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IMM‑1669‑05

2006 CF 738

Baz Singh Momi; Dr Parvez Ali Khan; Dr Archana Parikh; Paiman Haibodi; N. Magpoc Ramos; Pankaj Sharma; Jignesh T. Shah; Va Ving Teng; Chencg Hua Chu; Hsueh Wei Pan; Hung Chih Chen (demandeurs)

c.

Sa Majesté la Reine, représentée par son mandataire, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défenderesse)

Répertorié : Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)

Cour fédérale, juge Harrington—Vancouver, 26 et 27 avril et 8 juin; Ottawa, 12 juin 2006.

Pratique — Recours collectifs — Requête présentée en application de l’art. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales  et  des règles 299.1 et suivantes des Règles des Cours fédérales  pour autoriser une action comme recours collectif contre le gouvernement fédéral pour avoir prétendument perçu plus de 700 millions de dollars en trop au titre de droits demandés pour des visas, des autorisations ou des permis du ministre —  Onze demandeurs voulaient au départ récupérer les droits excessifs demandés pour les services fournis au motif qu’il y avait eu manquement à l’art. 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques puisque ces droits ne pouvaient  excéder  les  coûts  supportés par la Couronne pour la prestation des services aux bénéficiaires ou usagers, ou à une catégorie de ceux‑ci — Selon l’art. 18.4(2) de la Loi et les règles 299.1 et suivantes des Règles, la demande doit être introduite à titre de demande de contrôle judiciaire, convertie en action, et ensuite, autorisée à titre de recours collectif — La procédure appropriée en l’espèce était la demande de contrôle judiciaire, pas une action —  La requête a été rejetée parce que les cinq conditions requises pour autoriser une action en vertu de la Loi et des Règles n’ont pas été remplies —  La requête en radiation de la déclaration avait  déjà  été rejetée sauf en ce qui concernait les allégations de faute —  Le critère applicable à la requête en autorisation est le même que celui qui s’applique à la requête en radiation en vertu de la règle 221 des Règles des Cours fédérales, soit s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; cependant, le fardeau incombe au défendeur dans le cadre d’une requête en radiation alors qu’il incombe au demandeur dans le cadre d’une requête en autorisation —  Même si les demandeurs devraient d’abord présenter une demande de contrôle judiciaire pour obtenir un jugement déclarant que les dispositions applicables du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés sur l’imposition et la perception des droits sont invalides, le bien‑fondé des demandes des demandeurs serait mieux tranché dans le cadre d’une action.

Compétence de la Cour fédérale — Requête présentée en application de l’art. 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales  et des règles 299.1 et suivantes des Règles des Cours fédérales  pour autoriser une action comme recours collectif contre le gouvernement fédéral pour avoir prétendument perçu plus de 700  millions  de  dollars  en  trop  au  titre de droits demandés pour des visas, des autorisations ou des permis du ministre — Dans la Loi, le législateur a établi une distinction entre  les  actions  intentées  contre la Couronne fédérale et le contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux —  L’art.  17  de la Loi sur les Cours fédérales précise que la Cour fédérale et les cours provinciales ont compétence concurrente à l’égard de la Couronne, mais la Cour fédérale possède  une  compétence  exclusive  en  matière d’examen des décisions des offices fédéraux — Les décisions prises pour imposer et percevoir des droits en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) sont assujetties au contrôle judiciaire —  Le gouverneur en conseil a adopté le RIPR et est à ce titre un office fédéral —  Par conséquent, le non‑respect de la forme d’action constitue habituellement  une  irrégularité,  mais le recours collectif doit  respecter  les  conditions  énoncées  à la règle 299.18 des Règles.

Il s’agissait d’une requête présentée en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi) et des règles 299.1 et suivantes des Règles des Cours fédérales (les Règles) pour autoriser une action comme recours collectif contre le gouvernement fédéral pour avoir prétendument perçu plus de 700 millions de dollars en trop au titre de droits demandés pour des visas, des autorisations ou des permis du ministre. Le recours collectif envisagé serait présenté au nom des deux à trois millions de personnes environ qui ont versé, entre le 1er avril 1994 et le 11 mars 2005 (la date du dépôt de la déclaration), des droits correspondant à près de 9 à 10 millions de visas et de demandes d’immigration semblables. Il faut opérer une distinction entre les droits demandés pour les visas et d’autres demandes semblables, qui sont des droits correspondant à un service, et les droits exigés pour l’établissement, qui concernent des privilèges. Les demandeurs ne cherchaient pas à récupérer les droits exigés pour l’établissement.

L’action a été intentée au nom de 11 demandeurs qui voulaient au départ récupérer les droits excessifs demandés pour les services fournis en se fondant sur les notions d’enrichissement sans cause, d’erreur commune, d’argent reçu indûment et de faute. Ils ont soutenu que selon la Loi sur la gestion des finances publiques, ces droits ne pouvaient excéder les coûts supportés par la Couronne pour la prestation des services aux bénéficiaires ou usagers, ou à une catégorie de ceux‑ci. Selon leur déclaration, les demandes de visa et autres demandes semblables auraient généré un bénéfice de plus de 700 millions de dollars, tel qu’il appert d’une série de rapports annuels remis au Parlement par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) et exposant les divers coûts annuels des services reçus par le groupe présumé des demandeurs ainsi que les droits annuels générés par ces demandes. Le ministre a demandé la radiation de la déclaration et le rejet de l’action parce qu’elle ne révélait aucune cause d’action raisonnable en application de la règle 221 des Règles des Cours fédérales, soutenant que les droits avaient été perçus régulièrement conformément à un règlement pris en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et de l’ancienne Loi sur l’immigration. La Cour a fait droit à la demande dans la mesure où elle reposait sur des allégations fondées sur la faute, mais elle n’a pas radié les autres allégations ni rejeté l’action. Les représentants demandeurs sont une femme qui a immigré au Canada de la Russie et son conjoint canadien.

Jugement : la requête est rejetée.

Il était prématuré d’autoriser l’action comme recours collectif. Dans la Loi sur les Cours fédérales, le législateur a décidé d’établir une distinction entre les actions intentées contre la Couronne fédérale et le contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux. En vertu de l’article 17, la Cour fédérale et les cours provinciales ont compétence concurrente à l’égard de la Couronne, mais la Cour fédérale possède, selon l’article 18, une compétence exclusive en matière d’examen des décisions des offices fédéraux, sauf à l’égard des offices dont les décisions sont examinées par la Cour d’appel fédérale. Même si les 9 à 10 millions de décisions de percevoir les droits relatifs à des demandes n’étaient pas discrétionnaires, elles étaient assujetties au contrôle judiciaire. Les fonctionnaires qui ont perçu ces droits étaient obligés d’appliquer le Règlement pris par décret en conseil. Le gouverneur en conseil a adopté ce Règlement et est à ce titre un office fédéral. Étant donné que la Cour fédérale a compétence à l’égard de la Couronne dans son sens large et des offices fédéraux, le non‑respect de la forme d’action constitue habituellement une irrégularité à laquelle il est possible de remédier (règle 57). La question plus large était celle de savoir s’il est possible d’éviter de présenter une demande de contrôle judiciaire, en respectant les délais qui y sont associés, en attaquant la décision du gouvernement fédéral d’imposer et de percevoir les droits en présentant une demande pécuniaire.

Les Règles des Cours fédérales envisagent la possibilité d’un recours collectif, mais pas d’une demande de contrôle judiciaire collective. Le paragraphe 18.4(2) de la Loi autorise la Cour à traiter une demande de contrôle judiciaire comme une action (conversion) et les règles 299.1 et suivantes des Règles prévoient qu’une action peut être autorisée comme recours collectif. Par conséquent, la demande doit être introduite à titre de demande de contrôle judiciaire, convertie en action, et ensuite, autorisée à titre de recours collectif. L’introduction de l’action par le dépôt et la signification d’une déclaration était la forme erronée d’introduction. Étant donné que le fait de permettre aux parties de présenter une demande de contrôle judiciaire lorsque l’action ne serait pas autorisée comme recours collectif constituerait un gaspillage des ressources judiciaires, la Cour s’est livrée à l’analyse des cinq conditions qui doivent être remplies avant que l’action puisse être autorisée, soit : 1) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable (alinéa 299.18(1)a)); 2) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes (alinéa 299.18(1)b)); 3) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs (alinéa 299.18(1)c)); 4) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs (alinéa 299.18(1)d)); 5) un représentant demandeur doit être en mesure de représenter de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe (alinéa 299.18(1)e)).

1) Les actes de procédure révèlent une cause d’action valable aux fins d’une demande d’autorisation s’il n’est pas manifeste et évident que la demande est mal fondée. Le critère applicable aux règles 221 et 299.18 des Règles est identique; la seule différence qui existe entre une requête en autorisation et une requête en radiation est que pour cette dernière, le fardeau incombe au défendeur alors que pour la première requête, le fardeau incombe au demandeur. La déclaration révèle une cause d’action valable s’il n’est pas manifeste et évident, ou établi au‑delà de tout doute raisonnable, que l’action sera rejetée. Bien que la déclaration et l’ensemble des actes de procédure aient révélé une cause d’action valable pour ce qui est de certains membres du groupe proposé, on ne pouvait dire la même chose à l’égard de ceux qui ont déposé leurs demandes après le 31 mars 2003 puisque la déclaration ne contenait aucune allégation concernant l’exercice financier 2003‑2004. En outre, pour les personnes qui ont déposé leurs demandes après le 31 mars 2004, il était impossible d’alléguer que ces demandes avaient permis de réaliser des bénéfices, étant donné que l’exercice financier 2004‑2005 n’était pas terminé lorsque la déclaration a été déposée le 11 mars 2005.

2) Il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes comme l’exige l’alinéa 299.18(1)b) des Règles parce que tous les demandeurs ont allégué qu’il y a eu violation systémique du paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Le problème était qu’il existait de nombreux groupes. Les personnes visées par une prescription constituaient au moins un sous‑groupe potenti elévident.

3) La violation systémique alléguée de la Loi sur la gestion des finances publiques constituait le point de droit et de fait collectif exigé par l’alinéa 299.18(1)c) des Règles. Une question ne touchait pas l’ensemble du groupe proposé. En effet, ceux dont la cause d’action remontait à plus de six ans avant le dépôt de la déclaration pouvaient être visés par la prescription prévue à l’article 39 de la Loi. Pour déterminer si le demandeur pouvait être justifié d’agir après l’expiration du délai de prescription, il fallait établir le moment où le demandeur aurait pu raisonnablement intenter une action, compte tenu de son intérêt et des circonstances qui lui sont propres. Le dernier rapport annuel rendu public six ans avant l’introduction de l’action (le 11 mars 2005) était le rapport concernant l’exercice financier 1997‑1998, exercice qui s’est terminé le 31 mars 1998. Il s’agit de la date à laquelle un demandeur aurait été en mesure de savoir si l’État avait peut‑être réalisé des bénéfices et une date qui aurait pu être un point de départ possible de la prescription.

4) Il existait un certain nombre d’autres possibilités à envisager, notamment une cause type, un contrôle judiciaire et une réunion d’instances, ainsi que des obstacles éventuels à examiner. Parce que les demandeurs ont contesté le coût des droits relatifs aux demandes et ont sollicité un jugement pécuniaire pour enrichissement sans cause, ils auraient besoin d’un jugement déclarant que le règlement sur les droits est invalide, ce qui peut se faire au moyen d’un contrôle judiciaire. Cependant, les demandeurs auraient besoin de surmonter l’obstacle relatif à l’obtention d’une prorogation et, s’ils présentent une demande de contrôle judiciaire en vertu de la LIPR, ils devraient obtenir une autorisation en application du paragraphe 72(1) de la LIPR. Bien que la validité du Règlement puisse être examinée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la question de savoir si les recettes l’emportaient en fait sur les dépenses ainsi que le caractère raisonnable des calculs budgétaires serait mieux tranchée dans le cadre d’une action, qui comporte la communication des documents, un interrogatoire préalable oral et le témoignage direct devant le tribunal. Donc, si l’affaire devait suivre son cours, une demande de contrôle judiciaire devrait être traitée comme une action et autorisée à titre de recours collectif.

5) Même si les époux proposés à titre de représentants demandeurs ont été recrutés et ignorent tout du droit de l’immigration, ils estimaient que le processus était fondamentalement inéquitable et seraient en mesure de représenter de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe. Ils ont préparé un plan contentieux, mais il était prématuré parce qu’il fallait d’abord présenter une demande de contrôle judiciaire.

lois et règlements cités

Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F‑11, art. 19(2) (mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑5.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 17 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 24), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 18.4(2) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27), 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35), 39 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 10; 2002, ch. 8, art. 38).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 72(1), (2) (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 194), 74.

Règlement sur les prix à payer—Loi sur l’immigration, DORS/97‑22.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 2), 2 « acte de procédure », 3, 57, 221, 299, 299.1 (édictée par DORS/2002‑417, art. 17), 299.17 (édictée, idem), 299.18 (édictée, idem).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 2 R.C.F. 531; 2005 CAF 308; Knight v. Imperial Tobacco Canada Ltd. (2006), 267 D.L.R. (4th) 579; [2006] 9 W.W.R. 393; 54 B.C.L.R. (4th) 204; 2006 BCCA 235; Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808; Le Corre c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 127.

décision différenciée :

Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 R.C.S. 158; 2001 CSC 68.

décisions examinées :

Budisukma Puncak Sendirian Berhad c. Canada, 2005 CAF 267; Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287; 2005 CAF 348; Bisaillon c. Université Concordia, [2006] 1 R.C.S. 666; 2006 CSC 19; Rumley c. Colombie‑Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184; 2001 CSC 69; Hamel c. Brunelle et al., [1977] 1 R.C.S. 147; Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539 (C.A.) (QL); Letang v. Cooper, [1964] 2 All E.R. 929; Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 4 R.C.F. 341; 2006 CF 197; Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534; 2001 CSC 46.

décisions citées :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190; 17 Admin. L.R. (2d) 243; 67 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.); Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General) (1993), 107 D.L.R. (4th) 63; 113 Sask. R. 99; 17 Admin. L.R. (2d) 236 (C.A.); Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1484; Al‑Mhamad c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 2003 CAF 45; Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (2000), 47 Admin. L.R. 317; 109 N.R. 239 (C.A.F.).

REQUÊTE présentée en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales et des règles 299 et suivantes des Règles des Cours fédérales pour autoriser une action pécuniaire comme recours collectif contre le gouvernement fédéral pour avoir prétendument perçu plus de 700 millions de dollars en trop au titre de droits demandés pour des visas, des autorisations ou des permis du ministre contrairement au paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Requête rejetée.

ont comparu :

Gerald A. Cuttler et Richard T. Kurland pour les demandeurs.

Donald J. Rennie, R. Keith Reimer, Banafsheh Sokhansanj et Scott M. Nesbitt pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier :

Kurland, Tobe, Vancouver, pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance  rendus par

[1]Le juge Harrington : Irena Popapova est née en URSS en 1978. Depuis cette année, son pays a changé, le monde a changé et sa vie a changé. Elle a épousé Alan, un Canadien, et a immigré ici. Pour obtenir un visa de résidence permanente, elle a dû payer les droits exigés pour sa demande. À son arrivée, elle a été accueillie par un autre droit, le droit exigé pour l’établissement. Aujourd’hui, elle et Alan, les Hinton, se retrouvent, un peu surpris, je crois, au cœur d’un recours collectif envisagé présenté au nom des deux à trois millions de personnes environ qui ont versé des droits correspondant à près de 9 à 10 millions de visas, d’autorisations et de permis d’immigration. À l’heure actuelle, le montant de ces droits se situe entre 75 $ pour un visa de résident temporaire et 1 050 $ pour un visa de résident permanent. Ces personnes soutiennent avoir payé plus de 700 millions de dollars en trop. Elles veulent obtenir le remboursement de cette somme.

[2]Le défendeur, que je vais appeler « le ministre » ou parfois « la Couronne », a déposé une défense vigoureuse comportant trois volets. Il allègue qu’en fait, les services ont été fournis à perte. Il nie énergiquement que les activités du gouvernement aient été financées par les immigrants. Cela dit, il soutient que, même si des bénéfices ont été réalisés, ces bénéfices sont légaux étant donné que les droits perçus étaient expressément prévus par divers règlements. Enfin, même si les droits ont été imposés illégalement, il n’existe aucun recours. La loi ne prévoit aucun remboursement.

[3]L’action, telle qu’elle est présentée actuellement, est intentée au nom de 11 demandeurs. Elle ne peut être instruite comme un recours collectif que si les demandeurs obtiennent l’autorisation de la Cour. Les Règles des Cours fédérales [DORS/98-106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)] (les Règles) fixent cinq conditions pour l’octroi de cette autorisation, dont une est qu’un représentant du demandeur possède certaines qualités et soit prêt à faire certaines choses. C’est là qu’interviennent les Hinton.

[4]Une autre condition est que le recours collectif doit être le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs. Malgré la possibilité que le recours collectif soit la meilleure procédure à utiliser, c’est une procédure interdite, du moins à cette étape‑ci. La demande doit être introduite devant la Cour à titre de demande de contrôle judiciaire, convertie en action, et ensuite, autorisée à titre de recours collectif. Cette course d’obstacles semble privilégier la forme et non le fond, mais chacune de ces étapes soulève d’importantes questions dont il n’est pas possible de faire l’économie.

[5]Pour obtenir gain de cause, les demandeurs doivent établir trois choses. Premièrement, ils doivent montrer que les droits perçus par l’application du Règlement sur limmigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] et des règlements antérieurs sont supérieurs au coût des services fournis. Deuxièmement, le règlement qui fixait le montant des droits doit être déclaré invalide. Enfin, il ne doit exister aucun motif juridique autorisant le ministre à conserver les droits excédentaires. La question de la validité du Règlement devrait normalement être tranchée, du moins dans le présent contexte, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

DÉCISION

[6]J’en suis arrivé à la conclusion qu’il serait prématuré d’autoriser l’action comme recours collectif, et je dois donc rejeter la requête. Je suis disposé à suspendre l’action de façon à ce qu’une demande de contrôle judiciaire puisse être déposée. Voici mes motifs.

[7]Dans la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], le législateur a décidé d’établir une distinction entre les actions intentées contre la Couronne fédérale et le contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux. Aux termes de l’article 17 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 3; 2002, ch. 8, art. 24], la Cour fédérale et les cours provinciales ont compétence concurrente à l’égard de la Couronne. Cependant, aux termes de l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26], la Cour fédérale possède une compétence exclusive en matière d’examen des décisions des offices fédéraux, sauf à l’égard des offices dont les décisions sont examinées par la Cour d’appel fédérale conformément à l’article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35].

[8]Les 9 à 10 millions de décisions de percevoir des droits relatifs à des demandes peuvent difficilement être qualifiées de discrétionnaires mais elles sont néanmoins assujetties au contrôle judiciaire (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 51 et suivants). Les fonctionnaires qui ont perçu ces droits étaient obligés d’appliquer le Règlement pris par décret en conseil. Le gouverneur en conseil a adopté ce Règlement et est à ce titre un office fédéral (Saskatchewan Wheat Pool c. Canada (Procureur général) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 (C.F. 1re inst.), le juge Rothstein et Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General) (1993), 107 D.L.R. (4th) 63 (C.A. Sask.).

[9]Étant donné que la Cour fédérale a compétence à la fois à l’égard de la Couronne dans son sens large et des offices fédéraux, le non‑respect de la forme d’action constitue habituellement une irrégularité à laquelle il est possible de remédier. C’est ce qu’énonce la règle 57 des Règles des Cours fédérales. La question plus large est cependant celle de savoir si une personne peut éviter de présenter une demande de contrôle judiciaire, en respectant les délais qui y sont associés, en attaquant une décision de façon indirecte, par exemple, en présentant une demande pécuniaire. Les tribunaux, en particulier la Cour d’appel fédérale, se sont attaqués à cette épineuse question pendant des années. Dans l’arrêt Budisukma Puncak Sendirian Berhad c. Canada, 2005 CAF 267, la Cour d’appel a noté que cette question n’avait pas encore été résolue de façon définitive. Elle a été tranchée l’année dernière dans l’arrêt Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287 (C.A.F.), qui est postérieur à l’introduction de la présente action.

[10]Les Règles des Cours fédérales envisagent la possibilité d’un recours collectif mais pas d’une demande de contrôle judiciaire collective. Cependant, le paragraphe 18.4(2) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales autorise la Cour à traiter une demande de contrôle judiciaire comme une action (conversion), et ensuite, les règles 299.1 et suivantes des Règles prévoient qu’une action peut être autorisée comme recours collectif. Dans l’arrêt Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [2006] 2 R.C.F. 531 (C.A.F.), le juge Rothstein a noté que, lorsque le motif invoqué à l’appui d’une requête présentée en vue de convertir un contrôle judiciaire en une action était de faire autoriser un recours collectif, il y avait lieu d’instruire ensemble la requête en conversion et la requête en autorisation. Il serait tout à fait inutile de convertir une demande en une action si la Cour n’était pas également disposée à rendre une ordonnance autorisant un recours collectif. Il a déclaré (au paragraphe 19) :

En réponse à la prétention du ministre selon laquelle la conversion effectuée aux fins de l’autorisation d’un recours collectif contrevient à l’objet du contrôle judiciaire, la procédure souhaitable est l’un des facteurs à prendre en considération dans le cadre de la procédure de conversion et d’autorisation. Le tribunal examinera les problèmes liés à la facilité et à l’efficacité des procédures, et choisira celle qui offrira le moins de difficultés pour régler les questions en litige. Par exemple, une pluralité de contrôles judiciaires que permettrait d’éviter un recours collectif pourrait également être évitée si les parties convenaient de considérer un seul contrôle judiciaire comme une cause type pour les autres contrôles judiciaires qui portent sur la même question. Ces facteurs, parmi d’autres, devraient permettre au tribunal de décider s’il convient d’autoriser la conversion et l’autorisation du recours collectif.

[11]Dans la décision Tihomirov, l’instance avait été introduite selon la procédure appropriée, une demande de contrôle judiciaire. La présente instance a été introduite selon une forme erronée; l’action a été introduite par le dépôt et la signification d’une déclara-tion. Cela dit, je me propose néanmoins d’analyser les cinq conditions qui doivent être remplies avant qu’une action puisse être autorisée comme recours collectif. Je ne voudrais pas que les parties décident, sur mes conseils, de présenter une demande de contrôle judiciaire très complexe et s’aperçoivent par la suite que je n’aurais pas de toute façon autorisé l’action comme recours collectif; cela rendrait un mauvais service aux parties, constituerait un outrage à l’administration de la justice et un terrible gaspillage des ressources judiciaires.

[12]Le reste des présents motifs est réparti en quatre parties comme suit  :

                                                                                                                                                                                          Paragraphes

Historique du recours collectif                                                                                                                                              13‑17

Événements ayant précédé la demande

 d’autorisation                                                                                                                                                                          18‑25

                                                                                                                                                                                          Paragraphes

Conditions d’octroi de l’autorisation                                                                                                                                    26‑80

a)  Cause d’action valable                                                                                                                                                                               29‑41

b)  Existence d’un groupe identifiable                                                                                                                                 42‑47

c)  Questions collectives                                                                                                                                                         48‑55

i) l’arrêt Knight                                                                                                                                                          51‑53

d)  Meilleur moyen de régler les questions

     en litige                                                                                                                                                                               56‑70

e)  Représentant demandeur                                                                                                                                                71‑80

     Conclusion                                                                                                                                                                         81‑84

HISTORIQUE DU RECOURS COLLECTIF

[13]Le recours collectif n’est pas vraiment une nouveauté. Il existe sous une forme ou une autre depuis des siècles. On pense souvent à l’instance où le demandeur invoque un droit personnel et poursuit le défendeur en vue d’obtenir une ordonnance obligeant ce dernier à verser une somme d’argent, à faire quelque chose, ou à cesser de faire quelque chose, mais les actions collectives sont assez courantes. Il suffit de penser au fiduciaire qui intente une action pour le compte des bénéficiaires d’une fiducie, ou au dépositaire en possession de marchandises qui intente une poursuite au nom du déposant. Pour encadrer les instances de ce type, différentes juridictions ont à des époques différentes adopté diverses règles de pratique.

[14]Il suffira de dire aux fins de la présente instance que le recours collectif tire son origine des cours d’équité anglaises qui l’ont créé à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. On avait reconnu à l’époque qu’il fallait assouplir la procédure pour la rendre moins rigide.

[15]Dans l’arrêt Bisaillon c. Université Concordia, [2006] 1 R.C.S. 666, la Cour suprême a noté (au paragraphe 16) :

La procédure de recours collectif a une portée sociale. Elle vise à faciliter l’accès à la justice aux citoyens qui partagent des problèmes communs et qui, en l’absence de ce mécanisme, seraient peu incités à s’adresser individuellement aux tribunaux pour faire valoir leurs droits. [. . .] Notre Cour a déjà souligné la nécessité de donner une interprétation souple et libérale à la législation sur les recours collectifs [. . .]. [Décisions citées omises.]

[16]Dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, [2001] 2 R.C.S. 534, un appel d’une décision de la Cour d’appel de l’Alberta, la juge en chef McLachlin expose les trois grands avantages qu’offre le recours collectif par rapport à une multiplicité d’actions individuelles. Premièrement, il permet de faire des économies sur le plan judiciaire, en évitant toute duplication inutile. Deuxièmement, les frais judiciaires sont répartis entre un grand nombre de demandeurs, ce qui facilite l’accès à la justice en rendant économiques des poursuites qui auraient été trop coûteuses pour être intentées individuellement. Enfin, ces recours incitent les malfaisants réels et éventuels à modifier à l’avenir leur comportement. Sans le recours collectif, les personnes qui causent des préjudices individuels mineurs mais nombreux n’auraient peut‑être pas à répondre de leurs agissements.

[17]En plus de l’arrêt Western Canadian Shopping Centres, il y a deux autres arrêts de la Cour suprême qui sous‑tendent les présents motifs  : Hollick c. Toronto (Ville), [2001] 3 R.C.S. 158 et Rumley c. Colombie‑Britannique, [2001] 3 R.C.S. 184.

LES ÉVÉNEMENTS AYANT PRÉCÉDÉ LA DEMANDE D’AUTORISATION

[18]L’argument fondamental des demandeurs est que les auteurs des demandes présentées entre le 1er avril 1994 et le 11 mars 2005, cette dernière date étant celle du dépôt de la déclaration, ont été obligés de verser des droits excessifs.

[19]Cet argument de base va à l’encontre de trois idées préconçues très répandues. La première est que les gouvernements dépensent de l’argent et ne font pas de bénéfices. La seconde est que, lorsqu’un ministère affirme avoir fait des bénéfices, c’est qu’il y a des erreurs dans sa comptabilité. Enfin, la troisième est que le gouvernement peut facturer ce qu’il veut à qui il veut. Si le gouvernement met sur pied un programme de récupération des coûts qui impose des droits aux utilisateurs et fait des bénéfices, il n’y a rien à redire. Si les électeurs n’aiment pas cette façon de faire, ils peuvent toujours voter pour quelqu’un d’autre la prochaine fois.

[20]La déclaration fait état d’une série de rapports annuels remis au Parlement par le ministre. L’allégation est que les demandes de visas et autres demandes présentées en matière d’immigration ont généré des bénéfices de plus de 700 millions de dollars. Les demandeurs établissent une différence entre les droits relatifs aux demandes et les droits exigés pour l’établissement. Il est reconnu par les parties que les droits demandés pour les visas et pour d’autres demandes semblables sont des droits correspondant à un service alors que les droits exigés pour l’établissement concernent des privilèges. Les demandeurs reconnaissent que le ministre peut facturer les droits qu’il estime appropriés pour octroyer un privilège. Les demandeurs ne cherchent pas à récupérer les droits exigés pour l’établissement.

[21]Cependant, pour ce qui est des droits relatifs aux demandes de visas et aux demandes comparables, ils signalent que, selon le paragraphe 19(2) [mod. par L.C. 1991, ch. 24, art. 6] de la Loi sur la gestion des finances publiques [L.R.C. (1985), ch. F-11], ces droits ne peuvent excéder « les coûts supportés par Sa Majesté du chef du Canada pour la prestation des services aux bénéficiaires ou usagers, ou à une catégorie de ceux‑ci ».

[22]Les demandeurs voulaient au départ récupérer les droits excessifs demandés pour les services fournis, en se fondant sur les notions d’enrichissement sans cause, d’erreur commune, d’argent reçu indûment et de faute. Le ministre a demandé la radiation de la déclaration et le rejet de l’action parce qu’elle ne révèle aucune cause d’action. Il soutient que les droits ont été perçus régulièrement, conformément à un règlement pris aux termes de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés [L.C. 2001, ch. 27] (LIPR) et la loi antérieure, la Loi sur limmigration [L.R.C. (1985), ch. I-2], malgré la Loi sur la gestion des finances publiques. Même si le Règlement n’est pas valide, les demandeurs n’ont pas droit au remboursement parce que la situation du défendeur a changé. Les sommes en question ont été versées dans le Trésor public et servi à financer les dépenses générales du gouvernement. La situation de la Couronne a donc changé, ce qui constitue un motif juridique pour lequel il n’y a pas eu enrichissement sans cause.

[23]Cette requête a été introduite aux termes de la règle 221 des Règles des Cours fédérales. Selon cette règle, la Cour ne peut examiner que la déclaration. Elle ne peut pas tenir compte des autres actes de procédure, ni d’autres preuves.

[24]Le critère applicable aux demandes de ce genre est de savoir s’il est « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable (Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959). J’ai fait droit à la demande dans la mesure où elle repose sur des allégations fondées sur la faute (Momi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2005 CF 1484). Je n’ai pas radié les autres allégations, ni rejeté l’action parce que, s’il existe une possibilité que les demandeurs obtiennent gain de cause, ils ne devraient pas être privés dès le départ de leur accès au tribunal. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à cette étape‑ci les chances de succès des demandeurs.

[25]Tout ce que le premier arrêt Momi permet d’affirmer est qu’il n’est pas « évident et manifeste » que la déclaration ne révèle pas une cause d’action. Il est possible que la Cour conclue, après avoir entendu l’affaire au fond, qu’aucune cause d’action n’a été établie. L’arrêt Hunt énonce la chose différemment. Une action ne peut pas être radiée en se fondant sur les allégations contenues dans la déclaration à moins qu’il soit établi au‑delà de tout doute raisonnable que celle‑ci ne révèle aucune cause d’action. Lorsque l’affaire est entendue au fond, il incombe aux demandeurs d’établir le bien‑fondé de leur demande selon la prépondérance des probabilités, une tâche beaucoup plus lourde.

LES CINQ ÉLÉMENTS DU CRITÈRE D’AUTORISA-TION

[26]Dans Western Canada Shopping Centres, la juge en chef McLachlin a déclaré qu’il serait préférable d’étoffer les règles de pratique squelettiques en vigueur à cette époque en Alberta. À la même époque, les Règles des Cours fédérales étaient également peu détaillées, et laissaient au juge le soin de se prononcer de façon ponctuelle dans chaque affaire. Les règles relatives au recours collectif, la règle 299.1 et suivantes, ont été ajoutées en 2002 [DORS/2002-417, art. 17]. L’élément essentiel est qu’un recours collectif envisagé doit être autorisé avant que les demandeurs dont les noms sont expressément mentionnés dans la demande d’autorisa-tion puissent poursuivre l’action pour le compte d’autres personnes. Le reste n’est que des détails accessoires.

[27]Sous réserve de ces détails, le juge « autorise » une action comme recours collectif si cinq conditions sont remplies :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon équitable et efficace les points de droit ou de fait collectifs;

e) enfin, un représentant demandeur doit être en mesure de représenter de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe, il a élaboré un plan qui propose une mesure efficace pour poursuivre l’action, il n’a pas de conflit d’intérêt avec d’autres membres du groupe et il communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours conclues avec l’avocat du groupe.

[28]Je vais examiner tour à tour chacune de ces conditions.

a) Une cause d’action valable

[29]L’alinéa 299.18(1)a) [édicté par DORS/2002-417, art. 17] des Règles des Cours fédérales exige ceci:

299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies  :

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

Le paragraphe 299.18(3) traite des sous‑groupes, sur lesquels je reviendrai plus tard.

[30]Un acte de procédure (pleading) est défini de la façon suivante à la règle 2 des Règles des Cours fédérales  :

2. [. . .]

« acte de procédure » Acte par lequel une instance est introduite, les prétentions des parties sont énoncées ou une réponse est donnée.

Selon cette définition, le dossier contient trois actes de procédure  : la déclaration, la défense et la réponse.

[31]Il existe une différence de libellé importante entre la règle 221 et la règle 299.18 [édicté par DORS/2002-417, art. 17] des Règles. La règle 221 prévoit expressément qu’aucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une requête en radiation fondée sur l’absence de cause d’action ou de défense valable, selon le cas. La règle 299.18 est muette sur ce point. La règle 299.17 [édictée, idem] des Règles exige le dépôt d’un affidavit à l’appui de la requête en autorisation et envisage la possibilité que le défendeur dépose un affidavit en réponse. Les parties ont non seulement déposé des affidavits, mais elles ont joint à titre de pièces à ces affidavits des documents volumineux, notamment les rapports annuels au Parlement cités dans la déclaration.

[32]S’il n’y avait pas de décision faisant autorité sur ce point, j’aurais peut‑être été enclin à tenir compte des preuves documentaires et des affidavits. La règle 299.17 des Règles n’a pas pour but de limiter les preuves par affidavit aux seules questions concernant l’existence d’une cause d’action valable. On pourrait dire que les actes de procédure ne « révèlent » pas une cause d’action mais qu’ils en « allèguent » une.

[33]J’ai toutefois eu l’avantage de lire l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Le Corre c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 127. Cet arrêt repose sur la conclusion selon laquelle la déclaration ne révélait pas de cause d’action valable, mais la Cour a insisté sur le fait qu’il fallait tenir compte de tous les actes de procédure. Toutefois, les affidavits et les documents qui y sont joints ne constituent pas des actes de procédure.

[34]Il a été clairement exposé que les actes de procédure révèlent une cause d’action valable aux fins d’une demande d’autorisation, s’il n’est pas manifeste et évident que la demande est mal fondée (Western Canadian Shopping Centres, aux paragraphes 14 et 45, et Le Corre). La seule différence qui existe entre une requête en radiation d’une déclaration et une requête en autorisation est que pour cette dernière, le fardeau incombe au demandeur, alors que selon l’alinéa 221(1)a) des Règles, le fardeau incombe au défendeur.

[35]La déclaration révèle une cause d’action valable s’il n’est pas manifeste et évident, ou établi au‑delà de tout doute raisonnable, que l’action sera rejetée. En fait, selon l’arrêt Le Corre, le critère applicable aux règles 221 et 299.18 des Règles est identique et j’ai déjà rejeté la requête en radiation présentée par le ministre (sauf en ce qui concerne les allégations de faute).

[36]Pour l’essentiel, la défense reprend les mêmes motifs qu’invoque le ministre dans sa demande de radiation de la déclaration. Il allègue la période de prescription de six ans prévue par l’article 39 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 10; 2002, ch. 8, art. 38] de la Loi sur les Cours fédérales, étant donné que la déclaration semble viser les demandes qui ont été présentées, ou présentées et traitées, plus de six ans avant le dépôt de la déclaration. Ni le délai de 30 jours dans lequel le contrôle judiciaire doit être demandé comme l’exige l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, ni le délai de 15 jours, et dans certains cas de 60 jours, envisagé par le paragraphe 72(2) [mod., idem, art. 194] de la LIPR n’ont été invoqués.

[37]S’il était pertinent de tenir compte des affidavits déposés pour le compte du ministre, dont la force probante est considérablement affaiblie étant donné que la plupart des renseignements qu’ils contiennent ont été fournis soit sur la base de renseignements et de croyances, soit par des déposants qui n’étaient pas des responsables de la tenue de registres compétents au sens de la Loi sur la preuve au Canada [L.R.C. (1985), ch. C-5], il serait possible de noter que le ministre s’appuie sur les trois principes fondamentaux contestés dans la présente action. Il affirme que les services ont été fournis à perte (les gouvernements dépensent de l’argent et ne font pas de bénéfices). Deuxièmement, il y a des erreurs dans la comptabilité, du moins tel qu’interprétée par les demandeurs. Enfin, si le programme a permis de réaliser des bénéfices, il n’y a rien à redire.

[38]La déclaration allègue que Citoyenneté et Immigration Canada a présenté au Parlement des rapports qui exposent les divers coûts annuels des services reçus par le groupe présumé des demandeurs, ainsi que les droits annuels générés par ces demandes. Par exemple, le groupe des demandeurs a versé 213,4 millions de dollars au cours de l’exercice financier se terminant le 31 mars 1999. Il était allégué que le coût total s’élevait à 108,7 millions de dollars, ce qui semble faire ressortir des bénéfices de 104,7 millions de dollars.

[39]Cependant, s’il est possible de tenir compte du rapport concernant cette année‑là, il faut reconnaître que les demandeurs n’ont pas donné une image complète de la situation. Le rapport répartit les activités de Citoyenneté et Immigration en cinq « secteurs d’activité ». Les dépenses alléguées par les demandeurs auraient été engagées dans un de ces cinq secteurs, sans tenir compte du coût des services fournis par les autres ministères. Pour l’exercice se terminant le 31 mars 1999, le coût total estimatif de ces services s’élevait à 155,5 millions de dollars. Cependant, si l’on répartit proportionnellement ce coût estimatif, qui n’a pas été réparti entre les cinq secteurs d’activités commerciales, la réclamation des demandeurs ne serait réduite que de 23,94 millions de dollars, ce qui laisse encore à la Couronne des bénéfices de plus de 80 millions de dollars pour cette année‑là. Les rapports eux‑mêmes ne précisent pas ce qui est inclus dans les dépenses et ce qui ne l’est pas. Les dépenses communes associées aux ambassades sont‑elles réparties entre plusieurs ministères? Si c’est le cas, comment? Comment les autorisations de sécurité accordées par le SCRS sont‑elles facturées? Qu’en est‑il des frais fixes?

[40]Les demandeurs sont également critiqué parce qu’ils auraient pu et dû formuler des allégations précises concernant le rapport au Parlement concernant l’exercice se terminant le 31 mars 2004. Si l’on se fonde sur la méthode qui a été utilisée pour les autres années, les services ont été fournis à perte, même si l’on ne tient pas compte de l’estimation des dépenses encourues par les autres ministères. Il n’est toutefois pas possible d’affirmer que les services étaient toujours rendus au cours du même exercice financier que celui pendant lequel les droits avaient été payés. Les droits sont payables à l’avance. Manifestement, si le droit est versé le 31 mars, les services seront rendus au cours de l’exercice financier suivant. Certaines demandes de visas, comme celles de nature temporaire, sont traitées rapidement, mais le traitement d’autres demandes, comme les visas de résidence permanente, qui exige que l’on procède à des vérifications de sécurité, peuvent s’étaler sur plusieurs exercices financiers.

[41]J’estime que la déclaration, et l’ensemble des actes de procédure, révèlent une cause d’action valable pour ce qui est de certains membres du groupe proposé, mais je ne peux dire la même chose à l’égard de ceux qui ont déposé leurs demandes après le 31 mars 2003. La déclaration ne contient aucune allégation concernant l’exercice financier 2003‑2004, et il est donc difficile d’affirmer qu’elle révèle une cause d’action valable. En outre, pour les personnes qui ont déposé leurs demandes après le 31 mars 2004, il est impossible d’alléguer qu’elles ont permis de réaliser des bénéfices, étant donné que l’exercice financier 2004‑2005 n’était pas terminé lorsque la déclaration a été déposée le 11 mars 2005.

b) Un groupe identifiable

[42]L’alinéa 299.18(1)b) des Règles exige également que  :

299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies  :

[. . .]

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

[43]Il existe certainement en l’espèce un groupe formé d’au moins deux personnes. Le problème, d’après le ministre, est qu’il existe de nombreux groupes. Les premiers droits ont été imposés en février 1986 pour les demandes de résidence permanente et les autres demandes de visas ou d’autorisation. Il y a eu ensuite neuf étapes distinctes entre ce moment‑là et juin 1997. En juin 2002, le Règlement sur les prix à payerLoi sur limmigration [DORS/97-22] a été abrogé et le nouveau Règlement sur limmigration et la protection des réfugiés est entré en vigueur. La plupart des droits prévus ont été reportés, mais il y a eu certaines modifications. Les demandeurs ont recensé près de 52 genres de demandes de visas ou des documents semblables. La différence qui existe entre le nombre des membres du groupe proposé, qui comprend 2 à 3 millions de personnes, et le nombre des demandes en question, entre 9 et 10 millions (nombres que j’ai arrondis) vient du fait que chaque personne a bien souvent présenté plusieurs demandes.

[44]En mettant de côté la prescription, il sera peut‑être nécessaire de créer des sous‑groupes, si le recours est autorisé. Cependant, à cette étape‑ci, pour paraphraser l’arrêt Rumley, tous les demandeurs allèguent qu’il y a eu violation systémique du paragraphe 19(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Il est très possible que cette allégation soit jugée par la suite mal fondée. On peut tenir pour acquis pour le moment qu’il est possible de calculer de façon assez précise les dépenses, mais les recettes sont susceptibles de varier de façon considérable en fonction du nombre des demandes et d’autres facteurs comme les taux de change. Il n’y a pas de raison pour le moment de scinder le groupe. Dans l’arrêt Rumley, le groupe englobait les personnes qui avaient fréquenté les pensionnats sur une période de plus de 40 ans.

[45]Il existe au moins un sous‑groupe potentiel évident :  celui  des  personnes  visées  par  une prescrip-tion. Il sera plus commode d’examiner cette question à titre de question collective, ci‑dessous.

[46]Comme la Cour suprême l’a noté dans l’arrêt Western Canadian Shopping Centres, au paragraphe 54 :

L’argument des défendeurs selon lequel il existe de nombreux groupes de demandeurs n’est pas convaincant. Sans aucun doute, il y a des différences. Des investisseurs différents ont investi à différentes époques, dans des ressorts différents, en se fondant sur des notices d’offre différentes, par le biais de représentants différents, dans différentes séries de débentures, et ont entendu parler des événements sous‑jacents par différents documents d’information. Certains investisseurs peuvent disposer de droits de résiliation que d’autres n’ont pas. Il demeure toutefois que les investisseurs soulèvent essentiellement les mêmes revendications qui exigent la résolution des mêmes faits. Il est possible qu’en fin de compte émergent différents sous‑groupes d’investisseurs qui auront des droits différents contre les défendeurs, cependant cette possibilité ne retire pas le droit des investisseurs de poursuivre collectivement. Si des différences importantes surviennent, le tribunal réglera la question le moment venu.

[47]Je conclurai sur ce point en disant qu’il existe un groupe identifiable.

c) Les points de droit ou de fait collectifs

[48]L’alinéa 299.18(1)c) des Règles exige également ce qui suit  :

299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies  :

[. . .]

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait collectifs, qu’ils prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

[49]La violation systémique alléguée de la Loi sur la gestion des finances publiques constitue le point de droit et de fait collectif exigé. Le Règlement impose différents droits pour les différentes demandes de visas. Il ne mentionne pas si le montant de ces différents droits a été fixé autrement qu’en utilisant une seule méthode. Les preuves dont nous disposons indiquent, si elles sont pertinentes, que les droits varient en fonction du temps qu’exige le traitement des différents types de demandes.

[50]Il y a évidemment une question qui ne touche pas l’ensemble du groupe proposé. Ceux dont la cause d’action remonte à plus de six ans avant le dépôt de la déclaration pourraient être visés par la prescription prévue à l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales.

i) L’affaire Knight

[51]Après l’audition de la requête en autorisation, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a prononcé un jugement dans l’affaire Knight v. Imperial Tobacco Canada Ltd. (2006), 267 D.L.R. (4th) 579. Comme cette affaire intéresse manifestement la présente espèce, les parties ont été re‑convoquées pour leur donner la possibilité de présenter des observations au sujet de la portée de cet arrêt.

[52]M. Knight a institué une action en mai 2003, alléguant que la commercialisation par la défenderesse de cigarettes « légères » et « douces » était fausse et trompeuse. Il a proposé un recours collectif pour le compte de tous ceux qui ont acheté des cigarettes légères ou douces après le 4 juillet 1974. Cependant, la Cour d’appel a appliqué la prescription de six ans prévue par la loi de prescription et limité le groupe aux personnes qui avaient acheté ces cigarettes moins de six ans avant l’institution de l’action. La Cour d’appel a pris soin de ne pas se prononcer sur la question de savoir si le recours des personnes qui avaient acheté ces cigarettes avant cette date était prescrit. Elle a plutôt estimé que la question de la prescription ne pouvait être instruite à titre de point de droit collectif, étant donné que cette question fait nécessairement appel à l’évaluation de la situation de chaque personne, et elle a donc refusé d’inclure dans le groupe les personnes visées à première vue par la prescription. Elle s’est fondée sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Novak c. Bond, [1999] 1 R.C.S. 808, dans laquelle la juge en chef McLachlin a déclaré (au paragraphe 90) :

Je conclus que le demandeur ne peut être justifié d’agir après l’expiration du délai de prescription que lorsque son intérêt et les circonstances qui lui sont propres sont si pressants qu’une personne raisonnable conclurait, compte tenu de cet intérêt et de ces circonstances, que le demandeur ne pouvait pas raisonnablement intenter une action au moment où s’est cristallisé son droit d’action comme tel. Dans chaque cas, la tâche consiste à déterminer le moment où le demandeur aurait pu raisonnablement intenter une action, compte tenu de son intérêt et des circonstances qui lui sont propres.

[53]Ce raisonnement me paraît très convaincant. Cependant, en l’espèce, il y a trois points de départ possibles de la prescription  : la date à laquelle le droit relatif à la demande a été versé, la date à laquelle le service a été fourni (ou plus exactement, la date à laquelle le demandeur a été informé de la décision le concernant) et la date à laquelle le demandeur a été en mesure de savoir que l’État a peut‑être fait des bénéfices.

[54]Sur ce dernier point, les parties ont admis que le dernier rapport annuel rendu public six ans avant que la présente action ait été instituée, à savoir le 11 mars 2005, en l’occurrence celui qui était disponible le 11 mars 1999, était le rapport concernant l’exercice financier 1997‑1998, exercice qui s’est terminé le 31 mars 1998. Les parties n’étaient pas en mesure d’affirmer avec certitude quelle était la date à laquelle ce rapport avait été rendu public. Habituellement, ces rapports sont publiés vers la fin du mois d’octobre. Elles ont toutefois admis qu’il a sans doute été rendu public avant la fin du mois de décembre 1998. Cela n’a pas une grande importance parce que seules les personnes qui ont fait l’objet d’une décision prise avant le 31 mars 1998 auraient été en mesure de savoir au moment où la déclaration a été déposée que l’État a peut‑être enregistré des bénéfices.

[55]L’avocat des demandeurs a proposé que la Cour autorise le recours pour le groupe des personnes qui ont versé des droits de demande après le 10 mars 1999, de façon à ne pas avoir à régler au préalable la question de la prescription. Le ministre ne s’y est pas opposé. Les avocats ont pris soin de préciser qu’ils ne reconnaissaient pas que les personnes qui avaient versé des droits de demande avant cette date ne pourraient jamais faire partie de ce groupe à cause de la prescription. Ils pensaient que si les autres aspects de l’affaire évoluaient comme ils l’espéraient, ils pourraient alors présenter une requête en vue d’obtenir l’expansion du groupe retenu et aborder ensuite la question de la prescription de six ans. Étant donné que je n’autorise aucun groupe à exercer un recours, il serait inéquitable d’être aussi restrictif dans la partie générale de mon analyse. Je dirais cependant que je ne serais pas disposé à inclure dans un groupe ceux qui avaient pris connaissance des décisions les concernant le 31 mars 1998 ou avant cette date.

d) Le recours collectif est‑il le meilleur moyen de régler ces points?

[56]Outre le recours collectif, il existe un certain nombre d’autres possibilités à envisager. On pourrait, par exemple, présenter une demande de contrôle judiciaire type. Dans le contexte d’une action, outre le recours collectif, on pourrait présenter une cause type, une réunion de causes d’action ou une réunion d’instances (Hollick, au paragraphe 28 et suivants et Tihomirovs, au paragraphe 18).

[57]Pour que les demandeurs obtiennent gain de cause, il faudra à un moment donné que leur demande de contrôle judiciaire soit traitée comme une action, et peut‑être réunie avec la présente action. Les demandeurs sollicitent un jugement pécuniaire. Ils ont besoin, à titre de condition préalable, d’un jugement déclarant que le règlement sur les droits est invalide. Ils peuvent obtenir un tel jugement en présentant une demande de contrôle judiciaire. Il a toutefois été jugé qu’une action en responsabilité contre la Couronne ne peut être présentée par voie de demande de contrôle judiciaire (voir par exemple Al‑Mhamad c. Conseil de la radiodiffusion des télécommunications canadiennes, 2003 CAF 45). Il ne s’agit pas ici d’une action en responsabilité mais d’une action pour enrichissement sans cause, à laquelle un certain nombre de moyens de défense ont été opposés, notamment l’allégation par Sa Majesté que la situation a changé. Un changement de situation n’est pas assimilable à une décision d’un office fédéral. Il faut plutôt le qualifier de moyen de défense à une action.

[58]Il serait tentant d’autoriser simplement la poursuite de l’action telle qu’elle est formulée actuellement. Dans l’arrêt Hamel c. Brunelle et al., [1977] 1 R.C.S. 147, le juge Pigeon nous a rappelé qu’il faut que la [à la page 156] « procédure reste la servante de la justice et n’en devienne jamais la maîtresse ». Dans l’arrêt Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539 (C.A.) (QL), le juge Décary a déclaré au sujet des distinctions ténues, et parfois subtiles, qui existent entre les actions et les demandes de contrôle judiciaire [au paragraphe 14] : « Cette fâcheuse valse‑hésitation est un gaspillage de ressources pour les parties au litige aussi bien que pour la Cour ». De plus, la règle 3 des Règles des Cours fédérales précise que les règles doivent être interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[59]S’il s’agissait d’une simple question de procédure, je sais ce que je ferais avec ces deux types d’instances différents. Je ferais ce qu’a fait lord Denning, maître des rôles, dans Letang v. Cooper, [1964] 2 All. E.R. 929, à la page 932  :

[traduction]

Je suis par conséquent obligé de refuser de m’inspirer des anciennes formes d’action pour interpréter cette loi. Je sais qu’au siècle dernier, MAITLAND a déclaré « nous avons supprimé les formes d’actions mais mêmes mortes, elles continuent à nous commander ». Mais au cours de ce siècle, nous nous sommes libérés de leurs entraves. Ces formes d’actions ont eu leur utilité. À une certaine époque, elles ont guidé l’exercice des droits substantiels; mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. LORD ATKIN nous a dit ce qu’il fallait en faire  :

« Lorsque les fantômes du passé se mettent dans le chemin de la justice, en agitant leurs chaînes moyenâgeuses, le juge doit demeurer impassible et poursuivre sa route. Voir United Australia, Ltd. v. Barclays Bank Ltd., [1940] 4 All E.R. 20, à la page 37 ».

[60]Malheureusement, les demandeurs doivent surmonter deux obstacles. Le premier est qu’il est maintenant trop tard pour présenter une demande de contrôle judiciaire. Ils doivent obtenir une prorogation. Deuxièmement, s’ils présentent une demande de contrôle judiciaire aux termes de la LIPR, ils doivent obtenir une autorisation. Le critère applicable aux demandes d’autorisation n’est pas de savoir si « les actes de procédure révèlent une cause d’action valable ». Le critère consiste plutôt à savoir si le dossier montre qu’il existe un cas raisonnablement défendable (Bains c. Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration) (1990), 47 Admin. L.R. 317 (C.A.F.)). Cette norme n’exige pas que l’auteur de la demande démontre qu’il obtiendra probablement gain de cause selon la prépondérance des probabilités, mais cette norme est néanmoins plus exigeante que celle qui consiste à établir qu’il n’est pas manifeste et évident qu’il n’y a pas de cause d’action. De plus, il n’est possible d’interjeter appel de la décision de la Cour concernant une demande de contrôle judiciaire présentée aux termes de la LIPR que si « le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle‑ci » (alinéa 74d)).

[61]L’arrêt Tihomirovs, prononcé par la Cour d’appel a eu pour effet de renvoyer cette affaire devant la Cour. Dans Tihomirovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), [2006] 4 R.C.F. 341 (C.F.), la juge Mactavish a estimé que les actes de procédure (aucun dossier ne lui avait été présenté) ne révélaient pas une cause d’action valable. Elle a néanmoins déclaré qu’elle craignait que le groupe proposé comprenne des personnes dont les demandes de visas avaient été refusées et qui n’avaient pas présenté une demande de contrôle judiciaire en temps utile (voir le paragraphe 90 et suivants). Étant donné que les actes de procédure ne révélaient aucune cause d’action, elle n’a pas eu à décider s’il y avait lieu de proroger le délai.

[62]Aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, la demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours de la communication aux parties de la décision en question. Il semble assez étrange qu’une décision fondée sur un règlement prétendument invalide doive être contestée dans les 30 jours suivants mais cela semble être l’effet combiné des arrêts Saskatchewan Wheat Pool Inc., et Grenier. Dans Grenier, la Cour d’appel fédérale a établi une distinction avec la décision qu’elle avait prononcée dans l’affaire Sweet, parce que dans un cas mais non dans l’autre, le délai de 30 jours était expiré.

[63]Bien entendu, la Cour peut toujours proroger le délai, mais cette question ne m’a pas été soumise pour le moment.

[64]La question de l’autorisation à titre de condition préalable au contrôle judiciaire découle du paragraphe 72(1) de la LIPR qui énonce  :

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure—décision, ordonnance, question ou affaire—prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

[65]Les demandeurs ne contestent pas la teneur du Règlement, mais uniquement le coût des droits relatifs aux demandes. Il importe de noter que ces divers règlements ont été pris par le gouverneur général en conseil sur la recommandation du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et du Conseil du Trésor. Les diverses proclamations publiées dans la Gazette du Canada font référence à la fois à la LIPR ou à la loi qu’elle remplace et à la Loi sur la gestion des finances publiques.

[66]La question de l’autorisation ne m’a pas été soumise et pourra être examinée plus tard. Si la demande de contrôle judiciaire est présentée aux termes de la LIPR, le paragraphe 72(2) de cette loi énonce que la demande doit être déposée dans les 15 ou 60 jours, selon que l’affaire a pris naissance au Canada ou à l’étranger. Peu importe que le délai soit de 15, 30 ou 60 jours, la demande de contrôle judiciaire présentée par un membre du groupe proposé est tardive, à moins que la Cour ne proroge le délai prévu.

[67]La LIPR prévoit également que le contrôle judiciaire ne peut être entendu « à moins de trente jours [. . .] ni à plus de quatre-vingt-dix jours » de la date à laquelle la demande d’autorisation est accueillie (article 74). Compte tenu de la complexité de la présente affaire, il sera impossible de respecter ce délai.

[68]Il ne s’agit pas de savoir si la demande de contrôle judiciaire devrait être traitée comme une action (ou convertie en une action), mais de savoir quand cela sera fait. Il se peut fort bien que la validité du règlement puisse être examinée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, en tenant pour acquis, sans me prononcer sur ce point, que les recettes sont supérieures aux dépenses. Si le règlement est invalidé, j’aurais tendance à penser que la question de savoir si les recettes l’emportent en fait sur les dépenses ainsi que le caractère raisonnable des calculs budgétaires serait mieux tranchée dans le cadre d’une action. Il n’y a pas d’interrogatoire préalable dans une procédure de contrôle judiciaire et les experts y témoignent par voie d’affidavit. La communication des documents, un interrogatoire préalable oral et le témoignage direct d’experts financiers devant le tribunal, et peut‑être d’autres, joueraient un rôle essentiel. Procéder par voie d’action éviterait également le problème très délicat que poserait la reconstitution du dossier, tel qu’il se présentait à l’origine au décideur. Les percepteurs des droits ne disposaient sans doute que d’une série de lignes directrices. De quels documents disposait le gouverneur en conseil?

[69]À la différence de l’affaire Hollick, il n’existe pas d’autre régime d’indemnisation auquel les demandeurs pourraient avoir recours.

[70]En résumé, si l’affaire suit son cours, il faudra à un moment donné présenter une demande de contrôle judiciaire, une instance dérivée de la présente action, qui devra être traitée comme une action et autorisée à titre de recours collectif.

e) Un représentant demandeur

[71]Enfin, l’alinéa 299.18(1)e) des Règles exige ce qui suit :

299.18 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une action comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies  :

[. . .]

e) un des membres du groupe peut agir comme représentant demandeur et, à ce titre  :

(i) représenterait de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’action au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés du déroulement de l’instance,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait collectifs,

(iv) communique un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et son avocat.

[72]Les demandeurs ont d’abord proposé qu’un des 11 demandeurs énumérés, Pankaj Sharma, agisse comme représentant demandeur avec Suham Caricote Armando, qui n’avait pas été expressément désignée en qualité de demanderesse. Ces deux personnes ont déposé des affidavits. Par la suite, Mme Armando a refusé d’être contre‑interrogée. Le contre‑interrogatoire de M. Sharma, qui se trouvait en Inde, a commencé au téléphone. La communication était extrêmement mauvaise. Le groupe proposé a retiré leur nom à titre de représentants demandeurs. C’est là que sont intervenus les Hinton.

[73]Le défendeur s’oppose à leur statut de représentant parce qu’ils ont été recrutés et ignorent tout du droit de l’immigration. Ils ont été contre‑interrogés au sujet de leurs affidavits.

[74]Les Règles exigent que les Hinton communiquent un sommaire des ententes relatives aux honoraires et débours. Il n’est pas surprenant qu’une entente prévoyant des honoraires et des débours conditionnels ait été conclue. En effet, qui voudrait bien contester la validité d’un règlement et serait disposé à dépenser des centaines de milliers de dollars pour récupérer disons 20 p. 100 du montant de 75 $ versé pour un visa temporaire?

[75]On ne peut s’attendre à ce que des citoyens ordinaires, y compris des personnes ayant immigrés au Canada, aient une connaissance professionnelle du droit de l’immigration et de la procédure de recours collectif. En fait, la plupart des avocats n’ont pas ces connaissances. Les Hinton estiment que le processus est fondamentalement inéquitable. J’estime qu’ils seraient en mesure de représenter de façon équitable et appropriée les intérêts du groupe.

[76]Ils ont préparé un plan contentieux. L’élément essentiel du projet est de demander à la Cour de se concentrer au départ sur un seul exercice financier. Il est possible que le résultat de cette analyse mette fin à l’action ou convainque le ministre de conclure un règlement à l’amiable.

[77]Ce plan pourrait être mis en œuvre mais il est prématuré parce qu’il faut d’abord présenter une demande de contrôle judiciaire, la convertir en action, et l’action doit ensuite être autorisée. Comme je l’ai mentionné dans la section ci‑dessus qui traitait du meilleur moyen de trancher ces questions, je ne suis pas disposé à émettre des hypothèses sur la question de savoir si une demande de contrôle judiciaire sera déposée et, dans le cas où elle le serait, à quelle étape de celle‑ci il conviendrait de présenter une requête pour qu’elle soit traitée comme une action et autorisée comme recours collectif. La validité du Règlement contesté pourrait fort bien être tranchée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. La décision définitive qui serait prononcée à l’égard d’une telle demande pourrait avoir pour effet de rendre l’action théorique à toutes fins pratiques.

[78]Quoi qu’il en soit, étant donné que la requête en autorisation a été contestée de toute part au cours des deux journées consacrées à son instruction, j’ai déclaré que nous n’examinerions les modalités du plan, pour essayer de l’améliorer, qu’une fois prise la décision sur l’autorisation. Étant donné que la requête en autorisation est rejetée, il n’est pas utile d’examiner maintenant le plan.

[79]Cependant, le ministre a également affirmé que les Hinton se trouvaient dans une situation de conflit d’intérêts. Ils ne sont concernés que par un petit nombre de types de demandes de visas et n’ont aucun intérêt dans les autres types de demandes. En outre, ils ne sont pas visés par la prescription éventuelle de six ans alors que certains autres membres du groupe le sont, au cas, par exemple, où le délai commencerait à courir au moment du versement du droit relatif à une demande.

[80]Comme je l’ai mentionné plus haut dans les présents motifs, j’estime qu’à ce stade‑ci, l’allégation selon laquelle il y a eu violation systémique de la Loi sur la gestion des finances publiques est un point de droit collectif. L’immense majorité de ceux qui pourraient être visés par une prescription de six ans ont été écartés du groupe. Il faudra peut‑être préciser certaines choses un peu plus tard.

CONCLUSION

[81]J’ai tenu compte des éléments exposés au paragraphe 299.18(2) des Règles. Les points de droit et de fait collectifs prédominent. Le nombre des membres du groupe qui pourraient avoir un véritable intérêt à contrôler individuellement leur propre action est très faible. Présenter une réclamation, qu’elle vise un seul visa ou dix millions de visas, coûtera une fortune. Il est difficile d’imaginer qu’un membre du groupe pourrait souhaiter intenter sa propre action. Les autres voies permettant de résoudre ces demandes sont, à mon avis, moins pratiques et moins efficaces. On pourrait soutenir en plaisantant que l’administration d’un recours collectif serait plus complexe que celle d’actions distinctes, parce que ces actions individuelles seraient forcément rejetées. Dix membres du groupe avaient déposé des actions distinctes en 2001 en invoquant les mêmes motifs que ceux qui sont invoqués ici  : le coût réel du service était inférieur aux droits perçus. Il n’a été donné suite à aucune de ces actions. Il y a eu un certain nombre de désistements et d’autres actions ont été rejetées parce que le demandeur n’avait pas répondu aux requêtes du défendeur. Cela montre au moins qu’en pratique, les demandeurs ne pourront faire avancer leur cause que s’ils se regroupent.

[82]Pour les motifs fournis, j’estime que le groupe proposé est trop large. Il conviendrait de le limiter à ceux qui ont versé des droits directement ou indirectement après le 31 mars 1994 aux termes des divers règlements applicables et qui n’ont été informés de la décision définitive les concernant qu’après le 31 mars 1998. De plus, les personnes qui ont déposé des demandes après le 31 mars 2003 seraient également exclues du groupe, étant donné que les actes de procédure ne révèlent pas dans leur cas une cause d’action valable.

[83]Je rejette pour le moment la requête en autorisation mais l’action demeure une instance à gestion spéciale. Il n’y a pas lieu de prendre d’autre mesure avant l’expiration des délais d’appel. Si les demandeurs interjettent appel, il faudrait se demander si la présente action doit être suspendue et, si c’est le cas, pour quel motif. S’ils n’interjettent pas appel, il conviendra d’examiner les modalités de la demande de contrôle judiciaire envisagée dans les présents motifs.

[84]Sans préjudice du droit d’appel des demandeurs, j’invite les parties à débattre entre elles de l’avenir de la présente action. Dans le cas où un appel serait interjeté ou à l’expiration du délai d’appel, ou à une date plus rapprochée sur laquelle les parties pourraient s’entendre, la Cour ordonne aux demandeurs de solliciter une autre conférence de gestion de l’instance.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE  : la requête en autorisation de la présente action comme recours collectif est rejetée.

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