Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A‑580‑05

2006 CAF 265

Shaun Joshua Deacon (appelant)

c.

Le procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Deacon c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Décary, Linden et Sharlow, J.C.A.—Vancouver, 26 juin; Ottawa, 26 juillet 2006.

Libération conditionnelle — Appel d’un jugement de la Cour fédérale rejetant une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui a confirmé les conditions (notamment celle relative au traitement médical) de l’ordonnance de surveillance de longue durée de l’appelant — Celui‑ci était considéré être un pédophile homosexuel et il a été déclaré délinquant à contrôler en application de l’art. 753.1(1) du Code criminel — Le pouvoir légal de la Commission d’imposer aux délinquants à contrôler des conditions est conféré par l’art. 753.2(1) du Code criminel et l’art. 134.1(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) — La Loi ne confère pas expressément à la Commission le pouvoir d’imposer des conditions en matière de traitement médical — Les ordonnances de surveillance de longue durée ont deux objets principaux : protéger la société et favoriser la réinsertion sociale des délinquants à contrôler — La Commission n’ordonnait pas l’administration forcée de médicaments à l’appelant — La condition en cause entre dans les pouvoirs de la Commission en vertu de l’art. 134.1(2) de la Loi — Appel rejeté.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Il s’agissait de savoir si la condition de l’ordonnance de surveillance de longue durée obligeant l’appelant à prendre les médicaments prescrits par un médecin constituait une atteinte aux droits garantis par l’art. 7 de la Charte — Aucun principe de justice fondamentale n’indique que l’autorisation du législateur est requise pour imposer un traitement médical — L’atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne par l’imposition d’un traitement médical doit avoir lieu dans le cadre d’une loi qui autorise cette atteinte, et cette loi doit être raisonnable — Le texte en cause, soit l’art. 134.1(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, répond à la norme constitutionnelle selon laquelle il doit être raisonnable — La condition en cause s’accordait avec la norme constitutionnelle d’après laquelle un texte législatif doit être raisonnable pour être conforme aux principes de justice fondamentale — Le droit absolu de refuser en toute circonstance un traitement médical non souhaité ne constitue pas un principe de justice fondamentale en vertu de l’art. 7 — La condition relative au traitement médical en cause est conforme aux principes de justice fondamentale et ne porte pas atteinte aux droits garantis par l’art. 7 de la Charte.

Interprétation des lois — Le champ du pouvoir de la Commission nationale des libérations conditionnelles d’imposer des conditions aux délinquants à contrôler est exposé à l’art. 134.1(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition — L’interprétation de l’art. 134.1(2) doit débuter par une analyse de l’objet et de la raison d’être de l’ordonnance de surveillance de longue durée — Le principe d’interprétation des lois selon lequel la Loi, en cas d’ambiguïté, doit être interprétée en faveur du délinquant est quelque peu modifié dans le contexte pénal d’une mise en liberté sous condition — L’interprétation de l’art. 134.1(2) de telle sorte que la Commission soit habilitée à imposer dans les cas qui le requièrent une condition portant sur le traitement médical fera en sorte que l’accusé aura l’avantage de pouvoir choisir parmi plusieurs traitements, ce qui fait en sorte que le délinquant peut obtenir la sanction la moins restrictive possible, compte tenu de la protection du public — L’absence dans l’art. 134.1(2) d’une attribution explicite du pouvoir d’imposer des conditions touchant le traitement médical n’empêche pas la Commission d’imposer de telles conditions.

Il s’agissait d’un appel d’un jugement de la Cour fédérale rejetant une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui a confirmé toutes les conditions de l’ordonnance de surveillance de longue durée de l’appelant. Celui‑ci était considéré par les experts comme un pédophile homosexuel et il avait commis de nombreuses infractions sexuelles contre des enfants. Il a été déclaré délinquant à contrôler en application du paragraphe 753.1(1) du Code criminel. Il a été mis en liberté sous surveillance de longue durée pour la première fois le 2 août 2001; il a été frappé d’une ordonnance lui interdisant de s’approcher d’enfants de moins de 16 ans et l’obligeant à vivre dans un établissement résidentiel communautaire donné. L’appelant a été déclaré coupable de transgression de l’ordonnance de surveillance de longue durée, puis condamné à deux ans d’emprisonnement. Dans sa décision pré‑libératoire du 22 octobre 2004, la Commission a établi de nouvelles conditions pour la surveillance de longue durée de l’appelant. Celui‑ci a contesté la condition de l’ordonnance de surveillance de longue durée prononcée contre lui, qui l’oblige à « prendre les médicaments prescrits par un médecin » pour enrayer ses pulsions déviantes, et a demandé que cette condition soit supprimée. Le juge de première instance est arrivé à la conclusion que le pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) comprend le pouvoir d’imposer, dans une ordonnance de surveillance de longue durée, une condition en matière de traitement médical si la Commission estime qu’une telle condition est raisonnable. Deux questions ont été soulevées dans le cadre de l’appel, notamment celles de savoir : 1) si la Commission nationale des libérations conditionnelles a le pouvoir légal d’imposer, à un délinquant à contrôler soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée après l’expiration de son mandat de dépôt, une condition spéciale l’obligeant à prendre les médicaments prescrits par un médecin; 2) si la condition spéciale obligeant l’appelant à prendre les médicaments prescrits par un médecin constituait une atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) Le champ du pouvoir de la Commission d’imposer des conditions aux délinquants à contrôler est exposé au paragraphe 134.1(2) de la Loi, qui est libellé de la façon suivante : « La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ». Le législateur voulait conférer à la Commission un vaste pouvoir de fixer les conditions de la surveillance de longue durée de délinquants tels que l’appelant. Cependant, le texte de loi ne confère pas expressément à la Commission le pouvoir d’imposer des conditions en matière de traitement médical. L’interprétation du paragraphe 134.1(2) a débuté par une analyse de l’objet et de la raison d’être de l’ordonnance de surveillance de longue durée dont il est question dans la Loi et dans la partie XXIV du Code criminel. L’objet des dispositions relatives aux délinquants à contrôler est clair. Un délinquant dont la conduite n’est pas « pathologiquement irréductible », en ce sens que l’on peut raisonnablement espérer que le délinquant arrivera éventuellement à un stade où, bien que ne pouvant être éliminé, le risque qu’il présente pourra être maîtrisé dans la collectivité, remplira dès lors les conditions du statut de délinquant à contrôler. Les ordonnances de surveillance de longue durée ont donc deux objets principaux : d’abord, protéger la société et, ensuite, favoriser la réinsertion sociale des délinquants à contrôler, lorsque cela est possible, en leur accordant une mise en liberté aux conditions les moins restrictives, compte tenu de la protection de la société. Si l’on veut que ces objets soient atteints, la Commission doit être investie du pouvoir d’imposer, dans les cas qui le requièrent, l’obligation de suivre un traitement médical. De telles conditions, lorsqu’elles sont nécessaires pour réduire le risque de récidive que présente un délinquant, entrent dans le pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) d’imposer des conditions « raisonnables et nécessaires ».

Le principe d’interprétation des lois selon lequel la Loi, en cas d’ambiguïté, doit être interprétée en faveur du délinquant est quelque peu modifié dans le contexte pénal d’une mise en liberté sous condition. Toute ambiguïté quant à la protection de la société jouera, d’emblée, en faveur de l’intérêt public. Interpréter le paragraphe 134.1(2) de telle sorte que la Commission soit habilitée à imposer dans les cas qui le requièrent une condition portant sur le traitement médical fera en sorte que l’accusé aura l’avantage de pouvoir choisir parmi plusieurs traitements. L’aptitude de la Commission à considérer les divers traitements possibles fait que, à chaque étape du processus de détermination de la peine, le délinquant pourra obtenir la sanction la moins restrictive possible, compte tenu de la protection du public. Contrairement à ce qu’affirmait l’appelant, l’absence dans le paragraphe 134.1(2) d’une attribution explicite du pouvoir d’imposer des conditions touchant le traitement médical n’empêche pas la Commission d’imposer de telles conditions. La Commission n’ordonnait pas l’administration forcée de médicaments à l’appelant. Il n’était donc pas porté atteinte au droit de common law de refuser un traitement médical. Pour remplir le double mandat dont elle est chargée en vertu des dispositions relatives aux délinquants à contrôler, la Commission doit pouvoir considérer toutes les conditions légitimes qui seraient raisonnablement susceptibles de rendre éventuellement gérable dans la collectivité le risque qu’il présente. L’appelant pourrait choisir de ne pas prendre ses médicaments, mais il choisit par là de subir les conséquences qui découlent de cette décision, vu son statut de délinquant à contrôler. Le juge de première instance a eu raison de dire que la condition en cause relève de la compétence de la Commission selon le paragraphe 134.1(2) de la Loi.

2) L’approche en trois étapes qui permet de déterminer s’il y a eu atteinte à l’article 7 de la Charte a été exposée par la Cour suprême du Canada. Le fait d’obliger l’appelant à prendre des médicaments sous peine de réincarcération constitue une violation du droit à la « liberté » et à la « sécurité de sa personne », ce qui satisfait à la première étape de l’analyse. La deuxième étape consiste à identifier les principes de justice fondamentale pertinents. D’abord, l’appelant a soutenu que la condition spéciale de l’ordonnance de surveillance de longue durée le concernant, qui l’oblige à prendre les médicaments prescrits par un médecin, contrevient au principe selon lequel un traitement médical doit être expressément autorisé par un texte de loi. Même si l’État ne peut pas, sans l’autorisation du législateur, imposer à une personne un traitement médical sans son consentement, il n’existe aucun principe de justice fondamentale disant que telle autorisation doit résulter d’une disposition légale. Cette conclusion est confirmée par le triple critère applicable aux principes de justice fondamentale, que la Cour suprême du Canada a exposé dans l’arrêt R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, par la jurisprudence sur l’article 7 de la Charte concernant les atteintes à l’intégrité corporelle, et par la jurisprudence sur l’article 8 de la Charte concernant les fouilles et perquisitions. Comme on peut le lire dans l’arrêt Malmo‑Levine, un principe de justice fondamentale doit répondre à trois critères : il doit s’agir d’un principe juridique, il doit exister un consensus substantiel dans la société sur le fait que ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit pouvoir être défini avec précision et être appliqué à des situations de manière qui produise des résultats prévisibles. Le principe proposé par l’appelant pourrait répondre aux premier et troisième critères. Toutefois, le second critère n’a pas été rempli puisqu’il n’y a pas de « consensus substantiel dans la société » sur le fait que l’autorisation explicite du législateur pour l’application d’un traitement médical est essentielle au bon fonctionnement du système de justice. Une autorisation générale conférée par un texte législatif raisonnable suffit à respecter les principes de justice fondamentale.

La règle selon laquelle un texte autorisant une fouille doit être raisonnable en application de l’article 8 peut être appliquée aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7. L’atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne par l’imposition d’un traitement médical doit, si l’on veut qu’elle soit conforme aux principes de justice fondamentale, avoir lieu dans le cadre d’une loi qui autorise cette atteinte, et cette loi doit être elle‑même raisonnable. Pour être raisonnable cependant, il n’est pas nécessaire que la loi en question prenne la forme d’une autorisation explicite du législateur. Le texte qui est en cause en l’espèce, à savoir le paragraphe 134.1(2) de la Loi et ses procédures accessoires établies par le paragraphe 134.1(4), répondait à la norme constitutionnelle selon laquelle il doit être raisonnable. Le pouvoir de la Commission de fixer des conditions est limité, par les mots du paragraphe 134.1(2) de la Loi, aux conditions « raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ». Cette limite fait en sorte que, dans le contexte du régime des délinquants à contrôler, le juste équilibre sera atteint entre la nécessité de protéger le public et le droit du délinquant d’obtenir sa mise en liberté aux conditions les moins restrictives, compte tenu de la protection de la société. Le texte du paragraphe 134.1(2) limite aussi la condition précise de traitement médical qui est en cause en l’espèce. Une gamme étendue de protections procédurales a été offerte à l’appelant pour garantir le respect de cette limite. Vu ces protections procédurales, et vu le contexte spécial et l’objet particulier du régime des délinquants à contrôler, la condition en cause s’accordait avec la norme constitutionnelle d’après laquelle le texte législatif doit être raisonnable pour être conforme aux principes de justice fondamentale. Une autorisation explicite du législateur concernant l’imposition d’un traitement médical n’est pas requise par les principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte.

L’appelant dit aussi qu’il est un principe de justice fondamentale selon lequel tout adulte capable a le droit de refuser un traitement médical. Cette règle ne satisfait pas elle non plus à la deuxième branche du critère établi dans Malmo‑Levine auquel est subordonnée l’existence d’un principe de justice fondamentale. Il n’existe aucun consensus social substantiel en faveur d’une règle absolue établissant le droit de refuser dans tous les cas un traitement médical, et un tel principe n’est pas jugé primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société. Le droit d’un adulte capable de refuser un traitement médical dont il ne veut pas est clairement un droit fondamental pour la dignité et l’autonomie d’une personne. Cependant, le respect pour la dignité et l’autonomie d’une personne n’est pas lui‑même un principe de justice fondamentale. Le droit de refuser un traitement médical, bien que sans doute accepté comme règle générale, est également reconnu comme un droit proprement soumis, dans certains contextes, à des limites. Les précédents cités par l’appelant n’attestaient pas un droit constitutionnel illimité de refuser un traitement médical. La condition qui, dans l’ordonnance de surveillance de longue durée de l’appelant, l’oblige à prendre les médicaments prescrits par un médecin, condition imposée par la Commission sans le consentement de l’appelant, ne contrevenait pas aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte. Un droit absolu de refuser en toute circonstance un traitement médical non souhaité ne constitue pas un principe de justice fondamentale selon l’article 7.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 7, 8.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, partie XX.1 (édicté par L.C. 1991, ch. 43, art. 4), partie XXIV, art. 732.1(3)h) (édicté par L.C. 1995, ch. 22, art. 6), 737(2), 753.1(1) (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4), 753.2(1) (édicté, idem), 753.3 (édicté, idem).

Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé, L.O. 1996, ch. 2, ann. A.

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 4e), 99.1 (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 18), 100, 101, 134.1(2) (édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 30), (4) (édicté, idem), 135.1 (édicté, idem, art. 33).

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, art. 161.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Normandin c. Canada (Procureur général), [2005] 2 R.C.F. 373; 2005 CF 1404; conf. par [2006] 2 R.C.F. 112; 2005 CAF 345; Rooke c. Canada, 2002 CAF 393; Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317; 2002 CAF 384; R. v. Payne (2001), 41 C.R. (5th) 156 (C.S.J. Ont.); R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417; R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571; 2003 CSC 74.

décisions différenciées :

Fleming v. Reid (1991), 4 O.R. (3d) 74; 82 D.L.R. (4th) 298; 48 O.A.C. 46 (C.A.); Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722; 2003 CSC 32; R. v. Kieling (1991), 92 Sask. R. 281; 64 C.C.C. (3d) 124 (C.A.).

décisions examinées :

Mazzei c. Colombie‑Britannique (Directeur des Adult Forensic Psychiatric Services), [2006] 1 R.C.S. 326; 2006 CSC 7; R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357; 2003 CSC 46; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76; 2004 CSC 4; Regina v. Rogers (1990), 61 C.C.C. (3d) 481; 2 C.R. (4th) 192 (C.A.C.-B.); Jackson c. Pénitencier de Joyceville, [1990] 3 C.F. 55 (1re inst.); Dion c. Procureur général du Canada, [1986] R.J.Q. 2196 (C.S. Qué.).

décisions citées :

R. v. S.J.D. (2004), 193 B.C.A.C. 228; 182 C.C.C. (3d) 257; 2004 BCCA 78; confirmant [2002] B.C.J. no 2745 (C.P.) (QL); Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; R. v. Goodwin (2002), 173 B.C.A.C. 35; 168 C.C.C. (3d) 14; 2002 BCCA 513; Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489; 2004 CSC 46; R. v. J.J.L. (2001), 153 Man. R. (2d) 153; 152 C.C.C. (3d) 572; 82 C.R.R. (2d) 179; 2001 MBCA 21; R. v. Shoker (2004), 206 B.C.A.C. 266; 192 C.C.C. (3d) 176; 26 C.R. (6th) 97; 126 C.R.R. (2d) 149; 2004 BCCA 643; R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158; R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607; 185 R.N.‑B. (2e) 1; R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679; 2001 CSC 83; Rodriguez c. Colombie‑ Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519.

APPEL d’un jugement ([2006] 2 R.C.F. 736; 2005 CF 1489) de la Cour fédérale rejetant une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui a confirmé toutes les conditions de l’ordonnance de surveillance de longue durée de l’appelant, y compris l’obligation de prendre les médicaments prescrits par un médecin. Appel rejeté.

ont comparu :

Garth Barriere pour l’appelant.

S. David Frankel, c.r., et Graham Stark pour l’intimé.

avocats inscrits au dossier :

Garth Barriere, Vancouver, pour l’appelant.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. :

I. Introduction

[1]Le présent appel concerne le pouvoir de la Commission nationale des libérations conditionnelles, dans le cas des délinquants à contrôler, d’imposer au délinquant, sans son consentement, l’obligation de prendre des médicaments comme condition de sa mise en liberté. Si la Commission a ce pouvoir, alors la Cour doit se demander si une telle condition respecte les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].

[2]Shaun Joshua Deacon fait appel d’un jugement rendu par la Cour fédérale le 4 novembre 2005 (référence : ([2006] 2 R.C.F. 736), qui rejetait sa demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission), en date du 8 février 2005, laquelle avait confirmé toutes les conditions de l’ordonnance de surveillance de longue durée de l’appelant.

[3]L’appelant conteste la condition de l’ordonnance de surveillance de longue durée prononcée contre lui, qui l’oblige à « prendre les médicaments prescrits par un médecin ». La médication prescrite par les médecins de l’appelant est une thérapie psycho‑pharmacologique destinée à venir à bout de ses fantasmes, pulsions et comportements sexuels, de son état de stress post‑ traumatique et de son anxiété. Plus exactement, ce qui a été prescrit à l’appelant est une médication anti‑ androgène, parfois appelée, symboliquement, « castration chimique ».

[4]Pour les motifs qui suivent, nous arrivons à la conclusion que la condition contestée par l’appelant dans la présente affaire entre dans les pouvoirs de la Commission. Nous disons aussi que, même si la condition contestée met en jeu les droits fondamentaux de l’appelant à la liberté et à la sécurité de sa personne, la limite apportée à ces droits s’accorde avec les principes de justice fondamentale et ne contrevient donc pas à l’article 7 de la Charte. Nous sommes d’avis, par conséquent, de rejeter l’appel.

II. Les faits

[5]L’appelant, considéré par les experts comme un pédophile homosexuel, a commis de nombreuses infractions sexuelles contre des enfants. Ses antécédents criminels sont exposés d’une manière assez détaillée par la Cour d’appel de Colombie‑Britannique dans l’arrêt [sub nom.] R. v. S.J.D. (2004), 193 B.C.A.C. 228, aux paragraphes 4 à 14. Aux fins du présent appel, il suffit de noter que les infractions commises par l’appelant suivent un schéma prévisible, qui consiste pour l’appelant à gagner l’affection et la confiance d’enfants, pour ensuite abuser d’eux sexuellement.

[6]L’appelant a été déclaré délinquant à contrôler, en application du paragraphe 753.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46], le 4 août 1998. Les infractions qui sont à l’origine de cette déclaration, et qui furent commises sur un garçon de 11 ans, ont eu lieu alors que l’appelant était en probation après avoir purgé une peine de deux ans pour une infraction antérieure de contacts sexuels avec un enfant. L’appelant a été condamné à trois ans d’emprisonnement pour ces infractions, puis assujetti à une ordonnance de surveillance de longue durée pour la période maximale prévue de dix ans.

[7]L’appelant a été mis en liberté sous surveillance de longue durée pour la première fois le 2 août 2001. À cette date, les conditions de l’ordonnance de surveillance de longue durée lui interdisaient de s’approcher d’enfants de moins de 16 ans et l’obligeaient à vivre dans un établissement résidentiel communautaire donné. L’ordonnance de surveillance de longue durée ne renfermait pas la condition contestée dans le présent appel.

[8]Trois semaines après avoir été libéré sous surveillance de longue durée, l’appelant a commencé à se lier avec un garçon de 10 ans. Cette conduite, qui supposait un contact avec un enfant, s’accordait avec le modus operandi de l’appelant, et celui-ci a été déclaré coupable de transgression de l’ordonnance de surveillance de longue durée, puis condamné à deux ans d’emprisonnement (R. v. S.J.D., [2002] B.C.J. no 2745 (C.P.) (QL), peine confirmée (2004), 193 B.C.A.C. 228 (C.A.)).

[9]C’est le 12 novembre 2004 que l’appelant s’est remis à purger sa peine dans le cadre de l’ordonnance de surveillance de longue durée. Avant sa libération, la Commission a examiné la situation de l’appelant pour savoir quelles conditions spéciales s’imposaient. Cette fois, dans sa décision prélibératoire du 22 octobre 2004, la Commission a établi les nouvelles conditions suivantes pour la surveillance de longue durée de l’appelant :

1.             résider dans un ERF [établissement résidentiel communautaire] ou dans un CCC [centre correctionnel communautaire];

2.             participer à un programme communautaire de traitement des délinquants sexuels et à des consultations psychologiques;

3.             suivre la médication prescrite par un médecin;

4.             signaler toutes ses relations à son agent de liberté conditionnelle;

5.             ne pas se trouver à des endroits où des enfants âgés de moins de 16 ans sont susceptibles d’être présents;

6.             ne pas communiquer directement ou indirectement avec ses victimes sauf approbation préalable écrite de l’agent de liberté conditionnelle;

7.             ne pas communiquer directement ou indirectement avec un enfant âgé de moins de 16 ans ou avec des mères ou gardiennes d’enfants âgés de moins de 16 ans, sauf approbation préalable de l’agent de liberté condition-nelle.

[10]Conformément à la condition no 3 de l’ordonnance de surveillance de longue durée rendue par la Commission, les médecins de l’appelant lui ont prescrit cinq types de médicaments : le Lupron, administré chaque mois par injection intramusculaire, dont l’effet est d’abaisser la libido et de réprimer les fantasmes sexuels; le Topiramate, absorbé quotidienne-ment par voie orale, pour traiter l’état de stress post‑ traumatique; le Zoloft, pris quotidiennement par voie orale, pour traiter l’anxiété et abaisser la libido; le Lipitor, pris quotidiennement par voie orale, pour abaisser le niveau élevé de cholestérol de l’appelant, un effet secondaire des autres médicaments; enfin le Prometrium, pris quotidiennement par voie orale, pour traiter les effets secondaires du Lupron, qui peut entraîner l’apparition de caractéristiques féminines. L’appelant est également tenu de prendre des comprimés au calcium Tums ainsi que des multi‑vitamines, en raison des carences en calcium et en vitamines causées par les autres médicaments.

[11]L’appelant se plaint de nombreux effets secondaires entraînés par les médicaments prescrits, notamment sautes d’humeur, somnolence, vomisse-ments, nausées et modification de la densité osseuse, qui, après de nombreuses années, peut entraîner l’ostéo-porose. Les médicaments font également apparaître d’importantes décolorations sur le corps de l’appelant.

[12]Le 27 janvier 2005, l’appelant priait la Commission de modifier certaines conditions de l’ordonnance de surveillance de longue durée, et il voulait en particulier que soit supprimée la condition qui l’obligeait à prendre les médicaments prescrits par un médecin.

III. Les points litigieux

[13]Les points suivants sont soulevés dans le présent appel :

A) La Commission nationale des libérations conditionnelles a‑t‑elle le pouvoir légal d’imposer à un délinquant à contrôler soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée après l’expiration de son mandat de dépôt, une condition spéciale l’obligeant à prendre les médicaments prescrits par un médecin?

B) La condition spéciale obligeant l’appelant à prendre les médicaments prescrits par un médecin constitue‑ t‑elle une atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

C) Dans l’affirmative, s’agit‑il d’une limite qui est raisonnable, conforme au droit et dont la justification peut se démontrer selon l’article premier de la Charte?

IV. Les dispositions constitutionnelles et légales

[14]Le pouvoir légal de la Commission d’imposer aux délinquants à contrôler des conditions devant s’appliquer durant la période de surveillance qui suit l’expiration de la peine imposée au délinquant est conféré par le paragraphe 753.2(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4] du Code criminel et le paragraphe 134.1(2) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 18] de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) :

Code criminel

753.2 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le délinquant soumis à une ordonnance de surveillance aux termes du paragraphe 753.1(3) [ordonnance de surveillance de longue durée] est surveillé au sein de la collectivité en conformité avec la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition lorsqu’il a terminé de purger :

a) d’une part, la peine imposée pour l’infraction dont il a été déclaré coupable;

b) d’autre part, toutes autres peines d’emprisonnement imposées pour des infractions dont il est déclaré coupable avant ou après la déclaration de culpabilité pour l’infraction visée à l’alinéa a).

Loi sur le système correctionnel et mise en liberté sous condition

134.1 [. . .]

(2) La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

[15]Conformément au paragraphe 134.1(1) de la Loi, les délinquants à contrôler qui sont soumis à des ordonnances de surveillance de longue durée sont également réputés assujettis aux conditions prévues par le paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, « avec les adaptations nécessaires ». Le paragraphe 161(1) du Règlement prévoit les conditions suivantes :

161. (1) Pour l’application du paragraphe 133(2) de la Loi, les conditions de mise en liberté qui sont réputées avoir été imposées au délinquant dans tous les cas de libération conditionnelle ou d’office sont les suivantes :

a) dès sa mise en liberté, le délinquant doit se rendre directement à sa résidence, dont l’adresse est indiquée sur son certificat de mise en liberté, se présenter immédiatement à son surveillant de liberté conditionnelle et se présenter ensuite à lui selon les directives de celui‑ci;

b) il doit rester à tout moment au Canada, dans les limites territoriales spécifiées par son surveillant;

c) il doit respecter la loi et ne pas troubler l’ordre public;

d) il doit informer immédiatement son surveillant en cas d’arrestation ou d’interrogatoire par la police;

e) il doit porter sur lui à tout moment le certificat de mise en liberté et la carte d’identité que lui a remis l’autorité compétente et les présenter à tout agent de la paix ou surveillant de liberté conditionnelle qui lui en fait la demande à des fins d’identification;

f) le cas échéant, il doit se présenter à la police, à la demande de son surveillant et selon ses directives;

g) dès sa mise en liberté, il doit communiquer à son surveillant l’adresse de sa résidence, de même que l’informer sans délai de :

(i) tout changement de résidence,

(ii) tout changement d’occupation habituelle, notamment un changement d’emploi rémunéré ou bénévole ou un changement de cours de formation,

(iii) tout changement dans sa situation domestique ou financière et, sur demande de son surveillant, tout changement dont il est au courant concernant sa famille,

(iv) tout changement qui, selon ce qui peut être raisonnablement prévu, pourrait affecter sa capacité de respecter les conditions de sa libération conditionnelle ou d’office;

h) il ne doit pas être en possession d’arme, au sens de l’article 2 du Code criminel, ni en avoir le contrôle ou la propriété, sauf avec l’autorisation de son surveillant;

i) s’il est en semi‑liberté, il doit, dès la fin de sa période de semi‑liberté, réintégrer le pénitencier d’où il a été mis en liberté à l’heure et à la date inscrites à son certificat de mise en liberté.

[16]Les dispositions suivantes de la Charte intéressent aussi les points soulevés dans le présent appel :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[. . .]

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

V. Historique de l’instance

a) Les décisions de la Commission antérieure et postérieure à la mise en liberté

[17]Les conditions spéciales régissant la surveillance de longue durée de l’appelant ont été fixées par la Commission dans sa décision prélibératoire du 22 octobre 2004. Le demandeur a sollicité une modification de l’ordonnance de surveillance de longue durée, mais les conditions ont été confirmées par la Commission dans sa décision post‑libératoire du 8 février 2005. C’est le contrôle judiciaire de cette dernière décision qui constitue le fondement du présent appel.

[18]Dans sa décision prélibératoire, la Commission concluait que les conditions spéciales imposées [traduction] « sont raisonnables et nécessaires pour gérer le risque que vous représentez et pour favoriser votre réinsertion, et, en l’absence de ces conditions spéciales, vous constituez un risque appréciable pour la collectivité » (dossier d’appel, vol. 1, à la page 56). Pour dire que les conditions étaient nécessaires à la gestion du risque que présentait l’appelant, la Commission a pris en compte la situation et les antécédents de l’appelant, relevant en particulier que, par le passé, l’appelant n’avait [traduction] « montré aucune volonté de se conformer aux conditions de mise en liberté qui [lui] ont été imposées », que l’appelant n’avait participé à aucun programme propre à réduire ses facteurs de risque depuis sa dernière récidive, et que, selon les mesures actuarielles et les évaluations psychologiques, l’appelant présentait un risque modéré à élevé de récidive pour les infractions avec violence, et un risque élevé de récidive pour les infractions sexuelles (dossier d’appel, vol. 1, aux pages 55 et 56).

[19]S’agissant de la condition spéciale relative à la prise de médicaments, la Commission exposait les motifs suivants (dossier d’appel, vol. 1, à la page 57) :

[traduction] Vous vous dites mécontent du niveau et du genre de médicaments que l’on vous a prescrits pour enrayer vos pulsions déviantes. Vous avez menacé de cesser la prise de ces médicaments quand vous devenez contrarié. Votre risque de récidive augmentera considérablement si vous cessez de prendre ces médicaments.

[20]Dans sa décision post‑libératoire, la Commission a repris nombre des facteurs à l’origine de sa décision prélibératoire. La Commission faisait aussi observer que [traduction] « rien n’a changé à ce jour en ce qui concerne sa participation à des programmes », et que l’appelant [traduction] « refuse encore de signer la formule de consentement qui [lui] permettra de com-mencer le Programme national de maintien des délin-quants sexuels dans la collectivité » (dossier d’appel, vol. 1, à la page 75). S’agissant des médicaments, la Commission écrivait ce qui suit (dossier d’appel, vol. 1, à la page 75) :

[traduction] Vous manifestez une attitude dangereuse et capricieuse devant la nécessité de suivre une médication apte à gérer les pulsions sexuelles déviantes. Dans une note versée au dossier en date du 8 octobre 2004, le psychiatre écrivait que, lorsque vous faisiez face à des situations où vous sentiez que vous aviez peu de contrôle ou dans lesquelles vous aviez l’impression que les choses se passaient mal, vous recouriez à la menace de cesser de prendre vos médicaments. Cette attitude montre que vous n’avez pas internalisé l’engagement de gérer vos pulsions déviantes envers les enfants et que vous utilisez votre potentiel de violence comme moyen de profiter des circonstances pour votre propre avantage.

[21]La Commission concluait en confirmant la condition relative aux médicaments, [traduction] « pour les motifs exposés dans la décision [prélibéra-toire] » (dossier d’appel, vol. 1, à la page 76).

b) Le jugement de la Cour fédérale

[22]La Cour fédérale a estimé que la question du pouvoir de la Commission d’imposer la condition relative aux médicaments devait être revue selon la norme de la décision correcte. S’appuyant largement sur l’analyse exposée dans la décision Normandin c. Canada (Procureur général), [2005] 2 R.C.F. 373 (C.F.), conf. par [2006] 2 R.C.F. 112 (C.A.F.), et dans la décision R. v. V.M., [2003] O.J. no 436 (C.S.J.), le juge de première instance est arrivé à la conclusion que le pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) de la Loi comprend le pouvoir d’imposer, dans une ordonnance de surveillance de longue durée, une condition en matière de traitement médical, si la Commission estime qu’une telle condition est raisonnable. Dans le cas de l’appelant, écrivait le juge de première instance, la Commission a estimé que le traitement médical réduirait les risques d’une récidive chez l’appelant.

[23]Le juge de première instance s’est ensuite demandé si la condition relative au traitement médical portait atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’article 7 de la Charte. Il est arrivé à la conclusion que la condition en cause « peut violer le principe justice fondamentale voulant que les personnes aient le droit d’être exemptées d’un traitement médical dont elles ne veulent pas » (motifs, au paragraphe 88). De par la condition imposée, expliquait le juge de première instance, l’appelant est contraint de choisir entre son droit à la sécurité de sa personne et son droit à la liberté. Le juge de première instance a donc conclu que la condition constituait une violation prima facie des droits garantis à l’appelant par l’article 7, car « [l]e choix entre les droits garantis à l’article 7 de la Charte n’est pas un choix que l’État devrait normalement imposer à une personne » (motifs, au paragraphe 88).

[24]Toutefois, le juge de première instance s’est dit convaincu que la violation de l’article 7 était justifiée par l’article premier, car, selon lui, la protection du public constitue l’objectif urgent et réel qui est requis, la condition imposée présente un lien rationnel avec cet objectif, et la condition porte également une atteinte minimale aux droits conférés à l’appelant par l’article 7. Le juge de première instance a relevé en particulier qu’« il est très peu probable que le demandeur ait pu obtenir une liberté surveillée sans la condition relative à la prise des médicaments prescrits par un médecin » (motifs, au paragraphe 89).

[25]Le juge de première instance a donc refusé de modifier la condition fixée par la Commission. Je souscris à cette décision, mais pour des motifs légèrement différents en ce qui concerne l’un de ses aspects.

VI. Analyse

A) La Commission nationale des libérations condi-tionnelles a‑t‑elle le pouvoir légal d’imposer à un délinquant à contrôler soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée après l’expiration de son mandat de dépôt, une condition spéciale l’obligeant à prendre les médicaments prescrits par un médecin?

[26]La Cour doit d’abord examiner si, sur le plan du droit administratif, la Commission est investie du pouvoir légal d’imposer la condition en cause. Autrement dit, outre la question des droits conférés par la Charte, la condition entre‑t‑elle dans les pouvoirs de la Commission? Si la Commission a agi dans le cadre de ses pouvoirs au sens du droit administratif, la Cour doit ensuite se demander si la condition est néanmoins incompatible avec la Charte (Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau‑Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, aux paragraphes 31 à 33).

[27]Ainsi que l’a noté à juste titre le juge de première instance, la norme de contrôle applicable est la décision correcte. La question du pouvoir de la Commission, sur le plan du droit administratif, d’imposer la condition en cause appelle une interprétation des dispositions légales applicables. Il s’agit là d’un strict point de droit, que la Cour est en meilleure position de décider que la Commission. La Cour doit déférer aux décisions de la Commission portant sur les conditions nécessaires à l’accomplissement des objets de la Loi pour tel ou tel délinquant, mais le pouvoir de la Commission d’imposer telle ou telle condition doit être correctement fondé.

[28]Le champ du pouvoir de la Commission d’imposer des conditions aux délinquants à contrôler est exposé au paragraphe 134.1(2) de la Loi, que je reproduis de nouveau ici, par commodité :

134.1 [. . .]

(2) La Commission peut imposer au délinquant les conditions de surveillance qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. [Non souligné dans l’original.]

[29]Il est clair que le législateur voulait conférer à la Commission un vaste pouvoir de fixer les conditions de la surveillance de longue durée de délinquants tels que l’appelant. Il est clair aussi que le texte de loi ne confère pas expressément à la Commission le pouvoir d’imposer des conditions en matière de traitement médical. L’appelant fait valoir qu’il existe un droit de common law de refuser un traitement médical et, par conséquent, en l’absence d’un pouvoir conféré expressément à la Commission, le pouvoir d’imposer une conditions prévoyant un traitement médical n’a pas été proprement conféré à la Commission.

[30]Le mode requis d’interprétation des lois est bien établi, ainsi que le faisait observer la juge Sharlow dans l’arrêt Rooke c. Canada, 2002 CAF 393, au paragraphe 10 :

Les principes applicables en matière d’interprétation des textes législatifs ont été exposés maintes fois et plus récemment par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, qui a affirmé ce qui suit au paragraphe 26 :

Voici comment, à la p. 87 de son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), Elmer Driedger a énoncé le principe applicable, de la manière qui fait maintenant autorité :

[traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Notre Cour a à maintes reprises privilégié la méthode moderne d’interprétation législative proposée par Driedger, et ce dans divers contextes : voir, par exemple, Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, p. 578, le juge Estey; Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre‑Dame de Bon‑Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, p. 17; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21; R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 25; R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S. 992, 2000 CSC 65, par. 26; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, par. 33, le juge en chef McLachlin; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, par. 27. Je tiens également à souligner que, pour ce qui est de la législation fédérale, le bien‑fondé de la méthode privilégiée par notre Cour est renforcé par l’art. 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, qui dispose que tout texte « est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

La validité de ce mode d’interprétation des lois a aussi été récemment confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mazzei c. Colombie‑Britannique (Directeur des Adult Forensic Psychiatric Services), [2006] 1 R.C.S. 326, un cas qui concernait l’interpré-tation du pouvoir de la commission d’examen de la Colombie‑Britannique d’imposer, selon la partie XX.1 [édictée par L.C. 1991, ch. 43, art. 4] du Code criminel, des conditions aux personnes à l’égard desquelles a été rendu un verdict de non‑responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.

[31]L’interprétation du paragraphe 134.1(2) [de la Loi] doit donc débuter par une analyse de l’objet et de la raison d’être de l’ordonnance de surveillance de longue durée dont il est question dans la Loi et dans la partie XXIV du Code criminel.

[32]L’objet du régime légal des délinquants à contrôler qui est établi par la partie XXIV du Code criminel a été examiné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357. La Cour suprême est arrivée à la conclusion que « le législateur n’a pas voulu que les dispositions relatives aux délinquants dangereux et celles concernant les délinquants à contrôler soient appliquées isolément les unes des autres » (au paragraphe 39). Interprétant ces dispositions ensemble, la Cour suprême a noté (aux paragraphes 30 et 31) le possible chevauchement de leur application. Presque tous les délinquants dangereux répondront aux deux premiers critères de la désignation de délinquant à contrôler qui sont indiqués au paragraphe 753.1(1), c’est‑à‑dire être passible d’une peine d’au moins deux ans d’emprisonnement et présenter un risque élevé de récidive, mais seul un petit groupe de délinquants répondra à la troisième condition, c’est‑à‑dire l’existence d’une possibilité réelle que le risque puisse être maîtrisé. Selon la Cour suprême, cette possibilité réelle que le risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité est une caractéristique détermi-nante des dispositions touchant la surveillance de longue durée (au paragraphe 32) :

L’objectif même d’une ordonnance de surveillance de longue durée est donc de protéger la société contre le danger que présente actuellement le délinquant—et ce, sans recourir à la mesure radicale qu’est la peine de détention d’une durée indéterminée. Lorsque le risque pour le public peut être abaissé à un niveau acceptable par l’imposition d’une peine de détention d’une durée déterminée ou d’une peine de détention d’une durée déterminée suivie d’une surveillance de longue durée, le juge chargé de la détermination de la peine ne peut à bon droit déclarer que le délinquant est un délinquant dangereux et le condamner à une peine de détention d’une durée indéterminée.

[33]Plus récemment dans l’arrêt Normandin c. Canada (Procureur général), la Cour exposait un point de vue semblable concernant l’objet des dispositions relatives à la surveillance de longue durée (au paragra-phe 40) :

Avant la mise en place de ce régime [de surveillance des délinquants à contrôler], le délinquant à connotation sexuelle s’exposait à une décision judiciaire lui conférant le statut de délinquant dangereux pour une période indéterminée ou à une longue peine d’emprisonnement. Le régime mis en place par le législateur pour les délinquants à contrôler au sein de la collectivité est un régime plus souple et plus bénéfique pour eux. Il vise à permettre une meilleure réinsertion sociale du délinquant, mais sans que la protection de la société et des victimes ne soit compromise.

[34]L’objet et les principes énoncés dans les articles 100 et 101 de la Loi, dont l’article 99.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 18] dit expressément qu’ils sont applicables aux ordonnances de surveillance de longue durée, confirment cette interprétation. L’article 100 dit que l’objet de la surveillance de longue durée « vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois ».

[35]Parmi les principes obligatoires prévus à l’article 101 pour guider la Commission dans ses décisions concernant la mise en liberté, l’alinéa 101a) dit que « la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas », et l’alinéa 101d) dit que « le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible ».

[36]À mon avis, l’objet des dispositions relatives aux délinquants à contrôler est donc clair. Un délinquant dont la conduite ou le comportement n’est pas « pathologiquement irréductible », en ce sens que l’on peut raisonnablement espérer que le délinquant arrivera éventuellement à un stade où, bien que ne pouvant être éliminé, le risque qu’il présente pourra être maîtrisé dans la collectivité, remplira dès lors les conditions du statut de délinquant à contrôler. Selon les dispositions antérieures, un tel délinquant—par exemple un délinquant sexuel récidiviste—aurait pu être déclaré délinquant dangereux. Les ordonnances de surveillance de longue durée ont donc deux objets principaux : d’abord protéger la société, et ensuite favoriser la réinsertion sociale des délinquants à contrôler, lorsque cela est possible, en leur accordant une mise en liberté aux conditions les moins restrictives, compte tenu de la protection de la société.

[37]Le pouvoir conféré à la Commission par les mots mêmes du paragraphe 134.1(2) doit être vu sur cette toile de fond qu’est l’objet général du texte de loi. Ainsi que l’écrivait la Cour dans l’arrêt Normandin, le texte même du paragraphe 134.1(2) « octroie à la Commission un pouvoir général de fixer, pour les délinquants à contrôler, des conditions, sans autres restrictions quant à leur teneur et leur nature que la nécessité qu’elles soient nécessaires, raisonnables et d’une durée limitée » (au paragraphe 39). Le pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) est nécessairement « un pouvoir discrétionnaire large et souple » (arrêt Normandin, au paragraphe 44), conçu pour permettre à la Commission d’atteindre les objectifs des dispositions relatives aux délinquants à contrôler.

[38]L’interprétation préconisée par l’appelant ferait abstraction des objets clairement exprimés de ce régime législatif. Si l’on veut que soient atteints les objets de ce régime, à savoir la protection de la société et la réinsertion sociale des délinquants à contrôler, une réinsertion opérée au moyen d’une mise en liberté sous surveillance, assortie des conditions les moins restrictives possibles, alors la Commission doit être investie du pouvoir d’imposer, dans les cas qui le requièrent, l’obligation de suivre un traitement médical. De telles conditions, lorsqu’elles sont nécessaires pour réduire le risque de récidive que présente un délinquant, entrent dans le pouvoir, conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) de la Loi, d’imposer des conditions « raisonnables et nécessaires ».

[39]Cette interprétation libérale du pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) représente aussi l’interprétation la plus favorable globalement aux accusés. Ainsi que le faisait observer le juge Décary dans l’arrêt Cartier c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 317, au paragraphe 19, ce principe d’interprétation des lois est quelque peu modifié dans le contexte pénal d’une mise en liberté sous condition :

La proposition selon laquelle la Loi, en cas d’ambiguïté, doit être interprétée en faveur du délinquant est exacte dans la mesure où elle signifie qu’une fois assurée la protection de la société, la Commission doit choisir, dans un cas donné, la solution qui entrave le moins la liberté du délinquant. Mais elle est inexacte dans la mesure où la Loi veut assurer au départ que la société soit protégée : s’il y a ambiguïté à ce niveau, elle jouera en faveur de l’intérêt public plutôt qu’en faveur de l’intérêt du délinquant.

Interpréter le paragraphe 134.1(2) de telle sorte que la Commission soit habilitée à imposer dans les cas qui le requièrent une condition portant sur le traitement médical fera en sorte que l’accusé aura l’avantage de pouvoir choisir parmi plusieurs traitements, à la fois quand le tribunal examinera si la désignation de délinquant à contrôler est justifiée dans un cas donné, et plus tard quand la Commission examinera quelles conditions sont nécessaires pour gérer le risque que présente le délinquant. L’aptitude de la Commission à considérer les divers traitements possibles fait que, à chaque étape du processus de détermination de la peine, le délinquant pourra obtenir la sanction la moins restrictive possible, compte tenu de la protection du public. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme l’appelant, l’absence dans le paragraphe 134.1(2) d’une attribution explicite du pouvoir d’imposer des conditions touchant le traitement médical n’empêche pas la Commission d’imposer de telles conditions.

[40]La Commission n’ordonne pas ici l’administration forcée de médicaments à l’appelant. Il n’est donc pas porté atteinte au droit de common law de refuser un traitement médical (Fleming v. Reid (1991), 4 O.R. (3d) 74 (C.A.), à la page 84; Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722, au paragraphe 75). L’appelant est libre de refuser de prendre les médicaments prescrits. Toutefois, s’il refuse, son refus entraînera des conséquences : l’appelant enfreindra l’ordonnance de surveillance de longue durée le concernant, et il sera donc passible d’internement en application de l’article 135.1 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 33] de la Loi, ou d’emprisonnement en application de l’article 753.3 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4] du Code criminel. Le fondement de ces conséquences est le statut de l’appelant, un délinquant à contrôler, statut qui, lui, résultait de la conclusion de la Cour selon laquelle l’appelant répondait aux critères fixés par le paragraphe 753.1(1).

[41]En tant que délinquant à contrôler, l’appelant « continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée » (alinéa 4e) de la Loi). À mon avis, quand l’appelant se plaint du traitement médical imposé comme condition par la Commission, il se plaint d’une restriction nécessairement consécutive à la peine qu’il doit purger en tant que délinquant à contrôler. L’appelant, un délinquant à contrôler, présente un risque appréciable de récidive, mais un risque à propos duquel il semble exister une possibilité réelle qu’il soit maîtrisé au sein de la collectivité. Pour remplir le double mandat dont elle est chargée en vertu des dispositions relatives aux délinquants à contrôler, la Commission doit pouvoir considérer toutes les conditions légitimes qui seraient raisonnablement susceptibles de rendre éventuellement gérable dans la collectivité le risque qu’il présente. S’agissant de l’appelant, la Commission a conclu—fait à signaler, seulement après que l’appelant eut contrevenu à une précédente ordonnance de surveillance de longue durée qui ne comportait pas de condition relative à la prise de médicaments—que la prise de médicament est nécessaire pour maîtriser le risque qu’il présente. Si l’appelant ne veut pas prendre ces médicaments, il peut alors s’y opposer, mais il choisit aussi par là de subir les conséquences qui découlent de cette décision, vu son statut de délinquant à contrôler.

[42]Comme l’a fait la Cour d’appel de Colombie‑Britannique dans l’arrêt R. v. Goodwin (2002), 173 B.C.A.C. 35, au paragraphe 32, je ferais donc mienne l’analyse suivante à laquelle s’est livré le juge Hill dans la décision R. v. Payne (2001), 41 C.R. (5th) 156 (C.S.J. Ont.), au paragraphe 138 :

[traduction] À mon avis, un délinquant libéré sous condition à la faveur d’une ordonnance de surveillance de longue durée peut être forcé par ladite ordonnance de subir un traitement et la médication qui l’accompagne lorsque cela est essentiel pour gérer le risque de récidive qu’il présente. Autrement dit, le consentement du délinquant à l’imposition de cette condition n’est pas requis. Si le délinquant contrevient aux conditions de l’ordonnance qui concernent le traitement ou les médicaments, il s’expose à une arrestation, avec suspension de l’ordonnance, conformément à l’article 135.1 de la Loi, ou à une arrestation et à des poursuites conformé-ment au paragraphe 753.3(1) du Code. L’objet tout entier du régime des délinquants à contrôler serait compromis si l’on donnait au délinquant la possibilité d’empêcher la gestion du risque qu’il présente. Par conséquent, l’insertion, dans une ordonnance, de conditions impératives en matière de traitement et de médicaments est une réponse légitime à la nécessité de protéger le public contre une personne qui, par définition, présente un risque appréciable de récidive.

[43]L’appelant fait valoir que la Cour devrait suivre la démarche adoptée dans l’arrêt R. v. Kieling (1991), 92 Sask. R. 281, où la Cour d’appel de la Saskatchewan était arrivée à la conclusion que le tribunal n’avait pas le pouvoir d’imposer un traitement médical comme condition de probation selon la disposition en vigueur à l’époque, l’alinéa 737(2)h) du Code criminel (disposition aujourd’hui reformulée pour l’essentiel dans l’alinéa 732.1(3)h) [édicté par L.C. 1995, ch. 22, art. 6]). À mon avis, cependant, l’arrêt Kieling se différencie aisément du présent appel. D’abord, les principes de détermination de la peine applicables à un délinquant soumis à une probation diffèrent de ceux applicables aux délinquants à contrôler, pour lesquels la considération première est la protection du public. Deuxièmement, le texte de la disposition habilitante qui était en cause dans l’arrêt Kieling diffère sensiblement de celui du paragraphe 134.1(2) de la Loi.

[44]À l’époque de l’arrêt Kieling, le tribunal était habilité, par le paragraphe 737(2) alors en vigueur à préciser dans une ordonnance de probation l’une quelconque des conditions énumérées dans les alinéas 737(2)a) à h). L’alinéa 737(2)h) habilitait aussi le tribunal à fixer, dans les ordonnances de probation, « telles autres conditions raisonnables que la cour considère souhaitables pour assurer la bonne conduite de l’accusé et l’empêcher de commettre de nouveau la même infraction ou de commettre d’autres infractions ». Selon la Cour d’appel de la Saskatchewan, les mots « telles autres conditions raisonnables » étaient circonscrits par le sens ordinaire des conditions énumérées dans les alinéas précédents, qui toutes parlaient soit de l’obligation de faire une chose, soit de l’obligation de s’en abstenir, et dont aucune ne présentait un quelconque risque pour l’accusé. Elle a donc estimé que le juge n’avait pas le pouvoir de forcer l’accusé à prendre des médicaments comme condition de sa probation. Toutefois, le paragraphe 134.1(2), la disposition habilitante dans le présent appel, n’emploie pas les mots « telles autres », ni d’autres mots restrictifs de ce genre. À mon avis donc, l’arrêt Kieling ne vient pas en aide à l’appelant.

[45]Je relève que l’appelant ne conteste pas dans le présent appel le traitement que ses médecins lui ont prescrit, ni ne fait valoir qu’une autre forme de traitement, médical ou autre, serait plus efficace ou moins nuisible. Il ne met pas non plus en doute l’avis de la Commission selon lequel, dans son cas particulier, une condition portant sur un traitement médical pouvait être raisonnable ou nécessaire. Ces points eussent‑ils été soulevés dans la présente affaire, l’analyse aurait sans doute été différente, et la norme de contrôle aurait été moins élevée. Cependant, tout ce que dit l’appelant dans le présent appel, c’est que, dans tous les cas de surveillance de longue durée, la Commission n’a pas le pouvoir légal d’imposer une condition portant sur un traitement médical. Les particularités de la situation de l’appelant—son passé et son profil de risque, le régime médical qui lui a été prescrit, son efficacité et ses effets secondaires—n’ont pas été évoquées ici et elles sont donc largement hors de propos dans le présent appel tel qu’il a été plaidé.

[46]J’arrive à la conclusion que le juge de première instance a eu raison de dire que la condition en cause ici ressortit à la compétence de la Commission selon le paragraphe 134.1(2) de la Loi. L’appel n’est donc pas admissible pour ce motif.

B) La condition spéciale obligeant l’appelant à prendre les médicaments prescrits par un médecin constitue‑t‑elle une atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés?

[47]Ayant conclu que la Commission a agi dans les limites de ses pouvoirs en imposant la condition relative au traitement médical, la Cour doit maintenant examiner si l’imposition de cette condition porte quand même atteinte aux droits garantis à l’appelant par la Charte.

[48]L’approche en trois étapes qui permet de déterminer s’il y a eu atteinte à l’article 7 a été exposée ainsi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417, au paragraphe 38 :

Lorsque le tribunal est appelé à déterminer s’il y a eu atteinte à l’art. 7, son analyse doit comporter trois étapes principales, conformément à la formulation de la disposition. La première question à résoudre est s’il y a privation réelle ou imminente de la vie, de la liberté, de la sécurité de la personne ou d’une combinaison de ces trois droits. La deuxième étape consiste à identifier et à qualifier le ou les principes de justice fondamentale pertinents. Enfin, il faut déterminer si la privation s’est produite conformément aux principes pertinents : voir R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, à la p. 479, le juge Iacobucci. Lorsque la privation de la vie, de la liberté ou de la sécurité de la personne s’est produite ou est sur le point de se produire d’une manière non conforme aux principes de la justice fondamentale, l’atteinte à l’art. 7 est établie.

[49]Dans le présent appel, l’intimé a admis que le fait d’obliger l’appelant, un adulte capable, à prendre des médicaments sous peine de réincarcération ou de poursuites constitue une violation du droit à la « liberté » et à la « sécurité de sa personne » dont parle l’article 7. La première étape de l’analyse à faire selon l’article 7 est donc franchie.

[50]La deuxième étape de l’analyse consiste à définir les principes applicables de justice fondamentale. La notion de « principe de justice fondamentale » a été définie ainsi par les juges Gonthier et Binnie dans l’arrêt R. c. Malmo‑Levine; R. c. Caire, [2003] 3 R.C.S. 571, aux paragraphes 112 et 113 :

Dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., précité, le juge Lamer (plus tard Juge en chef) a expliqué que les principes de justice fondamentale se trouvent dans « les préceptes fondamentaux de notre système juridique. Ils relèvent non pas du domaine de l’ordre public en général, mais du pouvoir inhérent de l’appareil judiciaire en tant que gardien du système judiciaire » (p. 503). Dans l’arrêt Rodriguez, précité, le juge Sopinka a précisé davantage en quoi consistent les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 (aux p. 590‑591 et 607) :

Une simple règle de common law ne suffit pas pour former un principe de justice fondamentale. Au contraire, comme l’expression l’implique, les principes doivent être le fruit d’un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société. Les principes de justice fondamentale ne doivent toutefois pas être généraux au point d’être réduits à de vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral. Ils doivent pouvoir être identifiés avec une certaine précision et appliqués à diverses situations d’une manière qui engendre un résultat compréhensible. Ils doivent également, à mon avis, être des principes juridiques.

. . .

Si les principes de justice fondamentale ne s’appliquent pas seulement au processus, il faut se référer aux principes qui sont « fondamentaux » en ce sens qu’ils seraient généralement acceptés parmi des personnes raisonnables. [Nous soulignons.]

La condition requérant que les principes soient « généralement acceptés parmi des personnes raisonnables » accroît la légitimité du contrôle judiciaire d’une mesure de l’État et fait en sorte que les valeurs au regard desquelles la mesure de l’État est appréciée ne sont pas fondamentales « aux yeux de l’intéressé seulement » : Rodriguez, p. 607 et 590 (souligné dans l’original). En résumé, pour qu’une règle ou un principe constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7, il doit s’agir d’un principe juridique à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme fonctionnelle permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne.

[51]Dans l’arrêt Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, la Cour a confirmé cette définition en trois volets de l’expression « principes de justice fondamentale », au paragraphe 8 :

La jurisprudence relative à l’art. 7 a établi qu’un « principe de justice fondamentale » doit remplir trois conditions : R. c. Malmo‑Levine, [2003] 3 R.C.S. 571, 2003 CSC 74, par. 113. Premièrement, il doit s’agir d’un principe juridique. Cette condition est utile à deux égards. D’une part, elle « donne de la substance au droit garanti par l’art. 7 »; d’autre part, elle évite « de trancher des questions de politique générale » : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, p. 503. Deuxièmement, le principe allégué doit être le fruit d’un consensus suffisant quant à son « caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » : Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, p. 590‑591. Les principes de justice fondamentale sont les postulats communs qui sous‑tendent notre système de justice. Ils trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État. La société les juge essentiels à l’administration de la justice. Troisièmement, le principe allégué doit pouvoir être identifié avec précision et être appliqué aux situations de manière à produire des résultats prévisibles. Parmi les principes de justice fondamentale qui remplissent les trois conditions, il y a notamment la nécessité d’une intention coupable et de règles de droit raisonnablement claires.

[52]Avant d’examiner les principes spécifiques de justice fondamentale avancés par l’appelant à l’encontre de la norme ci‑dessus, je commencerai par faire quelques observations générales sur le contexte précis dans lequel la question relative à la Charte se pose dans la présente affaire, à savoir la partie XXIV du Code criminel, qui renferme à la fois les dispositions relatives aux délinquants à contrôler et celles relatives aux délinquants dangereux. La condition spéciale contestée par l’appelant est imposée dans le cadre du régime des délinquants à contrôler, régime qui lui‑même fait partie d’un ensemble plus large de dispositions conçues pour gérer le petit groupe de délinquants qui constituent un risque constant et extraordinaire pour le public et qui sont donc soumis à des conditions préventives et à des sanctions prenant diverses formes. Ainsi que le faisait observer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Johnson, « le législateur n’a pas voulu que les dispositions relatives aux délinquants dangereux et celles concernant les délinquants à contrôler soient appliquées isolément les unes des autres » (au paragraphe 39).

[53]Il faut garder à l’esprit ce contexte particulier pour savoir si la condition en cause ici porte atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’article 7. Nous ne pouvons pas traiter avec les délinquants à contrôler comme s’il n’y avait pas de droits garantis par la Charte; pareillement, nous ne pouvons pas considérer les droits garantis par la Charte comme s’il n’y avait pas de délinquants à contrôler. « Lorsque […] une structure administrative et juridictionnelle complète a été mise sur pied, il faut considérer le régime dans son ensemble. On doit examiner le problème particulier que ce dernier vise à résoudre » (Winko c. Colombie‑Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, au paragraphe 65). Les principes de justice fondamentale peuvent être influencés par ce contexte, car il est reconnu que « les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque » (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la page 361; voir aussi l’arrêt Winko, au paragraphe 66). Plus exactement, le contexte a son importance lorsqu’il s’agit de pondérer les droits individuels et les intérêts de la société dans le cadre de l’article 7, et c’est là une considération qui forme une partie reconnue du processus consistant à préciser le contenu et le champ d’un principe donné de justice fondamentale (arrêt Winko, au paragraphe 66; arrêt Malmo‑Levine, aux paragraphes 98 et 99; arrêt R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489, au paragraphe 45). Ainsi que l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Malmo‑Levine, « [d]ans la détermination des principes de justice fondamentale, il faut nécessairement prendre en considération la nature sociale de notre existence collective » (au paragraphe 99).

[54]Selon l’appelant, la condition spéciale de l’ordonnance de surveillance de longue durée le concernant, qui l’oblige à prendre les médicaments prescrits par un médecin, contrevient à deux principes de justice fondamentale : d’abord, le principe selon lequel un traitement médical doit être expressément autorisé par un texte de loi; et deuxièmement, le principe selon lequel tout adulte capable a le droit de refuser un traitement médical. J’examinerai successivement chacun de ces principes allégués.

(i) Autorisation explicite du législateur en matière de traitement médical

[55]L’appelant affirme que, dans le cas d’un décideur tel que la Commission, qui exerce des pouvoirs délégués par la loi, il est un principe de justice fondamentale selon lequel le décideur ne peut priver une personne de sa sécurité que si le législateur lui a expressément conféré ce pouvoir, d’une manière non équivoque. Autrement dit, selon l’appelant, les principes de justice fondamentale requièrent une autorisation explicite du législateur avant qu’un traitement médical puisse être imposé à une personne sans son consentement.

[56]Je ne puis accepter cet argument de l’appelant. À mon avis, même si l’État ne peut pas, sans l’autorisation du législateur, imposer à une personne un traitement médical sans son consentement, il n’existe aucun principe de justice fondamentale disant que telle autorisation doit résulter d’une disposition légale explicite. Dans le présent appel, l’autorisation du législateur se trouve dans le paragraphe 134.1(2) de la Loi, qui confère à la Commission le pouvoir d’insérer une condition de traitement médical dans une ordonnance de surveillance de longue durée, si telle condition est « raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ». La Commission a exercé ce pouvoir dans le cas de l’appelant, et celui‑ci n’a pas, dans le présent appel, prétendu que la décision de la Commission en la matière n’était pas raisonnable. À mon avis donc, la règle de droit positif, en application des principes de justice fondamentale, est observée en l’espèce.

[57]Ma conclusion selon laquelle les principes de justice fondamentale ne requièrent pas une autorisation explicite du législateur est confirmée par le triple critère applicable aux principes de justice fondamentale, qui est exposé dans l’arrêt Malmo‑Levine, par la jurisprudence sur l’article 7 de la Charte concernant les atteintes à l’intégrité corporelle, et par la jurisprudence sur l’article 8 concernant les fouilles et perquisitions. J’expliquerai brièvement chacun de ces fondements autorisant ma conclusion.

[58]Comme on peut le lire dans l’arrêt Malmo‑ Levine, un principe de justice fondamentale doit répondre à trois critères : il doit s’agir d’un principe juridique, il doit exister un consensus substantiel dans la société sur le fait que ce principe est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et ce principe doit pouvoir être défini avec précision et être appliqué à des situations d’une manière qui produise des résultats prévisibles. Le principe proposé par l’appelant, selon lequel un traitement médical doit être explicitement autorisé par le législateur, pourrait répondre au premier critère. Le troisième critère serait sans doute lui aussi rempli. Toutefois, le second critère ne l’est pas : il n’y a pas de « consensus substantiel dans la société » sur le fait que l’autorisation explicite du législateur pour l’application d’un traitement médical est essentielle au bon fonctionnement du système de justice. Une autorisation générale conférée par un texte législatif raisonnable suffit, selon moi, à respecter les principes de justice fondamentale. Les principes de justice fondamen-tale peuvent sans doute imposer des limites constitution-nelles de fond et de forme au droit de l’État d’imposer un traitement médical, mais, contrairement à ce que prétend l’appelant, l’autorisation explicite du législateur ne figure pas parmi ces limites constitutionnelles.

[59]Il est révélateur que l’appelant ne puisse indiquer aucun précédent concernant une atteinte à l’intégrité corporelle où l’autorisation explicite du législateur ait figuré parmi les conditions d’une conformité aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7. Bon nombre des décisions judiciaires où il est question d’une condition relative à un traitement médical procèdent d’une interprétation du pouvoir conféré par le législateur, non d’une analyse constitutionnelle : voir, par exemple, R. c. Kieling; R. v. J.J.L. (2001), 153 Man. R. (2d) 153 (C.A.); R. v. Shoker (2004), 206 B.C.A.C. 266 (C.A.), au paragraphe 6, où il est question d’une condition relative à un traitement médical. Les deux affaires jugées en appel dans le cadre de l’article 7 qui concernent la condition relative à un traitement médical donnent peu d’indications sur les exigences précises de la justice fondamentale dans ce contexte et n’indiquent nulle part que l’une d’elles est l’autorisation explicite du législateur. Dans l’arrêt Regina v. Rogers (1990), 61 C.C.C. (3d) 481 (C.A.C.-B.), une affaire où il s’agissait d’une condition de traitement médical insérée dans une ordonnance de probation, la Cour d’appel de Colombie‑ Britannique est arrivée à la conclusion qu’une telle condition était [traduction] « une limite déraisonnable à la liberté et à la sécurité de la personne accusée » et qu’elle était [traduction] « contraire aux principes de justice fondamentale et, sauf circonstances exception-nelles, ne pouvait être sauvegardée par l’article premier de la Charte » (à la page 488). On a jugé dans cette affaire que lesdites « circonstances exception-nelles » étaient inexistantes, mais elles furent invoquées par la même juridiction dans l’arrêt R. c. Goodwin, une affaire qui concernait un délinquant à contrôler. Aucun de ces deux arrêts ne dit vraiment ce que sont les exigences de la justice fondamentale dans ce contexte, ni ne fait état d’une autorisation explicite du législateur parmi lesdites exigences.

[60]L’autorisation explicite du législateur est également passée sous silence dans d’autres affaires où étaient contestées en vertu de l’article 7 certaines atteintes à l’intégrité corporelle. Dans la décision Jackson c. Pénitencier de Joyceville, [1990] 3 C.F. 55 (1re inst.) et la décision Dion c. Procureur général du Canada, [1986] R.J.Q. 2196 (C.S. Qué.), des détenus contestaient la validité de règlements qui autorisaient le prélèvement obligatoire d’échantillons d’urine devant servir à détecter et à éradiquer la consommation de drogue et d’alcool dans les prisons, et qui prévoyaient des conséquences pour les détenus déclarés positifs. Dans les deux cas, les juridictions saisies ont dit que les règlements en cause contrevenaient aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7. Dans aucun de ces cas, cependant, il n’est question de la nécessité d’une autorisation explicite du législateur. C’est plutôt l’absence de normes ou de critères limitant l’usage arbitraire du pouvoir qui fut jugée contraire aux principes de justice fondamentale (Jackson, aux paragraphes 97 et 98; Dion, aux pages 2203 à 2207).

[61]L’appelant attire aussi l’attention de la Cour sur la jurisprudence relative à l’article 8 de la Charte, et en particulier sur la jurisprudence concernant la règle selon laquelle une fouille ou perquisition doit être autorisée par la loi, et la règle selon laquelle cette loi doit elle‑même être raisonnable (R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la page 278). Ces règles, de dire l’appelant, devraient être appliquées par analogie aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7. L’appelant soutient que, pour valoir comme exigence constitutionnelle, l’autorisation du législateur selon l’article 7 doit avoir un contenu. Ce contenu est assuré, affirme‑t‑il, par la nécessité d’une autorisation explicite du législateur.

[62]À mon avis cependant, la jurisprudence qui concerne l’article 8 et qui est citée par l’appelant ne suffit pas à valider son argument. L’article 8 requiert effectivement l’autorisation du législateur pour toute fouille, perquisition ou saisie, et cette limite a encore été renforcée par la règle selon laquelle le texte portant autorisation doit être lui‑même raisonnable. Cependant, je n’ai connaissance d’aucun précédent relatif à l’article 8 où il serait question de la nécessité constitutionnelle d’une autorisation explicite du législateur pour que le texte autorisant la fouille, la perquisition ou la saisie puisse être jugée raisonnable. En fait, les fouilles ou perquisitions accessoires à une arrestation licite à laquelle il est procédé conformément au pouvoir en common law—même s’il y a intrusion dans la vie privée ou atteinte à l’intégrité corporelle—ont été jugées valides sur le plan constitutionnel, pour autant que certaines conditions soient remplies : Cloutier c. Langlois, [1990] 1 R.C.S. 158 (le pouvoir en common law d’un agent de fouiller une personne au moment de l’arrêter a été jugé raisonnable sur le plan constitution-nel); R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607 (le pouvoir en common law de procéder à une fouille accessoire à une arrestation ne s’étend pas à la saisie d’échantillons de substances corporelles); R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679 (le pouvoir en common law de procéder à une fouille corporelle en marge d’une arrestation a été jugé raisonnable sur le plan constitutionnel; dans cette affaire, la fouille a été jugée excessive).

[63]Dans ces précédents, la Cour suprême, après avoir défini le champ du pouvoir en common law en cause, s’est expressément demandé si cette règle de common law était elle‑même constitutionnelle, selon la norme de la fouille abusive ou non qui est applicable en vertu de l’article 8 : voir l’arrêt Golden, aux paragraphes 25 et 104; et l’arrêt Stillman, au paragraphe 49. Manifestement donc, il n’y a dans l’article 8 aucune règle constitutionnelle selon laquelle l’atteinte à l’intégrité corporelle doit être explicitement autorisée par le législateur pour pouvoir répondre à cette norme de l’article 8. L’article 8 dit plutôt que le texte d’habilitation doit être raisonnable, exigence qui peut être observée au moyen de règles de common law ou de règles législatives.

[64]D’après moi, la règle selon laquelle un texte autorisant une fouille doit être raisonnable en application de l’article 8 peut être appliquée aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7. L’atteinte à la liberté ou à la sécurité de la personne par l’imposition d’un traitement médical doit, si l’on veut qu’elle soit conforme aux principes de justice fondamentale, avoir lieu dans le cadre d’une loi qui autorise cette atteinte, et cette loi doit être elle‑même raisonnable. Pour être raisonnable cependant, il n’est pas nécessaire que la loi en question prenne la forme d’une autorisation explicite du législateur.

[65]Les exigences particulières qui font qu’un texte législatif est raisonnable au regard des principes de justice fondamentale devront être établies plus tard dans des affaires où cette question sera soulevée. Aux fins du présent appel, je suis d’avis que le texte qui est en cause ici—à savoir le paragraphe 134.1(2) de la Loi et ses procédures accessoires établies par le paragraphe 134.1(4) [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 30] concernant l’examen par la Commission des conditions d’une surveillance de longue durée—répond à la norme constitutionnelle selon laquelle il doit être raisonnable. Le pouvoir de la Commission de fixer des conditions est limité, par les mots du paragraphe 134.1(2), aux conditions « raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délin-quant ». Cette limite fait en sorte que, dans le contexte du régime des délinquants à contrôler, le juste équilibre sera atteint entre la nécessité de protéger le public et le droit du délinquant d’obtenir sa mise en liberté aux conditions les moins restrictives, compte tenu de la protection de la société.

[66]Le texte du paragraphe 134.1(2) limite aussi la condition précise de traitement médical qui est en cause dans le présent appel : les médicaments prescrits à l’appelant par ses médecins doivent eux aussi être « raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ». Une gamme étendue de protections procédurales est offerte à l’appelant pour garantir le respect de cette limite : les conditions de l’ordonnance de surveillance de longue durée qui le concerne sont fixées par la Commission après examen de son dossier, y compris des conclusions écrites de son avocat, l’appelant a le droit d’être entendu par la Commission (un droit auquel il a renoncé ici), et la décision de la Commission est sujette à contrôle judiciaire. En outre, selon le paragraphe 134.1(4), la Commission est habilitée à revoir et à modifier les conditions d’une ordonnance de surveillance de longue durée. L’appelant s’est prévalu de cette procédure en interjetant le présent appel, et il pourrait le faire de nouveau au besoin, par exemple en cas de modification de sa situation ou des nécessités de son traitement, rendant ainsi non raisonnable et non nécessaire le traitement actuellement prescrit. Vu ces protections procédurales, et vu le contexte spécial et l’objet particulier du régime des délinquants à contrôler, la condition en cause ici s’accorde avec la norme constitutionnelle d’après laquelle un texte législatif doit être raisonnable pour être conforme aux principes de justice fondamentale.

[67]Pour ces motifs, je suis donc d’avis qu’une autorisation explicite du législateur concernant l’imposition d’un traitement médical n’est pas requise par les principes de justice fondamentale dont parle l’article 7. La règle de droit positif, en application des principes de justice fondamentale, est observée en l’espèce, compte tenu du paragraphe 134.1(2), qui confère à la Commission le pouvoir requis.

(ii) Le droit de refuser un traitement médical

[68]L’appelant dit aussi qu’il est un principe de justice fondamentale selon lequel tout adulte capable a le droit de refuser un traitement médical. Toute exception à cette règle, soutient‑il, doit être maintenue en vertu de l’article premier, si tant est qu’elle puisse l’être. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, l’appelant doit, de par la condition de traitement médical insérée dans l’ordonnance de surveillance de longue durée, choisir entre son droit à la liberté et son droit à la sécurité de sa personne, s’il veut se prévaloir de son droit de refuser un traitement médical qu’il ne souhaite pas recevoir. L’appelant affirme aussi que, si le droit de refuser un traitement médical constitue un principe de justice fondamentale, alors la condition qui l’oblige à suivre un traitement médical peut  contrevenir à l’article 7.

[69]Cependant, à mon avis, cette seconde règle préconisée par l’appelant ne satisfait pas elle non plus à la deuxième branche du critère établi dans Malmo‑Levine auquel est subordonnée l’existence d’un principe de justice fondamentale. Il n’existe aucun consensus social substantiel en faveur d’une règle absolue établissant le droit de refuser dans tous les cas un traitement médical, et un tel principe n’est pas jugé « primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » (Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, aux pages 590 et 591, cité dans l’arrêt Canadian Foundation, au paragraphe 8).

[70]Le droit d’un adulte capable de refuser un traitement médical dont il ne veut pas est clairement un droit « fondamental pour la dignité et l’autonomie d’une personne » (Starson c. Swayze, au paragraphe 75). Cependant, le respect pour la dignité et l’autonomie d’une personne n’est pas lui‑même un principe de justice fondamentale (arrêt Rodriguez, à la page 592). Par ailleurs, bien que le droit de refuser un traitement soit sans doute un droit [traduction] « profondément enraciné dans notre common law » (Fleming v. Reid, à la page 85), il est reconnu qu’« [u]ne simple règle de common law ne suffit pas pour former un principe de justice fondamentale » (arrêt Rodriguez, à la page 590). Les principes de justice fondamentale ne sont pas non plus simplement « de vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral » (arrêt Rodriguez, à la page 591) : il faut un consensus social substantiel.

[71]Contrairement à ce qu’affirme l’appelant, je ne crois pas qu’il existe un consensus social substantiel sur l’existence d’un droit absolu de refuser en toute circonstance un traitement médical non souhaité, au point que ce droit soit reconnu comme principe de justice fondamentale. En réalité, le droit de refuser un traitement médical, bien que sans doute accepté comme règle générale, est également reconnu comme un droit proprement soumis, dans certains contextes, à des limites.

[72]Les précédents cités par l’appelant n’attestent pas un droit constitutionnel illimité de refuser un traitement médical. Dans l’arrêt Starson c. Swayze, qui concernait le contrôle judiciaire d’une déclaration d’incapacité faite en vertu de la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé de l’Ontario [L.O. 1996, ch. 2, ann. A], la constitutionalité du régime législatif en cause n’avait pas été soulevée ni examinée (voir le paragraphe 75). Le différend jugé dans ce précédent concernait donc le critère légal de la capacité, et son application, car la loi provinciale elle‑même prévoyait que, sauf déclaration d’incapacité, un traitement médical ne pouvait être administré qu’avec le consentement du patient.

[73]La question constitutionnelle a été examinée dans l’arrêt Fleming v. Reid. Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario avait estimé que le droit en common law à l’intégrité corporelle et à l’autonomie de la personne—dont, selon elle, faisait partie le droit de refuser la prise de médicaments—était [traduction] « fondamental et digne du niveau de protection le plus élevé », et [traduction] « de même étendue » que le droit constitutionnel à la sécurité de la personne (à la page 88). Finalement, le régime législatif en cause dans cet arrêt fut jugé incompatible avec les principes de justice fondamentale, pas simplement parce qu’il disait que les volontés éclairées antérieures de patients psychiatriques devaient être ignorées, mais parce que le texte législatif ne permettait pas que ces volontés éclairées soient le moindrement prises en compte par la commission de révision au moment de déterminer la série de traitements du patient (voir la page 93). Les ordonnances de traitement prises par la Commission ont donc été jugées [traduction] « arbitraires et injustes » et ont été annulées (à la page 95). La Cour d’appel de l’Ontario a expressément évoqué la pertinence du contexte pour sa conclusion, faisant observer que [traduction] « [a]ucune urgence n’est alléguée ici, et il n’est pas donné à entendre que les appelants constituent une menace pour eux‑mêmes ou pour quiconque » (à la page 94). Il est donc évident que l’arrêt Fleming c. Reid constituait un cas d’espèce, qui ne permet pas d’affirmer qu’un droit illimité ou absolu de refuser un traitement médical dans tous les cas constitue un principe de justice fondamentale selon l’article 7 de la Charte.

[74]En l’espèce, contrairement aux arrêts Fleming v. Reid et Starson c. Swayze, l’appelant constitue un danger pour autrui : il est un délinquant à contrôler qui, par définition, est susceptible de récidiver, et il a commis de nombreuses infractions contre des enfants, y compris lorsqu’il était en probation et soumis à une surveillance de longue durée. Par ailleurs, la condition de traitement médical en cause ici a été imposée dans le dessein de rendre ce risque gérable au sein de la collectivité, permettant ainsi la mise en liberté de l’appelant aux conditions les moins restrictives, compte tenu de la protection du public. Contrairement aussi aux arrêts Fleming v. Reid et Starson c. Swayze, la présente affaire ne concerne pas l’administration forcée de médicaments : comme je l’ai expliqué plus haut, l’appelant peut choisir de ne pas prendre les médica-ments qui lui sont prescrits, mais il choisit aussi par le fait même de subir les conséquences de sa décision. Ces facteurs contextuels sont critiques et il en est tenu compte à juste titre dans le processus consistant à établir le contenu et le champ d’un principe donné de justice fondamentale (arrêt Winko, au paragraphe 66; arrêt Malmo‑Levine, aux paragraphes 98 et 99; arrêt R. c. Demers, au paragraphe 45). Vu ce contexte, qui comprend à la fois le régime législatif applicable aux délinquants à contrôler et les antécédents propres à l’appelant, ainsi que son profil de risque, je suis d’avis que la condition qui, dans l’ordonnance de surveillance de longue durée de l’appelant, oblige celui‑ci à prendre les médicaments prescrits par un médecin, une condition imposée par la Commission sans le consentement de l’appelant, ne contrevient pas aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte.

[75]J’arrive à la conclusion qu’un droit absolu de refuser en toute circonstance un traitement médical non souhaité ne constitue pas un principe de justice fondamentale selon l’article 7. La condition de traitement médical qui est en cause ici s’accorde avec les principes de justice fondamentale et ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte.

C) Dans l’affirmative, s’agit‑il d’une limite qui est raisonnable, conforme au droit et dont la justification peut se démontrer selon l’article premier de la Charte?

[76]Puisque je suis arrivé à la conclusion que la condition en cause ne porte pas atteinte aux droits garantis à l’appelant par l’article 7 de la Charte, je n’ai pas à me demander si la limite qu’elle représente peut se justifier selon l’article premier.

VI. Dispositif

[77]Pour les motifs ci‑dessus, l’appel sera rejeté. Puisque l’intimé n’a pas demandé que les dépens de la présente instance lui soient adjugés et puisqu’il a dit qu’il ne sollicitera pas l’adjudication de dépens pour l’instance introduite devant la Cour fédérale, il n’y aura aucune ordonnance portant adjudication de dépens.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.