A‑446‑05
2006 CAF 186
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)
c.
Cleotilde dela Fuente (intimée)
Répertorié : dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Noël, Sharlow et Malone, J.C.A.—Winnipeg, 24 avril; Ottawa, 18 mai 2006.
Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Appel d’une décision de la Cour fédérale, qui a annulé une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle avait refusé à l’intimée la possibilité de parrainer son mari parce qu’elle n’avait pas révélé leur lien matrimonial lorsqu’elle a obtenu le droit d’établissement au Canada — L’interprétation des mots « à l’époque où cette demande a été faite » dans l’art. 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés a donné lieu à des avis partagés au sein de la Cour fédérale — L’interprétation proposée dans l’affaire Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), c’est‑à‑dire que la période dont il est question à l’art. 117(9)d) du Règlement débute avec la présentation de la demande de visa et se poursuit jusqu’à la date à laquelle l’intéressé obtient le statut de résident permanent au point d’entrée, devait l’emporter — Par conséquent, le mari était exclu de la catégorie du regroupement familial, en application de l’art. 117(9)d) du Règlement, en raison de la fausse déclaration que l’intimée a faite lorsqu’elle a présenté sa demande — Appel accueilli.
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs — Doctrine de l’attente légitime — Appel d’une décision de la Cour fédérale, qui a annulé une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle avait refusé à l’intimée la possibilité de parrainer son mari — La demande de parrainage a été approuvée même si l’intimée n’avait pas déclaré son mariage lorsqu’elle a obtenu le droit d’établissement au Canada — La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est entrée en vigueur avant que son mari présente sa demande de résidence permanente à l’ambassade du Canada — L’agent des visas a rejeté la demande de visa parce que le mari était exclu, en application de l’art. 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, parce qu’il était un conjoint qui n’avait pas été déclaré — La SAI a confirmé la décision de l’agent des visas — Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge de première instance a certifié la question de savoir si la doctrine de l’attente légitime peut servir à écarter l’application de l’art. 190 de la LIPR — La doctrine de l’attente légitime est un principe procédural qui ne produit pas de droits formels et ne peut pas servir à contredire l’intention clairement exprimée du législateur selon laquelle la LIPR s’applique sans condition si une demande a été présentée et qu’aucune décision n’a été prise à la date d’entrée en vigueur de la LIPR.
Interprétation des lois — L’art. 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés a été interprété de façon à contribuer au résultat souhaité, qui est de dissuader les étrangers de dissimuler leurs liens familiaux dans le dessein de faciliter leur propre admission — Le libellé des versions anglaise et française de l’art. 117(9)d) a été comparé afin d’établir le sens à donner aux mots « à l’époque où cette demande a été faite » — Les mots ont été interprétés comme étant la durée de la demande, depuis la date à laquelle elle a été amorcée jusqu’à la date à laquelle le statut de résident permanent est accordé — Cette interprétation permet d’obtenir l’effet souhaité de la LIPR, soit d’encourager le regroupement familial selon le mécanisme prévu à cette fin par la LIPR.
Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, qui a annulé une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle avait refusé à l’intimée la possibilité de parrainer son mari parce qu’elle n’avait pas révélé leur lien matrimonial lorsqu’elle a obtenu le droit d’établissement au Canada en 1992. Faisant droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée, le juge de première instance a certifié deux questions : 1) la doctrine de l’attente légitime peut‑elle servir à écarter l’application de l’article 190 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR); et 2) l’expression « à l’époque où cette demande a été faite » dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés vise‑t‑elle l’époque où la demande de résidence permanente a été faite?
L’intimée s’est vu reconnaître la qualité de résident permanent après avoir présenté une demande au titre de la catégorie du regroupement familial. Elle a obtenu son visa de résidence permanente parce qu’elle était un membre non marié de la famille de sa mère accompagnant celle‑ci. Elle a ensuite obtenu le droit d’établissement et a indiqué sur son formulaire de demande de droit d’établissement qu’elle était célibataire (non mariée) et qu’elle n’avait pas de personnes à charge même si elle s’était mariée environ deux semaines avant son admission au Canada. L’intimée a présenté une demande de parrainage de son mari en janvier 2002 et bien qu’on ait constaté qu’elle avait fait une fausse déclaration en ne déclarant pas son mariage quand elle a été interrogée sur sa demande de droit d’établissement, sa demande de parrainage a été approuvée. La LIPR est entrée en vigueur avant que le mari de l’intimée présente une demande de visa de résidence permanente à l’ambassade du Canada à Manille. L’agent des visas à Manille a rejeté la demande de visa du mari de l’intimée en disant qu’il était exclu, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, parce qu’il était un conjoint qui n’avait pas été déclaré lorsque l’intimée a été admise au Canada. L’intimée a interjeté appel de cette décision auprès de la SAI, qui a confirmé la décision de l’agent des visas. L’intimée a alors déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision.
Le juge de première instance a estimé que même si l’article 190 de la LIPR s’appliquait, puisque le mari de l’intimée avait présenté sa demande un mois après l’entrée en vigueur de la LIPR, lui et son épouse pouvaient légitimement espérer que la demande serait traitée d’après l’ancienne Loi sur l’immigration. Appliquant la doctrine de l’attente légitime, le juge de première instance a estimé que l’article 190 n’était pas applicable parce que les autorités de l’immigration n’avaient pas averti l’intimée que son mari pouvait, à l’entrée en vigueur de la LIPR, relever d’une catégorie exclue. Subsidiairement, il a estimé que les mots « à l’époque où cette demande a été faite », dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement, s’entendaient de la date à laquelle l’intimée avait déposé sa demande de visa ou, tout au plus, de la date à laquelle elle avait obtenu son visa. Selon son raisonnement, puisque l’intimée n’était pas encore mariée à cette date, son fiancé n’était pas un membre de la famille et l’alinéa 117(9)d) n’était pas applicable.
Jugement : l’appel est accueilli.
La Cour a répondu par la négative à la première question certifiée, soit la question de savoir si la doctrine de l’attente légitime pouvait servir à écarter l’application de l’article 190 de la LIPR. L’article 190 de la LIPR est clair et sans équivoque. Il dispose que la LIPR s’applique sans condition si une demande a été présentée et qu’aucune décision n’a été prise au 28 juin 2002. La doctrine de l’attente légitime est un principe procédural qui a pour source la common law et, partant, ne produit pas de droits formels et ne peut pas servir à contredire l’intention clairement exprimée du législateur. D’ailleurs, les indications données à l’intimée étaient exactes sur le plan factuel. L’argument de l’intimée selon lequel les fonctionnaires avaient l’obligation formelle de l’avertir, elle ainsi que son mari, que la nouvelle loi risquait d’influer sur le statut de son mari n’avait aucun fondement en droit.
Le point soulevé par la seconde question a donné lieu à des avis partagés au sein de la Cour fédérale. Dans l’affaire Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la juge a considéré que les mots « à l’époque où cette demande a été faite », dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement, s’entendaient de la période qui débute avec la présentation de la demande de visa et qui se poursuit jusqu’à ce que l’étranger obtienne au point d’entrée le droit d’entrer au Canada en tant que résident permanent. Sinon un étranger pourrait contourner l’alinéa 117(9)d) en présentant tout simplement le formulaire de demande avant de se marier. Le juge de première instance n’a pas tenu compte de cette préoccupation en disant qu’une personne pouvait être renvoyée en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration pour fausses déclarations et que la LIPR interdit de territoire pour fausses déclarations la personne qui a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent ou qui a été parrainée par un répondant dont il a été statué qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations.
L’appelant a invoqué un nouvel argument selon lequel la procédure d’obtention du statut de résident permanent fait en réalité intervenir deux demandes séparées et distinctes, à savoir la demande de visa qui est déposée au bureau des visas, puis la demande de résidence permanente, qui est présentée au point d’entrée le jour où l’étranger cherche à entrer au Canada. Cette position ne s’appuie pas sur la législation ni sur les formulaires et publications imprimés sous l’autorité de l’appelant. Bien que l’argument repose sur l’alinéa 28b) du Règlement, qui prévoit que celui qui cherche à entrer au Canada est réputé avoir présenté une demande selon la LIPR, cet alinéa a été promulgué « [p]our l’application du paragraphe 15(1) de la [LIPR] ». Il permet l’accomplissement, lorsqu’une personne cherche à entrer au Canada, des contrôles afférents à une demande présentée en vertu de la LIPR et il ne s’applique à aucune autre fin.
Il fallait trancher le point soulevé en répondant à deux questions, c’est‑à‑dire : de quelle demande s’agit‑il dans l’alinéa 117(9)d) et que faut‑il entendre par « l’époque où cette demande a été faite »? Pour l’alinéa 117(9)d), « cette demande » est la « demande » par laquelle « le répondant est devenu résident permanent ». Cette description de la demande n’apparaît que dans l’alinéa 117(9)d), et la Loi n’en donne pas de définition. Toutefois, l’expression « résident permanent » est définie au paragraphe 2(1) comme une personne qui a ce statut, qui est acquis si l’agent d’immigration constate au point d’entrée que l’étranger a demandé ce statut, qu’il détient un visa, qu’il est venu au Canada pour s’y établir en permanence et qu’il n’est pas interdit de territoire. Selon la procédure énoncée dans le Guide d’immigration et les formulaires, la demande de résidence permanente débute par le dépôt du formulaire officiel au bureau des visas désigné, et le processus se termine au point d’entrée, lorsque l’étranger est autorisé à entrer au Canada en tant que résident permanent.
Pour ce qui est du sens attribué à l’expression « à l’époque où cette demande a été faite », il appert de la lecture des libellés anglais et français de l’alinéa 117(9)d) et de l’application de la règle de la signification commune que cette expression doit s’entendre de la période que dure la demande. Cette interprétation donne effet au sens grammatical des mots dans les deux textes et contribue au résultat souhaité, qui est de dissuader les étrangers de dissimuler leurs liens familiaux dans le dessein de faciliter leur propre admission. Cette interprétation s’accorde également avec l’objectif du regroupement familial en vertu de la LIPR. Voir dans les mots « à l’époque où cette demande a été faite » la durée de la demande permet à l’étranger de définir sa cellule familiale et de modifier au besoin cette définition jusqu’au moment où il cherche à entrer au Canada, ce qui alors facilite l’admission des membres de la famille dont l’existence a été révélée et qui pourraient dans l’avenir chercher à venir au Canada. Cette interprétation ne rend pas superflu l’article 51 du Règlement, qui impose à cette fin aux candidats l’obligation de révéler tout changement de leur situation matrimoniale survenu entre la date à laquelle le visa est obtenu et la date à laquelle le candidat cherche à entrer au Canada. Par conséquent, la réponse à la seconde question était la suivante : l’expression « à l’époque où cette demande a été faite », dans l’alinéa 117(9)d), s’entend de la durée de la demande, depuis la date à laquelle elle a été amorcée par le dépôt du formulaire officiel jusqu’à la date à laquelle l’intéressé obtient le statut de résident permanent au point d’entrée. Le mari de l’intimée étant donc exclu de la catégorie du regroupement familial en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement parce que l’intimée n’a pas révélé sa situation matrimoniale à ce moment‑là.
lois et règlements cités
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2.
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 2(1) « résident permanent », 3(1)d), 15(1), 18(1), 20(1)a), 21(1), 190.
Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, art. 28, 51, 117(3)e), (4)a) (mod. par DORS/2004‑167, art. 41), b), (9)c)(i), d).
jurisprudence citée
décision appliquée :
Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 510.
décisions examinées :
Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] D.S.A.I. no 1267 (QL); Akhter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 481; Tauseef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1209; Abdo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 533.
décisions citées :
Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (C.A.); Benjelloun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 844; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. De Guzman, 2005 CF 1255; Tallon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1039; Beauvais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1408; Andrea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] D.S.A.I. no 14 (QL).
doctrine citée
Citoyenneté et Immigration Canada. Guide de l’immigration : Traitement des demandes à l’étranger (OP). Chapitre OP 1 : Procédures et chapitre OP 2 : Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial. Ottawa : CIC.
Dictionnaire Quillet de la langue française. Paris : Grolier, 1990, « moment ».
Harrap’s New Shorter French and English Dictionary. London : Harrap, 1978, « époque ».
Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1996, « époque ».
Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, 3rd ed. Oxford : Clarendon Press, 1988, « time ».
Sullivan, Ruth. Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed. Toronto : Butterworths, 2002.
APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2005 CF 992), qui a annulé une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle avait refusé à l’intimée la possibilité de parrainer son mari parce qu’elle n’avait pas révélé leur lien matrimonial lorsqu’elle a d’abord obtenu le droit d’établissement au Canada. Appel accueilli.
ont comparu :
Rick Garvin pour l’appelant.
David Matas pour l’intimée.
avocats inscrits au dossier :
Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.
David Matas, Winnipeg, pour l’intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]Le juge Noël, J.C.A. : Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration fait appel d’une décision du juge Harrington, de la Cour fédérale (le juge de première instance), qui a annulé une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) [[2004] D.S.A.I. no 1267 (QL)], laquelle avait refusé à l’intimée la possibilité de parrainer son mari, parce qu’elle n’avait pas révélé leur lien matrimonial lorsqu’elle avait obtenu le droit d’établissement au Canada en 1992. (Référence de la décision visée par l’appel : 2005 CF 992.)
[2]Faisant droit à la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée, le juge de première instance a certifié les deux questions suivantes :
[traduction]
a) La doctrine de l’attente légitime peut‑elle servir à écarter l’application de l’article 190 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27?
b) L’expression « à l’époque où cette demande a été faite » dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, vise‑t‑elle l’époque où la demande de résidence permanente a été faite?
Les faits
[3]L’intimée et sa mère avaient demandé en 1992 un visa de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. Un visa fut délivré à l’intimée le 26 août 1992, qui était valide jusqu’au 18 décembre 1992. L’intimée avait obtenu le visa parce qu’elle était un membre non marié de la famille de sa mère accompagnant celle‑ci.
[4]L’intimée est arrivée au Canada le 23 octobre 1992, elle a présenté une demande de droit d’établissement à son arrivée et, à la suite d’un contrôle, elle a obtenu le droit d’établissement et le statut de résidente permanente. Elle avait indiqué sur son formulaire de demande de droit d’établissement qu’elle était célibataire (non mariée) et qu’elle n’avait pas de personnes à charge. L’intimée vit au Canada depuis 1992 et elle demeure une résidente permanente.
[5]L’intimée s’était fiancée en octobre 1986. Elle ne s’est mariée que le 12 octobre 1992, environ deux semaines avant son admission au Canada.
[6]L’intimée et son mari ont un enfant, né au Canada en septembre 1994. L’intimée a présenté une demande de parrainage de son mari le 27 janvier 2002, demande qui fut reçue par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) le 30 janvier 2002.
[7]Après qu’il fut relevé que l’intimée n’avait pas déclaré son mariage quand elle avait été interrogée sur sa demande de droit d’établissement, elle fut convoquée à un entretien de parrainage, qui a eu lieu le 9 avril 2002. Après avoir consulté d’autres agents, l’agent examinateur lui dit qu’elle serait autorisée à parrainer son mari malgré la fausse déclaration qu’elle avait faite dans sa demande de droit d’établissement.
[8]L’intimée a plus tard reçu une lettre, datée du 17 avril 2002, qui confirmait que sa demande de parrainage était approuvée. La lettre précisait que ses proches avaient deux ans pour demander le droit d’établissement selon les termes de son parrainage, à défaut de quoi son parrainage expirerait. Entre autres renseignements, la lettre lui faisait savoir qu’il lui incomberait de distribuer les demandes de résidence permanente à ses proches.
[9]Le 28 juin 2002, la [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27] (la LIPR), entrait en vigueur, ainsi que son règlement d’application, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). À l’époque pertinente pour le présent appel, l’alinéa 117(9)d) du Règlement prévoyait ce qui suit :
117. [. . .]
(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :
[…]
d) dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, n’a pas fait l’objet d’un contrôle et était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier ou était un ex‑époux ou ancien conjoint de fait du répondant.
[10]Le mari de l’intimée a présenté une demande de visa de résident permanent le 23 juillet 2002, demande qui fut reçue par l’ambassade du Canada à Manille le 24 juillet 2002.
[11]Après examen du dossier du mari, l’agent des visas est arrivé à la conclusion qu’il était exclu, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, parce qu’il était un conjoint qui n’avait pas été déclaré à l’époque de l’admission de l’intimée au Canada. Une lettre de refus en date du 29 janvier 2003 fut envoyée au mari. Une lettre fut envoyée à l’intimée le même jour, qui l’informait que la demande de visa de son mari avait été refusée.
[12]L’intimée a fait appel à la SAI, qui a confirmé la décision de l’agent des visas, estimant que l’alinéa 117(9)d) était applicable et que le mari de l’intimée ne pouvait pas être admis dans la catégorie du regroupement familial. L’intimée a alors déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.
Dispositions légales et réglementaires applicables
[13]Outre l’alinéa 117(9)d) du Règlement, que j’ai déjà cité, il faut aussi considérer les articles 28 et 51 du Règlement :
28. Pour l’application du paragraphe 15(1) de la Loi, la demande est faite au titre de la Loi lorsque la personne, selon le cas :
a) présente la demande par écrit;
b) cherche à entrer au Canada;
c) cherche à transiter par le Canada aux termes de l’article 35;
d) demande l’asile.
[. . .]
51. L’étranger titulaire d’un visa de résident permanent qui, à un point d’entrée, cherche à devenir permanent doit :
a) le cas échéant, faire part à l’agent de ce qui suit :
(i) il est devenu un époux ou conjoint de fait ou il a cessé d’être un époux, un conjoint de fait ou un partenaire conjugal après la délivrance du visa,
(ii) tout fait important influant sur la délivrance du visa qui a changé depuis la délivrance ou n’a pas été révélé au moment de celle‑ci;
[14]Les dispositions suivantes de la LIPR intéressent elles aussi l’issue du présent appel :
2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
[. . .]
« résident permanent » Personne qui a le statut de résident permanent et n’a pas perdu ce statut au titre de l’article 46.
[. . .]
3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :
[. . .]
d) de veiller à la réunification des familles au Canada
[. . .]
15. (1) L’agent peut procéder à un contrôle dans le cadre de toute demande qui lui est faite au titre de la présente loi.
[. . .]
18. (1) Quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se soumettre au contrôle visant à déterminer s’il a le droit d’y entrer ou s’il est autorisé, ou peut l’être, à y entrer et à y séjourner.
[. . .]
20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :
a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;
[. . .]
21. (1) Devient résident permanent l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)a) et au paragraphe 20(2) et n’est pas interdit de territoire.
[. . .]
190. La présente loi s’applique, dès l’entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu’aux autres questions soulevées, dans le cadre de l’ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n’a été prise.
La décision contestée
[15]Le juge de première instance a fait droit à la demande de contrôle judiciaire et a certifié les deux questions reproduites au paragraphe 2 des présents motifs.
[16]S’agissant de la première question, le juge de première instance a estimé que, même si l’article 190 de la LIPR s’appliquait à l’affaire dont il était saisi, puisque le mari de l’intimée avait présenté sa demande un mois après l’entrée en vigueur de la LIPR, lui et son épouse pouvaient légitimement espérer que la demande serait traitée d’après l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2.
[17]Appliquant la doctrine de l’attente légitime, le juge de première instance a estimé que l’article 190 n’était pas applicable parce que les autorités de l’immigration n’avaient pas averti l’intimée que son mari pouvait, à l’entrée en vigueur de la LIPR, relever d’une catégorie exclue. Cette mise en garde eût‑elle été faite, l’intimée aurait fait « l’impossible » pour que la demande soit traitée au cours de la période de deux mois et demi qui leur était ouverte (motifs, paragraphe 18).
[18]Subsidiairement, le juge de première instance a estimé que les mots « à l’époque où cette demande a été faite », dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement, s’entendaient de la date à laquelle l’intimée avait déposé sa demande de visa ou, tout au plus, de la date à laquelle elle avait obtenu son visa. Puisque, à cette date, elle n’était pas encore mariée, son futur mari n’était pas un membre de la famille, et l’alinéa 117(9)d) n’était pas applicable. Selon le juge de première instance, c’était là la seule conclusion possible si l’on voulait donner effet au sens ordinaire des mots (motifs, paragraphes 24, 25 et 30).
Analyse et décision
La première question
[19]On peut décider d’entrée de jeu le point soulevé par la première question. L’article 190 de la LIPR est clair et sans équivoque. Il dispose que, si une demande a été présentée et qu’aucune décision n’a été prise au 28 juin 2002, alors la LIPR s’applique sans condition. La doctrine de l’attente légitime est un principe procédural qui a pour source la common law. Il ne produit donc pas de droits formels et ne peut pas servir à contredire l’intention clairement exprimée du législateur (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Lidder, [1992] 2 C.F. 621 (C.A.), aux pages 624, 625 et 632).
[20]D’ailleurs, les indications données à l’intimée étaient exactes sur le plan factuel. L’argument qu’elle avance est que les fonctionnaires avaient l’obligation formelle de l’avertir, elle ainsi que son mari, que la nouvelle loi risquait d’influer sur le statut de son mari. L’imposition d’une telle obligation n’a aucun fondement en droit.
[21]Je répondrais donc par la négative à la première question certifiée.
La seconde question
[22]La seconde question requiert quelques développements. Le point soulevé a donné lieu à des avis partagés au sein de la Cour fédérale. En concluant comme il l’a fait, le juge de première instance se dispensait de suivre la décision rendue par la juge Layden‑Stevenson dans l’affaire Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 510 (Dave), où elle avait considéré que « l’époque où cette demande a été faite », dans l’alinéa 117(9)d), s’entend de la période qui débute avec la présentation de la demande de visa et qui se poursuit jusqu’à ce que l’étranger obtienne au point d’entrée le droit d’entrer au Canada en tant que résident permanent. L’essentiel de son raisonnement est aux paragraphes 12 et 13 de ses motifs :
Pour ce qui est de l’interprétation que M. Dave propose de la phrase « à l’époque où cette demande a été faite », il ne prétend pas que les mots « la demande » fassent référence à autre chose que la demande de résidence permanente. Il ne conteste pas non plus qu’un visa, en soi, ne confère pas un droit d’entrée : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. De Decaro, [1993] 2 C.F. 408 (C.A.), le juge Marceau; McLeod c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 257 (C.A.); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 216 F.T.R. 223 (1re inst.). Bien que cette jurisprudence porte sur les dispositions de l’ancienne loi et que le terme « établissement » ne figure plus dans la LIPR, l’analyse qu’on y retrouve demeure pertinente. On ne devient un résident permanent qu’après « s’être établi » dans le pays. Par conséquent, le processus de la demande n’est pas achevé du simple fait qu’une demande de visa est traitée ou qu’un visa est accordé. L’expression « à l’époque où cette demande a été faite » comprend la période qui va de la présentation de la demande jusqu’à l’octroi de la résidence permanente. S’il en était autrement, tout demandeur pourrait contourner les dispositions législatives en remplissant et en présentant simplement sa demande avant de se marier.
En bref, le processus de demande de résidence permanente englobe non seulement la demande de visa, mais également la demande d’autorisation de séjour au point d’entrée. Par conséquent, l’argument selon lequel la phrase « à l’époque où cette demande a été faite » comprend seulement le moment précis où cette demande a été remplie et soumise doit être rejeté.
[23]La décision Dave a été suivie par le juge Pinard dans l’affaire Benjelloun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 844, et l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. De Guzman, 2005 CF 1255, et par le juge Gibson dans l’affaire Tallon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1039. Plus récemment, le juge Shore est arrivé à la même conclusion dans la décision Akhter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 481, où il soulignait que le fait de limiter « l’époque où cette demande a été faite » à la date du dépôt de la demande priverait l’alinéa 117(9)d) de tout effet concret ou pratique (décision Akhter, au paragraphe 36).
[24]En l’espèce, le juge de première instance a mis en doute l’affirmation selon laquelle un étranger pourrait contourner l’alinéa 117(9)d) en présentant tout simplement le formulaire de demande avant de se marier. Il écrit ce qui suit, au paragraphe 30 de ses motifs :
Je ne suis pas d’accord pour dire que, si on donne leur sens courant aux mots « époque de la demande », tout demandeur pourrait contourner le Règlement en se mariant après avoir soumis sa demande. La réponse réside dans la fiche d’établissement. Mme dela Fuente aurait pu être renvoyée du Canada en vertu de l’ancienne Loi pour fausses déclarations. Dans le même ordre d’idées, l’article 40 de la LIPR interdit de territoire pour fausses déclarations le résident permanent ou l’étranger qui a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent ou qui a été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il était interdit de territoire pour fausses déclarations. Le « préjudice » aurait pu être évité en ne pardonnant pas à Mme dela Fuente. Elle aurait pu être renvoyée, tout comme son mari en tant que personne parrainée par une répondante dont il a été statué qu’elle était interdite de territoire.
[25]Dans la décision Tauseef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1209, le juge Phelan (dont le raisonnement fut suivi par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Beauvais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1408) a fait siennes les vues exprimées par le juge de première instance dans la présente affaire, en y ajoutant ses propres observations. Il a écrit, au paragraphe 20 : « La disposition en cause se trouve dans la partie du Règlement conçue pour réglementer et donc promouvoir l’objectif de réunification des familles [selon l’alinéa 3(1)d) de la LIPR] ». Pour le juge Phelan, limiter l’expression à la date du dépôt de la demande s’accorde davantage avec cet objectif.
[26]Le juge Phelan ajoutait que, selon l’article 51 du Règlement, l’étranger est en permanence tenu, jusqu’à son arrivée, de signaler tout changement survenu dans sa situation matrimoniale. Interpréter « l’époque où cette demande a été faite » comme le propose la décision Dave rendrait cette disposition superflue (décision Tauseef, paragraphe 26).
[27]Dans une décision rendue peu après l’instruction du présent appel (Abdo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 533), le juge Phelan s’est de nouveau fondé sur ce raisonnement et a certifié essentiellement la même question que celle qui a été certifiée ici, si ce n’est qu’il y est question de l’époque où la demande a été « présentée » plutôt que de l’époque où elle a été « faite ».
L’approche nouvelle
[28]Pour compliquer les choses, le ministre ne se fonde plus sur la décision Dave, ni sur aucune des positions adoptées à ce jour par la Cour fédérale. Pour la première fois, il affirme dans cet appel que la procédure d’obtention du statut de résident permanent fait en réalité intervenir deux demandes séparées et distinctes, à savoir la demande de visa qui est déposée au bureau des visas, puis la demande de résidence permanente, qui est présentée au point d’entrée le jour où l’étranger cherche à entrer au Canada. À l’appui de cet argument, le ministre invoque la décision rendue par la SAI de la CISR dans l’affaire Andrea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] D.S.A.I. no 14 (QL), aux paragraphes 12 à 14.
[29]Malheureusement, cette position inédite préconisée par le ministre ne s’appuie pas sur la législation. L’argument repose essentiellement sur l’alinéa 28b) du Règlement, qui prévoit que celui qui cherche à entrer au Canada est réputé avoir présenté une demande selon la LIPR. On affirme donc que celui qui cherche à entrer au Canada présente à ce moment‑là une demande de résidence permanente. Puisque l’intimée n’a pas révélé qu’elle était mariée quand elle est entrée au Canada, l’alinéa 117(9)d) a pour effet d’exclure son mari de la catégorie du regroupement familial.
[30]Toutefois, l’alinéa 28b) a été promulgué « [p]our l’application du paragraphe 15(1) de la [LIPR] ». Il prévoit l’accomplissement, lorsqu’une personne cherche à entrer au Canada, des contrôles afférents à une demande présentée en vertu de la LIPR. Il ne s’applique à aucune autre fin. D’ailleurs, même si l’article 28 était une disposition d’application générale, son alinéa b) parle d’une demande d’admission au Canada. On n’a pas montré comment cette demande se transforme en une demande de résidence permanente.
[31]La position nouvelle défendue par le ministre va aussi à rebours de sa propre interprétation de la législation si l’on considère les formulaires et publications imprimés sous son autorité. Par exemple, le formulaire officiel de demande du statut de résident permanent (Formulaire IMM 0008) est intitulé « Demande de résidence permanente au Canada » et le Guide de l’Immigration : Traitement des demandes à l’étranger (OP) (Chapitre OP 1 : Procédures et chapitre OP 2 : Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial), publiés par le ministre, précisent clairement qu’une telle demande est déposée au bureau des visas désigné (Chapitre OP 1, sections 5.16, 7.5, 8, et appendices B, C, D, E du chapitre OP 1; chapitre OP 2, sections 5.5, 9, 10 et 10.5). Nulle part on ne donne à penser qu’une demande de résidence permanente débute autrement que par le dépôt du formulaire autorisé au bureau des visas désigné.
[32]La position nouvelle permettrait de résoudre rapidement et facilement, selon l’optique du ministre, le problème qui se pose, mais elle va à rebours de sa propre interprétation de la législation, et l’idée selon laquelle une demande de résidence permanente prend naissance au point d’entrée ne repose sur aucune base légale.
L’approche proposée
[33]À mon humble avis, il faut décider le point soulevé en répondant aux deux questions cernées par la Cour fédérale dans les décisions rendues à ce jour, c’est‑à‑dire : de quelle demande s’agit‑il dans l’alinéa 117(9)d)? Que faut‑il entendre par « l’époque où cette demande a été faite »?
[34]Pour l’alinéa 117(9)d), « cette demande » est la « demande » par laquelle « le répondant est devenu résident permanent ». Cette description de la demande n’apparaît que dans l’alinéa 117(9)d), et la Loi n’en donne pas de définition. Toutefois, l’expression « résident permanent » est définie au paragraphe 2(1) de la LIPR comme une personne qui a ce statut, et la LIPR dispose que l’étranger devient résident permanent si l’agent d’immigration constate au point d’entrée qu’il a demandé ce statut (paragraphe 21(1)), qu’il détient un visa et qu’il est venu au Canada pour s’y établir en permanence (et qu’il n’est pas interdit de territoire) (alinéa 20(1)a)).
[35]Les démarches effectives que suppose ce processus, pour autant qu’on puisse les déceler à la lecture du formulaire officiel que j’ai évoqué, et à la lecture du Guide de l’immigration : Traitement des demandes à l’étranger (OP), semblent confirmer ce régime. Si l’on suit la procédure que je viens de décrire brièvement, le processus débute par le dépôt, au bureau des visas désigné, d’un formulaire de « Demande de résidence permanente au Canada », qui est rempli en vue de l’obtention d’un visa permettant à son titulaire, membre de la catégorie précisée, de se rendre au Canada. Une fois le visa délivré, l’étranger est invité à se présenter à un point d’entrée, muni de son visa, et à convaincre l’agent d’immigration qu’il est venu au Canada pour s’y établir en permanence. Si l’agent est ainsi convaincu, l’étranger obtient le droit d’entrer au Canada pour s’y établir en permanence. Voilà comment est acquis le statut de résident permanent.
[36]Ainsi, « cette demande », la demande de résidence permanente, débute donc par le dépôt du formulaire officiel, et le processus se termine au point d’entrée, lorsque l’étranger est autorisé à entrer au Canada en tant que résident permanent.
[37]Le différend dont la Cour est saisie ne concerne pas le sens des mots « cette demande ». L’intimée n’en disconvient pas, au paragraphe 67 de son exposé des faits et du droit. Toutes les décisions rendues à ce jour par la Cour fédérale l’ont d’ailleurs été sur le fondement selon lequel les mots « cette demande » dans l’expression « l’époque où cette demande a été faite » s’entend de la demande de résidence permanente, qui débute par le dépôt du formulaire autorisé auprès du bureau des visas désigné.
[38]Le point qu’il faut éclaircir, c’est le sens du mot « époque » employé dans l’expression « à l’époque où cette demande a été faite ». S’agit‑il de l’époque où la demande est déposée au bureau des visas comme l’a dit le juge de première instance, ou s’agit‑il de l’époque qui va du dépôt de la demande jusqu’au jour où l’étranger devient résident permanent, selon la décision Dave?
[39]Reconnaissant que l’expression peut légitime-ment être interprétée des deux manières, je suis arrivé à la conclusion que l’interprétation proposée dans la décision Dave doit l’emporter, pour les raisons suivantes.
[40]Ainsi que le faisait observer la juge Layden‑Stevenson dans la décision Dave, et comme le montre la présente affaire, limiter la portée de la disposition à l’époque où le répondant dépose la demande au bureau des visas reviendrait à permettre aux étrangers de contourner tout simplement l’alinéa 117(9)d) en modifiant leur situation matrimoniale après avoir demandé un visa de résident permanent.
[41]Laissant de côté cet aspect, le juge de première instance a dit que l’intimée pouvait néanmoins être renvoyée pour avoir fait une fausse déclaration sur son statut au point d’entrée (voir le paragraphe 24 ci‑dessus). Cela ne fait aucun doute. Toutefois, la LIPR envisage des sanctions qui sont moins rigoureuses que le renvoi et sans doute plus adéquates. Étant donné que l’intimée vit au Canada depuis environ 15 ans et qu’elle a un enfant né au Canada, son renvoi pourrait en effet ne pas s’accorder avec les objectifs de la LIPR. Il serait sans doute plus raisonnable de lui interdire de parrainer un proche dont elle a négligé de révéler l’existence au point d’entrée.
[42]À mon avis, l’alinéa 117(9)d) devrait être interprété d’une manière propre à lui donner l’effet recherché, à supposer naturellement que les mots employés autorisent raisonnablement ce résultat. Il est utile ici de lire ensemble le texte français et le texte anglais de l’alinéa 117(9)d).
[43]L’expression anglaise « at the time of that application » est rendue en français par « à l’époque où cette demande a été faite ». Le mot « époque » donne une idée élastique du temps, mesuré par référence au fait auquel il se rapporte (« 1. Point fixe et déterminé dans le temps, événement qui sert de point de départ à une chronologie particulière. → → ère (1o) » (Le Nouveau Petit Robert, 1996)). Le sens premier du mot « époque », en anglais, est : « 1. Epoch, era, age » (Harrap’s New Shorter French and English Dictionary, 1978).
[44]Les mots « at the time of » sont employés plus d’une fois dans la version anglaise de l’article 117 du Règlement. Par exemple, dans l’alinéa 117(3)e), on trouve les mots « at the time the adoption took place »; dans les alinéas 117(4)a) [mod. par DORS/2004-167, art. 41] et b), on trouve les mots « at the time of the adoption »; au sous‑alinéa 117(9)c)(i), on trouve les mots « at the time of their marriage ». Dans ces trois cas, le texte français correspondant emploie l’expression « au moment », plutôt que l’expression « à l’époque », pour circonscrire le sens (plus exactement, « l’adoption était, au moment où elle a été faite », dans l’alinéa 117(4)a); « au moment de l’adoption », dans l’alinéa 117(3)e); « au moment de leur mariage », dans le sous‑alinéa 117(9)c)(i)).
[45]Dans la version française, les mots « à l’époque où cette demande a été faite » donnent du temps une idée élargie apte à embrasser la durée de la demande, tandis que les mots « au moment de l’adoption » ou « de leur mariage » s’entendent du moment où le fait s’est produit plutôt que de sa durée (« Moment. Petite partie du temps, temps fort court; instant » Dictionnaire Quillet de la langue française, 1990). Le fait que les deux expressions apparaissent dans la même disposition et soient employées pour divers faits donne à penser qu’elles sont employées en opposition l’une par rapport à l’autre.
[46]Le mot « time », en anglais, peut avoir ces deux significations. Il peut signifier [traduction] « I. Une période de temps. 1. Un intervalle de temps, par exemple l’intervalle entre deux faits successifs, ou la période au cours de laquelle une action, une condition ou un état se poursuit; 2. [. . .] Une période particulière indiquée ou caractérisée de quelque façon (vieil anglais). 3. Une période de l’existence ou de l’histoire du monde; un âge, une ère ». Il peut aussi signifier [traduction] « II. Un point donné dans le temps; une période de temps considérée indépendamment de sa durée » (Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles, 3e éd., 1988).
[47]Si l’on applique à l’interprétation de l’alinéa 117(9)d) la règle de la signification commune (voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., 2002, aux pages 80 et 81, et les précédents qui y sont mentionnés), alors les mots « à l’époque où cette demande a été faite » doivent s’entendre de la période que dure la demande, c’est‑à‑dire « la période au cours de laquelle une action, une condition ou un état se poursuit ». Cette interprétation donne effet au sens grammatical des mots dans les deux textes et contribue au résultat souhaité, qui est de dissuader les étrangers de dissimuler leurs liens familiaux dans le dessein de faciliter leur propre admission.
[48]Cette interprétation s’accorde également avec l’objectif du regroupement familial dont il est question dans l’alinéa 3(1)d) de la LIPR. Pour que cet objectif soit atteint, la législation requiert que les membres de la famille de l’éventuel immigrant soient identifiés afin que la cellule familiale puisse être évaluée globalement, ainsi que l’admissibilité de chaque membre. Voir dans les mots « à l’époque où cette demande a été faite » la durée de la demande permet à l’étranger de définir sa cellule familiale et de modifier au besoin cette définition jusqu’au moment où il cherche à entrer au Canada, ce qui alors facilite l’admission des membres de la famille dont l’existence a été révélée et qui pourraient dans l’avenir chercher à venir au Canada. C’est ainsi que le regroupement familial est réalisé d’après la LIPR.
[49]Finalement, je ne crois pas que le fait d’interpréter ainsi l’alinéa 117(9)d) rende superflu l’article 51 du Règlement (décision Tauseef, paragraphe 26). Il est vrai que l’article 51, tout comme l’alinéa 117(9)d), vise à garantir la divulgation de l’existence de tous les membres de la cellule familiale. L’article 51 impose à cette fin aux candidats l’obligation de révéler tout changement de leur situation matrimoniale survenu entre la date à laquelle le visa est obtenu et la date à laquelle le candidat cherche à entrer au Canada. Le fait que deux dispositions visent à garantir la divulgation de l’existence de tous les membres de la famille jusqu’à la date de l’entrée au Canada montre l’importance de définir ponctuellement la cellule familiale, mais l’on ne saurait dire que l’article 51 est superflu si l’on considère les moyens différents employés par les deux dispositions pour atteindre cet objectif.
[50]À mon avis, l’interprétation des mots « à l’époque où cette demande a été faite », de la façon que la décision Dave le propose, permet d’obtenir l’effet souhaité et encourage le regroupement familial selon le mécanisme prévu à cette fin par la LIPR.
[51]Je répondrais donc ainsi à la seconde question certifiée : l’expression « à l’époque où cette demande a été faite », dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement, s’entend de la durée de la demande, depuis la date à laquelle elle a été amorcée par le dépôt du formulaire officiel jusqu’à la date à laquelle l’intéressé obtient le statut de résident permanent au point d’entrée.
[52]Puisque l’intimée était mariée à cette époque, et puisqu’elle n’a pas révélé cette union, son mari est exclu de la catégorie du regroupement familial, en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement.
[53]Pour ces motifs, je répondrais aux deux questions certifiées comme il est indiqué dans les paragraphes 21 et 51 des présents motifs et, en conséquence de ces réponses, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision du juge de première instance et, rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.
La juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.