A‑314‑05
2006 CAF 283
Robert A. Read (appelant)
c.
Procureur général du Canada (intimé)
Répertorié : Read c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Noël, Nadon et Evans, J.C.A.—Ottawa, 3 mai et 22 août 2006.
GRC — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire d’une décision du commissaire adjoint de la GRC portant que l’appelant a transgressé son obligation de loyauté envers la GRC — L’appelant aurait remis à la presse des renseignements et des documents classifiés relatifs à une enquête portant sur de présumées activités criminelles au sein de la section d’immigration de la mission à Hong Kong — Il a invoqué la défense de dénonciation — Le comité interne d’arbitrage de la GRC a conclu que la conduite de l’appelant avait été scandaleuse et que la défense de dénonciation n’était pas recevable — Il faut établir un équilibre entre l’obligation de loyauté de l’employé et son droit à la liberté d’expression reconnu par la Constitution — Examen de la jurisprudence sur l’obligation de loyauté du fonctionnaire — Absence de preuve d’activités illégales ou de corruption de la part de la GRC ou des employés de la mission de Hong Kong — L’obligation de loyauté des agents de la GRC répond à une norme très élevée — L’intérêt public légitime ne constitue pas une exception à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur — En communiquant aux médias des renseignements et documents confidentiels, l’appelant a agi de manière irresponsable et a transgressé son obligation de loyauté — La critique formulée publiquement par l’appelant envers son employeur n’était pas justifiée — Appel rejeté.
Fonction publique — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire adjoint de la GRC portant que l’appelant a transgressé son obligation de loyauté envers son employeur — L’appelant aurait remis à la presse des renseignements et des documents classifiés relatifs à une enquête portant sur de présumées activités criminelles — Il a invoqué la défense de dénonciation — Le comité interne d’arbitrage a estimé que la conduite de l’appelant avait été scandaleuse et que la défense de dénonciation n’était pas recevable — Il faut établir un équilibre entre l’obligation de loyauté de l’employé et son droit à la liberté d’expression reconnu par la Constitution — Examen de la jurisprudence sur l’obligation de loyauté du fonctionnaire — L’intérêt public légitime ne constitue pas une exception à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur — L’appelant a agi de manière irresponsable et a transgressé son obligation de loyauté — La critique formulée publiquement envers l’employeur n’était pas justifiée — Appel rejeté.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Liberté d’expression — L’appelant a été accusé d’avoir divulgué des renseignements et des documents classifiés à la presse en violation du Code de déontologie de la GRC — L’obligation de loyauté de l’appelant envers son employeur limite la liberté d’expression que lui garantit l’art. 2b) de la Charte — Eu égard à l’art. premier de la Charte, la « liberté d’expression » n’est pas une valeur absolue et doit être évaluée en fonction d’autres valeurs concurrentes — L’obligation de loyauté en common law, énoncée par la C.S.C. dans l’arrêt Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, constitue une limite raisonnable selon l’art. premier de la Charte — L’appelant n’a pas justifié la transgression de son serment de loyauté.
Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire d’une décision du commissaire adjoint de la GRC, qui a conclu que l’appelant avait manqué à son devoir de loyauté envers la GRC. L’appelant, qui s’est engagé dans la GRC en 1975, a été accusé d’avoir divulgué des renseignements et des documents classifiés à la presse, en violation de son serment professionnel et du Code de déontologie de la GRC. Il aurait aussi désobéi à l’ordre d’un officier supérieur de ne pas divulguer des renseignements relatifs à une enquête portant sur de présumées activités criminelles au sein de la section d’immigration de la mission du Canada à Hong Kong. Par suite des allégations de l’appelant selon lesquelles ses supérieurs ont tenté de camoufler les malversations qui avaient cours à la mission de Hong Kong, trois enquêtes de la GRC ont été entreprises entre 1991 et 1999. L’appelant a été affecté à la troisième enquête en septembre 1996, mais il a été retiré parce qu’il a tiré des conclusions qui n’étaient pas étayées par la preuve et qu’il n’a pas examiné d’autres explications plausibles quant aux points visés par l’enquête. L’appelant a communiqué avec les médias pour exprimer ses inquiétudes au sujet de la manière dont la GRC menait les enquêtes, remettant aux journalistes un document classifié ainsi que d’autres rapports d’enquête. En août 2000, la GRC a enclenché une procédure disciplinaire contre l’appelant. Un comité interne d’arbitrage de la GRC (le comité d’arbitrage) a estimé que la conduite de l’appelant avait été scandaleuse et il a recommandé son congédiement de la Gendarmerie. Le comité d’arbitrage a jugé par le fait même que la défense de dénonciation invoquée par l’appelant n’était pas recevable. L’appelant a interjeté appel devant le commissaire de la GRC, qui a renvoyé l’affaire au comité externe d’examen de la GRC, lequel a conclu que les révélations faites par l’appelant présentaient un intérêt public légitime parce que la GRC n’avait pas pris les mesures adéquates en ce qui a trait aux allégations de corruption à la mission de Hong Kong. Le comité d’examen a donc recommandé que l’appel formé contre les conclusions du comité d’arbitrage sur les allégations d’inconduite soit accueilli. Le commissaire adjoint a confirmé la conclusion du comité d’arbitrage selon laquelle l’appelant s’était rendu coupable d’inconduite scandaleuse et la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire adjoint, statuant que la défense de dénonciation de l’appelant ne pouvait pas être invoquée. La Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait aucune preuve confirmant les allégations de l’appelant selon lesquelles ses supérieurs au sein de la GRC et d’autres fonctionnaires appliquant les politiques d’immigration avaient tenté de camoufler des agissements répréhensibles en marge de l’enquête de Hong Kong. Il s’agissait en l’espèce de décider si la Cour fédérale avait eu tort de conclure que la défense de dénonciation opposée par l’appelant ne pouvait pas être invoquée.
Arrêt : l’appel est rejeté.
Le présent appel a fait intervenir l’équilibre qu’il convient d’établir entre l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur et le droit de l’employé à la liberté d’expression, un droit garanti par l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Les parties ont convenu que l’obligation de loyauté de l’appelant envers son employeur limite la liberté d’expression que lui garantit l’alinéa 2b) de la Charte, mais elles ne s’entendaient pas sur la ligne de démarcation qui doit être tracée entre ces deux valeurs opposées. Dans Fraser c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, la Cour suprême du Canada a statué que, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition aux politiques d’un gouvernement si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes. La Cour a bien souligné que le degré de modération dont un fonctionnaire doit faire preuve « dépend du poste et de la visibilité du fonctionnaire ». Dans Haydon c. Canada, la Cour fédérale a fait droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par des évaluateurs en matière de médicaments au motif que leur critique publique entrait dans l’exception touchant « la santé et la sécurité du public » énoncée dans l’arrêt Fraser. La Cour estimait que l’exception énoncée dans Fraser s’appliquait aux questions d’intérêt public et que, lorsqu’une question suscite un intérêt public légitime et doit être débattue ouvertement, l’obligation de loyauté ne peut pas interdire toute divulgation par un fonctionnaire. Elle a conclu que l’obligation de loyauté en common law, énoncée dans l’arrêt Fraser, constituait une limite raisonnable selon l’article premier de la Charte. Dans Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), la Cour d’appel fédérale a écrit, eu égard à l’article premier de la Charte, que la « liberté d’expression » n’est pas une valeur absolue et qu’elle doit être évaluée en fonction d’autres valeurs concurrentes.
Le comité d’examen a conclu qu’il n’y avait pas la moindre preuve d’activités illégales ou de corruption, que ce soit de la part de la GRC ou des employés de la mission de Hong Kong, mais qu’il y avait eu des lacunes dans l’enquête menée par la GRC. L’obligation de loyauté des agents de la GRC doit nécessairement répondre à une norme très élevée. La question de savoir si cette norme est plus élevée que celle qui est imposée aux autres fonctionnaires dépendra des circonstances de l’affaire considérée, en plus « du poste et de la visibilité du fonctionnaire ». Dans Haydon c. Canada, la Cour fédérale n’entendait pas créer ou reconnaître une autre exception en plus de celles énoncées dans l’arrêt Fraser. L’objet des exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser n’est pas d’encourager ou d’autoriser les fonctionnaires à débattre de questions comme s’ils étaient des membres ordinaires du public, libres de responsabilités envers leur employeur, mais plutôt de permettre aux fonctionnaires de dévoiler, dans des circonstances exceptionnelles, des actes répréhensibles du gouvernement. Les exceptions sont assez larges pour permettre aux fonctionnaires de s’exprimer dans les cas où la divulgation doit avoir préséance sur l’obligation de loyauté. Les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser sont sans aucun doute des questions qui suscitent un intérêt public légitime. Toutefois, l’intérêt public légitime en général ne constitue pas une exception à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur.
Le dossier ne renferme rien qui confirme les allégations de l’appelant selon lesquelles des membres de la GRC ou des responsables de la mission de Hong Kong ont été corrompus. L’appelant n’a pas justifié la transgression de son serment de loyauté ni démontré que ses supérieurs à la GRC ont cherché à entraver son enquête. Les lacunes des enquêtes menées par la GRC depuis 1991 ne constituaient pas des actes illégaux du gouvernement et elles n’entraient pas dans les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser. Il n’existe aucune exception se rapportant aux questions d’intérêt public légitime et, une telle exception, dans le cas des agents de la GRC, n’est pas justifiée. En communiquant aux médias des renseignements et documents confidentiels, l’appelant a agi de manière irresponsable et a transgressé son obligation de loyauté envers son employeur. Malgré l’existence de lacunes dans les enquêtes de la GRC, la critique formulée publiquement par l’appelant envers son employeur ne saurait, vu les circonstances de cette affaire, être justifiée.
lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2b).
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10, art. 15(2), 38 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16), 43 (mod., idem), 45.12 (édicté, idem), 45.14(1) (édicté, idem), 45.15(1) (édicté, idem), 45.16 (édicté, idem; L.C. 1990, ch. 8, art. 67; 2002, ch. 8, art. 182).
Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88‑361, art. 37 (mod. par DORS/99‑26, art. 1), 39 (mod. par DORS/94‑219, art. 15), 40 (mod., idem, art. 16), 41.
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (1re inst.).
décisions examinées :
Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), [2006] 2 R.C.F. 3; 2005 CAF 249; Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), [2005] 1 R.C.F. 511; 2004 CF 749; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [2006] 1 R.C.F. 105; 2005 CF 958; Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 36 (C.A.) (QL); Stenhouse c. Canada (Procureur général), [2004] 4 R.C.F. 437; 2004 CF 375; Officier compétent de la division « F » c. Sergent d’état‑major Stenhouse (2001), 11 A.D. (3d) 1.
décisions citées :
La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; 2003 CSC 19; Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247; 2003 CSC 20.
doctrine citée
Dawson, Fabian. « “A breach of national security” : Files at Canada’s diplomatic mission in Hong Kong were infiltrated » The Vancouver Province (26 août 1999).
APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2005 CF 798) rejetant la demande de contrôle judiciaire d’une décision du commissaire adjoint de la GRC, qui a conclu que l’appelant avait manqué à son devoir de loyauté envers la GRC. Appel rejeté.
ont comparu :
David Yazbeck et Paul Champ pour l’appelant.
Patrick D. Bendin et Michael G. Roach pour l’intimé.
avocats inscrits au dossier :
Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP, Ottawa, pour l’appelant.
Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Nadon, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté de la décision (2005 CF 798) par laquelle le juge Harrington de la Cour fédérale a rejeté, le 2 juin 2005, la demande de contrôle judiciaire déposée par l’appelant à l’encontre d’une décision du commissaire adjoint Killam de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC).
[2]Un comité interne d’arbitrage de la GRC (le comité d’arbitrage) a estimé que les accusations de conduite scandaleuse portées contre l’appelant, un officier de la GRC, avaient été établies et il a donc ordonné que l’appelant démissionne de la GRC dans un délai de 15 jours, à défaut de quoi il serait congédié. Nonobstant la décision du Comité externe d’examen de la GRC, qui a recommandé que soit accueilli l’appel formé par l’appelant contre la conclusion du comité d’arbitrage sur les accusations d’inconduite, le commissaire adjoint a estimé que l’appelant avait manqué à son devoir de loyauté envers la GRC et que ce manquement n’était pas justifié. Le commissaire adjoint a donc confirmé la sanction infligée à l’appelant par le comité d’arbitrage.
[3] Ce qui est en cause dans la présente instance, c’est la défense de « dénonciation » invoquée par l’appelant. Autrement dit, l’appelant pouvait‑il manquer à son obligation de loyauté envers son employeur en divulguant des documents et renseignements confiden-tiels aux médias parce qu’il soupçonnait son employeur d’avoir commis des actes répréhensibles? Aux paragraphes 5 et 6 de ses motifs, le juge de première instance a expliqué dans les termes suivants la défense de l’appelant :
En défense, le demandeur a prétendu n’avoir commis aucun acte illicite et être toujours resté fidèle à ses serments. Il aurait désobéi à l’ordre de ne pas s’adresser au public parce que cet ordre était illégal. Son officier supérieur était un criminel qui tentait de cacher des fautes et une incompétence graves au sein de Citoyenneté et Immigration Canada, des Affaires extérieures et de la GRC elle‑même.
Le demandeur pensait que des éléments criminels s’étaient introduits dans le système informatique à Hong Kong et étaient en mesure de délivrer de faux visas. Notre sécurité nationale était en jeu, mais la GRC ne faisait rien pour corriger la situation. Ce n’est qu’en dernier recours que le demandeur a parlé aux médias dans l’intérêt public, pour mettre fin à cette situation inacceptable et traduire les responsables devant la justice.
THE FACTS
LES FAITS
[4]Le juge de première instance a soigneusement passé en revue les faits, mais il convient de les rappeler brièvement pour mettre l’affaire dans son contexte.
[5]L’appelant, le caporal Robert Read, s’est engagé dans la GRC en 1975. À la suite des événements que je relaterai bientôt, il a été accusé d’avoir divulgué des renseignements et des documents classifiés à la presse, en violation de son serment d’allégeance, de son serment professionnel et de son serment du secret, et en violation du code de déontologie de la GRC [partie III du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361]; il a aussi été accusé d’avoir désobéi à l’ordre d’un officier supérieur de ne pas divulguer de renseignements relatifs à une enquête portant sur de présumées activités criminelles au sein de la Section d’immigration de la mission du Canada à Hong Kong (la mission de Hong Kong).
[6]Pour justifier sa décision de faire des révélations à la presse, l’appelant fait notamment valoir que ses supérieurs tentaient de camoufler les malversations qui avaient cours à la mission de Hong Kong. Il croit qu’il s’agissait d’une question de sécurité nationale et que la divulgation aux médias en dernier recours était dans l’intérêt public afin que l’attention soit appelée sur des actes présumés de corruption et sur de présumées activités criminelles.
[7]Il y a eu, entre 1991 et 1999, trois enquêtes de la GRC sur les présumées activités criminelles au sein de la mission de Hong Kong. L’appelant a été affecté à la troisième enquête le 4 septembre 1996.
[8]En 1991, la GRC a été informée de possibles infractions à la sécurité et de possibles actes de corruption au sein de la Section d’immigration de la mission de Hong Kong. Des individus qui prétendaient être des employés de la mission de Hong Kong auraient pris contact avec un couple et lui auraient offert d’accélérer le traitement de sa demande d’immigration en échange de 10 000 $. De faux tampons de visa ont également été trouvés dans le bureau d’un ancien employé de la mission de Hong Kong. Enfin, deux employés de la mission de Hong Kong qui avaient accès au Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) ont été vus en train de déposer une importante somme d’argent en espèces dans une banque.
[9]À la suite de ces allégations, la GRC a commencé à enquêter sur l’affaire. Le sergent Conohan, de la GRC, a été envoyé à Hong Kong, en compagnie de David Balser, un spécialiste de la sécurité au ministère des Affaires extérieures (aujourd’hui le ministère des Affaires étrangères). Cette enquête s’est terminée par ce qu’il est convenu d’appeler le rapport Balser, un document confidentiel qui faisait ressortir les lacunes administratives du STIDI, un système utilisé notamment pour le traitement des demandes de visas.
[10]Au cours de l’enquête, le sergent Conohan a rencontré Brian McAdam, un employé de la section d’immigration de la mission de Hong Kong. M. McAdam soupçonnait que des organisations criminelles appelées triades s’étaient introduites dans le STIDI avec l’aide d’un employé de la mission de Hong Kong. Toutefois, le sergent Conohan a fermé ensuite les dossiers de la GRC car il n’avait pas pu désigner de suspects en ce qui a trait aux allégations de corruption.
[11]En 1993, une deuxième enquête de la GRC a été entreprise, à la suite de nouvelles allégations de corruption à la mission de Hong Kong. Le sergent Puchniak (plus tard sergent d’état‑major) s’est entretenu par téléphone avec plusieurs anciens employés de la mission de Hong Kong. Il a recommandé à ses supérieurs de l’autoriser à se rendre à Hong Kong pour poursuivre l’enquête, mais sa recommandation a été rejetée. Le sergent Puchniak a classé l’affaire parce que, selon lui, il était impossible d’interroger les anciens employés après leur retour au Canada étant donné qu’ils auraient alors déjà eu la possibilité de discuter entre eux les points à propos desquels la GRC entendait les interroger.
[12]La troisième enquête a débuté en mai 1995 à la suite d’une plainte de M. McAdam, de la mission de Hong Kong, qui avait depuis pris sa retraite du service extérieur. Ce dernier avait abordé le sujet avec le député David Kilgour, alors vice‑président de la Chambre des communes, qui a demandé la tenue d’une enquête publique, ce qu’a refusé le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. La GRC a plutôt commencé une troisième enquête interne pour savoir si des manquements avaient été commis.
[13]L’inspecteur Dubé de la GRC (plus tard surintendant) a été chargé de l’enquête en 1996. Il a interrogé M. McAdam, mais a estimé que ses allégations étaient trop générales et que le problème serait tout probablement résolu par le passage du temps et l’arrivée de nouveaux employés à la mission de Hong Kong.
[14]Le surintendant Dubé s’est néanmoins adressé à l’appelant en septembre 1996 pour lui demander d’examiner l’affaire et les allégations de M. McAdam. Le surintendant Dubé s’est rendu compte rapidement que l’appelant n’avait pas l’objectivité nécessaire pour entreprendre une telle enquête parce qu’il tirait des conclusions qui n’étaient pas étayées par la preuve et qu’il n’examinait pas d’autres explications plausibles quant aux points visés par l’enquête. Le 2 septembre 1997, le surintendant Dubé a donc retiré à l’appelant la responsabilité de l’enquête et a confié celle‑ci au sergent Pasin qui, le 3 décembre 1999, a présenté son rapport d’enquête final.
[15]Après sa réaffectation, l’appelant s’est plaint au conseiller de la GRC en matière d’éthique en lui disant que le surintendant Dubé et le sergent Conohan tentaient de camoufler des malversations commises à la mission de Hong Kong. Cette plainte a été rejetée. En janvier 1999, l’appelant a de plus déposé une plainte au bureau du vérificateur général, qui a publié un rapport dénonçant l’absence de mesures de sécurité dans le système d’immigration.
[16]Le surintendant Dubé a communiqué avec l’appelant en 1999 pour lui intimer l’ordre de ne pas discuter de l’enquête avec les médias. Il en a profité pour interroger l’appelant au sujet d’une boîte de documents qui manquait. Après cet échange et une rencontre avec le sergent Pasin concernant la boîte manquante, le surintendant Dubé a demandé une enquête sur la conduite de l’appelant à propos de renseignements classifiés que, croyait‑il, l’appelant avait divulgués à M. McAdam, et à propos du manque de collaboration de l’appelant dans l’enquête en cours de la GRC. Cepen-dant, la demande d’enquête a été refusée parce que le surintendant Dubé n’était plus le supérieur hiérarchique de l’appelant.
[17]À la suite de ces événements, l’appelant a communiqué avec les médias pour exprimer ses inquiétudes au sujet de la manière dont la GRC menait les enquêtes. Il a remis aux journalistes le rapport Balser, un document classifié, ainsi que d’autres rapports d’enquête. Il a aussi remis aux médias une copie de la plainte qu’il avait déposée devant la Commission des plaintes du public contre la GRC (la CPP) et dans laquelle il affirmait que des cadres supérieurs de la GRC avaient négligé d’enquêter sur la corruption qui gangrenait la mission de Hong Kong. La plainte comportait plusieurs documents classifiés se rapportant à l’enquête de Hong Kong, notamment le rapport Balser. Les révélations de l’appelant ont donné lieu à une cinquantaine de reportages dans les journaux et à la télévision. Par exemple, l’article reproduit partiellement ci‑dessous a paru le 26 août 1999 dans le Vancouver Province :
[traduction]
« Une menace pour la sécurité nationale »
Des dossiers de la mission diplomatique du Canada à
Hong Kong ont été infiltrés
Des ressortissants chinois liés au crime organisé se sont introduits dans le système informatique d’immigration de la mission diplomatique du Canada à Hong Kong, selon des documents classifiés obtenus par The Province.
Au moins 788 fichiers du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) ont été supprimés et jusqu’à 2 000 formulaires de visas en blanc ont disparu, selon les documents.
Les allégations principales sont les suivantes :
▪ certaines personnes auraient payé des employés locaux de la mission canadienne (aujourd’hui le consulat général) pour qu’ils suppriment leurs antécédents dans le système informatique afin de dissimuler leurs liens avec les triades—la mafia chinoise;
▪ les formulaires de visas auraient été utilisés par des centaines de personnes, notamment des criminels, pour entrer au Canada illégalement.
Pendant sept ans, la GRC, Immigration Canada et le ministère des Affaires extérieures auraient gardé l’affaire secrète, soucieux de ne pas révéler l’étendue de ce que plusieurs sources considèrent comme une « menace pour la sécurité nationale ».
Deux personnalités clés de l’enquête soupçonnent la GRC de vouloir dissimuler des actes criminels et des actes de négligence commis dans les bureaux de l’immigration de la mission du Canada à Hong Kong.
Les détails de l’affaire figurent dans des rapports déposés par Robert Read, un caporal de la GRC à Ottawa, et par Brian McAdam, un ancien agent de contrôle de l’immigration à la mission du Canada à Hong Kong.
« Je crois qu’il y a eu un complot d’envergure visant à camoufler toute l’affaire », a déclaré M. Read.
Dans un rapport marqué Très Secret, il a écrit : « La perte du contrôle exercé sur le STIDI [. . .] la perte du contrôle exercé sur l’immigration depuis Hong Kong [. . .] de 1986 à 1992 constitue une atteinte très sérieuse à la sécurité nationale. »
M. Read, qui a reçu de son patron, l’inspecteur Jean Dubé, l’ordre écrit de ne faire aucune révélation aux médias, a dit à The Province : « Si je fais ces révélations, c’est parce qu’il faut absolument une enquête publique sur toute cette affaire ».
[. . .]
« Si la GRC dit au gouvernement qu’une catastrophe s’est produite », de dire M. Read, « il est impossible pour le gouvernement de décider comment y réagir, de décider quoi dire aux Canadiens sur ce qui s’est produit. »
« Ils ont le rapport Balser, le témoignage de M. McAdam, les dossiers manquants à Hong Kong [. . .] et mon rapport ».
« Pourquoi restent‑ils à ne rien faire? » [Non souligné dans l’original.]
[18]Le 10 septembre 1999, le commissaire de la GRC, M. Zaccardelli, a demandé un examen administra-tif des accusations de l’appelant concernant la corruption qui existerait à la mission de Hong Kong, et de ses accusations selon lesquelles certains cadres supérieurs de la GRC manquaient à leurs obligations.
[19]L’examen administratif a été effectué par trois agents de la GRC qui n’avaient pas pris part aux enquêtes de Hong Kong. Ils ont rendu leur rapport le 4 octobre 1999 et n’ont constaté aucune tentative de camouflage ou d’obstruction de la part de membres de la GRC ou de la part d’employés de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).
[20]Le 11 août 2000, la GRC a enclenché une procédure disciplinaire contre l’appelant et, le 31 mai 2002, le comité d’arbitrage, estimant que la conduite de l’appelant avait été scandaleuse, a recommandé son congédiement de la Gendarmerie. Le comité d’arbitrage a jugé par le fait même que la défense de dénonciation invoquée par l’appelant n’était pas recevable.
[21]Informé de la décision du comité d’arbitrage, l’appelant a interjeté appel devant le commissaire de la GRC en application du paragraphe 45.14(1) [édicté par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16], de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R‑10 (la Loi). Comme le prévoit le paragraphe 45.15(1) [édicté, idem] de la Loi, le commissaire a renvoyé le dossier de l’appelant au Comité externe d’examen de la GRC (le Comité d’examen), lequel a conclu le 10 septembre 2003 que les révélations faites par l’appelant présentaient un intérêt public légitime parce que la GRC n’avait pas pris les mesures adéquates en ce qui a trait aux allégations de corruption à la mission de Hong Kong. Le Comité d’examen a donc recommandé que l’appel formé par l’appelant contre les conclusions du comité d’arbitrage sur les allégations d’inconduite soit accueilli.
[22]À la suite de la décision du Comité d’examen, le commissaire devait étudier l’appel, en application du paragraphe 45.16(1) [édicté, idem] de la Loi. Cependant, en raison de son intervention antérieure dans le dossier de l’appelant, il a estimé qu’il ne pouvait pas se prononcer sur l’appel. C’est pourquoi, conformément au paragraphe 15(2) de la Loi, l’appel a été entendu par le commissaire adjoint Tim Killam qui, le 15 janvier 2004, a rejeté l’appel. Le commissaire adjoint a ainsi confirmé la conclusion du comité d’arbitrage selon laquelle l’appelant s’était rendu coupable de conduite scandaleuse, et il a ordonné le congédiement de l’appelant. Par cette conclusion, le commissaire adjoint se déclarait incapable de souscrire à la recommandation du Comité d’examen.
[23]Le 20 février 2004, l’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire visant à faire annuler la décision du commissaire adjoint Killam. Le 2 juin 2005, le juge Harrington a rejeté sa demande. Le paragraphe 142 des motifs du juge de première instance résume bien les motifs qu’il avait de rejeter la demande de l’appelant :
Le caporal Read avait une obligation de loyauté envers la GRC. Il a rendu publics des documents et des renseignements protégés, en violation de cette obligation. La défense de dénonciation ne peut pas être invoquée en l’espèce. La preuve n’était tout simplement pas suffisante pour étayer ses allégations. Les restrictions apportées à son droit de s’exprimer en public, lesquelles sont établies depuis longtemps en common law et sont prévues dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et ses règlements d’applica-tion, sont raisonnables eu égard à l’article premier de la Charte. La nécessité d’une force de police impartiale et efficace prime. La décision du commissaire adjoint Killam selon laquelle le caporal Read a contrevenu au code de déontologie de la GRC résiste au contrôle judiciaire, tout comme la peine qui lui a été infligée, soit le congédiement de la Gendarmerie. [Non souligné dans l’original.]
[24]L’appelant voudrait faire infirmer la décision du juge Harrington et faire annuler la décision du commissaire adjoint.
LES DISPOSITIONS APPLICABLES
[25]Les dispositions suivantes de la Loi et du Règlement sur la Gendarmerie royale du Canada (1988) [DORS/88-361] sont pertinentes aux questions dont la Cour est saisie, et je les reproduis donc :
LA LOI [art. 38 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 16), 43 (mod., idem), 45.12 (édicté, idem), 45.16 (édicté, idem; L.C. 1990, ch. 8, art. 67; 2002, ch. 8, art. 182)]
38. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, appelés code de déontologie, pour régir la conduite des membres.
[. . .]
43. (1) Sous réserve des paragraphes (7) et (8), lorsqu’il apparaît à un officier compétent qu’un membre a contrevenu au code de déontologie et qu’eu égard à la gravité de la contravention et aux circonstances, les mesures disciplinaires simples visées à l’article 41 ne seraient pas suffisantes si la contravention était établie, il convoque une audience pour enquêter sur la contravention présumée et fait part de sa décision à l’officier désigné par le commissaire pour l’application du présent article.
(2) Dès qu’il est avisé de cette décision, l’officier désigné nomme trois officiers à titre de membres d’un comité d’arbitrage pour tenir l’audience et en avise l’officier compétent.
(3) Au moins un des trois officiers du comité d’arbitrage est un diplômé d’une école de droit reconnue par le barreau d’une province.
[. . .]
45.12 (1) Le comité d’arbitrage décide si les éléments de preuve produits à l’audience établissent selon la prépondé-rance des probabilités chacune des contraventions alléguées au code de déontologie énoncées dans l’avis d’audience.
(2) La décision du comité d’arbitrage est consignée par écrit; elle comprend notamment l’exposé de ses conclusions sur les questions de fait essentielles à la décision, les motifs de la décision et l’énoncé, le cas échéant, de la peine imposée en vertu du paragraphe (3) ou de la mesure disciplinaire simple prise en vertu du paragraphe (4).
(3) Si le comité d’arbitrage décide qu’un membre a contrevenu au code de déontologie, il lui impose une ou plusieurs des peines suivantes :
a) recommander que le membre soit congédié de la Gendarmerie, s’il est officier, ou, s’il ne l’est pas, le congédier de la Gendarmerie;
b) ordonner au membre de démissionner de la Gendarmerie, et si ce dernier ne s’exécute pas dans les quatorze jours suivants, prendre à son égard la mesure visée à l’alinéa a);
[. . .]
45.14 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, toute partie à une audience tenue devant un comité d’arbitrage peut en appeler de la décision de ce dernier devant le commissaire :
a) soit en ce qui concerne la conclusion selon laquelle est établie ou non, selon le cas, une contravention alléguée au code de déontologie;
b) soit en ce qui concerne toute peine ou mesure imposée par le comité après avoir conclu que l’allégation visée à l’alinéa a) est établie.
[. . .]
45.15 (1) Avant d’étudier l’appel visé à l’article 45.14, le commissaire le renvoie devant le Comité.
[. . .]
45.16 (1) Le commissaire étudie l’affaire portée en appel devant lui en vertu de l’article 45.14 en se fondant sur les documents suivants :
a) le dossier de l’audience tenue devant le comité d’arbitrage dont la décision est portée en appel;
b) le mémoire d’appel;
c) les argumentations écrites qui lui ont été soumises.
Il tient également compte, s’il y a lieu, des conclusions ou des recommandations exposées dans le rapport du Comité ou de son président.
(2) Le commissaire, lorsqu’il est saisi d’un appel interjeté contre la conclusion visée à l’alinéa 45.14(1)a), peut :
a) soit rejeter l’appel et confirmer la décision portée en appel;
b) soit accueillir l’appel et ordonner la tenue d’une nouvelle audience portant sur l’allégation qui a donné lieu à la conclusion contestée;
c) soit accueillir l’appel, s’il est interjeté par le membre reconnu coupable d’une contravention au code de déontologie, et rendre la conclusion que, selon lui, le comité d’arbitrage aurait dû rendre.
(3) Le commissaire, lorsqu’il est saisi d’un appel interjeté contre la peine ou la mesure visée à l’alinéa 45.14(1)b), peut :
a) soit rejeter l’appel et confirmer la décision portée en appel;
b) soit accueillir l’appel et modifier la peine ou la mesure imposée.
[. . .]
(6) Le commissaire n’est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans un rapport portant sur une affaire qui a été renvoyée devant le Comité conformément à l’article 45.15; s’il choisit de s’en écarter, il doit toutefois motiver son choix dans sa décision.
(7) La décision du commissaire portant sur un appel interjeté en vertu de l’article 45.14 est définitive et exécutoire et, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, n’est pas susceptible d’appel ou de révision en justice.
LE RÈGLEMENT [art. 37 (mod. par DORS/99-26, art. 1), 39 (mod. par DORS/94-219, art. 15), 40 (mod., idem, art. 16)]
37. Les articles 38 à 58.7 constituent le code de déontologie régissant la conduite des membres.
[. . .]
39. (1) Le membre ne peut agir ni se comporter d’une façon scandaleuse ou désordonnée qui jetterait le discrédit sur la Gendarmerie.
(2) Le membre agit ou se comporte de façon scandaleuse lorsque, notamment
a) ses actes ou son comportement l’empêchent de remplir ses fonctions avec impartialité;
b) à cause de ses actes ou de son comportement, il est trouvé coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable par procédure sommaire tombant sous le coup d’une loi fédérale ou provinciale.
40. Le membre doit obéir aux ordres légitimes—verbaux ou écrits—de tout membre qui lui est supérieur en grade ou qui a autorité sur lui.
41. Le membre ne peut publiquement critiquer, railler ou contester l’administration, le fonctionnement, les objectifs ou les politiques de la Gendarmerie, ni s’en plaindre publiquement, à moins qu’il n’y soit autorisé par la loi.
[26] L’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, [1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] est également pertinent :
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
[. . .]
b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
LES QUESTIONS EN LITIGE
[27]Il s’agit dans le présent appel de décider si le juge de première instance a commis une erreur en rejetant la demande de contrôle judiciaire déposée par l’appelant. Plus précisément, le juge de première instance a‑t‑il eu tort de conclure que la défense de « dénonciation opposée » par l’appelant ne pouvait pas être invoquée? Plus généralement, l’appel fait intervenir l’équilibre qu’il convient d’établir entre, d’une part, l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur et, d’autre part, le droit fondamental de l’employé à la liberté d’expression, un droit garanti par l’alinéa 2b) de la Charte.
LA JURISPRUDENCE APPLICABLE
[28]Avant d’analyser la décision du commissaire adjoint Killam, j’examinerai la jurisprudence portant sur l’obligation de loyauté d’un fonctionnaire envers son employeur.
[29]Les parties conviennent que l’obligation de loyauté de l’appelant envers son employeur limite la liberté d’expression que lui garantit l’alinéa 2b) de la Charte. Elles ne s’entendent pas cependant quant à savoir où doit être tracée la ligne de démarcation entre ces deux valeurs opposées que sont l’obligation de loyauté et la liberté d’expression.
[30]L’examen de la jurisprudence débute forcément par un arrêt de la Cour suprême du Canada, Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455, où le juge en chef Dickson a exposé les principes qui, encore maintenant, constituent le cadre de référence lorsqu’est invoquée la défense de « dénonciation ».
[31]Il s’agissait dans l’arrêt Fraser, du droit d’un fonctionnaire, un employé de Revenu Canada, de critiquer ouvertement les politiques du gouvernement fédéral en matière de conversion au système métrique et l’enchâssement d’une charte des droits dans la Constitution. Le juge en chef Dickson a formulé le principe directeur : les fonctionnaires doivent être loyaux envers leur employeur, mais ils peuvent, dans certaines circonstances, exprimer publiquement leur opposition aux politiques du gouvernement. Autrement dit, le juge en chef était d’avis qu’il ne serait pas sage d’interdire totalement aux fonctionnaires de critiquer les actions du gouvernement. Ainsi, pour le juge en chef Dickson, la véritable question était celle de savoir où tracer la ligne de démarcation entre des valeurs opposées.
[32]Avant de décrire les circonstances dans lesquelles, selon lui, un fonctionnaire serait autorisé à critiquer les politiques du gouvernement ou à s’y opposer, le juge en chef Dickson a souligné qu’un emploi dans la fonction publique comporte deux dimensions, l’une qui concerne les tâches d’un employé et la manière dont il les accomplit, et l’autre qui concerne la manière dont le public perçoit l’emploi.
[33]Dans l’affaire dont il avait été saisi, le juge en chef Dickson a souscrit à la conclusion de l’arbitre selon laquelle les critiques formulées par M. Fraser à l’endroit des politiques du gouvernement « se rapportaient à son emploi » (Fraser, à la page 469). Selon lui, l’importance de cette conclusion découlait du fait qu’il est important et nécessaire d’avoir une fonction publique impartiale et efficace, compte tenu que la fonction publique fédérale fait partie de la branche exécutive du gouvernement, dont la tâche est d’administrer et d’appliquer les politiques gouvernementales. D’où l’importance pour la fonction publique d’employer des personnes bien informées, justes, honnêtes et impartiales.
[34]Le juge en chef a ensuite ajouté qu’une autre qualité requise des fonctionnaires était la loyauté. En faisant cette observation, il a formulé le principe qui est au cœur du débat dont nous sommes saisis. À la page 470, il a dit :
Comme l’arbitre l’a indiqué, il existe une autre caractéristique qui est la loyauté. En règle générale, les fonctionnaires fédéraux doivent être loyaux envers leur employeur, le gouvernement du Canada. Ils doivent être loyaux envers le gouvernement du Canada et non envers le parti politique au pouvoir. Un fonctionnaire n’est pas tenu de voter pour le parti au pouvoir. Il n’est pas non plus tenu d’endosser publiquement ses politiques. En fait, dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut activement et publiquement exprimer son opposition à l’égard des politiques d’un gouvernement. Ce serait le cas si, par exemple, le gouvernement accomplissait des actes illégaux ou si ses politiques mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité des fonctionnaires ou d’autres personnes, ou si les critiques du fonctionnaire n’avaient aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude. Toutefois, ayant énoncé ces qualités (et il peut y en avoir d’autres), je suis d’avis qu’un fonctionnaire ne doit pas, comme l’a fait l’appelant en l’espèce, attaquer de manière soutenue et très visible des politiques importantes du gouvernement. Selon moi, en se conduisant de cette manière, l’appelant a manifesté envers le gouvernement un manque de loyauté incompatible avec ses fonctions en tant qu’employé du gouvernement. [Non souligné dans l’original.]
[35]Le juge en chef Dickson a ensuite expliqué pourquoi il était important, voire crucial, de s’assurer que les fonctionnaires demeurent loyaux envers leur employeur, c’est‑à‑dire pourquoi il était dans l’intérêt public d’avoir une fonction publique impartiale. Aux pages 470 et 471, il a dit ce qui suit :
Comme l’a souligné l’arbitre, il existe un motif important à l’appui de cette règle générale de loyauté, savoir l’intérêt du public vis‑à‑vis de l’impartialité réelle et apparente de la fonction publique [. . .]
À mon avis, il existe au Canada une tradition semblable en ce qui a trait à notre fonction publique. La tradition met l’accent sur les caractéristiques d’impartialité, de neutralité, d’équité et d’intégrité. Une personne qui entre dans la fonction publique ou une qui y est déjà employée doit savoir, ou du moins est présumée savoir, que l’emploi dans la fonction publique comporte l’acceptation de certaines restrictions. L’une des plus importantes de ces restrictions est de faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de critiquer le gouverne-ment. [Non souligné dans l’original.]
[36]Un dernier point tiré de l’arrêt Fraser mérite d’être mentionné. Dans sa conclusion, le juge en chef Dickson a bien souligné que le degré de modération dont un fonctionnaire doit faire preuve « dépend du poste et de la visibilité du fonctionnaire » (voir à la page 466).
[37]Je vais maintenant examiner plusieurs décisions rendues par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Dans la décision Haydon c. Canada, [2001] 2 C.F. 82 (1re inst.) (Haydon no 1), les employés, évaluateurs en matière de médicaments à la Division de l’évaluation des produits pharmaceutiques du Bureau des médicaments vétérinaires, Direction des aliments, Direction générale de la protection de la santé à Santé Canada, avaient accordé des entrevues à l’émission Canada AM, une émission nationale de télévision diffusée par le réseau CTV, au cours de laquelle ils ont exprimé de sérieuses inquiétudes à propos du processus d’évaluation des médicaments appliqué par leur employeur, et des conséquences de ce processus sur la santé des Canadiens. Les deux employés ont été réprimandés par leur employeur, qui a conclu qu’ils avaient manqué à leur obligation de loyauté. Les employés ont déposé des griefs. Les griefs ont finalement atteint le niveau du sous‑ministre délégué, qui les a rejetés. Celui-ci a conclu que, même si les fonctionnaires ont droit à la liberté d’expression et peuvent participer à des débats publics sur des questions d’intérêt public, il y a des limites à leur liberté d’expression et l’une de ces limites est leur obligation de loyauté envers leur employeur.
[38]Les employés ont présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Le 5 septembre 2000, la juge Tremblay‑Lamer a fait droit à leur demande au motif que leur critique publique entrait dans l’exception touchant « la santé et la sécurité du public », énoncée dans l’arrêt Fraser. En tirant cette conclusion, la juge Tremblay‑Lamer a commenté, au paragraphe 83, les exceptions formulées par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser, à propos de l’obligation de loyauté en common law :
Selon moi, ces exceptions s’appliquent aux questions d’intérêt public. Elles font en sorte que l’obligation de loyauté porte le moins possible atteinte, dans des limites raisonnables, à la liberté d’expression dans la réalisation de l’objectif d’une fonction publique impartiale et efficace. Lorsqu’une question suscite un intérêt public légitime et doit être débattue ouvertement, l’obligation de loyauté ne peut pas interdire toute divulgation par un fonctionnaire. L’obligation de loyauté en common law n’impose pas le silence sans réserve. Comme on l’a expliqué dans l’arrêt Fraser, l’obligation de loyauté est tempérée : « il est permis aux fonctionnaires de s’exprimer dans une certaine limite sur des questions d’intérêt public ». Mon interprétation de ces exceptions à la règle de common law est qu’elles sont justifiées chaque fois qu’il en va de l’intérêt public. L’importance de l’intérêt public lorsqu’il s’agit de divulguer des méfaits, que l’on appelle « la défense de dénonciation », a été reconnue dans d’autres ressorts comme constituant une exception à l’obligation de loyauté en common law. [Non souligné dans l’original.]
[39]Je dois souligner que, au paragraphe 89 de ses motifs, la juge Tremblay‑Lamer, après une analyse minutieuse de l’article premier, fondée sur le critère exposé dans l’arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, a conclu que l’obligation de loyauté en common law, telle qu’elle est énoncée l’arrêt Fraser, « respecte suffisamment la liberté d’expression qui est garantie par la Charte et [. . .] constitue une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte ».
[40]Un arrêt plus récent est celui qui a été rendu par la Cour d’appel fédérale dans Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), [2006] 2 R.C.F. 3 (Haydon no 2). L’employée, le Dr Haydon, une vétérinaire travaillant pour Santé Canada comme évaluatrice de médicaments, a été suspendue pendant 10 jours ouvrables par son employeur en raison de propos qui lui étaient attribués dans un article paru dans le Globe and Mail.
[41]Le Dr Haydon a déposé un grief dans lequel elle a demandé notamment l’annulation de sa suspension et le remboursement du salaire et des avantages sociaux qu’elle avait perdus. Devant l’arbitre, elle fait valoir que, en raison des droits que lui garantit la Charte, elle avait le droit de s’exprimer publiquement. L’arbitre a rejeté son argument au motif qu’elle n’avait pas cherché à dissiper ses doutes par les voies internes appropriées, ajoutant que, s’il avait tort sur ce point, il serait arrivé à la conclusion que les déclarations du Dr Haydon à la presse n’étaient pas visées par les exceptions à l’obligation de loyauté formulées dans l’arrêt Fraser, parce que ces déclarations ne portaient pas sur des questions de santé et de sécurité.
[42]Le Dr Haydon a alors présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Le 21 mai 2004 [Haydon c. Canada (Conseil du Trésor), [2005] 1 R.C.F. 511], le juge Martineau a conclu que l’arbitre n’avait pas commis d’erreur en considérant que le Dr Haydon avait manqué à son obligation de loyauté et que la suspension de 10 jours était justifiée. Dans sa conclusion, le juge Martineau a énuméré, au paragraphe 49 de ses motifs, les facteurs qui, selon lui, permettaient de dire si un fonctionnaire avait manqué à son obligation de loyauté en critiquant publiquement son employeur :
Compte tenu des remarques qui précèdent, les facteurs suivants sont pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si un fonctionnaire qui fait en public des critiques manque à son obligation de loyauté envers l’employeur : le niveau du poste occupé par l’employé au sein de la hiérarchie gouvernementale; la nature et le contenu de l’expression; la visibilité de l’expression; le caractère délicat de la question; l’exactitude de la déclaration; les démarches que l’employé fait pour connaître les faits avant de prendre la parole; les efforts que l’employé fait pour informer l’employeur de ses préoccupations; la mesure dans laquelle la réputation de l’employeur est ternie et les incidences sur la capacité de l’employeur d’exercer ses activités. [Non souligné dans l’original.]
[43]Dans l’appel qu’elle a interjeté devant la Cour d’appel, le Dr Haydon a fait valoir que le juge Martineau avait conclu à tort que son employeur avait eu un motif juste et suffisant de la suspendre. Après un examen minutieux des principes directeurs exposés dans l’arrêt Fraser et dans la décision Haydon no 1, la juge Desjardins, rédigeant l’arrêt de la Cour, a conclu que le juge de première instance n’avait commis aucune erreur. Elle a exprimé sa position de la manière suivante, au paragraphe 40 :
L’arbitre a conclu qu’en disant qu’il n’y avait aucune différence, pour ce qui concerne le risque, entre le bœuf brésilien et le bœuf canadien, l’appelante ne pouvait pas se réclamer des exceptions à l’obligation de loyauté mentionnées dans Fraser. L’appelante ne dénonçait pas une politique qui mettait en péril la vie, la santé ou la sécurité des citoyens canadiens. Ses déclarations visaient une décision de l’ACIA qui, selon l’appelante, était d’ordre politique. Le juge de la Cour fédérale a dit, au paragraphe 69 de ses motifs, que l’arbitre n’avait commis aucune erreur de droit et que sa décision était raisonnable compte tenu des preuves au dossier. Le juge de la Cour fédérale a dit qu’il ne s’agissait pas d’une « dénonciation ». Selon lui, les déclarations imputées à l’appelante ne visaient pas des questions d’intérêt public du même ordre que dans Haydon no 1. Il ne s’agissait pas de déclarations sur des questions importantes susceptibles de porter atteinte à la santé et à la sécurité du public (ou d’actes illégaux du gouvernement). En outre, la preuve révélait que l’appelante n’avait pas vérifié les faits ni mentionné ses préoccupations à l’interne avant de parler au Globe and Mail. Ses déclarations ne semblaient pas exactes. Néanmoins, ces déclarations avaient un certain poids parce qu’il s’agissait des propos d’une scientifique. Ses observations ont eu des répercussions négatives sur les activités du gouvernement du Canada. Par conséquent, selon le juge, l’arbitre n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle ni au regard de la décision manifestement déraisonnable, ni au regard de la décision raisonnable. J’estime que le juge n’a commis aucune erreur en tirant cette conclusion. [Non souligné dans l’original.]
[44]En concluant ainsi, la juge Desjardins a souligné que le Dr Haydon n’avait pas prétendu que l’obligation de loyauté d’un fonctionnaire envers son employeur n’est pas une limite raisonnable et justifiable à sa liberté d’expression, au sens de l’article premier de la Charte. À cet égard, la juge Desjardins s’est reportée expressément au paragraphe 89 des motifs de la décision Haydon no 1, où la juge Tremblay‑Lamer dit que, vu les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, au sujet de l’obligation de loyauté en common law, la liberté d’expression d’un fonctionnaire n’était pas limitée d’une manière déraisonnable au sens de l’article premier de la Charte.
[45]Dans la décision Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [2006] 1 R.C.F. 105 (C.F.) datée du 8 juillet 2005, qui fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, le demandeur, le Dr Chopra, microbiologiste et vétérinaire travaillant à la Division de l’innocuité pour les humains de la Direction des drogues vétérinaires à Santé Canada, a été suspendu sans rémunération par son employeur pendant une période de cinq jours ouvrables, en raison de commentaires qu’il avait faits à la presse et dans lesquels il avait critiqué son employeur. Il a accusé celui‑ci d’avoir inutilement effrayé la population, après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 à New York, en recommandant au ministre de la Santé de stocker des antibiotiques et des vaccins qui permettraient de lutter contre le charbon et la variole pour le cas où ces maladies se propageraient par suite d’une attaque terroriste.
[46]Après le rejet de son grief par l’arbitre, le Dr Chopra a présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Devant le juge suppléant MacKay, il a fait valoir que les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, à l’obligation de loyauté en common law n’étaient pas limitatives et que, dans la décision Haydon no 1, la juge Tremblay‑Lamer avait énoncé une autre exception, à savoir qu’un fonctionnaire pouvait s’exprimer sur des questions suscitant un intérêt public légitime. Selon le Dr Chopra, l’arbitre avait commis une erreur parce qu’il n’avait pas examiné ses commentaires à la lumière de cette exception. Le juge suppléant MacKay a tranché cet argument de la manière suivante, au paragraphe 27 de ses motifs :
Je ne suis pas convaincu que ma collègue ait effectivement établi une autre exception. À mon sens, l’expression générale qu’elle a employée—« question[s] [qui] suscite[nt] un intérêt public légitime »—ne visait qu’à désigner collectivement les exceptions déjà définies dans l’arrêt Fraser. En effet, dans Haydon (no 1), la décision d’un sous‑ministre délégué de prononcer une sanction relativement aux interventions publiques du Dr Chopra et d’une autre personne a été déclarée déraisonnable du fait, notamment, qu’on n’a pas reconnu que ces interventions tombaient sous le coup de la première exception définie dans Fraser, à savoir la critique publique touchant la sécurité et l’efficacité de la procédure d’approbation des médicaments de Santé Canada, une question de santé et de sécurité publiques. [Non souligné dans l’original.]
[47]Un autre précédent que je voudrais invoquer est un arrêt de la Cour d’appel fédérale, Grahn c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 36 (C.A.) (QL). Dans cette affaire, M. Grahn, un fonctionnaire travail-lant pour la Commission de l’Emploi et de l’Immigra-tion du Canada, a critiqué publiquement son employeur, affirmant que ses supérieurs avaient « toléré » des actes frauduleux aux dépens de la Caisse d’assurance‑ chômage et qu’ils commettaient ce qu’il appelait des infractions aux « lois relatives à la protection de la vie privée ».
[48]M. Grahn a été congédié de la fonction publique et le grief qu’il a déposé devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a été rejeté. Il a alors présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d’appel. Après avoir exposé le principe formulé par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser, le juge Hugessen, qui a rédigé l’arrêt de la Cour, a fait les observations suivantes, à la page 4 de ses motifs :
Il n’en reste pas moins qu’après avoir pris la décision très grave d’accuser ses supérieurs d’illégalités, le requérant devait en démontrer le bien‑fondé s’il tenait à éviter les conséquences par ailleurs naturelles de ses actions. Comme il l’a reconnu lui‑même à l’audience, le dossier ne contient pas une telle preuve. Les seules allégations non confirmées du requérant ne sont certainement pas suffisantes. [Non souligné dans l’original.]
[49]Je voudrais signaler un dernier précédent. Dans la décision Stenhouse c. Canada (Procureur général), [2004] 4 R.C.F. 437 (C.F.), datée du 12 mars 2004, la Cour fédérale a été saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le commissaire de la GRC avait confirmé une recommandation du Comité externe d’examen selon laquelle le demandeur, un membre de la GRC, devait démissionner dans un délai de 14 jours, sous peine de congédiement de la Gendarmerie.
[50]Les mesures disciplinaires avaient été imposées au demandeur après qu’il eut divulgué sans autorisation à l’auteur canadien d’un ouvrage intitulé Hell’s Angels at War des documents confidentiels de la GRC et d’autres corps policiers relatifs aux politiques de lutte de la Gendarmerie contre les bandes de motards hors la loi (BMHL).
[51]Le demandeur avait été impliqué dans des opérations d’infiltration et il avait travaillé dans plusieurs domaines : lutte contre la drogue, homicides, renseignement et enquêtes sur le crime organisé. Il avait fini par s’intéresser tout particulièrement aux bandes de motards hors la loi et aux stratégies policières s’y rapportant. En 1996, il a été transféré au groupe du renseignement sur les BMHL. À cause de son intérêt dans ce domaine, il a été choisi, en 1998, pour représenter la GRC au Comité de travail sur le crime organisé, ce qui l’a amené à rédiger plusieurs notes d’information et notes de service destinées aux responsables de la section des opérations criminelles à la GRC, notes dans lesquelles il a donné à entendre que les modèles courants d’action policière contre les BMHL présentaient des lacunes et a proposé des améliorations. Au paragraphe 7 de ses motifs, le juge Kelen expose les raisons pour lesquelles le demandeur a décidé de s’exprimer publiquement et de divulguer des documents confidentiels :
Le demandeur déclare qu’il a divulgué les documents confidentiels en raison d’un sentiment de frustration, dû au fait qu’il considérait que la GRC limitait au minimum ses enquêtes au sujet de l’activité criminelle de la bande de motards Hells Angels, alors qu’au même moment elle menait une campagne dans les médias pour obtenir que le public exerce des pressions sur le gouvernement afin qu’on accorde plus de ressources aux corps policiers. Il soutient que les BMHL ne faisaient pas l’objet d’enquêtes appropriées et qu’il y avait donc un risque sérieux qu’on n’aborde pas de la bonne façon les risques qu’elles posaient pour le public. Le demandeur soutient qu’il a divulgué les documents pour corroborer ses déclarations au sujet de l’approche policière face aux BMHL, et seulement après avoir pris en compte ses obligations juridiques, morales et éthiques envers son employeur. Il soutient aussi que cette divulgation n’a causé aucun tort à la GRC, autre que le fait de l’avoir mise dans l’embarras. [Non souligné dans l’original.]
[52]Le juge a ensuite passé en revue la jurisprudence relative à la défense de « dénonciation », ainsi que les motifs qu’avait le Comité externe d’examen de recommander le congédiement du demandeur. Ces motifs étaient notamment que la divulgation n’avait pas pour objectif de dénoncer un acte illégal de la GRC, ni une politique qui aurait mis en cause la vie, la santé ou la sécurité du public, que la divulgation avait eu un impact négatif sur l’aptitude du demandeur à remplir efficacement à l’avenir ses fonctions de membre de la GRC et que le véritable mobile du manquement à l’obligation de confidentialité était le désaccord et l’insatisfaction du demandeur devant la politique interne de la GRC au sujet de la répartition des ressources affectées à la lutte contre les BMHL. Au paragraphe 39 de ses motifs, le juge a expliqué pourquoi, dans ces conditions, il lui était impossible de retenir le moyen de défense invoqué par le demandeur :
Bien que la liberté d’expression des fonctionnaires et, en l’espèce, des membres de la GRC, soit protégée en common law et par la Charte, la défense de « dénonciateur » doit être utilisée de manière responsable. Elle n’autorise pas un employé mécontent à violer son obligation de loyauté en common law ou son serment du secret. En l’espèce, les documents confidentiels divulgués par le demandeur font état de son désaccord avec une politique confidentielle de la GRC au sujet de la répartition des ressources pour lutter contre la criminalité. Les documents en cause ne font état d’aucun geste illégal qui aurait été commis par la GRC, non plus que d’une pratique ou politique qui mettrait en cause la vie, la santé ou la sécurité du public. La politique contestée de la GRC porte sur la répartition de ses ressources dans le cadre de la lutte aux divers types de criminalité, politique avec laquelle le demandeur n’était pas d’accord. Il s’agissait toutefois d’une politique confidentielle à laquelle les dirigeants de la GRC, qui connaissent et comprennent le contexte plus large de la criminalité au Canada, étaient arrivés de façon appropriée. En conséquence, bien que la Cour reconnaisse l’importance des objectifs visés par la défense de « dénonciateur », elle convient que cette défense ne s’applique pas en l’espèce. [Non souligné dans l’original.]
LA DÉCISION DU COMMISSAIRE ADJOINT
[53]Ces principes à l’esprit, je passe maintenant à la décision du commissaire adjoint. Pour ce faire, je dois forcément examiner la décision du comité d’arbitrage, qui, pour le commissaire adjoint ne comportait aucune erreur, ainsi que la décision du Comité d’examen qui, contrairement au comité d’arbitrage, a recommandé que l’appelant ne soit pas congédié.
[54]Le comité d’arbitrage a estimé que, en communi-quant à M. McAdam et aux médias des renseignements et documents confidentiels se rapportant à une enquête opérationnelle, l’appelant a agi d’une manière scandaleuse. À la page 43 de ses motifs (dossier d’appel, vol. I, à la page 102), le comité d’arbitrage a écrit ce qui suit :
[traduction]
Le manquement est‑il établi?
Le comité d’arbitrage juge scandaleuse la conduite du caporal Read. Il a manqué à son serment du secret, sans excuse légitime, ce qui en soi constitue un scandale, et il a communiqué à M. McAdam et aux médias des renseignements et documents confidentiels à propos d’une enquête opérationnelle, ce qui, pour un agent de la paix, constitue un manquement très grave à ses devoirs et obligations. C’est également un scandale pour le caporal Read en tant que membre de la GRC, et sa vie professionnelle s’en trouve entachée. Le caporal Read a trahi non seulement la confiance de la GRC, mais également celle du public et celle du système judiciaire.
Le comité d’arbitrage déplore en particulier que plusieurs documents provenant d’une enquête criminelle non terminée aient été communiqués aux médias, sans retenue ou vérification. Ces documents désignaient plusieurs individus que le caporal Read considérait comme suspects. Ces révélations publiques risquaient de causer inutilement un préjudice et un embarras à des fonctionnaires actifs ou à la retraite et leur ont probablement nui sur le plan professionnel. La conduite du caporal Read était non seulement scandaleuse, mais également inacceptable.
Le comité d’arbitrage conclut que la conduite du caporal Read a jeté le discrédit sur la GRC. Il n’est pas indispensable qu’il y ait effectivement discrédit; il suffit au comité d’arbitrage de conclure que la conduite jetterait le discrédit. En l’espèce, nous estimons que le caporal Read a bel et bien discrédité la GRC en révélant publiquement des renseignements et documents protégés, ce qui a causé de l’embarras à la fois à la GRC et au gouvernement. Les divers articles déposés en preuve ont montré que cette affaire a été largement commentée dans les médias. Les personnes qui étaient visées par l’enquête ont été identifiées par les médias, et l’une d’elles a été retrouvée grâce à l’aide du caporal Read. Le juge en chef Dickson a écrit dans l’arrêt Fraser que : « la fonction publique doit employer des personnes qui présentent certaines caractéristiques importantes parmi lesquelles les connaissan-ces, l’équité et l’intégrité [. . .] [I]l existe une autre caracté-ristique qui est la loyauté ». Le caporal Read n’est pas resté loyal envers sa charge et envers la GRC, et il a jeté le discrédit sur la GRC.
[55]En tirant cette conclusion, le comité d’arbitrage a rejeté la défense de « dénonciation » invoquée par l’appelant. Il a entrepris l’examen de ce moyen de défense en disant que l’appelant avait violé son serment du secret, en ce sens qu’il n’avait aucune raison d’agir comme il l’avait fait parce qu’il n’y avait pas la moindre preuve d’actions ou de politiques illégales graves qui mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité du public. De l’avis du comité d’arbitrage, l’appelant devait prouver que la situation était [traduction] « grave au point d’avoir préséance, pour le bien du public, sur le droit de la GRC à la confidentialité de ses enquêtes et des renseignements en sa possession » (page 35 de la décision; dossier d’appel, vol. I, à la page 94).
[56]Dans l’examen de la défense de « dénonciation » invoquée par l’appelant, le comité d’arbitrage s’est reporté à la décision qu’il avait rendue dans l’affaire Officier compétent de la division « F » c. Sergent d’état‑ major Stenhouse (2001), 11 A.D. (3d) 1. Dans cette décision, où il a conclu que, pour déterminer s’il était acceptable de violer son serment du secret et son obligation de loyauté envers son employeur, les agents de la GRC devaient être tenus à une norme plus élevée que les autres fonctionnaires, le comité d’arbitrage expo-se le raisonnement qui l’amène à cette conclusion :
[traduction] Il faut faire ici deux importantes distinctions en ce qui a trait à la GRC. Les membres de la GRC sont des titulaires d’une charge publique plutôt que des fonctionnaires, et ils sont liés par leur serment d’allégeance, leur serment professionnel et leur serment du secret en vertu d’une législation particulière plutôt que simplement en vertu d’un devoir de loyauté en common law.
Les membres de la GRC ont un rôle double, c’est‑à‑dire en tant qu’employé et en tant que titulaire d’une charge. De ce fait, « [leurs] devoirs sont liés au maintien de l’ordre public et de la paix, valeurs importantes dans toute société » (voir Nicholson c. Haldimand‑Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311). Ils doivent préserver leur indépendance. Les serments prêtés par les membres de la GRC sont codifiés et se trouvent dans la Loi sur la GRC. Ils comprennent l’obligation de diligence, d’obéissance et de garder le secret. Ces deux distinctions, à notre avis, élèvent considérablement la norme à partir de laquelle il devient acceptable pour un membre de violer l’un quelconque des serments qu’il a prêtés.
Le comité d’arbitrage a examiné les intérêts en cause. La GRC, en tant qu’employeur et en tant que corps policier, doit employer des gens présentant d’importantes caractéristiques, par exemple l’honnêteté, l’intégrité, le discernement, la responsabilité et l’équité. C’est essentiel si l’on veut que la Gendarmerie soit performante et efficace et qu’elle bénéficie de la confiance du public. La GRC a le droit de poursuivre ses objectifs organisationnels et de compter que ses membres accepteront lesdits objectifs et s’efforceront de les atteindre. Le public, quant à lui, a le droit de s’assurer que sa police soit transparente, responsable et irréprochable. Il existe divers mécanismes permettant de garantir ce droit, par exemple la Commission des plaintes du public, ainsi qu’un processus disciplinaire ouvert et transparent.
Le comité d’arbitrage conclut de ce qui précède que seules des actions ou politiques illégales graves mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité du public peuvent autoriser un membre à violer ses serments. Ce sont là des cas qui seront extrêmement rares, des cas graves au point d’avoir préséance sur le droit de la GRC à la confidentialité de ses enquêtes et des renseignements en sa possession. Dans un tel cas, un membre aurait la charge de prouver l’action qu’il réprouve, et il lui faudrait également prouver qu’il a épuisé tous les recours internes avant de s’en rapporter à des moyens externes. Le membre serait encore néanmoins tenu d’adopter une conduite responsable et mesurée. [Non souligné dans l’original.]
[57]Le comité d’arbitrage a examiné la question sous trois rubriques. D’abord, quelle était la véritable intention de l’appelant lorsqu’il a fait ses révélations? Ensuite, l’enquête de Hong Kong, et ce qu’elle a permis de découvrir, constituait‑elle une question d’intérêt public au point d’autoriser l’appelant à violer ses serments? Finalement, le fait pour l’appelant d’avoir été déchargé de l’enquête, ce à quoi s’ajoutaient les allégations faites par lui contre ses supérieurs, constituait‑il une question d’intérêt public qui autorisait l’appelant à violer ses serments?
[58]En ce qui concerne la première rubrique, le comité d’arbitrage a conclu que l’appelant avait fait ses révélations non pas parce qu’il avait connaissance d’actions ou de politiques illégales qui mettaient en danger la vie, la santé ou la sécurité du public, mais plutôt parce qu’il croyait que de telles révélations consolideraient sa position pour le cas où la GRC voudrait enquêter sur lui. Le comité d’arbitrage était d’avis que cette conclusion suffisait à rejeter la défense invoquée par l’appelant, mais il a néanmoins entrepris d’examiner aussi les autres rubriques. Il s’agit de rubriques séparées, mais le comité d’arbitrage les a en fait examinées ensemble, et c’est ce que je ferai moi aussi.
[59]Pour ce qui est de ces rubriques, le comité d’arbitrage a tiré plusieurs conclusions. Il a estimé que la première enquête menée par le sergent Conohan avait été « insuffisante » et que l’enquête avait pris un tour différent à la suite de la plainte de M. McAdam. Le comité d’arbitrage a estimé que les enquêtes menées par la GRC à Hong Kong ont réduit les ressources affectées à d’autres enquêtes et que les enquêtes devaient être classées selon leur importance. Le comité d’arbitrage a aussi estimé que le surintendant Dubé avait confié l’enquête de Hong Kong à l’appelant, lequel avait reçu le mandat restreint d’examiner le dossier d’enquête et de faire des recommandations de nature opérationnelle. Le comité d’arbitrage a conclu qu’il n’y avait absolument aucune preuve permettant de penser que le surintendant Dubé [traduction] « voulait que cette enquête particulière soit considérée comme une affaire classée » (dossier d’appel, vol. I, à la page 98). Le comité d’arbitrage a estimé que le surintendant Dubé devait composer avec des priorités opposées et un manque de ressources et voir comment régler au mieux la question de l’enquête de Hong Kong. Selon lui, le surintendant Dubé n’était pas satisfait du travail de l’appelant parce que, à son avis, l’appelant était prématurément arrivé à des conclusions fondées sur des conjectures, et cela sans avoir fait une enquête adéquate.
[60]Le comité d’arbitrage a ensuite examiné l’enquête du sergent Pasin et le témoignage qu’il avait fait devant lui, témoignage que le comité a jugé crédible, et il a conclu que le sergent Pasin avait mené une enquête longue et rigoureuse dans l’affaire de Hong Kong, laquelle avait convaincu le sergent Pasin qu’il n’y avait aucune preuve d’agissements répréhensibles. Le comité d’arbitrage a d’emblée rejeté l’allégation de l’appelant selon laquelle l’enquête du sergent Pasin [traduction] « était entachée de corruption ».
[61]Après un examen minutieux du dossier, le comité d’arbitrage a conclu que l’appelant n’avait pas les aptitudes ou les compétences requises pour mener à bien une enquête dans le dossier de Hong Kong. Il était d’avis que, dans la conduite de son enquête, l’appelant avait perdu toute notion de perspective et d’impartialité. Il a ajouté que l’appelant avait [traduction] « montré un manque flagrant d’impartialité, voire de bon sens » (page 39 de la décision; dossier d’appel, vol. I, à la page 98). Le comité d’arbitrage a donc estimé que le retrait de l’enquête à l’appelant était tout à fait justifié et que cela avait permis à un enquêteur expérimenté, le sergent Pasin, de mener une enquête rigoureuse et exempte de préjugés.
[62]Selon le comité d’arbitrage, si l’appelant a allégué que le surintendant Dubé et d’autres agents de la GRC s’étaient rendus coupables d’agissements crimi-nels, c’était en réalité parce qu’ils n’avaient pas accepté ses conclusions et recommandations et ne leur avaient pas donné suite. Le comité en a profité à nouveau pour rappeler que l’enquête menée par l’appelant présentait de sérieuses lacunes en raison de son manque de discernement et d’objectivité et que, dans ces condi-tions, il était tout à fait justifié pour ses supérieurs de le décharger de l’enquête.
[63]Le comité d’arbitrage a ensuite conclu qu’il n’y avait pas la moindre preuve d’un camouflage, d’un agissement répréhensible ou d’une conduite illégale pouvant requérir un examen public rigoureux et que, par conséquent, l’appelant n’avait pas établi l’existence de conditions justifiant une entorse à son serment du secret et à son devoir de loyauté envers son employeur.
[64]Le comité d’arbitrage a en outre conclu que le devoir de loyauté et le serment du secret imposés par la Loi à un agent de la GRC constituaient des limites raisonnables à la liberté d’expression de l’appelant.
[65]Après avoir tiré ces conclusions, le comité s’est ensuite demandé quelle sanction s’imposait dans une telle situation. Devant lui, l’officier compétent a demandé le congédiement du caporal Read. Un seul témoin a comparu devant le comité d’arbitrage, le surintendant Campbell, qui était le supérieur de l’appelant. Le surintendant Campbell a dit qu’il n’avait aucune confiance dans l’appelant [traduction] « à cause de son manque sérieux de discernement », que l’on ne pouvait pas se fier à lui et qu’il aurait beaucoup de mal à trouver un poste pour l’appelant parce qu’il craignait des indiscrétions de sa part et son manque de discernement.
[66]Après avoir examiné toutes les circonstances atténuantes ou aggravantes, le comité d’arbitrage a conclu de la manière suivante, à la page 56 de sa décision (dossier d’appel, vol. I, à la page 115) :
[traduction] Outre le caractère qu’elle révèle, la conduite du caporal Read est telle qu’elle altère et amoindrit gravement la confiance indispensable que la GRC était fondée à lui témoigner et qu’aucune sanction ne pourrait la rétablir. L’abus de confiance que traduit l’inconduite dans la présente affaire va au cœur de la relation entre la GRC et le caporal Read. Il va aussi au cœur des attentes du public à l’endroit des policiers, dans la manière dont ils gèrent les enquêtes sensibles.
[67]Le comité d’arbitrage a donc ordonné au caporal Read de démissionner de la Gendarmerie, sinon il serait congédié.
[68]Je passe maintenant à la décision du Comité d’examen, dont l’essentiel apparaît à la page 4 de son Résumé des conclusions et recommandations (dossier d’appel, vol. I, aux pages 177‑178), que je reproduis ici :
Conclusions du Comité : Le fait qu’un membre de la GRC viole intentionnellement le serment du secret constitue à première vue un comportement scandaleux susceptible de jeter le discrédit sur la Gendarmerie. Par conséquent, il convient d’imposer des mesures disciplinaires au membre qui affiche ce comportement, à moins qu’il n’ait agi ainsi pour divulguer un sujet d’inquiétude légitime qui nécessite un débat public. Le fait que l’appelant croyait honnêtement que la Gendarmerie commettait des actes fautifs graves n’est pas un élément particulièrement pertinent. Il incombait à l’appelant de présenter au comité d’arbitrage des preuves qui auraient établi que ses allégations reposaient au moins sur une base raisonnable. Même si rien ne prouve que la Gendarmerie ait tenté d’étouffer l’affaire, il y a eu d’importantes lacunes dans le processus d’enquête suivi par la GRC depuis 1991. Par conséquent, il est possible que des employés de la Mission aient été en mesure de commettre des actes de fraude en matière d’immigration sur une grande échelle et que ces actes n’aient pas été décelés jusqu’ici. Le dossier révèle toute une série d’activités louches et déconcertantes sur lesquelles la Gendarmerie n’a pas fait enquête au moment opportun et de façon approfondie. Le serment du secret de la GRC peut sans aucun doute être considére comme une limite raisonnable à la liberté d’expression d’un membre de la GRC s’il vise à protéger des intérêts légitimes, mais il ne peut empêcher l’examen public d’actes fautifs de la part de la Gendarmerie. La GRC a toujours été réticente à l’idée d’enquêter sur les activités d’ERP à la Mission. L’enquête menée en 1999 n’a pas réussi à combler les lacunes observées dans les enquêtes antérieures. Elle a constitué un examen exhaustif des rapports entre des ACE et des résidants de Hong Kong et a révélé que la portée de l’échange de cadeaux, de sommes d’argent et d’autre avantages était beaucoup plus vaste que ce que le MAECI et CIC avaient fait croire à la Gendarmerie jusque-là. Cependant, le serg. Pasin a décidé de ne pas se pencher sur plusieurs questions importantes qui avaient été cernées lors de l’enquête initiale, comme les activités des ERP, ou encore de les examiner uniquement de manière superficielle. Dès le début de sa participation à cette enquête, le surint. Dubé a déclaré ouvertement que, selon lui, la plainte de M. McAdam était sans fondement. Il était toujours du même avis lorsque l’enquête a été réactivée à la fin du mois de janvier 1999. Le résultat de l’enquête était donc connu d’avance. Le surint. Dubé ne semblait pas prêt à envisager un résultat qui aurait été perçu comme donnant raison à M. McAdam. Les rapports de travail étroits que la Section de l’immigration et des passeport entretenait avec le MAECI et CIC semblent avoir influencé l’approche adoptés à l’égard de cette enquête. La Section estimait que le MAECI et CIC étaient ses clients. Cela posait problème, car une enquête opportune et approfondie aurait pu produire des résultats néfastes pour ces deux ministères, surtout si l’on avait constaté que le relâchement des procédures de sécurité à la Mission avait permis à des employés corrompus de s’adonner à de la fraude en matière d’immigration sur une grande échelle et pendant une longue période. Lorsque l’appelant a fait part de ses préoccupations aux médias en août 1999, il était raisonnable pour lui de croire que le surint. Dubé envisagerait d’instituer une enquête sur ces agissements en vertu du code de déontologie. Aussi l’appelant continuait d’être animé par la volonté de voir la Gendarmerie mener une enquête approfondie sur les activités de la Mission. Malgré tout, l’information divulguée aurait dû être considérée comme un sujet d’inquiétude publique légitime, car elle avait révélé que, pendat sept ans, la Gendarmerie n’avait pas su prendre les mesures nécessaires pour déterminer si des employés de la Mission s’étaient adonné à des actes de fraude en matière d’immigration. [Non souligné dans l’original.]
[69]Le Comité d’examen a estimé, à juste titre selon moi, que le fait que l’appelant croyait honnêtement que la Gendarmerie avait commis des actes répréhensibles n’était pas comme tel un facteur pertinent. Il a ensuite exprimé l’avis qu’il incombait à l’appelant d’établir « que ses allégations reposaient au moins sur une base raisonnable ». Le Comité d’examen a reconnu qu’il n’y avait aucune preuve d’un camouflage de la part de la GRC, mais, selon lui, il y avait d’« importantes lacunes » dans les enquêtes qui avaient été effectuées depuis 1991. Le Comité d’examen était donc d’avis qu’il était possible que des fraudes à l’immigration aient été commises à la mission de Hong Kong et que ces fraudes soient passées inaperçues.
[70]De l’avis du Comité d’examen, le serment du secret que prêtent les agents de la GRC pouvait sans aucun doute être considéré comme une limite raisonnable à la liberté d’expression d’un membre s’il vise à protéger des intérêts légitimes, mais « il ne peut empêcher l’examen public d’actes fautifs de la part de la Gendarmerie ». La GRC n’avait pas mené une enquête approfondie sur les activités de la mission de Hong Kong et n’avait donc pas pris les mesures nécessaires pour déterminer si des employés de la mission de Hong Kong s’étaient livrés à des fraudes en matière d’immigration, et, selon le Comité d’examen, c’était là des circonstances qui pouvaient autoriser l’appelant à ne pas respecter son serment du secret et son devoir de loyauté envers son employeur.
[71]Je reviendrai sur la décision du Comité d’examen lorsque j’analyserai les arguments de l’appelant selon lesquels son appel devrait être accueilli, mais il importe néanmoins à ce stade d’exposer plusieurs des conclusions du Comité d’examen dont il est, à mon avis, indispensable de tenir compte pour trancher le présent appel.
[72]Dans l’analyse des conclusions du Comité d’examen, il importe de souligner qu’il n’y a pas la moindre preuve d’activités illégales ou de corruption, que ce soit de la part de la GRC ou de la part des employés de la mission de Hong Kong. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés le comité d’arbitrage et le Comité d’examen. Il est évident, à la lecture de la décision du Comité d’examen, que tout ce que l’appelant a pu démontrer à la satisfaction du Comité d’examen, c’était qu’il y avait eu des lacunes dans l’enquête menée par la GRC. Après avoir dit que l’appelant n’avait pas réussi à établir une tentative délibérée de la part du sergent Conohan, du surintendant Dubé et d’autres de dissimuler des preuves d’agissements répréhensibles et qu’il n’existait en réalité aucune [traduction] « preuve concrète de ces faits », le comité d’examen a écrit simplement que « le dossier révèle toute une série d’activités louches et déconcertantes [à Hong Kong] sur lesquelles la Gendarmerie n’a pas fait enquête au moment opportun et de façon approfondie ».
[73]Plus loin dans sa décision, le Comité d’examen souligne que la décision du surintendant Dubé de retirer l’enquête à l’appelant en 1997 n’était pas une tentative de sa part d’empêcher l’enquête de faire éclater la vérité et que, si l’appelant avait été déchargé de l’enquête, c’était uniquement par sa faute parce qu’il avait montré une absence d’impartialité et s’était conduit en tant que défenseur de M. McAdam, et non pas en tant qu’enquêteur indépendant et impartial. Selon le Comité d’examen, les rapports d’enquête de l’appelant étaient parsemés d’observations qui tendaient à montrer qu’il avait préjugé les conclusions de son enquête.
[74]S’exprimant sur l’un des rapports de l’appelant, le Comité d’examen écrit qu’il [traduction] « constituait un autre exemple du manque de discer-nement manifesté par l’appelant, un exemple qui a très bien pu donner l’impression qu’il tentait de fabriquer des preuves, bien que je sois certain que ce n’est pas là ce qu’il voulait faire » (rapport du Comité d’examen, à la page 49—dossier d’appel, vol. I, à la page 168).
[75]Le Comité d’examen aborde ensuite ce qui, selon moi, est le nœud de la présente affaire, dans la mesure où l’appelant est concerné. À la page 50 de sa décision (dossier d’appel, vol. I, à la page 169), le Comité d’examen fait remarquer que le fait d’avoir été écarté de l’enquête avait été très vexant pour l’appelant, et c’était ce qui l’avait amené à prétendre, entre autres, que le surintendant Dubé cherchait à camoufler la preuve d’agissements criminels à la mission de Hong Kong.
[76]Commentant les conclusions de M. Balser, le Comité d’examen est arrivé à la conclusion que l’appelant avait à tort présenté cette preuve comme une preuve [traduction] « qui attestait des agissements criminels », alors que la preuve présentée par M. Balser montrait uniquement que, à cause de failles touchant la sécurité, des employés de la mission de Hong Kong avaient eu la possibilité de commettre des fraudes en matière d’immigration.
[77]Je passe maintenant à la décision du commissaire adjoint Killam.
[78]Après avoir examiné la décision du comité d’arbitrage et celle du Comité d’examen, le commissaire adjoint s’est demandé si un membre de la GRC était soumis, en ce qui a trait au devoir de loyauté envers son employeur, à une norme plus élevée que ce ne serait le cas pour d’autres fonctionnaires.
[79]Rejetant l’avis du Comité d’examen selon lequel les membres de la GRC étaient soumis à la même norme que les fonctionnaires pour ce qui est de la défense de « dénonciation » et, finalement, du devoir de loyauté envers l’employeur, le commissaire adjoint Killam s’est exprimé ainsi, à la page 15 de sa décision (dossier d’appel, vol. I, à la page 194) :
[traduction] Je conviens avec le comité d’arbitrage qu’étant donné la nature des fonctions des agents de la GRC, une norme plus élevée devrait s’appliquer à l’obligation de loyauté. J’adopte ce point de vue pour plusieurs raisons. D’abord, les agents de la GRC sont titulaires de charges publiques et il leur est demandé d’appliquer les lois à tous les niveaux : niveau municipal, niveau provincial et niveau fédéral. Ils sont investis de pouvoirs d’arrestation et de détention qui leur permettent de priver de leur liberté des membres du public, ils enquêtent sur des sujets sensibles, et ils doivent faire preuve de discernement dans l’accomplissement de leurs tâches et de leurs fonctions. Le public s’attend au respect d’une norme plus élevée par les agents de la GRC et compte sur leur discernement dans les enquêtes qu’ils mènent et dans les renseignements confidentiels qu’ils recueillent.
[80]Le commissaire adjoint a ensuite examiné la défense de « dénonciation » et les exceptions justifiant une divulgation, telles qu’elles sont exposées dans l’arrêt Fraser, et dans la décision Haydon no 1. Contrairement au Comité d’examen qui, se fondant sur la décision Haydon no 1, a estimé qu’un fonctionnaire pouvait transgresser son devoir de loyauté lorsque des questions qui suscitent un intérêt public légitime étaient en cause, le commissaire adjoint a estimé que l’exception de l’intérêt public légitime était « par trop générale » (voir à la page 16 de la décision : dossier d’appel, vol. 1, à la page 195). Il a expliqué ainsi sa position, à la page 16 de sa décision :
[traduction] L’intérêt public est important, certes, mais pas au point que des renseignements sensibles classifiés, tels des renseignements criminels et des détails sur des témoins, des suspects et des innocents, puissent être révélés. La divulgation de tels renseignements menace de compromettre des enquêtes, de mettre des criminels sur le qui‑vive, de stigmatiser des innocents et, quand des renseignements de sources autres que la GRC sont révélés, de nuire aux relations avec des entités qui sont essentielles pour un modèle policier intégré et efficace. Je conviens avec le comité d’arbitrage qu’il doit y avoir une restriction en ce qui concerne l’intérêt public lorsque les révélations vont au‑delà des questions policières comme dans l’affaire Haydon.
[81]Le commissaire adjoint a donc jugé qu’il n’y avait en l’espèce aucune des exceptions énumérées dans l’arrêt Fraser. Selon lui, les doutes de l’appelant étaient sans rapport avec les actes illégaux d’un gouvernement ou avec une menace pour la santé ou la sécurité du public.
[82]Le commissaire adjoint a ensuite examiné s’il y avait des motifs raisonnables pouvant justifier les révélations faites par l’appelant. Selon lui, le comité d’arbitrage avait eu raison de conclure que les allégations de l’appelant ne reposaient sur aucun fondement raisonnable. En concluant de la sorte, le commissaire adjoint a souscrit à la manière dont le comité d’arbitrage avait apprécié la preuve.
[83]En concluant que les points soulevés par l’appelant n’étaient visés par aucune des exceptions de l’arrêt Fraser, le commissaire adjoint a jugé pertinent le fait que l’examen effectué par le commissaire adjoint Cummins, en sa qualité de conseiller en matière d’éthique et d’intégrité, et celui effectué par le groupe de révision du dossier administratif avaient tous deux conduit à la conclusion que les allégations de l’appelant n’étaient pas fondées.
[84]Le commissaire adjoint a alors estimé que la GRC avait eu raison de retirer l’enquête à l’appelant parce qu’il n’avait pas l’objectivité requise. Au soutien de cette conclusion, le commissaire adjoint a mentionné notamment la connivence de l’appelant et de M. McAdam, lequel s’était plaint des problèmes qui existait à la mission de Hong Kong et avait contribué à l’ouverture d’une troisième enquête par la GRC.
[85]Le commissaire adjoint a aussi reconnu avec le comité d’arbitrage que l’appelant avait agi par intérêt personnel. Il a souligné que le comité d’arbitrage et le Comité d’examen avaient tous deux conclu que l’appelant n’avait pas l’impartialité et le discernement nécessaires pour la conduite de l’enquête en cause.
[86]Le commissaire adjoint a aussi souligné qu’il semblait que M. McAdam [traduction] « avait une certaine influence sur l’idée que se faisait le caporal Read de l’enquête et de la manière dont elle devrait être menée » (voir page 18 de la décision : dossier d’appel, vol. I, à la page 197). Il a aussi jugé révélateur le fait que l’appelant avait admis avoir menacé de rendre ses allégations publiques pour se protéger de ce qu’il considérait comme une enquête injuste de la part de ses supérieurs à propos d’une boîte manquante de documents qu’il était censé avoir remise à M. McAdam. Cet élément a amené le commissaire adjoint à conclure que l’appelant avait [traduction] « agi pour se protéger et pour faire avancer sa “cause” » (voir page 19 de la décision; dossier d’appel, vol. I, à la page 198).
[87]Le commissaire adjoint a ensuite examiné l’argument de l’appelant selon lequel le comité d’arbitrage n’avait pas suffisamment tenu compte de la preuve d’un camouflage de la part de divers ministères fédéraux à propos de l’enquête sur la mission de Hong Kong. Là encore, il s’est fondé sur l’examen adminis-tratif mené par trois agents indépendants, qui ont conclu que, même si l’enquête présentait certaines lacunes, aucune preuve ne confirmait les allégations de corruption avancées par l’appelant.
[88]Finalement, le commissaire adjoint a examiné la question soulevée par l’appelant à propos de certaines des conclusions de fait du comité d’arbitrage. Il a conclu que le comité d’arbitrage avait eu raison de dire que l’enquête du sergent Pasin avait été rigoureuse. Il a en outre conclu que le comité d’arbitrage tout comme le Comité d’examen avaient eu raison de dire que l’appelant avait été à juste titre déchargé de l’enquête parce qu’il manquait d’objectivité et d’impartialité.
[89]Le commissaire adjoint a aussi exprimé l’avis que le comité d’arbitrage avait eu raison de conclure que l’intention du surintendant Dubé n’était pas de faire de l’enquête une affaire classée. En concluant ainsi, le commissaire adjoint a fait remarquer que les conclusions du comité d’arbitrage étaient fondées sur la preuve et sur les témoignages qui lui avaient été soumis au cours de l’audience (l’audience a duré 20 jours et 16 témoins ont été entendus). Le commissaire adjoint a souligné que [traduction] « le comité d’arbitrage a reçu et entendu la preuve et il était le mieux placé pour apprécier cette preuve et en tirer des conclusions. Je conviens avec lui que le surintendant Dubé et le sergent Pasin étaient des témoins crédibles » (voir page 22 de la décision; dossier d’appel, vol. I, à la page 201). Le commissaire adjoint a donc confirmé la décision du comité d’arbitrage.
[90]Il a ensuite examiné l’appel du caporal Read contre la sanction infligée, à savoir l’obligation pour lui de démissionner de la GRC. Il était d’avis que [traduction] « le comité d’arbitrage a fait une analyse logique et raisonnée des circonstances atténuantes et aggravantes » (voir page 23 de la décision; dossier d’appel, vol. I, à la page 202). Le commissaire adjoint a ajouté à la page 24 de la décision (dossier d’appel, vol. I, à la page 203) que, de toute façon, aucune circons-tance atténuante ne suffirait, vu les circonstances, pour alléger la sanction infligée par le comité d’arbitrage :
[traduction] L’avocat du caporal Read a fait valoir que le geste de son client constituait une simple erreur commise dans le contexte d’un dossier très difficile et très particulier, mais il m’est impossible d’être d’accord avec lui. Une série de décisions prises au cours de l’enquête sur le dossier de Hong Kong révèle chez le caporal Read un troublant défaut de caractère—le manque de discernement. Sur ce point, je partage l’avis du comité d’arbitrage, et pour les mêmes raisons. L’incapacité pour le caporal Read de rester objectif pendant l’enquête qu’il menait a largement contribué à l’inconduite. Le Comité externe d’examen s’est lui aussi exprimé sur le manque d’objectivité du caporal Read et sur le parti pris apparent qui a entaché son enquête. Le président a dit que, parfois, le caporal Read a agi comme s’il était un défenseur de M. McAdam, plutôt qu’un enquêteur indépendant et impartial.
[91]Le commissaire adjoint a donc confirmé à la fois les conclusions du comité d’arbitrage et la sanction infligée. J’examinerai maintenant brièvement la décision qui fait l’objet de l’appel.
LA DÉCISION DU JUGE DE PREMIÈRE INSTAN-CE
[92]Au paragraphe 70 de ses motifs, le juge Harrington a indiqué que la question des présumés actes illégaux du gouvernement constituait le point crucial de l’affaire dont il était saisi, et il s’est reporté à l’arrêt Fraser, où la Cour suprême du Canada a statué que la défense de « dénonciation » pouvait être invoquée dans les cas notamment où des actes illégaux du gouverne-ment étaient l’objet de révélations.
[93]Après un examen minutieux de la preuve produite par l’appelant devant le comité d’arbitrage, le juge Harrington a estimé qu’il n’y avait aucune preuve confirmant les allégations selon lesquelles ses supérieurs au sein de la GRC et d’autres fonctionnaires appliquant les politiques d’immigration avaient tenté de camoufler des agissements répréhensibles en marge de l’enquête de Hong Kong. Pour arriver à cette conclusion, le juge s’est fondé sur l’examen administratif mené par la GRC, ainsi que sur les conclusions du comité d’arbitrage et celles du commissaire adjoint Killam.
[94]Le juge était convaincu que le surintendant Dubé, que le comité d’arbitrage avait qualifié de témoin crédi-ble, accomplissait tout simplement ses tâches se rapportant à l’enquête. De l’avis du juge, il était évident que certains problèmes de l’enquête pouvaient être attri-bués à un manque de ressources et que le surintendant Dubé s’efforçait donc simplement d’évaluer de nom-breuses priorités. Selon le juge de première instance, les supérieurs du caporal Read à la GRC n’avaient rien camouflé et il a donc conclu que l’appelant ne pouvait pas invoquer la défense de « dénonciation ».
[95]En ce qui concerne la sanction infligée à l’appe-lant, le juge a estimé que la décision du commissaire adjoint commandait la retenue et qu’étant donné qu’elle ne pouvait pas être qualifiée de déraisonnable, il n’avait aucune raison de l’annuler.
LES OBSERVATIONS DE L’APPELANT
[96]L’appelant, qui cherche à faire annuler le jugement de première instance, soulève plusieurs arguments de fond pour établir que le commissaire adjoint a commis une erreur en confirmant la décision du comité d’arbitrage.
[97]Selon l’appelant, son obligation de loyauté était neutralisée en l’espèce par une obligation de divulgation parce que plusieurs des points soulevés font intervenir les exceptions, énoncées dans l’arrêt Fraser, qui justifient la divulgation, à savoir l’exception concernant la santé et la sécurité ou celle concernant les activités illégales. Subsidiairement, l’appelant soutient que les points qu’il a soulevés étaient des questions suscitant un intérêt public légitime, qui commandaient un débat public.
[98]Au soutien de ces arguments, l’appelant signale, en termes généraux, les allégations de corruption de fonctionnaires et le risque pour la sécurité posé par l’infiltration possible du crime organisé au Canada par suite des manquements commis à la mission de Hong Kong. Pour lui, il s’agit de cas de divulgation qui sont visés par les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, à savoir l’exception concernant la santé et celle concernant les activités illégales.
[99]L’appelant soutient que ses allégations concer-nent des questions qui suscitent un intérêt public et qui appellent un débat public. Il fait valoir que le public a droit à une force policière transparente, exempte de toute ingérence politique. Il affirme que ses allégations reposaient sur des motifs raisonnables parce que la GRC n’a pas voulu poursuivre l’enquête et, fait particulière-ment important, parce qu’elle n’a pas entrepris une enquête en règle en raison de considé-rations politiques. Il prétend que ni le comité d’arbitrage ni le commissaire adjoint n’ont véritablement examiné cet argument dans leurs décisions.
[100]Outre son allégation selon laquelle la GRC avait mal géré l’enquête sur l’affaire de Hong Kong, il affirme que le fait d’avoir été déchargé de l’enquête et de ne pas avoir obtenu les renseignements demandés est un indice qu’il avait effectivement raison de croire qu’il s’agissait là de questions suscitant un intérêt public légitime.
[101]Selon l’appelant, le comité d’arbitrage et le commissaire adjoint ont tous deux commis une erreur en assujettissant le devoir de loyauté des membres de la GRC à une norme plus élevée. Il fait valoir que l’imposition d’une norme plus élevée requiert une preuve convaincante selon l’article premier et qu’aucune preuve semblable n’a été produite.
[102]Il soutient en outre que le commissaire adjoint a adopté ce raisonnement sans procéder à une quelcon-que analyse au regard de l’article premier. Il prétend que les agents de la GRC ne sont pas tenus, du fait de leur position et de la nature de leur travail, à une norme plus élevée pour ce qui concerne leur obligation de loyauté. Il affirme plutôt que les agents de la GRC ont une obligation accrue de divulguer les agissements suspects.
ANALYSE
[103]Je commencerai par la norme de contrôle applicable à la décision rendue par le commissaire adjoint.
[104]Le juge de première instance s’est prononcé sur cette question au paragraphe 59 de ses motifs. Après s’être reporté à deux arrêts de la Cour suprême du Canada, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, ainsi qu’à la décision du juge Kelen dans Stenhouse, il est arrivé à la conclusion suivante, au paragraphe 59 :
Toutefois, comme l’a ajouté le juge Kelen, sur les questions de droit, la Cour a une plus grande expertise et elle examinera la décision du commissaire selon la norme de la décision correcte. S’agissant des questions mixtes de droit et de fait, la Cour exercera une certaine retenue, c’est‑à‑dire que la décision ne sera pas confirmée si elle est déraisonnable.
[105]Le juge de première instance s’est reporté à la jurisprudence pertinente et il connaissait la démarche dictée par la Cour suprême dans les arrêts précités pour ce qui est de déterminer la norme de contrôle applicable, mais il ne semble pas être arrivé à une conclusion précise sur ce point. Comme je l’ai dit au paragraphe 95 des présents motifs, il a appliqué la norme de la décision raisonnable simpliciter à la décision du commissaire adjoint portant sur la sanction infligée à l’appelant. Cependant, en ce qui concerne la violation par l’appelant de son obligation de loyauté, et la défense de « dénonciation » qu’il a invoquée, le juge ne semble pas avoir eu à l’esprit une norme particulière relativement à cette question. Cependant, selon moi, l’omission d’appliquer une norme particulière de contrôle ne constitue pas une erreur justifiant l’annulation de la décision.
[106]Pour les motifs qui suivent, je conclus que, peu importe que la norme applicable soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable simpliciter, le juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant. Il ne m’est donc pas nécessaire d’entre-prendre une analyse pragmatique et fonctionnelle.
[107]Je souligne en passant que l’appelant souscrit à la position exprimée par le juge sur ce point, puisqu’il a fait valoir que les normes de contrôle à appliquer sont la décision correcte pour les questions de droit, la décision raisonnable pour les questions mixtes de droit et de fait et la décision manifestement déraisonnable pour les questions de fait.
[108]Avant d’examiner les observations de l’appelant, je dois trancher une autre question. Dans l’arrêt Haydon no 2, la juge Desjardins, après avoir souligné que l’arrêt Fraser, était un précédent antérieur à la Charte, a écrit qu’il était encore vrai de dire, eu égard à l’article premier de la Charte, que la « liberté d’expression » n’était pas une valeur absolue et qu’elle devait être évaluée en fonction d’autres valeurs concurrentes, ajoutant que, dans l’affaire dont elle était saisie, la liberté d’expression devait être évaluée « à la lumière de l’importance d’une fonction publique impartiale et efficace » (paragraphe 23 de ses motifs).
[109]Plus loin dans ses motifs, comme je l’ai déjà fait observer, la juge Desjardins a souligné que, dans la décision Haydon no 1, la juge Tremblay‑Lamer avait procédé à une analyse détaillée en application de l’article premier de la Charte et avait conclu que l’obligation de loyauté en common law, une obligation énoncée dans l’arrêt Fraser, constituait une limite raisonnable selon l’article premier. J’ai examiné attenti-vement l’analyse faite par la juge Tremblay‑Lamer et je ne vois aucune raison de ne pas souscrire à sa conclusion.
[110]Il s’agit donc de déterminer en l’espèce si, vu les circonstances de l’affaire, il était justifié pour l’appelant de transgresser son obligation de loyauté et son serment du secret. J’examinerai donc les arguments de l’appelant.
[111]Je commencerai par l’argument de l’appelant selon lequel l’obligation de loyauté des agents de la GRC envers leur employeur n’est pas plus contraignante que celle d’autres fonctionnaires. Le juge de première instance n’a pas statué sur cette question, puisqu’il était d’avis que, l’appelant n’ayant pas selon lui produit une preuve suffisante au soutien de ses allégations, il ne lui était pas nécessaire de le faire.
[112]L’appelant n’est pas d’accord avec la position adoptée par le commissaire adjoint et par le comité d’arbitrage, pour qui les membres de la GRC sont tenus à une obligation de loyauté qui va plus loin que celle des autres fonctionnaires. À mon avis, la réponse à la question se trouve dans l’arrêt Fraser, où le juge Dickson a écrit ce qui suit, à la page 466 :
En d’autres termes, le fonctionnaire est tenu de faire preuve d’un certain degré de modération dans ses actions relatives aux critiques des politiques du gouvernement, de sorte que la fonction publique soit perçue comme impartiale et efficace dans l’accomplissement de ses fonctions. Il ressort implicitement des motifs de l’arbitre que le degré de modération dont on doit faire preuve dépend du poste et de la visibilité du fonctionnaire.
À mon avis, l’arbitre a correctement identifié les principes applicables et les a bien appliqués aux circonstances de l’espèce. Pour ce qui est de l’équilibre à respecter, il faut tout d’abord tenir compte de la proposition selon laquelle il est permis aux fonctionnaires de s’exprimer dans une certaine limite sur des questions d’intérêt public. Les fonctionnaires ne peuvent être, pour employer l’expression appropriée de M. Fraser [traduction] « les membres silencieux de la société ». Il y a trois raisons à cela. [Non souligné dans l’original.]
[113]Autrement dit, l’étendue de l’obligation de réserve à laquelle sont tenus les fonctionnaires dépend de la nature de leur travail et de la manière dont le public voit leur position au sein de la fonction publique.
[114]Le commissaire adjoint a conclu que les agents de la GRC devraient être soumis à une obligation accrue de loyauté pour plusieurs motifs, notamment parce qu’ils ont pour mandat de faire appliquer les lois municipales, provinciales et fédérales, qu’ils sont investis de pouvoirs d’arrestation et de détention, qu’ils interviennent dans des enquêtes de nature sensible et qu’ils doivent impérativement faire preuve de discrétion dans toutes leurs activités.
[115]C’est pourquoi, selon le commissaire adjoint, le public soumet à une norme élevée l’obligation de loyauté des agents de la GRC et compte sur leur discrétion dans les enquêtes qu’ils mènent et eu égard aux renseignements confidentiels auxquels ils ont accès.
[116]Je ne suis pas disposé à dire, comme l’ont fait le commissaire adjoint et le comité d’arbitrage, que les membres de la GRC doivent être tenus à une norme plus élevée que les autres fonctionnaires. Cependant, je suis tout à fait d’accord avec le commissaire adjoint, et pour les motifs qu’il donne, que l’obligation de loyauté des agents de la GRC doit nécessairement répondre à une norme très élevée. La question de savoir si cette norme est plus élevée que celle qui est imposée aux autres fonctionnaires dépendra à mon avis des circonstances de l’affaire considérée, en plus, pour reprendre les propos du juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser, « du poste et de la visibilité du fonctionnaire ».
[117]Je passe maintenant à l’argument de l’appelant qui concerne l’élargissement du nombre des exceptions à l’obligation de loyauté qui ont été formulées par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser. Plus précisément, l’appelant fait valoir que, dans la décision Haydon no 1, la juge Tremblay‑Lamer a énoncé une autre exception à l’obligation de loyauté d’un fonction-naire envers son employeur, l’exception de la « préoccu-pation légitime d’intérêt public ».
[118]Je n’ai aucune hésitation à conclure, comme l’a fait le juge de première instance et comme l’a fait le juge MacKay dans la décision Chopra, que, dans la décision Haydon no 1, la juge Tremblay‑Lamer n’entendait pas créer ou reconnaître une autre exception en plus de celles qu’a énoncées le juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser. Je ne puis faire mieux que me reporter au paragraphe 46 des présents motifs, où je cite le paragraphe 27 des motifs du juge MacKay dans la décision Chopra. Le juge MacKay y explique pourquoi, selon lui, aucune exception nouvelle n’a été créée dans la décision Haydon no 1.
[119]Je suis également d’avis qu’une telle exception à l’obligation de loyauté des agents de la GRC n’est pas justifiée. Il importe de se rappeler que l’objet des exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, n’est pas d’encourager ou d’autoriser les fonctionnaires à débattre de questions comme s’ils étaient des membres ordinaires du public, libres de responsabilités envers leur emplo-yeur. D’après moi, l’objet des exceptions est plutôt de permettre aux fonctionnaires de dévoiler, dans des circonstances exceptionnelles, des actes répréhensibles du gouvernement. Il me semble que les exceptions sont assez larges pour permettre aux fonctionnaires de s’exprimer dans les cas où la divulgation doit avoir préséance sur l’obligation de loyauté.
[120]Les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, à savoir le cas où le gouvernement s’engage dans des activités illégales ou celui où ses politiques mettent en danger la vie, la santé ou la sécurité du public ou de membres du public, sont sans aucun doute des questions qui suscitent un intérêt public légitime. Il ressort clairement toutefois des mots employés par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Fraser, qu’il n’entendait pas créer une exception de nature à permettre aux fonction-naires d’exprimer tous leurs doutes ou désaccords à propos de politiques gouvernementales et d’activités ministérielles. Je n’ai aucun doute que, si telle avait été son intention, les exceptions auraient été énoncées d’une manière très différente. Je suis donc d’accord avec le juge Harrington lorsqu’il dit, au paragraphe 109 de ses motifs, que « [c]ependant, je ne considère pas que l’intérêt public légitime en général constitue une exception à l’obligation de loyauté d’un employé envers son employeur ».
[121]Je conviens aussi avec le juge Harrington que, sauf les cas où une divulgation publique est justifiée en raison des exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, la décision de divulguer sur la place publique des différends ou désaccords au sein de la GRC à propos de l’efficacité ou de la rigueur d’enquêtes menées par la Gendarmerie doit nécessairement revenir à ceux qui occupent une position d’autorité au sein de la Gendarmerie.
[122]Je passe maintenant à l’argument de l’appelant selon lequel ses allégations concernent des questions qui sont visées par les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser. Plus précisément, l’appelant fait valoir qu’il a soulevé des questions qui concernent la corruption de fonctionnaires publics, l’entrée possible de membres du crime organisé au Canada, la négligence ou la répugnance de la GRC à mener une enquête approfondie sur les activités de la mission de Hong Kong, la résistance de cadres supérieurs de la GRC à ses tentatives de mener une enquête en règle et l’omission de la GRC de répondre à ses nombreuses plaintes.
[123]Je commencerai par l’allégation de l’appelant selon laquelle le surintendant Dubé et d’autres agents de la GRC se sont livrés à une opération de camouflage. Le comité d’arbitrage et le commissaire adjoint ont conclu sans hésitation qu’il n’y avait aucune preuve pour étayer cette allégation. De l’avis du comité d’arbitrage, cette allégation procédait pour l’essentiel de ce que le surintendant Dubé et d’autres officiers de la GRC n’avaient pas voulu souscrire aux conclusions et recommandations de l’appelant. Quant au Comité d’examen, il était lui aussi d’avis qu’il n’y avait eu aucune opération de camouflage de la part de la GRC.
[124]Le comité d’arbitrage et le Comité d’examen étaient tous deux d’avis que la décision de retirer l’enquête à l’appelant était, vu les circonstances, une décision juste étant donné que l’appelant avait manqué d’objectivité et d’impartialité dans la conduite de son enquête. Le Comité d’examen est allé plus loin, affirmant que l’appelant avait manqué de discernement tout au long de son enquête.
[125]Il ressort en outre clairement de la décision du Comité d’examen que celui‑ci était d’avis que, si l’appelant avait porté des accusations contre le surinten-dant Dubé et d’autres officiers de la GRC, c’est parce que l’enquête lui avait été retirée. D’ailleurs, si l’on examine la totalité de la preuve on constate que c’est à partir de ce moment que l’appelant est devenu méfiant et suspicieux à l’égard de quiconque ne partageait pas sa manière de voir la situation.
[126]Par conséquent, il n’y a absolument aucun doute que les accusations de corruption portées par l’appelant contre la GRC et des responsables de la mission de Hong Kong n’ont aucun fondement. Elles sont le produit d’un esprit qui refusait d’admettre qu’une analyse objective de la preuve ne conduisait pas nécessairement à la conclusion que des activités criminelles s’étaient déroulées à la mission de Hong Kong et qu’il fallait sans plus attendre porter des accusations.
[127]Le comité d’examen a reconnu qu’aucun élément de preuve ne confirmait l’allégation de l’appelant selon laquelle la GRC avait tenté de camoufler l’existence d’activités illégales à la mission de Hong Kong, mais il a néanmoins exprimé l’avis que, en raison de lacunes importantes dans les enquêtes de la GRC, l’appelant avait eu raison de s’exprimer publiquement et de révéler aux médias et à M. McAdam des renseignements et documents classifiés. Pour mettre cette conclusion dans son contexte, j’examinerai brièvement la manière dont le comité d’arbitrage et le Comité d’examen ont considéré les lacunes constatées dans les enquêtes de la GRC.
[128]Le comité d’arbitrage avait conclu que la première enquête menée à la mission de Hong Kong par le sergent Conohan « était déficiente » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 97). Cependant, il a ensuite ajouté qu’il ne cherchait pas à blâmer quiconque pour les difficultés qui avaient surgi dans l’enquête, mais plutôt qu’il voulait simplement souligner que l’enquête [traduction] « n’éclaircissait pas tous les aspects » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 97).
[129]Le comité d’arbitrage a d’ailleurs accepté la preuve produite selon laquelle le sergent Conohan [traduction] « se trouvait dans une position difficile à l’époque; son séjour a été prolongé et le nombre de questions à examiner a augmenté pendant qu’il était à Hong Kong, et les priorités ont changé » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 97).
[130]Le comité d’arbitrage a aussi admis l’argument de l’appelant selon lequel [traduction] « la GRC s’était montrée peu empressée à poursuivre l’enquête » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 97). Il a relevé cinq facteurs qui, selon lui, permettaient d’affirmer que la GRC avait manqué d’empressement à poursuivre les enquêtes à la mission de Hong Kong. Premièrement, le comité d’arbitrage a indiqué que, pour certains, les problèmes de la mission de Hong Kong étaient [traduction] « une affaire purement interne » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 97). Deuxièmement, l’hésitation de la GRC à enquêter pouvait être attribuée au fait que l’affaire était considérée comme une affaire administrative plutôt qu’une affaire criminelle. Troisièmement, les problèmes pouvaient être interprétés comme des préoccupations d’ordre éthique plutôt que d’ordre criminel. Quatrièmement, le comité d’arbitrage a jugé pertinentes les questions de compétence qui se posaient, à savoir que certains des agissements au sujet desquels il y a eu enquête relevaient de la police locale et non de la GRC. Le comité d’arbitrage a ajouté que cela suscitait des doutes sur [traduction] « l’intérêt de la GRC à enquêter ou le mandat qu’elle avait pour le faire » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 97). Cinquièmement, le comité d’arbitrage a reconnu que les coupures et les restructurations qui ont eu lieu à l’époque des enquêtes à la mission de Hong Kong avaient eu une incidence sur la capacité de la GRC de poursuivre ses enquêtes. [traduction] « Il est donc manifeste que l’enquête de Hong Kong a réduit les ressources affectées à d’autres enquêtes » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 97).
[131]Le Comité d’examen a reconnu que les allégations de corruption avancées par l’appelant n’étaient pas fondées, mais il était néanmoins disposé à faire droit à l’appel de l’appelant au motif qu’il y avait [traduction] « d’importantes lacunes dans le processus d’enquête suivi par la Gendarmerie depuis 1991 » et que, en conséquence, [traduction] « il reste possible que des employés de la mission se soient livrés à des fraudes en matière d’immigration » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 177).
[132]Le Comité d’examen a conclu que la troisième enquête, en 1999, [traduction] « n’a pas permis de remédier aux lacunes des enquêtes antérieures » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 177). Il a estimé que le résultat de l’enquête finale [traduction] « était réglé d’avance » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 177). Le Comité d’examen semble par conséquent avoir apprécié la preuve différemment du comité d’arbitrage, ce qui l’a amené à conclure que les cinq facteurs énumérés par le comité d’arbitrage ne pouvaient pas justifier les déficiences de la GRC dans les enquêtes de Hong Kong. Pour ces motifs, le Comité d’examen a conclu que les révélations de l’appelant étaient justifiées parce qu’elles mettaient au jour le fait que la GRC avait négligé de [traduction] « prendre les mesures qui s’imposaient pour savoir si des employés de la mission s’étaient livrés à des fraudes en matière d’immigration » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 178). Les révélations de l’appelant à propos des lacunes dans les enquêtes de la GRC ont donc suscité selon le Comité d’examen, une question d’intérêt public légitime.
[133]Le commissaire adjoint a souscrit au point de vue du comité d’arbitrage. Après avoir souligné que les responsables de l’examen administratif avaient constaté des lacunes dans les enquêtes de la GRC et que les doutes de l’appelant en la matière étaient fondés en partie, le commissaire adjoint a conclu que [traduction] « en fin de compte, aucun élément de preuve ne confirmait ses allégations de corruption » (voir dossier d’appel, vol. I, à la page 175).
[134]Je conclus que l’appelant ne peut obtenir gain de cause dans son appel.
[135]Premièrement, le dossier ne renferme rien qui confirme les allégations de l’appelant selon lesquelles des membres de la GRC ou des responsables de la mission de Hong Kong ont été corrompus. Par conséquent, l’appelant n’a pas établi qu’il était justifié pour lui de transgresser son serment de loyauté. Aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, n’a été établie.
[136]Deuxièmement, il est incontestable que les supérieurs de l’appelant à la GRC n’ont pas cherché à entraver son enquête. Au contraire, on s’accorde à dire que c’est à juste titre que l’enquête lui a été retirée parce qu’il n’offrait pas les garanties d’objectivité, d’impartialité, ni même de bon sens qu’elle exigeait.
[137]Tout ce que l’on peut dire en faveur de l’appelant, c’est qu’il a été en mesure de signaler que les enquêtes menées par la GRC depuis 1991 auraient pu être plus rigoureuses et plus efficaces. Le comité d’arbitrage et le Comité d’examen ont apprécié différemment la raison de telles lacunes et leur incidence sur les enquêtes. Comme je suis d’avis que ces lacunes, en l’espèce, ne constituent pas des actes illégaux du gouvernement et qu’elles n’entrent pas dans les exceptions énoncées dans l’arrêt Fraser, il ne m’est pas nécessaire de me prononcer sur la justesse des vues exprimées.
[138]Le Comité d’examen a jugé que les lacunes des enquêtes justifiaient que l’appelant transgresse son obligation de loyauté au motif qu’il existait une question suscitant un intérêt public légitime. Comme je l’ai déjà dit, il n’existe aucune exception se rapportant aux questions d’intérêt public légitime et, à mon avis, une telle exception, dans le cas des agents de la GRC, n’est manifestement pas justifiée.
[139]Compte tenu de la preuve soumise au comité d’arbitrage, il n’y a guère de doute, à mon avis, qu’en communiquant aux médias et à M. McAdam des renseignements et documents confidentiels, l’appelant a agi d’une manière irresponsable et a manifestement transgressé son obligation de loyauté envers son employeur. Malgré l’existence de lacunes dans les enquêtes de la GRC, la critique formulée publiquement par l’appelant envers son employeur ne saurait, vu les circonstances de cette affaire, être justifiée.
[140]Puisqu’il n’y a absolument aucune preuve étayant les allégations de corruption avancées par l’appelant, il ne m’est pas nécessaire de déterminer la charge de preuve incombant à l’appelant eu égard à ses allégations. Le juge de première instance est arrivé à la même conclusion lorsqu’il a dit, au paragraphe 102 de ses motifs, que « [é]tant donné que le caporal Read a été loin de démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que ses allégations étaient fondées, il est inutile d’établir une ligne de démarcation précise ».
[141]L’appelant ne s’est pas exprimé sur l’« empê-chement d’accomplir son travail », c’est‑à‑dire sur la question de savoir si les critiques qu’il a formulées contre son employeur l’empêchaient d’accomplir efficacement ses tâches. Au paragraphe 121 de ses motifs, le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait aucun doute que les remarques de l’appelant l’avaient empêché d’accomplir ses tâches en tant que membre de la Gendarmerie et qu’elles « étaient susceptibles de nuire à son employeur ». Je ne vois aucune raison de rejeter cette conclusion.
[142]Enfin, je ne vois non plus aucune raison d’être en désaccord avec le juge de première instance sur la sanction infligée à l’appelant par son employeur. Le juge de première instance a estimé que le commissaire adjoint avait clairement motivé sa décision et que ces motifs n’étaient nullement déraisonnables. Au paragraphe 90 des présents motifs, j’ai indiqué les motifs qui ont amené le commissaire adjoint à conclure que rien ne justifiait une réduction de la sanction infligée par le comité d’arbitrage. À mon avis, le juge de première instance a eu raison de dire que la décision du commissaire adjoint n’était pas déraisonnable et je partage donc son point de vue.
[143]L’appelant ne m’a donc pas convaincu que le juge de première instance a commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant sa demande de contrôle judiciaire, et je rejetterais donc son appel, avec dépens.
Le juge Noël, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.