2006 CF 461
IMM‑9766‑04
Jorge Luis Restrepo Benitez (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑9220‑04
Sirisena Kuruvita Arachchige (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑9452‑04
Afua Gyankoma (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑9797‑04
Mike Bilomba (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑353‑05
Gerardo Martin Rosales Rincon, Catalina Rodrigez Patino, Erlis Beatriz Delgado Ocando, Gerly Joanny Rosales Delgado, Wanda Sofia Rosales Delgado (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑407‑05
Edwin Ernesto Carrillo Mejia (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑934‑05
Majid Reza Yonge Savagoli (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑1144‑05
Muhammad Sadik Qadri (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑1419‑05
Juvinny Balmore Flores Gomez, Yaneth Beatriz Castillo Campos, Konny Beatriz Flores Castillo (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑1877‑05
Shurlyn Cathy Ann Jones, Shurnikya Jones (demanderesses)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑2034‑05
Luis Alejandro Lemus Ortiz (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑2150‑05
Inthikhab Hussain Matheen (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑2709‑05
Guillermo Gutierrez Trujillo (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑3313‑05
Jacqueline Robinson (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑3994‑05
Sirisena Kuruvita Arachchige (demanderesse)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑4044‑05
Ranjit Dey Roy, Ratna Rani Dey Roy, Swakshar Dey Roy, Swaikot Dey Roy (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑712‑05
Mena Guirguis, Marie Goorgy, Monica Guirguis, Malak Guirguis (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑470‑05
Jorge Isaac Martinez Martinez, Eva Libertad Morales (aussi appelée Eva Libertad Morales De Martinez), Jorge Armando Martinez Morales (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
IMM‑4064‑05
Sutharmini Kamalendran, Sinojan Kamalendran (demandeurs)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Mosley—Toronto, 7 et 8 mars; Ottawa, 10 avril 2006.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire d’une décision du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) d’adopter les Directives no 7 en application de l’art. 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les Directives no 7 imposent un ordre normalisé d’interrogatoire des demandeurs d’asile ainsi que la façon et la procédure applicables pour modifier l’ordre de procéder — Il s’agissait de savoir si la procédure imposée par les Directives no 7 était contraire aux principes de justice naturelle — La justice naturelle n’exige pas que le procureur d’un demandeur d’asile interroge d’abord son client pour que celui‑ci ait une possibilité valable de présenter complètement sa cause — Le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la CISR de déterminer la procédure à suivre dans le cadre de procédures de détermination du statut de réfugié n’a pas été entravé par l’application des Directives no 7 — Les directives ne constituent pas des règles contraignantes et elles n’outrepassent pas le pouvoir du président — Demandes rejetées.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs — Équité procédurale — Il s’agissait de savoir si l’ordre des interrogatoires adopté par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en vertu des Directives no 7 était contraire à la justice naturelle — Dans les décisions rendues avant Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), on a conclu que l’« ordre inverse des interrogatoires » à lui seul ne privait pas un demandeur d’asile du droit à l’équité procédurale — Les tribunaux administratifs sont libres, dans une mesure raisonnable, d’établir leurs propres procédures étant donné qu’ils sont « maîtres chez eux » pour ce qui a trait aux procédures administratives internes — Les facteurs dont il faut tenir compte pour décider si l’obligation d’équité prévue par la common law a été respectée par les procédures en question ont été examinés par la C.S.C. dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) — Une crainte raisonnable de partialité institutionnelle n’existe pas simplement parce que les commissaires interrogent les demandeurs d’asile en l’absence d’un agent de protection des réfugiés ou avant le procureur du demandeur d’asile — La question de la partialité doit être traitée au cas par cas — L’application des Directives no 7 n’entravait pas le pouvoir discrétionnaire des commissaires.
Pratique — Renonciation — À quel moment faut‑il s’opposer à l’utilisation des Directives no 7 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié? — Examen de la jurisprudence sur les principes généraux de la renonciation — Pour être valable, toute renonciation doit être faite librement et en pleine connaissance de tous les faits concernant la décision de renoncer ou non — Un demandeur doit soulever une allégation de partialité ou tout autre manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion qui lui est donnée, lorsqu’il est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection — Le fait de ne pas s’opposer au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à invoquer toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles‑mêmes — La renonciation ne peut être implicite lorsque la partie contre laquelle elle est invoquée a soulevé une objection à la procédure avant l’audience ou au cours de celle‑ci.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Il s’agissait de savoir si l’ordre des interrogatoires imposé par les Directives no 7 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié était contraire à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — La Charte protège les intérêts relatifs à la sécurité des personnes qui revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention — Les demandeurs d’asile ont droit à ce que leur statut soit déterminé selon les principes de justice fondamentale — La « justice fondamentale » au sens où cette expression est utilisée à l’art. 7 de la Charte est un concept plus large que celui de justice naturelle en droit administratif qui englobe des éléments de fond tout autant que des éléments procéduraux — Cette affaire concernait des questions classiques de droit administratif qui pouvaient être tranchées en vertu des principes de justice naturelle et d’équité sans qu’il fût besoin d’invoquer la Charte — Il n’était pas nécessaire que la Cour détermine la portée et l’effet de la justice fondamentale garantie par l’art. 7 au regard de l’application des Directives.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Il s’agissait de savoir si l’ordre des interrogatoires imposé par les Directives no 7 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié portait atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’art. 15 de la Charte — Il n’y avait pas de fondement factuel suffisant pour décider si les demandeurs d’asile dans les instances visant à déterminer le statut de réfugié faisaient l’objet de discrimination du fait de l’application des Directives no 7.
Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire d’une décision du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’adopter une directive intitulée Directives no 7 : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés. Le pouvoir discrétionnaire du président de donner des directives aux commissaires de la CISR lui est conféré par l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), qui prévoit que ce pouvoir a pour but d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions. Le paragraphe 19 des Directives no 7 dispose que [d]ans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR [agent de protection des réfugiés] qui commence à interroger le demandeur d’asile. En l’absence d’un APR à l’audience, le commissaire commence l’interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d’asile. Selon le paragraphe 23 des Directives no 7, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) peut changer l’ordre des interrogatoires dans des circonstances exceptionnelles. Ces directives ont récemment fait l’objet d’une décision rendue par la Cour fédérale dans Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), où le juge Blanchard avait estimé que les Directives no 7 entravaient illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR et que la décision dont il avait été saisi devait être infirmée. L’une des demanderesses a soutenu qu’un commissaire de la SPR ne peut jamais, en l’absence d’un APR, interroger le demandeur d’asile avant le procureur de celui‑ci et que cette pratique entraîne une crainte de partialité institutionnelle et mine le droit des demandeurs d’asile de se faire entendre devant un tribunal impartial et indépendant. Un autre demandeur a affirmé qu’on a porté atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte en ce que les demandeurs d’asile font l’objet de discrimination puisqu’on leur refuse les mêmes protections procédurales dont bénéficient d’autres demandeurs qui se présentent devant des organismes judiciaires ou quasi‑judiciaires. Les questions suivantes ont été soulevées en l’espèce : 1) quelle était la norme de contrôle applicable aux demandes sous examen? 2) une analyse de la procédure prévue dans les Directives no 7 devait‑elle être faite au regard de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l’affirmative, ces directives contrevenaient‑elles à la justice fondamentale garantie par l’article 7 ou enfreignaient‑elles l’article 15 de la Charte? 3) la procédure imposée par les Directives no 7 était‑elle, en soi, contraire aux principes de justice naturelle qui existent en common law? 4) la mise en œuvre des Directives no 7 entravait‑elle le pouvoir discrétionnaire des commissaires? 5) les Directives no 7 outrepassaient‑elles le pouvoir du président d’adopter des directives? 6) l’interrogatoire mené par le commissaire de la CISR entraînait‑il une crainte raisonnable de partialité institutionnelle? et 7) si la justice naturelle entre en jeu, à quel moment le demandeur devait‑il s’opposer à l’utilisation des Directives no 7?
Jugement : les demandes sont rejetées.
1) Dans les demandes de contrôle judiciaire se rapportant à des mesures prises par les tribunaux administratifs, le point de départ consiste habituellement à déterminer la norme de contrôle à suivre selon une analyse pragmatique et fonctionnelle, ce qui est une question de droit. Toutefois, il n’est pas nécessaire que la Cour effectue une analyse pragmatique et fonctionnelle lorsqu’elle examine des allégations de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. Si elle arrive à la conclusion qu’il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, elle n’est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision de la CISR. Lorsque la Cour conclut qu’une crainte raisonnable de partialité a entraîné un manquement à l’équité, la norme est particulièrement exigeante lorsque, comme en l’espèce, les droits accordés aux demandeurs d’asile dans des procédures devant la CISR sont en jeu.
2) Les demandeurs ont plaidé que l’ordre des interrogatoires imposé par le paragraphe 19 des Directives no 7 est contraire aux articles 7 et 15 de la Charte et qu’en autorisant le commissaire à mener un interrogatoire principal auprès du demandeur d’asile, le paragraphe 19 prive celui‑ci de son droit d’être entendu par un appareil judiciaire équitable et indépendant, ce qui entraîne une crainte raisonnable de partialité. La Charte protège les intérêts relatifs à la sécurité des personnes qui revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention; ces personnes ont droit à ce que leur statut soit déterminé selon les principes de justice fondamentale. La « justice fondamentale », au sens où cette expression est utilisée à l’article 7 de la Charte, est un concept plus large que celui de justice naturelle en droit administratif et englobe des éléments de fond tout autant que des éléments procéduraux. Cette affaire concernait des questions classiques de droit administratif qui pouvaient être tranchées en vertu des principes de justice naturelle et d’équité sans qu’il fût besoin d’invoquer la Charte. Il n’était pas nécessaire que la Cour détermine la portée et l’effet de la justice fondamentale garantie par l’article 7 au regard de l’application des directives. Les audiences qui se déroulent devant la SPR sont de nature administrative et non accusatoire, comme il ressort du texte du paragraphe 162(2) et de l’article 170 de la LIPR. Ces dispositions indiquent que le législateur avait l’intention d’éviter les formalités qui sont accessoires aux audiences dans des instances civiles ou criminelles. Cette intention du législateur n’est pas incompatible avec les exigences de la justice fondamentale. En vertu des Directives no 7, il reste loisible à chaque demandeur au cours d’une audience sur une demande d’asile de présenter complètement tous les éléments de sa cause que l’APR ou le commissaire n’abordent pas dans son interrogatoire initial et de se faire aider en cela par son avocat. Pour ce qui est de l’article 15 de la Charte, il n’y avait pas de fondement factuel suffisant pour permettre à la Cour de décider si les demandeurs d’asile dans les procédures visant à déterminer le statut de réfugié faisaient l’objet de discrimination du fait de l’application des Directives no 7 au sens où l’entend cet article.
3) La question de savoir si l’ordre des interrogatoires adopté par la CISR en vertu des Directives no 7 est, en soi, contraire à la justice naturelle a été abordée dans bon nombre de décisions de la Cour fédérale avant la décision Thamotharem. Dans aucune de ces décisions n’a‑t‑on conclu que « l’ordre inversé des interrogatoires » à lui seul privait un demandeur d’asile du droit à l’équité procédurale. On a dû examiner la procédure suivie dans chaque cas pour décider s’il y avait eu manquement à l’équité. Les facteurs dont il faut tenir compte pour décider si l’obligation d’équité prévue par la common law a été respectée par les procédures en question ont été examinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Après examen des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, il n’a pas été établi que la justice naturelle exige que le procureur d’un demandeur d’asile interroge d’abord son client de sorte que celui‑ci ait une possibilité valable de présenter complètement et équitablement sa cause, ou que les Directives no 7 privent réellement le demandeur d’asile de l’aide que peut lui apporter son procureur. La possibilité, pour le demandeur, de déposer des prétentions écrites et de produire une preuve devant la CISR, d’obtenir une audience à laquelle participe son procureur et de présenter des observations de vive voix satisfait aux exigences relatives aux droits de participation requis par l’obligation d’équité et les Directives no 7 ne contreviennent pas en soi à cette obligation.
4) La conclusion tirée dans la décision Thamotharem selon laquelle il y avait eu entrave au pouvoir discrétionnaire des commissaires de la CISR par suite de la mise en œuvre des Directives no 7 s’appuyait sur le libellé même des Directives et sur la preuve intrinsèque de la façon dont elles pouvaient être interprétées et appliquées par les commissaires de la SPR, et non sur les faits particuliers de la cause. Le libellé des Directives no 7 pouvait être interprété comme étant de nature obligatoire par un commissaire inexpérimenté et manquant de confiance en lui‑même et, en général, les commissaires pouvaient ressentir la pression exercée par la haute direction pour s’y conformer. Mais cela ne mène pas nécessairement à la conclusion que les commissaires s’estiment obligés de les appliquer comme s’il s’agissait d’une loi, d’un règlement ou d’une règle formelle prise en vertu du pouvoir du président. Les Directives ne sont pas invalidées du simple fait qu’elles réglementent la conduite des personnes à qui elles s’adressent. La preuve n’appuyait pas une conclusion d’entrave semblable à celle qui a été examinée par les tribunaux dans d’autres décisions. Le texte des Directives no 7 autorise l’examen des circonstances particulières de chaque cas et l’application de certaines exceptions à la pratique normalisée. L’énoncé de politique générale que le président a émis concernant toutes les Directives prévoit expressément qu’elles ne sont pas obligatoires. Il n’y avait pas de preuve que ceux qui avaient choisi d’ignorer ou de ne pas appliquer strictement ces directives avaient subi quelque conséquence que ce soit. Les demandeurs n’ont pas démontré que le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR d’établir la procédure à suivre dans les instances relatives aux demandes d’asile dont ils étaient saisis a été entravé par l’application des Directives no 7.
5) La question était de savoir si le président avait outrepassé les limites du pouvoir qui lui est conféré par la loi de donner des directives et s’il avait imposé une règle obligatoire qui exigeait des mesures législatives ou l’approbation du gouverneur en conseil. Le pouvoir du président de donner des directives est prévu à l’alinéa 159(1)h) de la LIPR et il n’y avait pas, dans l’interprétation de l’alinéa, une ambiguïté qui pouvait être résolue en faisant référence à une virgule manquante, comme les demandeurs l’affirmaient. L’intention du législateur dégagée du sens ordinaire des mots utilisés fait ressortir que le président est autorisé à la fois à donner des directives et à désigner certaines décisions de la CISR que les commissaires sont invités à prendre comme modèles. Les tribunaux administratifs sont libres, dans une mesure raisonnable, d’établir leur propre procédure étant donné qu’ils sont « maîtres chez eux » pour ce qui a trait aux procédures administratives internes. Il n’y a aucune restriction dans la loi quant à la portée des directives que le président peut donner tant et aussi longtemps qu’elles ont pour but « d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions ». Le pouvoir du président de donner des directives est suffisamment large pour englober l’adoption d’une procédure comme l’ordre normalisé des interrogatoires prévu par les Directives no 7. Les Directives ne constituent pas des règles contraignantes et elles n’outrepassent pas, en tant que telles, le pouvoir du président.
6) Une demanderesse a fait valoir que par suite de la présence de moins en moins fréquente des APR dans les audiences relatives aux demandes d’asile, le rôle du commissaire est déformé, ce qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle, situation qui compromet l’indépendance et l’impartialité de la Commission. On ne pourra conclure à une partialité institutionnelle à moins qu’une personne bien renseignée n’éprouve une crainte raisonnable dans un grand nombre de cas. Autrement, les allégations de crainte de partialité ne peuvent porter sur l’institution dans son ensemble, mais doivent être traitées au cas par cas. Les circonstances entourant l’adoption par la Commission de l’ordre normalisé des interrogatoires ne se comparaient pas avec celles que la Cour d’appel fédérale a examinées dans l’affaire Kozak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration). Une crainte raisonnable de partialité n’existe pas simplement parce que le commissaire mène l’interrogatoire. Toutefois, un interrogatoire musclé peut constituer un manquement à l’équité. La jurisprudence citée n’appuyait pas la thèse selon laquelle un changement dans l’ordre des interrogatoires donne lieu en soi à une crainte raisonnable de partialité. La question de la partialité dans ce contexte doit être traitée au cas par cas.
7) La question de la renonciation s’est posée parce qu’un certain nombre de demandeurs n’ont ni soulevé d’objection à la procédure prévue dans les Directives no 7 au cours de l’audience, ni demandé au commissaire de changer l’ordre des interrogatoires. La jurisprudence n’est pas fixée sur la question de savoir à quel moment un demandeur doit s’opposer à l’ordre des interrogatoires pour que ce point puisse être débattu au cours du contrôle judiciaire. Pour être valable, toute renonciation doit être faite librement et en pleine connaissance de tous les faits concernant la décision de renoncer ou non. Un demandeur doit soulever une allégation de partialité ou tout autre manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion qui lui est donnée, lorsqu’il est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection. Le fait de ne pas s’opposer au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à invoquer toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles‑mêmes. L’application de la doctrine de la renonciation n’empêche pas un demandeur de faire valoir que la façon dont l’audience a été menée constituait un manquement à l’obligation d’équité. Les arguments non invoqués devant le tribunal ne peuvent pas être soulevés au cours d’un contrôle judiciaire. Les demandeurs en l’espèce qui n’ont pas soulevé de questions d’équité procédurale au sujet des Directives no 7 devant la Commission et dans leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devraient être forclos de le faire par voie d’observations écrites ou verbales à cette étape‑ci de l’instance. La renonciation ne peut être implicite lorsque la partie contre laquelle elle est invoquée a soulevé une objection à la procédure avant l’audience ou au cours de celle‑ci. Ce que la doctrine cherche à éviter, c’est le cas du justiciable qui ne dit rien pendant toute la procédure et qui essaie de tirer parti de la question devant une instance supérieure. Si les demandeurs ont omis de mentionner le déni d’équité procédurale dans leurs demandes d’autorisation, le contrôle judiciaire de ces demandes devrait se limiter aux motifs pour lesquels ils ont demandé l’autorisation.
En appliquant ces principes aux causes en l’espèce, il y avait certaines causes dans lesquelles il n’y avait pas eu de renonciation parce qu’une objection avait été formulée en temps opportun avant l’audience devant la Commission ou au cours de l’audience et parce que le déni d’équité procédurale a été mentionné comme motif de contrôle judiciaire dans la demande d’autorisation, soit expressément, soit sous forme de clause omnibus. Dans ces causes, la question de l’équité procédurale relative à l’application des Directives no 7 a pu être débattue. Il y avait d’autres causes dans lesquelles aucune objection n’avait été soulevée avant ou au cours de l’audience et pour lesquelles la renonciation était implicite. Dans ces causes, les demandeurs ne pouvaient faire valoir un manquement à l’équité procédurale relativement aux Directives no 7.
Sept questions ont été certifiées parce qu’elles transcendaient les intérêts des parties immédiates au litige, soulevaient des questions graves de portée générale et pouvaient permettre de trancher l’appel.
lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 15.
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C‑12, art. 23.
Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, art. 2 « règlement ».
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5).
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 57 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54).
Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I‑11.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 16 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 155).
Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S‑22.
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 65(3) (édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 55), 69(4) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 74, 159(1)h), 161, 162(2), 170.
Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, règles 19, 21, 23, 24, 25, 27, 43, 44.
Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, règles 1 (mod. par DORS/2004‑283, art. 1), 105a), 107(1), 301 (mod., idem, art. 36), 369, 383 (mod., idem, art. 22).
jurisprudence citée
décision non suivie :
Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 168; 2006 CF 16.
décisions différenciées :
Kozak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 4 R.C.F. 377; 2006 CAF 124; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195; 2004 CAF 49.
décisions examinées :
Hansard Spruce Mills Ltd. (Re), [1954] 4 D.L.R. 590; (1954), 13 W.W.R. (N.S.) 285 (C.S.C.-B.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; 2002 CSC 3; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; 2002 CSC 42; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3; 2002 CSC 1; MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357; Zaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1066; Herrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1724; Sandor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1782; Rajaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.) (QL); Ainsley Financial Corp. v. Ontario Securities Commission (1994), 21 O.R. (3d) 104; 121 D.L.R. (4th) 79; 28 Admin. L.R. (2d) 1; 77 O.A.C. 155 (C.A.); conf. (1993), 14 O.R. (3d) 280; 106 D.L.R. (4th) 507; 17 Admin. L.R. (2d) 281; 10 B.L.R. (2d) 173 (Div. gén.); Jin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 57; Vazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 106; Leung v. Ontario (Criminal Injuries Compensation Board) (1995), 24 O.R. (3d) 530; 82 O.A.C. 43 (C. div.); 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781; 2001 CSC 52; Farkas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 190; Affaire intéressant le Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1986] 2 R.C.S. v; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL); Zündel c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2000] A.C.F. no 1838 (C.A.) (QL); Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (1re inst.); conf. par [2001] 4 C.F. 85; 2001 CAF 191; Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627; Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148; Marshall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 34; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Ganji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1120 (1re inst.) (QL); Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1615 (1re inst.) (QL); Mercier‑Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 1024 (1re inst.) (QL); Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.).
décisions citées :
Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S. 153; 2004 CSC 54; S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; 2003 CSC 29; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76; 2004 CSC 4; Procureur général (Qué.) et Glassco c. Cumming, [1978] 2 R.C.S. 605; Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530; Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307; 2000 CSC 44; R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3; 2002 CSC 75; B.D.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 866; Cortes Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 738; Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1121; Fabiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1260; Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 622; Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1974] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL); Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1693 (1re int.) (QL); Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.); Cota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 872 (1re inst.) (QL); Shahib c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1250; Bady‑Badila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 399; Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560; Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; R.A.Y. (Re), [2002] D.S.S.R. no 236 (QL); R.K.N. (Re), [2004] D.S.P.R. no 14 (QL); Fouchong c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 1727 (1re inst.) (QL); Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.); R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3; Zündel c. Citron, [2000] 4 C.F. 225 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2000] 2 R.C.S. xv; Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379; Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892; Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; Conseil national des femmes métisses c. Canada (Procureur général), [2005] 4 R.C.F. 272; 2005 CF 230; Schut c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 424 (1re inst.) (QL); Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1995] 4 R.C.S. vii; Toussaint c. Canada (Conseil canadien des relations du travail), [1993] A.C.F. no 616 (C.A.) (QL); Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. Canadienne des fournisseurs Internet, 2001 CAF 4; Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL).
doctrine citée
Canada. Bureau du Conseil privé. Gouvernement du Canada politique de réglementation. Ottawa, novembre 1999.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Ottawa : CISR, 1993.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 1 : Civils non combattants qui craignent d’être persécutés dans des situations de guerre civile : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration. Ottawa : CISR, 1996.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 2 : Directives sur la détention : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(4) de la Loi sur l’immigration. Ottawa : CISR, 1998.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration. Ottawa : CISR, 1996.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration. Ottawa : CISR, 1996.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 5 : Directives concernant la transmission du FRP et le désistement pour défaut de transmission du FRP à la Section de la protection des réfugiés : Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ottawa : CISR, 2003.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 6 : Mise au rôle et changement de la date ou de l’heure d’une procédure à la Section de la protection des réfugiés : Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ottawa : CISR, 2003.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Directives no 7 : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés : Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Ottawa : CISR, 2003.
Canada. Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels, Politique no 2003‑01. Ottawa : CISR, 2003.
Canadian Oxford Dictionary, 2nd ed. Toronto : Oxford University Press, 2004, « guideline ».
Nouveau Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert, 2002, « directive ».
Oxford English Dictionary, 2nd ed. Oxford : Clarendon Press, 1989, « guideline ».
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto : Butterworths, 2002.
DEMANDES de contrôle judiciaire concernant une directive émise par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demandes rejetées; questions certifiées.
ont comparu :
Matthew James Jeffery, pour les demandeurs.
Jamie R.D. Todd, Catherine C. Vasilaros, John Provart et Michael W. Butterfield, pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier :
Matthew J. Jeffery, Toronto, pour les demandeurs.
Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par
Le juge Mosley :
L’historique procédural
[1] Les présents motifs portent sur 19 demandes de contrôle judiciaire qui ont été partiellement réunies afin d’être entendues conformément à l’ordonnance de la juge Judith A. Snider en date du 20 février 2006. Chacune de ces 19 demandes soulève des questions concernant des directives adoptées par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
[2] Ces directives, intitulées Directives no 7 : Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés, ont récemment fait l’objet d’une décision rendue par le juge Edmond P. Blanchard dans Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 168 (C.F.). Dans ses motifs rendus le 6 janvier 2006, le juge Blanchard a estimé que les Directives no 7 entravaient illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) et il a conclu que la décision dont il était saisi devait être infirmée et la demande renvoyée afin qu’un tribunal différemment constitué se prononce de nouveau sur la question. Dans une ordonnance en date du 19 janvier 2006, le juge Blanchard a accueilli la demande et a certifié trois questions qui étaient selon lui des questions graves de portée générale au sens de l’alinéa 74d) de la LIPR. Un appel, ainsi qu’un appel incident, ont été déposés concernant cette décision.
[3] Après que la décision du juge Blanchard dans Thamotharem eut été rendue publique, on s’est aperçu que plusieurs demandes de contrôle judiciaire soulevaient des questions semblables et avaient été inscrites au rôle pour être entendues par différents juges de la Cour. Après avoir consulté les avocats des parties, le juge en chef Allan Lutfy a ordonné que 20 demandes soient instruites comme des instances à gestion spéciale et, conformément à la règle 383 [mod. par DORS/2004‑ 283, art. 22] des Règles des Cours fédérales [DORS/98‑ 106, règle 1 (mod. par DORS/2004-283, art. 2)], il a nommé le juge Gibson et la juge Snider responsables de la gestion de ces demandes.
[4] Le juge Frederick E. Gibson et la juge Snider ont à plusieurs reprises participé à des conférences téléphoniques avec les avocats des parties en février. Une fois convaincue qu’il était dans l’intérêt de la justice que les questions concernant les Directives no 7 soient traitées aussi rapidement que possible pour en assurer l’équité et la justice, la juge Snider a ordonné la réunion des 20 demandes.
[5] Conformément à l’alinéa 105a) des Règles des Cours fédérales, l’ordonnance de la juge Snider prévoyait que les demandes de contrôle judiciaire ainsi réunies seraient, en partie, instruites conjointement, ou successivement, à la discrétion du juge chargé de l’audition. En vertu du paragraphe 107(1) des Règles des Cours fédérales, les questions soulevées dans les demandes de contrôle judiciaire ainsi réunies qui concernent en totalité ou en partie les Directives no 7 devaient être jugées séparément dans le cadre d’une seule audience, à laquelle pourraient participer par vidéoconférence les avocats exerçant à l’extérieur de la région métropolitaine de Toronto s’il leur était impossible d’y assister en personne. L’ordonnance mentionnait également que toutes les autres questions soulevées dans chacune des causes réunies seraient jugées au cours d’audiences tenues séparément et présidées par un ou plusieurs juges, le plus rapidement possible à l’issue de l’audience accélérée portant sur les questions soulevées par les Directives no 7. L’ordonnance fixait également des délais pour le dépôt d’autres observations écrites et d’affidavits, et l’achèvement des contre‑interrogatoires des auteurs des affidavits.
[6] Avant l’audience concernant les questions soulevées par les Directives no 7, une demande a été résolue sur consentement des parties, ce qui laisse donc 19 demandes à juger dans le cadre de la présente instance. L’audience a eu lieu à Toronto les 7 et 8 mars 2006, les avocats de Montréal et Halifax ayant participé par vidéoconférence. Les observations ont été reçues successivement des avocats de chacun des demandeurs et ont été suivies des observations réunies du défendeur. Les observations déposées en réplique ont été reçues dans le même ordre. Étant donné que l’un des demandeurs a demandé et obtenu l’autorisation, par consentement, de déposer un document de la CISR à l’étape des observations déposées en réplique, les avocats ont été invités à fournir par écrit d’autres observations sur le contenu de ce document à la suite de l’audience, en plus de proposer des questions graves de portée générale aux fins de la certification conformé-ment à l’article 74 de la LIPR.
[7] La preuve dont était saisi le juge Blanchard dans la décision Thamotharem a également été déposée dans la présente instance. Cette preuve inclut les affidavits et les contre‑interrogatoires de M. Raoul Boulakia, président de la Refugee Lawyers Association, du professeur James Galloway de l’Université de Victoria et ancien commissaire de la CISR, du Dr Donald Payne, psychiatre, et de Me Paul Aterman, avocat et directeur général des opérations de la CISR. Ces dépositions sont décrites en détail dans les motifs du juge Blanchard, aux paragraphes 26 et 27.
[8] Un deuxième affidavit de Me Aterman, fait sous serment le 6 janvier 2006, et le contre‑interrogatoire du 23 février 2006 relatif à cet affidavit, ont également été déposés. En outre, le défendeur a déposé l’affidavit d’Asad Kiyani, fait sous serment le 20 février 2006, auquel étaient joints deux volumes des décisions de la SPR et des extraits de transcriptions d’audiences de la SPR ayant trait à l’application des Directives no 7.
[9] Des services d’interprétation simultanée en anglais et en français ont été fournis le mardi 7 mars 2006 à la demande de l’avocat du défendeur. L’avocate d’un demandeur a présenté ses observations en français. Les observations dans les deux langues officielles ont été entendues et comprises par la Cour sans l’aide d’un interprète, comme l’exige l’article 16 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 155] de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.
[10] Conformément à l’ordonnance visant la réunion des demandes, les observations des avocats concernant les faits se rapportant à chaque demande de contrôle judiciaire n’ont pas été déposées aux fins de la présente instance, sauf dans la mesure où les avocats jugeaient nécessaire d’y faire référence pour appuyer leur argumentation sur les questions relatives aux Directives no 7. Les avocats ont attiré l’attention de la Cour sur la situation particulière de certains demandeurs dont on pouvait craindre qu’ils soient trop sensibles au stress dans une salle d’audience et aux questions pouvant leur être posées par des étrangers. Les avocats ont également fait référence à des parties des transcriptions des audiences relatives aux demandes d’asile pour illustrer certains des points en cause.
[11] Après l’audience, le 13 mars 2006, l’avocat de l’un des demandeurs a déposé une requête écrite en vertu de la règle 369 pour obtenir une ordonnance autorisant son client à modifier son dossier de demande en y incluant un deuxième affidavit de M. Boulakia, auquel est jointe une récente décision d’un commissaire de la SPR opposé aux Directives no 7. Le défendeur s’est opposé à cette requête au motif qu’elle était incompatible avec l’ordonnance de la juge Snider en date du 20 février 2006. Dans une ordonnance datée du 1er avril 2006, j’ai rejeté la requête en modification du dossier de la demande.
LE CADRE LÉGISLATIF
[12] Les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui sont d’une importance particulière dans la présente instance sont, à mon avis, l’alinéa 159(1)h), l’article 161, le paragraphe 162(2) et l’article 170.
[13] Le pouvoir discrétionnaire du président de donner des directives aux commissaires de la CISR lui est conféré par l’alinéa 159(1)h) de la LIPR. La disposition prévoit que ce pouvoir s’exerce en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions :
159. (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d’office des quatre sections; à ce titre :
[. . .]
h) après consultation des vice‑présidents et du directeur général de la Section de l’immigration et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel;
[14] En vertu de l’article 161 de la LIPR, le président de la CISR peut également prendre des règles visant, entre autres choses, les « travaux, la procédure et la pratique » de chacune des sections de la CISR. Les règles établies en vertu de ce pouvoir exigent l’approbation du gouverneur en conseil et doivent être déposées devant chacune des chambres du Parlement dans les 15 jours suivant leur approbation. Je signale qu’il n’y a pas d’exigence semblable pour les directives ou le guide jurisprudentiel dont il est question à l’alinéa 159(1)h). Voir les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228.
[15] Le texte du paragraphe 161(1) est reproduit ci‑dessous :
161. (1) Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec les vice‑présidents et le directeur général de la Section de l’immigration, le président peut prendre des règles visant :
a) les travaux, la procédure et la pratique des sections, et notamment les délais pour interjeter appel de leurs décisions, l’ordre de priorité pour l’étude des affaires et les préavis à donner, ainsi que les délais afférents;
b) la conduite des personnes dans les affaires devant la Commission, ainsi que les conséquences et sanctions applicables aux manquements aux règles de conduite;
c) la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d’examen des renseignements à fournir dans le cadre d’une affaire dont la Commission est saisie;
d) toute autre mesure nécessitant, selon lui, la prise de règles.
[16] Le paragraphe 162(2) indique que le législateur avait l’intention que les instances devant la CISR se déroulent avec aussi peu de formalisme et autant de célérité que le permet le respect des règles de justice naturelle :
162. (1) [. . .]
(2) Chacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité.
[17] L’article 170 décrit le mandat de la Section de la protection des réfugiés et énonce certaines considéra-tions obligatoires et facultatives concernant son fonctionnement :
170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :
a) procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien‑fondé de la demande;
b) dispose de celle‑ci par la tenue d’une audience;
c) convoque la personne en cause et le ministre;
d) transmet au ministre, sur demande, les renseignements et documents fournis au titre du paragraphe 100(4);
e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;
f) peut accueillir la demande d’asile sans qu’une audience soit tenue si le ministre ne lui a pas, dans le délai prévu par les règles, donné avis de son intention d’intervenir;
g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;
h) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;
i) peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
LE CONTEXTE DE LA CONTROVERSE RELATIVE AUX DIRECTIVES No 7
[18] Sous le régime d’une disposition de la loi précédente, en l’occurrence le paragraphe 65(3) [édicté par L.C. 1992, ch. 49, art. 55] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, des directives ont été établies par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour favoriser la cohérence et la transparence des décisions portant sur un certain nombre de sujets. Les Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe ont été adoptées en 1993 et mises à jour en novembre 1996 [Directives no 4]. Les Directives no 1 : Civils non combattants qui craignent d’être persécutés dans des situations de guerre civile ont été adoptées en mars 1996; Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, en septembre 1996; et les Directives no 2 : Directives sur la détention, le 12 mars 1998. À l’entrée en vigueur de la LIPR, le 28 juin 2002, les directives concernant les femmes qui craignent d’être persécutées en raison de leur sexe, les civils non combattants et les enfants qui revendiquent le statut de réfugié ont été remises en vigueur par le président en application de l’alinéa 159(1)h).
[19] En octobre 2003, le président a adopté trois nouvelles séries de directives dans le cadre d’un plan d’action visant à réduire l’arriéré des demandes d’asile qui s’était accumulé jusqu’à cette date. Les Directives no 5 traitant du dépôt des formulaires de renseignements personnels et de la procédure de désistement sont entrées en vigueur le 30 octobre 2003 [Directives no 5 : Directives concernant la transmission du FRP et le désistement pour défaut de transmission du FRP à la Section de la protection des réfugiés], et les Directives no 6, ayant trait à la fixation et au changement des dates, le 1er décembre 2003 [Directives no 6 : Mise au rôle et changement de la date ou de l’heure d’une procédure à la Section de la protection des réfugiés]. Les Directives no 7 sont également entrées en vigueur le 1er décembre 2003, mais elles n’ont été appliquées entièrement qu’en juin 2004.
[20] Les affidavits de Paul Aterman décrivent l’objet de ces directives du point de vue de la CISR. Il dit qu’elles ont pour objet de traiter de questions juridiques précises, de fournir une orientation sur des questions mixtes de fait et de droit, de codifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire, et de donner des conseils sur les questions procédurales. Leur objet est donc de favoriser l’uniformité, la cohérence et l’équité dans le traitement des cas soumis à la CISR. Elles ne sont pas considérées comme obligatoires. Les commissaires sont invités à exercer leur pouvoir discrétionnaire d’adopter une démarche différente lorsque celle‑ci est justifiée dans des cas particuliers. Ces opinions sont également exprimées dans une déclaration intitulée [traduction] « Politique sur l’utilisation des directives données par le président », jointe sous la pièce « J » au deuxième affidavit de M. Aterman.
[21] Au paragraphe 30 du deuxième affidavit, M. Aterman déclare qu’avant l’établissement des Directives no 7, l’ordre des interrogatoires au cours des audiences de la SPR variait selon les régions administratives de la CISR. Les Directives no 7 ont instauré à l’échelle nationale un ordre normalisé d’interrogatoire. Son affidavit décrit aussi les consultations tenues auprès des organismes non gouvernementaux intéressés avant la mise en œuvre des directives et qui ont amené la CISR à prendre des mesures pour répondre aux préoccupations exprimées. Ces mesures comprenaient entre autres des séances de formation interne sur la manière de mener un interrogatoire et une période de mise en application graduelle de six mois du 1er décembre 2003 au 31 mai 2004, au cours de laquelle l’ordre normalisé n’était suivi qu’avec le consentement du demandeur d’asile.
[22] Au paragraphe 19 des Directives no 7, qui est déposé sous la pièce « I » du deuxième affidavit de M. Aterman, les commissaires de la SPR et d’autres commissaires reçoivent le conseil suivant :
Dans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR [agent de protection des réfugiés] qui commence à interroger le demandeur d’asile. En l’absence d’un APR à l’audience, le commissaire commence l’interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d’asile. [Non souligné dans l’original.]
[23] Le paragraphe se termine sur la déclaration suivante :
Cette façon de procéder permet ainsi au demandeur d’asile de connaître rapidement les éléments de preuve qu’il doit présenter au commissaire pour établir le bien‑fondé de son cas.
[24] Les Directives prévoient que la SPR définira les questions devant être traitées au cours de l’audience au moyen de la production du formulaire d’examen initial de la SPR et de l’avis de convocation et que l’interrogatoire se limitera à ces questions et à toutes celles que le demandeur d’asile souhaite proposer. Les Directives no 7 traitent de questions comme la prépara-tion du cas, la communication des documents, les demandes d’information, les conférences informelles avant l’audience, l’interprétation et le dépôt d’observa-tions. Les Directives prévoient également l’ordre des interrogatoires en cas d’intervention du ministre sur la question de l’exclusion, sur d’autres questions, ou dans une demande d’annulation ou de constat de perte d’asile.
[25] Selon le paragraphe 23 des Directives, le commissaire peut changer l’ordre des interrogatoires dans des circonstances exceptionnelles. À titre d’exemples, on mentionne un demandeur d’asile très perturbé ou un très jeune enfant qui pourrait se sentir intimidé par les questions d’un examinateur inconnu au point de ne pas être en mesure de les comprendre ni d’y répondre convenablement. Dans de telles circonstances, selon ce que prévoit le paragraphe, le commissaire peut décider de permettre au conseil du demandeur de commencer l’interrogatoire. Toutefois, la partie qui estime que de telles circonstances exceptionnelles existent doit soumettre une demande en vue de changer l’ordre des interrogatoires avant l’audience et cette demande doit être faite conformément à la règle 44 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, c’est‑à‑dire par écrit, avant l’audience, et être appuyée par une preuve sous forme d’affidavit ou de déclaration solennelle.
[26] Les Directives s’ouvrent sur les mots suivants :
Les tribunaux administratifs s’acquittent de leurs fonctions de façon moins formelle et selon une procédure plus expéditive que les cours de justice. Ainsi, la CISR est tenue, par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), de fonctionner sans formalisme et avec célérité et équité. Les présentes directives, données par le président, visent à expliquer les mesures prises par la SPR avant et pendant l’audience pour rendre sa procédure plus efficace tout en étant équitable. Les directives précisent également les attentes de la SPR à l’égard des participants.
Les directives s’appliquent à la plupart des cas entendus par la SPR. Toutefois, dans des circonstances exceptionnelles ou impérieuses, les commissaires peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire pour ne pas appliquer certains éléments des directives ou pour les appliquer moins rigoureusement.
En général, la SPR se montre plus indulgente envers les demandeurs d’asile non représentés qui ne connaissent pas ses processus et ses règles. Elle fait preuve d’une plus grande sensibilité à l’égard des demandeurs d’asile particulièrement vulnérables.
[27] Le rôle des commissaires de la SPR en vertu de la LIPR est décrit dans les directives comme étant comparable à celui des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I‑11. Le texte précise qu’ils peuvent enquêter sur toutes les questions qui, à leur avis, peuvent servir à déterminer si la demande est fondée et cerner les questions qui doivent être réglées pour qu’ils puissent prendre une décision. Les directives font une distinction entre ce rôle et celui d’un juge. Selon les directives, le rôle d’un juge est d’examiner les éléments de preuve et les arguments que les parties choisissent de présenter. En outre, elles prévoient que la SPR est maître de sa propre procédure, et peut décider notamment de la personne qui commence l’interrogatoire. Selon le texte des directives, les commissaires de la SPR doivent prendre une part active aux audiences pour que le travail d’enquête de la SPR soit efficace.
[28] Selon le témoignage de Me Aterman, en rédigeant les Directives, le président a délibérément choisi d’éviter des termes comme « interrogatoire principal » et « contre‑interrogatoire », parce qu’ils ne sont pas appropriés et qu’ils conviennent davantage à un modèle accusatoire exigeant le formalisme judiciaire. La pièce « N », jointe à son affidavit, est une copie d’un document de formation de la CISR intitulé « Interrogatoire 101 » qui donne instruction aux nouveaux commissaires et aux APR [agent de protection des réfugiés] de ne pas « contre‑interroger » les demandeurs d’asile, ni d’employer des techniques musclées, par exemple essayer de tendre un piège au demandeur, de l’intimider ou de le harceler en lui posant plusieurs fois la même question ou des questions trompeuses, ni d’adopter un ton hostile ou sarcastique. Il ne faut pas essayer de « gagner » une cause.
[29] Malgré ces instructions, la Cour connaît des cas où les commissaires de la SPR ne se sont pas conformés à ces attentes; certains de ces cas sont décrits dans les causes traitées ci‑dessous dans les présents motifs et dans les dépositions de M. Boulakia et du professeur Galloway. Il ressort clairement de ces dépositions que les APR et les commissaires n’adoptent pas toujours une position neutre et non accusatoire dans l’interrogatoire qu’ils mènent comme on leur a donné instruction de le faire au cours de leur formation.
[30] Il ressort de la preuve, et des observations des avocats, qu’avant l’application des Directives no 7, il était courant à Toronto, et peut‑être aussi à Calgary et à Vancouver, bien que la preuve à l’égard de ces villes soit plus vague, que le procureur du demandeur d’asile commence l’interrogatoire à l’ouverture de l’audience. L’APR, s’il était présent, interrogeait ensuite le demandeur d’asile, suivi du commissaire si celui‑ci ou celle‑ci avait d’autres questions à poser. Selon les demandeurs, cette pratique s’apparentait davantage à une audience quasi judiciaire et permettait la tenue d’un « interrogatoire principal » au cours duquel les demandeurs d’asile étaient encouragés à raconter entièrement leur histoire avec l’aide d’un avocat qu’ils avaient appris à connaître et en qui ils avaient confiance.
[31] À Montréal et à Ottawa, il semble que la pratique décrite dans les Directives no 7 était plus courante, sans être obligatoire, avant le mois de juin 2004. Dans ces villes, les avocats pouvaient demander à être les premiers à interroger leurs clients, ce qui leur était fréquemment accordé par les commissaires.
[32] Selon la preuve par affidavit de Me Aterman, l’ordre normalisé des interrogatoires a été adopté dans le cadre d’un plan d’action visant à améliorer l’efficacité du travail de la Commission, à réduire la durée moyenne d’une audience et à diminuer le fardeau imposé aux ressources de la CISR, tout en assurant l’équité du processus. Les demandeurs estiment que ces affirmations ne sont ni fondées ni justifiées. Ils prétendent que le changement a eu peu d’effet sur la durée des audiences ou sur le taux général d’acceptation des demandes d’asile, mais qu’en revanche il a privé les demandeurs d’asile de leur droit à une aide efficace de la part de leur avocat et de leur droit d’être entendus, droits qui constituent deux aspects de la justice fondamentale et de l’équité procédurale.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[33] En examinant les questions soulevées par les parties dans la présente instance, j’ai tenu compte du fait qu’une bonne partie des sujets que j’aborde a déjà été traitée par d’autres juges de la Cour, notamment le juge Blanchard dans Thamotharem. Je ne suis pas lié par ces décisions, mais le concept de courtoisie judiciaire implique que je fasse preuve de déférence dans l’étude de questions juridiques que mes collègues ont déjà tranchées.
[34] La courtoisie judiciaire n’est pas l’application de la règle du stare decisis, mais bien la reconnaissance du fait que les décisions de la Cour doivent être uniformes dans toute la mesure possible de façon que les parties puissent plus ou moins savoir à quoi s’attendre. Je suis conscient de la portée des propos tenus dans l’arrêt Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590 (C.S. C.‑B.) [à la page 592] :
[traduction] [. . .] je n’ai nullement le pouvoir d’infirmer le jugement d’un collègue, je ne peux que tirer des conclusions différentes, ce qui aurait pour effet non pas d’assurer la certitude, mais de créer l’incertitude dans les règles de droit, parce que, à la suite d’une telle divergence d’opinions, le malheureux justiciable se trouve aux prises avec des conclusions contradictoires émanant de la même juridiction et ayant donc la même force.
[35] Tout en gardant à l’esprit la notion de courtoisie judiciaire, j’ai conclu que je pourrai m’écarter des décisions rendues antérieurement par mes collègues uniquement si je suis convaincu que la preuve dont je suis saisi l’exige ou que les décisions rendues sont erronées parce qu’elles ne tiennent pas compte d’un précédent obligatoire ou d’une loi pertinente. À cet égard, j’aimerais signaler que, bien que le dossier présenté devant moi inclue la preuve dont était saisie la Cour dans l’affaire Thamotharem, elle comprend également de nouveaux éléments de preuve qui ne faisaient pas partie du dossier dans cette affaire.
[36] Dans la présente instance, les observations des demandeurs s’appuient sur la conclusion du juge Blanchard dans la décision Thamotharem selon laquelle le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR a été entravé par la façon dont les Directives no 7 ont été élaborées et imposées. Toutefois, comme il n’a pas statué que l’ordre des interrogatoires prévu dans les Directives allait, en soi, à l’encontre de l’équité procédurale, les demandeurs soutiennent collectivement que la Cour devrait reconnaître qu’il convient d’appliquer une norme plus élevée d’équité procédurale dans les audiences concernant les demandes d’asile. Selon eux, cette norme inclurait un droit à un « interrogatoire principal » par leur avocat avant que l’APR ou un commissaire ne les interroge. Les demandeurs soutiennent que la Cour devrait reconnaître qu’il s’agit là d’un aspect de la justice fondamentale dans le contexte des audiences sur les demandes d’asile, tel qu’envisagé par l’article 7 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] ou, à tout le moins, d’un principe de justice naturelle dans le sens où l’entend la common law.
[37] L’une des demanderesses, Shurlyn Jones (IMM‑1877‑05), soutient qu’un commissaire de la SPR ne peut jamais, en l’absence d’un APR, interroger le demandeur d’asile avant le procureur de celui‑ci et que cette pratique entraîne une crainte de partialité institutionnelle et mine le droit des demandeurs d’asile de se faire entendre devant un tribunal impartial et indépendant.
[38] Un autre demandeur, Mike Balomba (IMM‑9797‑04), prétend qu’on a porté atteinte aux droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte en ce que les demandeurs d’asile font l’objet de discrimination puisqu’on leur refuse les mêmes protections procédurales dont bénéficient d’autres demandeurs qui se présentent devant des organismes judiciaires ou quasi judiciaires, notamment ceux qui sont convoqués devant les autres sections de la CISR.
[39] Le défendeur s’inspire également de la décision du juge Blanchard et me demande instamment de suivre sa conclusion selon laquelle l’équité ne dicte pas de droit à un « interrogatoire principal ». Le défendeur me demande de conclure, sur la base des nouveaux éléments de preuve dont je suis saisi, que le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR n’a pas réellement été entravé par l’application des directives. Il soutient que si les demandeurs croient que l’application des directives les a privés du droit à une audience équitable, ils peuvent demander réparation à la Cour, comme ils l’ont fait, et que chaque allégation de manquement à l’équité procédurale devrait être examinée individuellement.
[40] Le défendeur demande instamment à la Cour de résoudre la controverse qui existe entre les parties selon les principes du droit administratif, plutôt qu’en se fondant sur la Charte.
[41] En outre, le défendeur soutient que les demandeurs qui ne se sont pas opposés en temps opportun à la procédure prévue dans les Directives no 7 avant l’audience sur la demande d’asile ou dans leur demande d’autorisation adressée à la Cour ne devraient pas être autorisés à prétendre qu’il y a eu, dans leur cas, déni d’équité procédurale.
[42] J’ai conclu que les questions ayant trait aux Directives no 7 dans les 19 demandes dont je suis saisi et que je dois traiter dans les présents motifs sont les suivantes :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable aux demandes sous examen?
2. Une analyse de la procédure prévue dans les Directives no 7 doit‑elle être faite au regard de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l’affirmative, ces directives contreviennent‑elles à la justice fondamentale garantie par l’article 7 ou enfreignent‑elles l’article 15?
3. La procédure imposée par les Directives no 7 est‑elle, en soi, contraire aux principes de justice naturelle qui existent en common law?
4. La mise en œuvre des Directives no 7 entrave‑t‑elle le pouvoir discrétionnaire des commissaires?
5. Les Directives no 7 outrepassent‑elles le pouvoir du président d’adopter des directives?
6. L’interrogatoire mené par le commissaire de la CISR entraîne‑t‑il une crainte raisonnable de partialité institutionnelle?
7. Si la justice naturelle entre en jeu, à quel moment le demandeur doit‑il s’opposer à l’utilisation des Directives no 7?
ANALYSE
La norme de contrôle
[43] Dans les demandes de contrôle judiciaire se rapportant à des mesures prises par les tribunaux administratifs, le point de départ consiste habituellement à déterminer la norme de contrôle à suivre selon une analyse pragmatique et fonctionnelle. Il s’agit d’une question de droit qui doit être tranchée par la Cour même dans les cas où les parties s’entendent sur la norme applicable : Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S. 152, au paragraphe 6.
[44] Toutefois, comme le note le juge Blanchard dans la décision Thamotharem, au paragraphe 15, il n’est pas nécessaire que la Cour effectue une analyse pragmatique et fonctionnelle lorsqu’elle examine des allégations de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale : S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539. La Cour doit plutôt examiner les circonstances particulières de l’affaire et décider si le tribunal en cause s’est conformé à son obligation d’agir équitablement. Si elle arrive à la conclusion qu’il y a eu manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, elle n’est pas tenue de faire montre de déférence et elle doit annuler la décision de la CISR.
[45] Lorsque la Cour conclut qu’une crainte raisonnable de partialité a entraîné un manquement à l’équité, la norme est particulièrement exigeante, surtout lorsque, comme en l’espèce, les droits accordés aux demandeurs d’asile dans des procédures devant la CISR sont en jeu : Kozak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2006] 4 R.C.F. 377 (C.A.F.) (Kozak).
L’application de la Charte canadienne des droits et libertés
[46] Deux avis d’une question constitutionnelle ont été signifiés aux procureurs généraux du gouvernement fédéral et des provinces dans la présente instance comme l’exige l’article 57 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 19; 2002, ch. 8, art. 54] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)]. L’avis déposé dans l’affaire Benitez (IMM‑9766‑04) énonce trois questions constitutionnelles, à savoir : 1) l’ordre des interrogatoires imposé par le paragraphe 19 des Directives no 7 est contraire à l’article 7 de la Charte; 2) les Directives no 7 sont aussi contraires à l’article 15 de la Charte parce que les personnes qui comparaissent devant d’autres tribunaux ont le droit de présenter leur preuve en premier lieu, de faire présenter leur preuve d’abord par leur avocat, et d’être interrogées en premier lieu par leur avocat; et 3) l’omission d’instaurer la Section d’appel des réfugiés est contraire à l’article 7. Cette troisième question n’a pas été débattue à l’audience. L’avis déposé dans l’affaire Jones (IMM‑1877‑05) fait valoir qu’en autorisant le commissaire à mener un interrogatoire principal auprès du demandeur d’asile, le paragraphe 19 prive celui‑ci de son droit d’être entendu par un appareil judiciaire équitable et indépendant, ce qui entraîne une crainte raisonnable de partialité qui est contraire à l’article 7 de la Charte.
L’article 7
[47] Les parties conviennent que l’article 7 de la Charte intervient dans le processus de détermination du statut de réfugié comme l’a statué la Cour suprême dans l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177 (Singh). Toutefois, le défendeur prétend qu’il n’est pas nécessaire que la Cour décide de cette question en s’appuyant sur des considérations de justice fondamentale étant donné qu’elle peut la résoudre en appliquant les principes de droit administratif ayant trait à la justice naturelle.
[48] Je note que, dans l’affaire Thamotharem, ni le demandeur, ni l’intervenant n’ont fait valoir que l’ordre normalisé des interrogatoires prévu par le président viole les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte. Ils ont plutôt fondé leurs arguments sur les principes de common law relatifs à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Par conséquent, le juge Blanchard a décidé de la teneur des protections procédurales qui devaient être accordées au demandeur dans cette affaire en analysant les facteurs décrits par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker). Les demandeurs soutiennent qu’il devrait s’agir là du point de départ dans tout examen portant sur la justice fondamentale.
[49] Comme il a été statué dans l’arrêt Singh, la Charte protège les intérêts relatifs à la sécurité des personnes qui revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention. Ces intérêts sont en jeu du fait que les demandeurs en question risquent d’être renvoyés dans un pays où ils pourraient être persécutés et ils ont donc droit à ce que leur statut soit déterminé selon les principes de justice fondamentale. La « justice fondamentale », au sens où cette expression est utilisée à l’article 7 de la Charte, est un concept plus large que celui de justice naturelle en droit administratif. Il englobe des éléments de fond tout autant que des éléments procéduraux. À tout le moins, dans le contexte de la détermination du statut de réfugié, la justice fondamentale exige que les demandeurs aient une possibilité suffisante d’exposer leur cause et de savoir ce qu’ils doivent prouver. Dans l’arrêt Singh, la Cour suprême a statué qu’il faut pour cela un avis et une audience, bien qu’elle n’ait pas précisé la façon dont cette audience devrait se dérouler.
[50] Les demandeurs soutiennent que la procédure de détermination du statut de réfugié est de nature quasi judiciaire, parce que la CISR possède certains des attributs d’un organisme judiciaire, qu’elle se prononce sur des droits individuels, que la loi l’oblige à tenir des audiences pour tirer des conclusions de fait, et qu’elle doit identifier les lois pertinentes et les appliquer aux faits tels qu’ils existent. Par conséquent, selon les demandeurs, les procédures employées par la CISR ne peuvent respecter les normes d’équité minimales si elles s’éloignent considérablement du mode judiciaire. Qui plus est, comme il a été statué dans l’arrêt Singh, la commodité administrative et des considérations telles que l’intérêt qu’a le tribunal à résoudre plus rapidement les cas dont il est saisi ne peuvent être des aspects déterminants des principes de justice fondamentale. C’est la différence importante qui existe, selon eux, entre un argument fondé sur la justice naturelle et un argument fondé sur la justice fondamentale—les exigences du tribunal, dans le contexte d’une analyse des principes de justice naturelle, ne peuvent l’emporter sur les droits d’une personne qui lui sont garantis par la Charte.
[51] Selon les demandeurs, les principes fondamentaux qui sont en jeu en l’espèce sont le droit à un avocat et le droit d’être entendu. Toujours selon eux, l’ordre normalisé des interrogatoires adopté par la CISR porte atteinte à ces deux principes, étant donné que cette pratique diminue le rôle d’assistance de l’avocat envers son client et empêche le demandeur d’asile d’exposer convenablement sa cause.
[52] Cette question a été formulée dans des termes quelque peu différents au cours de la plaidoirie. Les avocats ont fait valoir que les deux principes en cause, le droit à un avocat et le droit d’être entendu, respectent le critère des principes de justice fondamentale établi par la Cour suprême dans Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, à savoir que ce sont des principes juridiques, fondamentaux dans la notion de justice de notre société et qu’ils peuvent être appliqués avec précision et d’une façon prévisible. Toutefois, les avocats font valoir que la question dont est saisie la Cour en l’espèce est un peu plus subtile, savoir (transcription, à la page 76) :
[traduction] Il faut décider si, dans le contexte d’une audience relative à une demande d’asile, le droit d’être entendu [. . .] englobe le droit de l’avocat de déterminer s’il procédera ou non à un interrogatoire principal.
[53] J’ai quelque difficulté à accepter que les droits en cause dans la présente instance sont ceux de l’avocat. Il se peut que cela ne soit dû qu’à une formulation boîteuse, mais pendant toute la plaidoirie on a répété à plusieurs reprises que ce qui frustre au plus haut point les avocats, c’est la perte de contrôle sur la présentation du cas du demandeur d’asile dans le cadre de l’audience.
[54] Je reconnais qu’en règle générale les avocats ont passé beaucoup de temps avec les demandeurs d’asile avant les audiences, qu’ils ont gagné leur confiance et qu’ils connaissent la preuve à présenter, ainsi que les points vulnérables de leurs clients. Bon nombre de demandeurs d’asile ont été traumatisés par leurs expériences passées, comme l’a précisé le Dr Payne dans son témoignage. Si l’APR ou le commissaire, qui ne les connaissent pas, les interrogent en premier lieu, ils risquent d’exposer ces personnes à un stress inutile qui peut ajouter à la difficulté pour eux de bien se faire comprendre.
[55] Selon les prétentions des demandeurs, cette vulnérabilité exige qu’une protection procédurale optimale soit assurée dans l’étude des demandes d’asile et que l’application des Directives no 7 soit examinée selon les normes de la justice fondamentale. À mon avis, cette vulnérabilité exige de quiconque interroge le demandeur d’asile qu’il fasse preuve de sensibilité et de discrétion. Les APR et les commissaires expérimentés ont parfois plus de facilité à adopter une telle conduite que des avocats manquant d’expérience ou de formation.
[56] Le défendeur fait valoir que la justice fondamentale n’exige pas qu’un demandeur d’asile ait droit à un « interrogatoire principal ». La procédure est de nature administrative et le rôle des audiences doit être examiné dans le contexte de l’ensemble de l’enquête sur la validité de la demande. Il n’y a pas de partie dont les intérêts s’opposent à ceux du demandeur, à moins que le ministre n’intervienne pour des motifs d’exclusion, ce qui se produit rarement.
[57] En règle générale, les tribunaux devraient éviter de se prononcer sur une question de droit quand cela n’est pas nécessaire pour disposer d’un cas, surtout quand cette question de droit est une question constitutionnelle : Procureur général (Qué.) et Glassco c. Cumming, [1978] 2 R.C.S. 605, à la page 611; Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, au paragraphe 9; Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530.
[58] Je note que, dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 19, le juge Iacobucci a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de traiter de la portée de l’article 7 dans une cause en matière d’immigration, étant donné que la Cour pouvait statuer sur le pourvoi en appliquant les principes de droit administratif et d’interprétation des lois. La Cour suprême est parvenue à la même conclusion dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 11. Dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S 559, la Cour a dissuadé les justiciables de chercher à invoquer les « valeurs de la Charte » pour interpréter la loi quand cela n’était pas absolument nécessaire pour résoudre une ambiguïté.
[59] Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), la Cour suprême a fait l’observation suivante relativement à la portée de la justice fondamentale au paragraphe 113 :
Bien que les principes de justice fondamentale visés à l’art. 7 ne correspondent pas en tous points à l’obligation d’équité clarifiée dans Baker, ils sont les mêmes que ceux qui la sous‑tendent. Pour reprendre les propos du professeur Hogg : [traduction] « Les règles de la common law [relatives à l’équité procédurale] sont en fait des préceptes fondamentaux du système juridique, et elles ont évolué en fonction des mêmes valeurs et des même objectifs que l’art. 7 » : voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, par. 44.20. Dans Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, p. 212‑213, madame le juge Wilson a reconnu que les principes de justice fondamentale exigeaient à tout le moins le respect des règles de la common law en matière d’équité procédurale. L’article 7 protège tout autant les droits procéduraux que les droits substantiels : Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.‑B, précité. En ce qui a trait aux droits procéduraux, la règle de la common law résumée dans Baker, précité, décrit correctement les éléments de la justice fondamentale. [Non souligné dans l’original.]
[60] Les demandeurs souhaitent élever la question de l’ordre des interrogatoires dans les instances ayant trait aux demandes d’asile à un niveau où la protection constitutionnelle serait nécessaire et appropriée. Bien que cela soit une question importante au vu des intérêts relatifs à la sécurité de la personne qui sont touchés par l’équité du processus de détermination du statut de réfugié, je suis convaincu que cette affaire concerne des questions classiques de droit administratif qui peuvent être tranchées en vertu des principes de justice naturelle et d’équité sans qu’il soit besoin d’invoquer la Charte. Comme il a été noté dans Suresh, les principes qui sous‑tendent l’obligation d’équité sont les mêmes que ceux dont traite l’article 7 dans le contexte procédural. Cette controverse peut être résolue comme il se doit en s’appuyant sur les protections procédurales dont il est question dans la doctrine d’équité de la common law.
[61] Par conséquent, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que la Cour détermine la portée et l’effet de la justice fondamentale garantie par l’article 7 au regard de l’application des directives. Si j’ai tort sur ce point, je conclurais que la justice fondamentale n’exige pas que l’ordre des interrogatoires suivi devant les tribunaux civils et criminels s’étende aux audiences relatives aux demandes d’asile. Cet ordre procédural a été élaboré dans le contexte d’une procédure accusatoire et de règles strictes de preuve où le rôle de la Cour consiste à résoudre le conflit entre les parties, à se prononcer sur des questions de droit et à instruire le jury ou le juge siégeant seul, selon le cas, qu’il s’agit de déterminer les faits pertinents et à appliquer la loi dans les limites bien définies du plaidoyer ou de l’accusation.
[62] Je reconnais que le langage des procédures judiciaires s’est infiltré dans la pratique de la CISR. Les avocats et, en fait, les commissaires utilisent dans leur décision les expressions « interrogatoire principal » et « contre‑interrogatoire » et décrivent la procédure imposée par les Directives no 7 comme étant un « ordre inversé » d’interrogatoires. Mais les audiences qui se déroulent devant la SPR sont de nature administrative et non accusatoire, comme il ressort du texte du paragraphe 162(2) et de l’article 170 de la Loi. Si le législateur avait eu l’intention que la procédure judiciaire soit suivie au cours de ces audiences, il aurait pu facilement le dire. Mais il a visiblement eu l’intention contraire.
[63] Le paragraphe 162(2) prévoit ce qui suit : « [C]hacune des sections fonctionne, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité ». L’article 170 dispose que la SPR doit donner au demandeur d’asile et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations, mais il précise qu’elle n’est pas liée par « des règles légales ou techniques de présentation de la preuve ».
[64] Ces dispositions m’indiquent que le législateur avait l’intention d’éviter les formalités qui sont accessoires aux audiences dans des instances civiles ou criminelles. Cette intention du législateur n’est pas incompatible avec les exigences de la justice fondamentale. Je note que la Cour suprême a fait une mise en garde contre la tentative d’étendre les droits procéduraux garantis par la Charte pour des causes criminelles à des cas de droit administratif : Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, au paragraphe 88.
[65] La CISR ne devrait pas être tenue aux mêmes normes procédurales qu’un tribunal judiciaire. Dans l’arrêt Kozak, précité, la Cour d’appel [au paragraphe 55], en commentant le « mandat [. . .] de rendre des décisions administratives est particulièrement difficile » de la CISR disait ceci au paragraphe 56 :
Pour faire face à ces défis, la Commission a dû trouver des moyens de maintenir et d’accroître la cohérence et la qualité de ses décisions afin de pouvoir s’acquitter des fonctions que la loi lui confie et conserver sa légitimité. Aussi, la procédure de la Commission ne doit pas se limiter à un modèle d’application régulière de la loi s’inspirant uniquement du paradigme judiciaire et décourageant l’innovation. Les procédures destinées à accroître la qualité et la cohérence ne doivent toutefois pas être adoptées au détriment de l’obligation de chaque formation d’assurer au demandeur qui comparaît devant elle un degré élevé d’impartialité et d’indépendance. [Non souligné dans l’original.]
[66] Ce qui constitue une « possibilité raisonnable de présenter des éléments de preuve » doit dépendre des circonstances de chaque cas. Il se peut qu’au cours de l’audition d’une demande d’asile particulière, il soit nécessaire que l’avocat du demandeur l’interroge en premier lieu pour s’assurer que sa preuve est correctement présentée. Toutefois, j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi cela devrait être nécessaire dans tous les cas ou pourquoi il est essentiel, en termes de justice fondamentale, que le demandeur d’asile ait la faculté de déterminer, à sa discrétion, l’ordre des interrogatoires, comme l’ont fait valoir les demandeurs.
[67] En vertu des Directives no 7, il reste loisible à chaque demandeur au cours d’une audience sur une demande d’asile de présenter complètement tous les éléments de sa cause que l’APR ou le commissaire n’abordent pas dans son interrogatoire initial et de se faire aider en cela par son avocat. Si on lui refusait une telle possibilité, je n’aurais aucune hésitation à conclure qu’il a été privé de son droit de se faire entendre. Mais ce n’est pas le résultat de l’application des Directives no 7. Bien que la justice fondamentale donne à un demandeur d’asile le droit à une audience équitable, elle ne lui donne pas le droit de bénéficier « des procédures les plus favorables que l’on puisse imaginer » : R c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la page 362; Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3, au paragraphe 46.
L’article 15
[68] Pour ce qui concerne l’article 15 de la Charte, l’avocat de l’un des demandeurs a fait valoir que les demandeurs d’asile font l’objet de discrimination parce qu’ils n’ont pas le droit de présenter d’abord leur preuve et d’obtenir que leur avocat les interroge en premier, contrairement à la procédure qui se déroule devant d’autres tribunaux, y compris les autres sections de la CISR. Cet argument est présenté sur une base hypothétique et théorique sans aucune référence à un fondement factuel autre que celui que révèlent les documents relatifs aux Directives no 7 qui ont été déposés dans la présente instance.
[69] Je ne suis saisi d’aucune preuve quant à la pratique qui est suivie devant d’autres tribunaux administratifs et je ne suis pas disposé à conjecturer ce que peut être le fondement de leurs pratiques en m’appuyant sur mes propres connaissances ou sur les observations des avocats. Pour ce qui concerne la procédure suivie devant les autres sections de la CISR, les seuls documents dont je dispose révèlent que cette procédure est en fait accusatoire et qu’elle met en cause des parties ayant des intérêts opposés. J’ai donc de la difficulté à conclure qu’il s’agit là d’éléments comparatifs adéquats pour les fins d’une analyse fondée sur l’article 15.
[70] Dans l’arrêt MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, la Cour suprême du Canada a fait la mise en garde suivante : les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel car cela banaliserait la Charte et produirait des opinions mal motivées.
[71] Je suis convaincu qu’il n’y a pas en l’espèce de fondement factuel suffisant pour permettre à la Cour de décider si les demandeurs d’asile dans les procédures visant à déterminer le statut de réfugié font l’objet de discrimination du fait de l’application des Directives no 7 au sens où l’entend l’article 15 de la Charte. En plus, comme je l’ai dit ci‑dessus, il n’est pas nécessaire de décider de cette question quand il existe un redressement subsidiaire adéquat dont peuvent se prévaloir les demandeurs en vertu de la common law. Par conséquent, je refuse de traiter de cette question.
La procédure imposée par les Directives no 7 et adoptée par le tribunal est‑elle contraire à la justice naturelle?
[72] La question de savoir si l’ordre des interrogatoires adopté par la Commission en vertu des Directives no 7 est, en soi, contraire à la justice naturelle a été abordée dans bon nombre de décisions de la présente Cour avant la décision Thamotharem. Dans aucune de ces décisions n’a‑t‑on conclu que « l’ordre inversé des interrogatoires » à lui seul privait un demandeur d’asile du droit à l’équité procédurale : B.D.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 866 (B.D.L.); Cortes Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 738 (Cortes Silva); Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1121 (Martinez); Fabiano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1260 (Fabiano); Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 622 (Liang); et Zaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1066 (Zaki).
[73] En général, l’opinion commune exprimée par mes collègues dans ces décisions est que la procédure suivie dans chaque cause a dû être examinée pour déterminer s’il y avait eu manquement à l’équité. Comme le déclare la Cour dans la décision Zaki, précitée, au paragraphe 14 :
À mon avis, les Directives ne constituent pas en soi un manquement à l’équité procédurale, mais il se peut fort bien que, dans un cas donné, elles soient appliquées de telle manière que l’on puisse affirmer qu’un demandeur d’asile n’a pas eu la possibilité d’exposer ses arguments. Le point à décider est celui de savoir si, eu égard aux circonstances de la présente affaire, la procédure a entraîné une iniquité pour le demandeur.
[74] Le juge Blanchard a passé en revue ces décisions dans l’affaire Thamotharem et a conclu que, bien qu’elles fussent instructives, elles ne lui permettaient pas de trancher de façon décisive les questions dont il était saisi. La Cour n’avait pas bénéficié auparavant d’éléments de preuve et d’arguments aussi nombreux que ceux qui ont été présentés par les parties et par l’intervenant dans cette affaire. Les questions n’avaient pas été formulées et débattues de façon aussi approfondie que par le passé. En conséquence, le juge Blanchard a réexaminé la question de savoir si l’application des Directives no 7 était, en soi, incompatible avec l’équité procédurale.
[75] J’ai eu l’avantage de prendre connaissance de l’examen approfondi qu’a fait le juge Blanchard de cette question, de même que des arguments présentés par les avocats dans la présente instance et qui se fondent largement sur son analyse.
[76] S’efforçant d’établir que la Cour a déjà reconnu que l’équité accorde aux demandeurs d’asile le droit d’être d’abord interrogés par leur avocat, les demandeurs ont cité plusieurs décisions dans lesquelles la conduite de l’audience était en cause. Ces décisions comprennent les suivantes : Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) (QL); Ganji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1120 (1re inst.) (QL) (Ganji); Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1693 (1re inst.) (QL); et Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.).
[77] Ces décisions ont également fait l’objet d’observations présentées à la Cour dans l’affaire Thamotharem. Après l’examen de chaque cas, le juge Blanchard a exprimé la conclusion suivante au paragraphe 46 de ses motifs :
À mon avis, la Cour n’a statué dans aucun de ces cas que les principes de justice naturelle et d’équité procédurale exigent qu’un demandeur d’asile soit d’abord interrogé par son procureur. En fait, la Cour n’était saisie dans aucune de ces affaires de la question de savoir si l’ordre des interrogatoires choisi par la Section était conforme à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. Toutes ces décisions concernaient des circonstances particulières et, dans tous les cas, la Cour a statué que la Section des réfugiés n’avait pas dirigé l’audience de manière appropriée ou que la conduite de l’audience avait amené la Section à tirer des conclusions de fait erronées.
Il ajoute ensuite au paragraphe 53 :
À mon avis, les décisions invoquées par le demandeur et l’intervenant ne permettent pas de conclure qu’une possibilité raisonnable d’exposer sa cause inclut le droit d’être le premier à poser des questions. En fait, ces décisions confirment de nouveau que la Section peut contrôler le déroulement d’une audience, mais qu’elle doit mener celle‑ci sans limiter de manière inéquitable le droit du demandeur d’exposer sa cause.
[78] Après avoir examiné minutieusement les motifs donnés dans chacune des causes citées ci‑dessus et avoir examiné les arguments des avocats, je ne vois aucune raison de m’écarter des conclusions auxquelles est parvenu mon collègue dans Thamotharem sur l’interprétation qu’il convient de donner à ces décisions antérieures. Bien que les motifs à l’appui de la décision renferment des déclarations qui peuvent être interprétées comme favorables à l’idée que le principe de l’audience équitable exige que le procureur du demandeur d’asile soit le premier à poser des questions, un examen détaillé révèle que, dans chaque cas, la Cour était plus préoccupée par la question de savoir si l’audience, dans son ensemble, avait été équitable que par l’ordre des interrogatoires. L’ordre des interrogatoires peut avoir contribué à un résultat inéquitable dans un cas particulier, mais ce n’était pas l’élément décisif qui a permis de parvenir à cette conclusion.
[79] Les demandeurs s’appuient en particulier sur deux décisions de la Cour : Herrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1724 (Herrera) et Sandor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1782 (Sandor). La décision Herrera a été examinée par le juge Blanchard, qui en a fait la distinction avec le cas dont il était saisi. Je ne crois pas que la décision Sandor ait été débattue devant le juge Blanchard.
[80] Dans Herrera, la Cour a statué qu’une audience avait été menée d’une manière inéquitable parce que le procureur du demandeur avait consenti à ce que l’APR soit le premier à interroger son client, suivi du commissaire. Les demandeurs s’appuient sur le paragraphe 4 des motifs de cette décision qui sont reproduits ci‑dessous :
Comme l’a soutenu l’avocat du demandeur relativement à la présente demande, il se pose une grave question qui se rattache au principe de l’application régulière de la loi : le demandeur a‑t‑il eu droit à une audition équitable devant la SPR? Lors de l’audience, on n’a pas permis au demandeur de produire sa preuve, on a plutôt ordonné à l’agent chargé de la protection des réfugiés d’interroger en premier le demandeur et la SPR a ensuite pris le relais en se livrant à un contre‑interrogatoire « musclé », pour reprendre le qualificatif judicieux de l’avocat du demandeur.
[81] Le fait que le commissaire ait effectué ce que la Cour décrit comme un « contre‑interrogatoire musclé » aurait suffi à lui seul, à mon avis, pour que l’affaire soit renvoyée pour nouvelle audition. Toutefois, il ressort aussi clairement de la décision que la Cour se préoccupait du fait que la SPR avait effectivement tendu un piège au demandeur dès le début de l’audience en définissant de façon erronée les questions à débattre. Au paragraphe 5, il déclare ceci :
Il est tout à fait manifeste que, à l’ouverture de l’audition [sic], la SPR avait de graves soupçons quant à la crédibilité du demandeur, vu la divergence entre les deux déclarations figurant au dossier. Tout juste avant de demander à l’avocat du demandeur de consentir à la procédure consistant à laisser l’agent chargé de la protection des réfugiés d’exposer la thèse du demandeur, on a simplement parlé d’« exposer la cause uniquement dans ses grandes lignes ». Ce n’est absolument pas ce qui c’est produit.
[82] Selon l’interprétation que je donne des motifs de la Cour, cette décision n’appuie pas la thèse voulant que l’avocat du demandeur d’asile doit toujours interroger son client en premier mais plutôt que, quelle que soit la procédure suivie, le demandeur d’asile doit être équitablement informé des questions qui seront débattues et qu’il ait une possibilité raisonnable d’être entendu. Le juge Blanchard, dans Thamotharem, et la juge Snider, dans Zaki, ont interprété cette décision d’une manière semblable à la mienne.
[83] Dans la décision Sandor, précitée, au paragraphe 36, la Cour a statué que le demandeur avait été privé du droit à une audition équitable principalement en raison de l’interrogatoire poussé du commissaire. Il a déclaré qu’il était parvenu à cette conclusion en raison de cet interrogatoire et du « fait que l’APR a été autorisé à contre‑interroger le revendicateur avant la fin de son interrogatoire principal » (non souligné dans l’original). C’est l’expression sur laquelle les demandeurs s’appuient mais, à mon avis, ce fondement visant à démontrer que la Cour a accepté que l’équité procédurale exige l’interrogatoire du client par son procureur en premier est extrêmement ténu.
[84] Il semble que l’audience ait débuté par l’interrogatoire du procureur du demandeur d’asile qui a voulu savoir quand les interruptions du commissaire ont commencé. La question de savoir si l’équité procédurale exige que le procureur du demandeur d’asile passe en premier ne semble pas avoir été clairement débattue au cours de la procédure étant donné qu’elle n’avait pas été soulevée avant l’audition du contrôle judiciaire. On peut déduire des motifs de la Cour que ce sont les interruptions du commissaire, de même que les nombreuses questions posées par l’APR, qui ont offusqué le sens de l’équité de mon collègue.
L’analyse de l’arrêt Baker
[85] Comme je l’ai noté ci‑dessus, les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si l’obligation d’équité prévue par la common law a été respectée par les procédures en question ont été décrits par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 22 à 28. Les facteurs relevés par la juge L’Heureux‑Dubé, bien que la liste n’en soit pas exhaustive, sont les suivants :
1. La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir.
2. Le rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif.
3. L’importance de la décision pour la personne visée.
4. Les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris quant à la procédure à suivre.
5. La question de savoir si le décideur est habilité par la loi à choisir ses propres procédures.
[86] L’application de ces facteurs à l’ordre des interrogatoires prévu dans les Directives no 7 a été analysée en détail par le juge Blanchard dans la décision Thamotharem, aux paragraphes 68 à 83 de ses motifs. Il a conclu que l’application des premier, deuxième et troisième facteurs fait ressortir qu’un degré d’équité procédurale plus élevé s’impose. Son analyse du quatrième facteur ayant trait aux attentes légitimes et du cinquième facteur concernant le pouvoir de l’organisme d’établir sa propre procédure penche en faveur d’une norme inférieure. Pour ce qui est de l’importance de la décision pour la personne visée, soit le troisième facteur, je souscris à l’opinion du juge Blanchard selon laquelle, lorsque les droits à la sécurité de la personne sont en jeu et qu’ils seront l’objet de la décision de la Commission, l’équité exige des garanties procédurales plus importantes.
[87] Les demandeurs ne contestent pas l’analyse que le juge Blanchard fait des deuxième et troisième facteurs cités dans l’arrêt Baker, mais mettent en doute son analyse du premier facteur et me demandent d’en arriver à des conclusions différentes concernant les deux autres. Ils soutiennent qu’il y a d’autres facteurs militant en faveur d’une norme d’équité procédurale plus élevée qui n’ont pas été examinés dans la décision Thamotharem.
[88] Le défendeur conteste les conclusions du juge Blanchard selon lesquelles les deux premiers facteurs appellent une norme plus élevée. Selon lui, le premier facteur appelle une norme inférieure et le deuxième est, au mieux, neutre. Le troisième, savoir l’importance de la décision pour la personne visée, exige une protection accrue, ce que le défendeur reconnaît. Dans les présents motifs, je ne traiterai que des facteurs sur lesquels il y a un désaccord important entre les parties.
[89] Pour ce qui concerne le deuxième facteur, soit la nature du processus décisionnel à l’intérieur du régime législatif, il ressort de l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 24, que des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel.
[90] Les demandeurs soutiennent que l’adoption par le législateur, dans la LIPR, de dispositions prévoyant la création d’une section d’appel des réfugiés (SAR), combinée à l’omission du gouverneur en conseil d’instaurer cette SAR, accroit l’obligation d’équité qui est due au demandeur d’asile et diminue le degré de déférence dont la Cour doit faire preuve à l’égard d’une décision de la CISR concernant la protection accordée aux réfugiés. Les demandeurs soutiennent que l’obliga-tion d’équité est plus importante et le degré de déférence moins élevé que si les dispositions d’appel n’avaient pas été intégrées à la Loi.
[91] Le défendeur reconnaît que l’absence d’un droit d’appel dans le cas d’une décision refusant le statut de réfugié est un facteur dont il faut tenir compte pour déterminer la teneur du principe d’équité procédurale dans les audiences sur les demandes d’asile, comme le veut le deuxième volet du critère élaboré dans l’arrêt Baker. Toutefois, le défendeur fait valoir que les questions concernant la SAR sont distinctes de celles soulevées par les Directives no 7 qui ont été à bon droit soumises à la Cour.
[92] Le juge Blanchard a pris en compte le fait que les articles 110 et 111 de la LIPR qui créent la section d’appel n’ont pas été mis en vigueur pour qu’on en conclut que le deuxième facteur exigeait une protection accrue. Je n’ai rien à ajouter à sa conclusion sur ce point, si ce n’est de faire remarquer que l’appel prévu dans les articles qui ne sont pas entrés en vigueur devait se fonder sur le dossier de la procédure relative à la demande d’asile devant le tribunal inférieur plutôt que d’être instruit sous la forme d’une audience. Le contrôle judiciaire n’est pas un appel et cela ne diminue pas l’importance du facteur dans l’analyse fondée sur l’arrêt Baker mais, dans la mesure où le dossier peut révéler une iniquité sur le plan procédural, il s’agit là d’une question qui peut être abordée dans une demande de contrôle judiciaire devant la Cour.
La nature de la décision rendue par le tribunal administratif et le processus suivi pour en arriver à cette décision
[93] Pour ce qui concerne le premier facteur, le juge Blanchard a conclu que le législateur souhaitait que la procédure de la SPR ressemble davantage à une enquête et moins à une procédure judiciaire. Il a conclu au paragraphe 75, après avoir comparé les audiences de la SPR et les procédures judiciaires, que les audiences de la SPR n’étaient pas de nature accusatoire, malgré le caractère souvent musclé et serré des interrogatoires effectués par l’APR et les commissaires. Toutefois, étant donné que la nature de la décision exige que la Section tranche des questions qui ont une incidence sur les droits des demandeurs d’asile, il a conclu qu’un degré élevé de protection procédurale est justifié.
[94] Les demandeurs font valoir que la qualification de non accusatoire attribuée au processus de détermination du statut de réfugié est suspecte quand le rôle de l’avocat du demandeur d’asile est comparé à celui de l’APR. Le rôle de l’avocat est de démontrer que le demandeur d’asile est une personne à protéger. Inversement, le rôle de l’APR est, en partie selon eux, de faire ressortir dans la cause du demandeur d’asile toute lacune qui pourrait mener à la décision que cette personne n’est pas à protéger. Dans ce sens, les demandeurs soutiennent que les rôles de l’avocat et l’APR sont opposés.
[95] En outre, les demandeurs soutiennent que le juge Blanchard est parvenu à la conclusion que les procédures de détermination du statut de réfugié avaient un caractère non accusatoire sans un fondement factuel approprié. S’il avait examiné les faits de la cause Benitez (IMM‑9766‑04), la demande principale en l’espèce, il en serait peut‑être venu à une conclusion différente. Dans l’affaire Benitez, selon eux, le dossier révèle que le commissaire et l’APR se sont relayés pendant presque toute la journée d’audition pour interroger le demandeur d’asile de façon musclée au sujet des incohérences qu’ils percevaient dans son récit. Selon les demandeurs, cela prouve que, même si les APR et les commissaires sont en apparence neutres, ils considèrent en réalité que leur rôle au cours d’une audience est de mettre l’accent sur tout élément de preuve négatif, tout en laissant la présentation des éléments de preuve positifs au procureur du demandeur d’asile, ce qui est en fait la position adoptée dans une procédure accusatoire.
[96] Pour sa part, le défendeur croit que le régime législatif appuie la conclusion selon laquelle la procédure n’est pas accusatoire et exige une norme de protection procédurale moindre. En particulier, il fait la comparaison avec les règles applicables à la Section d’appel de l’immigration, qui a été constituée en tant que cour d’archives en vertu de l’article 174 de la LIPR, où l’on se trouve manifestement en présence d’une procédure accusatoire. Cette situation a été reconnue par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu, au paragraphe 82, qui décrit les audiences devant la Section du statut de réfugié, le prédécesseur de la SPR, comme étant « plus inquisitoires », contrairement à celles qui se déroulent devant la SAI.
[97] Le défendeur fait également valoir que le fait que les APR et les commissaires puissent interroger les demandeurs d’asile ne rend pas la procédure accusatoire. L’interrogatoire approfondi a été reconnu par la Cour comme étant compatible avec le mandat de la Commission qui est d’établir la véracité des revendications. Si un commissaire va trop loin, les demandeurs d’asile peuvent toujours avoir recours au contrôle judiciaire : Cota c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 872 (1re inst.) (QL), au paragraphe 26; Shahib c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1250, au paragraphe 20; Bady‑Badila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 399.
[98] À mon avis, la conclusion selon laquelle le législateur souhaitait que le processus soit de nature plus inquisitoire qu’accusatoire est appuyée par le texte de la loi. Malgré le témoignage du professeur Galloway et le fait que la Cour soit au courant d’exemples flagrants d’interrogatoires hostiles et musclés, je ne suis pas convaincu qu’un manquement à cette intention du législateur par les APR ou les commissaires dans certains cas établisse le fait que les audiences sont de nature accusatoire. Le processus n’a pas été conçu pour être une contestation entre des parties ayant des intérêts opposés, mais plutôt une enquête visant à déterminer si la demande d’asile au Canada est légitime. Dans ce contexte, un examen approfondi du bien‑fondé de la revendication est compatible avec la nature du processus et les rôles du commissaire et de l’APR.
[99] Bien que les agents chargés de la protection des réfugiés et les commissaires reçoivent formation et orientation sur la façon de poser efficacement des questions et sur la façon de traiter des demandeurs d’asile vulnérables, on ne peut s’étonner qu’il y ait des cas où l’interrogatoire dépassera les bornes de ce qui est acceptable en matière d’équité. Il ne faut pas déduire de ces exceptions que toutes les audiences se déroulent sur un ton accusatoire et que les procédures suivies devraient refléter celles qui sont utilisées dans une cour de justice. Le processus n’exige pas la reconnaissance d’une norme de protection procédurale plus élevée, comme le droit à un interrogatoire principal, mais plutôt une attention plus soutenue pour assurer que l’audience, dans son ensemble, se déroule équitablement.
L’attente légitime
[100] Pour ce qui est du quatrième facteur énoncé dans Baker, le juge Blanchard a conclu que le préavis donné par la CISR, selon laquelle elle s’apprêtait à mettre en œuvre la procédure énoncée dans les Directives no 7, prouve que les demandeurs ne pouvaient légitimement s’attendre à ce que leur procureur soit le premier à les interroger. Je note que le demandeur dans la décision Thamotharem n’a pas présenté d’argument sur ce facteur.
[101] En l’espèce, les demandeurs de Toronto font valoir qu’ils pouvaient légitimement s’attendre à être autorisés à procéder en premier à l’interrogatoire parce que c’était la pratique généralement suivie avant l’adoption des Directives, à l’exception des audiences tenues à Montréal et à Ottawa. Pour ce qui est des demandeurs de Montréal, ils soutiennent que la pratique suivie dans cette ville consistait à autoriser, sur demande, le procureur du demandeur d’asile à être le premier à poser les questions, et que la raison pour laquelle cela n’était pas fait de façon générale tient plus aux exigences posées par le tarif de l’aide juridique provinciale qu’à toute autre explication.
[102] En outre, les demandeurs font valoir que la suppression de certaines garanties procédurales qui existaient en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, comme des formations constituées de deux commis-saires et la réduction du délai prévu pour le dépôt du formulaire de renseignements personnels (le FRP), a mené les réfugiés à croire légitimement que les protections restantes seraient respectées, particulière-ment en l’absence d’un droit d’appel prévu par la loi.
[103] Le défendeur fait valoir que les demandeurs ne pouvaient avoir d’attente légitime concernant l’ordre des interrogatoires étant donné que les demandeurs d’asile n’ont jamais été informés qu’ils seraient d’abord interrogés par leur procureur quand ils ont présenté leurs revendications. Ils ne peuvent s’appuyer sur l’expérience de leur procureur car ce dernier ne pouvait pas leur affirmer que, puisque cela se faisait à Toronto, cela se faisait ailleurs étant donné que la pratique varie d’une région à l’autre du pays. Qui plus est, les procureurs et les demandeurs d’asile ont été informés de l’adoption des Directives bien avant leur entrée en vigueur.
[104] Dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 26, la juge L’Heureux‑Dubé a mentionné que la doctrine de l’attente légitime est fondée sur le principe que les « circonstances » touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs, et qu’il serait généralement injuste de leur part d’agir en contravention d’assurances données en matière de procédures, ou de revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants. Si le demandeur d’asile s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure.
[105] Les causes citées par la juge L‘Heureux‑Dubé à l’appui de cette déclaration de principe sont les suivantes : Qi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1615 (1re inst.) (QL) (Qi); Mercier‑Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1995] A.C.F. no 1024 (1re inst.) (QL) (Mercier‑Néron); Bendahmane c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 3 C.F. 16 (C.A.) (Bendahmane).
[106] Dans chacune de ces causes, la question de l’attente légitime s’est posée dans le contexte d’assurances qui ont été ou qui auraient été données directement à la partie cherchant à s’appuyer sur la doctrine. Par exemple, dans la décision Qi, la demanderesse avait été invitée à se faire accompagner par son procureur à l’entrevue, mais par la suite, on avait refusé au procureur la possibilité d’y participer. Dans la décision Mercier‑Néron, une audience avait été offerte et avait ensuite été refusée. Dans la décision Bendahmane, le ministre avait informé le demandeur que sa revendication serait examinée et avait ensuite essayé de le renvoyer.
[107] Dans les causes susmentionnées, il semble qu’aucune « assurance en matière de procédure » n’ait été donnée ni aucune « promesse matérielle » faite directement à l’un ou l’autre des demandeurs concernant la procédure à suivre. On me demande de conclure qu’en raison de la pratique habituellement suivie par certains commissaires, à tout le moins à Toronto, on serait en droit de s’attendre légitimement à ce que les procureurs soient autorisés ou invités à interroger leurs clients en premier lieu parce que cela est, essentiellement, ce à quoi les avocats s’attendent. À mon avis, les attentes des avocats ne constituent pas des attentes légitimes au sens de l’arrêt Baker.
Les choix de procédure faits par l’organisme lui‑même
[108] Aux paragraphes 81 à 83 de ses motifs, le juge Blanchard a conclu que le législateur avait conféré à la CISR le pouvoir d’établir sa propre procédure, pourvu que celle‑ci respecte les principes de justice naturelle. Comme la Cour doit se garder d’imposer un degré de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, il a conclu que cela se traduisait par un degré d’équité procédurale moins élevé.
[109] Les demandeurs reconnaissent que les cours de justice ont statué qu’un tribunal administratif est maître de sa propre procédure et qu’il peut déterminer la procédure à suivre lorsque sa loi habilitante est muette sur ce point : Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560.
[110] Les demandeurs font néanmoins valoir que, pour les fins de l’analyse fondée sur l’arrêt Baker en l’espèce, il est nécessaire d’examiner si la preuve appuie la conclusion selon laquelle l’ordre des interrogatoires adopté par la CISR améliore en fait son efficacité ou, autrement dit, si l’interrogatoire mené d’abord par l’avocat du demandeur d’asile serait un obstacle à l’efficacité de l’audience. Ils laissent entendre que cette question n’a pas été examinée dans la décision Thamotharem et ils invitent la Cour en l’espèce à tirer une conclusion différente sur l’importance qu’il convient d’accorder à ce facteur. Les demandeurs signalent la concession faite par Me Aterman en contre‑ interrogatoire selon laquelle aucune preuve ne montre que l’application de l’ordre des interrogatoires prévu par les Directives a eu, en soi, une incidence sur l’amélioration de l’efficacité des audiences relatives aux demandes d’asile.
[111] Je note que, dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 27, la juge L’Heureux‑Dubé a déclaré que dans cette analyse il faut respecter les choix de procédure que l’organisme fait lui‑même, particuliè-rement quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir sa propre procédure, ou quand l’organisme a une expertise dans le choix de la procédure appropriée dans les circonstances. Selon elle, il faut accorder une grande importance au choix de procédure fait par l’organisme lui‑même et à ses contraintes institutionnelles.
[112] Il est clair que le législateur a laissé à la CISR beaucoup de latitude pour décider, par le truchement du pouvoir du président de prendre des règles et des directives, des questions se rapportant à ses propres procédures. En accordant une importance aux choix faits par la CISR relativement à sa procédure, il n’est pas nécessaire que la Cour conclue que cette procédure a été efficace ou qu’elle constituait le meilleur choix dans les circonstances. Il revient à la CISR de faire ce choix, et celle‑ci doit toujours reconnaître que l’application de sa procédure dans un cas particulier peut entraîner un déni de justice. À mon avis, il n’est pas approprié que la Cour substitue, a posteriori, sa propre opinion sur la procédure qu’il aurait été préférable de suivre, à moins que cela ne soit nécessaire pour assurer le respect de la justice naturelle.
Les « autres » facteurs
[113] Les cinq facteurs décrits par la juge L’Heureux‑ Dubé dans l’arrêt Baker ne sont pas une liste complète des considérations qui peuvent amener à conclure qu’un degré plus élevé de protection procédurale est nécessaire. Dans la décision Thamotharem, le juge Blanchard a également examiné les vulnérabilités particulières des demandeurs d’asile, qui, à son avis, justifient que des garanties procédurales plus importantes leur soient accordées. Toutefois, il a conclu au paragraphe 90 que le fait que bon nombre de demandeurs d’asile soient vulnérables et aient en conséquence de la difficulté à témoigner efficacement ne rend pas nécessairement les Directives no 7 inéquitables. C’est un facteur qui doit être pris en compte dans les circonstances de chaque cas, mais qui n’exige pas nécessairement que le demandeur soit toujours interrogé en premier lieu par son procureur.
[114] Les demandeurs soutiennent qu’un certain nombre de considérations communes aux demandeurs d’asile souligne la nécessité d’autoriser leur procureur à mener un interrogatoire principal dans les procédures relatives à la détermination du statut de réfugié. Ils signalent des caractéristiques partagées par de nombreux demandeurs d’asile qui sont le résultat des expériences qu’ils ont connues avant d’arriver au Canada. Voici une liste des caractéristiques relevées :
1. la méfiance à l’égard d’autrui en général, et des fonctionnaires en particulier;
2. le syndrome du stress post‑traumatique;
3. la suppression ou la répression des souvenirs;
4. l’anxiété et des accès de panique;
5. la dépression.
Les demandeurs soutiennent qu’en raison de ces considérations, il est inéquitable de laisser une personne autre que leur procureur les interroger en premier lieu.
[115] Le défendeur reconnaît que certains demandeurs d’asile souffrent de l’un ou de plusieurs des états mentionnés par les demandeurs. Si un demandeur d’asile croit que sa situation personnelle exige qu’une exception soit faite dans son cas afin que l’on s’écarte de la pratique d’interrogatoire habituellement suivie au cours de l’audience, il peut, selon le défendeur, déposer une requête énonçant la raison précise pour laquelle cette exception devrait lui être accordée. La CISR serait alors en mesure de déterminer si l’application des Directives no 7 à ce cas particulier est la meilleure façon de procéder.
[116] Contrairement aux affirmations des demandeurs selon lesquelles on avait l’intention de faire des Directives no 7 une disposition obligatoire, le défendeur soutient que le paragraphe 23 prévoit que ces directives peuvent, dans certains cas, ne pas être appropriées. Les Directives n’exigent pas un mode précis de procédure. Dans tout cas particulier, le demandeur d’asile peut attirer l’attention de la CISR sur un élément de preuve pertinent susceptible d’établir la raison pour laquelle un interrogatoire mené d’abord par l’APR ou le commissaire pourrait nuire à sa cause.
[117] Dans la décision Thamotharem, le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve montrant qu’il présentait des vulnérabilités particulières. Les demandeurs soutiennent que le juge Blanchard aurait pu parvenir à une conclusion différente sur l’importance qu’il convient d’accorder à ce facteur s’il avait disposé d’éléments de preuve démontrant une réelle vulnérabilité, plutôt qu’une vulnérabilité hypothétique.
[118] Pour illustrer ce point, les demandeurs citent le cas du demandeur Gutierrez Trujillo (IMM‑2709‑05) à l’égard duquel un rapport psychologique remis à la CISR indiquait qu’il souffrait d’un syndrome de stress post‑traumatique susceptible d’influer sur sa capacité de témoigner. Le commissaire n’a pas fait référence à cette preuve en décidant que l’ordre des interrogatoires prévu par les Directives no 7 devait être maintenu. Les demandeurs soutiennent que l’équité ne peut être assurée en décidant au cas par cas de l’ordre des interrogatoires si ces éléments de preuve peuvent d’emblée être écartés ou ignorés. Qui plus est, selon eux, une procédure de ce genre ne favorise pas une utilisation efficace des ressources de la CISR. Étant donné que de nombreux demandeurs d’asile présentent des vulnérabilités telles qu’il serait plus juste de laisser leur procureur les interroger en premier, la seule démarche pratique qu’il convient d’adopter est d’en faire la procédure normale.
[119] Le défendeur soutient que la preuve révèle que la manière dont les demandeurs d’asile vulnérables sont interrogés importe davantage que de savoir qui les interroge. Ce fait a été reconnu par le Dr Payne en contre‑interrogatoire. Le professeur Galloway a concédé que la formation que reçoivent les commissaires et les APR et leur participation à des centaines d’audiences relatives à des demandes d’asile pourraient leur donner plus d’expérience et d’aptitudes sur la façon d’interroger des demandeurs d’asile que des avocats inexpérimentés. Dans des cas où l’interrogatoire entrave la capacité des demandeurs d’exposer leur cause, la Cour peut intervenir et le fera si une audience équitable ne leur est pas offerte.
[120] L’argument des demandeurs selon lequel il faut aider davantage les demandeurs d’asile vulnérables à présenter leur preuve a un poids considérable et pourrait fort bien signifier que les procureurs devraient être autorisés à aider leurs clients en étant les premiers à les interroger, mais je ne suis pas convaincu que cela ne peut être décidé au cas par cas, moyennant un préavis à la CISR selon lequel qu’il y aurait lieu de changer l’ordre des interrogatoires. Le procureur n’a pas à interroger d’abord le demandeur d’asile qu’il représente dans tous les cas et je suis convaincu, d’après la preuve additionnelle qui a été déposée en l’espèce, que les commissaires ont le pouvoir de changer, et qu’ils changent effectivement, l’ordre des interrogatoires quand une demande accompagnée des renseignements à l’appui leur est soumise.
[121] La déformation perçue du rôle du commissaire est un autre facteur qui a été soulevé en l’espèce. Prendre quotidiennement des décisions ayant des répercussions profondes sur la vie des personnes qui comparaissent devant eux est extrêmement difficile. Les Directives no 7 ajoutent à ce fardeau étant donné que les commissaires doivent souvent prendre un rôle prépondérant dans les interrogatoires lorsqu’aucun APR n’est présent, ce qui est de plus en plus fréquent.
[122] Les demandeurs font valoir que même si un commissaire peut et devrait poser des questions pour préciser des points qui sont soulevés au cours de l’audience, il n’est pas approprié que le commissaire adopte le rôle du procureur ou celui de l’APR en interrogeant ou en contre‑interrogeant un demandeur d’asile. Le commissaire devrait demeurer au‑dessus de la mêlée afin de pouvoir évaluer impartialement la preuve présentée au cours de l’audience et n’intervenir que lorsque cela est nécessaire pour préciser un point ou recueillir d’autres éléments de preuve nécessaires à sa décision si cette preuve n’a pas déjà été obtenue par le procureur ou l’APR. Les Directives no 7, allègue‑t‑on, font obstacle au rôle d’arbitre du commissaire, ce qui contribue davantage au déni d’équité procédurale.
[123] À l’appui de cet argument, les demandeurs citent une déclaration du juge Stone de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Rajaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.) (QL) (Rajaratnam) dans lequel il faisait observer que la Cour craignait que « la commissaire ait, par ses questions, quitté son rôle judiciaire pour prendre celui d’un avocat ». Cela s’est produit dans le contexte d’un interrogatoire serré effectué par la commissaire après que la preuve du demandeur d’asile eut été expliquée par son avocat et par l’agent chargé de la revendication. Le juge Stone a fait référence aux principes ayant trait à l’intervention judiciaire dans les audiences et il a conclu que l’interrogatoire était demeuré à l’intérieur des limites acceptables.
[124] Dans l’arrêt Rajaratnam, la question a été soulevée par la Cour de sa propre initiative et ne semble pas avoir été pleinement débattue par les parties. En outre, cela s’est produit dans le contexte d’une instance introduite sous l’ancienne loi et l’ordre des interrogatoires n’était pas en cause. L’analyse du juge Stone appuie les principes selon lesquels un commissaire doit agir équitablement, impartialement et judicieusement, mais elle n’établit pas, à mon avis, qu’un commissaire ne devrait pas interroger un demandeur d’asile ni, en fait, qu’un commissaire ne peut interroger le demandeur d’asile avant le procureur de ce dernier.
[125] Certains des demandeurs ont fait valoir qu’un autre facteur permettant de déterminer la teneur de l’obligation d’équité dans les audiences relatives aux demandes d’asile est le court laps de temps accordé pour la préparation du formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur d’asile. Selon cet argument, comme il est plus difficile de présenter un récit complet dans un délai de 28 jours, il est d’autant plus nécessaire que les demandeurs d’asile exposent d’abord leur cause avec l’aide de leur procureur. En outre, d’après les demandeurs, le dépôt du FRP et la présentation par écrit de l’exposé narratif du demandeur d’asile n’atténuent pas la nécessité d’un interrogatoire principal. Cela est particulièrement vrai en raison du rôle clé que jouent les conclusions sur la crédibilité dans les procédures relatives à la détermination du statut de réfugié. Étant donné que la justice naturelle exige que la crédibilité soit évaluée principalement sur la base de témoignages de vive voix, il s’ensuit, selon les demandeurs, que la présentation du FRP n’est pas un substitut approprié à un interrogatoire principal.
[126] Toutefois, comme l’a également statué le juge Blanchard, le FRP n’est pas le seul moyen dont disposent les demandeurs d’asile pour raconter leur récit à la CISR. Ils peuvent également produire des documents, présenter des prétentions écrites avant l’audience, faire des observations de vive voix à l’audience et déposer de nouvelles prétentions écrites après l’audience. Les demandeurs d’asile ne sont pas limités par leur FRP et les problèmes suscités par le processus de présentation du FRP ne sont pas suffisamment graves pour élever la norme de l’équité procédurale à l’audience au point d’exiger un interroga-toire principal.
Conclusion de l’analyse fondée sur l’arrêt Baker
[127] Après avoir examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker et les autres facteurs présentés par les demandeurs, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il n’a pas été établi que la justice naturelle exige que le procureur d’un demandeur d’asile interroge d’abord son client de sorte que celui‑ci ait une possibilité valable de présenter complètement et équitablement sa cause, ou que les Directives privent réellement le demandeur d’asile de l’aide que peut lui apporter son procureur.
[128] Je souscris à la conclusion du juge Blanchard selon laquelle la possibilité, pour le demandeur, de déposer des prétentions écrites et de produire une preuve devant la CISR, d’obtenir une audience à laquelle participe son procureur et de présenter des observations de vive voix satisfait aux exigences relatives aux droits de participation requis par l’obligation d’équité et que les Directives no 7 ne contreviennent pas en soi à cette obligation.
L’imposition et la mise en œuvre des Directives no 7 ont‑elles entravé le pouvoir discrétionnaire des commissaires?
[129] La décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Ainsley Financial Corp. v. Ontario Securities Commission (1994), 21 O.R. (3d) 104 (Ainsley) est un bon point de départ pour faire l’analyse de cette question. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si un énoncé de politique de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario était en fait une série de règles obligatoires qui relevaient donc d’un pouvoir de législation ou de réglementation.
[130] En première instance, la Cour a statué dans Ainsley que l’énoncé était obligatoire et de nature réglementaire en s’appuyant sur trois facteurs : 1) le texte de la politique; 2) l’effet pratique du manquement à cette politique; et 3) la preuve ayant trait aux attentes de la Commission et de son personnel concernant la mise en œuvre de la politique : voir Ainsley Financial Corp. v. Ontario Securities Commission (1993), 14 O.R. (3d) 280 (Div. gén.).
[131] En maintenant cette décision, la Cour d’appel a conclu que les deux facteurs les plus importants pour déterminer si la ligne directrice avait « franchi le Rubicon », soit la limite parfois floue entre une ligne directrice et un règlement, étaient le texte de l’énoncé et la menace de mesures coercitives. Dans cette affaire, la ligne directrice se lisait comme une loi ou un règlement. En outre, elle établissait un lien direct entre le fait que son respect était dans « l’intérêt public » et le pouvoir de la Commission d’imposer des sanctions pour les atteintes à cet intérêt. Comme le déclarait le juge Doherty [au paragraphe 20] au nom de la Cour d’appel, [traduction] « la menace d’une sanction pour manquement à cette ligne directrice est l’essence même d’une condition obligatoire ».
[132] L’arrêt Ainsley a été suivi par la Cour d’appel fédérale dans Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 195 (Ha). L’arrêt Ha traitait d’une politique qui prévoyait que les avocats n’étaient pas autorisés à assister aux entrevues menées par les agents des visas. La Cour d’appel a conclu, aux paragraphes 74 à 77, que cette politique entravait le pouvoir discrétionnaire des agents des visas en raison de la nature obligatoire de la terminologie utilisée, du fait que rien n’indiquait que les agents avaient l’obligation d’examiner les circonstances particulières de chaque cas, que la politique ne donnait aux agents aucune orientation sur la façon d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, sauf refuser aux avocats la possibilité d’assister à l’entrevue dans chaque cas, que la preuve objective indiquait que l’agent en question considérait la politique comme une entrave à son pouvoir discrétionnaire et que l’intimé n’avait produit aucune preuve pour établir que des avocats avaient déjà été autorisés à assister à ces entrevues.
[133] Dans la décision Thamotharem, le juge Blanchard a statué que l’application des Directives no 7 avait pour effet d’entraver le pouvoir discrétionnaire d’un commissaire de décider de la meilleure procédure à suivre compte tenu des circonstances de chaque cas. Le fait qu’un commissaire statue sur le bien‑fondé d’une affaire de manière indépendante, sans aucune influence indue, est un élément fondamental du droit à une audience impartiale. Une telle entrave constitue, de l’avis du juge Blanchard, l’exercice d’une influence indue sur le commissaire et viole les principes de l’équité procédurale.
[134] Les facteurs sur lesquels le juge Blanchard s’appuie pour parvenir à cette conclusion sont énoncés au paragraphe 135 de ses motifs, qui sont reproduits en partie ci‑dessous :
En l’espèce, je suis convaincu que la Cour dispose d’une preuve abondante démontrant que la Commission a fait savoir à ses membres qu’elle s’attendait à ce qu’ils se conforment aux directives, sauf dans des cas exceptionnels. Le problème ne concerne pas réellement l’expression de cette attente par la Commission, mais plutôt le fait qu’elle s’ajoute à d’autres facteurs : l’attente concernant l’observation des directives et la surveillance de cette observation, la preuve du respect des Directives no 7 et, en particulier, le libellé contraignant de celles‑ci. À mon avis, tous ces facteurs entravent le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Comme M. Aterman l’a reconnu lors de son contre‑interrogatoire : [traduction] « [c]et équilibre respecte l’indépendance des commissaires en matière de décision, d’une part, et les intérêts du public et de l’organisation en matière d’uniformité d’autre part. » Dans les circonstances de l’espèce, l’uniformité l’emporte sur l’indépendance des commissaires en matière de décision, essentiellement en raison du libellé contraignant des Directives no 7. Ce libellé, la description restrictive des circonstances exceptionnelles contenue dans les directives et l’attente exprimée de manière pas très subtile par la Commission en matière de conformité ont pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Le fait qu’il y a des cas où un commissaire a choisi de ne pas suivre les directives ne corrige pas le problème.
[135] Depuis sa publication, la décision Thamotharem a été suivie dans deux autres affaires : Jin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 57 (Jin) et Vazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 106 (Vazquez). Ces deux affaires ont été entendues et décidées peu après la publication des motifs de la décision Thamotharem.
[136] Dans la décision Jin, le défendeur demandait instamment à la Cour de suivre la décision Zaki et non la décision Thamotharem. La Cour a refusé de le faire, en notant que les deux décisions n’étaient pas en contradiction sur la question fondamentale de savoir si les Directives no 7, en elles‑mêmes, allaient à l’encontre de l’équité procédurale. La Cour a conclu qu’il y avait lieu d’établir une distinction avec la décision Zaki pour les motifs énoncés par le juge Blanchard. Elle a indiqué qu’elle souscrivait entièrement au raisonnement du juge Blanchard sur la question de l’entrave au pouvoir discrétionnaire.
[137] Contrairement à ce qui a pu être allégué dans la décision Jin, la question de l’entrave a été débattue et analysée dans la décision Zaki, bien que la Cour n’eût pas disposé de la preuve et des observations abondantes dont elle était saisie dans l’affaire Thamotharem. La Cour a conclu que l’entrave ne pouvait être établie dans un contexte théorique et que le dossier ne permettait pas d’étayer une telle conclusion. Au paragraphe 16, la Cour déclare que les Directives no 7 :
[. . .] renferment donc une certaine flexibilité dans l’applica-tion de la règle qui accorde une priorité d’interrogatoire à la SPR; il n’y a pas de règle rigide qui prétende s’imposer à la SPR. Il appartient à chaque tribunal de déterminer, sur demande, l’ordre qui sera retenu pour les interrogatoires. Selon les circonstances de chaque affaire, le demandeur d’asile se verra ou non accorder la priorité d’interrogatoire.
[138] Dans la décision Vazquez, l’audience a eu lieu avant le prononcé de la décision Thamotharem. La Cour a donné aux avocats la possibilité de déposer des observations écrites après la publication des motifs de la décision Thamotharem. En raison d’une erreur administrative, les observations du défendeur n’ont pas été déposées devant la Cour avant que l’ordonnance n’ait été signée une première fois le 31 janvier 2006 (voir les motifs modifiés prononcés le 9 février 2006). Ils n’ont donc pas été pris en compte dans les motifs de la décision qui font uniquement référence aux décisions Thamotharem et Jin.
[139] En l’espèce, le défendeur demande à la Cour de s’écarter des conclusions ayant trait à l’entrave auxquelles est parvenu mon collègue dans la décision Thamotharem. Selon le défendeur, la question est de savoir si le fonctionnement et l’application des Directives no 7 a franchi la limite qui existe entre une ligne directrice non obligatoire et une déclaration obligatoire ayant le même effet qu’un texte réglementaire, par exemple une règle prise par le président conformément au pouvoir qui lui est conféré par l’article 161 de la LIPR.
[140] Je crois qu’il est juste de dire que mon collègue le juge Blanchard s’est appuyé moins sur les faits de l’affaire dont il était saisi dans Thamotharem que sur la preuve ayant trait à la forme et au contenu des Directives ainsi que sur la manière dont celles‑ci étaient appliquées pour parvenir à sa conclusion selon laquelle l’imposition des Directives a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires. En fait, les demandeurs ont fait valoir, comme il en a été question ci‑dessus, que s’il avait été saisi d’un dossier semblable à certains de ceux qui sont traités en l’espèce, il aurait pu conclure qu’un degré plus élevé de protection procédurale s’imposait.
[141] Le défendeur souligne que, dans l’affaire Thamotharem, il n’y avait aucune preuve au dossier indiquant qu’un commissaire avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de modifier l’ordre des interrogatoires en raison de la situation particulière du demandeur d’asile, aucune preuve d’une vulnérabilité particulière qui aurait rendu son témoignage difficile, aucun argument faisant valoir que des questions déplacées avaient été posées et aucune demande faite en vue de modifier l’ordre des interrogatoires, à l’exception de l’affirmation d’un droit absolu à un interrogatoire principal.
[142] La conclusion tirée dans la décision Thamotharem selon laquelle il y a eu entrave au pouvoir discrétionnaire des commissaires s’appuie sur le libellé même des Directives et sur la preuve extrinsèque de la façon dont elles peuvent être interprétées et appliquées par les commissaires de la SPR, et non sur les faits particuliers de la cause.
[143] Au paragraphe 119 de ses motifs, le juge Blanchard a conclu que le libellé des Directives no 7 laissait peu de doute quant au fait qu’elles ne recommandent pas un processus facultatif, mais établissent un processus obligatoire : le paragraphe 19 prévoit que ce sera normalement l’APR qui commencera et, en l’absence d’un APR, le commissaire. En outre, bien que le paragraphe 23 autorise le commissaire à modifier l’ordre des interrogatoires, le fondement qui a permis à la Cour, dans l’affaire Zaki, de parvenir à la conclusion qu’elles étaient suffisamment souples, le juge Blanchard a estimé que le paragraphe 23 fixait une norme rigoureuse quant à la nature des « circonstances exceptionnelles » : le demandeur d’asile doit être « très » perturbé ou l’enfant doit être « très » jeune pour qu’une exception s’applique. Il a conclu que bien que ces exemples ne soient peut‑être que des exemples, ils limitent le type de circonstances pouvant justifier une exception. Il explique ensuite cette opinion en utilisant le libellé des Directives no 7 :
L’emploi de l’adverbe « très » laisse peu de doute quant au fait que ces circonstances sont limitées. Des circonstances qui ne sont pas incluses dans ces « circonstances exceptionnelles » pourraient, de l’avis d’un commissaire, justifier que les interrogatoires se déroulent dans un ordre différent de l’ordre normalisé. Le libellé du paragraphe 23 peut laisser à un commissaire l’impression qu’il n’a d’autre choix que de suivre les directives dans de tels cas. À tout le moins selon moi, en prévoyant qu’il est possible de s’écarter de la norme uniquement dans des « circonstances exceptionnelles », le paragraphe 23 dissuade les commissaires de tenir compte d’autres facteurs avant de décider de l’ordre dans lequel les interrogatoires devraient se dérouler. Les Directives no 7 auraient effectivement pour effet, dans un tel cas, d’entraver le pouvoir discrétionnaire du commissaire.
[144] En me demandant instamment de m’écarter de ces conclusions, le défendeur soutient que le libellé des Directives doit être lu comme facultatif plutôt qu’obligatoire pour respecter les principes établis dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, selon lesquels le pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ne peut être restreint par des énoncés de politique générale et qu’une expression telle que « sera normalement » ne signifie pas « dans tous les cas ». En l’espèce, selon le défendeur, la preuve contextuelle portant notamment sur la politique de la CISR relative à l’utilisation des directives indique que les commissaires conservent le pouvoir discrétionnaire de changer l’ordre des interrogatoires quand ils le jugent approprié.
[145] Le défendeur s’appuie sur les nouveaux éléments de preuve joints à l’affidavit d’Asad Kiyani, soit quelque 40 décisions et des extraits des transcriptions des audiences qui ont eu lieu devant divers commissaires qui, selon lui, démontrent que la conclusion selon laquelle le pouvoir discrétionnaire des commissaires a été entravé n’est pas partagée par les commissaires eux‑mêmes. Je note que le juge Blanchard était saisi d’une preuve indiquant que les commissaires s’étaient écartés de l’ordre des interrogatoires prévu dans les Directives, bien que cette preuve n’ait pas été aussi détaillée que celle qui a été déposée par le défendeur en l’espèce.
[146] Bien que les pièces jointes à l’affidavit Kiyani n’offrent qu’un aperçu sélectif de la réponse des commissaires aux Directives no 7, elles appuient la prétention du défendeur selon laquelle les Directives no 7 n’entravent pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires et que ceux‑ci ne croient pas que les exemples de circonstances exceptionnelles donnés au paragraphe 23 des Directives no 7 constituent une liste complète des cas où l’ordre des interrogatoires peut être modifié, comme le craignait le juge Blanchard.
[147] Dans chaque cas, le commissaire examine l’applicabilité des Directives dans les circonstances et décide ensuite si l’ordre des interrogatoires doit être modifié. Rien dans les pièces déposées n’indique que les commissaires croient qu’ils seront pénalisés pour n’avoir pas appliqué l’ordre normalisé des interrogatoires. Les pièces jointes n’appuient pas non plus la conclusion selon laquelle les Directives ont pour effet d’amener un commissaire, au cours de l’audience, à se demander s’il ou elle doit adopter une procédure particulière ou un ordre particulier d’interrogatoires quand il ou elle croit légitimement que l’ordre normalisé prescrit pas les Directives n’est pas la meilleure ou la plus équitable des façons de procéder dans les circonstances.
[148] Dans la pièce A‑1, l’avocat s’est opposé aux Directives au motif qu’elles vont à l’encontre de la justice naturelle. La commissaire a déclaré qu’elle ne trouvait rien à redire à ce que le procureur interroge d’abord son client, mais elle a ajouté que, si son objection était une question de routine, il devrait à l’avenir la déposer par écrit avant l’audience.
[149] Dans la pièce A‑4, le commissaire a déclaré ce qui suit :
Je vais suivre une autre procedure [sic] aujourd’hui. Généralement c’est [sic] quand il n’y a pas d’agent, c’est le commissaire qui commence l’examen. Je vais permettre à Maître de commencer l’examen, et si j’ai des questions après [sic] pour clarifier ce qui manque, pour remplir les lacunes, alors je vais le faire. Mais je vais donner des indications à Maître pour le guider, ce qui me concerne en ce moment.
[150] Dans la pièce A‑6, la commissaire a déclaré qu’elle n’était pas totalement persuadée qu’une modification de l’ordre des interrogatoires était nécessaire parce qu’elle avait [traduction] « beaucoup d’expérience dans le traitement des revendications fondées sur le sexe et la violence », mais elle a quand même accordé l’exception. Un résultat semblable a été obtenu dans la pièce A‑7.
[151] Dans les pièces A‑8 et A‑9, le commissaire n’examine pas la situation particulière du demandeur d’asile, mais s’interroge sur la validité des Directives en général. Bien que ses motifs n’indiquent pas clairement s’il estime que le demandeur d’asile qui se tenait devant lui était visé par les exemples donnés au paragraphe 23, un examen du dossier du tribunal pour chacune de ces causes (qui font partie de la réunion d’instances) fait ressortir que, dans chaque cas, le procureur du demandeur n’a pas soulevé d’objection précise à l’application des Directives no 7 compte tenu de la situation particulière de son client. Les procureurs n’ont soulevé qu’une objection générale à l’application des Directives sans indiquer pourquoi ils devaient être les premiers à interroger les demandeurs d’asile.
[152] Dans les cas tranchés par un commissaire opposé à l’application des Directives (pièces A‑2, A‑3, A‑11, B‑1), un certain Steve Ellis, chaque série de motifs comprend une « Annexe A », soit une analyse de 38 pages expliquant pourquoi, à son avis, les Directives contreviennent à la justice naturelle et pourquoi il refuse de les appliquer. Il ressort clairement des motifs du commissaire Ellis que celui‑ci croit qu’il a le pouvoir discrétionnaire de rejeter entièrement les Directives.
[153] Il y a maintes décisions dans lesquelles les procureurs ont déposé des preuves de fragilité psychologique ou émotionnelle, ou dans lesquelles la CISR avait été informée de la situation du demandeur d’asile d’une autre façon et où le commissaire a autorisé la modification de l’ordre des interrogatoires : B‑2, B‑3, B‑5, B‑8, B‑11, B‑12, C‑2, C‑3, C‑4 et C‑6. Dans d’autres cas, aucun APR n’était présent à l’audience et le commissaire a laissé le procureur poser ses questions en premier : B‑9, C‑9, C-15.
[154] Dans les dossiers joints en tant que pièces C‑7 et C‑8 à l’affidavit Kiyani, le commissaire déclare qu’il a modifié de sa propre initiative l’ordre des interrogatoires, sans que le demandeur d’asile le réclame, après avoir tenu compte de la situation particulière de ce dernier.
[155] Dans la pièce B‑7, bien que la commissaire fasse référence à des « circonstances exceptionnelles », elle a accepté la demande visant à modifier l’ordre des interrogatoires parce que le procureur lui a indiqué que le demandeur d’asile, un Iranien de 18 ans, était habitué à des institutions différentes [traduction] « et parce que le procureur était Iranien et connaissait la culture iranienne ».
[156] Tous ces exemples tendent à prouver que les commissaires comprennent que les exemples de circonstances exceptionnelles fournis dans les Directives ne sont que des exemples et qu’ils se sentent libres de donner à ces Directives une application large.
[157] Par ailleurs, la preuve la plus forte qui a été déposée par les demandeurs est un extrait d’une décision de la CISR dans l’affaire Baskaran (dossier de la CISR TA1‑07530) [répertorié : R.A.Y. (Re), [2002] D.S.S.R. no 236 (QL)], jointe à l’affidavit de M. Boulakia, et dans lequel le commissaire déclare ceci :
[traduction] On nous a donné instruction de vous inter-roger en premier, à la suite de quoi votre procureur vous posera des questions, et c’est là la procédure que nous devons suivre [. . .]
[158] Les demandeurs soutiennent que cet extrait indique que les commissaires se sentent obligés de se conformer à la pratique énoncée dans les Directives, par loyauté à l’institution et, dans certains cas, parce qu’ils n’ont pas confiance en leur propre pouvoir discrétion-naire et leur propre capacité de décider par eux‑mêmes de la procédure qu’il convient de suivre. L’extrait de la décision Baskaran peut être un exemple de cette dernière prétention. Bien qu’elle soit troublante, cette prétention ne justifie pas en elle‑même la conclusion que cet avis est largement partagé par les commissaires.
[159] Le témoignage que le professeur Galloway a donné en tant qu’ancien commissaire appuie également les prétentions des demandeurs sur la façon dont les Directives seraient interprétées et appliquées par les commissaires de la SPR. Toutefois, il n’a aucune expérience directe de l’application des Directives et son témoignage quant à la façon dont les Directives seraient interprétées et appliquées par les commissaires était, malgré son utilité, largement conjectural.
[160] Le défendeur demande à la Cour d’accorder plus de poids au témoignage de Me Paul Aterman qui a déclaré que les commissaires conservent le pouvoir discrétionnaire de déterminer la procédure appropriée concernant les interrogatoires au cours d’une audience donnée. À la page 38 de la transcription du premier contre‑interrogatoire qui s’est déroulé le 14 septembre 2005, il déclare ceci :
[traduction] La manière dont cette personne est traitée au cours de cette audience relève du pouvoir discrétionnaire du commissaire. Celui‑ci peut examiner la situation et dire : « Dans cette situation particulière, le procureur posera d’abord les questions », ou il peut dire « Dans les circonstances, il est plus approprié que l’APR ou le commissaire commence l’interrogatoire ». Ce sont des choix discrétionnaires que les Directives laissent clairement à l’appréciation des commissaires.
[161] Au cours de son contre‑interrogatoire, Me Aterman a également exprimé l’opinion que les commissaires exercent leur jugement quant à la façon dont les Directives doivent être appliquées et à quel moment, en gardant à l’esprit les circonstances particulières de chaque cas (transcription du 15 septembre 2006, pages 79 et 80). Ces observations sont appuyées par les exemples de décisions qui s’écartent des Directives et qui sont jointes à l’affidavit de Kiyani.
[162] Au cours de l’argumentation, on a fait référence à une décision du commissaire K. Brennenstuhl, R.K.N. (Re), [2004] D.S.P.R. no 14 (QL), qui a apparemment été transmise à d’autres commissaires de la SPR pour obtenir leur aide quant à l’interprétation et à l’application des Directives no 7. D’après les demandeurs, cette façon de faire illustre les efforts déployés par la CISR pour imposer les Directives no 7 aux commissaires de la SPR et entraver ainsi l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Toutefois, la diffusion de la décision ne constitue pas à mon avis une preuve d’entrave dans la mesure où les commissaires n’ont pas jugé qu’ils étaient tenus de suivre les conclusions du commissaire Brennenstuhl. Je ne dispose d’aucune preuve qui établisse que tel a été le cas. La décision R.K.N. n’a pas été désignée par le président pour servir de guide jurisprudentiel, et elle ne tombe pas non plus dans la catégorie des « décisions à caractère persuasif », que le vice‑président de la Section de la protection des réfugiés peut désigner en vertu d’une politique adoptée par la CISR comme étant des « modèles d’un raisonnement valable » que les commissaires sont encouragés à suivre. Voir la « Note de politique de la Commission sur les Décisions à caractère persuasif », du 13 décembre 2005.
[163] J’accepte le fait que le libellé des Directives no 7 puisse être interprété comme étant de nature obligatoire par un commissaire inexpérimenté et manquant de confiance en lui‑même et que, en général, les commissaires peuvent, comme l’a conclu le juge Blanchard, ressentir la pression exercée par la haute direction pour s’y conformer. Mais cela ne mène pas nécessairement à la conclusion que les commissaires s’estiment obligés de les appliquer comme s’il s’agissait d’une loi, d’un règlement ou d’une règle formelle prise en vertu du pouvoir du président.
[164] Comme le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario l’a fait observer dans l’arrêt Ainsley, les directives ne sont pas invalidées du simple fait qu’elles réglementent la conduite des personnes à qui elles s’adressent. Une directive demeure une directive même si les personnes qui sont visées par elle modifient leur pratique pour s’y conformer.
[165] D’après le dossier en l’espèce, la preuve n’appuie pas, à mon avis, une conclusion d’entrave semblable à celle qui a été examinée par les tribunaux dans les arrêts Ainsley et Ha. Contrairement à l’énoncé de politique dans l’arrêt Ha, par exemple, le texte des Directives no 7 autorise l’examen des circonstances particulières de chaque cas et l’application de certaines exceptions à la pratique normalisée. Si les commissaires avaient des doutes à ce sujet, l’énoncé de politique générale que le président a émis concernant toutes les Directives prévoit expressément qu’elles ne sont pas obligatoires et cite une décision de la Cour à cet effet : Fouchong c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 1727 (1re inst.) (QL).
[166] En outre, contrairement encore une fois à ce qui était le cas dans Ha, la politique fournit une certaine orientation aux commissaires de la SPR sur la façon dont ils doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire, quoique d’une façon structurée. Et en outre, contrairement à l’arrêt Ha, la preuve dont je suis saisi m’indique que les commissaires ont choisi de ne pas tenir compte de la « pratique normalisée » quand ils le jugent nécessaire et pour des raisons qui vont au‑delà du type de circonstances exceptionnelles décrites au paragraphe 23.
[167] Pour ce qui est du deuxième facteur décrit dans l’arrêt Ainsley, l’effet concret du non‑respect de la directive, savoir la menace de mesures coercitives, n’est pas prouvé par les faits. Il n’y a pas de preuve au dossier qui laisse entendre que le président a menacé de sanctionner des commissaires pour cause de non‑respect des Directives no 7 ou qu’il l’a fait en réalité. En fait, le président n’a pas ce pouvoir. La preuve indique cependant qu’au moins un commissaire, M. Ellis, a refusé d’appliquer les Directives dès le début, mais il n’y a aucune preuve établissant qu’il a été sanctionné d’une quelconque façon.
[168] La preuve indique que la CISR contrôlait l’observation des directives du président au moyen d’un système volontaire de rapport faisant usage de [traduction] « Feuilles d’information sur les audiences ». Les commissaires étaient invités à signaler eux‑mêmes la manière dont ils avaient utilisé les Directives. Le témoignage de Paul Aterman fait ressortir que le taux de réponse sur ces formulaires était très faible. Il est donc difficile de comprendre comment cette mesure a pu être considérée comme coercitive. Au mieux, cela semblerait être une procédure normale et inoffensive de vérifier les effets d’une politique.
[169] Il y a également des preuves de courriels du vice‑président demandant aux commissaires d’indiquer s’ils appliquaient les Directives et d’expliquer s’il y avait des circonstances exceptionnelles ou d’autres raisons de ne pas les suivre. Me Aterman a reconnu que les gestionnaires étaient tenus de vérifier si les commissaires se conformaient aux Directives mais, encore une fois, il n’y a pas de preuve que ceux qui ont choisi d’ignorer ou de ne pas appliquer strictement ces directives en ont subi quelque conséquence que ce soit.
[170] Finalement, les rapports d’évaluation du rendement des commissaires indiquent que l’application des directives dans des [traduction] « circonstances appropriées » sera l’un des facteurs pris en considération. De la façon dont j’interprète la preuve, cette disposition s’appliquait à l’ensemble des directives et il n’y a donc pas de preuve que l’un des commissaires a eu une mauvaise évaluation du rendement pour ne pas avoir appliqué les Directives no 7.
[171] Je suis saisi d’une preuve beaucoup plus abondante sur la manière dont les Directives no 7 sont réellement appliquées par les commissaires de la SPR que celle dont était saisi mon collègue dans l’affaire Thamotharem. D’après la preuve en l’espèce, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont démontré que le pouvoir discrétionnaire des commissaires de la SPR d’établir la procédure à suivre dans les instances relatives aux demandes d’asile dont ils sont saisis a été entravé par l’application des Directives no 7.
[172] Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir d’entrave dans un cas particulier. Comme il a été statué dans la décision Leung v. Ontario (Criminal Injuries Compensation Board) (1995), 24 O.R. (3d) 530 (C. div.), l’application d’une directive peut équivaloir à une entrave illégale à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une commission, si cette directive est appliquée sans qu’il soit tenu dûment compte de la preuve et des observations déposées dans un cas particulier. Une situation de ce genre peut se présenter lorsqu’un commissaire décide d’appliquer les directives sans faire d’exception et qu’il ignore la preuve ou les observations déposées par les procureurs indiquant qu’il y a une raison de modifier la procédure.
Les Directives no 7 outrepassent‑elles le pouvoir du président?
[173] Les demandeurs prétendent que les Directives no 7 sont ultra vires ou qu’elles outrepassent le pouvoir du président, prévu par la loi, de donner des directives. Dans le mémoire des demandeurs, cet argument s’étendait aux autres directives prises dans le cadre du plan d’action de la CISR, mais l’analyse faite dans les présents motifs se limitera à la question se rapportant aux Directives no 7. Le pouvoir du président de donner des directives est prévu à l’alinéa 159(1)h) de la LIPR, qui est reproduit de nouveau ci‑dessous pour en faciliter la consultation :
159. (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission ainsi que membre d’office des quatre sections; à ce titre :
[. . .]
h) après consultation des vice‑présidents et du directeur général de la Section de l’immigration et en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel;
[174] Les demandeurs soutiennent que le pouvoir de donner des directives prévu à l’alinéa 159(1)h) ne peut être utilisé que pour désigner les décisions de la CISR qui peuvent servir de guide jurisprudentiel. Cette interprétation de la Loi, dont on a voulu me convaincre pendant la plaidoirie, se fonde sur le fait qu’il n’y a pas de virgule devant le mot « and » dans la version anglaise. Je ne suis pas persuadé qu’il s’agit là d’une interprétation correcte. Comme il est noté dans l’ouvrage Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., 2002, aux pages 312 à 314, la ponctuation peut être utile pour résoudre une ambiguïté, mais les cours de justice canadiennes hésitent à s’appuyer sur elle comme outil d’interprétation en raison de son manque inhérent de fiabilité.
[175] Dans ce contexte, je ne crois pas qu’il y ait, dans l’interprétation de l’alinéa, une ambiguïté qui puisse être résolue en faisant référence à une virgule manquante. L’intention du législateur dégagée du sens ordinaire des mots utilisés fait ressortir que le président est autorisé à la fois à donner des directives et à désigner certaines décisions de la CISR que les commissaires sont invités à prendre comme modèles. Cela ressort peut‑être plus clairement de la version française : « il donne des directives écrites aux commissaires et précise les décisions de la Commission qui serviront de guide jurisprudentiel » (non souligné dans l’original). Voir également Politique sur l’utilisation de guides jurisprudentiels, politique no 2003‑01 (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, 21 mars 2003).
[176] La question dont je suis saisi est de savoir si le président a outrepassé les limites du pouvoir qui lui est conféré par la loi de donner des directives et s’il a imposé une règle obligatoire qui exige des mesures législatives, ou l’approbation du gouverneur en conseil, et, à tout le moins, l’acquiescement passif des deux chambres du Parlement aux termes de l’article 161 de la LIPR.
[177] Les règles édictées en vertu de l’article 161 sont des « règlements » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, étant donné qu’elles sont « [prises] [. . .] dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale ». Elles sont aussi, on peut le supposer, assujetties à l’application de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S‑22, et aux exigences d’examen, de révision, de prépublication et de consultation établies dans le Gouvernement du Canada politique de réglementation, (1999).
[178] Le terme « directive » ne semble pas être défini dans les lois. La définition qu’en donne le Canadian Oxford Dictionary, édition de 2004, est la suivante : [traduction] « un principe ou critère, une ligne de conduite ou une orientation ». Le terme « directives » employé dans la version française peut également être interprété comme une ligne de conduite. La définition qu’en donne Le Nouveau Petit Robert, édition de 2002, est la suivante : « [i]ndication, ligne de conduite donnée par une autorité ». Dans la décision Thamotharem, le juge Blanchard [au paragraphe 102] a employé la définition qu’en donne le Oxford English Dictionary, 2e éd. : « ligne de conduite, principe énonçant une orientation ou une norme et constituant un guide de procédure, de politique, etc. ».
[179] Les demandeurs soutiennent qu’une lecture de l’alinéa 159(1)h) dans son sens ordinaire fait ressortir que le genre de directive envisagé est celui qui facilite un processus décisionnel cohérent, économique et équitable. À leur avis, les Directives no 7 ne traitent pas d’un processus décisionnel, mais portent davantage sur l’établissement de normes procédurales fondamentales, dans le but de transformer la CISR en substituant à son rôle d’organisme quasi judiciaire, reconnu dans l’arrêt Singh, celui d’une « commission d’enquête ».
[180] Selon l’argument des demandeurs, un examen des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles) appuie cette interprétation. Les Règles établissent de façon claire et exhaustive la procédure que doit suivre la SPR. Bien que les Règles traitent de questions procédurales complexes, par exemple la façon d’accueillir les demandes d’asile sans tenir d’audience (règle 19), la façon de traiter les demandes d’asile mettant en cause des questions d’exclusion et d’interdiction de territoire et d’irrecevabilité (règles 23 à 25), les Règles traitent également d’aspects moins importants comme la fixation de la date d’une procédure (règle 21) et la taille appropriée du papier à utiliser pour la présentation des documents (règle 25). La précision des Règles sur des questions de procédure aussi infimes que la taille du papier mène à la conclusion qu’une question aussi fondamentale que l’ordre des interrogatoires ne doit pas faire l’objet d’une directive.
[181] Qui plus est, selon les demandeurs, les changements apportés aux normes procédurales qui ont pour but de modifier la nature même de la CISR relèvent du pouvoir du législateur et non pas des dirigeants de la CISR. Les demandeurs soutiennent qu’un changement aussi fondamental que l’ordre des interrogatoires aurait dû faire l’objet d’une disposition législative, au moment de l’adoption de la LIPR. Il n’est pas approprié pour la CISR d’apporter maintenant d’importants changements procéduraux par voie de directives quand le législateur ne l’a pas fait dans sa loi.
[182] En réponse à cet argument, le défendeur soutient que le président a manifestement le pouvoir de donner des directives aux commissaires. Le législateur a prévu dans la Loi que la SPR doit tenir une audience et donner aux demandeurs d’asile une possibilité raisonnable de présenter une preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations; toutefois, un tribunal est tout à fait libre, dans une mesure raisonnable, d’établir sa propre procédure. Le défendeur fait également valoir que le rôle de la formation est qualifié à bon droit d’inquisitoire, et non d’accusatoire; par conséquent, un commissaire peut mener l’enquête sur la demande d’asile : Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), à la page 757.
[183] Je pense qu’il est bien établi que les tribunaux administratifs sont libres, dans une mesure raisonnable, d’établir leur propre procédure étant donné qu’ils sont « maîtres chez eux » pour ce qui a trait aux procédures administratives internes. En l’absence de règles précises énoncées dans une loi ou dans un règlement, les tribunaux sont maîtres de leur propre procédure à condition de se conformer à leur obligation d’équité et, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, aux règles de justice naturelle : Prassad, aux pages 568 et 569.
[184] En l’espèce, le législateur a jugé opportun de conférer à la CISR deux mécanismes lui permettant d’établir sa procédure : le pouvoir de prendre des règles prévu à l’article 161 et le pouvoir de donner des directives et de désigner les décisions de la CISR pouvant servir de guide jurisprudentiel en vertu de l’alinéa 159(1)h). Le choix du mécanisme a été laissé à la discrétion du président, à l’exception du fait que les changements apportés aux Règles nécessitent l’approbation du gouverneur en conseil et doivent être présentés au Parlement. Il n’y a aucune restriction dans la Loi quant à la portée des directives que le président peut donner tant et aussi longtemps qu’elles ont pour but « d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions ». Il n’y a pas non plus de restriction concernant les directives qui traitent des questions de procédure. Il n’y a donc pas de conflit apparent entre les Directives no 7 et l’une ou l’autre des règles établies sous le régime de l’article 161.
[185] Il ne fait aucun doute qu’il est plus facile de procéder par voie de directives étant donné que cela évite les obstacles et les délais qui accompagnent l’adoption de mesures législatives subordonnées, comme des règlements et des règles. Ce processus permet également de soumettre les propositions à un examen plus minutieux et peut donner lieu à des révisions ou à des changements avant que l’approbation officielle ne soit accordée. Il se peut fort bien qu’il soit préférable qu’un changement important de la procédure à suivre devant la CISR se fasse au moyen d’un changement aux règles, plutôt que par l’adoption d’une directive. Toutefois, je ne suis pas convaincu que le pouvoir du président de donner des directives n’est pas suffisamment large pour englober l’adoption d’une procédure comme l’ordre normalisé des interrogatoires prévu par les Directives no 7.
[186] Dans la décision Thamotharem, le juge Blanchard n’a pas tiré de conclusion précise quant à savoir si les Directives no 7 outrepassaient le pouvoir du président. Toutefois, il a noté au paragraphe 103 de ses motifs que, même si la Loi autorise expressément le président à donner des directives afin d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions, ces directives ne peuvent être contraignantes, c’est‑à‑dire laisser à chaque commissaire peu de latitude en ce qui concerne la conduite d’une audience complète et adéquate dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré. Si telle avait été son intention, le président aurait pu prendre une règle en application de l’article 161. Il a conclu sur ces mots : « le président n’est pas autorisé à prendre des règles ayant la force d’un texte réglementaire sous la forme de directives ».
[187] Le juge Blanchard s’est ensuite demandé si les Directives no 7 constituent une approche non contraignante recommandée aux commissaires ou si elles ont un effet obligatoire qui entrave leur pouvoir discrétionnaire. S’il en arrivait à cette dermière conclusion, comme ce fut le cas, on pourrait alors dire que les Directives no 7 ont acquis le statut de règles générales, illégales dans les circonstances.
[188] Pour les motifs donnés ci‑dessus, je ne partage pas l’opinion de mon collègue voulant que les Directives no 7 aient un effet obligatoire qui entrave le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Par conséquent, je n’estime pas que les directives constituent des règles contraignantes et qu’elles outrepassent, en tant que telles, le pouvoir du président.
L’interrogatoire mené par le commissaire a‑t‑il entraîné une crainte raisonnable de partialité?
[189] L’avocat de la demanderesse Shurlyn Jones (IMM‑1877‑05) a fait valoir que par suite de la présence de moins en moins fréquente des APR dans les audiences relatives aux demandes d’asile, le rôle du commissaire est déformé, ce qui donne lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle. Selon la demanderesse, cette situation compromet l’indépen-dance et l’impartialité de la CISR et atteint le niveau de partialité institutionnelle examiné par la Cour suprême dans l’arrêt 2747‑3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919 (Régie).
[190] La demanderesse prétend qu’il s’agit d’une question d’ordre constitutionnel qui se rapporte directement à l’indépendance du tribunal. Il importe peu que les Directives no 7 aient été appliquées en tant que lignes directrices ou en tant que règles, parce que le résultat demeure le même. Le commissaire est à la fois l’interrogateur et celui qui prend la décision finale concernant la demande d’asile. Cette situation ne se produirait pas si les APR étaient présents à chaque audience et qu’ils étaient les premiers à poser des questions comme les règles semblent le prévoir. Selon la demanderesse, le commissaire ne doit jamais procéder à un « interrogatoire principal » du demandeur d’asile.
[191] Dans l’arrêt Régie, la Cour suprême traitait de la question de l’indépendance des tribunaux quasi judiciaires dans le contexte de l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, L.R.Q., ch. C‑12, qui garantit le droit à une audition publique et équitable de sa cause par un tribunal indépendant et impartial. Comme il est dit dans l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781, la norme d’indépendance formulée dans l’arrêt Régie découle de la Charte québécoise, qui est une loi quasi constitutionnelle, et ne s’applique pas aux tribunaux créés par d’autres ressorts. Dans d’autres contextes, la norme doit être déterminée par la volonté expresse du législateur. Si la loi est muette ou qu’elle manque de précision, les tribunaux en déduiront généralement que le législateur avait l’intention que la procédure du tribunal respecte les principes de justice naturelle. Dans certains cas, mais pas de façon générale, le tribunal peut être tenu de se conformer aux exigences d’indépendance prévues par la Charte.
[192] À mon avis, la question de l’indépendance de la CISR n’est pas directement soulevée en l’espèce d’après les dossiers dont je suis saisi et je n’ai pas l’intention d’essayer de trancher cette question. J’accepte, bien entendu, comme l’a déclaré au paragraphe 42 de ses motifs le juge Gonthier, s’exprimant pour la majorité dans l’arrêt Régie, en citant l’arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, que l’impartialité comporte un aspect institutionnel ou structurel.
[193] Dans l’arrêt Régie, on a conclu à une partialité institutionnelle après avoir effectué un examen détaillé de la loi et de la structure de l’institution en question. L’opinion émise par la Cour au sujet du rôle des avocats de la Régie qui participaient à chaque étape de la procédure, notamment l’enquête, la poursuite et le règlement des plaintes, a été déterminante.
[194] Au paragraphe 44 de ses motifs, le juge Gonthier a fait référence au critère bien établi servant à établir l’impartialité institutionnelle élaboré par le juge de Grandpré dans Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394. Le juge Gonthier a résumé ce critère de la manière suivante :
La détermination de la partialité institutionnelle suppose qu’une personne bien renseignée, ayant étudié la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, éprouve une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas. À ce sujet, tous les facteurs doivent être considérés, mais les garanties prévues dans la loi pour contrer les effets préjudiciables de certaines caractéristiques institutionnelles doivent recevoir une attention particulière.
[195] Le juge Gonthier a noté qu’en appliquant ce critère, il y a lieu de faire preuve d’une plus grande souplesse à l’égard des tribunaux administratifs qu’à l’égard des cours de justice et qu’il faut tenir compte des contraintes institutionnelles auxquelles sont soumis les tribunaux. Qui plus est, le cumul des fonctions au sein d’un seul organisme administratif ne pose pas nécessairement problème.
[196] On ne pourra conclure à une partialité institutionnelle à moins qu’une personne bien renseignée n’éprouve une crainte raisonnable dans un grand nombre de cas. Autrement, les allégations de crainte de partialité ne peuvent porter sur l’institution dans son ensemble, mais doivent être traitées au cas par cas : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3.
[197] En l’absence d’une preuve contraire, il y a une forte présomption qu’un décideur agira de façon impartiale : Zündel c. Citron, [2000] 4 C.F. 225 (C.A.), autorisation de pourvoir refusée, [2000] 2 R.C.S. xv.
[198] Dans l’arrêt Kozak, aux paragraphes 51 à 57, la Cour d’appel fédérale a relevé trois considérations qui se rapportent de façon très pertinente à la question de la partialité dans le contexte des décisions prises par la SPR. Premièrement, l’obligation d’agir équitablement qui incombe à la CISR se trouve au sommet de l’équité procédurale. Deuxièmement, le mandat confié à la CISR de rendre des décisions administratives est particulièrement difficile. Troisièmement, la notion de partialité évoque des circonstances qui amènent un observateur raisonnable et informé à croire que le décideur a été influencé par une considération extrinsèque ou injustifiée.
[199] Dans les circonstances particulières de cette affaire, la Cour a jugé qu’il y avait suffisamment de preuve des pressions et des influences externes qui avaient été exercées sur les décideurs pour établir une crainte raisonnable de partialité. Plus précisément, la stratégie du cas type utilisée dans cette affaire a été conçue non seulement pour assurer la cohérence des décisions futures et améliorer leur exactitude, mais également pour réduire le nombre de décisions positives qui pourraient autrement être rendues et réduire le nombre de demandeurs d’asile potentiels.
[200] Les circonstances entourant l’adoption par la CISR de l’ordre normalisé des interrogatoires ne se comparent pas, à mon avis, avec celles qui existaient dans la décision Kozak. Rien ne laisse entendre qu’une influence inappropriée a été exercée pour modifier l’issue des décisions rendues par les commissaires de la SPR qui ont appliqué les Directives ou que l’application de celles‑ci a été conçue pour influer sur l’issue des demandes d’asile. En fait, la preuve non contredite révèle que le taux d’acceptation des demandes d’asile n’a pas varié dans les périodes précédant et suivant l’adoption des Directives.
[201] Je ne suis pas convaincu qu’une crainte raisonnable de partialité existe simplement parce que le commissaire mène l’interrogatoire. Comme l’a déclaré le Dr Payne en contre‑interrogatoire, il importe moins de savoir qui dirige l’interrogatoire que la façon dont celui‑ci est mené. Dans les circonstances particulières d’un cas, un interrogatoire musclé peut constituer un manquement à l’équité, comme l’illustrent les deux décisions citées par la demanderesse : Farkas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 190 et Sandor analysée ci‑dessus.
[202] Dans Farkas, une décision de la CISR a été annulée en raison des questions persistantes et tranchantes posées par l’une des commissaires. De même, dans la décision Sandor, la Cour a conclu qu’un interrogatoire poussé mené par un commissaire constituait un manquement à la justice naturelle et un déni du droit à une audience équitable. Cependant, ces décisions n’appuient pas la thèse selon laquelle un changement dans l’ordre des interrogatoires donne lieu en soi à une crainte raisonnable de partialité.
[203] À mon avis, la question de la partialité dans ce contexte doit être traitée au cas par cas. Sans me prononcer sur ce point, je fais remarquer que, dans le dossier du demandeur Jones, il y a des éléments de preuve de ce que l’avocat décrit comme étant un [traduction] « interrogatoire long, désagréable, brutal et hostile » du demandeur d’asile par le commissaire. Cette preuve appuie peut‑être la conclusion selon laquelle, dans les circonstances particulières de cette espèce, une crainte raisonnable de partialité a été établie. Cette question doit être tranchée par le juge qui entendra l’affaire au fond. À mon avis, cela n’appuie pas la conclusion selon laquelle l’ordre des interrogatoires prévu dans les Directives no 7 entraîne une partialité institutionnelle.
Quand doit‑on s’opposer à l’utilisation des Directives no 7?
[204] La question de la renonciation se pose en l’espèce parce qu’un certain nombre de demandeurs n’ont ni soulevé d’objection à l’application de la procédure prévue dans les Directives no 7 au cours de l’audience, ni demandé au commissaire de changer l’ordre des interrogatoires. Dans certains cas, cette question n’a pas non plus été soulevée comme fondement de la demande de contrôle judiciaire avant que l’autorisation n’ait été accordée à cet égard et n’a été soulevée qu’après le prononcé des motifs dans l’affaire Thamotharem.
[205] Bien que j’aie conclu que l’imposition des Directives no 7 n’ait pas entraîné en soi un déni d’équité procédurale envers les demandeurs, certains d’entre eux seront peut‑être en mesure d’établir que tel a été le résultat dans leurs cas particuliers.
[206] Depuis l’adoption des Directives no 7 en juin 2004, la Cour les a examinées dans plusieurs décisions. À ce jour, la jurisprudence n’a pas traité précisément de la question de la renonciation au regard de la possibilité pour un demandeur de contester les Directives no 7 dans le contexte d’une procédure de contrôle judiciaire. Parmi les causes entendues, il existe deux scénarios courants dans le cadre desquels la Cour a examiné les Directives no 7. Le premier scénario est celui dans lequel le demandeur soulève une objection à l’application des Directives no 7 à l’audience devant la CISR et où la question de la renonciation n’est pas traitée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ces causes incluent les affaires Thamotharem, Jin, Vazquez, Fabiano et Martinez, toutes citées ci‑dessus.
[207] Dans le deuxième scénario, il s’agit de causes où il ne ressort pas clairement que le demandeur s’est opposé à l’application des Directives no 7 à l’audience, mais où la question a été soulevée dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision de la CISR et où la Cour a traité de la question de l’équité procédurale sans parler de la renonciation. Ces causes incluent les décisions Sy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 379, Liang et Cortes Silva, précitées.
[208] La question d’une renonciation implicite a été traitée dans la décision B.D.L, où le juge Yvon Pinard a déclaré ce qui suit aux paragraphes 5 et 6 :
[. . .] le demandeur n’a pas cru nécessaire de s’y objecter et n’a démontré l’existence d’aucun préjudice.
Vu les circonstances particulières du présent cas, l’argument maintenant invoqué par le demandeur relativement à l’inéquité [sic] de la procédure est tout à fait dénué de fondement.
[209] Les circonstances particulières de l’affaire B.D.L sont les suivantes : non seulement le demandeur n’a‑t‑il pas formulé d’objection, mais en réponse aux questions posées par le commissaire à la fin de l’audience, il a expressément confirmé qu’il avait dit tout ce qu’il voulait dire.
[210] Dans les deux affaires tranchées avant l’application des Directives no 7 qui ont trait à l’ordre des interrogatoires au cours d’une audience sur une demande d’asile, la Cour a conclu qu’il y avait eu manquement à l’obligation d’équité malgré le fait que le demandeur n’ait formulé aucune objection au cours de l’audience. Dans Ganji, la Cour a infirmé une décision de la CISR dans laquelle celle‑ci avait exercé la direction du dossier de la demanderesse et avait mené l’interrogatoire. Dans la décision Herrera, examinée ci‑dessus, l’avocat avait consenti à la procédure sans avoir été pleinement informé des questions qui seraient posées. La Cour a refusé d’accorder la moindre importance au consentement donné.
[211] Il semble donc que la jurisprudence de la Cour ne soit pas fixée sur la question de savoir à quel moment un demandeur doit s’opposer à l’ordre des interroga-toires pour que ce point puisse être débattu au cours du contrôle judiciaire. Pour décider de la démarche qu’il convient d’adopter dans les actions qui sont réunies en l’espèce, je m’appuierai sur les principes généraux de la renonciation qui ont été formulés dans la jurisprudence.
[212] Comme le faisait observer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kozak, précité, au paragraphe 66, les parties ne peuvent généralement pas se plaindre d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale par un tribunal administratif si elles n’en ont rien dit à la première occasion raisonnable.
[213] Le principe de common law relatif à la renonciation est décrit par le juge MacGuigan dans l’Affaire intéressant le Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1986] 2 R.C.S. v. (Énergie atomique). Le juge MacGuigan a déclaré qu’en common law, même une renonciation implicite à une objection devant un arbitre dans les premières étapes suffit à invalider une objection ultérieure. Le juge MacGuigan a noté ce qui suit [à la page 113] :
La seule manière d’agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d’alléguer la violation d’un principe de justice naturelle à la première occasion. En l’espèce, EACL a cité des témoins, a contre‑interrogé les témoins cités par la Commission, a présenté un grand nombre d’arguments au Tribunal et a engagé des procédures devant la Division de première instance et cette Cour sans contester l’indépendance de la Commission. Bref, elle a [. . .] implicitement renoncé à son droit de s’opposer. [Non souligné dans l’original.]
[214] Le raisonnement du juge MacGuigan a été appliqué par la Cour d’appel dans l’arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.) (QL), où le demandeur ne s’est opposé qu’après le prononcé de la décision de la Section du statut de réfugié. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Stone a déclaré ceci au paragraphe 7 :
Il convient également de préciser qu’aucune objection n’a été soulevée quant à la procédure que le président de l’audience a suivie pour recevoir les renseignements supplémentaires. [. . .] Il aurait certainement pu le faire [s’opposer à la procédure] à ce moment‑là et demander au tribunal de reprendre l’audience, s’il n’était pas possible de recevoir les renseignements d’une autre façon. L’appelant avait alors en main tous les nouveaux renseignements et savait que le tribunal avait l’intention de les admettre. Non seulement aucune objection n’a‑t‑elle été soulevée à cette époque, ce qui m’apparait être « la première occasion » de le faire [. . .] mais l’appelant n’en a pas parlé avant que la Section du statut de réfugié n’ait fait connaître sa décision le 18 avril 1991. En conséquence, même s’il y a eu violation des principes de justice naturelle, l’appelant a renoncé implicitement à cette violation par sa conduite. [Non souligné dans l’original et citation omise.]
[215] Le raisonnement élaboré par la Cour d’appel dans l’arrêt Énergie atomique a été accepté par la Cour suprême du Canada dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892.
[216] Dans l’arrêt Zündel c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2000] A.C.F. no 1838 (C.A.) (QL) (Zündel), la Cour d’appel s’est demandée si la doctrine de la renonciation pouvait être invoquée en présence d’une conclusion qu’il y avait une crainte raisonnable de partialité. L’appelant avait cité l’arrêt Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623 (Newfoundland Telephone) à l’appui de la thèse selon laquelle une conclusion de partialité annulait l’audience, ce qui excluait qu’on puisse invoquer la renonciation. Toutefois, l’arrêt Newfoundland Telephone ne traitait pas de la question de la renonciation et l’objection à la procédure avait été soulevée dès le début.
[217] Dans l’arrêt Zündel, l’appelant avait fait valoir qu’il n’avait pas renoncé à son objection et il l’a fait très rapidement une fois qu’une décision de la Cour, favorable à sa position, a été rendue dans une autre affaire. La Cour d’appel a noté que c’était le régime de la loi qui était à l’origine de la plainte d’iniquité et que rien n’avait empêché l’appelant de formuler une objection dès le début de l’instance. Dans les circonstances, la renonciation était implicite.
[218] Dans la conclusion de l’analyse faite au nom de la Cour dans l’arrêt Zündel, le juge Stone a reconnnu que, pour être valable, toute renonciation doit être faite librement et en pleine connaissance de tous les faits pertinents à la décision de renoncer ou non. Dans l’arrêt Kozak, bien que l’avocat des appelants eût consenti à la procédure, il ne pouvait pas être au courant du contexte factuel laissant croire à une partialité.
[219] La raison pour laquelle un demandeur doit invoquer à la première occasion un manquement à la justice naturelle ou une crainte de partialité a été énoncée par le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d’appel) dans la décision Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (1re inst.), conf. par [2001] 4 C.F. 85 (C.A.), où il déclare ceci au paragraphe 25 :
L’économie des ressources judiciaires est un argument important à l’appui d’une telle exigence. Si les demandeurs peuvent obtenir le contrôle judiciaire des décisions qui leur donnent tort simplement en ne soulevant pas les problèmes patents d’interprétation, c’est ce qu’ils feront. Ceci mènera à une duplication des audiences. Il serait de meilleure politique d’encourager la tenue de l’audience la plus équitable possible et ainsi éviter des procédures à répétition. Les demandeurs devraient être tenus de se plaindre à la première occasion, lorsqu’il est raisonnable de s’y attendre.
Le juge Pelletier poursuit en ces termes au paragraphe 26 : « [L’]élément clé est donc l’expectative raisonnable que le demandeur se plaigne à la première occasion ».
[220] Je retiens de l’analyse qui précède le principe selon lequel un demandeur doit soulever une allégation de partialité ou tout autre manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion qui lui est donnée. Celle‑ci se présente lorsque le demandeur est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection.
[221] En l’espèce, les avocats des demandeurs devaient être au courant de l’application des Directives no 7 depuis le 7 décembre 2003. S’ils étaient d’avis que leur application dans un cas particulier entraînerait un déni du droit de leurs clients à une audience équitable, la première occasion qu’ils auraient eu de soulever une objection et de demander une exception à l’ordre normalisé des interrogatoires se serait présentée avant la tenue de chaque audience mise au rôle, conformément aux règles 43 et 44, ou oralement à l’audience même. Le fait de ne pas s’opposer au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à invoquer toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles‑mêmes.
[222] Toutefois, j’aimerais souligner que la manière dont la doctrine de la renonciation s’applique n’empêche pas un demandeur de faire valoir que la façon dont l’audience a été menée constitue un manquement à l’obligation d’équité du fait, par exemple, d’un contre‑interrogatoire musclé, comme on l’a conclu dans la décision Herrera, si la Cour est par ailleurs saisie à bon droit de ce motif.
[223] Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas traiter des motifs de contrôle judiciaire qui n’ont pas été expressément plaidés dans les demandes d’autorisation. En l’espèce, plusieurs demandeurs ont soulevé pour la première fois la question des Directives no 7 dans leur mémoire des faits et du droit ou leur mémoire complémentaire après le prononcé de la décision Thamotharem.
[224] Les demandeurs s’appuient sur la décision de la Cour suprême dans Assoc. des femmes autochtones du Canada c. Canada, [1994] 3 R.C.S. 627, dans laquelle la Cour suprême a fait observer qu’une « clause omnibus » dans une demande de réparation permet à la cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de prononcer un jugement déclaratoire même si cela n’a pas été soulevé précisément dans les plaidoiries. La Cour suprême a également fait référence à l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F‑7] qui prévoit, entre autres choses, les diverses formes de réparation qui peuvent être accordées à un demandeur.
[225] La décision dans l’arrêt Assoc. des femmes autochtones ne peut, à mon avis, servir à appuyer la thèse voulant que les demandeurs puissent invoquer de nouveaux motifs qui n’ont pas été précisément plaidés dans leur demande de contrôle judiciaire.
[226] La règle 301 [mod. par DORS/2004‑283, art. 36] des Règles des Cours fédérales, qui énonce les conditions applicables à une demande de contrôle judiciaire, prévoit ce qui suit :
301. La demande est introduite par un avis de demande, établi selon la formule 301, qui contient les renseignements suivants :
[. . .]
e) un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable.
[227] La Cour a statué qu’elle ne traiterait que des motifs de contrôle soulevés par le demandeur dans l’avis de demande et les affidavits à l’appui : Conseil national des femmes métisses c. Canada (Procureur général), [2005] 4 R.C.F. 272. (Voir également Schut c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 424 (1re inst.) (QL)). La même position a été adoptée par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455, autorisation de pourvoi refusée, [1995] 4 R.C.S. vii.
[228] Je note que, dans l’arrêt Stumf c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 148, la Cour d’appel a autorisé les demandeurs à soulever, au cours de la plaidoirie, une question qui n’avait pas été évoquée dans le contrôle judiciaire, ni dans aucune autre procédure devant la CISR. Cette affaire portait sur l’omission de la CISR d’examiner la désignation d’un représentant pour un revendicateur mineur, comme l’exigeait le paragraphe 69(4) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l’immigration. La Cour a statué qu’il était approprié d’examiner cette question à cette étape parce que le dossier renfermait tous les faits pertinents, et que rien ne laissait croire que le ministre subirait un préjudice si la question était examinée.
[229] Il n’est pas clairement établi si les dossiers dans chacune des 19 demandes réunies en l’espèce contiennent tous les faits pertinents. Par exemple, la lecture des dossiers du tribunal applicables n’indique pas clairement si le commissaire était saisi d’une preuve établissant pourquoi l’ordre des interrogatoires prévu dans les Directives no 7 ne devait pas être suivi dans un cas donné, et particulièrement si cette question avait été soulevée avant l’audience. Je dois donc conclure que, contrairement à l’affaire Stumf, le défendeur peut subir un préjudice du fait que les demandeurs n’ont pas soulevé la question à une étape antérieure de l’instance.
[230] Dans la décision Marshall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 34, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 2 :
À l’audience, le demandeur a soulevé la question d’une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire. Toutefois, cette question n’est pas mentionnée dans les actes de procédure déposés à l’origine, mais seulement dans un mémoire des arguments additionnels du demandeur, déposé suite à la réception du mémoire des arguments du ministre. Vu que le paragraphe 301e) des Règles exige un énoncé complet et concis des motifs invoqués, je suis d’avis qu’il est maintenant trop tard pour introduire un élément qui ne fait pas partie de la demande originale. De toute façon, cette question aurait dû être soulevée dans le cadre d’une requête présentée au commissaire et non à l’occasion du présent contrôle judiciaire. [Non souligné dans l’original.]
[231] La Cour d’appel a également statué que des arguments non invoqués devant le tribunal ne peuvent être soulevés au cours d’un contrôle judiciaire : Toussaint c. Canada (Conseil canadien des relations du travail), [1993] A.C.F. no 616 (C.A.) (QL); Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. Canadienne des fournisseurs Internet, 2001 CAF 4.
[232] En conclusion, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les demandeurs en l’espèce qui n’ont pas soulevé de questions d’équité procédurale au sujet de l’application des Directives no 7 devant la CISR et dans leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devraient être forclos de le faire par voie d’observations écrites ou verbales à cette étape‑ci de l’instance. Si l’objection avait été faite en temps opportun, soit avant l’audience ou au cours de celle‑ci, les demandeurs auraient eu droit d’en faire un motif de contrôle judiciaire dans leurs demandes d’autorisation.
[233] Bien que les demandeurs d’asile qui réclament à la Commission des décisions sur la procédure à suivre au cours de ses audiences doivent normalement remplir les conditions énoncées aux règles 43 et 44 de la SPR, soit en déposant, sans délai avant l’audience, des observations écrites appuyées par des éléments de preuve, je n’accepte pas la prétention du défendeur selon laquelle l’omission de le faire fait nécessairement intervenir la doctrine de la renonciation. De la façon dont j’interprète la jurisprudence, la renonciation ne peut être implicite lorsque la partie contre laquelle elle est invoquée a soulevé une objection à la procédure avant l’audience ou au cours de celle‑ci. Ce que la doctrine cherche à éviter, c’est le cas du justiciable qui ne dit rien pendant toute la procédure et qui essaie de tirer parti de la question devant une instance supérieure.
[234] Si les demandeurs ont omis de mentionner le déni d’équité procédurale dans leurs demandes d’autorisation, le contrôle judiciaire de ces demandes devrait se limiter aux motifs pour lesquels ils ont demandé l’autorisation. La formule habituelle de la « clause omnibus », savoir « tout autre motif que les demandeurs peuvent faire valoir et que la Cour peut autoriser » n’est pas un énoncé complet et concis des motifs invoqués au sens de la règle 301 [des Règles des Cours fédérales]. Toutefois, dans certains cas, la question a été mentionnée dans les mémoires des faits et du droit déposés avec la demande.
[235] Étant donné que l’état du droit sur ces questions n’est pas bien fixé et que, avant la décision Thamotharem, la Cour a constamment refusé les demandes se fondant uniquement sur les Directives no 7, les demandeurs ne devraient pas être pénalisés parce que leurs avocats ont omis de préciser ce motif dans l’avis de demande, s’il ressort clairement des documents déposés avec la demande que l’équité procédurale était une question en litige. Cela ne doit pas être considéré comme une invitation à étendre les motifs pour lesquels l’autorisation a été accordée. Si la question des Directives no 7 n’est soulevée que dans un mémoire des faits et du droit complémentaire déposé après l’octroi de l’autorisation, il y a renonciation implicite, et les demandeurs doivent s’en tenir aux questions cernées dans la première demande et le premier mémoire.
[236] Je tire les conclusions suivantes concernant l’application de ces principes aux causes dont je suis saisi :
▪ Les causes dans lesquelles il n’y a pas eu de renonciation parce qu’une objection a été formulée en temps opportun avant l’audience devant la CISR ou au cours de l’audience et que le déni d’équité procédurale a été mentionné comme motif de contrôle judiciaire dans la demande d’autorisation, soit expressément, soit sous forme de clause omnibus : IMM‑9766‑04 (Restrepo Benitez); IMM‑1144‑05 (Quadri); IMM‑4044‑05 (Roy); IMM‑470‑05 (Martinez et autres); IMM‑2150‑05 (Matheen); IMM‑353‑05 (Rincon et autres); IMM‑1419‑05 (Gomez et autres); IMM‑1877‑05 (Jones); IMM‑712‑05 (Guirguis et autres); IMM‑407‑05 (Mejia); IMM‑9797‑04 (Bilomba); IMM‑2709‑05 (Trujillo); IMM‑2034‑05 (Ortiz). La question de l’équité procédurale relative à l’application des Directives no 7 pourra être débattue dans chacune de ces demandes.
▪ Les causes dans lesquelles aucune objection n’a été soulevée avant ou au cours de l’audience et pour lesquelles la renonciation est implicite : IMM‑4064‑05 (Kamalendran); IMM‑9220‑04 et IMM‑3994‑05 (Arachchige); IMM‑3313‑05 (Robinson); IMM‑9452‑04 (Gyankoma); IMM‑934‑05 (Savagoli). Ces demandeurs ne peuvent faire valoir un manquement à l’équité procédurale relativement aux Directives no 7.
LES CONCLUSIONS
[237] Me fondant sur l’analyse précitée, je tire les conclusions suivantes au sujet de chacune des questions en litige.
▪ Bien que l’ordre des interrogatoires dans les instances relatives à la détermination du statut de réfugié touche les intérêts des demandeurs d’asile pour ce qui concerne la sécurité de leur personne, cette affaire porte sur des questions de droit administratif classiques qui peuvent être tranchées en appliquant les principes de justice naturelle et d’équité sans avoir recours à la Charte. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que la Cour établisse la portée et l’effet de la justice fondamentale garantie par l’article 7 au regard de l’application des Directives. Subsidiairement, s’il faut avoir recours à une analyse fondée sur la Charte, la justice fondamentale n’exige pas que l’ordre des interrogatoires utilisé devant les tribunaux civils et criminels s’étende aux audiences visant à déterminer le statut de réfugié. L’intention du législateur d’éviter les formalités accessoires aux procédures judiciaires n’est pas incompatible avec les exigences de la justice fondamentale.
▪ Après avoir examiné les facteurs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker et les autres facteurs proposés par les demandeurs, il n’a pas été établi que la justice naturelle exige que l’avocat d’un demandeur d’asile ait la possibilité d’interroger son client en premier lieu. La possibilité qu’a le demandeur de déposer des observations écrites et de fournir des éléments de preuve à la CISR, d’obtenir une audience à laquelle participe son avocat et de présenter des observations de vive voix est conforme aux droits de participation qu’exige l’obligation d’équité, et les Directives no 7 ne contreviennent pas, en elles‑mêmes, à cette obligation.
▪ Bien que le libellé des Directives no 7 puisse être interprété comme étant de nature obligatoire par des commissaires inexpérimentés et manquant de confiance en eux, et bien que les commissaires puissent estimer qu’ils subissent de la pression des instances supérieures pour suivre ces directives, cela ne mène pas à la conclusion que les commissaires s’estiment tenus d’appliquer les Directives comme s’il s’agissait d’une loi, d’un règlement ou d’une règle formelle prise en vertu du pouvoir du président. D’après le dossier constitué en l’espèce, la preuve n’appuie pas une conclusion d’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Bien que cette entrave puisse être établie dans un cas particulier, l’application des Directives no 7 elle‑même n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire des commissaires. Il faudra donc établir cette entrave au cas par cas.
▪ Les tribunaux administratifs sont libres, dans une mesure raisonnable, d’établir leurs propres procédures étant donné qu’ils sont « maîtres chez eux » pour ce qui est des procédures administratives internes, à la condition qu’ils respectent leur obligation d’équité et, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, les règles de la justice naturelle. Le pouvoir du président de donner des directives est suffisamment large pour englober l’adoption d’une procédure telle que l’ordre normalisé des interrogatoires prévu par les Directives no 7. Étant donné que ces directives ne constituent pas un énoncé obligatoire qui entrave le pouvoir discrétionnaire des commissaires, elles ne sont pas appliquées comme une règle obligatoire et, en tant que telles, elles demeurent dans les limites du pouvoir du président.
▪ Une crainte raisonnable de partialité institutionnelle ne peut être invoquée simplement parce que les commissaires interrogent les demandeurs d’asile en l’absence d’un agent chargé de la protection des réfugiés ou avant l’avocat de ces demandeurs d’asile. Dans les circonstances particulières d’un cas donné, un interroga-toire musclé par le commissaire ou par l’agent chargé de la protection des réfugiés peut constituer un manquement à l’équité, mais la question de la partialité dans ce contexte doit être soulevée au cas par cas. C’est le juge appelé à se prononcer sur le fond de l’affaire qui décidera si une crainte raisonnable de partialité a été établie.
▪ Le principe de common law relatif à la renonciation exige qu’un demandeur soulève une allégation de partialité ou un manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion raisonnable. Si les avocats sont d’avis que l’application des Directives no 7 dans un cas particulier entraînerait pour leurs clients un déni du droit à une audience équitable, la première occasion de soulever une objection et de demander une exception à l’ordre normalisé des interrogatoires se présentera avant chaque audience mise au rôle conformément aux règles 43 et 44, ou de vive voix au cours de l’audience. Le fait de ne pas formuler d’objection au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles‑mêmes. Si l’objection a été présentée en temps opportun avant l’audience ou au cours de celle‑ci, les demandeurs ont le droit de la faire valoir comme motif de contrôle judiciaire dans leur demande d’autorisation. Si les demandeurs n’ont pas fait valoir le manquement à l’équité procédurale dans leur demande d’autorisation, le contrôle judiciaire des demandes doit se limiter aux motifs pour lesquels l’autorisation a été demandée.
LES QUESTIONS CERTIFIÉES
[238] En l’espèce, les demandeurs ont soumis un certain nombre de questions aux fins de la certification.
Les questions proposées sont les suivantes :
1. L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 données par le président contrevient‑elle aux principes de justice naturelle en limitant indûment le droit du demandeur d’asile d’être entendu?
2. L’application des Directives no 7 constitue‑t‑elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires?
3. Les Directives no 7 contreviennent‑elles à la justice naturelle en déformant le rôle d’indépendance des commissaires?
4. Les Directives no 7 contreviennent‑elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés?
5. Les Directives no 7 sont‑elles illégales parce qu’elles sont ultra vires du pouvoir que confère la LIPR au président de donner des directives?
6. Si les Directives no 7 et la procédure qu’elles obligent à suivre constituent un manquement à la justice naturelle ou fondamentale, un demandeur d’asile peut‑il d’une quelconque façon renoncer implicitement à ce manquement, par exemple en ne s’opposant pas à la procédure?
7. Les Directives no 7 sont‑elles ultra vires de la LIPR et des règlements établis sous son régime?
8. L’« ordre inversé des interrogatoires » constitue‑t‑il un manquement aux principes de justice fondamentale et un déni des droits garantis par l’article 7 de la Charte en :
a) refusant au demandeur d’asile le droit à un procureur efficace et compétent?
b) lui refusant le droit d’être entendu?
9. L’ordre inversé des interrogatoires imposé par les Directives no 7 constitue‑t‑il :
a) un manquement au droit à un pouvoir judiciaire indépendant et donne‑t‑il lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle contraire au préambule de la Loi constitutionnelle de 1867?
b) un manquement au droit à une audience devant un tribunal équitable et indépendant et donne‑t‑il lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle contraire à l’article 7 de la Charte?
10. En ce qui concerne les Directives no 7 et l’objection ou l’absence d’objection de la part du procureur du demandeur d’asile au cours de l’audience relative à la détermination du statut de réfugié :
a) le défendeur confond‑il la doctrine de la renonciation et celle de l’omission de s’opposer devant le juge des faits comme constituant une interdiction de soulever la question dans le cadre d’un contrôle judiciaire?
b) si aucune confusion de ce genre n’existe, à quel « droit » le demandeur d’asile renonce‑t‑il prétendument à l’audience en ne formulant pas d’objection à l’application des Directives no 7?
c) pour ce qui concerne la justice fondamentale, est‑il loisible à un demandeur d’asile de « renoncer » à l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui serait conféré à un commissaire aux termes d’une directive?
[239] Les deux premières questions proposées par les demandeurs étaient deux des questions qui ont été certifiées dans la décision Thamotharem. Le défendeur convient qu’elles devraient être certifiées en l’espèce et demande également que la troisième question certifiée par le juge Blanchard dans l’arrêt Thamotharem soit de nouveau certifiée, ce que j’ai accepté de faire.
[240] Le défendeur soutient, et je suis d’accord avec lui, que les questions concernant l’indépendance des commissaires soient réécrites de la façon suivante : le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours des interrogatoires des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne‑t‑il lieu à une crainte raisonnable de partialité?
[241] Le défendeur soutient que les questions d’équité procédurale soulevées par les demandeurs peuvent être traitées en appliquant les principes de droit administratif; par conséquent, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la Charte. Bien que ce soit là la conclusion à laquelle je suis parvenu, cette question demeure une question grave de portée générale.
[242] Le défendeur prétend également que la constitutionnalité des Directives no 7 est subordonnée, à la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires. Je ne suis pas d’accord.
[243] En m’appuyant sur les questions proposées aux fins de la certification par les demandeurs et la réponse du défendeur, je certifierais les questions suivantes qui, à mon avis, respectent le critère formulé par la Cour d’appel dans Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL) :
1. Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent‑elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?
2. L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient‑elle aux principes de justice naturelle?
3. L’application des Directives no 7 constitue‑t‑elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?
4. Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie‑t‑elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?
5. Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne‑t‑il lieu à une crainte raisonnable de partialité?
6. Les Directives no 7 sont‑elles illégales parce qu’elles excèdent le pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?.
7. Quand un demandeur doit‑il soulever une objection à l’application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?
À mon avis, toutes ces questions transcendent les intérêts des parties immédiates au litige, soulèvent des questions graves de portée générale et pourraient permettre de trancher l’appel.