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[1993] 3 C.F. 630

93-A-306

Burim Nrecaj, également connu sous le nom de Ded Kabashi, également connu sous le nom de Besim Murina, également connu sous le nom d’Adria Krasniqi, également connu sous le nom de Papa Massimo (requérant)

c.

Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Nrecaj c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson—Vancouver, 6 et 9 juillet 1993.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Demande d’annulation de la décision par laquelle la SSR a rejeté la demande — La SSR a conclu que le requérant n’était ni crédible ni digne de foi, en se fondant en partie sur des contradictions entre son témoignage et les notes prises à l’entrevue avec le directeur de la CCI — L’agente d’audience a pris la position selon laquelle elle n’était pas liée par les règles concernant la communication — Les notes ont été communiquées au requérant le dernier jour de l’audience — La décision de la SSR peut influer sur la liberté et la sécurité de la personne — Les règles de la justice fondamentale comprennent l’obligation de permettre au demandeur du statut de réfugié de répondre d’une façon efficace à la preuve présentée contre lui — Les notes sont comparées à une « preuve documentaire » que l’agent d’audience est tenu de communiquer — La communication doit être faite en temps opportun — La SSR a commis une erreur en s’inquiétant de ce que les notes, si elles étaient communiquées, servent à faire concorder la preuve, mais cela ne constitue pas de la partialité.

Il s’agissait d’une demande d’annulation de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait déterminé que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention. À son arrivée au Canada, le requérant avait été interrogé par le directeur du bureau local de la Commission canadienne de l’immigration. Le directeur avait pris des notes lors de l’entrevue et avait témoigné devant la SSR. Les notes avaient en fin de compte été versées au dossier de la SSR. Il a été établi que le témoignage de vive voix fait par le requérant devant la SSR et les déclarations faites à l’entrevue avec le directeur de la CCI se contredisaient, compte tenu des notes et du témoignage du directeur, ce qui a contribué à la conclusion selon laquelle le témoignage du requérant n’était pas digne de foi. L’avocat du requérant avait demandé la communication des documents, déclarations des témoins et éléments de preuve que l’agente d’audience avait l’intention d’utiliser. L’agente d’audience avait refusé. La SSR a refusé d’entendre les arguments relatifs à la question de la communication et s’est inquiétée de ce que les notes, si elles étaient communiquées, servent à faire concorder la preuve. Le requérant a finalement reçu les notes prises à l’entrevue le matin du dernier jour de l’audience. Il s’agissait de savoir si le refus d’ordonner la communication allait à l’encontre des règles de la justice naturelle et si la SSR avait fait preuve de partialité en disant croire que le demandeur ferait concorder la preuve.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La non-divulgation empêche l’accusé dans une procédure criminelle de présenter une défense pleine et entière, droit reconnu par la common law qui a acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion parmi les principes de justice fondamentaux visés à l’article 7 de la Charte. De même, la capacité du demandeur du statut de réfugié de présenter une défense pleine et entière relativement à la preuve présentée pour contester sa revendication ou pour attaquer sa crédibilité est d’une importance cruciale. La tâche de l’agent d’audience ressemble de beaucoup à celle du substitut du procureur général dans des procédures criminelles. Les manuels de l’Immigration eux-mêmes montrent que l’agent d’audience est tenu de communiquer toute la preuve documentaire devant être utilisée à l’audience. Les notes prises à l’entrevue ne constituent peut-être pas une « preuve documentaire », mais elles seraient visées par les principes énoncés à l’égard de la preuve documentaire. En ce qui concerne la SSR, la Loi sur l’immigration reconnaissait au demandeur le droit de se faire représenter ainsi que la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations. Ces dispositions pourraient devenir illusoires s’il était possible d’empêcher le requérant de présenter l’équivalent d’une défense pleine et entière. Pour satisfaire au critère de l’équité, la communication doit laisser suffisamment de temps à l’avocat pour lui permettre d’accomplir sa tâche d’une façon complète et efficace et pour permettre à la partie qui demande la communication de se préparer. On ne s’est pas acquitté de cette obligation.

Quant au risque de faire concorder la preuve, le témoin peut, en droit, se rafraîchir la mémoire en consultant une déclaration antérieure. La recherche de la vérité est facilitée plutôt qu’entravée par la divulgation de tous les renseignements pertinents. La SSR a commis une erreur en s’inquiétant de ce qu’on fasse concorder la preuve, mais l’inquiétude exprimée ne constituait pas une preuve de partialité suffisante pour entacher de nullité la décision.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 69(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; abrogé par L.C. 1992, ch. 49, art. 59), 69.1(5) (édicté, idem; abrogé, idem, art. 60).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326; (1991), 120 A.R. 161; [1992] 1 W.W.R. 97; 83 Alta. L.R. (2d) 193; 68 C.C.C. (3d) 1; 8 C.R. (4th) 277; 130 N.R. 277; 8 W.A.C. 161; Gough c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1991] 1 C.F. 160; (1990), 5 C.R.R. (2d) 127; 37 F.T.R. 73 (1re inst.); Pathak c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), T-950-92, juge Muldoon, ordonnance en date du 17-5-93, C.F. (1re inst.), encore inédite.

DEMANDE d’annulation de la décision par laquelle la SSR a déterminé que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Demande accueillie.

AVOCATS :

Richard K. Paisley pour le requérant.

Ian M. Brindle pour l’intimé.

PROCUREURS :

Legal Services Society, Vancouver, pour le requérant.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Gibson :

Réparation demandée

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 6 janvier 1993 par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SSR ») a décidé que le requérant ici en cause n’était pas un réfugié au sens de la Convention.

La réparation demandée est une ordonnance infirmant la décision de la SSR et déférant l’affaire à cette dernière pour qu’une nouvelle audience soit tenue et une nouvelle décision rendue, conformément à ces motifs, par une formation différemment constituée.

Les faits

Les faits qui ont donné lieu à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le requérant ne sont pas essentiellement en litige. Le requérant fonde sa revendication sur le fait qu’il a raison de craindre d’être persécuté du fait de ses opinions politiques et de sa nationalité. Il est citoyen de la Yougoslavie, d’origine albanienne, et est né dans la province de Kosovo, en juillet 1956. Avant de venir au Canada, il a habité et travaillé en Yougoslavie et en Italie et, apparemment, pendant quelque temps, en Iran. Il est entré au Canada en juillet 1989, avec un faux passeport italien. Sa femme l’a apparemment précédé au Canada, et a pris des mesures en vue de le parrainer. Ce parrainage a été retiré en raison d’une altercation par suite de laquelle le requérant a été déclaré coupable d’avoir commis une agression armée, d’avoir proféré des menaces et de s’être livré à des voies de faits graves. En conséquence, le requérant s’est vu infliger, au Canada, une peine de trois ans qu’il a commencé à purger en juillet 1991. Ces déclarations de culpabilité ont été prononcées à la suite de déclarations de culpabilité prononcées en Yougoslavie et en Italie.

La SSR a conclu qu’aucun des éléments de preuve présentés par le requérant n’était digne de foi. Elle a également conclu à l’absence de minimum de fondement de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.

À la suite de son arrivée au Canada, le requérant a apparemment eu une longue entrevue avec le directeur de la Commission canadienne de l’immigration, à Kelowna (Colombie-Britannique). Le directeur a alors pris des notes (les « notes prises à l’entrevue ») et a témoigné devant la SSR au sujet de l’entrevue. Les notes prises à l’entrevue ont été utilisées à l’audience devant la SSR et sont essentielles aux questions qui ont été débattues devant moi. Lesdites notes ont finalement été versées au dossier de la SSR. Il a été établi que le témoignage de vive voix fait par le requérant devant la SSR et les déclarations faites à l’entrevue avec le directeur de la Commission canadienne de l’immigration se contredisaient, compte tenu des notes prises à l’entrevue et du témoignage du directeur. Cette contradiction a contribué à la conclusion selon laquelle la preuve présentée par le requérant n’était pas digne de foi.

L’audition de cette affaire devant la SSR a commencé le 10 mai 1991 et n’a pris fin que le 13 avril 1992. Les deux dernières dates auxquelles une audience a été tenue étaient le 24 février et le 13 avril 1992. Pendant la période où les audiences ont été tenues, le requérant a été représenté par deux avocats différents. Les notes prises à l’entrevue ont apparemment été communiquées au premier. Que ce soit le cas ou non, elles n’ont pas été transmises au second avocat avec la liasse de documents que ce dernier a reçu du premier avocat. D’où les questions en litige.

Le 17 février 1992, l’avocat du requérant a communiqué avec l’agente d’audience qui s’occupait de cette affaire (l’« AA ») pour demander la communication des documents, déclarations des témoins et éléments de preuve en sa possession qu’elle avait l’intention d’utiliser en l’espèce. L’AA a répondu en disant qu’elle n’était liée par aucune règle concernant la communication, qu’elle avait un certain nombre de documents, et que le directeur du Centre de l’immigration de Kelowna témoignerait au sujet d’une présumée déclaration antérieure contradictoire. L’avocat du requérant a ensuite présenté une demande écrite de communication, mais aucun renseignement n’a été communiqué avant la reprise de l’audience, le 24 février 1992.

À l’audience du 24 février, l’AA a reconnu qu’elle avait les notes prises à l’entrevue, mais a dit qu’elle ne connaissait aucune règle l’obligeant à les communiquer. Les membres de la SSR qui présidaient l’audience ont refusé d’entendre les arguments relatifs à la question de la communication. Les notes prises à l’entrevue ont de fait été utilisées pendant le contre-interrogatoire du requérant et l’on s’est opposé à leur utilisation en invoquant la non-communication. Le membre de la SSR qui présidait l’audience s’est fait demander d’ordonner la communication. Il a refusé de le faire. De fait, les deux membres de la SSR s’inquiétaient de ce que, si les notes étaient communiquées, elles servent à faire concorder la preuve.

Le 9 avril 1992, l’AA a finalement, d’une façon ou d’une autre, envoyé les notes à l’avocat du requérant, l’audience devant reprendre le 13 avril 1992. Le 9 avril 1992 était un jeudi et le 13 avril était un lundi. En fin de compte, les notes n’ont été reçues qu’après le 13 avril. Au moment de la reprise de l’audience, les notes ont été communiquées et on a laissé au requérant et à son avocat le temps de les examiner, en leur offrant l’aide d’un interprète.

Les questions en litige

Les questions qui ont été débattues devant moi ont été jointes. Dans l’exposé supplémentaire des points à débattre déposé le 14 juin 1993, l’avocat du requérant les a décrites comme suit :

[traduction] La section du statut a commis une erreur de droit et a violé les règles de la justice naturelle et de la justice fondamentale en omettant d’ordonner à l’agente d’audience de communiquer les documents en sa possession qui se rapportaient aux procédures et qu’elle avait l’intention d’utiliser contre le requérant.

Les membres de la section du statut ont fait preuve de partialité en disant croire que le demandeur ferait concorder la preuve et en déclarant qu’ils douteraient fortement de la véracité de son témoignage si la communication était ordonnée.

Les deux questions sont étroitement liées.

Analyse

En présentant ses arguments devant moi, l’avocat du requérant a dit qu’il s’agissait d’une question d’ [traduction] « équité »; il a soutenu que l’ [traduction] « équité » exigeait la communication et que, pour assurer l’équité, celle-ci devait être faite en temps opportun. Il a longuement cité la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326. Cette affaire portait sur l’obligation de communication qui incombe à la Couronne dans le cadre de procédures criminelles par voie de mise en accusation. Elle ne s’applique donc pas directement à l’affaire dont je suis saisi. Il s’agit néanmoins d’une affaire intéressante.

Dans ses motifs, le juge Sopinka, au nom de la Cour, avait ceci à dire [à la page 333] :

Il est difficile de justifier le point de vue de ceux qui s’accrochent à l’idée que le ministère public n’a en droit aucune obligation de divulguer tous les renseignements pertinents. Les arguments avancés pour nier l’existence d’une telle obligation sont sans fondement tandis que ceux militant en sa faveur s’avèrent, à mon sens, accablants.

Le juge examine ensuite les arguments « militant contre » l’existence d’une obligation de communication de la part de la Couronne, et je reviendrai plus loin sur l’un d’eux, et conclut ceci à la page 336 :

Cet examen des arguments militant pour ou contre la communication de la preuve par le ministère public révèle l’absence de toute raison pratique valable de retenir le point de vue des opposants à une obligation générale de divulguer. Outre les avantages d’ordre pratique déjà évoqués, il y a surtout la crainte prépondérante que la non-divulgation n’empêche l’accusé de présenter une défense pleine et entière. Ce droit reconnu par la common law a acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion parmi les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La capacité du demandeur du statut de réfugié de « présenter une défense pleine et entière » relativement à la preuve qu’on a présentée pour contester sa revendication ou pour attaquer sa crédibilité est d’une importance cruciale puisque la revendication doit être fondée sur le fait que celui-ci a raison de craindre d’être persécuté si la revendication est reconnue. Et, de fait, la tâche de l’AA à l’audience de la SSR ressemble de beaucoup à celle de l’avocat du ministère public dans des procédures criminelles. Le Livre de consultation rapide à l’intention des agents d’audition et le Guide de formation à l’intention des agents d’audition montrent tous les deux clairement que l’AA est tenu de communiquer au demandeur et à son avocat toute la preuve documentaire qu’il doit utiliser à l’audience ainsi que d’informer le demandeur et son avocat des questions et précédents qui, selon lui, se rapportent à la revendication. Les « notes prises à l’entrevue » dont il est ici question ne constituaient peut-être pas une « preuve documentaire », mais elles seraient logiquement visées par les principes énoncés à l’égard de la preuve documentaire.

L’un des arguments défavorables mentionnés par le juge Sopinka est le risque de « faire concorder la preuve » qui a été mentionné par les membres de la SSR à l’audience du 24 février 1992 et qui sert de fondement à la question de la « partialité » susmentionnée. Dans l’arrêt Stinchcombe, à la page 335 du recueil, le juge Sopinka fait les remarques suivantes :

On allègue en outre, pour justifier le refus de divulguer, que ces renseignements permettraient à la défense de faire concorder sa propre preuve avec les renseignements en la possession du ministère public. Par exemple, un témoin pourrait changer son témoignage pour qu’il s’accorde avec une précédente déclaration faite à la police ou au substitut du procureur général. Cet argument me laisse froid. Toute communication d’éléments de preuve, quelle que soit la forme qu’elle revêt, donne prise à cette critique. Qu’y a-t-il de mal à ce qu’un témoin se rafraîchisse la mémoire en consultant une déclaration antérieure ou un document? Il se peut même que ce témoin modifie sa déposition en conséquence. Cela privera peut-être l’avocat qui mène le contre-interrogatoire d’un avantage considérable, mais l’équité envers le témoin peut exiger qu’on ne lui tende pas de piège en lui permettant de témoigner sans avoir eu la possibilité de prendre connaissance des écrits contradictoires que le poursuivant lui cache en quelque sorte. Il est reconnu, en principe, que la recherche de la vérité est facilitée plutôt qu’entravée par la divulgation de tous les renseignements pertinents.

Ces principes s’appliquent-ils aux procédures engagées devant un tribunal comme la SSR? Je crois que oui.

En ce qui concerne la SSR, la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, telle qu’elle existait en 1992 à la date des audiences qui ont eu lieu en l’espèce, reconnaissait au demandeur le droit de se faire représenter, à ses frais, par un avocat ou mandataire, (paragraphe 69(1) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18]) et la « possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations » (paragraphe 69.1(5) [édicté, idem]). Ces dispositions, qui ont depuis lors été abrogées ou remplacées [L.C. 1992, ch. 49, art. 59, 60], mais non modifiées au fond, peuvent de fait devenir illusoires s’il est néanmoins possible d’empêcher le requérant de présenter l’équivalent d’une défense pleine et entière.

Comme l’a indiqué le juge Sopinka, ce droit reconnu par la common law « a acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion parmi les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés » (précité, à la page 336).

En examinant la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles dans laquelle il avait été allégué, et conclu, que la Commission avait omis de fournir des renseignements suffisants à une personne qui comparaissait devant elle, de façon à lui permettre de répondre d’une façon efficace à la preuve présentée contre elle, Madame le juge Reed, de la Section de première instance de la Cour fédérale, a clairement fait savoir que les règles de la justice fondamentale mentionnées à l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] comprennent l’obligation de permettre à pareille personne de répondre d’une façon efficace à la preuve présentée contre elle et s’appliquent de façon à lier un office comme la Commission nationale des libérations conditionnelles qui, comme la SSR, est autorisé à rendre des décisions qui influent peut-être sur la liberté et la sécurité de la personne (Gough c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1991] 1 C.F. 160 (1re inst.)).

Dans une décision plus récente, Pathak c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), dossier du greffe T-950-92, décision encore inédite du 17 mai 1993, le juge Muldoon, de la Section de première instance de cette Cour, a dit ceci au sujet de l’omission par la Commission canadienne des droits de la personne de fournir certains documents [aux pages 7 et 8] :

Dans cette optique, la demande du requérant paraît d’autant plus inoffensive qu’il s’agit de rendre la justice. On se demande donc pourquoi la CCDP hésiterait à « mettre cartes sur table ». Par la voix de son avocat, la Commission fait valoir, dans une lettre en date du 9 décembre 1992, [traduction] « qu’elle s’oppose à l’idée de fournir des copies des documents demandés, ces pièces ne trouvant pas leur place dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ». Mais qui pourrait l’affirmer? Pourquoi la CCDP, un organisme public important, se livre-t-elle à ce qui pourrait passer pour des avocasseries, même si elle est sûre de son bon droit?

La même question de pure forme pourrait également se poser à l’égard de l’AA et des membres de la SSR dont était composé le tribunal en l’espèce.

Cependant, en l’espèce, les notes prises à l’entrevue ont été transmises au moment où l’audience a repris le 13 avril 1992. Cela était-il suffisant pour satisfaire à l’obligation qui, à mon avis, incombe à l’AA et à la SSR. Je dirai brièvement que « non ». Pour satisfaire adéquatement au critère de l’équité, la communication doit être faite en temps opportun. Elle doit laisser suffisamment de temps à l’avocat pour lui permettre d’accomplir sa tâche d’une façon complète et efficace et pour permettre à la partie qui demande la communication de se préparer. En l’espèce, on ne s’est pas acquitté de cette obligation.

L’avocat de l’intimé a soutenu devant moi que les notes prises à l’audience et les contradictions existant dans le témoignage du requérant que ces notes ont permis d’établir, n’étaient pas essentielles à la décision de la SSR; si les notes n’avaient pas été utilisées et si les contradictions en question n’avaient pas été établies, la décision aurait néanmoins été la même. Il ne m’appartient pas de faire des conjectures à ce sujet. Il suffit de conclure au manque d’équité, comme je le fais, pour justifier le renvoi de cette affaire pour nouvelle audition. Il incombera à un autre tribunal de la SSR de déterminer les répercussions des mesures visant à corriger ce manquement.

Il reste à trancher la question de la partialité. À mon avis, le passage figurant à la page 335 de l’arrêt Stinchcombe, précité, fait suffisamment autorité en ce qui concerne la proposition que les membres de la SSR qui ont présidé l’audience ont commis une erreur en s’inquiétant de ce qu’on fasse concorder la preuve si, immédiatement après la séance du 24 février 1992, il avait été ordonné de transmettre les notes prises à l’audience et si l’on avait permis au requérant et à son avocat de se consulter pleinement à leur sujet. Cependant, cela ne répond pas à la question de savoir si l’inquiétude qu’ils ont exprimée constituait une preuve suffisante de partialité contre le requérant pour entacher de nullité leur décision. Compte tenu de la preuve, je ne suis pas convaincu que tel était le cas.

Conclusion

Par conséquent, la demande est accueillie, la décision rendue en l’espèce par la SSR le 6 janvier 1993 est infirmée et l’affaire est déférée à la SSR pour qu’une formation différemment constituée tienne une nouvelle audience et rende une nouvelle décision conformément à ces motifs.

Certification

L’avocat du requérant a soutenu devant moi que cette affaire soulevait une question grave de portée générale, à savoir si la section du statut de réfugié est liée par les règles de l’équité et de la justice naturelle ou par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, de façon que le requérant ou son avocat ou autre mandataire reçoive communication, en temps opportun, de tous les documents qui seront ou pourront être utilisés pour attaquer la crédibilité du requérant. L’avocat de l’intimé n’était pas d’accord. Je souscris à la position que l’avocat du requérant a prise et je certifierai donc l’existence de pareille question, dans les termes indiqués.

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