[1993] 3 C.F. 179
A-1500-92
British Columbia Telephone Company (appelante)
c.
Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd. (intimée)
et
Telecommunications Workers Union (personne intéressée)
Répertorié : British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd. (C.A.)
Cour d’appel, juge Heald, Mahoney et McDonald, J.C.A.—Ottawa, 4 et 12 mai 1993.
Télécommunications — Décision du CRTC ordonnant à B.C. Tel de permettre aux titulaires de télédistribution d’installer leurs propres câbles sur les structures de soutènement de B.C. Tel — Un conseil d’arbitrage avait statué qu’il y aurait alors violation de la convention collective — Ni l’importance relative du mandat du CRTC et de celui du conseil d’arbitrage ni l’expertise de leurs membres n’amènent à la conclusion que la décision de l’un l’emporte sur celle d’autre si elle porte d’une façon accessoire sur celle de l’autre — Certains travaux particuliers constituent-ils une question de relations de travail plutôt que de réglementation des taxes de téléphone? — Le conseil d’arbitrage, dans l’interprétation d’une convention collective, n’empiète aucunement sur les décisions du CRTC dans l’exercice de sa compétence — Bien que le CRTC ait reçu les « pleins pouvoirs » d’empêcher toute préférence indue, il n’a pas reçu le pouvoir d’exiger qu’une compagnie ne se conforme pas aux obligations qu’elle a conclues de bonne foi dans le cadre d’une convention collective.
Relations du travail — Un conseil d’arbitrage avait statué que B.C. Tel avait contrevenu à la convention collective en permettant aux télédistributeurs d’installer leurs propres câbles sur ses structures de soutèment — Le CRTC a ordonné que la pratique se poursuive — Deux décisions incompatibles, aboutissant à des résultats manifestement déraisonnables — Bien que l’expertise des membres d’un conseil d’arbitrage dans la sphère spéciale de ses responsabilités est loin d’être aussi évidente que celle du CRTC, le Code canadien du travail interdit les recours judiciaires à l’encontre des décisions d’un conseil — Il faut déterminer si un travail devant être effectué par les membres du syndicat en vertu de la convention collective constitue une question de relations de travail — Le CRTC n’a pas compétence pour ordonner à B.C. Tel de contrevenir à la convention collective.
Il s’agit d’un appel d’une ordonnance du CRTC. B.C. Tel fournit des services téléphoniques en Colombie-Britannique. Elle utilise à cette fin une structure de soutènement de poteaux et de câbles aériens et des conduites enfouies, dont elle est propriétaire. Shaw et d’autres télédistributeurs fournissent le service de télédistribution en Colombie-Britannique. Leurs câbles sont installés sur la structure de soutènement de B.C. Tel. La convention collective conclue par B.C. Tel et le Telecommunications Workers Union (TWU) prévoit que certains travaux sur les poteaux et câbles aériens et son réseau de conduites enfouies doivent être effectués par des membres du TWU. Un conseil d’arbitrage constitué en vertu de l’article 57 du Code canadien du travail a statué que B.C. Tel avait contrevenu à la convention collective en permettant aux télédistributeurs d’installer leurs propres câbles sur ses structures de soutènement. Conformément à une requête présentée en vertu de l’article 49 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications (la « LNAT »), le CRTC a statué que B.C. Tel doit permettre aux télédistributeurs d’installer leurs propres câbles sur les structures de soutènement de B.C. Tel. Il s’agit de savoir si le CRTC a commis une erreur de droit ou a excédé sa compétence en ne faisant pas preuve de retenue à l’égard de la décision du conseil d’arbitrage et, subsidiairement, en ordonnant à B.C. Tel de contrevenir à la convention collective.
Arrêt : l’appel doit être accueilli.
Le CRTC a excédé sa compétence en exigeant de B.C. Tel qu’elle contrevienne de nouveau aux dispositions de la convention collective.
Il ne s’agit pas d’un cas où deux tribunaux ont compétence pour trancher une question identique. Il ne s’agit pas non plus d’une question concernant la retenue dont les cours de justice doivent faire preuve à l’égard des décisions des tribunaux administratifs. Ni le CRTC ni le conseil d’arbitrage n’étaient habilités à modifier la décision de l’autre. Il n’y a pas de chevauchement entre leur compétence respective. L’exercice de cette compétence de part et d’autre donne lieu à des résultats incompatibles et en conséquence à des résultats manifestement déraisonnables. Pour résoudre des résultats manifestement déraisonnables qui découlent de décisions contradictoires de tribunaux différents, la Cour devrait établir une comparaison entre les libellés des dispositions législatives contradictoires, leur objet et l’objet de la loi qui créent ces tribunaux, leurs domaines d’expertise respectifs et la nature du problème qui a abouti au résultat manifestement déraisonnable. En vertu des articles 335 et 339 de la Loi sur les chemins de fer, repris dans les articles 49 et 50 de la LNAT, le CRTC possède la compétence et le mandat de réglementer tous les aspects pertinents de l’activité de B.C. Tel. L’article 340 prévoit la compétence de réglementer les taxes de façon à empêcher toute préférence indue ainsi que l’obligation de le faire. La « compagnie ou la personne » à l’égard de laquelle il est interdit de conférer une préférence indue peut être la compagnie même. Le CRTC reconnaît, depuis au moins 1978, que les télédistributeurs et leurs entrepreneurs doivent avoir accès aux structures de soutènement pour l’installation de câbles de façon à empêcher de conférer à B.C. Tel une préférence ou un avantage indu. Les pouvoirs conférés au CRTC par la Loi sur les chemins de fer et la LNAT doivent être exercés par des conseillers à temps plein. En conséquence, il faut accepter en fait et en droit l’expertise de ces personnes lorsqu’elles doivent déterminer des taxes raisonnables et éviter implicitement toute préférence indue. Le paragraphe 68(1) de la LNAT prévoit une possibilité d’appel, sur autorisation, contre une décision sur une question de droit ou une question de compétence. Un conseil d’arbitrage constitué en vertu d’une convention collective conformément au Code canadien du travail est un tribunal créé par la loi. Un conseil d’arbitrage est à proprement parler un tribunal ad hoc, et l’expertise de ses membres dans la sphère spéciale de ses responsabilités est loin d’être aussi évidente, comme question de fait, que celle des membres à temps plein du CRTC dans leur domaine. Néanmoins, l’article 58 du Code canadien du travail interdit les recours judiciaires à l’encontre des décisions d’un conseil d’arbitrage et déclare qu’il ne constitue pas un office fédéral. Ni l’importance relative du mandat du CRTC et de celui du conseil d’arbitrage ni l’expertise de leurs membres n’amènent à la conclusion que la décision de l’un l’emporte sur celle d’autre si elle porte d’une façon accessoire sur celle de l’autre.
La question de savoir si un travail fait partie des travaux devant être effectués par les membres du syndicat en vertu de la convention collective est davantage une question de relations de travail que de réglementation des taxes de téléphone. Le conseil d’arbitrage n’empiète aucunement sur les décisions du CRTC dans l’exercice de sa compétence en matière de réglementation des taxes, que les titulaires devaient recevoir accès aux structures de soutènement de façon à ce qu’il ne soit pas accordé un avantage indu à B.C. Tel. Le conseil d’arbitrage a simplement interprété la convention collective. C’est la convention collective qui donne lieu au problème. Bien que le CRTC ait reçu les « pleins pouvoirs » d’empêcher toute préférence indue, il n’a pas reçu le pouvoir d’exiger qu’une compagnie ne se conforme pas aux obligations qu’elle a conclues de bonne foi dans le cadre d’une convention collective.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 57, 58.
Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N-20 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 301), art. 49, 50, 68.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 52.
Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C-22, art. 12 (mod. par L.C. 1991, ch. 11, art. 80).
Loi sur les chemins de fer, L.R.C. (1985), ch. R-3, art. 335 (mod. par L.C. 1991, ch. 11, art. 86), 339 (mod. par L.C. 1991, ch. 37, art. 2), 340.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048; (1988), 35 Admin. L.R. 153; 95 N.R. 161; Transvision (Magog) Inc. c. Bell Canada, [1975] CTC 463 (CCT); Bell Canada c. Challenge Communications Ltd., [1979] 1 C.F. 857; (1978), 86 D.L.R. (3d) 351; 22 N.R. 1 (C.A.); CNCP Télécommunications c. Association canadienne des fabricants d’équipement de bureau, [1985] 1 C.F. 623; (1985), 20 D.L.R. (4th) 179; 5 C.P.R. (3d) 34; 60 N.R. 364 (C.A.); Roberval Express Ltée c. Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôt et autres ouvriers, local 106, et autres, [1982] 2 R.C.S. 888; (1982), 144 D.L.R. (3d) 673; 83 C.L.L.C. 14,023; 47 N.R. 34; St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704; (1986), 73 N.B.R. (2d) 236; 28 D.L.R. (4th) 1; 184 A.P.R. 236; 86 CLLC 14,037; 68 N.R. 112.
DISTINCTION FAITE AVEC :
Mount Enterprise Independent School Dist. v. Colley, 424 S.W. 2d 650 (Texas Civ. App. 1968).
DÉCISION EXAMINÉE :
Syndicat des travailleurs en télécommunications c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), A-915-92, juge Mahoney, J.C.A., jugement en date du 12-5-93, C.A.F., encore inédit.
APPEL d’une décision du CRTC ordonnant à B.C. Tel de permettre aux titulaires de télédistribution d’installer leurs propres câbles sur les structures de soutènement de B.C. Tel, en contravention d’une décision d’un conseil d’arbitrage qui avait statué qu’il y aurait alors violation de la convention collective. Appel accueilli.
AVOCATS :
Judy Jansen pour l’appelante.
C. Christopher Johnston et Christopher A. Taylor pour l’intimée Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd.
Morley D. Shortt pour le Telecommunications Workers Union.
Carolyn G. Pinsky pour le CRTC.
PROCUREURS :
Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver, pour l’appelante.
Johnston, Buchan & Dalfen, Ottawa, pour l’intimée Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd.
Shortt, Moore & Arsenault, Vancouver, pour le Telecommunications Workers Union.
Contentieux du CRTC, Ottawa, pour le CRTC.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Mahoney, J.C.A. : L’appelante (B.C. Tel) est devant un dilemme. Si elle se conforme à la lettre-décision Télécom CRTC 92-4 du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC), elle contreviendra à la convention collective qu’elle a conclue avec le Telecommunications Workers Union (TWU), comme l’a déterminé un conseil d’arbitrage constitué en vertu de l’article 57 du Code canadien du travail[1] Si elle se conforme à l’exigence pertinente de la convention collective, elle ne peut se conformer à une ordonnance rendue par le CRTC dans l’exercice de son pouvoir en vertu de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications[2], (la « LNAT ») et de la Loi sur les chemins de fer[3]. La convention collective exige que certains travaux sur les poteaux et les câbles aériens de B.C. Tel et dans son système de conduites souterraines soient effectués par des membres du TWU, alors que la lettre-décision Télécom CRTC 92-4 exige que l’intimée (Shaw), une entreprise de télédistribution, soit autorisée à faire ce travail.
Les questions en litige
B.C. Tel soutient que le CRTC a commis une erreur de droit ou a excédé sa compétence en ne faisant pas preuve de retenue à l’égard de la décision du conseil d’arbitrage et, subsidiairement, en ordonnant à B.C. Tel de contrevenir à la convention collective. Le TWU appuie B.C. Tel et, dans une procédure parallèle de contrôle judiciaire[4], allègue déni de justice naturelle au motif que le CRTC ne lui a pas donné l’occasion d’être entendu avant de rendre la lettre-décision Télécom CRTC 92-4. Cette question porte sur un point précis et sera examinée dans des motifs distincts. Shaw soutient qu’il n’y a pas eu erreur de droit ni excès de compétence; le CRTC a comparu pour défendre sa compétence.
L’historique
Les faits ne sont pas contestés. B.C. Tel fournit des services téléphoniques en Colombie-Britannique. Elle utilise à cette fin une structure de soutènement de poteaux et de câbles aériens et des conduites enfouies, dont elle est propriétaire. Shaw et d’autres télédistributeurs fournissent le service de télédistribution en Colombie-Britannique. Leurs câbles sont installés sur la structure de soutènement de B.C. Tel. La convention collective conclue par B.C. Tel et le TWU prévoit :
[traduction] Tout travail ayant trait à la maintenance, à la réparation, à la modification ou à la construction d’installations téléphoniques est confié à des travailleurs ou ouvriers qualifiés de la compagnie de téléphone ou à des apprentis sous la supervision d’ouvriers.
Depuis à peu près 1977, B.C. Tel et Shaw ne s’entendent pas sur l’accès de Shaw aux structures de soutènement ni sur l’installation des câbles de Shaw sur ces structures.
Initialement, B.C. Tel avait proposé que ses employés se chargent de l’installation de tous les câbles de télédistribution sur les structures de soutènement visés dans le tarif, permettant aux télédistributeurs l’accès à ses structures de soutènement. Cette question a notamment été examinée par le CRTC dans sa décision Télécom CRTC 78-6, rendue le 28 juillet 1978, après une audition précédée d’un avis public. Il a statué [aux pages 26 et 27] :
Le Conseil ne considère pas que la Compagnie [B.C. Tel] a démontré que le fait d’exiger qu’elle seule ait le droit d’installer le câble était justifié. Selon le Conseil, la possibilité de permettre aux titulaires de la télévision par câble d’installer leurs propres installations par l’entremise d’entrepreneurs approuvés par la Compagnie, devrait être accordée selon des conditions raisonnables … B.C. Tel a prétendu que l’article XXI de sa convention collective avec la Union Telecommunications Workers l’empêchait de faire effectuer des travaux par contrat à l’extérieur, mais la clause en question ne semble pas l’empêcher de permettre à une tierce partie d’installer son propre matériel à ses frais. De plus, le Conseil se préoccupe de ce qu’une restriction exclusive de ce genre pourrait constituer une préférence injuste selon l’article 321(2) [340(2)] de la Loi sur les chemins de fer. Toutefois, étant donné l’absence d’arguments sur ce point, le Conseil ne désire pas tirer de conclusion explicite en ce moment.
Il fut décidé que la question devait être réglée par les télédistributeurs et B.C. Tel, mais que le CRTC le ferait si les parties ne parvenaient pas à s’entendre.
Le 26 mars 1980, le CRTC a rendu l’ordonnance Télécom CRTC : 80-147 approuvant un projet d’accord relatif aux structures de soutènement avec les entreprises de télédistribution (« l’Accord ») qui prévoyait :
[traduction] 7. La compagnie convient que les travaux de construction d’installations de télédistribution sur les structures de soutènement destinées aux services de télécommunications de la compagnie peuvent être faits par le titulaire ou un entrepreneur pourvu que :
…
(b) le titulaire accepte de garantir que les méthodes employées pour la construction des installations de télédistribution ne comprennent pas le dérangement intentionnel des installations de la compagnie.
Le TWU a présenté une demande d’arbitrage par suite du travail effectué par une entreprise de télédistribution conformément à cet accord. B.C. Tel soutenait qu’elle avait tenté mais en vain d’avoir gain de cause devant le CRTC (décision Télécom CRTC 78-6) et que le conseil d’arbitrage n’avait en conséquence pas compétence pour se prononcer sur la question. Lorsque le conseil a rejeté cet argument, B.C. Tel s’est désistée. Le conseil a alors invité les télédistributeurs à présenter des observations, mais ils ont rejeté cette invitation. Seul le TWU a présenté des moyens sur le fond; dans le jugement rendu le 25 janvier 1983 (« le jugement Williams »), le conseil d’arbitrage a conclu que l’entreprise de télédistribution :
[traduction] avait installé son câble coaxial d’une façon qui concernait « la maintenance, la réparation et la construction des installations téléphoniques de B.C. Tel ». Les travaux effectués avec l’approbation de B.C. Telephone Company ont eu pour effet de modifier les installations et ainsi de contrevenir à la convention collective.
À la suite du jugement Williams, B.C. Tel a refusé de se conformer à l’article 7 de l’Accord. L’Association canadienne de télévision par câble (« l’ACTC »), association représentant les entreprises de télédistribution, a logé une plainte auprès du CRTC. Le TWU est intervenu et a soutenu que le CRTC n’avait pas compétence pour ordonner à B.C. Tel de contrevenir à sa convention collective. Dans son règlement de la plainte, le CRTC a affirmé le 28 juillet 1987 :
[traduction] Selon les pièces déposées, il est évident que B.C. Tel ne permet actuellement pas aux entreprises de télédistribution ou à leurs entrepreneurs d’installer leurs câbles coaxiaux sur les structures de soutènement de B.C. Tel. Le Conseil est d’avis que cette position va à l’encontre des décisions 78-2 et 79-22 et de l’Accord relatif aux structures de soutènement pour les STAC approuvé conformément à l’Ordonnance Telecom 80-147, en vertu de laquelle cette installation est autorisée à des conditions raisonnables.
Il ressort du dossier que cette position ne repose pas sur l’interprétation donnée par le conseil d’arbitrage à la convention collective, mais sur l’acceptation par B.C. Tel de l’opinion du TWU que le travail de bobinage exécuté par les entreprises de télédistribution devrait plutôt être exécuté par les employés de B.C. Tel. Ce n’était pas l’opinion du conseil d’arbitrage. Celui-ci était plutôt d’avis que les obligations prévues dans la convention collective pourraient être respectées si les employés de B.C. Tel étaient présents pendant le bobinage des câbles pour manipuler l’équipement de B.C. Tel.
Cette analyse ressemble à celle adoptée par le Conseil dans la décision 79-22 dans laquelle le CRTC avait dit que B.C. Tel, et non les entreprises de télédistribution, devaient s’occuper du déplacement des biens de B.C. Tel.
Comme le conseil d’arbitrage n’a pas dit que la convention collective ne permettrait pas le travail envisagé dans ces décisions, il ne semble y avoir aucun motif de changer le statu quo. Le Conseil ordonne en conséquence à B.C. Tel de permettre aux entreprises de télédistribution de faire le travail de bobinage nécessaire à l’installation de leur câble coaxial sur les structures de soutènement de B.C. Tel conformément aux termes de l’Accord[5].
Après avoir reçu cette ordonnance, B.C. Tel a permis aux télédistributeurs d’installer leurs câbles coaxiaux sur ses structures de soutènement. Le TWU a ensuite déposé un autre grief au motif que B.C. Tel avait contrevenu à la disposition précitée de la convention collective en permettant aux télédistributeurs (1) de surbobiner les câbles aériens téléphoniques et (2) d’installer les câbles de télédistribution souterrain à l’intérieur du système de conduites ou sur celui-ci.
Un conseil d’arbitrage a été constitué. B.C. Tel a soutenu qu’elle n’avait pas contrevenu à la convention collective. Les représentants de Shaw, de l’ACTC et de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 213, étaient présents au début de l’audition et ont, du consentement des parties, été autorisés à déposer des observations. Ils n’ont pas cherché à obtenir qualité pour agir et ils n’ont pas accepté l’invitation de B.C. Tel de demeurer et d’interroger les témoins. On a dit qu’en agissant de la sorte, ces représentants se trouvaient à avertir le conseil [traduction] « de ne pas viser à trancher les droits de tierces parties à l’arbitrage ». Le conseil a examiné les décisions et les ordonnances du CRTC et le jugement Williams et il a conclu :
[traduction] La politique du CRTC dans ce domaine paraît liée à la question de savoir si le fait de confier le travail, comme l’envisage ces décisions, à des personnes autres que les membres de l’unité de négociation du T.W.U. constitue une violation de la convention collective conclu entre B.C. Tel et le T.W.U.
Il ne nous appartient pas de dire si cette considération a un rôle à jouer dans cette politique, mais nous sommes certainement tenus de déterminer s’il y a eu violation de la convention collective et c’est ce que nous ferons.
Le conseil d’arbitrage a reçu des témoignages relativement aux activités de surbobinage des câbles de B.C. Tel et à l’installation des câbles coaxiaux à l’intérieur de la structure de soutènement souterraine. Relativement au surbobinage, le conseil a conclu :
[traduction] Le conseil, après un examen approfondi, conclut que le surbobinage des câbles de télévision aux câbles porteurs et aux câbles de B.C. Tel n’est pas visé par l’article 3, paragraphe (1) de la convention collective. Il s’ensuit que le surbobinage est un montage modifié de câbles de communications. La structure de soutènement et les câbles de B.C. Tel, après le surbobinage, sont enroulés d’un nouveau fil de bobinage et d’un câble additionnel de télédistribution bridé contre lui. À cette fin, les installations existantes de B.C. Tel doivent être « dérangées » quoique de façon temporaire.
À notre avis, le surbobinage modifie d’une façon matérielle et en permanence un montage de câbles porteurs, de câbles et de brides de B.C. Tel. C’est plus qu’une simple relation spatiale entre l’équipement de B.C. Tel et de télédistribution. Après le surbobinage, ces câbles sont rattachés ensemble par de nouveaux câbles ligaturés et de nouvelles brides et deviennent alors un montage modifié de câbles de communications, exposé aux mêmes intempéries et à la même maintenance ou réparation que peuvent entraîner ces intempéries.
Relativement au second point, il conclut :
[traduction] À part l’incidence opérationnelle de la présence ou de l’installation des câbles de télédistribution, il y a la question centrale qui consiste à déterminer si l’installation d’un câble de télédistribution à l’intérieur d’une conduite d’un, deux ou trois pouces constitue une modification des installations téléphoniques.
Le conseil est d’avis qu’il s’agit bien d’une modification des installations téléphoniques. La conduite sans câble à l’intérieur est une installation téléphonique. Lorsqu’un câble est placé à l’intérieur d’une conduite d’un, deux ou trois pouces, il y a modification des installations téléphoniques de sorte qu’il y a ensuite un montage composé d’une conduite et d’un câble. Ce montage doit être traité différemment par les membres du T.W.U. du cas où le montage serait composé d’une conduite sans aucun câble à l’intérieur. De même, une conduite d’un, deux ou trois pouces avec deux câbles à l’intérieur est différente d’une conduite avec un seul câble à l’intérieur.…
Dans le cas de cette conduite, il se produit une modification des installations téléphoniques si l’on insère un câble à l’intérieur, non sur le plan existence, mais du point de vue pratique et opérationnel. La maintenance ou la réparation future sera changée du fait de la présence de ce câble de télédistribution à l’intérieur de la conduite.
En définitive, dans une décision en date du 19 juillet 1991 (le « jugement Glass »), le conseil a conclu que B.C. Tel avait contrevenu à la convention collective lorsqu’elle a permis à des personnes autres que les membres de l’unité de négociation du TWU (1) « de surbobiner des câbles coaxiaux de télédistribution sur les câbles porteurs et les câbles de B.C. Tel » et (2) de procéder à des installations souterrraines relativement aux activités suivantes :
1. La perforation de trous sur les côtés des boîtes ou cylindres d’épissure.
2. La fixation de tout montage sur les côtés des boîtes ou cylindres d’épissure.
3. L’installation de câbles de télédistribution à l’intérieur d’une conduite appartenant à B.C. Tel.
La décision quant aux installations souterraines est limitée aux conduites d’un, deux ou trois pouces, relativement auxquelles le conseil possédait des éléments de preuve.
Au cours de 1989 et de 1990, B.C. Tel et les télédistributeurs avaient en vain tenté de renégocier les dispositions de l’Accord. Le 8 octobre 1991, B.C. Tel a soumis à l’approbation du CRTC un accord révisé et l’a avisé relativement aux questions en suspens que :
[traduction] Vu [le jugement Glass], la compagnie est dans l’impossibilité de permettre aux compagnies de STAC de raccorder des câbles à ses structures de soutènement.
L’ACTC a présenté la position des télédistributeurs relativement à cette question.
[traduction] La question intéresse tout particulièrement les télédistributeurs. Si elles sont retenues, les propositions de B.C. Tel, en réponse à la décision du TWU à la suite de l’arbitrage forcé, limiteraient sérieusement la capacité d’un télédistributeur de répondre aux attentes de ses clients du point de vue de la qualité, du prix et de l’offre de services. En prenant des mesures monopolistes quant à l’installation de câbles et de toutes autres installations et en appliquant des politiques usuraires de fixation des prix, B.C. Tel contrôlerait l’efficacité et la rentabilité des réseaux de télédistribution à l’intérieur de son territoire[6].
Le 27 novembre 1991, Shaw a déposé en vertu de l’article 49 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications une requête dans laquelle elle demande au CRTC de lui permettre :
[traduction] … ou de permettre à son entrepreneur autorisé d’installer ses propres câbles sur les structures de soutènement de B.C. Tel ou à l’intérieur de celles-ci conformément à l’article 7 de l’Accord entre B.C. Tel et Shaw, approuvé par le Conseil conformément à l’ordonnance Télécom 80-147 et les décisions antérieures du Conseil.
La lettre-décision Télécom CRTC 92-4, la décision en cause, a tranché la requête de Shaw et, en partie, la demande d’approbation de B.C. Tel concernant l’approbation du nouvel accord. Le CRTC a alors tranché la question de l’accès aux structures de soutènement à titre de question préliminaire et s’est prononcé d’une façon définitive sur le nouvel accord [à la page 2] :
Conformément au paragraphe 49(2) et à l’article 50 de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications et au paragraphe 335(2) de la Loi sur les chemins de fer, le Conseil se doit d’approuver les tarifs applicables aux services de télécommunications, y compris les modalités inhérentes. Comme il déclaré [dans la décision 78-6] :
… tous les termes qui décrivent la nature du service offert ou qui affectent sa valeur doivent figurer dans le tarif, par renvoi ou autrement. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que le texte complet du contrat passé entre les intéressés fasse partie du tarif, les modalités de l’accord doivent être approuvées par le Conseil quant à la forme.
Compte tenu de ce qui précède, le pouvoir du Conseil en matière d’accords relatifs aux structures de soutènement ne s’arrête pas à l’approbation des limites de responsabilité, conformément à l’article 341 de la Loi sur les chemins de fer, mais englobe aussi les modalités de service. Par conséquent, l’étude qu’il fait du projet d’accord doit comprendre l’examen des modifications proposées pour tenir compte de la sentence [Glass].
…
Selon sa loi habilitante, le Conseil doit veiller à ce que les tarifs soient justes et raisonnables, à ce qu’ils ne soient pas injustement discriminatoires et à ce qu’ils ne confèrent pas de préférence indue. En vertu de ce mandat, le Conseil a toujours jugé que les titulaires de télédistribution ont le droit d’accéder aux structures de soutènement de la B.C. Tel, sous réserve de certaines modalités.
Dans l’instance qui a abouti à la décision 78-6, le Conseil a ordonné à la B.C. Tel et aux titulaires de télédistribution [traduction] « de négocier une forme d’accord convenable qui satisfait les préoccupations des deux parties ». Il a établi cinq principes de base pour aider les parties à négocier. L’un de ces principes étant que les télédistributeurs doivent pouvoir, selon des modalités raisonnables, installer leurs propres câbles en faisant appel à des entrepreneurs approuvés par la compagnie.
Le CRTC indique ensuite qu’il avait, en 1979, considéré l’inclusion de l’alinéa 7b) dans l’Accord comme une réponse appropriée aux préoccupations de B.C. Tel; il cite ensuite les événements ainsi que les ordonnances qui ont suivi le jugement Williams. (Si la décision Télécom CRTC 92-4 renvoie manifestement au jugement du 28 juillet 1987, elle ne mentionne pas la raison invoquée pour ne pas alors modifier le statu quo, soit l’inexistence d’une sentence arbitrale établissant que la convention collective ne permettrait pas le travail envisagé dans ses décisions antérieures.) Relativement à la question en litige, la lettre-décision Télécom CRTC 92-4 conclut [à la page 3] :
Le Conseil a donc jugé, en vertu de son mandat législatif, que la B.C. Tel doit fournir aux titulaires de télédistribution l’accès à ses structures de soutènement et il a, dans l’ordonnance 80-147, défini les circonstances dans lesquelles les télédistributeurs ont droit à cet accès. Le Conseil maintient cette position et estime de plus que toute modification à l’accord existant devrait tenir compte de ses vues à ce sujet. Le Conseil ordonne donc à la B.C. Tel de respecter ses obligations et de permettre à la Shaw et aux autres télédistributeurs d’installer leurs propres câbles sur les structures de soutènement de la B.C. Tel.
Analyse
La décision du conseil d’arbitrage et celle du CRTC peuvent être déposées au greffe de la Cour, devenant ainsi des jugements de la Cour susceptibles d’exécution par application de la procédure en matière d’outrage au tribunal. Le CRTC a tout simplement ordonné à B.C. Tel d’accomplir encore une fois ce qui a déjà été établi être en contravention de sa convention collective. Ces décisions ne sont pas compatibles.
Bien qu’il existe une abondante jurisprudence sur la question de la retenue dont les cours de justice doivent faire preuve à l’égard des décisions des tribunaux administratifs, soumises à leur contrôle, nous n’avons pas été informés ni n’avons été en mesure de trouver de précédent convaincant, canadien ou autre, sur la question de la retenue dont un tribunal doit faire preuve à l’égard des décisions d’un autre. On nous a mentionné des décisions de deux cours américaines concernant deux tribunaux investis de la même compétence pour trancher une question identique[7]. Il a été statué que [à la page 651] :
[traduction] Lorsque les pouvoirs de deux organismes sont coordonnés ou égaux, le tribunal qui acquiert une compétence initiale a le droit de la conserver jusqu’à ce qu’il ait complètement réglé toutes les questions qui lui ont été soumises.
Ce n’est pas le cas en l’espèce.
En outre, il ne s’agit pas non plus à mon avis d’une question concernant la retenue dont les cours de justice doivent faire preuve à l’égard des décisions des tribunaux administratifs. Ni le CRTC ni le conseil d’arbitrage n’étaient habilités à modifier la décision de l’autre. Il n’y a pas de chevauchement entre la compétence du CRTC et celle d’un conseil d’arbitrage constitué en vertu de l’article 57 du Code canadien du travail. L’exercice de cette compétence de part et d’autre peut donner lieu, comme en l’espèce, à des résultats incompatibles.
Le résultat est manifestement déraisonnable; à mon avis, la Cour suprême du Canada a proposé la démarche appropriée pour résoudre cette question. Dans l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault[8], la Cour suprême a examiné le concept de l’erreur manifestement déraisonnable :
À première vue, il peut paraître que l’analyse fonctionnelle appliquée jusqu’ici aux cas d’erreur manifestement déraisonnable ne convienne pas aux cas où l’on allègue une erreur au sujet d’une disposition législative qui circonscrit la compétence d’un tribunal. La différence entre ces deux espèces d’erreur est évidente : seule une erreur manifestement déraisonnable entraîne un excès de compétence quand la question en cause relève de la compétence du tribunal tandis que, quand il s’agit d’une disposition législative qui circonscrit la compétence du tribunal, une simple erreur entraîne une perte de compétence. Il n’en reste pas moins que la première étape de l’analyse nécessaire à la notion de l’erreur « manifestement déraisonnable » consiste à déterminer la compétence du tribunal administratif. À cette étape, la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l’objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d’être de ce tribunal, le domaine d’expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal. L’analyse pragmatique ou fonctionnelle, à cette première étape, convient tout aussi bien pour le cas où l’on allègue une erreur dans l’interprétation d’une disposition qui circonscrit la compétence du tribunal administratif : dans le cas où l’on allègue une erreur manifestement déraisonnable sur une question qui relève de la compétence du tribunal comme dans le cas où l’on allègue une simple erreur sur une disposition qui circonscrit cette compétence, la première étape consiste à déterminer la compétence du tribunal. [Je souligne.]
Un résultat manifestement déraisonnable isolé ne peut pas nécessairement être qualifié d’erreur touchant la compétence. Toutefois, si ce résultat manifestement déraisonnable découle de décisions contradictoires de tribunaux différents, l’arrêt Bibeault propose une façon de procéder. Après une comparaison entre les libellés des dispositions législatives contradictoires, leur objet et l’objet de la loi qui créent ces tribunaux, leurs domaines d’expertise respectifs et la nature du problème qui a abouti au résultat manifestement déraisonnable, il sera possible de conclure que l’un des deux tribunaux a commis une erreur de droit ou de compétence en ne tenant pas compte de la décision de l’autre.
Le CRTC
À mon avis, il n’y a aucun doute que le CRTC possède la compétence et le mandat de réglementer tous les aspects pertinents de l’activité de B.C. Tel. Il ne sert à rien d’énoncer les nombreuses dispositions législatives, certaines connexes, certaines apparemment superflues, qui amènent cette conclusion. La source principale de compétence est formulée dans la Loi sur les chemins de fer.
335. (1) Nonobstant les dispositions de toute autre loi … toutes les taxes de télégraphe et de téléphone que peut exiger une compagnie sont subordonnées à l’agrément de la Commission, qui peut les réviser [mod. par L.C. 1991, ch. 11, art. 86].
…
339. (1) Sans que soit limitée la portée générale du présent paragraphe par quelque stipulation des articles 335 à 338 ou 340, la juridiction et les pouvoirs de la Commission … s’étendent et s’appliquent à toutes les compagnies définies à l’article 334, et à tous les réseaux de télégraphe et de téléphone, lignes et opérations de ces compagnies relevant de l’autorité législative du Parlement [mod. par L.C. 1991, ch. 37, art. 2].
Les articles 49 et 50 de la LNAT portent aussi sur l’attribution des compétences.
Dans l’arrêt Transvision (Magog) Inc. c. Bell Canada[9], la Commission canadienne des transports, qui possédait alors les pouvoirs de réglementation prévus dans la Loi sur les chemins de fer [S.R.C. 1970, ch. R-2] en ce qui concerne les télécommunications, avait décidé que les structures de soutènement étaient un bien de la compagnie de téléphone qui devait être mis à la disposition des autres usagers conformément à un règlement. Cette proposition sous-jacente n’a pas, à ce que je sache, été contestée depuis.
De même, l’obligation et la compétence concernant la réglementation des taxes de façon à empêcher toute préférence indue sont formulées clairement :
340. (1) Toutes les taxes doivent être justes et raisonnables et doivent toujours, dans des circonstances et conditions sensiblement analogues, en ce qui concerne tout le trafic du même type suivant le même parcours, être imposées également à tous au même taux.
(2) Une compagnie ne peut, en ce qui concerne les taxes ou en ce qui concerne les services ou installations qu’elle fournit à titre de compagnie de télégraphe ou de téléphone :
…
b) instaurer ou accorder une préférence ou un avantage indu ou déraisonnable à l’égard ou en faveur d’une certaine personne ou d’une certaine compagnie ou d’un certain type de trafic, à quelque point de vue que ce soit …
La Cour a statué que la « compagnie » même peut être une « personne » ou une « compagnie » à l’égard de laquelle l’alinéa 340(2)b ) interdit de conférer une préférence indue[10]. La Cour a aussi statué que la Loi avait conféré :
au CRTC les pleins pouvoirs d’empêcher, par tout moyen qui lui semble approprié, la discrimination injuste ou les préférences ou avantages indus ou déraisonnables[11].
Le CRTC reconnaît, depuis au moins 1978, que les télédistributeurs et leurs entrepreneurs doivent avoir accès aux structures de soutènement pour l’installation de câbles coaxiaux, de façon à empêcher de conférer à B.C. Tel une préférence ou un avantage indu.
En vertu du paragraphe 12(2) [mod. par L.C. 1991, ch. 11, art. 80] de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes[12], les pouvoirs conférés au CRTC par la Loi sur les chemins de fer et la LNAT doivent être exercés par des conseillers à temps plein. En conséquence, il faut accepter en fait et en droit l’expertise de ces personnes lorsqu’elles doivent déterminer des taxes raisonnables et éviter implicitement toute préférence indue.
Il n’est pas important de savoir jusqu’à quel point le Parlement a assujetti au contrôle judiciaire les décisions du CRTC. Le paragraphe 68(1) de la LNAT prévoit une possibilité d’appel à notre Cour, sur autorisation, contre une décision sur une question de droit ou une question de compétence.
Le conseil d’arbitrage
L’arrêt Roberval Express Ltée c. Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, local 106, et autres[13] indique clairement qu’un conseil d’arbitrage constitué en vertu d’une convention collective conformément au Code canadien du travail est un tribunal créé par la loi. Un conseil d’arbitrage est à proprement parler un tribunal ad hoc. L’expertise des membres d’un conseil d’arbitrage dans la sphère spéciale de ses responsabilités est loin d’être aussi évidente, comme question de fait, que celle des membres à temps plein du CRTC dans leur domaine.
Cela étant dit, voici une partie du préambule de la Partie I du Code :
Attendu :
qu’il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l’encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;
…
que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugés des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends, et qu’il estime que l’établissement de bonnes relations du travail sert l’intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès,
Notamment à cette fin, le Parlement a prévu :
57. (1) Est obligatoire dans la convention collective la présence d’une clause prévoyant le mode—par arbitrage ou toute autre voie—de règlement définitif, sans arrêt de travail, des désaccords qui pourraient survenir entre les parties ou les employés qu’elle régit, quant à son interprétation, son application ou sa prétendue violation.
…
58. (1) Les ordonnances ou décisions d’un conseil d’arbitrage ou d’un arbitre sont définitives et ne peuvent être ni contestées ni révisées par voie judiciaire.
Les autres paragraphes de l’article 58 interdisent les recours judiciaires à l’encontre des décisions d’un arbitre ou d’un conseil d’arbitrage et déclarent que ceux-ci ne constituent pas « un office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale[14]. Il est difficile d’envisager des clauses privatives plus impénétrables.
Bien que je ne considère pas, comme je l’ai déjà dit, que la contradiction entre la décision du CRTC et celle du conseil d’arbitrage exige une retenue de part et d’autre au sens de la retenue judiciaire dont il faut faire preuve à l’égard d’une décision qui fait l’objet d’un contrôle judiciaire, le bien-fondé de cette retenue est intéressant lorsqu’il s’agit de comprendre l’importance de l’arbitre ou du conseil d’arbitrage dans le contexte du Code. Il existe une abondante jurisprudence sur le sujet, qui, à mon avis, est assez bien résumée dans le passage suivant[15] :
Il en reste une attitude de respect de la part des juges envers la procédure d’arbitrage. … Ce respect est fondé sur l’idée que si les parties ont accès aux tribunaux comme autres juridictions, on porte atteinte à un régime législatif complet destiné à régir tous les aspects du rapport entre les parties dans le cadre des relations de travail. L’arbitrage, lorsqu’il est adopté par les parties, comme c’est le cas dans la présente convention collective, constitue une partie intégrante de ce régime et est clairement la juridiction que la législature préfère pour le règlement des litiges qui résultent des conventions collectives. D’après la jurisprudence citée, on pourrait donc dire que le droit a évolué de telle manière qu’il est juste de conclure que les griefs et les procédures d’arbitrage prévus par la Loi et consacrés par une prescription législative dans les termes d’une convention collective constituent le recours exclusif dont disposent les parties à une convention collective pour son application.
Conclusion
Ni l’importance relative du mandat du CRTC et de celui du conseil d’arbitrage ni l’expertise de leurs membres ne m’amènent à la conclusion que la décision de l’un l’emporte sur celle d’autre si elle porte d’une façon accessoire sur celle de l’autre. À mon avis, si l’on se fonde sur l’analyse pragmatique, la réponse au dilemme réside dans la nature du problème. À mon avis, la question de savoir si un travail particulier vise « la maintenance, la réparation, la modification ou la construction d’installations téléphoniques » est plus une question de relations de travail que de réglementation des taxes de téléphone.
Si l’on ne tient pas compte que l’on n’a pas soulevé que le conseil d’arbitrage aurait commis une erreur et que, le cas échéant, elle ne serait pas révisable, le fait demeure que le conseil d’arbitrage n’a aucunement voulu empiéter sur les décisions du CRTC, dans l’exercice de sa compétence en matière de réglementation des taxes, suivant lesquelles les titulaires devaient recevoir accès aux structures de soutènement de B.C. Tel de façon à ce qu’il ne soit pas accordé un avantage indu à B.C. Tel. Le conseil d’arbitrage a simplement interprété la convention collective. C’est la convention collective qui donne lieu au problème. La question est alors de savoir si le CRTC a commis une erreur de droit ou un excès de compétence en ordonnant à B.C. Tel de contrevenir à une exigence de la convention collective en accomplissant de nouveau ce qui, selon la décision finale du conseil d’arbitrage, contrevient à la convention.
L’avocat de Shaw soutient que B.C. Tel a eu, depuis la formulation de la politique initiale par le CRTC, plusieurs occasions de renégocier la disposition pertinente de la convention collective de façon à tenir compte de la politique. C’est probablement vrai, mais le dossier ne révèle pas le nombre de conventions collectives conclues depuis 1978. Le dossier indique toutefois que la disposition en question a été en vigueur au cours de toute la période. On ne peut pas soutenir que B.C. Tel a conclu une obligation pour éviter de se conformer à la politique. L’attribution aux membres de l’unité de négociation du droit exclusif d’accomplir une tâche particulière existe fréquemment dans les conventions collectives. À mon avis, il est rare qu’une telle disposition n’existe pas. Bien que le CRTC ait reçu les « pleins pouvoirs » d’empêcher toute préférence indue, il n’a pas reçu le pouvoir d’exiger qu’une compagnie ne se conforme pas aux obligations qu’elle a conclues de bonne foi dans le cadre d’une convention collective. Selon moi, on ne peut blâmer le CRTC d’insister pour que l’ordonnance de mise en œuvre des moyens qu’il a choisis pour éviter une préférence indue soit appliquée jusqu’à ce qu’ait été tranchée par arbitrage la question de l’interprétation d’une disposition de la convention.
À mon avis, le CRTC a excédé sa compétence en exigeant de B.C. Tel qu’elle contrevienne de nouveau aux dispositions de la convention collective conclue avec le TWU, quant aux aspects sur lesquels le jugement Glass avait précisé qu’il y avait violation de la convention collective. Je suis d’avis d’accueillir l’appel et, conformément au sous-alinéa 52c)(ii) de la Loi sur la Cour fédérale, j’annule l’ordre inconditionnel exigeant de « B.C. Tel de respecter ses obligations et de permettre à la Shaw et aux autres télédistributeurs d’installer leurs propres câbles sur les structures de soutènement de la B.C. Tel » et je renvoie la question au CRTC qui devra la réexaminer et rendre une décision en tenant pour acquis qu’il n’a pas compétence pour ordonner à B.C. Tel de contrevenir aux dispositions de la convention collective conclue avec le TWU.
Le juge Heald, J.C.A. : Je suis d’accord.
Le juge McDonald, J.C.A. : Je suis d’accord.
[1] L.R.C. (1985), ch. L-2.
[2] L.R.C. (1985), ch. N-20 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 301).
[3] L.R.C. (1985), ch. R-3.
[4] Syndicat des travailleurs en télécommunications c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications), A-915-92, C.A.F., juge Mahoney, J.C.A., jugement en date du 12-5-93, encore inédit.
[5] Dans les installations aériennes, les lignes téléphoniques ou « câbles porteurs » et les câbles coaxiaux de télédistribution sont enroulés autour du câble aérien. De là, l’emploi des termes « bobinage » et « surbobinage ».
[6] L’allégation qu’il y aurait eu arbitrage forcé a bien entendu été niée par B.C. Tel, mais n’a pas soulevé de commentaires de la part du CRTC ni été repris devant notre Cour.
[7] Par exemple, Mount Enterprise Independent School Dist. v. Colley, 424 S.W. 2d 650 (Texas Cir. App. 1968).
[8] [1988] 2 R.C.S. 1048, aux p. 1088 et 1089.
[9] [1975] CTC 463.
[10] Bell Canada c. Challenge Communications Limited, [1979] 1 C.F. 857 (C.A.).
[11] CNCP Télécommunications c. Association canadienne des fabricants d’équipement de bureau, [1985] 1 C.F. 623 (C.A.), à la p. 636.
[12] L.R.C. (1985), ch. C-22.
[13] [1982] 2 R.C.S. 888.
[14] L.R.C. (1985), ch. F-7.
[15] St. Anne Nackawic Pulp & Paper c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704, à la p. 721.