T‑2728‑96
2006 CF 446
Robert Châteauneuf, en son nom personnel et en qualité de représentant de toutes les personnes physiques qui, employées de la compagnie Singer, se sont enregistrées au contrat collectif de rentes G‑522 et ont acquis et conservé, au 12 décembre 1966 ou après, le droit de recevoir du service des Rentes sur l’État du gouvernement fédéral canadien, une rente viagère composée de leurs contributions et de celles de leur employeur, ainsi que les ayants droit ayant pu naître à ces personnes physiques en raison de leur décès. (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
Répertorié : Châteauneuf c. Canada (C.F.)
Cour fédérale, juge Tremblay‑Lamer—Montréal, 30 mars; Ottawa, 6 avril 2006.
Pratique — Recours collectifs — Conventions relatives aux honoraires et aux débours entre le représentant de la partie demanderesse et ses procureurs — Ces conventions devaient être approuvées par la Cour, mais les Règles de la Cour fédérale (1998) et la jurisprudence antérieure étaient silencieuses quant aux facteurs à considérer dans le cadre d’une requête visant l’approbation d’une convention d’honoraires — La jurisprudence du Québec, de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique a été examinée et appliquée — Il s’agissait de savoir si la convention d’honoraires était raisonnable compte tenu des circonstances et des efforts consacrés au dossier — Facteurs pertinents à examiner — Requête accueillie.
Il s’agissait d’une requête visant l’approbation de la convention d’honoraires intervenue entre le représentant du groupe et ses procureurs dans le cadre d’un recours collectif.
Jugement : la requête doit être accueillie.
La jurisprudence de diverses autres juridictions (Québec, Ontario et Colombie‑Britannique) a été passée en revue puisque les Règles de la Cour fédérale (1998) et la jurisprudence de la Cour étaient silencieuses quant aux facteurs à considérer lorsque la Cour est saisie d’une requête visant l’approbation d’une convention d’honoraires. En dernier ressort, il ne fait aucun doute que la Cour ne peut approuver une convention d’honoraires que si elle est satisfaite que celle‑ci est raisonnable compte tenu des circonstances et des efforts consacrés au dossier. Les facteurs retenus dans les autres juridictions reçoivent pleine application pour guider la Cour dans cette détermination.
En l’espèce, l’expérience des procureurs, le temps consacré à l’affaire, les tarifs actuels des procureurs, la difficulté du problème soumis, l’importance de l’affaire, le résultat obtenu, la responsabilité assumée par les procureurs du représentant, le risque encouru et les honoraires dans des cas semblables ont été examinés. La convention d’honoraires était raisonnable compte tenu du travail accompli par les procureurs du représentant, que ces procureurs ont assumé presque totalement le risque financier du dossier pendant environ 10 ans et que leur travail a été couronné d’un succès appréciable vu le résultat incertain du procès. Elle constituait une incitation financière adéquate qui a permis l’accès à la justice à un groupe de personnes qui n’avait pas les moyens d’entreprendre ce recours d’envergure.
lois et règlements cités
Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50, art. 38(2).
Code de déontologie des avocats, R.R.Q., 1981, ch. B‑1, r. 1, art. 3.08.02.
Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6, art. 33(7),(8).
Loi relative aux rentes sur l’État, S.R.C. 1970, ch. G‑6.
Loi sur le recours collectif, L.R.Q., ch. R‑2.1, art. 30, 32, 37.1 (édicté par L.Q. 1999, ch. 70, art. 1).
Règlement de procédure civile, R.R.Q., 1981, ch. C‑25, r. 8, règles 63, 65.
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98‑106, règles 4, 299.1 à 299.42 (édictées par DORS/2002‑417, art. 17).
jurisprudence citée
décisions examinées :
Caumartin c. Bordet, 500‑06‑000002‑838, 23 août 1984 (C.S. Qué.); Endean v. Canadian Red Cross Society, [2000] 8 W.W.R. 294; (2000), 78 B.C.L.R. (3d) 28; 45 C.P.C. (4th) 39; 2000 BCSC 971.
décisions citées :
Nault c. Jarmark, [1985] R.D.J. 180 (C.S. Qué.); Page c. Canada (Procureur général), [2000] J.Q. no 3020 (C.S.) (QL); Vitapharm Canada Ltd. v. F. Hoffmann‑La Roche Ltd., [2005] O.J. no 1117 (C.S.J.); Windisman v. Toronto College Park Ltd. (1996), 3 C.P.C. (4th) 369 (Div. gén. Ont.); Cardozo v. Becton, Dickinson and Co., 2005 BCSC 1612; Doyer v. Dow Corning Corp., [1999] Q.J. no 6203 (C.S.) (QL).
doctrine citée
Mulheron, Rachael. The Class Action in Common Law Legal Systems : A Comparative Perspective. Oxford : Hart, 2004.
Saunders, Brian J. et al. Federal Courts Practice 2006. Toronto : Thomson/Carswell, 2005.
Requête visant l’approbation de la convention d’honoraires intervenue entre le représentant du groupe et ses procureurs dans le cadre d’un recours collectif. Requête accueillie.
ont comparu :
Marcel Rivest et Guy Desautels pour la demanderesse.
Carole Bureau et Linda S. Mercier, pour la défenderesse.
avocats inscrits au dossier :
Rivest, Schmidt et associés, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous‑procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs de l’ordonnance rendus en français par
[1]La juge Tremblay-Lamer : Il s’agit d’une requête visant l’approbation de la convention d’honoraires intervenue entre le représentant du groupe et ses procureurs dans le cadre d’un recours collectif en vertu de la règle 4 et la règle 299.42 [édicté par DORS/2002-417, art. 17] des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98‑106 (les Règles), des articles 30, 32 et 37.1 [édicté par L.Q. 1999, ch. 70, art. 1] de la Loi sur le recours collectif, L.R.Q., ch. R‑2.1 ainsi que des règles 63 et 65 du Règlement de procédure civile, R.R.Q., 1981, ch. C-25, r. 8.
[2]Les règles 299.1 à 299.42 [édictées par DOR/2002-417, art. 17], depuis le 21 novembre 2002, établissent un régime compréhensif à l’égard des recours collectifs. Cependant, il n’existe pas de dispositions transitoires gouvernant les recours commencés avant le nouveau régime, mais selon Brian J. Saunders et autres, Federal Courts Practice 2006, Toronto : Thomson/ Carswell, 2005, à la page 666, en règle générale, ces recours seront gouvernés par le nouveau régime.
[3]Quant aux ententes relatives aux honoraires extrajudiciaires qui sont intervenus entre le représentant et son avocat, le sous-alinéa 299.18(1)e)(iv) des Règles prévoit qu’au moment de l’action comme recours collectif, le représentant doit communiquer un sommaire au juge autorisant l’action aux honoraires et débours qui sont intervenus entre lui et son avocat. Cependant, à l’époque où la présente action a été entamée, une telle condition n’existait pas.
[4]Il est important de noter que bien que la convention d’honoraires intervienne entre le représentant et ses procureurs, les paiements ne sont pas automatiques. La règle 299.42 prévoit que tout paiement direct ou indirect à un avocat prélevé sur les sommes recouvrées à l’issue du recours collectif doit être approuvé par un juge. De plus, de façon générale, les dépens ne sont adjugés aux parties à quelque étape de l’instance que ce soit (paragraphe 299.41(1) des Règles).
[5]Cependant, les Règles, ainsi que la jurisprudence de cette Cour, sont silencieuses quant aux facteurs à considérer lorsque la Cour est saisie d’une requête visant l’approbation d’une convention d’honoraires. Dans un tel cas, je crois qu’il est utile de faire une brève revue de la jurisprudence des différentes juridictions.
Le test applicable au Québec
[6]Au Québec, relativement à une convention d’honoraires convenue entre le représentant et ses procureurs et étant donné que le représentant a été jugé apte à représenter le groupe, la Cour exerce peu son pouvoir discrétionnaire et se borne à entériner la convention d’honoraires à moins qu’elle ne la juge déraisonnable : Nault c. Jarmark, [1985] R.D.J. 180 (C.S. Qué.).
[7]L’arrêt Caumartin c. Bordet, C.S. Québec, no 500‑06‑000002‑838, 23 août 1984, énonce le principe directeur retenu pour évaluer le caractère raisonnable ou non de la convention d’honoraires. Le juge Greenberg retient les critères du temps et des efforts consacrés au dossier de préférence à celui d’un pourcentage fixe du montant de la réclamation ou des sommes recouvrées au bénéfice des membres du groupe (voir au même effet Page c. Canada (Procureur général), [2000] J.Q. no 3020 (C.S.) (QL)).
[8]Les facteurs énumérés au Code de déontologie des avocats, R.R.Q., 1981, ch. B‑1, r. 1 sont également utilisés pour guider la Cour dans la détermination du caractère raisonnable de la convention d’honoraires :
3.08.02. Les honoraires sont justes et raisonnables s’ils sont justifiés par les circonstances et proportionnés aux services professionnels rendus. L’avocat doit notamment tenir compte des facteurs suivants pour la fixation de ses honoraires :
a) l’expérience;
b) le temps consacré à l’affaire;
c) la difficulté du problème soumis;
d) l’importance de l’affaire;
e) la responsabilité assumée;
f) la prestation de services professionnels inhabituels ou exigeant une compétence ou une célérité exceptionnelles;
g) le résultat obtenu;
h) les honoraires judiciaires et extrajudiciaires prévus aux tarifs.
Le test applicable en Ontario
[9]Le recours collectif dans cette province a été institué en 1992. Il faisait suite à un rapport de la Commission de réforme du droit de l’Ontario qui faisait valoir l’importance de prévoir des incitations financières adéquates pour encourager les procureurs à accepter les risques inhérents à un tel recours, lequel facilite l’accès à la justice aux personnes n’ayant pas les moyens d’entreprendre des recours d’envergure.
[10]Le système retenu en Ontario est prévu au para-graphe 33(7) de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, L.O. 1992, ch. 6. Le tribunal saisi de la requête du procureur qui a conclu l’entente décide du montant des honoraires de base « base fee » du procureur. L’honoraire de base est calculé en multipliant les heures travaillées par leur tarif horaire habituel auquel le tribunal pourra ajouter un honoraire supplémentaire, calculé en multipliant l’honoraire de base par un multiplicateur afin de tenir compte des risques encourus par le procureur. La jurisprudence reconnaît qu’un multiplicateur entre 1.5 et 3.5 est approprié : Rachael Mulheron, The Class Action in Common Law Legal Systems : A Comparative Perspective (Oxford : Hart, 2004), à la page 474. Le tribunal décide finalement du montant des débours auquel a droit le procureur, y compris les intérêts calculés sur les débours effectués, selon le total fait à la fin de chaque semestre suivant la date de l’entente.
[11]Le paragraphe 33(8) prévoit que l’honoraire de base doit être raisonnable. Les tribunaux de l’Ontario ont énoncé des critères pour évaluer si l’honoraire de base est raisonnable, lesquels sont sensiblement les mêmes qu’au Québec :
[traduction]
a) les complexités d’ordre factuel et juridique des affaires en cause;
b) les risques courus, notamment celui que l’instance ne soit pas certifiée à titre de recours collectif;
c) le degré de responsabilité exercé par l’avocat du groupe;
d) la valeur pécuniaire attribuée aux questions en litige;
e) l’importance de l’affaire pour le groupe;
f) les qualités et la compétence dont fait preuve l’avocat du groupe;
g) les résultats obtenus;
h) la capacité de payer du groupe;
i) les attentes du groupe quant au montant des honoraires;
j) le coût de renonciation que suporte l’avocat du groupe quand il consacre du temps à la conduite et au règlement du litige.
(Voir : Vitapharm Canada Ltd. v. F. Hoffmann‑La Roche Ltd., [2005] O.J. no 1117 (C.S.J.) (QL), au paragraphe 67; Windisman v. Toronto College Park Ltd., [1996] O.J. no 2897 (Div. gén.) (QL), au paragraphe 8.)
Le test applicable en Colombie‑Britannique
[12]Le paragraphe 38(2) de la Class Proceedings Act, R.S.B.C. 1996, ch. 50 prévoit qu’une convention d’honoraires doit être approuvée par le tribunal.
[13]Comme les autres juridictions, les tribunaux de la Colombie‑Britannique ont développé des facteurs à considérer afin de déterminer si les honoraires sont raisonnables. Les facteurs sont similaires à ceux énoncés par les tribunaux en Ontario et au Québec (Cardozo v. Becton, Dickinson and Co., 2005 BCSC 1612). Cependant, dans l’arrêt Endean v. Canadian Red Cross Society, [2000] 8 W.W.R. 294 (C.S.C.-B.), la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rejeté l’usage de l’honoraire de base/multiplicateur concluant que cette approche était peu désirable compte tenu principalement de l’objectivité insuffisante de l’approche, de la possibilité d’abus de la part des avocats qui pourraient facturer des heures excessives injustifiées ou augmenter leur taux normal, ainsi que le manque de prévisibilité dans son application.
La Cour fédérale
[14]Il ne fait aucun doute que la Cour ne peut approuver une convention d’honoraires que si elle est satisfaite que celle‑ci est raisonnable compte tenu des circonstances et des efforts consacrés au dossier. Les facteurs retenus dans les autres juridictions reçoivent pleine application pour nous guider dans cette détermination. Ces facteurs ne constituent pas une liste exhaustive, mais plutôt exemplative. Chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé à la lumière des faits et des circonstances du dossier.
[15]Je reprendrai maintenant successivement les facteurs qui sont pertinents dans les circonstances du présent dossier.
1. L’expérience des procureurs
[16]Les procureurs du représentant sont à la fois spécialisés en matière de régime de retraite depuis 1988 et très versés dans les recours collectifs. Ils ont plaidé le premier recours collectif contre Singer et ont obtenu gain de cause. Ils ont plaidé avec succès de nombreuses causes de régimes de retraite, dont un grand nombre était sous la forme de recours collectifs. Je suis satisfaite que le résultat positif obtenu est dû en grande partie à la compétence de ceux‑ci.
2. Le temps consacré à l’affaire
[17]En date du 31 décembre 2005, les procureurs du représentant ont répertorié 1 620 heures de travail depuis le 1er janvier 2000, chiffre auquel ils ont ajouté 200 heures pour le travail à venir après le 31 décembre 2005. Les procureurs du représentant soutiennent que le nombre d’heures consacrées au dossier s’explique par les faits suivants : il s’agit de droit nouveau puisqu’il n’existe aucune affaire recensée mettant en cause les Rentes sur l’État; les procureurs du requérant ont eu à étudier des centaines de pièces que les Rentes sur l’État ont déposées dont le plus grand nombre était constitué de photocopies de copies « carbone » qu’il a fallu « décrypter »; le dossier était relativement complexe tant sur le plan juridique que sur le plan technique; les procureurs du représentant ont préparé le procès presque au complet en 2005, ont négocié le règlement et ont préparé les documents y afférents incluant les requêtes en approbation.
[18]Ayant étudié le résumé de la somme de travail effectuée dans le présent dossier par les procureurs du représentant pendant environ 10 ans, je suis satisfaite que le nombre d’heures consacrées au dossier est raisonnable dans les circonstances.
3. Les tarifs actuels des procureurs
[19]Étant donné le chiffre de 1 820 heures de travail en total, à un taux moyen de 225 $/heure, les honoraires des procureurs du représentant s’élèveraient à 409 500 $. Or, la convention d’honoraires prévoit des honoraires et déboursés de 350 000 $. Comme les déboursés s’élèvent à 17 000 $, il reste 333 000 $, ce qui représente 81 % des honoraires réellement investis dans le dossier. Je note également que les procureurs ne reçoivent aucune prime pour le risque encouru ni aucune prime pour le financement du recours qu’ils ont assumé pendant 10 ans.
4. La difficulté du problème soumis
[20]Les procureurs du représentant soutiennent que même si les faits remontent aussi loin que 1947, il s’agit ici de droit nouveau puisqu’il n’existe aucune affaire recensée mettant en cause les Rentes sur l’État. De plus, le fonctionnement des Rentes sur l’État est presque totalement inconnu de la communauté juridique québécoise, puisque les Rentes sur l’État ont cessé d’émettre de nouvelles polices collectives de rentes autour de 1979. Finalement, le dossier était complexe tant sur le plan juridique que sur le plan technique. Sur le plan juridique, outre des difficultés quant à la prescription, il fallait déterminer la portée de l’articulation entre le droit provincial et le droit fédéral dans le cadre de l’application de la Loi relative aux rentes sur l’État [S.R.C. 1970, ch. G-6]. De plus, il fallait interpréter cette Loi et ses règlements d’application, ce qui n’est pas facile étant donné qu’ils font référence à une réalité aujourd’hui disparue. Sur le plan technique, il fallait comprendre le mécanisme de fonctionnement des polices collectives des Rentes sur l’État sans pouvoir bénéficier d’ouvrages techniques, de doctrine ou de jurisprudence sur le sujet. Il y avait aussi des difficultés au niveau des témoins—décédés, « disparus » ou incapables de témoigner.
5. L’importance de l’affaire
[21]Pour le représentant, M. Châteauneuf, elle revêtait une grande importance. Celui‑ci s’était donné comme objectif, après la fermeture de la compagnie en 1986, de rétablir la justice dans le contexte du régime de retraite de la compagnie Singer et ce, au bénéfice de ces anciens collègues de travail. Après avoir réussi un premier recours collectif à l’égard du régime de retraite avec caisse en vigueur dans la compagnie Singer de 1964 à 1986, il a entrepris le présent recours collectif.
[22]Pour les membres, l’importance du dossier se rapporte surtout au bénéfice qu’ils tireront du règlement intervenu entre les parties. Le groupe compte 342 membres, dont environ 60 sont toujours vivants et recevront une part automatiquement. Environ 280 sont décédés et leurs ayants droits devront se manifester pour recevoir une part. Puisque le règlement est confidentiel, la part éventuelle de chacun ne peut être dévoilée. Il suffit de mentionner que le montant n’est pas négligeable par rapport à la rente annuelle actuelle des membres.
6. Le résultat obtenu
[23]Dans la décision approuvant le règlement, j’ai conclu que le règlement proposé était raisonnable et équitable compte tenu des risques d’un procès, des difficultés soulevées, du résultat plus qu’incertain ainsi que du quantum recherché. Je retiens également que le mode de distribution entre les membres du groupe est simple et leur permettra un recouvrement rapide. Une autre mesure de succès est qu’il n’y aura pas de reliquat dans le présent dossier puisque la somme totale prévue pour les membres éligibles leur sera entièrement distribuée.
7. La responsabilité assumée par les procureurs du représentant
[24]Ce facteur concerne uniquement le risque financier pris par les procureurs du représentant. Les procureurs du représentant soutiennent qu’à cet égard, le présent dossier doit être divisé en deux étapes. La première étape porte sur les années 1996 à 2000, la seconde sur les années 2000 à 2006.
[25]Pour la première étape, les procureurs du représentant ont assumé le risque financier à 100 % tant pour leurs honoraires et les déboursés que pour le financement. En effet, à cette époque, le Fonds d’aide aux recours collectifs n’avait pas le droit, en vertu de sa loi constituante, d’aider au financement de recours collectifs devant la Cour fédérale. Cela signifiait qu’en cas d’échec du recours les procureurs du représentant auraient perdu les honoraires investis, les déboursés encourus et les intérêts perdus sur les honoraires non reçus au cours de cette période. Selon la thèse de la partie demanderesse, la prescription prenait fin le 31 décembre 1996. Si les procureurs du représentant n’avaient pas accepté d’occuper dans le présent dossier dans ces conditions, le recours n’aurait jamais été entrepris et les membres du groupe n’auraient rien obtenu du tout.
[26]Suite à des représentations au ministère de la Justice du Québec, les procureurs du représentant ont obtenu des modifications à la Loi sur le recours collectif au Québec de sorte que, à compter de l’an 2000, le représentant a pu obtenir de l’aide financière, ce qui a diminué une partie du risque.
[27]Pour la seconde période, le Fonds d’aide aux recours collectifs a autorisé au représentant une aide totale de 87 750 $ pour les honoraires de ses procureurs et pour leurs déboursés professionnels. Comme la somme totale des honoraires et déboursés des procureurs est de l’ordre de 409 600 $, il faut soustraire de ce montant les honoraires correspondants aux 450 heures travaillées (pour la première période), soit 101 250 $, de sorte qu’il reste pour la seconde période des honoraires et déboursés de l’ordre de 308 250 $. Comme le Fonds a autorisé une aide de 87 750 $, cela signifie que le Fonds a assumé une part de risque équivalant à 28,5 %. Les procureurs du représentant continuaient d’assumer un risque équivalant à 71,5 %. Si l’on rajoute la somme de 101 250 $ pour la première période à 220 500 $ pour la seconde période, la somme totale est 321 750 $, un risque financier considérable pour les procureurs du représentant qui ne recevront aucune prime pour le financement du recours qu’ils ont assumé pendant 10 ans.
8. Le risque encouru
[28]En l’espèce, les procureurs assumaient un risque élevé du fait que l’affaire est de droit nouveau, puisqu’il n’existait pas de causes recensées sur les polices collectives des Rentes sur l’État. Comme je l’ai mentionné dans les motifs de la décision approuvant le règlement, les probabilités de succès du litige étaient mitigées et comportaient un risque relativement important. De plus, il existait un risque au niveau du procès puisqu’il n’y avait plus beaucoup de témoins en raison du temps écoulé et de l’âge avancé des participants. Je n’ai aucune hésitation à conclure que le résultat de ce recours était incertain et que le risque était élevé.
11. Les honoraires dans des cas semblables
[29]La Cour suprême de la Colombie‑Britannique affirmait que le pourcentage de 20 % était conforme à celui alloué dans plusieurs décisions dont la gamme s’étendait de 10 % à 33 %, ce qui représentait un chiffre raisonnable. Les cours du Québec et de l’Ontario sont arrivés à des conclusions semblables (voir : Doyer v. Dow Corning Corp., [1999] Q.J. no 6203 (C.S.) (QL), au paragraphe 14).
[30]Dans les recours collectifs, les conventions d’honoraires sont conclues entre le représentant et les procureurs choisis par ce représentant particulier. Pour cette raison, l’approbation de la Cour est importante et nécessaire pour protéger les autres membres du groupe qui n’ont pas négocié la convention et pour s’assurer que les honoraires correspondent aux services rendus, en tenant compte des circonstances particulières du dossier. Il faut éviter une situation où les procureurs du représentant s’enrichissent indûment au détriment des membres du groupe.
Conclusion
[31]Dans la présente affaire, malgré le fait que les honoraires représentent un pourcentage élevé par rapport au montant du règlement, je suis satisfaite que la convention d’honoraires est raisonnable compte tenu du travail accompli par les procureurs du représentant, que ces procureurs ont assumé presque totalement le risque financier du dossier pendant environ 10 ans et que leur travail a été couronné d’un succès appréciable vu le résultat incertain du procès. Elle constitue une incitation financière adéquate qui a permis l’accès à la justice à un groupe de personnes qui n’avait pas les moyens d’entreprendre ce recours d’envergure. Il ne s’agit aucunement pas d’une situation où les procureurs du représentant s’enrichissent indûment au détriment des membres du groupe.
[32]Compte tenu de ce qui précède, le 30 mars 2006 la Cour accueillit la requête et approuva la convention d’honoraires extrajudiciaires RC‑1 intervenue entre le représentant du groupe et ses procureurs.