1986] 2 R.C.S. 388.
[50] E. (Mme) c. Eve, à la p. 431.
[51] E. (Mme) c. Eve, à la p. 432.
[52] E. (Mme) c. Eve, à la p. 434.
[53] W. P. Alford, « Making A Goddess of Democracy from Loose Sand : Thoughts on Human Rights in the People’s Republic of China », article publié dans An-Na’im, Human Rights in Cross-Cultural Perspectives (Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 1992), p. 65, aux p. 73 et 74 :
[traduction] Réflexions sur l’universalité
et la relativité des droits de l’homme
Avant de pouvoir rapprocher les définitions des droits de l’homme articulées dans les principaux documents internationaux, d’une part, et les valeurs chinoises, d’autre part, il faut commencer par reconnaître franchement ce qui les différencie. Il est vrai que la tradition libérale occidentale et les écoles de pensée chinoises, dont nous avons discuté, s’intéressent à la promotion de la dignité humaine. Cependant, leurs façons respectives de la protéger et leur perception de sa fin sont différentes à d’importants égards. Le fait qu’elles soient différentes ne signifie pas nécessairement qu’il faille adhérer absolument à l’une des thèses et rejeter l’autre totalement, et ne nous oblige pas à établir entre les deux un relativisme dépourvu de valeurs et de réflexions. En termes concrets, cela veut dire que, bien que le massacre perpétré par le gouvernement chinois de manifestants civils, non armés pour la plupart, et le refus du gouvernement britannique d’accorder le droit d’établissement à ses sujets chinois de Hong Kong pour des motifs raciaux soient répugnants du point de vue des droits de l’homme internationaux, ces actes ne permettent pas de condamner complètement les traditions dont ils découlent et n’engendrent pas de problèmes du même ordre ou du même degré.
La politique de la RPC dite « de l’enfant unique » illustre bien ces points en commun et ces différences. Manifestement, certaines mesures illégales prises par des citoyens en réaction à la politique »par exemple, l’infanticide contre les enfants du sexe féminin ainsi que l’avortement et la stérilisation forcés sont répugnantes du point de vue des droits de l’homme tels qu’ils sont exprimés dans les documents internationaux et méritent une réprobation beaucoup plus vigoureuse de la part du gouvernement chinois. Celui-ci ne devrait pas échapper à sa responsabilité du fait que ses principales politiques en matière d’économie rurale vont à l’encontre de sa politique en matière de contrôle démographique. Cependant, il est plus difficile d’évaluer la politique de l’enfant unique telle qu’envisagée par le gouvernement chinois. On pourrait prétendre que, même si elle était appliquée comme le voulait le gouvernement, la politique viole l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Après tout, si des adultes ne sont pas libres de fonder une famille quand ils le veulent, n’est-ce pas une violation de cette partie de l’article 16 qui prévoit qu’« à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme … ont le droit de … fonder une famille »? Cependant, l’on peut prétendre, par ailleurs, que la « dignité » humaine fondamentale dont il est question à l’article I de la Déclaration et qui se retrouve dans l’ensemble des documents internationaux relatifs aux droits de l’homme est un précepte fondamental et universel qui sous-tend les droits de l’homme. Selon les prévisions démographiques et agricoles les plus optimistes, il est maintenant à peu près certain que si tous les Chinois étaient libres d’avoir des enfants à leur gré, cela entraînerait, au début du siècle prochain, la malnutrition, voire la famine à une grande échelle, avec la perte de dignité humaine que cela implique.
Face à ce qui pourrait être le plus grand défi aux droits de l’homme en RPC, la Déclaration universelle et les autres principaux documents internationaux relatifs aux droits de l’homme—qui, après tout, ont été rédigés surtout par des Occidentaux qui avaient peu d’intérêt direct ou d’expérience à l’égard du type de pressions démographiques auxquelles font face des pays comme la Chine—fournissent peu d’éléments de solution, voire aucun. En effet, il ne sont d’aucun secours en ce qui a trait à la question de la prévention ou de l’interruption d’une seule grossesse, que ce soit en RPC ou ailleurs.
[54] 23 R.O.A.G. O.N.U. Doc. O.N.U. A/Conf. 32/41 (1968) cité dans A. P. Blaustein, R. S. Clark, J. A. Sigler, Human Rights Sourcebook. New York : Paragon House Publishers, 1987, à la p. 276, qui prévoit, entre autres, à la p. 278 :
16. La protection de la famille et de l’enfance reste la préoccupation de la Communauté internationale. Les enfants ont le droit fondamental de déterminer librement et consciemment la dimension de leur famille et l’échelonnement des naissances. [C’est moi qui souligne.]
[55] Rapport sur la Conférence mondiale de la population, Bucarest, Roumanie, 19 au 30 août 1974. Conseil économique et social des Nations Unies, E/CONF.60/19, à la p. 8 :
[traduction] f) Tout couple et tout individu a le droit fondamental de décider librement et en toute responsabilité du nombre de ses enfants et de l’espacement des naissances, d’être suffisamment informé et instruit de ces questions et de bénéficier des services adéquats en la matière; dans l’exercice de ce droit, les couples et les individus doivent tenir compte des besoins de leurs enfants vivants et à venir et de leur responsabilité à l’égard de la communauté. [C’est moi qui souligne.]
[56] Arrêt Ward, précité à la p. 729.
[57] Arrêt Ward, aux p. 746 et 747.
[58] Arrêt Ward, aux p. 754 et 755.
[59] (1984), 55 N.R. 129 (C.A.F.), aux p. 133 et 134.
[60] « From Definition to Exploration : Social Groups and Political Asylum Eligibility » (1989), 26 San Diego L. Rev. 739, à la p. 814.
[61] Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 C.F. 518 (C.A.).
[62] Voir W. A. Schabas, « Kindler and Ng : Our Supreme Magistrates Take a Frightening Step into the Court of Public Opinion » (1991), 51 R. du B. 673; G. A. Beaudoin & E. Ratushny, Charte canadienne des droits et libertés, 2e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 1989, à la p. 409.
[63] D. Gibson, « Interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés : considérations générales » dans Beaudoin et Tarnopolsky, Charte canadienne des droits et libertés. Montréal : Wilson & Lafleur, 1982, à la p. 29; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 155.
[64] G. G. Fitzmaurice, « The Law and Procedure of the International Court of Justice : Treaty Interpretation and Certain Other Treaty Points » (1951), 28 Br. Y.B. Int’l L. 1, aux p. 1 et 2.
[65] Historiquement, la croissance démographique a été favorisée pour plusieurs motifs. Voir Bertha E. Hernández, « To Bear or Not to Bear : Reproductive Freedom as an International Human Right » (1991) XVII Brooklyn J. Int’l L. 309, à la p. 324 :
[traduction] Il est instructif de passer brièvement en revue la réglementation de l’avortement dans l’histoire récente. Par exemple, bien que les avortements aient été décriminalisés en 1920 en Union soviétique, le gouvernement a renversé sa politique au milieu des années 1930 pour compenser la perte démographique que l’on anticipait dans l’expectative d’une guerre mondiale. Pareillement, les effets dévastateurs de la Seconde Guerre mondiale sur la démographie ont poussé plusieurs États de l’Europe orientale à interdire l’avortement dans l’espoir d’accroître la population pour rétablir la main-d’œuvre et reconstruire les armées.
Les gouvernements ont aussi employé les lois en matière d’avortement pour réduire la population. Par exemple, en Inde et en Chine, deux pays ayant de graves problèmes de surpopulation, les chefs d’État ont institué des politiques coercitives en matière d’avortement dans le cadre des programmes de contrôle démographique de ces États.
[66] Arrêt Ward, précité à la p. 734. Tout de suite après ce passage, la Cour suprême du Canada ajoute :
C’est ce que la Cour d’appel fédérale a récemment reconnu dans l’affaire Cheung.
Je comprends que dans l’arrêt Ward (à la p. 735), la Cour suprême du Canada a entériné le critère juridique pour déterminer ce que constitue un « groupe social », employé dans les arrêts Mayers et Cheung.
Je comprends que la Cour a affirmé que l’enquête dans l’affaire Cheung était axée sur « le droit fondamental à la procréation » (à la p. 736). La Cour a également repris ce qui a été dit dans l’arrêt Cheung, précité. Cependant, j’estime que dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada n’a pas entériné entièrement l’arrêt de cette Cour dans l’affaire Cheung.
[67] J. A. Clarke, « The Chinese Population Policy : A Necessary Evil? » (1987), 20 N.Y.U. J. Int’l L. & Pol., 321; B. E. Hernández, « To Bear or not to Bear : Reproductive Freedom as an International Human Right » (1991) XVII Brooklyn J. Int’l L. 309.