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[1993] 3 C.F. 729

A-190-92

Curragh Resources Inc. (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre de la Justice (intimée)

et

La première nation de Selkirk et le Conseil des Dénés de Ross River (intervenants)

Répertorié : Curragh Resources Inc. c. Canada (Ministre de la Justice) (C.A.)

Cour d’appel, juge en chef Isaac, juge Stone, J.C.A., et juge suppléant Craig—Toronto, 7 mai; Ottawa, 29 juin 1993.

Environnement — Appel contre la conclusion de droit que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et/ou le ministre des Pêches et des Océans ont le pouvoir d’exiger de l’appelante une garantie monétaire, en plus de celle imposée par l’Office des eaux du territoire du Yukon, comme condition préalable à la délivrance d’un permis d’utilisation des eaux — L’Office n’était pas tenu d’appliquer le Décret parce que la décision finale à l’égard du permis relatif aux mines à ciel ouvert dans le Territoire ne relevait pas de lui — L’Office ne peut délivrer des permis qu’avec l’approbation du ministre — Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est l’ultime preneur de décision — Il était tenu de tenir compte des répercussions environnementales de la proposition sur les questions de compétence fédérale, y compris sur les Indiens et sur la faune du territoire du Yukon — Autorité décisionnelle indépendante pouvant s’appuyer sur le Décret — La compétence relative aux baux de surface n’est pas écartée par la Loi sur les eaux internes du Nord — Le ministre des Pêches et des Océans n’exerçait pas le pouvoir de décision — Un ministère n’exerce un pouvoir de décision qu’en présence d’une obligation positive de réglementation — Le ministre des Pêches et des Océans exerçait une fonction législative — Il ne lui appartenait pas d’exiger une garantie supplémentaire.

Il s’agit d’un appel contre la décision sur une question de droit selon laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et/ou le ministre des Pêches et des Océans ont le pouvoir d’exiger de l’appelante une garantie supplémentaire, en plus de celle imposée par l’Office, comme condition préalable à la délivrance d’un permis d’utilisation des eaux. L’appelante, une compagnie minière, avait demandé un permis d’utilisation des eaux relativement aux mines à ciel ouvert et aux terrils de déchets qu’elle envisageait d’exploiter dans le territoire du Yukon. L’évaluation initiale demandée par les deux ministres recommandait que des garanties monétaires suffisantes soient fournies avant la délivrance d’un permis, afin d’assurer une protection contre les efffets du drainage minier acide sur la qualité des eaux et sur les ressources halieutiques. L’une des préoccupations de l’Office des eaux était aussi le drainage minier acide à long terme et l’atténuation de ses conséquences, notamment au moyen d’une garantie monétaire supplémentaire. Il a donc exigé de l’appelante de fournir une garantie comme condition préalable à la délivrance d’un permis devant entrer en vigueur à la date à laquelle le ministre apposerait sa signature. Comme condition de son approbation, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a exigé que l’appelante fournisse une garantie supplémentaire. Celle-ci a consenti à le faire sous réserve.

En vertu de l’article 10 de la Loi sur les eaux internes du Nord, l’Office des eaux a pour mission de veiller à la conservation, à la mise en valeur et à l’utilisation des ressources en eau du territoire du Yukon. Il a le pouvoir de délivrer des permis d’utilisation des eaux pour l’exploitation d’une entreprise déterminée, s’il est convaincu que l’utilisation projetée ne nuira pas à l’utilisation des eaux par les autres titulaires de permis. De plus, il peut assortir le permis de conditions et exiger une garantie, mais aucun permis ne peut être validement délivré sans l’approbation du Ministre. Les pouvoirs du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, en vertu de l’article 4 de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, et ceux du ministre des Pêches et des Océans en vertu de l’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, ne s’étendent qu’aux domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux. L’appelante prétend que la Loi sur les eaux internes du Nord et ses règlements d’application constituent un code exhaustif régissant les modalités applicables à la délivrance d’un permis d’utilisation des eaux et la garantie que le titulaire du permis peut être tenu de donner. Elle soutient que ni l’un ni l’autre des ministres a été investi du pouvoir de délivrer des permis d’utilisation des eaux ou d’assortir ces derniers de conditions, ce pouvoir ayant été expressément attriué à l’Office des eaux. Le Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement (le Décret) prévoit que le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l’étape de planification, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l’égard desquelles il exerce le pouvoir de décision. Les examens publics ne doivent pas faire double emploi. Le Décret s’applique aux propositions devant être réalisées sur des terres administrées par le gouvernement du Canada.

Le juge des requêtes a conclu que le Décret s’appliquait aux procédures se déroulant devant l’Office des eaux pour l’aider à remplir son mandat. Il a aussi estimé que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien possédait le pouvoir nécessaire pour exiger le versement d’une garantie supplémentaire comme condition de l’approbation d’un permis, nonobstant les pouvoirs conférés à l’Office. Il a aussi conclu que le ministre des Pêches et des Océans était tenu d’appliquer le Décret et que, ce faisant, il pouvait imposer à l’appelante de fournir une garantie supplémentaire.

La question précise en l’espèce consiste à savoir si le pouvoir de l’Office des eaux de délivrer un permis d’utilisation des eaux en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord écarte le pouvoir du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ou celui du ministre des Pêches et des Océans, en vertu du Décret, d’exiger que l’appelante verse une garantie supplémentaire. Cette question a été partagée en trois questions distinctes : (1) l’Office des eaux est-il tenu d’appliquer le Décret; (2) le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est-il une autorité décisionnelle fédérale indépendante, pouvant invoquer le Décret pour exiger de l’appelante une garantie supplémentaire comme condition de l’approbation du permis d’utilisation des eaux; (3) le ministre des Pêches et des Océans est-il une autorité décisionnelle fédérale indépendante, qui pouvait s’appuyer sur le Décret pour exiger de l’appelante une garantie, en sus de celles exigées par l’Office des eaux et le minsitre des Affaires indiennes et du Nord canadien, ou pour déléguer son pouvoir à ce ministre dans l’exercice de son pouvoir décisionnel en vertu de la Loi sur les Pêches.

Arrêt : l’appel doit être accueilli en partie. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avait le pouvoir d’exiger une garantie supplémentaire; le ministre des Pêches et des Océans n’avait pas ce pouvoir.

(1) L’Office des eaux n’était pas tenu d’appliquer le Décret parce que la décision finale à l’égard du permis d’utilisation des eaux ne relevait pas de lui. L’obligation de l’Office de délivrer des permis est assujettie à « l’approbation du ministre », qui devient de la sorte l’ultime preneur de décision. Le principal souci de l’Office des eaux est l’utilsiation des eaux, les conséquences de l’exploitation autorisée sur les titulaires de permis et sur la qualité des eaux. Il n’était pas tenu de déterminer l’incidence de l’entreprise de l’appelante sur les intervenants, responsabilité dévolue au ministre lui-même en qualité d’ultime preneur de décision.

(2) Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avait le droit de se fonder sur le Décret pour exiger une garantie supplémentaire comme condition de son approbation du permis d’utilisation des eaux. Bien que le Parlement ait conféré à l’Office des eaux le pouvoir de délivrer des permis d’utilisation des eaux et de les assortir de conditions, ce pouvoir était restreint car le permis devait être approuvé par le ministre. En vertu des articles 3 et 6 du Décret, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien était tenu, en sa qualité de ministère responsable, de rechercher si une proposition pouvait avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale. Le projet Vangorda était une proposition pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale, et le ministre était celui qui décidait réellement si le permis devait être approuvé. L’application du Décret se trouvait déclenchée. La compétence du ministre à l’égard des affaires indiennes et du territoire du Yukon, de ses affaires et de ses ressources, l’obligeait à étudier les répercussions du projet sur les Indiens et sur la faune du territoire du Yukon. Il avait le droit de se fonder sur le Décret pour exiger une garantie supplémentaire.

Le fait, pour le ministre, de se conformer au Décret ne constituerait pas un double emploi de l’examen des répercussions environnementales, parce que le projet n’est pas parvenu à l’étape de l’examen public, et parce que l’Office des eaux n’était pas tenu de procéder à une évaluation environnementale conformément au Décret.

La compétence qu’a le ministre de décider s’il y a lieu d’accorder un bail de surface en vertu de la Loi sur les terres territoriales et du Règlement n’était pas écartée par la Loi sur les eaux internes du Nord. Cela aussi était une proposition que le ministre, en sa qualité de ministère responsable en vertu du Décret, devait soumettre à une évaluation initiale. Cette évaluation s’est fait l’interprète de préoccupations à l’égard des répercussions de la proposition sur la faune, et elle recommandait l’inclusion dans le bail de mesures d’atténuation. Le projet devait être réalisé sur des terres administrées par le gouvernement du Canada en vertu du Décret. La demande de baux de surface a, elle aussi, provoqué l’application du Décret. La compétence qu’a le ministre d’exiger une garantie supplémentaire ne se trouvait pas écartée par la Loi sur les eaux internes du Nord.

(3) Le ministère des Pêches et des Océans n’exerçait pas le « pouvoir de décision à l’égard d’une proposition » prévu au Décret. Un ministère n’exerce un pouvoir de décision en vertu du Décret que s’il existe une obligation positive de réglementation, par opposition à l’exercice d’une fonction législative. Le ministre des Pêches et des Océans exerçait, conformément au paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches, une fonction législative plutôt qu’il n’exécutait une obligation positive de réglementation, et il ne pouvait pas exiger la garantie supplémentaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467, art. 2, 3, 5, 6, 8, 10, 12, 13, 14.

Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22.

Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, L.R.C. (1985), ch. I-6, art. 4.

Loi sur le ministère de l’Environnement, L.R.C. (1985), ch. E-10, art. 4, 6.

Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), ch. F-15, art. 4.

Loi sur les eaux internes du Nord, L.R.C. (1985), ch. N-25, art. 4, 8, 10, 11, 12, 13, 23.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 37.

Loi sur les terres territoriales, L.R.C. (1985), ch. T-7, art. 8.

Règlement sur les eaux internes du Nord, C.R.C., ch. 1234, art. 13.

Règlement sur les terres territoriales, C.R.C., ch. 1525, art. 12.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 474.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3; (1992), 88 D.L.R. (4th) 1; [1992] 2 W.W.R. 193; 84 Alta L.R. (2d) 129; 3 Admin. L.R. (2d) 1; 7 C.E.L.R. (N.S.) 1; 132 N.R. 321; Angus c. Canada, [1990] 3 C.F. 410; (1990), 72 D.L.R. (4th) 672; 5 C.E.L.R. (N.S.) 157; 111 N.R. 321.

DÉCISION ÉCARTÉE :

Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375; [1991] 1 W.W.R. 352; 76 Alta. L.R. (2d) 289; 5 C.E.L.R. (N.S.) 1; 108 N.R. 241 (C.A.).

DÉCISION EXAMINÉE :

Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.).

APPEL contre la décision tranchant une question de droit ([1992] 2 C.F. 243; (1992), 87 D.L.R. (4th) 219; 8 C.E.L.R. (N.S.) 94; 51 F.T.R. 45 (1re inst.)) et portant que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et le ministre des Pêches et des Océans avaient le pouvoir d’exiger que la demanderesse (l’appelante) donne une garantie supplémentaire à celle qui est requise comme condition de la délivrance, par l’Office des eaux du territoire du Yukon, d’un permis d’utilisation des eaux en vue de l’exploitation de ses mines à ciel ouvert et de ses terrils de déchets. Appel accueilli en partie.

AVOCATS :

William V. Sasso et Paul G. MacDonald pour l’appelante.

Donald J. Rennie et Joseph C. de Pencier pour l’intimée.

Arthur Pape et J. Harper pour les intervenants.

PROCUREURS :

McMillan, Binch, Toronto, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Pape & Salter, Vancouver, pour les intervenants.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Stone, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté contre un jugement de la Section de première instance, rendu le 14 janvier 1992 [[1992] 2 C.F. 243] dans le cadre d’une demande fondée sur la Règle 474(1) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663][1], dans lequel le juge des requêtes répondait par l’affirmative à la question suivante qui lui était soumise [à la page 247] :

À la lumière de la décision de l’Office des eaux du territoire du Yukon en date du 12 septembre 1990, la Couronne du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, le ministre des Pêches et des Océans ou ces deux ministres a-t-elle le pouvoir, conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, à la Loi sur les eaux internes du Nord, à la Loi sur les terres territoriales, à la Loi sur les pêches ou à une autre règle de droit, d’imposer des mesures d’atténuation et d’indemnisation, y compris une garantie monétaire ou autre à l’égard du projet Vangorda, un projet entrepris par la demanderesse dans le territoire du Yukon, sur les terres qui appartiennent à la défenderesse, Sa Majesté la Reine?

Le litige porte principalement sur la prétention de l’appelante selon laquelle ni le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ni le ministre des Pêches et des Océans ne possèdent le pouvoir d’exiger de l’appelante une garantie monétaire, en plus de celle imposée par l’Office des eaux du territoire du Yukon (l’« Office des eaux »), comme condition préalable à la délivrance d’un permis d’utilisation des eaux, délivré conformément à sa décision du 12 septembre 1990.

Comme nous le verrons, l’Office des eaux tient son existence d’une loi, ayant été créé en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord, L.R.C. (1985), ch. N-25. Il est investi des pouvoirs que cette Loi lui confère, dont celui de délivrer, relativement à l’exploitation d’une entreprise particulière, des permis d’utilisation des eaux, selon une quantité et à un taux n’excédant pas ceux que précise le permis.

La Loi confère aux ministres en question divers pouvoirs et responsabilités. En plus d’être le ministre responsable en l’espèce en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien est investi de certains pouvoirs et responsabilités en vertu de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, L.R.C. (1985), ch. I-6 et, dans certaines circonstances, en vertu du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, DORS/84-467 (le « Décret ») rendu conformément à l’article 6 de la Loi sur le ministère de l’Environnement, L.R.C. (1985), ch. E-10. Le ministre des Pêches et des Océans, aux termes de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), ch. F-15, est responsable de l’administration de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14.

HISTORIQUE

En décembre 1989, l’appelante, une compagnie minière, a demandé à l’Office des eaux un permis d’utilisation des eaux conformément à la Loi sur les eaux internes du Nord, relativement aux mines à ciel ouvert et aux terrils de déchets qu’elle envisageait d’exploiter sur le plateau de Vangorda près de Faro, dans le territoire du Yukon (collectivement appelés en l’espèce le « projet Vangorda »). La preuve décrit comme suit l’emplacement de la mine :

[traduction] La mine se trouve au centre de la ligne de partage des eaux de Vangorda, qui se jette dans la rivière Pelly. La fourche Ouest du crique Vangorda reçoit les eaux de la moitié occidentale de ligne de partage des eaux et le crique Vangorda, avec les affluents Dixon et Shrimp, reçoit les eaux de la moitié orientale. La mine de Grum est située sur un large plateau légèrement incliné qui forme la ligne de partage des eaux de la région. Les eaux du versant sud de ce plateau s’écoulent directement dans le crique Vangorda. Les eaux des versants nord et ouest s’écoulent dans de petits affluents. Les terrils de déchets seront situés sur une arête occidentale dont les eaux s’écoulent en partie dans le crique Vangorda.

La mine Vangorda est située de l’autre côté du canal actuel du crique Vangorda, et pendant la mise en valeur de la mine, le cours du crique sera détourné pour passer par un canal construit au périmètre de la mine. Une fois l’exploitation de la mine terminée, celle-ci sera inondée[2].

Le crique Vangorda et le haut de la rivière Pelly font partie des territoires traditionnels du peuple Kaska du Conseil des Dénés de Ross River. La partie en aval de la rivière Pelly fait partie du territoire traditionnel de la Première Nation de Selkirk. Ces deux collectivités dépendent du saumon et des autres ressources halieutiques de ces eaux. Elles ont des camps de pêche dans ces régions, et elles utilisent les eaux comme eau potable et pour parvenir aux territoires traditionnels de pêche et de chasse au piège. Ces collectivités sont intervenantes en l’espèce.

Un Comité régional d’examen de l’environnement a procédé à l’examen préalable ou à l’évaluation initiale du projet Vangorda en vertu du paragraphe 10(1) du Décret, sur ordre du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. L’évaluation en cause est publiée dans le Rapport d’examen préalable (« Screening Report ») daté du 20 juillet 1990, dans lequel le Comité d’examen a conclu ce qui suit :

[traduction] Le Comité régional d’examen de l’environnement a conclu que Curragh Resources Inc. a soumis suffisamment de renseignements lui permettant de terminer son examen. Le CREE est d’avis que la proposition de Curragh Resources Vangorda Plateau Development répond aux exigences de l’alinéa 12c) du Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement, cité plus bas, et il recommande que la proposition, assortie de mesures d’atténuation, mentionnée dans l’Évaluation environnementale initiale et dans ce rapport passe à l’étape réglementaire de la délivrance des licences, baux et permis.

Art. 12.c) « si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l’application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l’aide de ces mesures, selon le cas; »

Conformément à l’article 13 du Décret, le Comité régional d’examen de l’environnement est d’avis qu’un examen public mené par une commission n’est pas nécessaire.

Art. 13. « Nonobstant la détermination des effets d’une proposition, faite conformément à l’article 12, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d’un examen public par une commission, chaque fois que les préoccupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable. »

Le rapport recommandait expressément :

[traduction] 8. Que Curragh Resources fournisse au gouvernement du Canada des garanties monétaires suffisantes avant la délivrance d’un permis d’utilisation des eaux et la conclusion d’un bail de surface afin d’assurer l’application des mesures de contrôle visant expressément à atténuer les effets du drainage minier acide et d’autres effets précis, aussi bien au cours de l’exploitation de la mine qu’après sa fermeture …

Après avoir effectué son propre examen préalable et son évaluation initiale du projet Vangorda, le Ministère des Pêches et des Océans a fait une recommandation semblable à celle contenue dans le Rapport d’examen préalable du 20 juillet 1990. Le Ministère se préoccupait des effets du projet sur les poissons et leur habitat, et particulièrement sur le saumon et l’ombre de l’Arctique dans le crique Vangorda et la rivière Pelly. En se fondant sur son évaluation, le Ministère a conclu qu’[traduction] « en l’absence de mesures d’atténuation suffisantes, il est fort probable que la mine produira un drainage minier acide (DMA) contenant des métaux, susceptible d’avoir des effets néfastes sur la qualité des eaux en aval et sur les ressources halieutiques », et que l’appelante devrait donner des garanties supplémentaires de façon à offrir une protection contre ces regrettables conséquences.

L’une des principales préoccupations de l’Office des eaux, lorsqu’il a étudié la demande de permis d’utilisation des eaux, était le drainage minier acide (DMA) à long terme dans le crique Vangorda et la rivière Pelly et l’atténuation de ses conséquences, notamment au moyen d’une garantie monétaire destinée à financer le traitement des eaux après la fermeture de la mine. L’Office a tenu une audience publique sur ce sujet, au cours de laquelle les deux rapports d’examen préalable ont été déposés et d’autres éléments de preuve accueillis. Des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et du ministère des Pêches et des Océans étaient présents, et ils ont participé à l’audience. Le 12 septembre 1990, l’Office des eaux a délivré le permis d’utilisation des eaux IN89-002. Le permis autorise l’appelante à [traduction] « capter, conserver, détourner, modifier et rétablir l’écoulement des eaux » relativement à [traduction] « deux mines à ciel ouvert, des terrils de déchets et des installations de traitement des eaux connexes », sous réserve des conditions dont il est assorti. Il est précisé que la date d’entrée en vigueur du permis est [traduction] « La date à laquelle le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien apposera sa signature ». L’Office des eaux a assorti le permis d’utilisation des eaux de la condition suivante[3] :

3.   Garantie

Conformément à l’article 13 du Règlement, le titulaire du permis devra fournir une garantie s’élevant à 943 700 $ … représentant dix pour cent du montant des immobilisations exigées pour l’exécution des travaux.

Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a approuvé le permis le 25 octobre 1990, à condition toutefois que l’appelante verse la garantie supplémentaire demandée. À cette fin, dans une entente écrite en date du 28 septembre 1990, l’appelante s’est engagée à fournir à l’intimée une garantie supplémentaire de 4 406 000 $ au plus tard le 5 octobre 1990. Cette garantie visait à couvrir la remise en état général de la mine et à assurer que les eaux seraient traitées à perpétuité après la fermeture de la mine. Dans la même entente, l’appelante s’est engagée à établir un compte en fiducie perpétuel pour couvrir le coût du traitement des eaux postérieur à la fin des travaux selon les normes établies dans le permis d’utilisation des eaux. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien s’est engagé dans l’entente à [traduction] « approuver le permis d’utilisation des eaux … lorsque Curragh aura signé cette entente et donné au Canada la garantie supplémentaire ». Lors de la signature de l’entente, on a reconnu que l’appelante signait sous réserve et qu’elle pourrait contester le droit de l’intimée d’exiger une garantie supplémentaire.

LA QUESTION EN LITIGE

La question précise en l’espèce consiste à savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en répondant comme il l’a fait à la question exposée précédemment, jugeant de la sorte que le pouvoir de l’Office des eaux de délivrer un permis en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord n’écartait pas le pouvoir du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ni celui du ministre des Pêches et Océans, en vertu du Décret, d’exiger que l’appelante verse une garantie supplémentaire.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les dispositions législatives pertinentes à la question litigieuse sont exposées dans la Loi sur les eaux internes du Nord et ses règlements d’application, la Loi sur les terres territoriales [L.R.C. (1985), ch. T-7] et ses règlements d’application, la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, la Loi sur les pêches, la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, la Loi sur le ministère de l’Environnement et le Décret établi conformément à cette Loi. Les dispositions particulières invoquées par les avocats dans leurs plaidoiries sont les suivantes :

Loi sur les eaux internes du Nord

4. (1) Sous réserve des droits, pouvoirs ou privilèges accordés sous le régime de la Loi sur les forces hydrauliques du Canada »on sauvegardés par cette loi »et de l’article 5, la propriété et le droit d’utilisation des eaux et de leur énergie motrice sont dévolus à Sa Majesté du chef du Canada.

(2) Sauf dans la mesure autorisée par la Loi sur les forces hydrauliques du Canada et sous réserve de l’article 5, il est interdit de détourner ou de modifier des cours d’eau ou des réserves d’eau se trouvant dans une zone de gestion des eaux ou d’utiliser autrement des eaux se trouvant dans une telle zone sauf conformément à un permis ou aux termes d’une autorisation réglementaire donnée en application de l’alinéa 29g).

(3) Sauf disposition expressément contraire de la présente loi ou d’une autre loi, la présente loi ou ses règlements, ou un permis délivré sous le régime de la présente loi, n’ont pas pour effet d’autoriser la modification ou le détournement des cours d’eau ou des réserves d’eau se trouvant dans une zone de gestion des eaux ou une autre utilisation de telles eaux en contravention avec une disposition d’une autre loi ou de ses règlements.

8. (1) Sont constitués l’Office des eaux du territoire du Yukon et l’Office des eaux des Territoires du Nord-Ouest, chacun étant composé de trois à neuf membres nommés par le ministre.

10. Les offices ont pour mission de veiller à la conservation, à la mise en valeur et à l’utilisation rationnelle des ressources en eau du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest d’une façon qui permette aux Canadiens en général et aux résidents du territoire du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest en particulier d’en retirer le maximum de profits.

11. (1) Sous réserve du paragraphe (2), un office peut, avec l’approbation du ministre, délivrer des permis, pour une durée maximale de vingt-cinq ans, autorisant les personnes qui en font la demande, sur paiement des droits d’utilisation fixés sous le régime de l’alinéa 31(1)a), aux dates et de la manière réglementaires, à utiliser les eaux pour l’exploitation d’une entreprise déterminée indiquée dans le permis en une quantité et à un régime n’excédant pas ce que prévoit le permis.

(2) L’office ne délivre pas de permis à moins d’être convaincu :

a) que l’utilisation des eaux projetée ne nuira pas à l’utilisation des eaux, dans la zone de gestion visée par la demande, par un titulaire de permis qui a préséance sur le demandeur en application de l’article 25, ou par un autre demandeur qui, si sa demande de permis était accordée, aurait préséance sur le demandeur en application de ce même article;

b) qu’une indemnisation appropriée a été ou sera payée par le demandeur aux titulaires de permis autorisés à faire des eaux, dans la zone de gestion des eaux visée par la demande, une utilisation de priorité moindre dans cette zone que celle projetée par le demandeur, et qui en seront lésés;

c) que les déchets produits par l’entreprise pour l’exploitation de laquelle les eaux seront utilisées seront traités et éliminés de manière à respecter les normes de qualité des eaux fixées en application de l’alinéa 29e);

d) que la responsabilité financière du demandeur est suffisante, eu égard à l’entreprise pour l’exploitation de laquelle les eaux seront utilisées.

12. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un office peut assortir le permis qu’il délivre des conditions qu’il considère appropriées, notamment celles sur la façon d’utiliser les eaux dont le permis permet l’utilisation, celles fondées sur les normes de qualité des eaux fixées en application de l’alinéa 29e) et relatives à la quantité et à la nature des déchets qui peuvent être déposés dans les eaux par le titulaire du permis et enfin les conditions dans lesquelles doit s’effectuer un tel dépôt.

13. (1) Une demande de permis doit respecter les modalités réglementaires quant à sa forme et à son contenu.

(2) L’office exige du demandeur d’un permis qu’il lui fournisse les renseignements et les études relatives à l’utilisation des eaux projetée qui lui permettront d’en évaluer les effets qualitatifs et quantitatifs sur la zone de gestion des eaux visée.

(3) L’office peut exiger du demandeur d’un permis qu’il fournisse une garantie, en la forme et selon les modalités réglementaires, pour la protection des titulaires de permis et des propriétaires et occupants de biens qui sont susceptibles, de l’avis de l’office, d’être lésés par l’attribution du permis.

23. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, chaque décision ou ordonnance d’un office est définitive et sans appel.

Règlement sur les eaux internes du Nord [C.R.C., ch. 1234]

13. (1) L’office peut exiger du requérant d’un permis qu’il fournisse une garantie d’un montant que ledit office détermine, mais ledit montant ne doit jamais être supérieur à $100,000 ou à 10 pour cent du montant estimatif des immobilisations exigées pour l’exécution des travaux, en prenant le montant le plus élevé.

Loi sur les terres territoriales

8. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le gouverneur en conseil peut autoriser la cession, notamment par vente ou location, de terres territoriales; il peut également, par règlement, déléguer au ministre ce pouvoir et l’assortir éventuellement de restrictions ou conditions.

Règlement sur les terres territoriales [C.R.C., ch. 1525]

12. Tout bail concernant les terres territoriales doit comporter, en outre des clauses et conditions que le Ministre juge nécessaires, la réserve …

Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien

4. Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

a) aux affaires indiennes;

b) au territoire du Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest, ainsi qu’à leurs affaires et à leurs ressources naturelles; …

Loi sur le ministère des Pêches et des Océans

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

a) à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes;

b) aux ports de pêche et de plaisance;

c) à l’hydrographie et aux sciences de la mer;

d) à la coordination des plans et programmes du gouvernement fédéral touchant aux océans.

(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent en outre aux domaines de compétence du Parlement liés aux océans et qui lui sont attribués de droit.

Loi sur les pêches

37. (1) Les personnes qui exploitent ou se proposent d’exploiter des ouvrages ou entreprises de nature à entraîner soit l’immersion de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons ou leur rejet en quelque autre lieu si le risque existe que la substance nocive en cause, ou toute autre substance nocive provenant de son rejet, pénètre dans ces eaux, soit la détérioration, la perturbation ou la destruction de l’habitat du poisson, doivent, à la demande du ministre—ou de leur propre initiative, dans les cas et de la manière prévus par les règlements d’application pris aux termes de l’alinéa (3)a ), lui fournir les documents—plans, devis, études, pièces, annexes, programmes, analyses, échantillons—et autres renseignements pertinents, concernant l’ouvrage ou l’entreprise ainsi que les eaux, lieux ou habitats du poisson menacés, qui lui permettront de déterminer, selon le cas :

a) si l’ouvrage ou l’entreprise est de nature à faire détériorer, perturber ou détruire l’habitat du poisson en contravention avec le paragraphe 35(1) et quelles sont les mesures éventuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages;

b) si l’ouvrage ou l’entreprise est ou non susceptible d’entraîner l’immersion ou le rejet d’une substance en contravention avec l’article 36 et quelles sont les mesures éventuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages.

(2) Si, après examen des documents et des renseignements reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont fournis la possibilité de lui présenter leurs observations, il est d’avis qu’il y a infraction ou risque d’infraction au paragraphe 35(1) ou à l’article 36, le ministre ou son délégué peut, par arrêté et sous réserve des règlements d’application de l’alinéa (3)b) ou, à défaut avec l’approbation du gouverneur en conseil :

a) soit exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux documents s’y rapportant, qu’il estime nécessaires dans les circonstances;

b) soit restreindre l’exploitation de l’ouvrage ou de l’entreprise.

Il peut en outre, avec l’approbation du gouverneur en conseil dans tous les cas, ordonner la fermeture de l’ouvrage et de l’entreprise pour la période qu’il juge nécessaire en l’occurrence.

Loi sur le ministère de l’Environnement

4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s’étendent d’une façon générale à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés :

a) à la conservation et l’amélioration de la qualité de l’environnement naturel, notamment celle de l’eau, de l’air et du sol;

b) aux ressources naturelles renouvelables, notamment les oiseaux migrateurs et la flore et la faune sauvages en général;

c) aux eaux;

6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la qualité de l’environnement, le ministre peut par arrêté, avec l’approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à l’usage des ministères et organismes fédéraux et, s’il y a lieu, à celui des sociétés d’État énumérées à l’annexe III de la Loi sur la gestion des finances publiques et des organismes de réglementation dans l’exercice de leurs pouvoirs et fonctions.

Décret sur les lignes directrices visant le processus d’évaluation et d’examen en matière d’environnement

2. Les définitions qui suivent s’appliquent aux présentes lignes directrices.

« ministère responsable » Ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l’égard d’une proposition.

« Ministre » Le ministre de l’Environnement.

« proposition » S’entend en outre de toute entreprise ou activité à l’égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions.

3. Le processus est une méthode d’auto-évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible, au cours de l’étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l’égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.

5. (1) Si, indépendamment du processus, le ministère responsable soumet une proposition à un règlement sur l’environnement, il doit veiller à ce que les examens publics ne fassent pas double emploi

(2) Pour éviter la situation de double emploi visée au paragraphe (1), le ministère responsable doit se servir du processus d’examen public comme instrument de travail au cours des premières étapes du développement d’une proposition plutôt que comme mécanisme réglementaire, et rendre les résultats de l’examen public disponibles aux fins des délibérations de nature réglementaire portant sur la proposition.

6. Les présentes lignes directrices s’appliquent aux propositions

b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale;

d) devant être réalisées sur des terres administrées par le gouvernement du Canada, y compris la haute mer.

8. Lorsqu’une commission ou un organisme fédéral ou un organisme de réglementation exerce un pouvoir de réglementation à l’égard d’une proposition, les présentes lignes directrices ne s’appliquent à la commission ou à l’organisme que si aucun obstacle juridique ne l’empêche ou s’il n’en découle pas de chevauchement des responsabilités.

10. (1) Le ministère responsable s’assure que chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l’étendue des effets néfastes qu’elle peut avoir sur l’environnement.

(2) Les décisions qui font suite à l’examen préalable ou à l’évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.

12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l’égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer :

c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l’environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l’application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l’aide de ces mesures, selon le cas;

13. Nonobstant la détermination des effets d’une proposition, faite conformément à l’article 12, le ministère responsable soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d’un examen public par une commission, chaque fois que les préoccupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable.

14. Le ministère responsable voit à la mise en application de mesures d’atténuation et d’indemnisation, s’il est d’avis que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d’une proposition sur l’environnement prennent de l’ampleur.

LE JUGEMENT DE L’INSTANCE INFÉRIEURE

Dans son analyse, le juge des requêtes s’est tout d’abord penché sur la question de savoir si le Décret s’appliquait aux procédures se déroulant devant l’Office des eaux en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord, et il a conclu que c’était le cas. L’Office des eaux n’a pas jugé nécessaire de décider si le Décret s’appliquait à son mandat[4], bien qu’il ait exprimé la crainte [traduction] « qu’il y aurait chevauchement des responsabilités sous le régime de la LEIN et celles que prévoit le Décret si, après l’examen public prescrit par la Loi sur les eaux internes du Nord, une commission devait tenir un autre examen public en application du paragraphe 13 du Décret ». Le juge des requêtes s’est montré d’avis que l’application du Décret au mandat de l’Office n’était pas touchée par le fait que ce dernier, en vertu de l’article 10 de la Loi sur les eaux internes du Nord , doit « veiller à la conservation … des ressources en eau du territoire du Yukon » et, de façon générale, protéger et maintenir les normes de qualité de l’eau. Il a dit aux pages 275 et 276 :

Compte tenu de ces pouvoirs étendus, la question n’est peut-être pas de savoir si le Décret s’applique, mais plutôt de savoir comment il s’applique en pratique. Il est peut-être difficile de voir en quoi le Décret peut aider davantage l’Office des eaux alors que celui-ci est déjà doté de pouvoirs qui lui permettent de s’attaquer au problème de la qualité de l’eau. Cependant, vu la complexité des questions en cause, les pressions publiques sans cesse grandissantes en faveur de la protection de l’environnement et les effets potentiellement dévastateurs qui pourraient résulter de lacunes législatives, la portée des dispositions et les objets visés sont tels qu’à mon avis, l’Office des eaux doit jouir de tous les pouvoirs voulus afin qu’il puisse résoudre les problèmes qui pourraient se présenter. Dans cette optique, nous voyons que le Décret ne fait qu’aider l’Office des eaux à exercer ses fonctions. Son utilité dépendra de la question à résoudre et il se peut que dans bien des cas, il ne soit d’aucune utilité, vu les pouvoirs étendus qui ont été conférés par la Loi sur les eaux internes du Nord. Il s’agit cependant d’une garantie supplémentaire. Je dirais que, sous réserve de l’article 8 du Décret, celui-ci s’applique à l’Office des eaux du territoire du Yukon.

En vertu de l’article 8 du Décret, les lignes directrices ne s’appliquent à un organisme de réglementation qui exerce un pouvoir de réglementation à l’égard d’une proposition « que si aucun obstacle juridique ne l’empêche ou s’il n’en découle pas de chevauchement des responsabilités ».

En l’espèce, l’Office des eaux possédait les rapports d’examen préalable du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et du ministre des Pêches et des Océans. Ces deux rapports traitaient en détail des répercussions environnementales liées à l’utilisation des eaux, y compris les effets à long terme sur l’habitat du poisson et les normes de qualité de l’eau. Les rapports portaient sur toutes les questions que l’Office était chargé d’examiner. Dans ce contexte, si l’Office avait ordonné un examen préalable supplémentaire, il en aurait résulté non seulement une perte de temps et un gaspillage de ressources, mais un véritable chevauchement des responsabilités tout à fait superflu dans ce cas.

Le juge des requêtes estimait également que, compte tenu des pouvoirs, des fonctions et des responsabilités conférés au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien par la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, la Loi sur les eaux internes du Nord, la Loi sur les terres territoriales et le Décret, il possède le pouvoir nécessaire pour exiger le versement d’une garantie supplémentaire comme condition de l’approbation d’un permis, nonobstant les pouvoirs conférés à l’Office des eaux par la Loi sur les eaux internes du Nord, il a dit aux pages 278 et 279 :

Si, comme le suggère la demanderesse, le Décret ne peut s’appliquer à l’Office des eaux et qu’il ne peut pas non plus s’appliquer au ministre parce qu’il est lié par la décision de l’Office des eaux, il s’ensuivrait que toute la protection de l’environnement, en ce qui a trait à l’utilisation des eaux, relèverait uniquement de l’Office des eaux. Puisque les pouvoirs de l’Office d’exiger une forme quelconque de garantie sont limités, le ministre jouit de ce que l’on pourrait appeler un pouvoir supplétif ou permanent d’exiger une garantie supplémentaire en vertu du Décret. Il en résulterait une impasse s’il en était autrement. Si un Ministère responsable, agissant en application de l’alinéa 12c), concluait qu’il y avait lieu d’exiger une garantie supplémentaire, l’Office des eaux serait incapable de donner suite à cette conclusion.

Le juge des requêtes a aussi souligné les restrictions imposées par le paragraphe 13(1) du Règlement sur les eaux internes du nord, et il a conclu qu’il était loisible au ministre d’exiger la garantie supplémentaire comme condition de l’approbation du permis d’utilisation des eaux.

En dernier lieu, le juge des requêtes a conclu que le ministre des Pêches et des Océans était tenu d’appliquer le Décret et que, ce faisant, il pouvait imposer à l’appelante de fournir une garantie supplémentaire. Il a dit à la page 280 :

Je traiterai brièvement cette question. En vertu du paragraphe 35(1), et spécialement en vertu du paragraphe 37(1) et des alinéas 37(2)a) et 37(2)b) de la Loi sur les pêches, le ministre des Pêches et des Océans a le pouvoir légal de restreindre l’exploitation de l’ouvrage ou de l’entreprise, ou d’exiger qu’y soient apportées des modifications lorsque l’ouvrage ou l’entreprise est de nature à entraîner la détérioration, la perturbation ou la destruction nocives de l’habitat du poisson. Ce pouvoir de décision obligeait le ministre à se conformer au Décret sur les lignes directrices. Ce ministère était donc un autre ministère responsable et, en vertu de l’article 9 du Décret sur les lignes directrices, le MPO et le MAINC avaient décidé que ce dernier veillerait à ce que la garantie monétaire exigée ait été fournie.

DISCUSSION

La question litigieuse, telle que l’appelante l’a formulée, peut se partager en trois questions distinctes. Premièrement, le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en décidant que l’Office des eaux était tenu d’appliquer le Décret? Deuxièmement, le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en concluant que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien était une autorité décisionnelle fédérale indépendante, et qu’il pouvait invoquer le Décret pour exiger de l’appelante une garantie supplémentaire comme condition de l’approbation du permis d’utilisation des eaux? Troisièmement, le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en décidant que le ministre des Pêches et des Océans était aussi une autorité décisionnelle fédérale indépendante qui pouvait s’appuyer sur le Décret pour exiger de l’appelante une garantie, en sus de celles exigées par l’Office des eaux et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, ou qu’il pouvait déléguer son pouvoir à ce ministre dans l’exercice de son pouvoir décisionnel en vertu de la Loi sur les pêches?

Il convient de noter à ce stade que depuis que le jugement contesté a été rendu, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la légalité et la constitutionnalité du Décret dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3. Aux pages 37 et 38, le juge La Forest, s’exprimant pour la majorité, a conclu que le Décret « a été validement adopté … et qu’il est de nature impérative ». À la page 37, le juge La Forest décrit l’environnement comme étant « un sujet diffus », et il ajoute que sous réserve des impératifs constitutionnels, « les conséquences éventuelles d’un changement environnemental sur le gagne-pain, la santé et les autres préoccupations sociales d’une collectivité font partie intégrante de la prise de décisions concernant des questions ayant une incidence sur la qualité de l’environnement ».

Le pouvoir de l’Office des eaux de délivrer des permis en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord semble beaucoup moins compréhensif que le pouvoir qu’a le ministre d’approuver des permis. Son principal souci est l’utilisation des eaux, les conséquences de l’exploitation autorisée sur les titulaires des permis et, dans une certaine mesure, sur la qualité des eaux. Ce mandat ne semble pas comprendre la responsabilité de déterminer l’incidence de l’entreprise de l’appelante sur les intervenants, responsabilité dévolue au ministre lui-même en sa qualité d’ultime preneur de décision. Le Décret ajoute cette responsabilité au pouvoir que possède par ailleurs le ministre. Voir l’arrêt Oldman River, précité, les motifs du juge La Forest, aux pages 39 et 40. À mon sens, le pouvoir conféré au ministre par ce paragraphe est d’une importance transcendantale car, en dernière analyse, il est libre d’accepter ou de refuser d’approuver le permis d’utilisation des eaux et, en prenant sa décision, il n’est nullement entravé par la décision de l’Office des eaux.

Je conviens, comme l’a souligné l’appelante dans sa plaidoirie, que la réponse à la première question perdra tout intérêt pratique à la suite des réponses apportées aux autres questions. Néanmoins, en raison de mon analyse des dispositions législatives applicables, je ne serais pas disposé à dire que, strictement parlant, l’Office des eaux était tenu d’appliquer le Décret. En rendant sa décision le 12 septembre 1990, l’Office des eaux devait remplir son propre mandat législatif, tel qu’il lui était conféré par la Loi sur les eaux internes du Nord. Bien que cette Loi autorise l’Office des eaux à délivrer des permis, il ne peut le faire qu’« avec l’approbation du ministre », qui devient alors l’ultime preneur de décision. On a dit clairement dans l’arrêt Oldman River, précité, qu’une fois établi qu’il appartient au gouvernement fédéral de prendre la décision à l’égard d’une « proposition », l’application du Décret relève du « ministère responsable ». En tirant cette décision, le juge La Forest a fait sienne l’analyse suivante du juge Décary, J.C.A., dans l’arrêt Angus c. Canada , [1990] 3 C.F. 410 (C.A.), à la page 434 :

Le juge de première instance et les intimés ont mis l’accent sur les mots « ministère responsable » qui ont trait à l’administration des Lignes directrices. Je mettrai plutôt l’accent sur les mots « proposition » et « gouvernement du Canada » qui ont trait au « champ d’application » des Lignes directrices. Rien n’exige dans la définition du mot « proposition » que celle-ci soit faite par un ministère responsable, au sens des Lignes directrices. L’intention du rédacteur semble être que les Lignes directrices doivent s’appliquer chaque fois qu’une activité peut avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale et quel que soit le preneur de décision au nom du gouvernement, qu’il s’agisse d’un ministère, d’un ministre ou du gouverneur en conseil, et cela devient alors une question purement pratique, lorsque le preneur de décision ultime n’est pas un ministère, de déterminer quel ministère ou ministre est le preneur de décision originel ou celui qui va effectivement mettre la décision à exécution, car il se trouve toujours un ministère ou un ministre qui est présent « à l’étape de planification » et « avant » que ne soient prises « des décisions irrévocables » ou qui voit à la « réalisation directe » de la proposition.

À mon sens, l’Office des eaux n’était pas tenu d’appliquer le Décret pour la simple raison que la décision finale à l’égard du permis d’utilisation des eaux recherché par le projet Vangorda ne relevait pas de lui. En effet, le preneur de décision était le ministre, qui se trouvait être la seule personne chargée par la Loi d’approuver le permis, formalité essentielle à la validité de celui-ci.

Avant de répondre aux autres questions, il sera utile de faire une brève analyse de la Loi sur les eaux internes du Nord relativement à la délivrance des permis d’utilisation des eaux. L’Office des eaux a pour mission, conformément à l’article 10, « de veiller à la conservation, à la mise en valeur et à l’utilisation rationnelle des ressources en eau du territoire du Yukon … d’une façon qui permette aux Canadiens en général et aux résidents du territoire du Yukon … en particulier d’en retirer le maximum de profits ». En vertu du paragraphe 11(1), l’Office des eaux est habilité à délivrer des permis autorisant ceux qui en font la demande « à utiliser les eaux pour l’exploitation d’une entreprise déterminée indiquée dans le permis »; avant de délivrer un permis, l’Office des eaux doit être convaincu, conformément au paragraphe 11(2), que l’utilisation des eaux projetée ne nuira pas à l’utilisation des eaux par les autres titulaires de permis, qu’une indemnisation appropriée a été ou sera payée par le demandeur à d’autres titulaires de permis, que les déchets produits par l’entreprise projetée seront traités et éliminés de façon appropriée, et que la responsabilité financière du demandeur est suffisante eu égard à l’entreprise; l’Office des eaux peut, en vertu du paragraphe 12(1), assortir le permis qu’il délivre des conditions qu’il considère appropriées; il a en outre le pouvoir, en vertu du paragraphe 13(2), d’obtenir des renseignements relatifs à « l’utilisation des eaux »; l’Office est aussi autorisé [en vertu du paragraphe 13(3)] à exiger du demandeur d’un permis qu’il « fournisse une garantie … pour la protection des titulaires de permis et des propriétaires et occupants de biens qui sont susceptibles, de l’avis de l’Office, d’être lésés par l’attribution du permis ». En vertu de l’article 23, la décision de l’Office des eaux est définitive et sans appel « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente loi ». Bien que l’Office des eaux ait la responsabilité première d’étudier les demandes de permis d’utilisation des eaux et que ses pouvoirs d’enquête soient vastes, aucun permis ne peut être validement délivré, en application du paragraphe 11(1), sans l’approbation du ministre.

J’en arrive maintenant à la seconde question. L’appelante prétend que la Loi sur les eaux internes du Nord et ses règlements d’application constituent une loi environnementale [traduction] « d’objet particulier » qui établit un code général et exhaustif régissant les modalités applicables à la délivrance d’un permis d’utilisation des eaux et la garantie que le titulaire du permis peut être tenu de donner. Les pouvoirs du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en vertu de l’article 4 de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien , et ceux du ministre des Pêches et des Océans en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, par contre, ne s’étendent qu’aux « domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés ». L’appelante s’appuie sur cette disposition pour affirmer que ni l’un ni l’autre des ministres en question a été investi du pouvoir de délivrer des permis d’utilisation des eaux ou d’assortir ces derniers de conditions, ce pouvoir ayant été expressément attribué à l’Office des eaux en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord . Par conséquent, ni l’un ni l’autre des ministres ne pouvait demander des garanties supplémentaires. Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Certes, il est exact que le Parlement a conféré à l’Office des eaux le pouvoir de délivrer des permis d’utilisation des eaux et d’assortir ces derniers de conditions, mais ce pouvoir est restreint en ce sens que pour être valide, le permis doit être approuvé par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien conformément au paragraphe 11(1) de la Loi qui vient d’être mentionnée.

À mon sens, il faut répondre à cette question par la négative. Il me semble que par l’action combinée des articles 3 et 6 du Décret, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, en sa qualité de « ministère responsable », était tenu de rechercher si une proposition « pouva[i]t avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale » ou « deva[i]t être réalisée sur des terres administrées par le gouvernement du Canada ». L’article 2 définit le « [m]inistère responsable » comme étant le « ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l’égard d’une proposition ». Le projet Vangorda était une « proposition » « pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale », et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien était celui qui décidait réellement si le permis d’utilisation des eaux devait être approuvé. L’application du Décret se trouvait ainsi déclenchée. En vertu de l’article 4 de la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien , le ministre susmentionné était responsable de « tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d’autres ministères ou organismes fédéraux et liés : a ) aux affaires indiennes; b) au territoire du Yukon … ainsi qu’à leurs affaires et à leurs ressources naturelles ». À mon avis, cela imposait au ministre l’obligation d’étudier les répercussions du projet Vangorda sur les Indiens et sur la faune du territoire du Yukon. Il s’ensuit que le ministre avait le droit de se fonder sur le Décret pour exiger une garantie supplémentaire comme condition de son approbation du permis d’utilisation des eaux.

Je ne suis pas non plus convaincu que le fait, pour le ministre, de se conformer au Décret, constituerait un double emploi de l’examen des répercussions environnementales. Il est exact que le Décret vise à éviter le double emploi de l’évaluation environnementale à l’égard d’une même proposition. Selon l’article 5, le double emploi des examens publics doit être évité lorsque « indépendamment du processus, le ministère responsable soumet une proposition à un règlement sur l’environnement ». Aux termes de l’article 8, le Décret ne s’applique à une commission ou à un organisme fédéral ou à un organisme de réglementation exerçant un pouvoir de réglementation à l’égard d’une proposition que « si aucun obstacle juridique ne l’empêche ou s’il n’en découle pas de chevauchement des responsabilités ». En l’espèce, l’article 5 ne peut s’appliquer parce que le projet Vangorda n’est pas parvenu à l’étape de l’examen public prévu aux articles 3 ou 13 du Décret. Le ministre, semble-t-il, était convaincu conformément à l’alinéa 12c), qu’aucun examen public n’était nécessaire parce que les effets sur l’environnement étaient minimes ou pouvaient être atténués par l’application de mesures techniques connues. Je ne puis non plus voir comment l’article 8 pourrait s’appliquer puisque l’Office des eaux n’était pas tenu de procéder à une évaluation environnementale conformément au Décret.

J’estime aussi que la compétence qu’a le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de décider s’il y a lieu d’accorder un bail de surface en vertu de l’article 8 de la Loi sur les terres territoriales et de l’article 12 du Règlement sur les terres territoriales n’était pas écartée par la Loi sur les eaux internes du Nord. Il me semble que cela aussi était une « proposition » ou, tout au moins, faisait partie de l’entreprise projetée de l’appelante, car sans bail de surface, il ne pouvait tout simplement pas être donné suite au projet Vangorda. En qualité de « ministère responsable »[5] en vertu du Décret, le ministre était tenu de soumettre la « proposition » à un examen préalable ou à une évaluation initiale pour déterminer si elle pouvait avoir des effets néfastes sur l’environnement. Le Rapport d’examen préalable du 20 juillet 1990 s’est fait l’interprète de préoccupations à l’égard des répercussions de la proposition sur la faune, et on y trouve cette recommandation :

[traduction] Lorsque l’on étudie l’opportunité de l’octroi d’un bail de surface à l’égard de ce projet, les mesures d’atténuation relatives à l’usage des terres, y compris celles qui visent la faune, doivent être incluses dans les modalités du bail.

Le projet Vangorda doit être réalisé « sur des terres administrées par le gouvernement du Canada » conformément à l’alinéa 6d ) du Décret. La demande de bail de surface a déclenché encore l’application du Décret. À mon sens, en raison des préoccupations à l’égard de la faune des terres concernées, la compétence qu’a le ministre d’exiger une garantie supplémentaire à cet égard aussi ne se trouvait pas écartée par la Loi sur les eaux internes du Nord.

J’en arrive finalement à la troisième question. Elle consiste à savoir si le ministre des Pêches et des Océans a eu raison de se considérer comme un preneur de décision fédéral indépendant, ayant le droit de s’appuyer sur le Décret pour exiger que l’appelante fournisse une garantie supplémentaire. Cette attitude peut fort bien avoir été influencée par l’opinion exprimée par cette Cour dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1990] 2 C.F. 18, aux pages 42 à 48, selon laquelle le ministre des Pêches et des Océans devait être considéré comme « exerç[ant] le pouvoir de décision » à l’égard d’une « proposition » au sens donné à ce mot dans le Décret, lorsqu’il a rejeté la requête qui lui était faite de demander des renseignements en application du paragraphe 37(1) de la Loi sur les pêches .

Dans l’arrêt Oldman River, précité, la Cour suprême du Canada a exprimé son désaccord avec ce point de vue. Le juge La Forest a statué, à la page 47, qu’en vertu du Décret, il devait y avoir « une obligation positive de réglementation pour que le gouvernement du Canada “participe à la prise de décisions” ». Cela ressort clairement des motifs du juge La Forest, aux pages 48 et 49, lorsqu’il a dit ce qui suit :

La Loi sur les pêches ne renferme cependant pas de disposition de réglementation équivalente qui serait applicable au projet. L’article 35 interdit d’exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l’habitat du poisson, et l’art. 40 assortit cette interdiction d’une sanction pénale. En vertu du par. 37(1), le ministre des Pêches et des Océans peut demander des renseignements à quiconque exploite ou se propose d’exploiter des ouvrages ou entreprises de nature à entraîner la détérioration, la perturbation ou la destruction de l’habitat du poisson. Toutefois, cette demande n’a pas pour objet la mise en œuvre d’une procédure de réglementation; elle aide simplement le ministre à exercer le pouvoir législatif spécial, qui lui a été délégué en vertu du par. 37(2), d’autoriser une exception à l’interdiction générale.

Plus loin, aux pages 49 et 50, le juge a ajouté ce qui suit :

À mon avis, le fait que le ministre possède le pouvoir discrétionnaire de demander des renseignements visant à l’aider dans l’exercice d’une fonction législative ne signifie pas qu’il participe à la prise de décisions au sens du Décret sur les lignes directrices. Alors que le ministre des Transports a une responsabilité en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables à titre d’autorité réglementante, le ministre des Pêches et des Océans a, en vertu de l’art. 37 de la Loi sur les pêches, un pouvoir législatif spécial limité qui ne constitue pas une obligation positive de réglementation. Pour ce motif, je ne crois pas que la demande de bref de mandamus visant à forcer le ministre à agir soit bien fondée.

Le juge La Forest établit une distinction entre l’exécution d’une obligation positive de réglementation et l’exercice d’une fonction législative. Seulement dans le premier cas un ministère exercerait-il un pouvoir de décision en vertu du Décret. Bien que dans cette affaire, on ait conclu qu’un tel devoir incombait au ministre des Transports, lequel pouvait accorder ou refuser un permis de construction de barrage sur les eaux navigables en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22, aucune obligation de ce genre n’était imposée au ministre des Pêches et des Océans en vertu de l’article 37 de la Loi sur les pêches. Dans l’arrêt Conseil de la tribu Carrier-Sekani c. Canada (Ministre de l’Environnement), [1992] 3 C.F. 316 (C.A.), le juge Marceau, J.C.A., a fait, à la page 338, les observations suivantes sur la portée de l’opinion du juge La Forest :

Je ne pense pas que le juge La Forest ait jamais vu dans le pouvoir discrétionnaire du ministre des Pêches et des Océans de demander des renseignements conformément à l’article 37, l’exercice effectif des pouvoirs qu’il tient du paragraphe 37(2) pour imposer des modifications, adjonctions ou restrictions à l’ouvrage ou à l’entreprise.

Il y a lieu de noter que le juge La Forest traitait de la décision du ministre de ne pas demander des renseignements en application du paragraphe 37(1) de la Loi sur les pêches, décision qu’il considérait entièrement discrétionnaire. Néanmoins, il me semble bien que le principe général établi par le juge La Forest dans l’arrêt Oldman River, précité, impose la conclusion que conformément au paragraphe 37(2) de la Loi sur les pêches, le ministre des Pêches et des Océans exerçait une fonction législative plutôt qu’il n’exécutait une obligation positive de réglementation et, conséquemment, en l’espèce, il ne pouvait pas exiger la garantie supplémentaire. Le ministère des Pêches et des Océans n’exerçait pas « le pouvoir de décision » à l’égard d’une « proposition » prévu dans le Décret.

DISPOSITIF

J’accueillerais l’appel en partie en répondant par l’affirmative à la question soumise à la Cour en ce qui concerne la Couronne du chef du Canada représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et par la négative en ce qui concerne la Couronne du chef du Canada représentée par le ministre des Pêches et des Océans. Comme l’appelante n’a gain de cause qu’en partie, je n’adjugerais pas de dépens ni dans cet appel, ni en Section de première instance.

Le juge en chef Isaac : Je souscris à ces motifs.

Le juge suppléant Craig : Je souscris à ces motifs.



[1] Voici le libellé de la Règle 474(1) :

Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge opportun de le faire,

a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour la décision d’une question, ou

b) statuer sur un point afférent à l’admissibilité d’une preuve (notamment d’un document ou d’une autre pièce justificative),

et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de l’action sous réserve de modification en appel.

[2] Le « Screening Report » du 20 juillet 1990 du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

[3] L’Office des eaux, à la p. 2 de sa décision, a motivé comme suit cette condition :

[traduction] Après avoir étudié les pièces déposées et les éléments de preuve qui lui ont été présentés au cours de l’audition, l’Office estime que les propriétaires et les occupants des biens sont susceptibles d’être lésés par l’attribution du permis au demandeur. Après avoir tiré cette conclusion conformément au paragraphe 13(3) de la Loi, l’Office peut exiger du titulaire du permis de fournir une garantie monétaire qui ne doit pas être supérieure à 10 pour cent du montant des immobilisations exigées pour l’exécution des travaux.

Étant donné que la Loi est une mesure législative environnementale visant à protéger le public en général, et vu l’obligation faite à l’Office à l’article 10 de la Loi, la définition du mot travaux devrait recevoir une large interprétation. Par conséquent, en calculant la garantie, l’Office a repoussé la proposition selon laquelle il devrait tenir compte de l’argent déjà dépensé, et il a convenu que les calculs devraient se fonder sur les chiffres obtenus lorsqu’une partie autre que Curragh exécute les travaux. L’Office rejette en outre la recommandation voulant que les frais engagés après l’abandon du projet liés à l’exploitation des installations de traitement des eaux pourraient entrer dans la définition de l’expression travaux d’immobilisations. En se fondant sur ces paramètres, la garantie versée devrait s’élever à 943 700 $.

[4] À la p. 12 de sa décision, l’Office des eaux a dit ce qui suit :

[traduction] L’Office conclut qu’il n’est pas un ministère responsable au sens du Décret puisqu’il n’est pas un ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l’égard d’une proposition. La Commission reconnaît que le ministère responsable du rapport d’examen préalable établi en application du Décret est, en fait, le MAINC.

Malgré ce qui précède, l’Office est d’avis qu’il a tenu compte des recommandations de fond contenues dans le Décret dans la mesure où l’exigeait son mandat pour la délivrance du présent permis, si bien qu’il n’est pas nécessaire de répondre, dans les présents motifs, à la question de savoir si le Décret s’applique ou non.

[5] J’ai traité le ministre, en sa qualité de responsable du Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, de « ministère responsable ». Voir l’arrêt Oldman River, précité, à la p. 48, où le juge La Forest a considéré le ministre des Transports comme étant le « ministère responsable » à l’égard d’une « proposition » particulière.

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