IMM‑5987‑05
2007 CF 79
Debora De Araujo Garcia (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Campbell—Toronto, 22 novembre 2006; Vancouver, 24 janvier 2007.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif que cette dernière n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État bien que la SPR ait accepté la preuve de la demanderesse concernant les violences qu’elle a subies et ses tentatives d’obtenir la protection de l’État brésilien — La SPR n’a pas déterminé correctement l’effet de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward sur d’autres précédents — Selon Ward, une « preuve claire et convaincante » est nécessaire pour réfuter la présomption de protection de l’État — Cela va à l’encontre du principe formulé dans la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca selon lequel il ne suffit pas que le demandeur d’asile démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation — Ward précise que toutes les demandes d’asile doivent être étudiées au cas par cas et cela annule le principe posé dans Villafranca selon lequel il faut normalement invoquer l’effondrement total de l’ordre au pays pour étayer la prétention de l’incapacité de l’État d’assurer la protection des personnes — La déclaration de la SPR selon laquelle la demanderesse devait prouver l’état d’effondrement du gouvernement brésilien pour pouvoir réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes constituait une erreur de droit — La SPR a aussi commis une erreur parce que sa décision n’a pas réellement rattaché aux faits les règles relatives à la protection assurée par l’État — Demande accueillie; directives à suivre par la formation saisie du renvoi de l’affaire présentées.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif que cette dernière n’a pas réussi à réfuter la présomption qu’elle bénéficierait de la protection de l’État si elle était renvoyée au Brésil. La demanderesse a survécu à des actes de violence extrêmes commis par son puissant beau‑père au Brésil. Elle craint qu’ils ne reprennent si elle est contrainte de retourner dans ce pays. La SPR a tenu pour véridique la preuve de la demanderesse concernant les violences qu’elle a subies et ses tentatives d’obtenir la protection de l’État brésilien et la SPR a reconnu que cette preuve constitue la preuve d’une crainte fondée de persécution, tant sur le plan objectif que sur le plan subjectif. Cependant, parce que la décision de la SPR contient deux conclusions de fait qui ne sont pas étayées par la preuve versée dans le dossier (notamment que la demanderesse n’a jamais demandé de soins médicaux et l’absence de documents de la demanderesse se rapportant aux rapports de police à l’étranger), les deux parties ont admis qu’il y avait erreur susceptible de contrôle et l’affaire devait être renvoyée pour nouvel examen. Il s’agissait de savoir si la SPR a déterminé correctement l’effet de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward sur d’autres précédents portant sur la question de la protection de l’État.
Jugement : la demande doit être accueillie.
Dans l’arrêt Canada c. Villafranca, décision qui a été rendue avant l’arrêt Ward, la Cour d’appel fédérale a statué que dans une situation de terrorisme, si l’État fait de « sérieux efforts » pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. L’expression « sérieux efforts » équivaut à la « diligence raisonnable » déployée par l’État pour assurer concrètement la protection des personnes. On ne saurait dire que l’État fait de « sérieux efforts » pour protéger les femmes du seul fait qu’il prend certaines mesures préventives avec diligence. Pour assurer concrètement la protection des personnes, l’État doit être capable, à l’heure actuelle, de les protéger. De plus, les femmes ne sont pas protégées par les organismes non gouvernementaux dont la mission est de conseiller les femmes ou de les mettre à l’abri de la violence. Par conséquent, le sérieux des efforts faits doit être apprécié au regard de la protection des personnes assurée par l’État sur le terrain. Le critère est celui de savoir si la police est en mesure de recevoir une plainte et d’agir avec empressement et bonne volonté. L’arrêt Ward, qui expose les critères précis d’appréciation des demandes d’asile présentées au Canada, a modifié la décision rendue dans Villafranca en ce qu’il s’exprime clairement sur la quantité et la qualité des preuves que le demandeur d’asile doit produire pour réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes; en d’autres termes, le demandeur d’asile est uniquement tenu de produire une « preuve claire et convaincante » pour réfuter la présomption. Cela va à l’encontre du point de droit formulé dans l’arrêt Villafranca selon lequel il ne suffit pas que le demandeur d’asile démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Par conséquent, la preuve de l’échec des autorités publiques à réagir efficacement aux appels à l’aide venant de femmes menacées par des prédateurs sexuels peut être considérée comme une preuve claire et convaincante qui réfute la présomption que l’État concerné assure la protection des personnes. De même, parce que l’arrêt Ward précise que toutes les demandes d’asile doivent être étudiées au cas par cas, sans que l’on puisse s’appuyer sur des conceptions générales pré‑établies, l’observation dans l’arrêt Villafranca selon laquelle le demandeur qui fait valoir l’incapacité de se réclamer de la protection de l’État doit normalement invoquer la guerre civile ou l’effondrement total de l’ordre aux pays ne tient plus en droit.
Quand il s’agit de savoir si le demandeur d’asile est raisonnablement en mesure de prouver qu’il a sollicité la protection de l’État, l’obligation pour le demandeur d’asile d’épuiser les recours qui s’offrent à lui dépend de l’ensemble des circonstances à l’origine de la crainte qu’il dit avoir et elle revêt une importance particulière pour la demande d’asile fondée sur des violences sexistes.
La déclaration de la SPR selon laquelle la demanderesse devait prouver l’état d’effondrement du gouvernement brésilien pour pouvoir réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes constituait une erreur de droit. De plus, la SPR a commis une erreur de droit parce que sa décision n’a pas réellement rattaché aux faits les règles relatives à la protection assurée par l’État. Enfin, l’application, par la SPR, de l’affaire Kadenko de telle sorte que la demanderesse aurait dû s’adresser aux « autorités supérieures » ou enquêter sur l’absence de poursuites contre le prédateur pour pouvoir démontrer qu’elle avait tenté d’obtenir la protection de l’État a donné lieu à une erreur susceptible de contrôle qui a fait en sorte que sa décision était manifestement déraisonnable. Les attentes créées étaient arbitraires, n’étant pas fondées parce qu’il n’a pas été tenu compte du mode de vie réel et concret de la demanderesse au Brésil.
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.) (QL); Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (1re inst.) (QL); R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852.
décisions examinées :
Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no1189 (C.A.) (QL); Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.).
décisions citées :
Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249; Vidhani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 60 (1re inst.); G.D.C.P. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 989; Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL).
doctrine citée
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration : Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugiée craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 1996.
Hathaway, James C. The Law of Refugee Status, Toronto : Butterworths, 1991.
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif que cette dernière n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Demande accueillie.
ont comparu :
Rocco Galati pour la demanderesse.
Linda Chen pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier :
Galati, Rodrigues & Associates, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par
[1]Le juge Campbell : Dans la présente affaire, la demanderesse a survécu à des actes de violence extrêmes commis par son puissant beau‑père alors qu’elle vivait au Brésil, et elle craint qu’ils ne reprennent si elle est contrainte de retourner dans ce pays. Elle voudrait pour ce motif obtenir l’asile. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a accepté son témoignage, mais ne lui a pas accordé l’asile parce qu’elle a conclu qu’elle n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle elle peut obtenir la protection de l’État si elle retourne au Brésil.
[2]Avant l’instruction de la présente demande, le défendeur a reconnu que la décision de la SPR était entachée d’une erreur susceptible de contrôle parce que deux importantes conclusions de fait qu’elle renferme ne sont pas étayées par la preuve versée dans le dossier, et il a, en conséquence, prié la demanderesse de consentir, sans que la demande soit instruite par la Cour, à ce que sa demande d’asile soit renvoyée à la SPR pour nouvel examen. L’avocat de la demanderesse a refusé ce consentement au motif que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu à l’existence de la protection de l’État et que cette conclusion devait être examinée attentivement afin qu’il soit statué correctement sur la question de la protection de l’État vu qu’une nouvelle décision était incontournable. Je partage cet avis. Par conséquent, vu qu’il a été admis qu’il y avait erreur susceptible de contrôle, la présente affaire sera renvoyée pour nouvel examen, mais assortie de directives.
[3]Sur la question de la protection de l’État, la demanderesse fait valoir que, même si la SPR est fondée à appliquer l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (l’arrêt Ward), la décision contestée en l’espèce est entachée d’une erreur susceptible de contrôle parce que la SPR n’a pas correctement déterminé l’effet de la jurisprudence Ward sur d’autres précédents portant sur la question de la protection étatique. Je partage cet avis. L’analyse qui me conduit à statuer ainsi comporte quatre volets : les conclusions de fait de la SPR; les conclusions de droit de la SPR; mon avis sur l’état du droit; enfin l’erreur susceptible de contrôle qui a entaché la décision de la SPR. Sont également examinées la question des directives qui devront être suivies au cours du réexamen, et la question des dépens.
I. Les faits constatés par la SPR
[4]Dans sa décision du 1er septembre 2005, avant de se prononcer sur la question de la protection de l’État, qui a été décisive, la SPR expose le témoignage de la demanderesse concernant les violences qu’elle a subies et ses tentatives d’obtenir la protection de l’État brésilien. Puisque la SPR n’a pas dit qu’elle ne croyait pas la demanderesse, j’en déduis qu’elle a tenu pour véridique son témoignage et, sous réserve de deux rectifications, la demande d’asile devra être jugée selon les faits qu’elle a constatés.
[5]Les conclusions de fait de la SPR sont les suivants (décision du tribunal, aux pages 2 et 3) :
La demandeure d’asile a déclaré que Silva a commencé à la harceler sexuellement et à la battre régulièrement à compter de 2001, lorsqu’il a commencé à cohabiter avec sa mère à Juiz de Fora, dans l’État de Minas Gervais, et a tenté de la violer. En 2001, la demandeure d’asile a appelé la police une fois et des policiers se sont rendus chez elle; toutefois, ils ont seulement parlé à Silva, pas à la demandeure d’asile. Cette dernière a indiqué que les policiers n’ont pris aucune autre mesure parce que Silva est un colonel à la retraite et un agriculteur aisé qui entretient des liens amicaux avec les autorités. Les agressions sexuelles importunes se sont censément poursuivies, mais la demandeure d’asile ne s’est jamais adressée aux autorités par la suite même si Silva a continué à la harceler sans cesse pendant des années, soit jusqu’au début de 2004 lorsqu’elle est partie s’installer à Sao Paulo, à 600 km de son ancien domicile. Silva s’est rendu à Sao Paulo plusieurs mois plus tard, soit en août 2004, et il a agressé la demandeure d’asile et a tenté de la violer, mais elle a réussi à s’enfuir. La demandeure d’asile a signalé cet incident à la police de Sao Paulo, qui lui a offert des services de consultation psychologi-que et un soutien médical. Malgré les années de mauvais traitements qu’elle aurait connues, elle n’a jamais demandé ni eu besoin de soins médicaux. Après l’incident survenu en août 2004, la demandeure d’asile s’est adressée à la police une deuxième fois en août, puis une troisième fois en septembre. Lorsqu’elle s’est présentée au poste de police affecté à la défense des femmes, elle s’est fait dire que des policiers vérifieraient les antécédents de Silva et prendraient des mesures. Ce poste spécial l’a dirigée vers deux organisations non gouvernementales (ONG), soit « Pro Women », qui a préparé un rapport psychologique, et « Women’s United », qui lui a offert un soutien psychologique supplémentaire. La demandeure d’asile a vu Silva pour la dernière fois en septembre 2004; elle s’était cachée chez une amie et était sortie pour se rendre à son appartement où il attendait à l’extérieur et frappait de grands coups sur la porte. La demandeure d’asile n’a jamais signalé cet incident parce qu’elle avait l’intention de se rendre à l’étranger. Elle est venue au Canada deux mois après que Silva l’a suivie à Sao Paulo et après s’être adressée une première fois aux autorités de cette province. Le 9 octobre 2004, la demandeure d’asile s’est rendue au Canada, où elle a demandé l’asile après plusieurs semaines. Elle a déclaré avoir été incapable d’obtenir les documents se rapportant aux plaintes qu’elle a déposées auprès de la police à Sao Paulo et aux rapports qu’elle a faits aux ONG, et elle n’a jamais demandé de soins médicaux. [Non souligné dans l’original.]
[6]Les faits constatés par la SPR constituent la preuve d’une crainte fondée de persécution, tant sur le plan objectif que sur le plan subjectif, mais les parties conviennent que les conclusions soulignées dans l’extrait susmentionné ne sont pas étayées par la preuve et qu’elles ne doivent donc pas être prises en compte dans la nouvelle décision.
II. Les conclusions de droit de la SPR
[7]La SPR a rejeté la demande d’asile en ces termes (décision du Tribunal, aux pages 4 et 5) :
La demandeure d’asile n’a pas réussi à réfuter au moyen d’une preuve claire et convaincante la présomption de la capacité de la république fédérale constitutionnelle du Brésil d’offrir sa protection à ses citoyens. Aucun élément de preuve ne démontre que le gouvernement du Brésil était en proie au chaos ou au désarroi et qu’il était incapable de gouverner.
[. . .]
Je conclus que la demandeure d’asile n’a pas fait les efforts raisonnables nécessaires pour obtenir la protection de l’État avant de demander l’asile à l’étranger et n’a pas réfuté la présomption selon laquelle l’État peut protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, p. 726). La demandeure d’asile n’a fait aucun effort pour communiquer avec les autorités supérieures à Sao Paulo ou pour savoir si l’enquête sur Silva et le défaut de le poursuivre relevaient d’un policier en particulier (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.)). La demandeure d’asile n’a produit aucun élément de preuve démontrant que le gouvernement du Brésil est en proie au désarroi et est incapable de gouverner. De plus, la protection parfaite (Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.)) et la protection de chacun des citoyens en tout temps (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.)) ne sont pas les critères à appliquer pour déterminer si la protection offerte est adéquate.
III. L’état du droit en matière de protection de l’État
[8]L’élément principal de ce volet est constitué par la jurisprudence Ward et la jurisprudence ultérieure de la Cour d’appel fédérale, comme elle s’appelait alors (la Cour d’appel) : Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (l’arrêt Zalzadi); Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. n° 1189; et Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (QL) (l’arrêt Kadenko). Tous ces arrêts seront évoqués, avec quelques observations, dans l’ordre dans lequel ils ont été rendus.
A. L’arrêt Zalzali
[9]L’arrêt Zalzali, rendu avant l’arrêt Ward, concernait un Libanais qui avait fait une demande d’asile parce qu’il disait craindre les milices au Liban en raison des ses opinions politiques. Un élément important de la demande était le fait que, à l’époque, le gouverne-ment national n’exerçait son autorité sur aucune région du pays. Dans l’arrêt, le juge Décary, s’exprimant au nom des juges Hugessen et MacGuigan, disait que la question en litige principale était de savoir s’il peut y avoir persécution en l’absence complète de la culpabilité, complicité ou participation de l’État en question, et il a répondu par l’affirmative. Le juge Décary a fait aussi les observations suivantes : l’incapacité de l’État d’assurer la protection des personnes est constatée en fonction de critères objectifs qui peuvent être vérifiés indépendamment de la crainte ressentie par l’intéressé (à la page 611); et, dans la mesure où il est établi que le demandeur d’asile dispose concrètement de la protection de l’État, on ne saurait conclure à l’existence d’une crainte de persécution (voir à la page 613, où le juge Décary s’est appuyé sur un texte du professeur Hathaway [The Law of Refugee Status, Toronto : Butterworths, 1991] allant dans ce sens). Le juge Décary a aussi tiré les conclusions suivantes [aux pages 614 à 616] :
Il existe vraisemblablement plusieurs raisons indépendantes de sa volonté pour lesquelles une personne ne pourrait se réclamer de la protection de l’état, l’une d’elle, et c’est l’évidence même, étant la non‑existence d’un gouvernement auquel cette personne pourrait s’adresser. Il est des cas, et le cas sous étude en est un, où la situation politique et militaire dans un pays est telle, à un moment précis, qu’on ne peut tout simplement pas parler de gouvernement ayant contrôle du territoire et étant en mesure d’offrir une protection efficace. De même qu’une situation de guerre civile ne fait point obstacle à une demande de statut (note : voir Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.)), de même la non‑existence d’un gouvernement ne saurait non plus y faire obstacle.
[. . .]
Dans le cas présent, la section du statut a reproché à l’appelant de n’avoir pas essayé d’obtenir la protection de l’armée libanaise. Or, la preuve est à l’effet qu’aucune autorité établie n’était en mesure de fournir à l’appelant la protection souhaitée. L’appelant ne pouvait donc pas, [soulignement dans l’original] dans les circonstances, se réclamer de la protection de son pays, ce qui, loin de le disqualifier, lui permettait au contraire de remplir l’une des conditions imposées dans la définition de réfugié. [Non souligné dans l’original.]
B. L’arrêt Villafranca
[10]Environ six mois avant que la Cour suprême du Canada rende l’arrêt Ward, la Cour d’appel fédérale rendait l’arrêt Villafranca. Il s’agissait d’un policier originaire des Philippines qui, craignant pour sa vie parce qu’un groupe terroriste communiste l’avait inscrit sur sa liste des personnes à abattre, avait fui son pays. La Section du statut de réfugié avait fait droit à sa demande d’asile, mais sa décision fut annulée au motif que, dans celle‑ci, la Section du statut de réfugié n’avait pas examiné la question de la protection de l’État. S’exprimant au nom des juges Marceau et Décary, le juge Hugessen a fait plusieurs observations; celles qui appellent des commentaires sont, par commodité, numérotées par des chiffres entre crochets [aux paragraphes 6 et 7] :
Il n’est pas facile de se décharger de l’obligation de prouver que l’on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu’il lui est physiquement impossible de rechercher l’aide de son gouvernement (ce n’est clairement pas le cas ici) ou que le gouvernement lui‑même ne peut d’une façon quelconque la lui accorder.
[1] Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. [2] Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation. Le terrorisme au service d’une quelconque idéologie perverse est un fléau qui afflige aujourd’hui de nombreuses sociétés; ses victimes, bien qu’elles puissent grandement mériter notre sympathie, ne deviennent pas des réfugiés au sens de la convention simplement parce que leurs gouvernements ont été incapables de supprimer ce mal. Toutefois, lorsque l’État se révèle si faible, et sa maîtrise sur une partie ou sur l’ensemble de son territoire est si ténue qu’il n’est qu’un gouvernement nominal, comme cette Cour a trouvé que c’était le cas dans l’arrêt Zalzali c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) [1991] 3 C.F. 605, un réfugié peut à bon droit affirmer être incapable de se réclamer de sa protection. [3] Le demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l’effondrement total de l’ordre au pays. [4] Par contre, lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens contre les activités terroristes, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne suffit pas à justifier la prétention que les victimes du terrorisme ne peuvent pas se réclamer de sa protection. [Non souligné dans l’original.]
[11]Dans les passages soulignés de l’extrait susmentionné, les observations du juge Hugessen comportent deux volets distincts. Le premier volet est constitué par deux énoncés de principe généraux (c’est‑à‑dire aux paragraphes [1] et [2]), formulés à partir de la jurisprudence Zalzali : d’abord, un État démocratique ne peut garantir en tout temps la protection de chacun de ses citoyens; et, deuxièmement, pour que le demandeur d’asile arrive à démontrer que l’État dont il est ressortissant n’est pas en mesure de lui assurer une protection adéquate, il ne lui suffit pas de prouver que l’État « n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation », c’est‑à‑dire qu’il n’a pas réussi, à plus d’une reprise, à assurer la protection de personnes qui se trouvaient dans la situation du demandeur d’asile. Le premier principe peut se comprendre sans que l’on connaisse le contexte, car il s’agit d’une évidence. Cependant, le deuxième énoncé doit être appliqué de manière circonspecte. On peut raisonnablement soutenir que ce principe est susceptible de s’appliquer à certaines ou à la plupart des demandes d’asile, mais en ce qui concerne la question de savoir s’il est applicable à telle ou telle demande d’asile, il est nécessaire d’apprécier le contexte. Plus précisément, c’est au décideur qu’il appartient de dire, d’après la preuve produite, si une défaillance de l’État, quelques défaillances ou un certain nombre de défaillances, survenues dans un contexte donné, confirme son incapacité à protéger les personnes.
[12]Le deuxième volet comporte deux principes (c’est‑à‑dire aux paragraphes [3] et [4]) ayant trait à la protection de l’État relativement à la demande d’asile fondée sur la crainte du terrorisme, et ils doivent être lus sous cet angle. Le terrorisme, de par sa nature même, constitue une menace directe à l’autorité de l’État. Il est donc juste de supposer que l’État agira afin de se protéger, et son échec à repousser toutes les tentatives terroristes visant à nuire à son autorité légitime ne saurait être assimilé à un refus d’accepter son obligation d’agir, ou à une incapacité d’agir. C’est dans le contexte de la demande d’asile fondée sur la crainte du terrorisme que le principe formulé au paragraphe [3] prend tout son sens. L’emploi du terme « normalement » revient à admettre que l’effondrement de l’État n’est pas nécessaire dans tous les cas où il y a crainte de terrorisme pour que soit prouvée l’incapacité de l’État d’assurer la protection des personnes; là encore, le contexte dicte l’issue de la cause.
[13]En ce qui concerne le principe énoncé au paragraphe [4], l’expression « sérieux efforts » dans cette phrase équivaut à la « diligence raisonnable » déployée par l’État pour assurer concrètement la protection des personnes. Cependant, il y a une nette différence entre la diligence raisonnable relative à l’élaboration d’une politique et à la sensibilisation à certaines questions, d’une part, et la mise en œuvre concrète de cette politique ou des mesures de sensibilisation, d’autre part. Cet élément revêt une importance particulière en matière de protection des femmes d’actes de violence si cette expression est rattachée à des situations autres que le terrorisme.
[14]On ne saurait dire que l’État fait de « sérieux efforts » pour protéger les femmes du seul fait qu’il prend certaines mesures préventives avec diligence, par exemple en instituant des commissions d’enquête chargées d’examiner la réalité de la violence contre les femmes, en créant des postes de médiateurs chargés de recevoir les plaintes de femmes contre l’inertie policière, ou en organisant à l’intention des policiers des séminaires destinés à les sensibiliser à l’égalité des sexes. De tels efforts ne prouvent pas que l’État assure concrètement la protection des femmes, en d’autres termes, qu’il est capable, à l’heure actuelle de les protéger (voir la décision Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249, au paragraphe 21).
[15]De plus, les femmes ne sont pas protégées par les organismes non gouvernementaux dont la mission est de conseiller les femmes ou de les mettre à l’abri de la violence. En effet, vont dans ce sens les Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration : Directives no 4: Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) (section C.2) :
En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l’évaluation de la protection qu’offre l’État. [Non souligné dans l’original.]
Par conséquent, le sérieux des efforts faits doit être apprécié au regard de la protection des personnes assurée par l’État sur le terrain. Comme le disait la Cour dans la décision Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1438 (1re inst.) (QL), au paragraphe 15 :
Non seulement le pouvoir protecteur de l’État doit‑il comporter un encadrement légal et procédural efficace, mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre. [Non souligné dans l’original.]
[16]Par exemple, lorsqu’une femme appelle la police à 3 heures du matin pour lui dire que son mari dont elle est séparée est en train de s’introduire chez elle en passant par la fenêtre, la question est la suivante : la police est‑elle prête, disposée et apte à faire de sérieux efforts pour arriver chez elle à temps, avant qu’il ne la tue? Il est vrai que même le corps policier le mieux formé, le plus sensibilisé et le plus motivé pourrait ne pas arriver à temps, mais le critère des « sérieux efforts » ne sera rempli que s’il est établi que la capacité et l’expertise du corps policier sont suffisamment au point pour le rendre apte à prendre véritablement les moyens requis, tant du point de vue de la femme concernée que du point de vue de la collectivité où elle vit. Le même critère s’applique à l’aide qu’une femme pourrait espérer recevoir au comptoir des plaintes d’un poste de police local. En d’autres termes, la police est‑elle en mesure de recevoir sa plainte et d’agir avec empressement et bonne volonté? C’est là à mon avis le critère qui non seulement doit être suivi quand on apprécie le sérieux des efforts faits par l’État pour protéger les femmes, mais aussi doit être reconnu comme le critère pertinent quant à toutes les causes mettant en jeu la protection étatique.
C. L’arrêt Ward
[17]L’arrêt Ward, rendu à l’unanimité par la Cour suprême du Canada, constitue la décision de principe en matière de protection des réfugiés. La Cour suprême y expose les critères précis d’appréciation des demandes d’asile présentées au Canada. Les passages essentiels de l’opinion du juge La Forest sont reproduits en annexe; on peut en tirer les principes suivants :
1. C’est au demandeur d’asile qu’il incombe d’établir qu’il a des raisons, à la fois subjectives et objectives, de craindre d’être persécuté s’il retourne dans son pays d’origine. En principe, si l’État dont il est ressortissant n’est pas en mesure de lui assurer une protection efficace, alors le demandeur d’asile a établi une crainte objective de persécution (aux pages 722 et 726).
2. La présomption est que le pays d’origine est capable de protéger ses citoyens, et c’est au demandeur d’asile qu’il appartient de réfuter cette présomption au moyen d’une preuve claire et convaincante (aux pages 724 à 726). Par exemple, il pourra évoquer le cas d’autres personnes qui se sont trouvées dans la même situation que lui et qui n’ont pas reçu de protection, ou témoigner que lui‑même a tenté d’obtenir la protection de l’État, mais en vain (aux pages 724 à 726).
3. Si, au vu de la preuve, il est constaté qu’il est objectivement raisonnable de penser que le demandeur d’asile aurait dû demander à l’État de le protéger, alors le demandeur d’asile avait l’obligation de s’adresser à l’État pour obtenir cette protection. Cependant, si, au vu de la preuve, on constate qu’il est déraisonnable d’imaginer que le demandeur d’asile a eu la possibilité de s’adresser à l’État, alors le fait qu’il n’ait pas sollicité la protection de l’État n’entraînera pas le rejet de sa demande d’asile (à la page 724).
D. L’incidence de la jurisprudence Ward sur la jurisprudence Villafranca
[18]Je suis d’avis que la jurisprudence Ward modifie la jurisprudence Villafranca sous un aspect particulièrement important. Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême s’est exprimée clairement sur la quantité et la qualité des preuves que le demandeur d’asile doit produire pour réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes; en d’autres termes, le demandeur d’asile est uniquement tenu de produire une preuve claire et convaincante. Par conséquent, je suis d’avis que l’observation de l’arrêt Villafranca selon laquelle « il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation » n’est plus d’actualité juridiquement. Ainsi, la preuve de l’échec des autorités publiques à réagir efficacement aux appels à l’aide venant de femmes menacées par des prédateurs sexuels violents peut, à elle seule, être considérée comme une preuve claire et convaincante qui réfute la présomption que l’État concerné assure la protection des personnes. Tout dépend de la force probante de la preuve produite aux yeux du décisionnaire.
[19]La jurisprudence Ward a laissé en suspens la question de savoir comment le demandeur d’asile peut s’acquitter du fardeau de réfuter cette présomption : elle enseigne qu’il doit produire « une preuve claire et convaincante », en d’autres termes, toutes les demandes d’asile doivent être étudiées au cas par cas, sans que l’on puisse s’appuyer sur des conceptions générales pré‑ établies. Comme je le dis plus loin dans l’analyse de l’arrêt Kadenko, la Cour suprême du Canada a souligné, dans l’arrêt R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852 (l’arrêt Lavallee), que les constats touchant la conduite d’une personne doivent être faits en fonction de la conduite normale qu’appelait la situation où elle se trouvait. Je suis d’avis que, pour toute demande d’asile, notamment la demande d’asile fondée sur la crainte du terrorisme, au vu de la jurisprudence Ward, l’observation dans l’arrêt Villafranca selon laquelle « [l]e demandeur qui fait valoir cette incapacité doit normalement invoquer la guerre civile, une invasion ou l’effondrement total de l’ordre au pays » [soulignement ajouté] ne tient plus en droit.
[20]Par conséquent, il est fort possible que la preuve de défaillances de la part des autorités publiques à réagir efficacement à des appels à l’aide venant de femmes menacées par des prédateurs sexuels violents soit considérée comme une preuve claire et convaincante réfutant la présomption que l’État concerné appuie la protection des personnes.
E. L’arrêt Kadenko
[21]Dans l’arrêt Kadenko, des Israéliens russophones qui, s’estimant victimes de discrimination et d’intolérance en Israël, avaient demandé l’asile. Annulant la décision de la Section du statut de réfugié qui avait rejeté la demande d’asile, le juge saisi du recours en contrôle judiciaire a certifié la question suivante, pour examen par la Cour d’appel [au paragraphe 1] :
En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique et dans la mesure où un État possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, le refus de certains policiers d’intervenir est‑il suffisant pour démontrer que l’État en question est incapable ou refuse de protéger ses ressortissants?
La Cour d’appel a répondu à la question par la négative, après avoir fait les observations suivantes [aux paragraphes 3 à 5] :
Telle que formulée, cette question ne peut à notre avis qu’entraîner une réponse négative. Dès lors, en effet, qu’il est tenu pour acquis que l’État (en l’espèce Israël) possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses citoyens, il est certain que le refus de certains policiers d’intervenir ne saurait en lui‑même rendre l’État incapable de le faire. La réponse eût peut‑être été différente si la question avait porté, par exemple, sur le refus de l’institution policière en tant que telle ou sur un refus plus ou moins généralisé du corps policier d’assurer la protection accordée par les institutions politiques et judiciaires du pays.
Bref, la situation que suppose ici la question nous ramène à ces propos du juge Hugessen dans Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Villafranca ((1992), 150 N.R. 232 à la p. 233 (C.A.F.)) :
Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n’a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation.
Lorsque l’État en cause est un état démocratique comme en l’espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause : plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui. (Voir Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171, 176 (C.A.F.), approuvé par Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 725. [Non souligné dans l’original.]
[22]Les observations dans cet extrait qui reprennent l’enseignement de la jurisprudence Villafranca ont déjà été évoquées plus haut.
[23]Quand il s’agit de voir si le demandeur d’asile est raisonnablement en mesure de prouver qu’il a sollicité la protection de l’État, l’obligation pour le demandeur d’asile d’« épuiser les recours qui s’offrent à lui » dépend de l’ensemble des circonstances à l’origine de la crainte qu’il dit avoir. Ce principe a une importance particulière pour la demande d’asile fondée sur des violences sexistes (voir la décision Vidhani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 3 C.F. 60 (1re inst.), aux pages 66 et 67; et la décision G.D.C.P. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 989, au paragraphe 18).
[24]Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe indiquent aux membres de la SPR que, lorsqu’ils instruisent une demande d’asile fondée sur des violences sexistes, il importe de comprendre à quelles réactions on peut décemment s’attendre de la part d’une femme qui a été victime de violences (Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, section C.2) :
Les décideurs doivent examiner la preuve démontrant l’absence de protection de l’État si l’État et ses mandataires dans le pays d’origine de la revendicatrice ne voulaient pas ou ne pouvaient pas assurer une protection appropriée contre la persécution fondée sur le sexe. Si la revendicatrice peut montrer clairement qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de demander la protection de l’État, son omission de le faire ne fera pas échouer sa revendication. En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l’évaluation de la protection qu’offre l’État.
Au moment d’évaluer s’il est objectivement déraisonnable pour la revendicatrice de ne pas avoir sollicité la protection de l’État, le décideur doit tenir compte, parmi d’autres facteurs pertinents, du contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve la revendicatrice. Par exemple, si une femme a été victime de persécution fondée sur le sexe parce qu’elle a été violée, elle pouvait ne pas demander la protection de l’État de peur d’être ostracisée dans sa collectivité. Les décideurs doivent tenir compte de ce type d’information au moment de déterminer si la revendicatrice aurait dû raisonnablement demander la protection de l’État. [Notes de bas de pages omises.]
[25]Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe invitent le lecteur, à la note 31, à s’inspirer de l’arrêt Lavallee, rendu par la Cour suprême du Canada :
Une discussion sur le syndrome de la femme battue figure dans R. c. Lavallee, [1990] 1 R.C.S. 852. Dans Lavallee, le juge Wilson traite du mythe concernant la violence familiale : « Elle était certainement moins gravement battue qu’elle le prétend, sinon elle aurait quitté cet homme depuis longtemps. Ou, si elle était si sévèrement battue, elle devait rester par plaisir masochiste ». La Cour ajoute qu’une autre manifestation de cette forme d’oppression est « apparemment la réticence de la victime à révéler l’existence ou la gravité des mauvais traitements ». Dans Lavallee, la Cour a indiqué que la preuve d’expert peut aider en détruisant ces mythes et servir à expliquer pourquoi une femme reste dans sa situation de femme battue.
[26]Le renvoi à l’arrêt Lavallee appelle des observations supplémentaires pour ce qui concerne la pertinence de la jurisprudence Kadenko en l’espèce.
[27]Dans l’arrêt Lavallee, la juge Wilson a expliqué clairement que la compréhension du contexte d’une réaction ou d’une absence de réaction est essentielle pour l’appréciation de cette réaction ou de cette absence de réaction. Dans cette cause, il s’agissait d’apprécier les réactions d’une femme qui avait tué son mari violent, mais les passages suivants, à savoir les pages 871 à 874, sont instructifs quant à l’approche qu’il convient d’adopter à l’égard de la demande d’asile fondée sur des violences sexistes, voire à l’égard d’autres cas exigeant de la part des décideurs un surcroît de connaissances et d’aptitude à interpréter les faits :
Une preuve d’expert relative à l’effet psychologique que peut avoir la violence sur les épouses et les conjointes de fait doit, me semble‑t‑il, être à la fois pertinente et nécessaire dans le contexte du présent litige. En effet, comment peut‑on juger de l’état mental de l’appelante sans cette preuve? On peut pardonner au citoyen (ou au juré) moyen s’il se demande : Pourquoi une femme supporterait‑elle ce genre de traitement? Pourquoi continuerait‑elle à vivre avec un tel homme? Comment pouvait‑elle aimer quelqu’un qui la battait tellement qu’elle devait être hospitalisée? On s’attendrait à ce que la femme plie bagage et s’en aille. N’a‑t‑elle aucun respect de soi? Pourquoi ne part‑elle pas refaire sa vie? Telle serait la réaction de la personne moyenne devant ce qu’il est convenu d’appeler le [traduction] « syndrome de la femme battue ». Nous avons besoin d’aide pour le comprendre et cette aide, nous pouvons l’obtenir d’experts compétents en la matière.
Il est difficile d’exagérer la gravité, voire la tragédie, de la violence domestique. L’attention accrue portée à ce phénomène par les médias au cours des dernières années a fait ressortir aussi bien son caractère généralisé que ses conséquences terribles pour des femmes de toutes les conditions sociales. Loin de les en protéger, le droit a dans le passé sanctionné la violence contre les femmes à l’intérieur du mariage en tant qu’aspect du droit de propriété du mari sur sa conjointe et de son « droit » de la châtier. Qu’on se rappelle simplement la loi, en vigueur il y a plusieurs siècles, autorisant un homme à battre sa femme avec un bâton [traduction] « d’une épaisseur ne dépassant pas celle de son pouce ».
Or, les lois ne naissent pas dans un vide social. La notion qu’un homme a le droit de « discipliner » sa femme est profondément enracinée dans l’histoire de notre société. L’obligation de la femme était de servir son mari, de rester mariée à tout prix « jusqu’à ce que la mort les sépare » et de subir toute « punition » pouvant lui être infligée pour défaut de plaire à son mari. Cette attitude a eu notamment pour conséquence que la « violence faite aux femmes » était rarement mentionnée, rarement rapportée, rarement poursuivie et encore plus rarement punie. Bien après que la société eut cessé d’approuver officiellement la violence conjugale, on continuait, et on continue encore aujourd’hui, à la tolérer dans certains milieux.
Heureusement, on constate depuis quelques années une conscience accrue qu’aucun homme n’a dans aucune circonstance le droit de brutaliser une femme. Des initiatives législatives destinées à sensibiliser les policiers, les officiers de justice et le public, ainsi que des politiques plus agressives en matière d’enquête et d’inculpation témoignent toutes d’un effort concerté dans le système de justice criminelle de prendre au sérieux la violence conjugale. Toutefois, une femme qui allègue devant un juge ou un jury avoir été battue, et qui fait valoir cela comme facteur pertinent à prendre en considération dans l’appréciation d’actes ultérieurs, risque toujours la condamnation en raison de la mythologie populaire relative à la violence domestique : Elle était certainement moins gravement battue qu’elle le prétend, sinon elle aurait quitté cet homme depuis longtemps. Ou, si elle était si sévèrement battue, elle devait rester par plaisir masochiste.
[. . .]
S’il est difficile d’imaginer ce qu’un « homme ordinaire » ferait à la place d’un conjoint battu, cela tient probablement au fait que, normalement, les hommes ne se trouvent pas dans cette situation. Cela arrive cependant à certaines femmes. La définition de ce qui est raisonnable doit donc être adaptée à des circonstances qui, somme toute, sont étrangères au monde habité par l’hypothétique « homme raisonnable ».
IV. L’erreur susceptible de contrôle dont est entachée la décision de la SPR
A. En ce qui concerne l’application des jurisprudences Zalzali et Villafranca
[28]Je suis d’avis que les propos suivants de la SPR dans la décision contestée montrent l’absence d’une bonne compréhension des règles relatives à la protection étatique :
La demandeure d’asile n’a produit aucun élément de preuve démontrant que le gouvernement du Brésil est en proie au désarroi et est incapable de gouverner. De plus, la protection parfaite (Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.F.)) et la protection de chacun des citoyens en tout temps (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.)) ne sont pas les critères à appliquer pour déterminer si la protection offerte est adéquate.
Plus précisément, il ressort de ce passage que la demanderesse devait prouver l’état d’effondrement du gouvernement brésilien pour pouvoir réfuter la présomption que l’État assure la protection des personnes, ce qui, comme je l’ai dit plus haut, constitue une erreur de droit. Au surplus, la décision de la SPR, vue globalement, montre que le décisionnaire n’a pas réellement rattaché aux faits les règles relatives à la protection assurée par l’État, ce qui, comme je l’ai dit plus haut, constitue également une erreur de droit. Pour ces motifs, je suis d’avis que la décision de la SPR est manifestement déraisonnable.
B. L’application de la jurisprudence Kadenko par la SPR
[29]Comme je l’ai dit plus haut, en ce qui concerne la manière dont la demanderesse a cherché ou n’a pas cherché à réclamer la protection de l’État brésilien, la SPR a tiré la conclusion suivante :
Je conclus que la demandeure d’asile n’a pas fait les efforts raisonnables nécessaires pour obtenir la protection de l’État avant de demander l’asile à l’étranger et n’a pas réfuté la présomption selon laquelle l’État peut protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, p. 726). La demandeure d’asile n’a fait aucun effort pour communiquer avec les autorités supérieures à Sao Paulo ou pour savoir si l’enquête sur Silva et le défaut de le poursuivre relevaient d’un policier en particulier (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.)).
Ainsi, la SPR interprète la jurisprudence Kadenko de telle sorte qu’elle conclut que la demanderesse aurait dû s’adresser aux « autorités supérieures » ou enquêter sur l’absence de poursuites contre le prédateur pour pouvoir démontrer qu’elle avait tenté d’obtenir la protection de l’État. Je suis d’avis que, vu la jurisprudence Lavallee, telle que l’interprètent les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la conclusion de la SPR quant au comportement qu’aurait dû avoir la demande-resse est arbitraire parce qu’elle n’est pas fondée vu qu’il n’a pas été tenu compte du mode de vie réel et concret de la demanderesse au Brésil; plus précisément, il n’est pas établi que, pour elle, la démarche en question ait été réaliste. En conséquence, je conclus que l’interprétation, par la SPR, de la jurisprudence Kadenko constitue une erreur susceptible de contrôle et rend la décision de la SPR manifestement déraisonnable.
IV. Directives à suivre par la formation saisie du renvoi de l’affaire
[30]L’avocat de la demanderesse fait valoir que, vu les faits non contestés que la SPR a constatés dans la décision visée par la présente instance en contrôle judiciaire, je dois ordonner à la SPR de conclure, dans sa nouvelle décision, que la demanderesse est une personne à protéger. Je crois que, compte tenu de la nature des erreurs dont est entachée la décision de la SPR, cette demande n’est pas justifiée. Cependant, je conviens qu’il s’agit là d’un cas qui se prête à un énoncé de directives.
[31]La nouvelle formation de la SPR qui sera appelée à réexaminer l’affaire devra appliquer les principes de droit évoqués ci‑dessus et aussi apprécier la preuve, y compris les démarches de la demanderesse en vue d’obtenir la protection de l’État, selon une analyse contextuelle conforme aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Je partage l’avis de l’avocat de la demanderesse selon lequel il serait injuste d’imposer à la demanderesse, durant la nouvelle instruction de sa demande d’asile, de prouver sa crédibi-lité puisque la SPR n’a pas dit dans sa décision qu’elle n’était pas crédible, j’ordonne donc aussi que l’affaire soit instruite à nouveau d’après la preuve versée au dossier actuel et que la preuve déjà produite par la demanderesse soit tenue pour crédible. Toutefois, j’ordonne aussi que, au cours du réexamen, la demanderesse soit libre de produire toute autre preuve explicative et tout nouvel argument, si elle le juge nécessaire.
V. Dépens
[32]À mon avis, des circonstances spéciales justifient une ordonnance d’adjudication de dépens en faveur de la demanderesse quant à la présente demande, outre le fait que les parties ont eu la sagesse de s’entendre sur le fait que la décision de la SPR est entachée d’une erreur de fait. Je suis d’avis que la circonstance spéciale qui justifie une telle ordonnance d’adjudication de dépens est le fait que la SPR n’a pas su interpréter correctement les jurisprudences Villafranca et Kadenko, ce qui a sin-gulièrement compliqué la tâche de l’avocat de la deman-deresse. À mon avis, il convient d’accorder 5 000 $ au titre des dépens.
ORDONNANCE
En conséquence, la décision de la SPR est annulée, et l’affaire est renvoyée pour réexamen à une autre formation de la SPR, qui statuera selon les directives énoncées dans les motifs susmentionnés.
J’accorde à la demanderesse la somme forfaitaire de 5 000 $ au titre des dépens.
QUESTIONS CERTIFIÉES
L’avocate du défendeur propose que soient certifiées les questions suivantes :
1. Les juges de la Cour fédérale du Canada commettent‑ils une erreur de droit s’ils obligent la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié à rendre une décision déterminée, lorsque la formation originale de la Section de la protection des réfugiés qui a instruit la demande d’asile n’a pas tiré de conclusions de fait sur la preuve exigée à l’appui de la demande d’asile?
2. Les juges de la Cour fédérale du Canada commettent‑ils une erreur de droit s’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire en matière d’adjudication de dépens, en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, lorsque l’avocat de la partie qui a obtenu gain de cause a persisté à plaider un point de droit qui était théorique?
3. Les juges de la Cour fédérale du Canada commettent‑ils une erreur de droit s’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire en matière d’adjudication de dépens, en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, au motif que la complexité des points de droit soulevés constitue une « raison spéciale »?
Pour pouvoir être certifiée, la question doit transcender les intérêts des parties immédiates au litige, être d’un grand intérêt ou d’application générale, enfin être susceptible de déterminer l’issue de l’appel (arrêt Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL)).
La première question posée est fondée sur le postulat selon lequel le jugement prononcé ici comporte l’obligation de rendre une décision déterminée. C’est là un faux postulat. Les directives données ne dictent aucun résultat : elles ne se rapportent qu’à la preuve qui devra être prise en considération durant le réexamen de l’affaire. Par conséquent, je suis d’avis que cette question ne peut pas être certifiée.
La deuxième question posée est fondée sur le postulat selon lequel la question de la protection assurée par l’État est devenue théorique parce que le défendeur a consenti à faire instruire de nouveau l’affaire en raison de l’erreur de fait entachant la décision de la SPR. Comme il est indiqué dans les motifs ci‑dessus, ce postulat est inexact. Par conséquent, je suis d’avis que cette question ne peut pas être certifiée.
À mon avis, la troisième question ne répond pas aux conditions applicables lorsqu’est sollicitée la certification d’une question, et elle ne peut donc pas être certifiée.
APPENDICE
Extraits de l’arrêt
Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 722 et 724 à 726
Il est clair que l’analyse est axée sur l’incapacité de l’État d’assurer la protection : c’est un élément crucial lorsqu’il s’agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée, de sorte qu’il a objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l’État dont il a la nationalité. L’affirmation de Goodwin‑Gill, qui est apparemment à l’origine de la proposition de la Commission, se lit ainsi, à la p. 38 :
[traduction] La crainte d’être persécuté et l’absence de protection sont elles‑mêmes des éléments intimement liés. Les persécutés ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d’origine, alors que la preuve de l’absence de protection, que ce soit au niveau interne ou externe, peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au bien‑fondé de la crainte. [Je souligne.]
Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l’absence de protection de l’État. La présomption touche le cœur de la question, qui est de savoir s’il existe une probabilité de persécution. Cependant, je ne vois rien de mal dans cela si la Commission est convaincue qu’il existe une crainte légitime et s’il est établi que l’État est incapable d’apaiser cette crainte au moyen d’une protection efficace. De là à formuler la présomption, il n’y a qu’un pas. Une fois établie l’existence d’une crainte et de l’incapacité de l’État de l’apaiser, il n’est pas exagéré de présumer que la crainte est justifiée. Bien sûr, la persécution doit être réelle—la présomption ne peut pas reposer sur des événements fictifs—mais le bien‑fondé des craintes peut être établi à l’aide de cette présomption.
[. . .]
Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée. En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur.
[. . .]
Bref, je conclus que la complicité de l’État n’est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet « ne veut » ou sous le volet « ne peut » de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l’incapacité de l’État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l’exigence d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité d’un État d’assurer la protection. Je reconnais que ces conclusions élargissent l’éventail des revendications du statut de réfugié auxquelles il sera peut‑être fait droit au delà de celles qui comportent la crainte d’être persécuté par le gouvernement nominal du demandeur. Dans la mesure où cette persécution vise le demandeur pour l’un des motifs énumérés, je ne crois pas que l’identité de l’auteur redouté de la persécution a pour effet de soustraire ces cas aux obligations internationales du Canada dans ce domaine. Sur ce, je passe maintenant à l’examen des motifs énumérés. [Soulignement dans l’original; italiques ajoutés.]