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[1993] 2 C.F. 229

T-3068-92

Friends of the Island Inc. (requérante)

c.

Ministre des Travaux publics, ministre des Transports, ministre de l’Environnement, procureur général du Nouveau-Brunswick, procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard et SCI Partnership (intimés)

Répertorié : Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1re inst.)

Section de première instance, juge Reed—Toronto, 1er mars; Ottawa, 19 mars 1993.

Environnement Demande d’un bref de mandamus obligeant le ministre des Travaux publics à entreprendre, conformément à l’art. 12 du Décret sur les lignes directrices visant le P.É.E.E., une évaluation de la conception détaillée du pont envisagé entre l’Î.-P.-É. et le continent L’évaluation environnementale initiale générique d’une proposition de raccordement fixe a été faite avant qu’un projet précis ait été choisiToute la documentation, y compris la réponse du promoteur retenu à l’appel de propositions, est basée sur l’idée qu’une autre évaluation, plus détaillée, serait faite, conformément à l’art. 12, à l’étape des plans définitifs Les évaluations qui ont été réalisées par la suite, dont le plan de gestion de l’environnement du promoteur, ont porté sur un projet de construction d’un pont au stade conceptuel Demande accueillie L’art. 12 exige qu’une proposition soit évaluée au moment où elle est présentée sous une forme qui permet l’examen approfondi de ses impacts environnementaux Les évaluations de la proposition de pont n’ont pas été réalisées conformément à l’art. 12.

Droit constitutionnel Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard Demande de jugement déclaratoire portant que l’abandon du service de traversiers entre l’Î.-P.-É. et le continent, en l’absence d’une modification constitutionnelle qui l’autorise, constituerait un manquement aux Conditions de l’adhésion Aux termes des Conditions de l’adhésion, le gouvernement fédéral s’est engagé à se charger de toutes les dépenses occasionnées par un « service convenable de bateaux à vapeur » entre l’Île et le continent et par la protection des pêcheries Entente entre le gouvernement fédéral et les provinces prévoyant le remplacement du service de traversiers par un pont entre l’Î.-P.-É. et le continent Demande accueillie L’expression « service convenable de bateaux à vapeur » ne s’entend pas d’un pont L’abandon du service de traversiers nécessite une modification constitutionnelle L’obligation relative aux pêcheries n’impose pas d’obligation positive, mais seulement la responsabilité financière découlant de la fourniture de services publics.

Pratique Parties Qualité pour agir Demande d’ordonnance ayant force exécutoire afin que soit menée une évaluation en conformité avec l’art. 12; de jugement déclaratoire en vue de faire respecter les obligations constitutionnelles La requérante satisfaisait aux critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public énoncés dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay Le législateur n’a pas voulu, en adoptant l’art. 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, limiter la révision judiciaire au critère défini avant les arrêts Thorson, Borowski et Finlay La Cour a le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir quand les circonstances justifient cette reconnaissance Aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question aux tribunaux Il n’y a pas lieu de refuser la qualité pour agir parce qu’en théorie, il existe d’autres moyens de soumettre la question à la Cour Il faut une probabilité raisonnable que ces autres mesures seront prises Il est improbable que le gouvernement provincial attaque la constitutionnalité de l’abandon projeté du service de traversiers dans le détroit de Northumberland Les personnes physiques et les personnes morales peuvent intenter une action pour obtenir un jugement déclaratoire et un bref de mandamus car tous les habitants de la province sont les créanciers de l’obligation constitutionnelle et peut-être aussi tous les Canadiens.

Contrôle judiciaire Demande de mandamus pour que soit réalisée une évaluation en conformité avec l’art. 12; de jugement déclaratoire en vue de faire respecter les obligations constitutionnelles Une évaluation environnementale initiale générique du raccordement fixe entre l’Î.-P.-É. et le Nouveau-Brunswick a été faite en 1988; d’autres évaluations du concept de pont, mais non de la conception détaillée, ont été faites depuis Le retard pour soumettre l’affaire à la Cour n’était pas un facteur Il est difficile de déterminer exactement à quel moment se produit l’omission de prendre certaines mesures Les intimés ne subiront pas de préjudice qui justifierait le rejet de la demande Il est courant de renégocier des marchés de l’État dans le but de stipuler la prorogation de l’exécution La participation de la requérante au processus ne lui fait pas perdre le droit d’exiger que la procédure prévue par le Décret sur les lignes directrices soit respectée Il faut respecter les exigences obligatoires même si d’importantes études environnementales ont déjà été effectuées En signant l’Entente, le ministre des Travaux publics était un « office fédéral » au sens de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale La demande n’était pas prématurée, bien que le service de traversiers ne serait pas abandonné avant la fin des travaux de construction du pont Il est préférable de savoir tout de suite plutôt que dans l’avenir si une modification constitutionnelle est nécessaire.

Interprétation des lois Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard Aux termes des Conditions de l’adhésion, le gouvernement fédéral s’est engagé à se charger de toutes les dépenses exigées par l’établissement et le maintien d’un « service convenable de bateaux à vapeur » entre l’Î.-P.-É. et le continent Quand on donne une interprétation évolutive à la Constitution, on doit s’en tenir à l’interprétation dont les mots sont susceptibles Les mots « service convenable de bateaux à vapeur » ne peuvent pas s’entendre d’un pont.

Il s’agissait d’une demande en vue de la délivrance d’un bref de mandamus obligeant le ministre des Travaux publics à mener une évaluation en conformité avec l’article 12 du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (Décret sur les lignes directrices), relativement au plan détaillé du pont que l’on projette de construire entre l’Île-du-Prince-Édouard et le continent, et d’un jugement déclaratoire portant que l’abandon du service de traversiers, en l’absence d’une modification constitutionnelle qui l’autorise, constituerait un manquement à l’une des Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard.

En 1985, le gouvernement fédéral a reçu et étudié trois propositions non sollicitées d’entreprises suggérant le remplacement des traversiers entre l’Île-du-Prince-Édouard et le continent par un pont ou un tunnel à péage. En 1987, le ministère des Travaux publics a fait préparer une évaluation environnementale initiale générique (EEIG) des propositions d’ouvrage de franchissement. Cette étude devait porter sur les propositions au stade conceptuel et elle devait être suivie d’une évaluation environnementale spécifique du projet qui allait finalement être retenu. En 1988, en réponse à un appel de propositions relatif au concept du pont, sept propositions ont été soumises, dont une concernant un tunnel. La réponse de SCI Partnership prévoyait qu’une fois les plans détaillés dressés, ils feraient l’objet d’une évaluation environnementale. Les propositions ont été étudiées et trois promoteurs ont été retenus en vue d’un concours. La documentation fournie avec le communiqué de presse donnant la liste des finalistes indiquait qu’une évaluation environnementale spécifique du projet choisi serait effectuée. Les trois propositions concernaient un pont, bien que l’EEIG ait indiqué qu’un tunnel risquait moins d’entraîner des effets sur l’environnement qu’un pont. En janvier 1989, au lieu de faire une évaluation environnementale spécifique, on a soumis le projet de pont à une commission d’évaluation environnementale conformément au Décret sur les lignes directrices en raison des grandes inquiétudes dans le public au sujet des effets qu’un tel raccordement pourrait avoir sur l’environnement. Le ministère des Travaux publics a refusé de communiquer à la Commission les détails des trois propositions parce qu’ils étaient confidentiels. La Commission s’est plainte que les renseignements fournis n’étaient pas suffisants pour prendre une décision éclairée parce que l’examen public avait lieu au milieu d’un processus qui l’empêchait d’avoir accès à d’autres renseignements propres à l’emplacement. Dans son rapport, la Commission a convenu de la nécessité d’améliorer le service de transport, mais a conclu que le risque d’impacts néfastes sur l’environnement du pont envisagé était inacceptable et a recommandé que le projet de pont soit abandonné. Elle a fait observer que, sous réserve d’un examen favorable de son évaluation environnementale, un tunnel pourrait être acceptable comme moyen d’assurer la liaison et qu’un service de traversiers amélioré le pourrait lui aussi. Elle a dit regretter que le renvoi à la Commission ait eu lieu après qu’eut été rejetée la seule proposition relative à un tunnel, ce qui l’a empêchée d’examiner toutes les solutions de façon également approfondie et d’étudier des renseignements contenus dans les propositions soumises. Le gouvernement n’a pas accepté la recommandation de la Commission, faisant remarquer qu’elle avait étudié un concept général et non les propositions précises qui avaient été soumises. Il s’est engagé à effectuer de nouvelles études au sujet du risque que la débâcle soit retardée, risque que la Commission a jugé important. Plus tard, le ministre des Travaux publics a annoncé que les trois propositions étaient conformes aux critères environnementaux établis par le gouvernement à l’égard du projet de raccordement, en réponse au rapport de la Commission, et les trois promoteurs ont été invités à soumettre des devis estimatifs. Le promoteur Strait Crossing Inc. (SCI) de Calgary a été choisi. En décembre 1992, le ministre des Travaux publics, au nom du gouvernement du Canada, a conclu l’Entente fédérale-provinciale concernant le projet de raccordement dans le détroit de Northumberland avec les gouvernements de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. SCI a publié peu après un plan provisoire de gestion de l’environnement qui ne se rapportait pas au plan définitif pour le pont, mais à la proposition relative à un concept de pont. Après la tenue d’assemblées privées et publiques portant sur le plan et l’étude de celui-ci par le comité de l’environnement, un plan définitif de gestion de l’environnement a été soumis; il n’est pas sensiblement différent du plan provisoire en ce qui a trait au détail du pont. Il doit être approuvé avant que puisse être signé l’accord relatif aux conditions financières, le 31 mars 1993. Les plans définitifs du pont ne seront pas dressés tant qu’un accord n’aura pas été conclu avec le gouvernement fédéral au sujet du financement.

Les questions à trancher étaient de savoir si le ministre des Travaux publics avait respecté l’article 12 du Décret sur les lignes directrices; si l’Entente fédérale-provinciale concernant le projet de raccordement dans le détroit de Northumberland entraînera une violation des obligations constitutionnelles consignées aux Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard; si la requérante avait la qualité pour présenter cette demande; si la réparation demandée était convenable.

L’article 12 du Décret sur les lignes directrices oblige le ministère responsable à examiner ou évaluer chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision. Les intimés ont soutenu que la préparation de l’EEIG et son acceptation par le ministère des Travaux publics constituaient un examen et une évaluation de « la proposition » conformes à l’article 12. La requérante a affirmé que l’EEIG n’était pas une détermination faite en vertu de l’article 12 et relative au pont que l’on allait construire, et qu’un examen d’un projet de raccordement fixe (pont ou tunnel) au stade conceptuel ne satisfaisait pas aux exigences du Décret sur les lignes directrices. Elle a soutenu qu’une « proposition », pour l’application du Décret sur les lignes directrices, s’entendait d’un projet précis et, subsidiairement, que la conception qui sera choisie finalement constitue une proposition distincte qui doit elle aussi être évaluée en conformité avec l’article 12.

Aux termes des Conditions de l’adhésion, le gouvernement fédéral s’est engagé à se charger de toutes les dépenses exigées par l’établissement et le maintien d’un « service convenable de bateaux à vapeur » entre l’Île et le continent et par la protection des pêcheries. La requérante a soutenu que l’abandon du service de traversiers serait une violation des Conditions de l’adhésion et qu’un pont n’était pas un « service convenable de bateaux à vapeur ». Les intimés ont soutenu qu’il fallait donner aux Conditions de l’adhésion, qui sont un document constitutionnel, une interprétation évolutive, de sorte qu’elles s’adaptent continuellement aux nouvelles situations et aux nouvelles idées. La requérante a aussi soutenu que les actions projetées violaient en outre la disposition relative à la protection des pêcheries.

Les intimés ont soutenu que la requérante n’avait pas la qualité pour présenter la demande parce qu’elle ne satisfaisait pas aux critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public énoncés dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay : elle n’a pas déposé de document exposant l’objet pour lequel elle a été constituée ou son intérêt; même si elle satisfaisait à ces critères, l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, qui permet de présenter une demande de contrôle judiciaire à quiconque est « directement touché » par l’objet de la demande, exige un intérêt plus précis et particulier, distinct de celui qu’a le grand public; c’est le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard qui est le créancier de l’obligation prévue aux Conditions de l’adhésion, ce ne sont pas des individus.

En dernier lieu, on a soutenu que la Cour ne devait pas accorder la réparation demandée parce que la requérante avait tardé à soumettre l’affaire à la Cour; la requérante ayant participé à nombre des étapes déjà franchies, les intimés s’étaient endormis dans une fausse sécurité; il aurait été superflu de faire d’autres évaluations environnementales; les actions contestées ne donnaient pas lieu à révision en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale; les demandes de réparation fondées sur l’argument constitutionnel étaient prématurées car on ne prévoit pas l’abandon du service de traversiers avant la fin des travaux de construction du pont.

Jugement : la demande doit être accordée.

La question de savoir s’il faut faire l’évaluation de la proposition au stade conceptuel ou durant une autre étape de conception plus détaillée peut très bien dépendre du type de projet examiné. L’évaluation doit être faite durant une étape où les répercussions environnementales peuvent être pleinement examinées (article 3) et où il est possible de déterminer la nature et l’étendue des effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement (paragraphe 10(1)). Au surplus, l’examen ou l’évaluation menée par le ministère responsable doit être réalisée au moment où la proposition à l’étude et la décision s’y rapportant, y compris les motifs qui la fondent, peuvent toutes deux être communiquées au public. Aux termes de l’article 15 du Décret sur les lignes directrices, le ministère responsable doit s’assurer, après qu’une détermination sur les effets d’une proposition a été faite conformément à l’article 12, que le public a accès à l’information. Le but visé est de permettre la discussion publique, utile et complète, des impacts environnementaux possibles du projet de construction ou de l’activité.

Le ministère des Travaux publics n’a pas réalisé une évaluation de la proposition de pont de SCI conformément à l’article 12 du Décret sur les lignes directrices. L’EEIG disait expressément qu’elle n’était pas censée porter sur toutes les répercussions environnementales possibles. On y soulignait qu’une évaluation des projets précis, une fois qu’ils auraient été présentés, devait être entreprise dans le but de vérifier si, de fait, des impacts environnementaux importants découleraient de tout raccordement fixe qui serait construit. De plus, au moment de la rédaction de l’EEIG, même la proposition de SCI relative au concept de pont ne pouvait être consultée par le public, et encore moins les plans détaillés du pont. La situation était la même quand la Commission a été appelée à réaliser son examen. L’argument selon lequel, si une proposition précise était exigée, les évaluations prévues à l’article 12 seraient exigées à chaque étape du processus, n’était pas convaincant. L’article 12 exige qu’une proposition soit évaluée au moment où elle est présentée sous une forme qui permet l’examen approfondi de ses impacts environnementaux.

L’argument selon lequel un processus d’évaluation de facto, conforme à l’article 12, était en cours depuis 1987 a été repoussé. Le ministère des Travaux publics lui-même n’a pas cherché à qualifier ainsi l’activité en cours. La position du Ministère était que l’évaluation conforme à l’article 12 avait été effectuée quand l’EEIG a été publiée et que le ministère n’avait pas, et n’a toujours pas, l’intention d’effectuer, dans un avenir prévisible, une évaluation de la proposition précise de SCI, conformément à l’article 12. Toutes les évaluations qui ont été faites depuis l’EEIG semblent avoir porté sur cette proposition au stade conceptuel. Le plan de gestion de l’environnement dressé récemment par SCI n’était pas un élément d’une évaluation de facto faite conformément à l’article 12, parce qu’il visait des méthodes et des techniques d’atténuation et non une évaluation et une classification des risques environnementaux qui peuvent découler du projet. L’étude faite par la Commission, ses délibérations et son rapport n’ont pas rendu inutile l’évaluation environnementale spécifique qui avait d’abord été envisagée. Les audiences publiques concernant une proposition au stade conceptuel ne sauraient remplacer une évaluation spécifique du projet précis dont la réalisation est prévue. Pour la Cour, il était particulièrement alarmant de constater le gaspillage incroyable des fonds publics qui avait résulté, d’une part, du renvoi d’un concept à une commission au moment où le gouvernement disposait, au sujet des trois propositions relatives au concept de pont qui étaient étudiées, d’une information qui était plus précise, et d’autre part, du rejet des recommandations de la Commission parce que celle-ci ne disposait pas de l’information détaillée qui était en possession du gouvernement et que celui-ci avait refusé de lui communiquer. Pareil résultat aurait pu être évité si la proposition avait été soumise à une commission à une étape ultérieure du processus.

L’abandon du service de traversiers serait une violation des Conditions de l’adhésion qui sont garanties par la Constitution. Quand on donne une interprétation évolutive à la Constitution, on doit s’en tenir au texte. Les mots employés doivent être susceptibles d’être interprétés de la manière choisie. Les mots « service convenable de bateaux à vapeur » ne sont pas susceptibles d’être interprétés comme s’entendant d’un pont. L’abandon du service de traversiers nécessite une modification constitutionnelle.

L’obligation imposée au gouvernement fédéral relativement aux pêcheries consiste à supporter tous les frais découlant de la fourniture de services publics destinés à protéger les pêcheries. Elle n’impose aucune obligation positive au gouvernement fédéral.

La requérante avait la qualité pour agir. (1) Elle a prouvé qu’elle avait un intérêt suffisant selon les critères exposés dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay. Les membres de la société requérante sont des agriculteurs, des pêcheurs et des écologistes résidents de l’Î.-P-É. Une preuve abondante a montré leur intérêt individuel. Il a été également établi que les objets de la société requérante comprennent, entre autres, des activités visant à faire obstacle à la construction du pont. (2) Le législateur n’a pas voulu, en adoptant le paragraphe 18.1(1), limiter la révision judiciaire au critère défini avant les arrêts Thorson, Borowski et Finlay, mais attribuer à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir quand elle est convaincue que les circonstances particulières de l’espèce et le type d’intérêt qu’a le requérant justifient cette reconnaissance, à supposer qu’il y ait une question réglable par les voies de justice et qu’il n’existe aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question aux tribunaux. La requérante a montré son intérêt et la question est clairement réglable par les voies de justice. Il n’y a pas lieu de priver une partie de la qualité pour agir simplement parce qu’en théorie, il existe d’autres moyens de soumettre la question à la Cour. Il faut que la possibilité de prendre ces autres mesures s’apparente raisonnablement à une probabilité pour que la qualité pour agir soit refusée pour cette raison. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Il est improbable que le gouvernement provincial, à titre de partie à l’accord, attaque la constitutionnalité de l’abandon projeté du service de traversiers. La requérante a satisfait à l’exigence selon laquelle il ne doit exister aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question à la Cour, par rapport tant à la question constitutionnelle qu’à la question de l’environnement. (3) Les personnes physiques et les personnes morales peuvent intenter une action pour obtenir un jugement déclaratoire et une ordonnance ayant force exécutoire en vue de faire respecter les obligations constitutionnelles. L’« obligataire » peut être la province, mais tous les habitants de la province sont les créanciers de l’obligation constitutionnelle. Et peut-être aussi tous les habitants du pays qui souhaitent se rendre dans l’Île. Si la province seule pouvait ester en justice pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, alors le pouvoir exécutif de la province et le pouvoir exécutif du gouvernement fédéral pourraient s’entendre pour modifier une condition de l’adhésion sans que les personnes touchées aient droit de contester la décision. L’obligation constitutionnelle particulière n’aurait pu être modifiée par un tel accord avant 1982. La Loi constitutionnelle de 1982 n’a pas changé cette protection.

Quant à la réparation demandée, (1) le retard n’était pas un facteur pertinent. La requérante contestait le refus de prendre certaines mesures. Il est difficile de déterminer exactement à quel moment se produit l’omission d’accomplir une action. Les intimés ne subiront pas le genre de préjudice qui justifierait le rejet de la demande. Nombre des arguments reposaient sur l’hypothèse que le projet de pont ne serait pas réalisé si une évaluation environnementale faite conformément à l’article 12 était ordonnée ou si une modification de la Constitution était exigée pour l’abandon du service de traversiers. Il est très courant de renégocier des contrats dans le but de stipuler la prorogation de l’exécution, surtout des marchés de l’État. (2) La participation aux discussions publiques ne fait pas perdre le droit d’exiger que la procédure prévue par le Décret sur les lignes directrices soit respectée. (3) Il faut respecter rigoureusement les exigences obligatoires. Il n’y a pas lieu de refuser d’accorder la réparation demandée juste parce que d’importantes études environnementales ont déjà été effectuées. (4) En signant l’Entente fédérale-provinciale, le ministre des Travaux publics tombait sous le coup de la définition du terme « office fédéral » défini à l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et l’action projetée, savoir la signature de contrats avec SCI, était aussi visée par cette définition. (5) Si une modification constitutionnelle est nécessaire, il y va de l’intérêt de tous de le savoir tout de suite plutôt que dans l’avenir. Si la requérante avait retardé sa demande jusqu’en 1997, au moment où le pont sera achevé et le service de traversiers abandonné, les intimés auraient prétendu que la Cour devait refuser d’accorder la réparation à cause du retard de la requérante.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte concernant l’admission de la Colonie de l’Île-du-Prince-Édouard comme Province de la Puissance, S.C. 1873, ch. 40.

An Act to ratify and confirm a certain agreement between the Governments of Canada, and Prince Edward Island, in respect of claims for non-fulfillment of the terms of Union, S.P.E.I. 1901, ch. 3.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard, L.R.C. (1985), appendice II, no 12.

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467, art. 2, 3, 4, 5, 6, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 20, 21, 33, 34.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 96, 146.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 43, 52(1),(2)b), annexe.

Loi de la Subvention à la Province de l’Île-du-Prince-Édouard, S.C. 1912, ch. 42.

Loi prévoyant une nouvelle allocation annuelle à la Province de l’Île-du-Prince-Édouard, S.C. 1901, ch. 3.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2, 18.1 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 5), 28(2).

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, art. 5.

Projet de loi C-110, Loi sur l’ouvrage de franchissement du détroit de Northumberland, 3e session, 34e Lég. (1re lecture, 11 décembre 1992, Chambre des communes), art. 4(2), 7(1), 9.

JURISPRUDENCE :

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Île-du-Prince-Édouard (Ministre des Transports et des Travaux publics) c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 1 C.F. 129; (1990), 71 D.L.R. (4th) 596; 110 N.R. 394 (C.A.); R. (Canada) c. La Reine (Î.-P.-É.), [1978] 1 C.F. 533; (1977), 83 D.L.R. (3d) 492; 33 A.P.R. 477; 20 N.R. 91 (C.A.) sur la question constitutionnelle; Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R. 225; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin.L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338.

DISTINCTION FAITE AVEC :

R. (Île-du-Prince-Édouard) c. R. (Canada), [1976] 2 C.F. 712; (1976), 66 D.L.R. (3d) 465 (1re inst.); conf. par R. (Canada) c. La Reine (Î.-P.-É.), [1978] 1 C.F. 533; (1977), 83 D.L.R. (3d) 492; 33 A.P.R. 477; 20 N.R. 91 (C.A.) sur la question de la qualité pour agir.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Procureur général du Québec c. Blaikie et autres, [1979] 2 R.C.S. 1016; (1979), 101 D.L.R. (3d) 394; 49 C.C.C. (2d) 359; 30 N.R. 225; Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714; (1981), 123 D.L.R. (3d) 554; 37 N.R. 158; Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta. L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; conf. [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375; [1991] 1 W.W.R. 352; 76 Alta. L.R. (2d) 289; 5 C.E.L.R. (N.S.) 1; 108 N.R. 241 (C.A.); inf. [1990] 1 C.F. 248; [1990] 2 W.W.R. 150; (1989), 70 Alta. L.R. (2d) 289; 4 C.E.L.R. (N.S.) 137; 30 F.T.R. 109 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Naskapi-Montagnais Innu Assn. c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 381; (1990), 5 C.E.L.R. (N.S.) 287; 35 F.T.R. 161 (1re inst.); Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 1 C.F. 641; (1990), 6 C.E.L.R. (N.S.) 89; 121 N.R. 385 (C.A.); Cantwell c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16; 41 F.T.R. 18 (C.F. 1re inst.); conf. par A-124-91, juge Pratte, J.C.A., jugement en date du 6-6-91, C.A.F., encore inédit; Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1990] 2 W.W.R. 69; (1989), 38 Admin. L.R. 138; 4 C.E.L.R. (N.S.) 1; 27 F.T.R. 159; 99 N.R. 72 (C.A.F.); conf. sub nom. Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1989] 3 C.F. 309; [1989] 4 W.W.R. 526; (1989), 37 Admin. L.R. 39; 3 C.E.L.R. (N.S.) 287; 26 F.T.R. 245 (1re inst.); Edwards, Henrietta Muir v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.); Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; (1975), 12 N.S.R. (2d) 85; 55 D.L.R. (3d) 632; 32 C.R.N.S. 376; 5 N.R. 43; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241; Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42 (1re inst.); Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1990] 1 C.F. 595; (1989), 32 F.T.R. 81 (1re inst.); conf. par [1991] 1 C.F. 641; (1990), 6 C.E.L.R. (N.S.) 89; 121 N.R. 385 (C.A.).

DOCTRINE

Cromwell, Thomas A., Locus Standi : A Commentary on the Law of Standing in Canada, Toronto : Carswell, 1986.

Cullen, Mary K. « The Transportation Issue, 1873-1973 », in Francis W. P. Bolger ed., Canada’s Smallest Province : A History of P.E.I., Canada John Deyell Company, 1973.

Emond, Paul D. « The Greening of Environmental Law » (1991), 36 McGill L.J. 742.

Hogg, Peter. Constitutional Law of Canada, 3rd ed., Toronto : Carswell, 1992.

DEMANDE de mandamus pour obliger le ministre des Travaux publics à mener une évaluation en conformité avec l’article 12 du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (Décret sur les lignes directrices), relativement au plan détaillé du pont que l’on projette de construire entre l’Île-du-Prince-Édouard et le continent, et d’un jugement déclaratoire portant que l’abandon du service de traversiers, en l’absence d’une modification constitutionnelle qui l’autorise, constituerait un manquement à l’une des Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard. Demande accordée.

AVOCATS :

Mark Freiman, William C. McDowell, Rodney Northey et Bonita M. Croft pour la requérante.

J. E. Thompson, c.r., H. Lorne Morphy, Joseph C. de Pencier, Laurence A. Pattillo et Brian R. Evernden pour les intimés ministre des Travaux publics, ministre des Transports et ministre de l’Environnement.

L. E. Clain, c.r., Alan K. Scales, c.r., Roderick H. Rogers et Meinhard Doelle pour l’intimé procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard.

P. A. MacNutt, c.r. et P. Blanchet pour l’intimé procureur général du Nouveau-Brunswick.

John I. Laskin et Douglas G. Hatch pour l’intimée SCI Partnership.

PROCUREURS :

McCarthy Tétrault, Toronto, pour la requérante.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés ministre des Travaux publics, ministre des Transports et ministre de l’Environnement.

Stewart McKelvey Stirling Scales, Charlottetown, pour l’intimé procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard.

Bureau du procureur général du Nouveau-Brunswick, Fredericton, pour l’intimé procureur général du Nouveau-Brunswick.

Davies, Ward & Beck, Toronto, pour l’intimée SCI Partnership.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Reed : Deux questions principales sont soulevées par la présente demande : le ministre des Travaux publics, intimé, a-t-il respecté l’article 12 du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (Décret sur les lignes directrices)[1]? Le ministre des Travaux publics, en signant l’Entente fédérale-provinciale concernant le projet de raccordement dans le détroit de Northumberland, au nom du gouvernement du Canada, a-t-il conclu un accord qui entraînera une violation des obligations constitutionnelles consignées aux Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard [L.R.C. (1985), appendice II, no 12] (les Conditions de l’adhésion)[2]? Ces questions découlent des activités reliées au projet de construction et d’exploitation d’un pont à péage entre Cape Tormentine, au Nouveau-Brunswick, et Borden, dans l’Île-du-Prince-Édouard. Le pont est censé remplacer le service de traversiers qui est actuellement établi entre ces deux lieux.

Les faits

En 1985, le gouvernement fédéral a reçu trois propositions non sollicitées d’entreprises suggérant une solution de rechange aux traversiers entre Cape Tormentine et Borden. Ces entreprises ont proposé de concevoir, de financer, de construire et d’exploiter un raccordement fixe reliant l’Île-du-Prince-Édouard au continent. Deux des propositions visaient la construction d’un pont; la troisième, la construction d’un tunnel de chemin de fer. Le ministère des Travaux publics a été prié de déterminer la viabilité d’un raccordement fixe et de choisir la solution optimale.

Il était évident que si un raccordement allait être construit, il faudrait à un moment donné répondre à des questions concernant l’environnement. Les articles 10 et 12 du Décret sur les lignes directrices sont ainsi conçus :

10. (1) Le ministère responsable s’assure que chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l’étendue des effets néfastes qu’elle peut avoir sur l’environnement.

(2) Les décisions qui font suite à l’examen préalable ou à l’évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.

12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer :

c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l’application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l’aide de ces mesures, selon le cas;

d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont inconnus, auquel cas la proposition est soumise à d’autres études suivies d’un autre examen ou évaluation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission;

e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec le ministère responsable, les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont importants, auquel cas la proposition est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission; ou

f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen ou évaluation initiale. [Non souligné dans le texte original.]

En mars 1987, le ministère des Travaux publics a retenu les services de consultants qu’il a chargés de préparer une évaluation environnementale initiale générique (EEIG). Cette étude devait porter sur les propositions d’ouvrage de franchissement entre Cape Tormentine et Borden au stade conceptuel et elle devait être suivie d’une évaluation environnementale spécifique du projet qui allait finalement être retenu. L’évaluation spécifique devait être faite une fois que la proposition précise et ses détails seraient connus. De toute évidence, on croyait que cette évaluation spécifique était exigée si l’on voulait respecter le Décret sur les lignes directrices. Il appert très clairement de la lettre d’envoi, datée du 15 mars 1988 et adressée par les consultants au ministère des Travaux publics, qui était jointe à l’EEIG qui lui a été soumise, que ce rapport était fondé sur la supposition qu’une évaluation spécifique, conforme au Décret sur les lignes directrices, serait entreprise ultérieurement :

[traduction] Le rapport tient compte des observations formulées par les organismes de réglementation provinciaux et fédéral au sujet de l’évaluation, et il comprend un sommaire des aspects du projet touchant la participation du public jusqu’à ce jour, dont ceux concernant directement le processus d’examen en matière d’environnement. L’évaluation environnementale initiale générique (EEIG) a servi de base à la définition des exigences en matière d’environnement incluses dans l’appel de propositions lancé auprès des promoteurs éventuels.

L’EEIG a été préparée en conformité avec les exigences du processus fédéral d’évaluation et d’examen en matière d’environnement. Au terme de cette EEIG, on a conclu que les effets prévus que le projet, au stade conceptuel, pourrait avoir sur l’environnement, n’étaient pas importants. Après qu’un promoteur aura été choisi, une évaluation environnementale initiale spécifique (EEIS) doit être préparée en ce qui a trait à l’évaluation et à la planification environnementales au stade de la conception définitive. Cette conclusion doit être confirmée par l’EEIS et les plans détaillés du pont avant que le projet ne soit réalisé. [Non souligné dans le texte original.]

D’après le rapport même, les renseignements étaient insuffisants, au moment de sa rédaction, sous trois aspects : la description du projet, lacune qui serait comblée quand un projet précis aurait été choisi; des points particuliers en matière d’environnement, à l’égard desquels diverses études avaient déjà été demandées; les données environnementales propres au site qui seraient nécessaires à l’évaluation de la proposition précise quand ses détails seraient connus. Les auteurs du rapport y décrivaient aussi le processus d’évaluation en matière d’environnement tel qu’ils l’envisageaient :

[traduction] Travaux publics Canada examinera les propositions de projet pour s’assurer qu’elles sont acceptables du point de vue de l’environnement et qu’elles sont conformes aux exigences environnementales. Afin de voir leur proposition passer à l’étape suivante, soit l’établissement des prix, les entrepreneurs doivent faire état de leur méthode et démontrer leur engagement à l’égard d’une gestion sûre de l’environnement …

Après qu’auront été présentés les propositions et leurs coûts, Travaux publics Canada choisira l’entrepreneur. À ce moment-là, cet entrepreneur soumettra le projet et les renseignements connexes à l’examen du public. En même temps, l’entrepreneur, avec l’aide de Travaux publics Canada, préparera et soumettra l’EEIS et des directives relatives à la conception et à la construction. Cela donnera au public la possibilité de prendre connaissance de la conception retenue le plus tôt possible et de l’étudier avant de recevoir l’EEIS. On prévoit que des séances d’information publiques auront lieu durant cette période en octobre 1988. De cette façon, l’entrepreneur retenu sera à même d’incorporer les observations du public dans l’EEIS en décembre. [Non souligné dans le texte original.]

Le dernier paragraphe du rapport dit ceci :

[traduction] L’EEI spécifique

L’entrepreneur retenu sera tenu de préparer et de soumettre l’EEIS à l’examen du public et des organismes de réglementation … Les descriptitons d’aspects tels que la surveillance, la planification de la protection, la planification de l’indemnisation et le plan d’intervention, seront beaucoup plus détaillées. Dans les propositions de projet, les entrepreneurs doivent décrire la manière dont ils réaliseront l’EEIS. Constitueront des éléments critiques de la présentation de l’EEIS les processus d’information et de consultation publics …

L’EEI spécifique éliminera donc nombre des incertitudes inhérentes de la présente EEIG et elle sera un document complet qui va au delà de l’EEI typique. On disposera pour effectuer l’EEI spécifique de données non disponibles au moment de l’EEIG (études géochimiques, études relatives à la glace et aux pêcheries), des résultats de l’examen poussé par des organismes de réglementation et de l’apport du public au projet d’EEI générique, ainsi que de l’EEIG finale qui aura répondu à ces examens et qui aura cerné d’autres exigences au chapitre des renseignements nécessaires pour renforcer ses conclusions. Le processus menant à la production de l’EEI spécifique, y compris le processus d’examen, devrait garantir l’exhaustivité du document et tenir compte de toutes les préoccupations. [Non souligné dans le texte original.]

Le 28 mars 1988, le ministre des Travaux publics a lancé un appel de propositions auprès de sept promoteurs qui avaient été présélectionnés au moyen d’un appel de déclarations d’intérêt. Les sept en question avaient été jugés capables de construire un pont. Le document de l’appel de propositions, qui sollicitait des soumissions relatives au concept du pont, est daté du 15 mars 1988 et c’est cette date que nous utiliserons pour nous y référer.

L’appel de propositions contenait des exigences détaillées, relatives aux préoccupations en matière d’environnement auxquelles il faudrait répondre, en fonction des facteurs indiqués dans l’EEIG. La description des exigences environnementales énoncées dans l’appel de propositions permettait de croire que nombre des suppositions relatives au projet sur lesquelles reposait l’EEIG pourraient ou non être valables dans le cas d’un promoteur déterminé. L’appel de propositions indiquait en outre que la liste des préoccupations définies par l’EEIG n’était pas nécessairement exhaustive. On envisageait à l’évidence qu’on finirait par faire une évaluation environnementale portant sur le projet retenu. On envisageait de plus que le promoteur choisi serait tenu de préparer un plan de gestion de l’environnement à l’égard du projet.

Les réponses à l’appel de propositions qui ont été reçues consistaient dans sept propositions distinctes, l’une concernant un tunnel et les six autres, un pont. La réponse de SCI prévoyait qu’une fois les plans détaillés dressés, ils feraient l’objet d’une évaluation environnementale.

Il est nécessaire de relater les actions des fonctionnaires pendant la même période. Un comité interprovincial-interministériel a été désigné au début du processus (janvier ou février 1987); il était chargé d’étudier, de surveiller et d’évaluer les aspects environnementaux d’un projet de raccordement. Il a d’abord été appelé le sous-comité de l’environnement du groupe de travail technique, puis le groupe de travail de l’évaluation environnementale et enfin, le comité de l’environnement (comité de l’environnement). Il était formé de représentants des ministères fédéraux des Travaux publics, de l’Environnement, des Pêches et Océans et des Transports (Garde côtière canadienne), ainsi que de représentants des ministères de l’Environnement du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard. Un autre comité a été chargé d’étudier les questions socio-économiques. Il a été appelé d’abord le comité des retombées industrielles régionales, puis le comité socio-économique. Le comité de l’environnement et le comité socio-économique étaient des sous-comités d’un groupe plus large, le comité de gestion du projet. Les conclusions de ce comité étaient communiquées au ministre des Travaux publics par l’entremise d’une équipe de projet qui avait été formée au ministère des Travaux publics. Par l’intermédiaire du sous-ministre adjoint compétent, cette équipe rendait compte au sous-ministre et ainsi au ministre des Travaux publics.

Au printemps de 1988, le comité de l’environnement a étudié les sept propositions qui avaient été reçues en réponse à l’appel de propositions du 15 mars 1988. Cette étude a porté sur les facteurs environnementaux indiqués dans le rapport EEIG. Il convient de remarquer que, bien que la proposition présentée par SCI en réponse à l’appel de propositions du 15 mars ait eu pour objet un concept, elle contenait un certain nombre de détails quant au projet définitif de pont et quant aux aspects environnementaux. Je le répète, cette réponse prévoyait en outre une évaluation environnementale une fois les plans détaillés terminés. Par exemple, dans la réponse de SCI, en date du 19 août 1988, à la demande de renseignements faite par le comité de l’environnement, on peut lire ceci :

[traduction] À cause de la vulnérabilité du point de vue environnemental de la région de Cape Tormentine, l’accès du public n’a pas été prévu dans notre plan initial. Cet accès sera toutefois facilité par l’ajout d’aires de stationnement suffisantes. La nature et l’étendue de l’accès devront être arrêtées, durant la préparation de l’EEIS, en fonction d’une estimation très détaillée des répercussions possibles de l’accès du public.

Au sujet de cet élément terrestre du pont, SCI a l’intention de régulariser le drainage de manière à empêcher l’évacuation incontrôlée des eaux de ruissellement et des substances dangereuses déversées. Un programme de gestion de la régulation du drainage sera établi, comprenant des cuves de sédimentation et/ou des étangs de rétention. Ces concepts seront élaborés durant la préparation de l’EEI spécifique.

Le rapport d’Eastern Designers and Company dit explicitement que le transport de sédiments côtiers ne sera probablement pas modifié par le pont. Toutefois, cette affirmation a été assortie de plusieurs réserves. Parmi celles-ci, notons l’espacement définitif des piles et le dégagement entre les talus, ainsi que la nécessité de sondages bathymétriques plus détaillés et d’études sur les caractéristiques des sédiments près du rivage … D’après l’étude d’Eastern Designers and Company, à laquelle souscrit SCI, des études de modélisation physiques doivent être faites pour établir/vérifier les espacements convenables. Pour confirmer que le transport des sédiments côtiers ne sera pas modifié, on propose d’étudier ces problèmes possibles dans le cadre de l’EEI spécifique …

Le 30 septembre 1988, on a annoncé que trois des sept promoteurs avaient été retenus en vue d’un concours relatif à l’établissement des prix. Les trois propositions concernaient un pont. La documentation fournie avec le communiqué de presse du ministre indique qu’après la sélection d’un projet, une évaluation environnementale spécifique de ce projet serait effectuée.

Le 12 janvier 1989, on a annoncé qu’au lieu de faire une évaluation environnementale spécifique, selon ce qui avait d’abord été prévu, le ministre des Travaux publics demanderait au ministre de l’Environnement de soumettre le projet de pont à une commission d’évaluation environnementale conformément au Décret sur les lignes directrices. Le ministre a dit qu’on procédait ainsi en raison des grandes inquiétudes dans le public au sujet des effets qu’un raccordement pourrait avoir sur l’environnement. Il convient de noter que l’EEIG a indiqué qu’un tunnel risquait moins d’entraîner des effets sur l’environnement qu’un pont. L’article 13 du Décret sur les lignes directrices est ainsi conçu :

13. Nonobstant la détermination des effets d’une proposition, faite conformément à l’article 12, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d’un examen public par une commission, chaque fois que les préoccupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable.

Le 28 avril 1989, une commission a été nommée et chargée d’entreprendre l’examen des répercussions que pourrait avoir sur l’environnement la construction d’un pont entre Cape Tormentine et Borden. La Commission a été investie du pouvoir d’étudier les avantages et les effets néfastes d’un pont, ainsi que les « impacts [traduction ] d’autres solutions de raccordement, notamment au tunnel routier, et les motifs pour lesquels ces solutions avaient été rejetées ». Le ministère des Travaux publics a fourni à la Commission un document, rédigé par des consultants, intitulé « Évaluation d’un projet de construction d’un pont ». Ce document reprenait pour l’essentiel les descriptions que l’on trouvait dans l’EEIG et renvoyait à l’appel de propositions du 15 mars 1988.

Le ministère des Travaux publics a affirmé que les détails des trois propositions dont disposait alors le Ministère ne pouvaient être communiqués à la Commission parce qu’ils étaient confidentiels : les trois promoteurs étaient des concurrents. La Commission s’est fait remettre des documents qui avaient été obtenus depuis le dépôt de l’EEIG et s’est fait dire que le projet qui serait choisi devrait satisfaire aux exigences en matière d’environnement énoncées dans l’EEIG et dans l’appel de propositions.

Sous la rubrique « Description du projet », dans l’Évaluation d’un projet de construction d’un pont, on peut lire ceci :

La « description de projet » ci-après est présentée en fonction des exigences du projet. Ces exigences ont été énoncées dans le document de l’appel de propositions, émis le 15 mars 1988, et dans les six annexes subséquentes auxquelles les promoteurs ont répondu et à l’égard desquelles l’évaluation des propositions a été effectuée. L’élaboration des exigences faite entre 1986 et 1988 a nécessité une contribution énorme d’un vaste éventail de sources, notamment :

€€€€€€ une consultation poussée auprès des ministères et organismes fédéraux et provinciaux et du grand public;

€€€€€€ l’application du PÉEE, en particulier pour aborder les observations des évaluateurs au sujet de l’ÉEIG provisoire;

€€€€€€ une conformité rigoureuse aux normes de fonctionnement de Transports Canada, de TPC et des organismes provinciaux correspondants;

€€€€€€ l’expérience de l’industrie obtenue par voie de consultation auprès du secteur privé et l’expérience mixte de la coentreprise formée de Delcan-Stone & Webster; et

€€€€€€ un examen d’autres installations exploitées par TPC.

La mise au point de l’ÉEIG et de l’appel de propositions a marqué une étape importante puisqu’elle mettait fin avec succès à une consultation poussée auprès des secteurs public et privé au sujet des normes et de la viabilité du projet. De ce processus ont découlé deux documents largement acceptés qui définissaient les limites acceptables de toute proposition de construction d’un raccordement permanent.

Essentiellement, les outils nécessaires à l’étape suivante du processus pouvaient maintenant être utilisés.

Dans les sections qui suivent, on décrit le projet « générique » de pont en fonction des exigences de l’appel de propositions et de l’ÉEIG.

Le promoteur réévaluera le projet final en fonction de ces exigences et de toute autre qui pourra découler des recommandations de la commission et d’autres activités « réelles » non prévues au projet. À partir de cela, le promoteur devra dresser en détail le plan de gestion de l’environnement relatif au projet, qui devra recevoir l’approbation finale avant que le projet démarre.

Le texte reflétera la planification méticuleuse qui a été effectuée afin de respecter les aspects techniques et la sensibilité de l’environnement pendant toutes les étapes des travaux.

Le 16 août 1989, la Commission a écrit au ministère des Travaux publics pour se plaindre que les renseignements fournis n’étaient pas suffisants pour prendre une décision éclairée :

[traduction] Après avoir analysé nous-mêmes les documents relatifs à l’ÉPCP et après avoir examiné soigneusement les opinions de nos experts en techniques, des ministères intéressés et du public, nous avons conclu que les renseignements fournis à ce jour sont insuffisants pour permettre un examen approfondi, utile, de toutes les questions pertinentes énoncées dans le mandat de la Commission ou soulevées par les participants à l’évaluation.

La Commission en est arrivée à ses conclusions après avoir étudié sérieusement la nature de l’évaluation ainsi que la documentation existante. L’examen public du raccordement dans le détroit de Northumberland a lieu, ce qui n’est pas typique, au milieu d’un processus; la Commission est ainsi empêchée d’avoir accès à d’autres renseignements propres à l’emplacement. L’Évaluation environnementale initiale générique disait qu’une évaluation environnementale initiale spécifique permettrait d’examiner les questions touchant le projet particulier. Ce processus a maintenant été abandonné. En outre, les « Plans de gestion de l’environnement » et les « Plans de protection de l’environnement » inclus dans les propositions de projet ne sont pas dans le domaine public et la Commission ne pourra donc pas les consulter. En l’absence de cette information, la Commission a conclu qu’il lui appartient maintenant de faire certains des travaux qui auraient autrement relevé d’une EEI spécifique.

La Commission estime qu’elle doit disposer d’autres renseignements sur certains sujets pour pouvoir tirer des conclusions sur les points suivants :

(1)  Quand des incidences environnementales possibles du projet de raccordement fixe ont été déterminées, que des mesures d’atténuation ont été proposées et qu’un impact résiduel (c’-à-d. qui ne peut pas être atténué) a été décrit : est-ce une situation acceptable, étant donné le mandat de la Commission?

(2)  Quand il est impossible d’obtenir, dans un délai raisonnable, des renseignements supplémentaires suffisants pour permettre à des personnes compétentes de prédire la nature de toutes les incidences du projet de raccordement fixe sur une partie de l’environnement : l’incertitude de cette situation est-elle acceptable, étant donné le mandat de la Commission?

Je tiens à vous informer que la Commission a également examiné les motifs, donnés par votre Ministère, pour ne pas poursuivre l’étude de la solution de raccordement par un tunnel (soit un tunnel ferroviaire ou un tunnel routier). La Commission a conclu qu’elle n’était pas disposée à tenir ces motifs pour une position définitive à ce sujet à ce moment-ci et a donc décidé de considérer la solution du tunnel comme un point devant être examiné à nouveau et pouvant être discuté durant le reste du présent examen public. [Non souligné dans le texte original.]

Suivaient neuf pages de questions. Le ministère des Travaux publics a répondu à plusieurs des questions, mais a refusé encore de fournir des renseignements précis concernant les trois concepts à l’étude.

Le rapport de la Commission a été rendu public le 15 août 1990. Elle a convenu de la nécessité d’améliorer le service de transport entre l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick, mais a conclu que le risque d’impacts néfastes sur l’environnement du pont envisagé était inacceptable. La Commission a recommandé que le projet de pont soit abandonné. Elle a cependant fait observer que, sous réserve d’un examen favorable de son évaluation environnementale, un tunnel pourrait être acceptable comme moyen d’assurer la liaison et qu’un service de traversiers amélioré le pourrait lui aussi. La Commission présente un résumé de ce qu’elle tient pour des aspects négatifs du projet :

… la Commission a aussi cerné plusieurs impacts éventuellement défavorables, qui, réunis, sont vraiment inquiétants. Par exemple, la débâcle pourrait être retardée par suite de la construction d’un pont. La Commission est d’avis que le risque que la débâcle soit retardée d’une ou deux semaines est beaucoup trop grand. Un retard pareil pourrait perturber gravement d’importantes activités halieutiques et modifier le microclimat côtier dont l’agriculture locale est tributaire.

En outre, l’écosystème marin du détroit de Northumberland est menacé par la construction d’un pont, qui stimulerait la formation de glace près du rivage, laquelle raclerait le fond et risquerait de perturber davantage encore les frayères. La Commission juge en outre inacceptable le risque de baisse de la production de homards qui pourrait résulter de l’abaissement de température de l’eau si la débâcle devait être retardée par un pont. De plus, la construction d’un pont perturberait les routes de migration des poissons, et un déversement majeur de substances dangereuses pendant la construction (ou l’exploitation éventuelle) d’un pont serait désastreuse.

La Commission a conclu qu’il est peu vraisemblable qu’on trouve des solutions socialement acceptables pour dédommager une grande partie des employés des traversiers de Marine Atlantic, qui sont plus de 600 et qui se retrouveraient en chômage une fois le pont ouvert.

Quant au processus qui a été suivi, la Commission dit :

TPC, qui est l’organisme fédéral décisionnel dans le cas du Projet de raccordement dans le détroit de Northumberland, a choisi de soumettre la question à un examen public après avoir rejeté quatre des sept propositions reçues, y compris la seule en vue de la construction d’un tunnel. Le renvoi à l’examen a aussi précédé le choix de l’une des trois propositions restantes.

La Commission est d’avis que le projet aurait pu être soumis à un examen public à deux autres étapes de son évolution. Il aurait pu l’être au moment de l’Évaluation environnementale générique initiale, c’est-à-dire avant la demande de propositions, quand toutes les possibilités de construction d’un pont et d’un tunnel auraient pu faire l’objet d’un examen approfondi. TPC aurait aussi pu soumettre un projet précis à l’examen après avoir choisi l’une des trois propositions restantes, ce qui aurait eu l’avantage de lui faire fournir une information plus précise, mais lui aurait laissé moins de latitude pour incorporer les recommandations d’une commission d’évaluation dans la conception finale du projet.

La Commission juge regrettable que la façon dont elle a été saisie de la question l’ait empêchée d’examiner toutes les solutions de façon également approfondie et d’étudier des renseignements—peut-être très valables—contenus dans les propositions des promoteurs y compris un plan de gestion de l’environnement.

La Commission est d’avis que l’évaluation environnementale d’un projet aussi vaste et aussi complexe que celui-ci devrait être soumise deux fois à une commission; la première au stade conceptuel et la seconde après qu’une proposition aurait été retenue. [Non souligné dans le texte original.]

Le 21 novembre 1990, le gouvernement a publié une réponse publique aux recommandations de la Commission, conformément aux prescriptions des alinéas 33(1)c), d) et e) du Décret sur les lignes directrices :

33. (1) Lors d’un examen public [réalisé par une commission], il incombe au ministère responsable :

c) … de décider, en collaboration avec d’autres ministères, commissions ou organismes fédéraux visés par les recommandations de la commission, de la mesure dans laquelle ces recommandations devraient devenir des exigences fédérales avant d’autoriser la mise en œuvre d’une proposition;

d) … s’assurer, en collaboration avec d’autres organismes responsables, que les décisions prises par les ministres responsables à la lumière des conclusions et des recommandations qu’a formulées une commission à la suite de l’examen public d’une proposition, sont prises en considération dans la conception, la réalisation et l’exploitation de cette proposition et que des programmes appropriés de mise en œuvre, d’inspection et de surveillance environnementale sont établis; …

e) … déterminer de quelle façon seront rendues publiques les décisions prises en vertu de l’alinéa c) et celles visées à l’alinéa d). [Non souligné dans le texte original.]

On lit dans cette réponse que la Commission a étudié un concept général de pont et non les propositions précises qui avaient été soumises au ministère des Travaux publics par les promoteurs. On y fait remarquer que certaines des préoccupations de la Commission ne s’appliquaient donc pas aux propositions précises qu’examinait le ministère des Travaux publics. On y dit que ces propositions étaient déjà conformes, voire supérieures, aux normes recommandées en matière d’environnement. Le gouvernement souligne que le promoteur qui sera choisi devra dresser un plan détaillé de gestion de l’environnement, relativement au projet définitif, avant que celui-ci ne soit mis en branle. Suivant l’engagement pris, le promoteur doit faire approuver ce plan par les autorités fédérales et provinciales compétentes et consulter le public au cours de sa préparation. Le gouvernement dit ne pas accepter la recommandation de la Commission que le projet soit abandonné, mais affirme que de nouvelles études seront faites au sujet du risque que la débâcle soit retardée, risque que la Commission a jugé important. La réponse comporte quelques explications relatives à la décision du gouvernement de ne pas accepter les autres recommandations de la Commission ou de ne pas y donner suite.

Un groupe d’experts indépendants (le comité de la glace) a été chargé d’examiner la validité de la modélisation utilisée pour estimer le retard de la débâcle et d’étudier les trois projets de pont soumis au ministère des Travaux publics. Le comité de la glace a conclu que le risque associé aux trois propositions correspondait au retard de deux jours de la débâcle sur une période de 100 ans que la Commission a tenu pour acceptable. Le rapport final du comité de la glace a été remis le 20 décembre 1991. Il a été rendu public le 30 janvier 1992.

Le 20 décembre 1991, le comité de l’environnement a également présenté son rapport au ministère des Travaux publics. Il avait étudié encore une fois chacune des trois propositions relatives à un concept de pont afin de s’assurer qu’elles répondaient aux critères environnementaux établis par l’EEIG et par la réponse du gouvernement au rapport de la Commission. Le rapport du comité a été rendu public. On peut y lire ceci :

Le Comité de l’environnement a conclu à l’unanimité qu’à la lumière des renseignements actuellement disponibles, chacun des promoteurs avait la capacité de construire un pont d’une manière qui n’aurait que des conséquences insignifiantes ou atténuables sur le milieu biophysique.

On y lit en outre que le comité de l’environnement a l’intention de voir à ce que le promoteur choisi inscrive dans son plan de gestion de l’environnement des mesures suffisantes au regard de toutes les préoccupations touchant l’environnement. Puis, on trouve ce passage :

Les trois promoteurs ont réussi à convaincre le comité de l’environnement qu’ils pourraient établir un PGE (plan de gestion de l’environnement) acceptable. Dans le cadre du processus visant à élaborer ce plan, les promoteurs doivent consulter la population et répondre aux préoccupations légitimes en matière de protection de l’environnement soulevées durant le processus de consultation. En outre, l’établissement des coûts définitifs ne pourra se faire que si le PGE a été examiné par le comité de l’environnement et approuvé par le comité de mise en œuvre du projet.

Le 30 janvier 1992, le ministre des Travaux publics a annoncé que les trois propositions étaient conformes aux critères environnementaux établis à l’égard du projet de raccordement par le gouvernement en réponse au rapport de la Commission. Il a annoncé qu’un comité de fonctionnaires interministériel/intergouvernemental avait étudié les propositions et conclu que toutes trois satisfaisaient à ces exigences. Les trois promoteurs ont été invités à soumettre des devis estimatifs.

Le 27 mai 1992, on a déterminé que l’intimée Strait Crossing Inc. (SCI) de Calgary était le promoteur qui demandait la subvention annuelle la moins élevée et, le 17 juillet 1992, le ministre des Travaux publics a annoncé que des négociations avec SCI, moins-disant, seraient entamées en vue de la fixation de conditions financières acceptables. La signature de l’accord à ce sujet est fixée au 31 mars 1993.

Le 11 décembre 1992, le projet de loi C-110 (la Loi sur l’ouvrage de franchissement du détroit de Northumberland) a franchi l’étape de la première lecture devant la Chambre des communes. Le projet de loi investit le ministre des Travaux publics du pouvoir de conclure, au nom de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, des accords (par exemple, avec SCI) relatifs au projet de raccordement. Les dispositions pertinentes sont ainsi conçues :

4. …

(2) Ces accords peuvent prévoir :

a) des dispositions relatives à la conception, au financement, à la construction, à l’entretien et à l’exploitation de l’ouvrage;

b) des engagements relatifs aux retombées industrielles et aux avantages pour l’emploi;

c) des dispositions relatives aux droits qui peuvent être imposés à l’égard de l’ouvrage;

d) les autres mesures que le ministre juge souhaitables.

7. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est prélevé sur le Trésor, pour le versement annuel d’une subvention, conformément à un accord et aux dates qui y sont fixées, pendant les trente-cinq exercices commençant avec celui déterminé par l’accord, un montant ne dépassant pas, au total, quarante-deux millions de dollars (dollars de 1992) et ajusté, conformément à l’accord, sur la base de l’indice des prix à la consommation.

9. Le ministre des Transports peut, par règlement et avec l’agrément du gouverneur en conseil, fixer le montant ou le mode de calcul des droits qui peuvent être imposés pour l’utilisation de l’ouvrage une fois expiré ou terminé le bail des terres ou autres biens immeubles visés à l’article 6.

Le 16 décembre 1992, le ministre des Travaux publics, au nom du gouvernement du Canada, a conclu l’Entente fédérale-provinciale concernant le projet de raccordement dans le détroit de Northumberland. Le ministre exerçait le pouvoir que lui a conféré le Décret[3]. Les autres parties à l’entente sont les gouvernements de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. Voici un extrait de cette entente :

6.(1) La participation publique au processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (PÉEE) fédéral a été entreprise à la satisfaction du Canada, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. Par l’intermédiaire des ministères des Pêches et Océans, d’Environnement Canada et de Transports Canada, le Canada a estimé, de concert avec l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick, qu’un pont peut être construit d’une manière acceptable du point de vue de l’environnement.

6.(2) La construction et l’exploitation du pont doivent se faire dans le respect des lois, des règlements et des codes relatifs à l’environnement de l’Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et du Canada et dans le respect de toutes autres exigences particulières identifiées au moyen d’une évaluation faite en application du processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (PÉEE).

10. L’Île-du-Prince-Édouard convient que le Canada a la responsabilité d’établir les droits de péages pour le pont. Dans l’exercice de cette responsabilité, le Canada a décidé d’établir des droits pour l’utilisation du pont tant que l’Entrepreneur en assure l’exploitation selon une formule établie de façon générale à l’annexe « E » ci-jointe. Le Canada consultera l’Île-du-Prince-Édouard afin de s’assurer que les droits sont justes et équitables.

13.(1) La présente entente ne restreint en rien les obligations constitutionnelles du Canada consignées aux Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard :

« Que le gouvernement du Canada se chargera des dépenses occasionnées par les services suivants : … Un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles et passagers, qui sera établi et maintenu entre l’Île et les côtes du Canada, l’été et l’hiver, assurant ainsi une communication continue entre l’Île et le chemin de fer intercolonial, ainsi qu’avec le réseau de chemins de fer du Canada ».

13.(2) Nulle disposition de la présente entente ne porte détriment ou atteinte au droit de l’Île-du-Prince-Édouard de demander en tout temps aux tribunaux d’interpréter, par jugement déclaratoire ou autrement, le sens des termes cités au paragraphe 13(1) de la présente entente.

13.(3) Les parties conviennent que le pont remplacera le service de traversier entre Borden, Île-du-Prince-Édouard et Cape Tourmentine, Nouveau-Brunswick. L’Île-du-Prince-Édouard et le Canada conviennent que le Canada réalise ce pont dans le but de satisfaire à ses obligations conformément aux Conditions de l’adhésion. Néanmoins, le Canada reconnaît qu’il a la responsabilité d’assurer à l’Île-du-Prince-Édouard une communication constante avec le continent par l’exploitation du pont. Les parties conviennent aussi de prendre toutes les mesures nécessaires pour donner effet aux dispositions du présent paragraphe.

Le 21 décembre 1992, SCI a publié un plan provisoire de gestion de l’environnement. Il ne se rapportait pas au plan définitif pour le pont, mais à la proposition relative à un concept de pont du 13 juin 1988 et d’août 1988 qui avait été déposée en réponse à l’appel de propositions de mars 1988. On peut y lire ceci :

[traduction] À ce moment-ci, il n’est question que de la conception générale d’un pont. De la même façon, les méthodes de construction n’ont été définies qu’au stade conceptuel. La conception détaillée et les méthodes de construction seront mises au point consciencieusement à l’égard des éléments du projet, à compter de la saison de construction de 1993.

Des exemplaires du plan provisoire ont été distribués dans des bureaux publics dans toutes les régions des provinces Atlantiques. SCI a établi un numéro sans frais pour permettre aux intéressés de demander des renseignements et des exemplaires du document. Des exemplaires ont été envoyés à des groupes d’intérêts, dont la requérante. Des assemblées privées et publiques, portant sur le plan, ont été tenues dans les provinces de l’Atlantique entre les 11 et 21 janvier 1993. Le comité de l’environnement a aussi étudié le plan provisoire.

On trouve dans l’affidavit supplémentaire de J. David Pirie, en date du 5 février 1993, déposé à l’appui de la thèse de SCI, des explications au sujet de la portée du plan provisoire de gestion de l’environnement :

[traduction] Le niveau de détail de la conception dans le plan provisoire de gestion de l’environnement est conforme au niveau de détail de la description de la liste relativement brève des paramètres ou hypothèses du concept de pont, utilisée dans l’EEIG et dans l’Évaluation d’un projet de construction d’un pont. Le niveau de détail dans le plan provisoire de gestion de l’environnement était suffisant pour permettre au public de comparer la proposition de SCI avec les hypothèses du concept générique de pont. [Non souligné dans le texte original.]

SCI a dressé son plan définitif de gestion de l’environnement; il n’est pas sensiblement différent du plan provisoire en ce qui a trait au détail du pont. Ce plan contient neuf chapitres, intitulés : description du projet; planification de la protection de l’environnement; plan d’intervention d’urgence; programme d’orientation et d’éducation environnementales; modalités des rapports; surveillance des effets sur l’environnement; information et consultation publiques; questions touchant l’indemnisation; les approbations, autorisations et permis des organismes de réglementation. Le plan décrit le projet de pont auquel il se rapporte :

[traduction] Les sections qui suivent contiennent des détails préliminaires concernant la conception générale des principaux éléments du projet, la méthode de construction et l’échéancier et l’emplacement des activités du projet durant les étapes des travaux préalables à la construction, de la construction et de l’exploitation, proposées par SCI.

On trouve dans le plan de gestion de l’environnement le but que vise celui-ci :

[traduction] … donner un aperçu des activités projetées en matière de gestion de l’environnement qui seront exercées pendant la durée du projet afin de réduire au minimum les répercussions possibles du projet sur l’environnement. Le Plan de gestion de l’environnement est de nature évolutive, conçu pour s’appliquer pendant toute la durée du projet et susceptible de mises à jour au fur et à mesure de l’évolution des besoins du projet durant les étapes des travaux préalables à la construction, de la construction et de l’exploitation. [Non souligné dans le texte original.]

Ce plan de gestion de l’environnement a été soumis au comité de l’environnement le 15 février 1993 et doit être approuvé avant que puisse être signé l’accord relatif aux conditions financières, le 31 mars 1993.

Le 4 janvier 1993, SCI a soumis à l’examen du comité de l’environnement un document appelé rapport final sur l’élément environnement. L’objet de ce rapport est de fournir [traduction] « une évaluation environnementale des éléments du projet qui diffèrent essentiellement des détails disponibles durant l’évaluation environnementale fédérale de la proposition de pont, ou à l’égard desquels aucun détail n’était fourni ». Le rapport dit que des mesures d’atténuation et des programmes de surveillance seront fournis [traduction] « pour aider à l’élaboration d’un PGE (plan de gestion de l’environnement) complet, en particulier des aspects détaillés du PGE qui seront élaborés et mis en œuvre pendant la durée du projet ». Si je ne m’abuse, ce document fait partie de la documentation exigée par les règlements de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick relatifs à l’évaluation en matière d’environnement.

Il ressort de la preuve qu’on ne projette pas de dresser les plans définitifs du pont tant qu’un accord n’aura pas été conclu avec le gouvernement fédéral au sujet du financement. On dit que le comité de la glace étudiera et approuvera les plans définitifs du pont avant le début de la construction. On prévoit qu’ils devront aussi être approuvés par le comité de l’environnement. De plus, ces plans devront respecter les règlements fédéraux et provinciaux tels que celui prévu à l’article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22.

Facteurs à considérer relatifs à la question de l’environnement

Il est utile d’exposer au long les dispositions pertinentes du Décret sur les lignes directrices :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent aux présentes lignes directrices.

« Bureau » Le Bureau fédéral d’examen des évaluations environnementales chargé d’administrer le processus et relevant directement du Ministre.

« commission » Commission d’évaluation environnementale chargée, en vertu de l’article 21, de réaliser l’examen public d’une proposition.

« énoncé des incidences environnementales » Évaluation détaillée des répercussions environnementales de toute proposition dont les effets prévus sur l’environnement sont importants, qui est effectuée ou fournie par le promoteur en conformité avec les directives établies par une commission.

« ministère » S’entend :

a) de tout ministère, commission ou organisme fédéraux, ou

b) dans les cas indiqués, l’une des corporations de la Couronne nommées à l’annexe D de la Loi sur l’administration financière ou tout organisme de réglementation.

« ministère responsable » Ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l’égard d’une proposition.

« Ministre » Le ministre de l’Environnement.

« processus » Le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, administré par le Bureau.

« promoteur » L’organisme ou le ministère responsable qui se propose de réaliser une proposition.

« proposition » S’entend en outre de toute entreprise ou activité à l’égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions.

Portée

3. Le processus est une méthode d’auto-évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l’étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l’égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.

4. (1) Lors de l’examen d’une proposition selon l’article 3, le ministère responsable étudie :

a) les effets possibles de la proposition sur l’environnement ainsi que les répercussions sociales directement liées à ces effets, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire canadien; et

b) les préoccupations du public qui concernent la proposition et ses effets possibles sur l’environnement.

(2) Sous réserve de l’approbation du Ministre et du ministre chargé du ministère responsable, il doit être tenu compte lors de l’étude d’une proposition de questions telles que les effets socio-économiques de la proposition, l’évaluation de la technologie relative à la proposition et le caractère nécessaire de la proposition.

5. (1) Si, indépendamment du processus, le ministère responsable soumet une proposition à un règlement sur l’environnement, il doit veiller à ce que les examens publics ne fassent pas double emploi.

(2) Pour éviter la situation de double emploi visée au paragraphe (1), le ministère responsable doit se servir du processus d’examen public comme instrument de travail au cours des premières étapes du développement d’une proposition plutôt que comme mécanisme réglementaire, et rendre les résultats de l’examen public disponibles aux fins des délibérations de nature réglementaire portant sur la proposition.

Champ d’application

6. Les présentes lignes directrices s’appliquent aux propositions

a) devant être réalisées directement par un ministère responsable;

b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale;

c) pour lesquelles le gouvernement du Canada s’engage financièrement; ou

d) devant être réalisées sur des terres administrées par le gouvernement du Canada, y compris la haute mer.

ÉVALUATION INITIALE

Le ministère responsable

10.(1) Le ministère responsable s’assure que chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale afin de déterminer la nature et l’étendue des effets néfastes qu’elle peut avoir sur l’environnement.

(2) Les décisions qui font suite à l’examen préalable ou à l’évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.

11. Aux fins de l’examen préalable et de l’évaluation initiale visés au paragraphe 10(1), le ministère responsable dresse, en collaboration avec le Bureau, les listes suivantes :

a) une liste des divers types de propositions qui n’auraient aucun effet néfaste sur l’environnement et qui, par conséquent, seraient automatiquement exclus du processus; et

b) une liste des divers types de propositions qui auraient des effets néfastes importants sur l’environnement et qui seraient automatiquement soumises au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission.

12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer :

a) si la proposition est d’un type compris dans la liste visée à l’alinéa 11a), auquel cas elle est réalisée telle que prévue;

b) si la proposition est d’un type compris dans la liste visée à l’alinéa 11b), auquel cas elle est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission;

c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l’application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l’aide de ces mesures, selon le cas;

d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont inconnus, auquel cas la proposition est soumise à d’autres études suivies d’un autre examen ou évaluation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission;

e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec le ministère responsable, les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont importants, auquel cas la proposition est soumise au Ministre pour qu’un examen public soit mené par une commission; ou

f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen ou évaluation initiale.

13. Nonobstant la détermination des effets d’une proposition, faite conformément à l’article 12, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d’un examen public par une commission, chaque fois que les préoccupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable.

14. Le ministère responsable voit à la mise en application de mesures d’atténuation et d’indemnisation, s’il est d’avis que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d’une proposition sur l’environnement prennent de l’ampleur.

15. Le ministère responsable doit s’assurer

a) après qu’une détermination sur les effets d’une proposition a été faite conformément à l’article 12 ou après qu’une proposition a été soumise au Ministre conformément à l’article 13, et

b) avant la mise en application de mesures d’atténuation et d’indemnisation conformément à l’article 14,

que le public a accès à l’information concernant cette proposition conformément à la Loi sur l’accès à l’information.

16. Le ministère responsable, de concert avec le Bureau, établit par écrit les procédures à suivre pour la détermination des effets d’une proposition selon l’article 12 et fournit régulièrement au Bureau des renseignements concernant l’application du processus aux propositions à l’égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.

Examens publics

20. Lorsque les effets d’une proposition ont été déterminés conformément aux alinéas 12b), d) ou e) ou à l’article 13, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre pour examen public.

21. L’examen public visé à l’article 20 est réalisé par une commission d’évaluation environnementale dont les membres sont nommés par le Ministre. [Non souligné dans le texte original.]

Au début, la nature et le champ d’application de ces lignes directrices étaient incertains. La jurisprudence a maintenant établi que, si le gouvernement n’est pas obligé d’accepter les recommandations d’une commission[4], à supposer que cette étape du processus d’examen en matière d’environnement ait été franchie, un examen préalable ou une évaluation initiale par le ministère responsable, en conformité avec les articles 3, 10 et 12, est obligatoire[5].

Le litige entre les parties est très simple. Les intimés soutiennent que le Décret sur les lignes directrices a été respecté; la requérante affirme le contraire.

Les intimés soutiennent que la préparation de l’EEIG par les consultants et son acceptation ultérieure par le ministère des Travaux publics constituaient un examen et une évaluation de « la proposition » conformes à l’article 12. Selon les conclusions de cette étude, les effets sur l’environnement de la proposition de pont seraient minimes ou pourraient être atténués, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de la soumettre à une commission d’évaluation environnementale. Néanmoins, elle a été soumise à une commission en conformité avec l’article 13 du Décret sur les lignes directrices. Le gouvernement a rejeté les recommandations de la Commission, comme il en a le droit, mais a accepté les critiques relatives aux conclusions qui avaient été tirées quant au retard de la débâcle. Des enquêtes et des études supplémentaires ont été effectuées sur ce sujet et les résultats sont en voie d’être mis en application. Par conséquent, on affirme avoir respecté le Décret sur les lignes directrices.

Il est utile de citer un extrait du contre-interrogatoire du directeur du projet, James Feltham, fait le 18 février 1993, relativement à la position du ministère des Travaux publics :

[traduction] 13. Q. Dans le cadre de la décision prise en vertu de l’article 33 [la réponse du gouvernement aux recommandations de la Commission], y aura-t-il une détermination en conformité avec l’article 12 du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement?

R. Nous n’en avons pas l’intention à ce moment-ci.

14. Q. Vous dites « à ce moment-ci », existe-t-il une circonstance à l’égard de laquelle vous prévoiriez une détermination en vertu de l’article 12?

R. Non, pas à ce moment-ci.

15. Q. Et on a décidé, si je comprends bien, de ne pas soumettre à une commission, conformément aux Lignes directrices visant l’évaluation et l’examen en matière d’environnement, la question des effets que la proposition de pont de SCI pourrait avoir?

R. Non, pas à ce moment-ci.

16. Q. Quand a-t-on décidé de ne pas soumettre cette question ou de ne pas faire une détermination en vertu de l’article 12?

R. Sur la proposition de SCI?

17. Q. Oui.

R. La prise de cette décision est encore à l’étude.

18. Q. Par qui?

R. Par nous et nos conseillers.

19. Q. « Nous », c’est un terme large. Qui est « nous »?

R. Le ministère des Travaux publics.

20. Q. Quels éléments seront pris en compte dans cette décision?

R. Les renseignements fournis par le promoteur, le plan de gestion de l’environnement, les documents connexes qui font partie des exigences du plan de gestion de l’environnement, et l’examen de ces documents par rapport au projet examiné par la Commission.

21. Q. Si je comprends bien, si au terme de ce processus, on s’aperçoit qu’il y a des différences importantes entre les risques qui ont été évalués par la Commission et les risques que comporte la proposition de SCI, il y aura une détermination en conformité avec l’article 12?

R. C’est une supposition, Monsieur, et nous n’en savons rien à ce moment-ci.

Plus loin, on trouve dans le contre-interrogatoire :

… il devait y avoir une détermination en vertu de l’article 12 par laquelle le ministère responsable devait examiner ou évaluer la proposition en question et déterminer à quelle catégorie prévue à l’article 12 elle appartenait.

Me PATTILLO [avocat des ministres intimés] : C’est exact.

39. Me FREIMAN [avocat de la requérante] : Afin de tenter ou de faire une telle détermination, il était nécessaire, pour être en mesure de déterminer si le projet tombait sous le coup de l’alinéa 12e), d’établir des critères, de concert avec Travaux publics Canada, qui définiraient les effets néfastes importants qu’il pourrait avoir sur l’environnement. Je demande à M. Feltham s’il a une copie de ces critères.

LE TÉMOIN : Le Bureau d’examen des évaluations environnementales et nous n’avons pas établi de critères en tant que tels. Un représentant du Bureau a assisté aux réunions de notre comité de gestion du projet en qualité d’observateur et il était bien au courant des études que nous avions commandées en vue d’une détermination en vertu de l’article 12.

Me FREIMAN :

40. Q. Pouvez-vous me dire quand a été faite la détermination en vertu de l’article 12?

R. Au moment de la publication de l’« Évaluation environnementale initiale générique ».

41. Q. Quelle forme a pris cette détermination?

R. Elle a pris la forme de la publication de l’«Évaluation environnementale initiale générique » relative au projet. Je crois que cette publication est datée du 15 mars.

47. Q. Dois-je comprendre que cette lettre constitue en fait la détermination que les effets n’étaient pas importants au sens de l’article 12?

R. La lettre contient l’avis que nous ont donné nos consultants, conformément à leurs instructions, et selon lequel ces effets étaient peu importants, oui. Nous avons fait nôtre cet avis à l’égard de ce projet et publié cette évaluation générique définitive.

48. Q. Pouvez-vous me montrer où vous avez adopté cela?

R. Nous l’avons adopté en rendant public ce document même.

S’opposant à la thèse de M. Feltham, l’avocat de la requérante affirme que l’EEIG n’est pas une détermination faite en vertu de l’article 12 et relative au pont que SCI va construire, et qu’un examen d’un projet de raccordement fixe (pont ou tunnel) au stade conceptuel ne satisfait pas aux exigences du Décret sur les lignes directrices. L’avocat de la requérante soutient qu’une « proposition », pour l’application du Décret sur les lignes directrices, s’entend d’un projet précis et doit comprendre les détails de la conception du pont qu’on envisage de construire. Subsidiairement, il soutient que, si l’étude d’un ouvrage au stade conceptuel constitue une proposition pour l’application du Décret sur les lignes directrices, la conception même qui sera choisie finalement constitue une proposition distincte, quoiqu’elle se rattache à la première, qui doit elle aussi être évaluée en conformité avec l’article 12 du Décret sur les lignes directrices.

S’agissant de ce qui constitue une « proposition » pour l’application de l’article 12, le ministère des Travaux publics définit le terme « proposition » en fonction du mandat qu’il a reçu : « faire une étude de la viabilité d’un raccordement fixe et choisir la solution optimale ». Les intimés font remarquer qu’une définition large est donnée au terme « proposition » à l’article 2 du Décret sur les lignes directrices (« “proposition” [s]’entend en outre de toute entreprise ou activité à l’égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions ») [soulignement ajouté] et que la description de la « proposition » qu’a adoptée le ministère des Travaux publics s’accorde avec cette définition. On affirme que la définition de Travaux publics s’accorde aussi avec l’avertissement contenu à l’article 3 du Décret sur les lignes directrices : « le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l’étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l’égard desquelles il exerce le pouvoir de décision » [soulignement ajouté]. On soutient que la définition large du terme « proposition » adoptée par Travaux publics est compatible avec le paragraphe 5(2) qui dit :

5. …

(2) Pour éviter la situation de double emploi visée au paragraphe (1), le ministère responsable doit se servir du processus d’examen public comme instrument de travail au cours des premières étapes du développement d’une proposition plutôt que comme mécanisme réglementaire … [Non souligné dans le texte original.]

On soutient en outre que les actions de Travaux publics étaient tout à fait logiques; le Ministère a permis aux promoteurs de répondre aux préoccupations environnementales en préparant leur projet au stade conceptuel plutôt que durant l’étape de conception définitive, leur évitant ainsi de se rendre compte, après avoir engagé des sommes importantes, que cette conception était inacceptable pour des raisons touchant à l’environnement[6].

En revanche, l’avocat de la requérante soutient qu’en pratique, la conception d’un projet susceptible d’avoir des effets sur l’environnement doit être évaluée à un stade d’avancement suffisant pour qu’une évaluation complète soit possible. On affirme qu’il ressort du libellé, par exemple, des articles 33 et 34 du Décret sur les lignes directrices, que celles-ci s’appliquent à des propositions précises. L’article 34 expose, parmi les tâches du « promoteur » en cas d’examen public mené par une commission, l’élaboration de l’énoncé des incidences environnementales et la mise en œuvre d’un programme d’information publique. L’alinéa 33(1)a) impose au « ministère responsable » l’obligation de s’assurer que « le promoteur » s’acquitte de ses responsabilités. L’EEIG décrit le processus qui était envisagé au moment de la rédaction du rapport :

L’EEI générique décrit la conception générale de deux alternatives de raccordement permanent : un pont et un tunnel routier. On n’a pas terminé la conception détaillée du projet, mais on a des renseignements sur le genre et l’emplacement des activités requises pour construire un pont ou un tunnel. On a également des renseignements sur l’environnement existant naturel et humain.

Après avoir soumis au marché l’appel d’offres de proposition, on choisit un entrepreneur pour continuer le projet. Cet entrepreneur va préparer l’EEI spécifique qui comprendra tous les renseignements techniques, d’exploitation et d’entretien associés avec chaque activité spécifique du projet. On considère alors que l’entrepreneur choisi est le promoteur et on lui demande d’obtenir l’approbation d’une conception spécifique en matière d’environnement. À ce moment-là, Travaux publics Canada sert de gestionnaire et de surveillant de projet au nom du gouvernement du Canada. [Non souligné dans le texte original.]

Tous s’accordent pour dire qu’il est préférable de cerner les effets sur l’environnement que peut avoir un projet avant que les promoteurs du secteur privé (ou du secteur public, quant à cela) ne dressent les plans définitifs. Il est également souhaitable d’utiliser le processus comme instrument de travail au cours de l’étape de la planification et d’éviter le double emploi. Je ne suis cependant pas convaincue qu’il soit utile de décider si le Décret sur les lignes directrices exige l’évaluation de la proposition au stade conceptuel ou durant une autre étape de conception plus détaillée. Ce qui est exigé peut très bien dépendre du type de projet examiné. Ce qui semble clair, c’est que l’évaluation doit être faite durant une étape où les répercussions environnementales peuvent être examinées (article 3) et où il est possible de déterminer la nature et l’étendue des effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement (paragraphe 10(1)). Au surplus, l’examen ou l’évaluation mené par le ministère responsable doit être réalisé au moment où la proposition à l’étude et la décision s’y rapportant, y compris les motifs qui la fondent, peuvent toutes deux être communiquées au public.

Les articles 15 et 16 du Décret sur les lignes directrices sont ainsi conçus :

15. Le ministère responsable doit s’assurer

a) après qu’une détermination sur les effets d’une proposition a été faite conformément à l’article 12 ou après qu’une proposition a été soumise au Ministre conformément à l’article 13, et

b) avant la mise en application de mesures d’atténuation et d’indemnisation conformément à l’article 14,

que le public a accès à l’information concernant cette proposition conformément à la Loi sur l’accès à l’information.

16. Le ministère responsable, de concert avec le Bureau, établit par écrit les procédures à suivre pour la détermination des effets d’une proposition selon l’article 12 et fournit régulièrement au Bureau des renseignements concernant l’application du processus aux propositions à l’égard desquelles il exerce le pouvoir de décision. [Non souligné dans le texte original.]

Le but visé est de permettre la discussion publique, utile et complète, des impacts environnementaux possibles du projet de construction ou de l’activité.

En l’espèce, l’EEIG n’a pas porté sur toutes les répercussions environnementales possibles. L’EEIG dit expressément que là n’est pas son objet. On y souligne qu’une évaluation des projets précis, une fois qu’ils auront été présentés, doit être entreprise dans le but de vérifier si, de fait, des impacts environnementaux importants découleraient de tout raccordement fixe qui serait construit.

De plus, au moment de la rédaction de l’EEIG, même la proposition de SCI relative au concept de pont ne pouvait être consultée par le public, et encore moins les plans détaillés du pont. La situation était la même quand la Commission a été appelée à réaliser son examen. La Commission a jugé regrettable que ne lui aient pas été fournis des renseignements relatifs à des propositions précises et a fait observer que l’évaluation environnementale d’un projet aussi vaste et aussi complexe que celui-ci devrait être soumise deux fois à une commission; la première au stade conceptuel et la seconde après qu’une proposition aurait été retenue.

Les arguments relatifs aux dispositions selon lesquelles l’évaluation doit être faite au cours des premières étapes et être utilisée comme un instrument de travail au cours de l’étape de la planification, et selon lesquelles il convient d’éviter le double emploi sont des arguments qui eux-mêmes dépendent du sens du terme « proposition ». Ils ne nous amènent pas à conclure qu’il faut donner à ce terme, pour l’application du Décret sur les lignes directrices, l’interprétation large que préconise le ministère des Travaux publics plutôt que la définition plus stricte que la requérante nous exhorte à adopter. En l’espèce, nous revenons sans cesse au fait que, dans l’évaluation spécifique qui, aux dires du ministère des Travaux publics, est conforme aux prescriptions de l’article 12, le lecteur est averti que l’objet de cette évaluation n’est pas de remplir ce rôle et il peut y lire qu’il faudra effectuer une évaluation spécifique de la conception définitive.

Les intimés soutiennent que, si une proposition précise était exigée, il faudrait alors évaluer tout projet, d’abord, au moment où est menée l’étude sur la viabilité du point de vue environnemental, puis à nouveau, comme en l’espèce, au moment où les réponses à l’appel de propositions du 15 mars 1988 ont été reçues, et encore une fois, au moment où les réponses à l’appel de propositions ont été présentées de nouveau, et encore une autre fois, au moment où seront dressés les plans très détaillés de la conception, et enfin, chaque fois qu’une modification serait apportée à la conception. En effet, l’avis de requête de la requérante présente une certaine ambivalence car il demande à la fois une ordonnance de mandamus obligeant le ministre des Travaux publics intimé à prendre une décision en vertu de l’article 12 relativement à l’appel de propositions et relativement à la proposition de SCI. Je considère que ce sont des conclusions principale et subsidiaire.

L’argument qui veut que les évaluations prévues à l’article 12 soient exigées à chaque étape du processus n’est pas convaincant. Il se peut bien qu’il soit commode de faire des évaluations et réévaluations continuelles, mais cela ne répond pas à l’objection que l’article 12 exige qu’une proposition soit évaluée au moment où elle est présentée sous une forme qui permet l’examen approfondi de ses impacts environnementaux.

L’avocat de l’Île-du-Prince-Édouard dit que, peu importe le terme employé pour le désigner, un processus d’évaluation de facto, conforme à l’article 12, est en cours depuis mars 1987. Il soutient qu’une détermination de facto a été faite en conformité avec l’article 12 au moment où le ministère des Travaux publics a accepté le rapport EEIG des consultants. Il affirme que le rapport recommandait que sa conclusion soit confirmée après que le promoteur aurait été choisi et que c’est ce qui se produit effectivement. Il soutient, subsidiairement, que le ministère des Travaux publics a fait une détermination conformément à l’article 12 en septembre 1988, quand trois propositions ont été sélectionnées parmi les sept présentées.

L’avocat de SCI souligne que le processus d’examen et d’évaluation décrit aux articles 3, 10 et 12 du Décret sur les lignes directrices est une méthode d’auto-évaluation; le décret n’établit pas de norme ou de définition des critères selon lesquels sont déterminées la nature et l’étendue des effets importants, minimes, pouvant être atténués, inconnus ou inacceptables; le ministère responsable exerce un large pouvoir d’appréciation en ce qui a trait aux détails du processus de planification indiqué pour une proposition donnée; les exigences imposées au ministère responsable sur le plan des procédures sont peu nombreuses. L’avocat affirme que, si une détermination n’a pas été faite, conformément à l’alinéa 12c), en mars 1988, alors elle l’a été le 30 septembre 1988, au moment où le ministre des Travaux publics a annoncé que trois promoteurs avaient été choisis et qu’ils satisfaisaient aux exigences environnementales de l’EEIG et de l’appel de propositions.

Au début, j’ai trouvé ces arguments très intéressants. On est frappé par la quantité de documents qui ont été préparés et produits, et qui semble indiquer qu’un nombre considérable d’études ont été effectuées. Toutefois, réflexion faite, j’ai de la difficulté à assimiler à une détermination de facto, faite conformément à l’article 12, les activités qui ont été exercées, dont les diverses décisions du ministre des Travaux publics de donner suite au projet, ainsi que la discussion publique du plan de gestion de l’environnement de SCI. Cette conclusion repose sur une raison péremptoire, savoir le fait que le ministère des Travaux publics lui-même n’a pas cherché à qualifier ainsi l’activité en cours. Il ressort nettement du contre-interrogatoire de M. Feltham que la position du Ministère est que l’évaluation conforme à l’article 12 a été effectuée quand l’EEIG a été publiée et que le Ministère n’avait pas, et n’a toujours pas, l’intention d’effectuer, dans un avenir prévisible, une évaluation de la proposition précise de SCI, conformément à l’article 12.

L’avocat n’a cessé de faire valoir que la proposition relative au concept de pont que SCI a soumise au printemps de 1988, puis présentée de nouveau en août de la même année, était en fait le projet de construction d’un pont qui avait fait l’objet de l’EEIG et qui avait ensuite été examiné par la commission en 1989 et 1990. S’il en est ainsi, les réserves touchant le manque de données précises, qui ont été exprimées dans ces rapports, s’imposent aussi en ce qui concerne l’étude de cette proposition. Toutes les évaluations qui ont été faites depuis l’EEIG semblent avoir porté sur cette proposition au stade conceptuel.

Quant au plan de gestion de l’environnement dressé récemment et au fait que le public y a eu accès et a pu donner ses commentaires à ce sujet, le plan dit textuellement qu’il a pour objet le concept de pont. M. Pirie a témoigné que le niveau de détail y était comparable à celui de l’EEIG. On peut donner une autre raison pour ne pas considérer le plan de gestion de l’environnement comme un élément d’une évaluation de facto faite conformément à l’article 12 : ce plan vise des méthodes et des techniques d’atténuation et non une évaluation et une classification des risques environnementaux qui peuvent découler du projet. Le plan de gestion porte sur des méthodes d’atténuation et inclut la collecte de données environnementales permettant d’atteindre cet objectif. Il n’évalue pas ni ne classifie les impacts environnementaux possibles du projet de pont de SCI.

Quant à l’argument selon lequel l’étude faite par la commission, ses délibérations et son rapport rendaient inutile l’évaluation environnementale spécifique qui avait d’abord été envisagée, je ne peux pas arriver à cette conclusion. Les audiences publiques concernant une proposition au stade conceptuel ne sauraient remplacer une évaluation spécifique du projet précis dont la réalisation est prévue. Si des propositions précises avaient été soumises à la commission, la solution pourrait être différente. Il est particulièrement alarmant de constater, en l’espèce, qu’un concept a été soumis à une commission au moment où le gouvernement disposait, au sujet des trois propositions relatives au concept de pont qui étaient étudiées, d’une information qui était plus précise, mais qu’il n’a pas fournie. L’examen réalisé par la commission a pris beaucoup de temps et nécessité l’engagement de fonds publics importants. (On a estimé qu’environ 20 millions de dollars au total ont été dépensés pour les études environnementales et les procédures reliées au projet.) Beaucoup d’efforts ont dû y être consacrés par les membres de la commission et par ceux qui ont comparu devant elle. Il semble qu’il serait purement et simplement stupide et que cela serait un gaspillage incroyable des fonds publics et une perte de temps de constater, en fin de compte, que si le gouvernement a repoussé les recommandations de la commission, c’est notamment parce que celle-ci ne disposait pas de l’information détaillée qui était en possession du gouvernement et que celui-ci avait refusé de lui communiquer. Pareil résultat aurait pu être évité si la proposition avait été soumise à une commission à une étape ultérieure du processus, au moment où le promoteur moins-disant a été choisi et les plans détaillés du pont pouvaient être rendus publics.

Je ne peux pas conclure que le ministère des Travaux publics, en tant que ministère responsable, a réalisé une évaluation de la proposition de pont de SCI conformément à l’article 12 du Décret sur les lignes directrices.

Facteurs à considérer relatifs à la question constitutionnelle

La disposition des Conditions de l’adhésion qui est en litige est ainsi conçue :

Que le gouvernement du Canada se chargera des dépenses occasionnées par les services suivants :

Un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles et passagers, qui sera établi et maintenu entre l’Île et les côtes du Canada, l’été et l’hiver, assurant ainsi une communication continue entre l’Île et le chemin de fer Intercolonial, ainsi qu’avec le réseau des chemins de fer du Canada;

L’argument de l’avocat de la requérante est simple : un pont n’est pas un « service convenable de bateaux à vapeur » (Steam Service)[7]. L’abandon du service de traversiers entre Cape Tormentine et Borden serait une violation des Conditions de l’adhésion.

Les Conditions de l’adhésion des diverses provinces au Canada font partie de la Constitution et créent des obligations constitutionnelles. Cela est maintenant reconnu dans la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]]; voir le paragraphe 52(1) et l’alinéa 52(2)b), ainsi que le numéro 6 à l’annexe de cette Loi. L’Île-du-Prince-Édouard a adhéré à la Confédération conformément à un arrêté en conseil du Royaume-Uni énonçant les conditions (les Conditions de l’adhésion). Cet arrêté est assimilé à une loi du Royaume-Uni en vertu de l’article 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.)] (maintenant la Loi constitutionnelle de 1982). Ainsi, avant 1982, il n’aurait pu être modifié que par une loi du Royaume-Uni.

Bien que la disposition en litige figure dans une énumération[8], qui transfère au gouvernement fédéral la charge de certaines dépenses qui étaient supportées alors par le gouvernement provincial, on a reconnu qu’elle présentait un caractère distinct en comparaison de la plupart des autres. Cela provient du fait que le gouvernement fédéral a l’obligation non seulement de se charger de toutes les dépenses, mais encore d’établir et de maintenir un service convenable de bateaux à vapeur entre l’Île et le continent[9]. Cela ressort clairement de l’historique de l’adoption de cette obligation par le gouvernement fédéral, y compris de son manquement initial à celle-ci.

L’avocat de l’Île-du-Prince-Édouard a déposé une relation très intéressante de ces événements. On la trouve dans un ouvrage de Mary K. Cullen, Canada’s Smallest Province : A History of P.E.I., John Deyell Company, 1973, chapitre 10, « The Transportation Issue, 1873-1973 ». Voici les premiers paragraphes [aux pages 232 et 233] :

[traduction] L’insularité et le sens de l’identité distincte qui ressortent si nettement de l’opposition prolongée de l’Île-du-Prince-Édouard à la Confédération ont été influencés principalement par le détroit de Northumberland. Isolant l’Île par des masses de glace flottante durant presque cinq mois chaque année, le détroit a été l’un des motifs pour lesquels un territoire aussi petit a été constitué en colonie britannique distincte en 1769. Jusqu’en 1827, la seule liaison de l’Île en hiver avec le monde extérieur a été un courrier assurant le service bimensuel entre Wood Islands et Pictou. Par la suite, une communication hebdomadaire en hiver a été établie entre Cape Traverse et Cape Tormentine par des courriers et des embarcations conçues pour être tirées sur la glace. Durant les années 1860, des bateaux à vapeur privés faisaient des voyages bihebdomadaires pendant l’été à destination de plusieurs ports importants sur le continent, mais ce service intercolonial fréquent n’avait pas permis de surmonter le handicap particulier que représentait l’hiver pour l’Île. L’Île-du-Prince-Édouard s’est opposée à la loi tendant à unir les colonies Maritimes parce qu’elle refusait que ses représentants siègent dans une assemblée éloignée et lèvent des impôts pour des travaux publics dont l’Île, étant donné son insularité, profiterait peu. De même, la croyance que l’isolement en hiver limiterait nombre des avantages de la confédération a joué un rôle dans la décision des îliens de ne pas se joindre au Canada en 1867.

Quand les délégués du premier Cabinet canadien ont visité Charlottetown en août 1869, pour offrir des « conditions plus avantageuses », le gouvernement de l’Île a fait valoir que l’absence de communications en hiver était l’un de ses derniers motifs d’opposition à l’union. Le premier ministre R. P. Haythorne a expliqué l’inconvénient auquel les îliens devaient faire face « à cause de l’absence de moyens de communication » et fait remarquer que cet obstacle à l’union pourrait être franchi si la navigation était possible durant l’hiver entre l’Île et le continent. George Étienne Cartier, l’un des négociateurs du Canada, a estimé que des bateaux à vapeur solides pouvaient être construits, permettant la communication à longueur d’année. Dans un effort pour inciter les îliens à adhérer à la Confédération, la délégation fédérale a promis que le Canada se chargerait de toutes les dépenses relatives à « un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles et passagers, qui sera établi et maintenu entre l’Île et les côtes du Canada, l’été et l’hiver, assurant ainsi une communication continue entre l’Île et le chemin de fer Intercolonial, ainsi qu’avec le réseau des chemins de fer du Canada ». Les « conditions plus avantageuses » de 1869 ont été repoussées parce que le gouvernement du Canada ne s’est pas engagé en outre à régler la question des terrains de manière jugée satisfaisante par l’Île, mais l’élément essentiel des communications a été inscrit à l’ordre du jour des négociations futures. En 1873, quand l’Île, qui était dans la gêne à cause des dettes des chemins de fer, a demandé d’adhérer au Canada, la promesse relative aux communications a été insérée dans les Conditions de l’adhésion.

Les dirigeants de l’Île-du-Prince-Édouard ont tenu cette dernière garantie pour une condition sine qua non de l’entente visant son adhésion. Ils ont toujours maintenu que l’un des motifs principaux justifiant la renonciation à leurs recettes et à leur Constitution résidait dans la clause des Conditions de l’adhésion qui portait sur un service de transport convenable et continu. Ce n’était pas une simple question de privilège régional mais un droit constitutionnel. À mesure que la transformation de l’économie de l’Île augmentait l’importance d’une liaison entre elle et le continent, les îliens interprétaient leur « droit » avec une imagination fertile. L’expression « transportant les malles et passagers » a été interprétée comme englobant le transport de tous les genres de denrées et de biens. Selon leur interprétation, la communication « continue » s’entendait de communication quotidienne et « convenable » s’entendait des « meilleurs moyens de communication existants ». Finalement, on a attaché beaucoup d’importance à l’expression « steam service » (version anglaise) par contraste avec « steam navigation » et les gouvernements de l’Île qui se sont succédé ont soutenu que si la communication ne pouvait pas être assurée au moyen de bateaux, elle devait l’être d’une autre manière—soit au moyen de ballons au-dessus du détroit de Northumberland, soit au moyen d’un tunnel.

Pendant plusieurs années, le gouvernement fédéral n’a pas respecté les exigences minimales contenues dans la clause relative aux communications et, en aucun moment, il n’a interprété la garantie d’une manière aussi large que les îliens. Les efforts des îliens pour faire respecter leur droit et pour assurer un service dont le besoin sur le plan économique allait croissant représentent un sujet dominant des rapports entre la province et le gouvernement canadien. Près de cinquante années de persistance ont été récompensées en 1917, quand un service de bacs ferroviaire a été établi, l’interruption des communications en hiver a presque disparu et l’Île-du-Prince-Édouard a commencé à faire partie intégrante du réseau de chemins de fer transcontinental au Canada. [Renvois omis.]

L’avocat des intimés soutient que les Conditions de l’adhésion, étant un document constitutionnel, doivent être interprétées selon le principe de l’interprétation évolutive. Cette théorie est étudiée par Hogg, dans son ouvrage Constitutional Law of Canada[10].Son analyse porte sur l’interprétation des champs de compétence législative du Parlement et des assemblées législatives. Hogg souligne que le sens de ces catégories ne doit pas être interprété comme il l’était en 1867. Par exemple, l’expression « entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces » a été interprétée comme s’étendant aux réseaux de téléphone interprovinciaux, bien que le téléphone n’ait pas existé en 1867. Le professeur Hogg dit : [traduction] « il faut donner aux mots employés dans la Loi une « interprétation évolutive », de sorte qu’ils s’adaptent continuellement aux nouvelles situations et aux nouvelles idées ». L’interprétation évolutive a été adoptée dans des contextes constitutionnels autres que ceux touchant le partage des compétences. Voir, par exemple, Procureur général du Québec c. Blaikie et autres, [1979] 2 R.C.S. 1016 et Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714. L’arrêt Blaikie porte sur les garanties des droits linguistiques inscrites dans la Constitution et l’arrêt relatif à la Loi sur la location résidentielle concerne la compétence législative pour créer des tribunaux administratifs sans déroger au pouvoir conféré par l’article 96 au gouverneur général en conseil de nommer les juges des cours supérieures. La théorie a été aussi jugée applicable à l’interprétation de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U). [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

La doctrine de l’interprétation évolutive repose sur l’idée que la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], encore qu’elle soit indéniablement une loi, n’est pas une loi ordinaire; c’est une loi fondamentale ou organique, qui détermine la forme du gouvernement d’un pays pour longtemps. Une interprétation inflexible, enracinée dans le passé, n’aurait pour effet que de priver le Parlement ou les législatures de pouvoirs nécessaires[11].

Par conséquent, on me demande de tenir compte de l’objet de l’obligation concernant le service convenable de bateaux à vapeur et de constater que cet objet est d’assurer la liaison continue entre l’Île et le continent. On affirme qu’un pont est un moyen plus convenable à cet égard, de nos jours, qu’un service de traversiers. On fait également observer que l’obligation est énoncée en termes vagues et gauches, et qu’elle a déjà été l’objet d’une interprétation évolutive.

Quant à la rédaction gauche, la version anglaise ne contient pas le mot « traversiers », quoique, je le répète, la version française qui remonte à la même époque comprenne les mots « bateaux à vapeur ». On a affirmé que l’expression « steam service » pouvait se rapporter aux chemins de fer autant qu’à un service de traversiers. En outre, un service de traversiers n’assure pas une communication continue. Un tel service est par nature intermittent. On soutient qu’un pont non seulement est plus convenable qu’un service de traversiers mais encore plus propre à assurer une communication continue.

Pour ce qui est de l’interprétation évolutive de l’obligation qui s’est déjà fait jour[12] : l’obligation a été interprétée comme exigeant le transport de véhicules à moteur (et non seulement de passagers sans leur véhicule) même si les automobiles étaient inconnues en 1873; pendant nombre d’années, le service de traversiers n’a pas été assuré par des « bateaux à vapeur », mais par des diesels; pour déterminer ce qui est « convenable », on ne se reporte pas à ce qui était tenu pour convenable en 1873, mais à ce qui serait considéré comme tel aujourd’hui.

De plus, il ressort clairement des antécédents législatifs, en particulier des débats de l’assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard avant son adhésion à la Confédération, que les îliens se préoccupaient d’une liaison continue avec le continent. Rien n’indique que les techniques de construction des ponts aient rendu cette option viable à cette époque, mais plus tard, en 1885, un sénateur de l’Île a proposé le creusage d’un tunnel et le projet a été jugé faisable du point de vue de la technologie, bien qu’il ne semble pas avoir été envisagé sérieusement par le gouvernement fédéral.

Les mots et les locutions sont par nature imprécis. Il incombe aux tribunaux d’interpréter le champ sémantique des locutions employées par le législateur et par le rédacteur de la Constitution. Les arguments avancés en l’espèce portent sur les limites légitimes de l’interprétation des textes constitutionnels par les tribunaux. En effet, c’est l’éternelle question qui se pose : quand le tribunal cesse-t-il d’être l’interprète de la loi pour faire œuvre de législateur? D’aucuns affirment que toute interprétation emporte une action législative. En un sens, cela est vrai mais les lois ne sauraient être efficaces sans une telle interprétation.

Il n’y a pas de doute qu’il convient de donner une interprétation dynamique aux documents constitutionnels conformément à la « doctrine de l’arbre » énoncée par lord Sankey[13]. Voir les observations du juge Dickson [tel était alors son titre] dans l’arrêt Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714, aux pages 723, 749 et 750. Interpréter l’expression « service convenable de bateaux à vapeur » comme s’entendant de bateaux à moteur diesel, interpréter l’obligation de transporter les passagers comme incluant celle de transporter en plus leur véhicule et interpréter le mot « convenable » suivant les normes contemporaines plutôt que celles de 1873, ce sont là toutes des applications légitimes de la méthode évolutive d’interprétation de la Constitution. Ce qu’on me demande de faire est toutefois de nature différente. On ne me demande pas d’interpréter les mots selon le but de la disposition. On me demande de prendre le but de la disposition (communication continue avec le continent) et d’en faire la locution clef, centrale. Je ne suis pas convaincue que cela soit indiqué. Quand on donne une interprétation évolutive à la Constitution, on doit tout de même s’en tenir au texte. Les mots employés doivent être susceptibles d’être interprétés de la manière choisie.

À cet égard, la décision du juge en chef Iacobucci, au nom de la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire Île-du-Prince-Édouard (Ministre des Transports et des Travaux publics) c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 1 C.F. 129, aux pages 135 à 140, est très pertinente. Cette affaire concernait l’argument que la disposition des Conditions de l’adhésion en cause obligeait le gouvernement fédéral à maintenir le service ferroviaire à l’intérieur de l’Île-du-Prince-Édouard. Certes, ce n’est pas le même aspect de la disposition qui est en cause en l’espèce, mais la méthode suivie dans l’interprétation de la disposition est très pertinente, voire déterminante :

Plus particulièrement, l’appelant fait valoir que les deux conditions de l’adhésion relatives aux chemins de fer (soulignées dans l’extrait précité) doivent s’interpréter compte tenu du fait que même si elles font partie de la Constitution, les Conditions de l’adhésion donnent effet à une entente conclue entre différentes colonies. L’avocat de l’appelant souligne alors que les Conditions n’ont pas été bien rédigées, qu’elle sont extrêmement brèves (l’avocat de l’appelant dit que les Conditions sont [traduction] « moins bien rédigées que celles que l’on trouve, par exemple, dans un contrat de location de voiture ». Voir l’exposé des points d’argument de l’appelant, para. 37), mal agencées et semblent refléter l’intention des rédacteurs de s’inspirer des Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique [L.R.C. (1985), appendice II, no 10] établies deux ans plus tôt. Compte tenu de tout cela, l’appelant soutient que l’on ne peut considérer que le libellé des Conditions de l’adhésion exprime véritablement et dans sa totalité l’entente que les rédacteurs ont alors voulu conclure. Il faut donc s’efforcer d’établir les conditions implicites de l’accord, y compris toutes conditions nécessaires pour donner à l’accord l’efficacité que les parties devaient raisonnablement souhaiter.

À mon avis, ce que soutient l’appelant en réalité, c’est que les Conditions de l’adhésion ne sont pas claires à première vue, comme le démontrent ce qu’il appelle leur mauvaise rédaction, leur brièveté, leur mauvais agencement et ainsi de suite. Pour dissiper le doute, il faut découvrir une entente implicite à même les circonstances à l’époque et le comportement des parties depuis l’adoption des Conditions de l’adhésion. Je trouve cette approche plutôt dangereuse car elle peut facilement mener à une nouvelle rédaction des Conditions, voire à un réaménagement qui en fausserait les termes au profit de l’une des parties. Mais, essentiellement, je juge erronée l’approche de l’appelant parce que ce qui importe sûrement le plus, c’est le sens à donner aux mots choisis par les parties dans les Conditions de l’adhésion.

À cet égard, je n’estime pas que les mots choisis sont mal exprimés ou laissent par ailleurs à désirer. De fait, je crois que le sens et l’intention des Conditions pertinentes de l’adhésion sont clairs et que ces dernières expriment l’accord qu’envisageaient les parties. En d’autres termes, point n’est besoin de recourir aux règles d’interprétation des lois, aux éléments de preuve extrinsèques ou aux antécédents législatifs lorsque le libellé à l’étude est clair.

Cette Cour a jugé dans l’arrêt R. (Île-du-Prince-Édouard) c. R. (Canada) ([1976] 2 C.F. 712 (C.A.)) que cette clause des Conditions de l’adhésion créait en faveur de la province l’obligation d’exploiter de façon continue un service de bacs—été comme hiver—entre l’Île-du-Prince-Édouard et le continent.

Aussi le service de bacs, par les mots « Un service convenable de bateaux à vapeur », ne peut désigner qu’un « navire » selon le sens normalement donné à de tels mots. (Comparer avec les Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, L.R.C. (1985), appendice II, no 10, art. 4, dont voici le libellé :

4. Le Canada établira un service postal effectif semi-mensuel, au moyen de bateaux à vapeur entre Victoria et San Francisco, et bi-hebdomadaire entre Victoria et Olympia; les bateaux à vapeur devant être adaptés au transport du fret et des passagers.)

De plus, il est aussi clair que l’obligation relative au service de bacs ne mentionne que le courrier et les passagers et non le fret, car si on avait voulu comprendre celui-ci, il aurait été bien facile d’inclure le mot, comme on l’a fait dans les Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique. (Voir plus haut, note 12.) Enfin, l’adjectif « continue » ne vise que la traversée du détroit de Northumberland l’été et l’hiver et ne fait pas allusion à une ligne de chemin de fer continue existant sur l’Île, sur le bac et à sa sortie, et ensuite sur le continent. À mon sens, « continue » a un sens saisonnier et temporel plutôt qu’une signification matérielle.

Je conclus par conséquent que la décision et l’arrêté de l’Office n’étaient pas contraires aux Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard et donc qu’ils relevaient de la compétence de l’Office. En tirant cette conclusion, je m’appuie sur le sens clair du libellé des Conditions de l’adhésion. Je reconnais que selon la décision du Conseil Privé dans l’affaire Edwards, Henrietta Muir v. Attorney-General for Canada, les tribunaux doivent donner à la constitution une interprétation

[traduction] … large, libérale et de grande portée compte tenu de l’ampleur des sujets dont elle prétend traiter en peu de mots » ([1930] A.C. 124 (P.C.), à la p. 137, motifs de lord Sankey).

Cependant, lord Sankey a dit aussi :

[traduction]la question n’est pas ce que l’on peut supposer que l’on avait en vue, mais ce que l’on a dit (ibid.)

Je trouve que la mise en garde de lord Sankey répond particulièrement bien aux arguments de l’avocat de l’appelant. (Lorsque je m’appuie sur le sens clair du libellé des Conditions de l’adhésion, je ne veux pas laisser entendre que je suis d’accord avec les arguments de l’avocat de l’appelant relativement aux règles d’interprétation, aux éléments de preuve extrinsèques et aux antécédents historiques. En effet, les avocats du CN et du procureur général ont opposé en réponse d’impressionnants arguments, mais je n’ai pas jugé nécessaire d’en traiter en détail en raison de la clarté du libellé des Conditions de l’adhésion.) [Non souligné dans le texte original.]

À mon avis, les mots « service convenable de bateaux à vapeur » ne sont simplement pas susceptibles d’être interprétés comme s’entendant d’un pont. Conclure le contraire serait s’attribuer un rôle qui revient légitimement au législateur, non aux tribunaux.

La requérante en l’espèce dit que le projet de pont porte atteinte aux Conditions de l’adhésion non seulement en remplaçant le service de traversiers par un pont mais encore en substituant un service privé à une obligation d’assurer un service public ou étatique. En outre, on soutient que les Conditions de l’adhésion disent expressément que le gouvernement fédéral « se chargera des dépenses occasionnées » par le service. On prévoit que SCI fera payer des droits à ceux qui emprunteront le pont. À ce propos, on a toujours demandé des droits, du moins à notre époque, à ceux qui montent à bord des traversiers. Je ne pense pas avoir besoin d’étudier ces deux derniers arguments, étant donné que j’ai conclu que l’abandon du service de traversiers nécessite une modification constitutionnelle. Les deux arguments supplémentaires étayent cependant la conclusion selon laquelle il convient d’apporter le changement envisagé au moyen d’une modification constitutionnelle plutôt que par la voie de l’interprétation judiciaire.

Il n’est pas difficile de modifier les Conditions de l’adhésion en ce qui a trait à la disposition en cause. L’obligation constitutionnelle ne touche que l’Île-du-Prince-Édouard et le gouvernement fédéral. Par conséquent, elle peut être modifiée en conformité avec l’article 43 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il suffit d’une résolution de l’assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard et d’une résolution de la Chambre des communes et du Sénat. Le gouverneur général peut alors proclamer la modification. Cette procédure est beaucoup plus simple que celle qui s’applique aux modifications des sphères de compétence législative ou à une modification concernant l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

La requérante soutient que les actions projetées des gouvernements respectifs en vertu de l’entente fédérale-provinciale et du gouvernement fédéral (par l’entremise du ministre des Travaux publics), qui veut conclure des accords avec SCI en vue de la construction et de l’exploitation du pont, violent non seulement les dispositions des Conditions de l’adhésion exigeant l’établissement et le maintien d’un service convenable de bateaux à vapeur entre l’Île et le continent, mais encore la disposition relative à la protection des pêcheries. Ces arguments reposent sur une interprétation de la disposition pertinente des Conditions de l’adhésion qui interdirait au gouvernement fédéral de prendre toute mesure ou d’accomplir toute action qui aurait des répercussions néfastes sur les pêcheries, soit en construisant des ports ou des quais ou même en exploitant un service de traversiers. Je pense que, de toute évidence, l’obligation imposée au gouvernement fédéral relativement aux pêcheries consiste à supporter tous les frais découlant de la fourniture de services publics destinés à protéger les pêcheries. Contrairement à la disposition relative au service convenable de bateaux à vapeur, elle n’impose aucune obligation positive au gouvernement fédéral. Cela ressort clairement de l’arrêt R. (Canada) c. La Reine (Î.P.É), [1978] 1 C.F. 533 (C.A.), dans lequel le juge en chef Jackett a dit ceci, à la page 566 :

Cependant certains objets paraissent prévoir que le gouvernement fédéral « assumera la responsabilité » et « supportera tous les frais » de certains services (c.-à-d. des divisions de la fonction publique) jusqu’alors administrés par la colonie—par ex. l’« administration des douanes », « Le service postal », « La protection des pêcheries », « la milice », « L’exploration géologique », et « Le pénitencier ». À mon avis l’objet en question—« Un service convenable de bateaux à vapeur » est de nature différente de ces deux catégories d’objet. Il se rapporte à un service « qui sera établi et maintenu l’été et l’hiver ». Il a effectivement trait à un service, mais il ne prévoit pas que la simple appropriation des opérations jusqu’alors conduites par la colonie doit être intégrée dans les services nationaux respectifs; il constitue plutôt une exigence suivant laquelle un service alors inexistant doit être « établi » et « maintenu » par la suite.

Je suis donc d’avis que l’objet en question diffère en nature des autres objets de l’alinéa (l’objet « communications télégraphiques » possiblement excepté). Il ne s’agit pas d’une répétition pour plus de certitude de ce que l’entrée de la province dans la Confédération entraînera, aux mêmes conditions applicables aux autres provinces, ni de la prise en charge du personnel et des facilités antérieurement administrés par la colonie. [Non souligné dans le texte original.]

Certes, je ne puis convenir que la construction projetée du pont entraînera un manquement à l’obligation du gouvernement fédéral de se charger des frais relatifs à la protection des pêcheries, mais je suis persuadée que l’abandon du service de traversiers porterait atteinte aux Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard à la Confédération, qui sont inscrites dans la Constitution.

Qualité pour agir

Les intimés soutiennent que la requérante n’a pas la qualité pour agir dans la présente espèce. Ils affirment ce qui suit : premièrement, la requérante ne satisfait pas aux critères relatifs à la qualité pour agir énoncés dans les arrêts Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575 et Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607, deuxièmement, même si la requérante satisfaisait aux critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public énoncés dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay, le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], modifiée par L.C. 1990, ch. 8, article 5, exige un intérêt plus précis et particulier, et la requérante ne l’a pas; troisièmement, en ce qui concerne la question constitutionnelle, c’est le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard qui est le créancier de l’obligation prévue aux Conditions de l’adhésion, ce ne sont pas des individus, et seule la province peut ester en justice pour la faire respecter.

Les arrêts Thorson, Borowski et Finlay et Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265 établissent qu’un groupe d’intérêt public se voit reconnaître la qualité pour contester l’exercice de pouvoirs administratifs s’il remplit les conditions suivantes : il soulève une question sérieuse à trancher; il fait la preuve d’un intérêt véritable à titre de citoyen; il n’existe pas d’autre moyen raisonnable et efficace de soumettre la question au tribunal. Les intimés soutiennent que la société requérante n’a pas établi l’intérêt requis parce qu’elle n’a pas déposé de document exposant l’objet pour lequel elle a été constituée ou son intérêt. Les intérêts de ses membres ou actionnaires ne sauraient être assimilés à ceux de la requérante. On cite l’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236.

Les membres de la société requérante sont des agriculteurs, des pêcheurs, des employés des traversiers et des écologistes résidents de l’Île-du-Prince-Édouard. Une preuve abondante montre leur intérêt individuel. À mon avis, selon mon interprétation des documents produits, il a été également établi que les objets de la société requérante comprennent, entre autres, des activités visant à faire obstacle à la construction du pont, voire se réduisent à de telles activités. À mon sens, la requérante a prouvé qu’elle a un intérêt suffisant selon les critères exposés dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay.

L’avocat de SCI soutient que, peu importe la nature de la qualité pour agir dans l’intérêt public définie dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay, quand le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale a été modifié par L.C. 1990, ch. 8, le législateur a choisi d’accorder la qualité pour agir seulement aux personnes « directement touchées par l’objet de la demande »[14]. Il affirme que le sens des mots « directement touché » est très bien défini, depuis longtemps, en common law. Ils ont été interprétés comme s’entendant de quiconque a un intérêt spécial ou particulier, distinct de celui qu’a le grand public. Il soutient que, lorsque le paragrae 18.1(1) a été modifié, l’interprétation qui avait été donnée à ce texte était connue et que le législateur avait donc nettement l’intention de restreindre la qualité pour agir dans l’intérêt public en adoptant le paragraphe 18.1(1). Il reconnaît que cette restriction est incompatible avec la tendance du droit manifestée dans les arrêts Thorson, Borowski et Finlay. Toutefois, il affirme qu’il ressort clairement du libellé du texte de loi que le législateur voulait désavouer ou limiter ces arrêts, en ce qui a trait au paragraphe 18.1(1). Il fait remarquer que, d’ordinaire, le texte de loi accorde la qualité pour agir dans l’intérêt public à la personne qui a un « intérêt véritable ».

Je ne suis pas convaincue qu’il convienne d’appliquer l’interprétation que l’avocat préconise à l’égard du paragraphe 18.1(1). Avant que la Loi sur la Cour fédérale ne soit modifiée[15], le paragraphe 28(2) de cette Loi disposait que « toute partie directement intéressée » pouvait présenter une demande de révision judiciaire :

28. …

(2) Le procureur général du Canada ou toute partie directement intéressée par la décision ou l’ordonnance peut présenter la demande visée au paragraphe (1) en déposant à la Cour un avis en ce sens dans les dix jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de la décision ou ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire que la Cour d’appel ou un de ses juges peut, avant ou après l’expiration de ces dix jours, fixer ou accorder. [Non souligné dans le texte original.]

Dans son ouvrage Locus Standi : A Commentary on the Law of Standing in Canada, Carswell, Toronto, 1986, aux pages 163 et 164, Thomas A. Cromwell fait les observations qui suivent au sujet de cette disposition :

[traduction] (B) Qui est une partie « directement intéressée » au sens du paragraphe 28(2)? L’application de ce critère de la qualité pour agir oblige la Cour à combler un vide sémantique comme celui devant lequel se trouve le tribunal qui doit décider qui a un « intérêt », qui subit un « dommage particulier » ou qui est une « personne lésée ». Comme on pouvait s’y attendre, bien qu’un nombre peu élevé de précédents portent sur l’interprétation de cet aspect du par. 28(2), ils sont difficiles à concilier. Par exemple, dans l’arrêt John Graham [(1975), 68 D.L.R. (3d) 110 (C.A.F.)], la Cour a jugé que la société appelante avait qualité pour contester, en vertu de l’art. 28, une décision du C.R.T.C. approuvant le transfert de la majorité des actions d’une société dont elle était une actionnaire minoritaire parce que cette décision pouvait influer sur la valeur de ses actions et sur les gains en découlant. Certes, la Cour a tenu cela pour un « effet direct », mais il semble aussi qu’on puisse soutenir que l’effet était « indirect » car ce n’était pas le transfert lui-même, mais la modification de la valeur et des gains par la suite qui toucherait la requérante. La comparaison avec l’arrêt Le Syndicat canadien des télécommunications [(1981), 41 N.R. 243 (C.A.F.)] ne permet pas de sortir du dilemme qui oppose effet direct et effet indirect. Dans cette affaire, la Cour a décidé qu’un syndicat n’avait pas qualité pour demander l’examen judiciaire d’une décision du Conseil canadien des relations du travail accréditant un syndicat concurrent comme agent négociateur d’un certain groupe d’employés. Le syndicat requérant a soutenu qu’en raison de la décision du Conseil, conjuguée à la création d’une nouvelle association d’employeurs, le concurrent était mieux placé pour contester le droit de représentation, par le requérant, d’un groupe d’employés de la nouvelle association. La Cour a fait observer que le requérant s’était vu refuser la qualité d’intervenant par le Conseil et a conclu qu’il n’était touché qu’indirectement par la décision du Conseil. Sa volonté de protéger sa position par rapport au syndicat concurrent n’était pas suffisante pour lui donner la qualité pour agir en vertu de l’art. 28. Ce qui fait que cet effet est indirect, alors que l’intérêt dans l’arrêt John Graham était direct, ne coule pas de source. La distinction semble être une différence de degré plutôt que de nature.

Le juge LeDain a exprimé un point de vue intéressant sur la question de la qualité pour agir en vertu de l’art. 28(2) dans l’arrêt Syndicat canadien des télécommunications. À son avis, la question de savoir si la décision du Conseil touchait directement le requérant

comporte … une détermination quant à savoir si cette décision a directement affecté un intérêt que la Cour devrait reconnaître comme suffisant pour que soit reconnue la qualité pour agir. La reconnaissance de la qualité pour agir, du moins dans les cas où l’intérêt sur lequel elle se fonde ne peut être clairement défini en termes d’obligations ou de droits légaux, est une question relevant de la discrétion judiciaire.

Étant donné ce contexte, je ne peux pas conclure que, lorsque le législateur a modifié la Loi sur la Cour fédérale afin de supprimer certaines des difficultés qu’avait suscitées le partage des compétences antérieur entre la Section de première instance et la Section d’appel (établi aux articles 18 et 28), il a voulu limiter la révision judiciaire en vertu du paragraphe 18.1(1) au critère défini avant les arrêts Thorson, Borowski et Finlay. Je suis d’avis que le libellé du paragraphe 18.1(1) attribue à la Cour le pouvoir discrétionnaire de reconnaître la qualité pour agir quand elle est convaincue que les circonstances particulières de l’espèce et le type d’intérêt qu’a le requérant justifient cette reconnaissance. (À supposer bien sûr qu’il y ait une question réglable par les voies de justice et qu’il n’existe aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question aux tribunaux.) En l’espèce, la requérante a montré son intérêt et la question est clairement réglable par les voies de justice.

On soutient qu’il n’y a pas lieu de reconnaître à la requérante la qualité pour agir, du moins quant à la question constitutionnelle, parce qu’il existe d’autres moyens de soumettre la question aux tribunaux. On soutient que le gouvernement provincial peut intenter une action et qu’il s’est expressément réservé ce droit dans l’Entente fédérale-provinciale. Cela n’est pas convaincant. Il est improbable que le gouvernement provincial, à titre de partie à cet accord, attaque la constitutionnalité de l’abandon projeté du service de traversiers. Il n’y a pas lieu de priver une partie de la qualité pour agir simplement parce qu’en théorie, il existe d’autres moyens de soumettre la question à la Cour. Il faut que la possibilité de prendre ces autres mesures s’apparente raisonnablement à une probabilité pour que la qualité pour agir soit refusée pour cette raison. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Certes, le gouvernement provincial peut engager une poursuite, mais il y a peu de chances qu’il le fasse. La requérante a satisfait à l’exigence selon laquelle il ne doit exister aucun autre moyen efficace et pratique de soumettre la question à la Cour, par rapport tant à la question constitutionnelle qu’à la question de l’environnement.

Quant à l’argument que la requérante n’a pas la qualité pour soulever la question constitutionnelle parce que seul le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard peut intenter une action pour faire respecter cette obligation, il est fondé sur des faits passés et sur des observations tirées de la décision R. (Île-du-Prince-Édouard) c. R. (Canada), [1976] 2 C.F. 712 (1re inst.), confirmée par [1978] 1 C.F. 533 (C.A.). En ce qui concerne le passé, l’Île-du-Prince-Édouard a déjà présenté deux mémoires au gouvernement fédéral pour se plaindre de violations des Conditions de l’adhésion en cause : en 1901 et en 1912. Les deux fois, une indemnité a été versée au gouvernement provincial[16]. Quant à l’affaire Î.-P.-É. c. Canada, elle découlait d’une grève des employés des traversiers déclenchée en 1973. Cette grève a poussé encore une fois le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard à demander un dédommagement pour l’inexécution des Conditions de l’adhésion. La province a engagé une action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale. Décidant qu’il n’y avait pas lieu d’accorder des dommages-intérêts, le juge en chef Jackett a écrit ceci [aux pages 555 et 556, note 30] :

30 Voir Samson c. La Reine [1957] R.C.S. 832, par le juge Locke à la p. 841. D’un point de vue réaliste, il paraît évident que, de même que la construction d’un chemin de fer pour relier la Colombie-Britannique aux provinces de l’Est était une condition sine qua non de son entrée dans l’Union, de même le droit d’être reliée au continent par un service de traversiers était une condition sine qua non de l’entrée de l’Île-du-Prince-Édouard. Il me paraît inconcevable que lorsque ces conditions de l’Union ont reçu la forme d’une loi, le législateur ait voulu que les droits qui en découleraient soient dénués de sens au point de ne pas donner lieu à une indemnisation.

Cela ne veut pas dire qu’une personne qui habitait la province à l’époque de l’inexécution ait un droit légal à des dommages-intérêts pour sa perte subie à titre individuel. Je n’exprime aucune opinion à ce sujet, mais quelque doute. Je suis d’avis que l’« obligataire » est la « province », c’est-à-dire la masse des habitants de la région géographique, quels qu’ils puissent être d’une époque à l’autre. Je ne vois pas l’obligation envers la province comme un droit solidaire des personnes ou comme un droit détenu en fiducie pour leur compte en tant qu’individus. Je vois ici une analogie avec le cas de « butin de guerre » (Kinloch c. The Secretary of State for India in Council (1882), 7 App. Cas. 619 (C.L.)) et celui des réparations accordées à un pays vainqueur dans un traité de paix.

Le juge en chef Jackett n’a traité dans cette affaire-là que du droit d’une personne « à des dommages-intérêts pour sa perte subie à titre individuel ». Cela ne signifie pas que des personnes physiques ou des personnes morales ne peuvent pas intenter une action pour obtenir un jugement déclaratoire et une ordonnance ayant force exécutoire en vue de faire respecter les obligations constitutionnelles. L’« obligataire » peut bien être la « province », mais tous les habitants de la province sont les créanciers de l’obligation constitutionnelle. Et peut-être aussi tous les habitants du pays qui souhaitent se rendre dans l’Île. Si la province seule pouvait ester en justice pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, alors le pouvoir exécutif de la province et le pouvoir exécutif du gouvernement fédéral pourraient s’entendre pour modifier une condition de l’adhésion sans que les personnes touchées aient droit de contester la décision.

Certes, on suppose que les pouvoirs exécutifs, fédéral et provincial, s’abstiendraient de prendre des décisions qui ne traduisent pas la volonté de leurs commettants (en l’occurrence, par exemple, un référendum a été organisé dans l’Île relativement au projet de construction d’un raccordement fixe), mais un principe qui autorise le pouvoir exécutif à procéder seul à des changements légitimise des modifications qui peuvent ne pas correspondre à la volonté de la population de la province.

Je ne pense pas que l’obligation constitutionnelle particulière aurait pu être modifiée par un accord de l’exécutif de l’un et l’autre gouvernements avant 1982. L’article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867 a érigé les Conditions de l’adhésion en loi du Royaume-Uni. En conséquence, à cette époque, toute modification aurait exigé l’adoption d’une loi par le Parlement du Royaume-Uni. Je ne pense pas que la Loi de 1982 ait changé cette protection. Voir aussi Hogg, Constitutional Law of Canada[17], à la page 102, où il analyse les conditions exceptionnelles qui ont l’effet de dispositions exécutoires pour certaines provinces.

On soutient que les individus ne peuvent pas faire exécuter l’obligation concernant le service de traversiers parce que l’Entente fédérale-provinciale et les contrats futurs avec SCI ne sont pas des « règles de droit ». Si je comprends bien cet argument, le ministre des Travaux publics, en signant l’Entente fédérale-provinciale et les contrats futurs avec SCI, accomplit ou se propose d’accomplir un acte administratif. Aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

Tout d’abord, le paragraphe 52(1) ne dit pas que seules des règles de droit peuvent porter atteinte à une obligation constitutionnelle. Le paragraphe 52(1) comprend deux éléments et le premier est : « La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada ». Cela suffit à mon sens à garantir les obligations constitutionnelles. Ensuite, le principe qui veut qu’on ne puisse faire indirectement ce que l’on ne peut pas faire directement serait battu en brèche si le pouvoir exécutif des deux gouvernements pouvait apporter une modification à une obligation garantie par la Constitution. Enfin, le ministre des Travaux publics, en signant l’Entente fédérale-provinciale, agissait en vertu d’un décret du Conseil. L’entente avec SCI sera conclue en conformité avec une loi fédérale (la Loi sur l’ouvrage de franchissement du détroit de Northumberland). Ainsi, l’abandon du service de traversiers sera fait en conformité avec des règles de droit et est assujetti au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, à mon avis, la requérante a la qualité pour demander l’exécution de l’obligation constitutionnelle d’assurer un service de traversiers entre l’Île-du-Prince-Édouard et le continent.

Pouvoir d’appréciation du tribunal et arguments divers

On soutient que la Cour ne doit pas accorder la réparation demandée par la requérante en l’espèce parce que : premièrement, elle a tardé à soumettre l’affaire à la Cour; deuxièmement, la requérante a participé à nombre des étapes déjà franchies (débats de la commission dans le cadre du PÉEE, réunions portant sur le plan de gestion de l’environnement), de sorte que les intimés se sont endormis dans une fausse sécurité; troisièmement, il y a déjà eu tellement d’évaluation environnementale qu’en exiger encore représenterait une sursaturation; quatrièmement, les actions contestées ne donnent pas lieu à révision en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale; cinquièmement, en ce qui concerne les demandes de réparation fondées sur l’argument constitutionnel, elles sont prématurées car on ne prévoit pas l’abandon du service de traversiers avant la fin des travaux de construction du pont en 1997.

Je ne suis pas convaincue que le retard soit un facteur pertinent. La requérante conteste le refus de prendre certaines mesures. Il est difficile de déterminer exactement à quel moment se produit l’omission d’accomplir une action. Il était loisible au ministère des Travaux publics de respecter les articles 10 et 12 même à un moment aussi tardif qu’en janvier 1993. En outre, quant au laps de temps, le plan de gestion de l’environnement n’a pu être consulté que le 21 décembre 1992 et on s’attendait à ce que le public fasse parvenir ses observations durant les premières semaines de janvier 1993. Si le but de ce processus était de permettre une participation utile du public, il semble avoir été caractérisé par la précipitation et s’être déroulé à un bien mauvais moment de l’année. Il semble que l’on se soit attendu à ce qu’à ce moment (c’est-à-dire avant la conclusion de l’accord relatif aux conditions financières) des plans plus détaillés du pont pourraient être soumis à l’évaluation.

Quant aux allégations selon lesquelles les intimés subiront un préjudice si la Cour fait droit à la demande de réparation, je ne suis pas convaincue que les intimés subiront le genre de préjudice qui justifierait le rejet de la demande. Ce projet a mis sept ans pour en arriver au présent stade. L’intimée SCI fait valoir les conditions contractuelles relatives à la construction du pont, les accords qu’elle avait conclus en matière de financement et le préjudice qu’elle subira si elle ne peut pas profiter pleinement de la saison de la construction en 1993. Les gouvernements de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick s’inquiètent au sujet de la perte possible des 40,8 millions de dollars et des 20 millions de dollars qui leur ont été promis pour le développement de la région de Borden et de Cape Tormentine (par exemple, pour améliorer l’infrastructure routière). Ils ont déposé une preuve par affidavit qui prédit que la construction du pont va relancer l’économie des Maritimes et que si le pont n’était pas construit, l’économie du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard en subirait le contrecoup. Nombre des arguments reposent sur l’hypothèse que le projet de pont ne sera pas réalisé si une évaluation environnementale faite conformément à l’article 12 est ordonnée ou si une modification à la Constitution est exigée pour l’abandon du service de traversiers. Il n’est pas inhabituel que des contrats soient renégociés quand surgissent des circonstances initialement imprévues, ou qui étaient prévues mais qui n’avaient pas été prises en considération. À mon avis, il est très courant de renégocier des contrats dans le but de stipuler la prorogation de l’exécution, surtout des marchés de l’État. On ne m’a pas convaincue que le préjudice allégué soit si évident ou si grave qu’il faille priver la requérante de la réparation demandée.

Quant à la participation de la requérante et de ses membres aux diverses discussions publiques, je trouve l’argument de l’avocat de la requérante convaincant. Il serait étrange de conclure que, parce que les membres de la société requérante ont participé aux processus auxquels ils avaient accès, ils ont perdu ainsi leur droit d’exiger que la procédure prévue par le Décret sur les lignes directrices soit respectée.

J’ai considéré le troisième argument comme le plus difficile à trancher. L’abondante documentation produite semble indiquer que de très nombreux examens et évaluations en matière d’environnement ont déjà été effectués. On serait tenté de conclure, à l’instar des intimés, que toutes les incidences environnementales importantes ont été examinées, peu importe ce que sera la conception définitive du pont, qu’elles seront prises en compte dans la conception du pont et qu’on veillera à ce qu’elles soient atténuées. En outre, l’argument que les ponts, par nature, ont peu d’effets sur l’environnement est intéressant. L’avocat des intimés prétend qu’il serait futile et tout à fait superflu d’exiger d’autres évaluations environnementales en plus de celles qui ont été réalisées.

L’avocat de la requérante affirme le contraire. Il soutient, par exemple, que des études relatives à l’axe du pont, dont la nécessité était déjà reconnue en 1987, n’ont pas encore été effectuées et que des aspects du projet de construction d’un pont, qui viennent d’être rendus publics, tels que l’espacement des piles près du rivage, n’ont pas été étudiés. De plus, il soutient que des garanties minimales sont données au public dans le Décret sur les lignes directrices : le ministère responsable a un large pouvoir d’appréciation; le gouvernement peut ne pas tenir compte de la recommandation d’une commission d’évaluation environnementale. Il affirme que le public a le droit d’exiger le respect des garanties minimales, sur le plan de la procédure, qu’offre le Décret sur les lignes directrices.

Je ferai remarquer que, dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, le juge de première instance [[1990] 1 C.F. 248] avait refusé de rendre des ordonnances de mandamus et de certiorari relativement à l’évaluation environnementale parce que cette action serait futile et répétitive étant donné les importantes études environnementales qui avaient déjà été réalisées. La Cour d’appel fédérale a infirmé cette décision [[1990] 2 C.F. 18]. La Cour suprême a confirmé son arrêt. À la page 80 de l’arrêt de la Cour Suprême, le juge La Forest, au nom de la Cour, dit ce qui suit :

À mon avis, ce motif ne pouvait justifier un refus dans les circonstances. La délivrance d’un bref de prérogative devrait être refusée pour motif de futilité seulement dans les rares cas où sa délivrance serait vraiment inefficace. Par exemple, le cas où l’ordonnance ne pourrait pas être exécutée, savoir une ordonnance de prohibition à l’encontre d’un tribunal s’il ne lui reste rien à faire qui puisse être interdit; voir de Smith, op. cit., aux pp. 427 et 428. Ce n’est pas du tout la même situation lorsque l’on ne peut déterminer a priori qu’une ordonnance de la nature d’un bref de prérogative n’aura aucune incidence sur le plan pratique.

Du point de vue de la Cour, une chose est inquiétante en l’espèce : certes, il appert des documents versés au dossier que de nombreuses études à caractère général ont été effectuées sur les diverses préoccupations possibles touchant l’environnement, mais on se demande si des caractéristiques incorporées dans les plans définitifs du pont, qui n’ont pas encore été communiquées (ou qui n’ont peut-être pas encore été arrêtées), pourraient avoir des effets importants sur l’environnement. J’ai de la difficulté à me prononcer sur la question de savoir si un examen suffisant a été fait parce que cela m’oblige à évaluer le bien-fondé des décisions qui ont été prises, domaine qui, de l’aveu de tous, ne ressortit pas à la sphère d’attributions du tribunal qui est saisi d’une demande de révision judiciaire[18].

Je souscris à l’argument de l’avocat de la requérante qu’il faut respecter rigoureusement les exigences obligatoires. Je ne suis pas convaincue que, parce qu’il semble que d’importantes études environnementales ont été effectuées, je doive refuser d’accorder la réparation demandée.

Quant à l’argument que la Cour ne doit pas connaître de la présente demande en vertu du paragraphe 18.1(1) parce que, du moins en ce qui concerne la question constitutionnelle, la signature de l’Entente fédérale-provinciale par le ministre des Travaux publics n’est pas une décision ou une ordonnance d’un office fédéral, je ne suis pas persuadée que cela soit le cas. Le terme « office fédéral » est défini comme suit à l’article 2 [mod., idem, art. 1] de la Loi sur la Cour fédérale : « Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale » [soulignements ajoutés]. En signant l’Entente fédérale-provinciale, le ministre des Travaux publics tombe sous le coup de cette définition et l’action projetée, savoir la signature de contrats avec SCI, sera aussi visée par cette définition.

On soutient qu’en ce qui concerne l’obligation constitutionnelle de maintenir le service de traversiers, la présente demande est prématurée, parce que ce service est encore assuré. On ne prévoit pas l’abandonner tant que le pont ne sera pas achevé, probablement en 1997. Fait plus important, la Loi sur l’ouvrage de franchissement du détroit de Northumberland n’est pas encore en vigueur et les tribunaux sont peu disposés à étudier des questions relatives à la constitutionnalité de lois futures. Cet argument n’est pas convaincant. Si une modification constitutionnelle est nécessaire, il y va de l’intérêt de tous de le savoir tout de suite plutôt que dans l’avenir. Si la requérante avait retardé sa demande jusqu’en 1997, les intimés auraient sûrement prétendu que la Cour devait refuser d’accorder la réparation à cause du retard de la requérante.

Conclusion

En résumé, le ministère des Travaux publics a dit que l’évaluation conforme à l’article 12 du Décret sur les lignes directrices a été faite quand l’EEIG a été réalisée en mars 1988. Il a dit qu’il n’avait pas l’intention, et qu’il n’aurait pas l’intention, dans un avenir prévisible, d’effectuer une autre évaluation en conformité avec l’article 12. On peut lire dans l’EEIG qu’elle n’était pas censée satisfaire aux exigences de l’article 12 et qu’elle n’y satisfaisait pas. Toute la documentation de cette période, y compris la réponse de SCI à l’appel de propositions, est basée sur l’idée qu’une autre évaluation, plus détaillée, serait faite, conformément à l’article 12, à l’étape des plans définitifs. Au surplus, toutes les évaluations qui ont été réalisées depuis lors, dont le plan de gestion de l’environnement de SCI, rendu public au cours des derniers mois, ont porté sur un projet de construction d’un pont au stade conceptuel. Par conséquent, je pense que la requérante a droit à une ordonnance obligeant le ministre des Travaux publics à mener une évaluation en conformité avec l’article 12, relativement au plan détaillé du pont que SCI projette de construire, avant de prendre des décisions irrévocables.

En outre, en stipulant l’abandon du service de traversiers, les parties à l’Entente fédérale-provinciale envisagent un manquement aux conditions, inscrites dans la Constitution, de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard à la Confédération. La requérante a droit à un jugement déclaratoire portant que cet abandon, en l’absence d’une modification constitutionnelle qui l’autorise, constituerait un manquement à l’une des Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard.



[1] DORS/84-467.

[2] Auparavant appelées Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant l’Île du Prince-Édouard, en date du 26 juin 1873.

[3] C.P. 1992-2600, 16 décembre 1992.

[4] Naskapi-Montagnais Innu Assn. c. Canada (Ministre de la Défense nationale), [1990] 3 C.F. 381 (1re inst.), aux p. 403 et 404; Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1991] 1 C.F. 641 (C.A.), aux p. 665 à 669; Cantwell c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.F. 1re inst.); confirmé C.A.F., no du greffe A-124-91, le juge Pratte, J.C.A., 6 juin 1991, encore inédit.

[5] Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1990] 2 W.W.R. 69 (C.A.F.); confirmant [1989] 3 C.F. 309 (1re inst.).

[6] On s’est reporté à l’article de D. Paul Emond, « The Greening of Environmental Law », (1991), 36 McGill L.J. 742, à la p. 757 :

[traduction] La deuxième tendance [dans l’évaluation des impacts environnementaux] est tout aussi importante, encore qu’elle se soit fait jour plus lentement, du moins pour ce qui concerne l’évaluation publique. Pour une grande partie, les examens et les vérifications découlent de la volonté de prévoir, d’évaluer et d’éviter des problèmes environnementaux. À cette fin, il est logique de prendre des décisions au sujet des effets possibles et des mesures d’atténuation avant la réalisation. Mais malgré toute notre bonne volonté, nous ne pouvons jamais tout savoir avant de commencer. Et nous ne tenons pas à tout savoir [ … ] les coûts sont simplement trop élevés et les avantages probables trop faibles. Il est donc logique d’effectuer une évaluation ou une vérification plus limitée des impacts environnementaux possibles et une évaluation plus détaillée des impacts environnementaux réels ou actuels. Ce principe se manifeste dans le fait qu’on demande de plus en plus que l’évaluation environnementale comprenne un élément de surveillance qui fait appel à ceux qui doivent subir les impacts …

[7] La version française des Conditions de l’adhésion n’est pas techniquement officielle, l’arrêté ayant été pris en anglais seulement par le gouvernement du Royaume-Uni (Sa Majesté en conseil), mais la version française semble avoir été rédigée, au Canada, en même temps que la version anglaise, voir Acte concernant l’admission de la Colonie de l’Île du Prince-Édouard comme Province de la Puissance, S.C. 1873, ch. 40.

[8] Que le gouvernement du Canada se chargera des dépenses occasionnées par les services suivants :

Le traitement du lieutenant-gouverneur;

Les traitements des juges de la Cour Suprême et des juges des cours de district ou de comté, quand ces cours seront établies;

Les frais d’administration des douanes;

Le service postal;

La protection des pêcheries;

Les dépenses de la milice;

Les phares, équipages naufragés, quarantaine et hôpitaux de marine;

L’exploration géologique;

Le pénitencier;

Un service convenable de bateaux à vapeur, transportant les malles et passagers, qui sera établi et maintenu entre l’Île et les côtes du Canada, l’été et l’hiver, assurant ainsi une communication continue entre l’Île et le chemin de fer Intercolonial, ainsi qu’avec le réseau des chemins de fer du Canada;

L’entretien de communications télégraphiques entre l’Île et la terre ferme du Canada.

Et telles autres dépenses relatives aux services qui, en vertu de l’« Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 » (Loi constitutionnelle de 1867), dépendent du gouvernement général, et qui sont ou pourront être alloués aux autres provinces. [Non souligné dans le texte original.]

[9] R. (Île-du-Prince-Édouard) c. R. (Canada), [1976] 2 C.F. 712 (1re inst.); confirmé [1978] 1 C.F. 533 (C.A.); Île-du-Prince-Édouard (Ministre des Transports et des Travaux publics) c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1991] 1 C.F. 129 (C.A.).

[10] Hogg, Constitutional Law of Canada, 3e éd., 1992 Carswell, à la p. 413.

[11] Ibid., à la p. 414.

[12] Supra, note 9.

[13] Edwards, Henrietta Muir v. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (P.C.).

[14] L’art. 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale est ainsi conçu :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

[15] S.C. 1990, ch. 8.

[16] Loi prévoyant une nouvelle allocation annuelle à la Province de l’Île-du-Prince-Édouard, S.C. 1901, ch. 3, et An Act to ratify and confirm a certain agreement between the Governments of Canada and Prince Edward Island, in respect of claims for non-fulfillment of the terms of Union, S.P.E.I. 1901, ch. 3. Loi de la Subvention à la Province de l’Île-du-Prince-Édouard, S.C. 1912, ch. 42.

[17] Carswell, 3e éd., 1992.

[18] Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1992] 3 C.F. 42 (1re inst.) 42 à la p. 48; Cantwell c. Canada (Ministre de l’Environnement) (1991), 41 F.T.R. 18 (C.F. 1re inst.) à la p. 27; confirmé C.A.F., no du greffe A-124-91, 6 juin 1991; Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1990] 1 C.F. 595 (1re inst.); confirmé [1991] 1 C.F. 641 (C.A.), à la p. 661.

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