A‑600‑05
2007 CAF 106
Ville d’Edmonton (appelante)
c.
360Networks Canada Ltd./London Connect Inc., Aliant Telecom Inc., Bell Canada, Call‑Net Enterprises Inc., Association canadienne de télévision par câble, ville de Calgary, ville d’Ottawa, ville de Toronto, ville de Vancouver, Fédération canadienne des municipalités, Futureway Communications Inc., MTS Allstream Inc. (appelée autrefois Allstream Corporation), Saskatchewan Telecommunications (SaskTel), et TELUS Communications Inc. (intimées)
Répertorié : Edmonton (Ville) c. 360Networks Canada Ltd. (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Evans et Sharlow, J.C.A.—Toronto, 13 et 14 décembre 2006; Ottawa, 13 mars 2007.
Télécommunications — Appel de la décision dans laquelle le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a déterminé la méthode de calcul des frais que MTS Allstream Inc. devait payer à l’appelante pour l’accès aux terrains servant au train léger sur rail (TLR) afin d’y installer des lignes de transmission par fibres optiques — La société remplacée par Allstream a conclu l’accord d’accessibilité municipale (AAM) et l’accord d’accès, assorti de modalités de consentement, relatif aux terrains servant au TLR (l’accord TLR) avec l’appelante — Les accords conféraient à Allstream un droit d’accès aux voies publiques et aux terrains servant au TLR afin de construire, d’entretenir et d’exploiter un réseau de télécommunications et des lignes de transmission — Lorsque les parties ont négocié le renouvellement de l’accord TLR, l’appelante a refusé d’élargir la portée de l’AAM aux terrains servant au TLR — L’accord TLR n’a jamais été renouvelé; Allstream n’a pas enlevé ses installations des terrains servant au TLR, mais elle a demandé au CRTC l’autorisation d’avoir accès aux terrains servant au TLR afin d’entretenir et d’exploiter ses lignes de transmission — 1) Le mot « construction » paraissant aux art. 42 à 44 de la Loi sur les télécommunications ne se limite pas aux activités physiques que sont l’installation ou la mise en place des lignes; il fait également référence au maintien en place de ce qui a été construit — Les art. 42 à 44 de la Loi devraient être interprétés comme étant un ensemble complet et exclusif de règles régissant l’accès des entreprises de télécommunication aux lieux publics dans le but de construire, d’entretenir et d’exploiter des lignes de transmission — 2) La conclusion du CRTC selon laquelle les terrains servant au TLR constituent un « lieu public » n’était pas déraisonnable et ne constituait pas une erreur de droit puisqu’une interprétation large des mots « autre lieu public » est conforme au libellé, au contexte et aux objets de la Loi actuelle — 3) L’appelante n’a pas réussi à établir que le CRTC a illicitement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a ordonné que les frais payables à Allstream soient basés sur les coûts causaux — Appel rejeté.
Interprétation des lois — Art. 42 à 44 de la Loi sur les télécommunications — Appel de la décision dans laquelle le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a déterminé la méthode de calcul des frais que MTS Allstream Inc. devait payer à l’appelante pour l’accès aux terrains servant au train léger sur rail afin d’y installer des lignes de transmission par fibres optiques — 1) Parce qu’il faut interpréter les lois de manière à faciliter la réalisation des objectifs législatifs, la conclusion du CRTC selon laquelle la compétence qui lui est conférée par l’art. 43(4) de la Loi s’étend aux aspects qui sont obligatoirement accessoires à la construction était totalement justifiée — 2) L’expression « lieu public » paraissant aux art. 43 et 44 de la Loi ne devrait pas être interprétée restrictivement sur le fondement de la présomption ejusdem generis de manière à faire référence uniquement aux endroits ayant les caractéristiques essentielles des voies publiques — Bien que le libellé de la Loi actuelle ait été emprunté à d’anciennes dispositions législatives, l’interprétation devrait se fonder sur le contexte contemporain.
Il s’agissait d’un appel de la décision dans laquelle le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a déterminé la méthode devant être employée pour calculer les frais que MTS Allstream Inc. (Allstream) devait payer à l’appelante pour l’accès aux terrains servant au train léger sur rail afin d’y installer des lignes de transmissions par fibres optiques. En 1997, la société remplacée par Allstream a conclu deux accords avec l’appelante. Le premier accord, soit l’accord d’accessibilité municipale (AAM), conférait à Allstream un droit d’accès aux voies publiques appartenant à l’appelante afin de construire, d’exploiter et d’entretenir un réseau de télécommunications desservant les immeubles de bureaux qui longeaient ce réseau en contrepartie de 20 $ le mètre pour l’exercice de droits de passage dans le centre‑ville et l’occupation des terrains ainsi visés. L’AAM a expiré le 29 mai 2002. Le deuxième accord, soit l’accord d’accès, assorti de modalités de consentement, relatif aux terrains servant au TLR (train léger sur rail) (l’accord TLR), conférait à Allstream un droit d’accès aux terrains servant au TLR, y compris les tunnels, les stations ainsi que les trottoirs, pour construire, entretenir et exploiter des lignes de transmission. Le tarif tenait compte à la fois des coûts causaux et d’un loyer d’occupation et était équivalent aux frais visés par le règlement de l’appelante. En 2001, l’appelante et Allstream se sont entendues sur toutes les modalités et conditions d’un nouvel AAM, sauf en ce qui concernait les terrains qui seraient visés par l’accord. L’appelante a refusé d’élargir la portée de l’AAM aux terrains servant au TLR au motif qu’il ne s’agissait pas d’une « voie publique ou [de] tout autre lieu public »; l’appelante a aussi affirmé que ces terrains ne relevaient pas de la compétence du CRTC et qu’ils n’étaient pas assujettis au principe des coûts causaux (qui limitait les frais payables aux coûts différentiels causaux ) posé dans la décision que le CRTC a rendue en 2001 à l’égard d’une autre entreprise de télécommunication. Par conséquent, Allstream n’a pas renouvelé le premier accord TLR lorsqu’il a expiré et l’appelante a étendu aux terrains servant au TLR l’application du règlement municipal imposant des frais d’occupation aux entreprises de télécommunication dont les lignes de transmission se trouvent sur les terrains municipaux et a augmenté les frais exigibles. Allstream n’a pas enlevé ses installations des terrains servant au TLR à l’expiration de l’accord et l’appelante n’a pas pris de mesures pour exiger l’exécution de cette disposition. Cependant, en juin 2003, l’appelante a intenté une action devant la cour provinciale de l’Alberta pour obtenir d’Allstream une indemnité parce que cette dernière a continué d’utiliser les terrains servant au TLR pour ses lignes de transmission. Par la suite, Allstream a présenté une demande au CRTC pour demander l’autorisation d’avoir accès aux terrains servant au TLR afin d’entretenir et d’exploiter ses lignes de transmission ainsi que pour une ordonnance assortissant l’autorisation de conditions d’accès respectant le principe des coûts causaux.
Les articles 42 à 44 de la Loi sur les télécommunications (la Loi) accordent aux entreprises de télécommunication un droit limité d’accès aux endroits publics pour construire, entretenir et exploiter leurs lignes de transmission et ils habilitent également le CRTC à donner aux entreprises de télécommunication l’autorisation de construire des lignes lorsqu’elles sont incapables d’obtenir l’agrément de l’administration municipale. Sous réserve des paragraphes 43(3) et (4), le paragraphe 43(2) autorise les entreprises de télécommunication à avoir « accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien » de leurs lignes et à « y procéder à des travaux, notamment de creusage », ainsi qu’à « y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins ». De même, dans le cas où l’administration municipale lui refuse l’agrément de construire une ligne de transmission sur une voie publique ou tout autre lieu public, l’entreprise de télécommunication peut demander au CRTC l’autorisation de le faire (paragraphe 43(4)). Il s’agissait de savoir si 1) le CRTC était légalement habilité à statuer sur la demande d’Allstream; 2) les terrains servant au TLR constituaient un « autre lieu public » aux fins de l’article 43 de la Loi; et 3) le CRTC avait commis une erreur de droit en limitant aux coûts causaux de l’appelante les frais qu’Allstream était tenue de payer pour utiliser les terrains servant au TLR.
Arrêt : l’appel doit être rejeté.
1) Les articles 42 à 44 de la Loi ne sont pas directement applicables aux faits de l’espèce. Le mot « construction » ne se limite pas aux activités physiques que sont l’installation ou la mise en place des lignes; il fait également référence au maintien en place de ce qui a été construit. Comme le droit unique de construire serait dépourvu de toute efficacité pour assurer la fourniture de services de télécommunication au public, le droit conditionnel conféré par la loi de construire des lignes de transmission comporte le droit qu’elles restent en place après leur installation. Comme le différend relatif aux conditions acceptables régissant le maintien en place des lignes d’Allstream situées sur les terrains servant au TLR peut être qualifié de différend qui concerne un aspect du droit conditionnel d’Allstream de construire une ligne de transmission, il relevait donc de la compétence conférée au CRTC par le paragraphe 43(4). Cette conclusion était totalement justifiée par la méthode contextuelle et téléologique moderne d’interprétation des lois. Lorsque cela est possible, il faut interpréter les lois de manière à faciliter la réalisation des objectifs législatifs. L’article 44 prévoit le tribunal devant lequel les administrations municipales peuvent solliciter toute une série de mesures de redressement relativement à leurs plaintes concernant la construction, l’entretien et l’exploitation de lignes de transmission par des entreprises de télécommunication et il ne devrait pas être interprété de façon à limiter son application aux différends portant sur les méthodes des entreprises de télécommunication pour la construction, l’entretien et l’exploitation de leurs lignes. Les articles 42 à 44 devraient être interprétés comme étant un ensemble complet et exclusif de règles régissant l’accès des entreprises de télécommunication aux lieux publics dans le but de construire, d’entretenir et d’exploiter des lignes de transmission.
2) L’expression « voie publique ou tout autre lieu public » n’est pas définie dans la Loi. L’expression « lieu public » ne devrait pas être interprétée restrictivement sur le fondement de la présomption ejusdem generis de manière à faire référence uniquement aux endroits ayant les caractéristiques essentielles des voies publiques. Bien qu’une grande partie du libellé des articles 43 et 44 ait été empruntée à d’anciennes dispositions législatives, l’interprétation de l’expression « autre lieu public » devrait se fonder davantage sur le contexte contemporain de la Loi actuelle plutôt que sur ses versions antérieures. La suppression du mot « place » dans la Loi actuelle, mot qui paraissait dans les versions antérieures, a pour effet d’élargir la signification de l’expression « autre lieu public ». Lorsqu’un mot ou une expression plus générale suit un mot seul, la présomption ejusdem generis d’interprétation législative n’est pas très utile et une liste comportant un seul élément n’établit pas une catégorie unique. L’un des objets de la Loi est d’encourager le développement efficace et ordonné des réseaux de télécommunications en prévoyant un cadre réglementaire réceptif à l’avancement technologique des télécommunications et à l’entrée en jeu des forces du marché et de la concurrence commerciale. Bien qu’aucune interprétation ne reflète avec exactitude le libellé des articles 42 à 44, une interprétation plus large des mots « autre lieu public » est davantage conforme au libellé, au contexte et aux objets de la Loi actuelle que les endroits « assimilables à une voie publique ». L’application, par le CRTC, de critères fondés sur de multiples facteurs pour établir quels terrains servant au TLR constituent un « lieu public » n’était pas déraisonnable et ne constituait pas une erreur de droit.
3) Le CRTC est habilité par le paragraphe 43(4) de la Loi à imposer des conditions lorsque l’administration municipale refuse l’agrément à une entreprise de télécommunication ou lui impose des conditions qui lui sont inacceptables. L’appelante n’a pas réussi à établir que le CRTC a illicitement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou n’a pas tenu compte de facteurs dont il aurait dû tenir compte lorsqu’il a ordonné que les frais payables à Allstream soient basés sur les coûts causaux. Dans sa décision, le CRTC a notamment déclaré que la proposition de l’appelante de fixer les frais d’occupation à 20 $ le mètre en se basant sur sa formule d’évaluation foncière serait inadéquate parce que les frais convenus par l’appelante en ce qui concerne les terrains ne servant pas au TLR dans le cadre de l’AAM renégocié étaient considérablement inférieurs au tarif de 20 $ le mètre qui, d’après l’appelante, était basé sur l’évaluation foncière. Par conséquent, dans ces circonstances, la décision du CRTC n’était pas déraisonnable et l’appel a été rejeté.
lois et règlements cités
Acte des chemins de fer, S.C. 1888, ch. 29, art. 90 (mod. par S.C. 1899, ch. 37, art. 1).
Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, art. 7, 42, 43 (mod. par L.C. 1999, ch. 1, art. 204(F)), 44, 46 (mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 177), 64(1).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476; Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722.
décision différenciée :
Allstream Corp. c. Bell Canada, 2005 CAF 247.
décision examinée :
Ledcor/Vancouver—Construction, exploitation et entretien des lignes de transmission à Vancouver, Décision CRTC 2001‑23, 25 janvier 2001.
décisions citées :
Fédération canadienne des municipalités c. AT&T Canada Corp., [2003] 3 C.F. 379; 2002 CAF 500; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2003] 2 R.C.S. vi; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225; Ferguson v. MacLean, [1930] R.C.S. 630; [1931] 1 D.L.R. 61.
APPEL de la décision (Décision de télécom CRTC 2005‑36, 17 juin 2005) dans laquelle le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes a déterminé la méthode de calcul des frais que MTS Allstream Inc. devait payer à l’appelante pour l’accès aux terrains servant au train léger sur rail afin d’y installer des lignes de transmissions par fibres optiques. Appel rejeté.
ont comparu :
Andrew J. Roman pour l’appelante.
Patsy J. Scheer pour l’intimée, la ville de Vancouver.
Kirsten Franz pour l’intimée, la ville de Toronto.
Michael S. Koch et Lauren Cappell pour l’intimée, MTS Allstream Inc.
Thomas G. Heintzman, c.r. pour les intimées, Bell Canada, Aliant Telecom Inc., TELUS Communica-tions Inc. et l’Association canadienne de télévision par câble.
Leslie J. F. Milton pour l’intimé, le CRTC.
Personne n’a comparu pour les intimées, 360Networks Canada Ltd./London Connect Inc., Call‑Net Enterprises Inc., la ville de Calgary, la ville d’Ottawa, la Fédération canadienne des municipalités, Futureway Communications Inc. et Saskatchewan Telecommunications (SaskTel).
avocats inscrits au dossier :
Miller Thompson LLP, Toronto, pour l’appelante.
Ville de Vancouver, Vancouver, pour l’intimée, la ville de Vancouver.
Ville de Toronto, Toronto, pour l’intimée, la ville de Toronto.
Goodmans LLP, Toronto, pour l’intimée, MTS Allstream Inc.
McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Toronto, pour les intimées, Bell Canada, Aliant Telecom Inc., TELUS Communications Inc., l’Association canadienne de la télévision par câble.
Johnston & Buchan LLP, Ottawa, pour l’intimé, le CRTC.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Evans, J.C.A. :
A. INTRODUCTION
[1]Il s’agit d’un appel interjeté par la ville d’Edmonton d’une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en date du 17 juin 2005 (Décision de télécom CRTC 2005‑36 [Demande présentée en vertu de la partie VII par Allstream Corp. en vue d’obtenir l’accès aux terrains servant au train léger sur rail (TLR) dans la ville d’Edmonton]). Dans cette décision, le CRTC a déterminé la méthode devant être employée pour calculer les frais que MTS Allstream Inc. (Allstream), une entreprise de télécommunication, doit payer à la ville d’Edmonton pour l’accès aux terrains servant au train léger sur rail (TLR) afin d’y installer des lignes de transmissions par fibres optiques. Le présent appel soulève trois questions de principe.
[2]La première question est celle de savoir si une entreprise de télécommunication a le droit de s’adresser au CRTC pour demander l’autorisation d’avoir accès à des terrains municipaux pour la construction, l’exploitation et l’entretien de ses lignes de transmission, après avoir installé ces dernières avec l’agrément de la municipalité. La ville d’Edmonton fait valoir qu’il n’y a aucune disposition dans la Loi sur les télécommuni-cations, L.C. 1993, ch. 38 (la Loi) qui confère au CRTC la compétence lui permettant de connaître d’une telle demande présentée par une entreprise de télécommuni-cation. Par contre, la Loi autorise expressément le CRTC à entendre les demandes présentées par des municipalités afin d’obtenir des mesures de redressement par suite de la conduite d’entreprises de télécommunication.
[3]La deuxième question porte sur l’interprétation de l’expression « voie publique ou tout autre lieu public » [non souligné dans l’original] à l’article 43 [mod. par L.C. 1999, ch. 31, art. 204(F)] de la Loi. Cette expression définit les terrains qui font l’objet du droit d’accès accordé aux entreprises de télécommunication pour la construction, l’entretien et l’exploitation de leurs lignes de transmission. La ville d’Edmonton fait valoir qu’en raison de la longue histoire législative de l’expression « autre lieu public » dans les textes législatifs qui ont précédé la Loi, cette expression doit être interprétée au sens strict de manière à signifier les lieux qui ont les caractéristiques essentielles d’une voie publique. Elle prétend que le CRTC a commis une erreur de droit en donnant un sens plus large à l’expression « lieu public » et en concluant que l’intérieur d’un immeuble appartenant à une municipalité et les murs des tunnels du TLR constituent des « lieux publics ».
[4]La troisième question est celle de savoir si le CRTC a abusé de son pouvoir discrétionnaire en accordant une autorisation assortie de conditions lorsqu’il s’est fondé sur la méthode établie dans la décision Ledcor/Vancouver—Construction, exploitation et entretien de lignes de transmission à Vancouver, Décision CRTC 2001-23 (Ledcor) pour imposer des frais calculés sur la base des coûts résultant de la présence des lignes d’Allstream sur les terrains de la municipalité. La ville d’Edmonton fait valoir que, en tant que propriétaire des terrains, elle a le droit de réclamer un loyer d’occupation fondé sur la juste valeur marchande.
[5]À mon avis, le CRTC n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rendant sa décision. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel de la ville d’Edmonton.
B. CONTEXTE FACTUEL
[6]En 1997, la société remplacée par Allstream (que j’appellerai également Allstream dans les présents motifs) a conclu deux accords avec la ville d’Edmonton. Le premier accord est un accord d’accessibilité municipale (AAM) conférant à Allstream un droit d’accès aux voies publiques et aux autres lieux publics appartenant à la ville d’Edmonton afin de construire, d’exploiter et d’entretenir un réseau de télécommunications desservant les immeubles de bureaux qui longent ce réseau ou qui y sont adjacents.
[7]L’AAM prévoyait qu’Allstream verserait des frais de 20 $ le mètre pour l’exercice de droits de passage dans le centre‑ville et l’occupation des terrains ainsi visés. Il s’agissait des frais que les entreprises de télécommunication devaient payer conformément au règlement municipal d’Edmonton. L’AAM a expiré le 29 mai 2002.
[8]Le deuxième accord, l’accord TLR [accord d’accès, assorti de modalités de consentement, relatif aux terrains servant au TLR], a conféré à Allstream l’accès aux terrains servant au TLR pour les mêmes fins; selon l’accord, les terrains servant au TLR comprenaient les tunnels, les stations, ainsi que les trottoirs et les escaliers attenants. Les parties ont négocié pour les terrains servant au TLR un tarif qui tenait compte à la fois des coûts causaux et d’un loyer d’occupation. Même si le règlement municipal prévoyant des frais de 20 $ le mètre ne s’appliquait pas aux terrains servant au TLR, Edmonton a considéré que les frais faisant l’objet de l’accord TLR étaient pour l’essentiel équivalents aux frais visés par le règlement.
[9]En application de l’accord TLR, Allstream a installé des lignes de transmission par fibres optiques d’une longueur approximative de 5 000 mètres dans des tuyaux métalliques fixés aux parois des tunnels, des stations et des trottoirs du TLR. Cela représentait environ 20 pour cent du réseau d’Allstream à Edmonton. L’accord prévoyait qu’Allstream devait enlever ses installations à la date d’expiration de l’accord, c’est‑à‑dire le 27 mars 2002, à moins qu’elle n’exerce son option pour le prolonger, un mécanisme de calcul des frais à payer à la ville d’Edmonton étant prévu.
[10]Du point de vue de la ville d’Edmonton, l’un des avantages de l’accord TLR était que les lignes de transmissions pouvaient être installées sur les terrains servant au TLR sans interrompre la circulation de la voie publique par des travaux de creusage. Les avantages de cet accord pour Allstream sont que l’accès aux tunnels du TLR est facile et peu onéreux et que les lignes sont protégées des intempéries, des considérations qui rendraient les terrains servant au TLR particulièrement intéressants. Cependant, il n’y a aucune preuve que l’utilisation de ces terrains était nécessaire pour qu’Allstream soit en mesure de desservir ses clients.
[11]En janvier 2001, soit un peu plus d’un an avant l’expiration de l’accord TLR, le CRTC a rendu une décision importante dans le cadre d’un litige opposant la ville de Vancouver et Ledcor, une autre entreprise de télécommunication, au sujet des conditions auxquelles l’entreprise serait autorisée à avoir accès à certaines intersections à Vancouver.
[12]Le CRTC a déterminé que les frais que Ledcor était tenue de payer devaient se limiter aux coûts différentiels causaux engagés par la ville de Vancouver et résultant de l’octroi du droit d’accès à Ledcor. Le CRTC a déclaré dans ses motifs que, même si sa décision se fondait sur les faits de l’espèce, le principe des coûts causaux guiderait les municipalités et les entreprises de télécommunication dans leurs négocia-tions des conditions auxquelles les municipalités permettraient auxdites entreprises de construire, d’entretenir et d’exploiter des lignes de transmission sur une propriété municipale. La Cour a rejeté l’appel interjeté de cette décision : Fédération canadienne des municipalités c. AT&T Canada Corp., [ 2003] 3 C.F. 379 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [2003] 2 R.C.S. vi (4 septembre 2003).
[13]En septembre 2001, la ville d’Edmonton et Allstream ont engagé des négociations concernant la prolongation des accords. Les parties se sont finalement entendues sur toutes les modalités et conditions d’un nouvel AAM respectant les principes établis par Ledcor, sauf en ce qui concerne les terrains qui seraient visés par l’accord. La ville d’Edmonton a refusé d’élargir la portée de l’AAM aux terrains servant au TLR au motif qu’il ne s’agissait pas d’une « voie publique ou [dans] tout autre lieu public »; par conséquent, les frais d’utilisation ne relevaient pas de la compétence du CRTC et n’étaient pas assujettis au principe des coûts causaux appliqué dans Ledcor.
[14]Le 18 juin 2002, plusieurs mois après l’expiration de la durée initiale de l’accord TLR, Allstream a informé la ville d’Edmonton qu’elle n’avait pas l’intention d’exercer son option de renouvellement au motif que les frais payables prévus à la clause de renouvellement contrevenaient au principe des coûts causaux établis par Ledcor. Le même jour, la ville d’Edmonton a adopté une résolution afin d’étendre aux terrains servant au TLR l’application du règlement municipal imposant des frais d’occupation aux entreprises de télécommunication dont les lignes de transmission se trouvent sur les terrains municipaux et d’augmenter les frais exigibles.
[15]En dépit de l’expiration et du non‑ renouvellement de l’accord TLR, Allstream n’a pas enlevé ses installations des terrains servant au TLR, ainsi que l’exigeait l’accord. La ville d’Edmonton n’a pas pris de mesures pour exiger l’exécution de cette disposition, en raison de l’effet perturbateur que cela pourrait avoir sur les clients commerciaux et résidentiels d’Allstream. Cette dernière a laissé ses lignes en place et a continué d’avoir accès aux terrains servant au TLR pour exploiter et entretenir ses équipements, le tout, en l’absence d’un accord, sans payer les moindres frais.
[16]Le 23 juin 2003, la ville d’Edmonton a intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta pour recouvrer le montant que, d’après ses prétentions, Allstream lui devait pour avoir gardé ses installations sur les terrains servant au TLR et y avoir eu accès après l’expiration de l’accord TLR.
[17]Le 9 juillet 2003, Allstream a présenté une demande au CRTC, en vertu de la partie VII de la Loi, pour solliciter l’autorisation d’avoir accès aux terrains servant au TLR afin de construire, d’entretenir et d’exploiter des lignes de transmission, ainsi qu’une ordonnance assortissant l’autorisation de conditions d’accès respectant le principe des coûts causaux établis par Ledcor.
C. DÉCISION DU CRTC
[18]Après avoir examiné en détail les observations écrites des diverses parties, le CRTC a dit que la demande d’Allstream soulevait une question d’accès de longue durée aux terrains servant au TLR. Son analyse des arguments des parties est la suivante.
[19]En premier lieu, la ville d’Edmonton a fait valoir que les articles 42 à 44 de la Loi habilitent le CRTC à entendre uniquement les demandes d’entreprises de télécommunication qui veulent construire des lignes de transmission sur des terrains municipaux. Comme Allstream avait déjà construit des lignes en application de l’accord TLR, le CRTC n’avait pas compétence sur la demande d’Allstream afin de trancher le différend relatif aux frais exigibles pour le droit de conserver ses lignes en place et pour y accéder dans le but de les entretenir et de les exploiter. La ville d’Edmonton n’avait pas menacé d’enlever les lignes de transmission se trouvant sur les terrains servant au TLR.
[20]Le CRTC a rejeté cet argument au motif qu’une interprétation aussi étroite de cette disposition pourrait entraîner des « résultats absurdes » : au paragraphe 62. En effet, cela empêcherait le CRTC de connaître d’une demande présentée par une entreprise de télécommunication dans le cas où la municipalité n’a pris aucune mesure pour faire enlever les lignes. Par contre, s’il lui était ordonné d’enlever ses lignes, l’entreprise de télécommunication pourrait alors présenter une demande au CRTC pour solliciter l’autorisation de construire de nouveau les mêmes lignes qu’on lui a ordonné d’enlever.
[21]En deuxième lieu, la ville d’Edmonton a fait valoir que le CRTC n’avait pas compétence pour autoriser l’accès et pour imposer des conditions parce que les terrains servant au TLR ne constituaient pas « une voie publique ou tout autre lieu public » aux fins de la Loi. Le CRTC a convenu qu’étant donné que les membres du public ne peuvent pas circuler dans leurs propres véhicules dans les tunnels du TLR, ces derniers ne sont pas des « voies publiques ». Il a cependant rejeté l’argument de la ville d’Edmonton selon lequel l’expression « tout autre lieu public » doit être interprétée ejusdem generis au motif qu’une liste composée d’un élément unique, « voie publique », n’établit pas un genus et que la présence du terme « autre » indique que l’intention du législateur était que l’expression « lieu public » fasse référence à des catégories de biens‑fonds autres que des voies publiques.
[22]En l’absence d’une définition dans la Loi, le CRTC a formulé des critères permettant de déterminer si un bien‑fonds donné constituait un « lieu public » aux fins des articles 42 à 44 de la Loi : les terrains appartiennent‑ils à un organisme public et sont‑ils utilisés à des fins d’intérêt public? Dans quelle mesure sont‑ils accessibles au public? Appliquant ces critères aux faits, le CRTC a conclu que les terrains servant au TLR constituaient un « lieu public » et qu’il avait compétence pour accorder à Allstream un droit d’accès assorti de conditions.
[23]En troisième lieu, le CRTC a statué qu’il ne serait pas approprié d’imposer les frais d’occupation de 20 $ le mètre proposés par la ville d’Edmonton sur le fondement de sa formule d’évaluation foncière. Le CRTC a fait remarquer que les frais convenus par les parties dans l’AAM renégocié autorisant l’accès aux terrains municipaux autres que les terrains servant au TLR étaient conformes au principe des coûts causaux établi par Ledcor et étaient réellement inférieurs au tarif de 20 $ le mètre.
[24]Comme la ville d’Edmonton avait déjà assumé les coûts de la construction des tunnels, des stations et des trottoirs dans le cadre du projet du TLR, ces coûts n’étaient pas attribuables à la construction, à l’entretien et à l’exploitation des lignes de transmission d’Allstream sur les terrains servant au TLR. Le CRTC a ordonné aux parties de négocier une structure de frais fondée sur le principe des coûts causaux établi par Ledcor, laquelle permettrait de calculer les futurs coûts engagés par la ville d’Edmonton en raison de l’accès donné à Allstream aux terrains servant au TLR pour construire, entretenir et exploiter ses lignes de transmission.
D. CADRE LÉGISLATIF
[25]Les articles 42 à 44 de la Loi sur les télécommunications accordent aux entreprises de télécommunication un droit limité d’accès aux endroits publics pour construire, entretenir et exploiter leurs lignes de transmission. Ces dispositions habilitent également le CRTC à donner aux entreprises de télécommunication l’autorisation de construire des lignes lorsqu’elles sont incapables d’obtenir l’agrément de l’administration municipale à des conditions qu’elles estiment acceptables et à régler les plaintes déposées par les administrations municipales au sujet des entreprises de télécommunication.
[26]Le paragraphe 42(1) confère de larges pouvoirs au CRTC « [d]ans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la présente loi ». Cette disposition prévoit des pouvoirs accessoires qui sont subordonnés aux pouvoirs octroyés au CRTC par d’autres dispositions législatives, plutôt que l’attribution d’une compétence indépendante.
42. (1) Dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par la présente loi ou une loi spéciale, le Conseil peut, par ordonnance, sauf disposition contraire de toute autre loi ou loi spéciale, enjoindre ou permettre à tout intéressé ou à toute personne touchée par l’ordonnance de procéder, selon les éventuelles modalités de temps, d’indemnisation, de surveillance ou autres qu’il estime justes et indiquées dans les circonstances, à l’une des opérations suivantes : fourniture, construction, modification, mise en place, déplacement, exploitation, usage, réparation ou entretien d’installations de télécommunication, acquisition de biens ou adoption d’un système ou d’une méthode.
[27]Le paragraphe 43(2) autorise les entreprises de télécommunication à avoir « accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien » [non souligné dans l’original] de leurs lignes et à « y procéder à des travaux, notamment de creusage », ainsi qu’à « y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins ».
43. (1) [. . .]
(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4) et de l’article 44, l’entreprise canadienne et l’entreprise de distribution ont accès à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien de leurs lignes de transmission, et peuvent y procéder à des travaux, notamment de creusage, et y demeurer pour la durée nécessaire à ces fins; elles doivent cependant dans tous les cas veiller à éviter toute entrave abusive à la jouissance des lieux par le public.
[28]L’exercice des droits créés par le paragraphe 43(2) est assujetti aux dispositions des paragraphes (3) et (4). Le paragraphe 43(3) prévoit qu’aucune entreprise ne doit construire des lignes de transmission « sur une voie publique ou dans tout autre lieu public—ou au‑dessus, au‑dessous ou aux abords de ceux‑ci » sans l’agrément de l’administration municipale ou autre administration publique compétente.
43. [. . .]
(3) Il est interdit à l’entreprise canadienne et à l’entreprise de distribution de construire des lignes de transmission sur une voie publique ou dans tout autre lieu public—ou au‑dessus, au‑dessous ou aux abords de ceux‑ci—sans l’agrément de l’administration municipale ou autre administration publique compétente.
[29]Dans le cas où l’administration municipale lui refuse l’agrément ou lui impose « des conditions qui [lui] sont inacceptables », l’entreprise de télécommuni-cation peut demander au CRTC l’autorisation de « construire les lignes projetées » [non souligné dans l’original]. Le CRTC a le pouvoir illimité d’accorder cette autorisation et de l’ « assortir [. . .] des conditions qu’il juge indiquées ».
43. [. . .]
(4) Dans le cas où l’administration leur refuse l’agrément ou leur impose des conditions qui leur sont inacceptables, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution peuvent demander au Conseil l’autorisation de construire les lignes projetées; celui‑ci peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées.
[30]L’article 44 habilite le CRTC, « [s]ur demande d’une administration municipale ou autre administration publique » [non souligné dans l’original], à obliger les entreprises de télécommunication à « enfouir les lignes de transmission qu’elles ont, ou projettent d’avoir », ou à « ne leur en permettre la construction, l’exploitation ou l’entretien qu’en exécution de ses instructions ».
44. Sur demande d’une administration municipale ou autre administration publique, le Conseil peut :
a) soit obliger, aux conditions qu’il fixe, l’entreprise canadienne ou l’entreprise de distribution à enfouir les lignes de transmission qu’elles ont, ou projettent d’avoir, sur le territoire de l’administration en question ou à en modifier l’emplacement;
b) soit ne leur en permettre la construction, l’exploitation ou l’entretien qu’en exécution de ses instructions.
E. QUESTIONS EN LITIGE ET ANALYSE
Question no 1 : Le CRTC est‑il légalement habilité à statuer sur la demande d’Alls-tream?
[31]La ville d’Edmonton affirme que le différend qui l’oppose à Allstream porte sur les frais devant être payés pour que les lignes de transmission restent sur les terrains servant au TLR, ainsi que sur l’accès d’Allstream auxdits terrains pour entretenir et exploiter les lignes. L’avocat de la ville d’Edmonton a fait valoir que le CRTC a compétence pour autoriser une entreprise de télécommunication à construire des lignes sur des terrains municipaux lorsque l’administration municipale lui a refusé l’agrément et lui a imposé des conditions qui lui sont inacceptables, mais qu’il n’a pas compétence pour régler les différends qui ont pris naissance après la construction de lignes sur les terrains de la municipalité.
[32]L’avocat de la ville d’Edmonton fait valoir qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un différend concernant l’agrément de construire une ligne de transmission parce qu’Allstream a déjà construit ses lignes en vertu de l’accord TLR. Il s’agit plutôt d’un différend qui concerne les frais devant être payés pour l’utilisation des terrains servant au TLR et qui doit être résolu conformément au droit des contrats par les tribunaux de la province et non pas par le CRTC.
i) Norme de contrôle
[33]Aucune des parties n’a contesté sérieusement que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable à la décision du CRTC selon laquelle il pouvait connaître de la demande d’Allstream et donner à cette dernière l’autorisation d’utiliser les terrains servant au TLR sous réserve du paiement de frais. Je suis d’accord.
[34]La question en litige est une question d’interprétation législative. Dans Barrie Public Utilities c. Assoc. canadienne de télévision par câble, [2003] 1 R.C.S. 476, la Cour suprême a statué que l’interprétation du membre de phrase « la structure de soutien d’une ligne de transmission » de la Loi sur les télécommuni-cations ne relevait pas des connaissances spécialisées du CRTC et que cette décision pouvait faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. Se prononçant au nom de la majorité des juges, le juge Gonthier a choisi la norme de la décision correcte parce que la question en litige en était une d’interprétation législative, « une question purement de droit » (au paragraphe 16), laquelle est « une question d’une importance générale pour les secteurs de l’électricité et des télécommunications » (au paragraphe 18) et qui ne fait pas appel [au paragraphe 16]:
[. . .] à l’expertise particulière du CRTC en matière de réglementation et de supervision de la radiodiffusion et des télécommunications au Canada. Il ne s’agit pas d’une question de politique de télécommunication ou d’une question qui exige la compréhension de termes techniques.
[35]Ce raisonnement est également applicable à l’interprétation de la Loi afin de déterminer si le CRTC était légalement habilité à statuer sur la demande d’Allstream. S’il est vrai, comme les parties en conviennent, que cette question concerne la « compétence » du CRTC, il s’agit d’une raison supplémentaire de conclure que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 24.
ii) Cadre législatif
[36]Il faut bien garder à l’esprit les faits de l’espèce avant d’appliquer le cadre législatif. Du 27 mars 1997 au 27 mars 2002, Allstream a eu accès aux terrains servant au TLR afin de construire, d’entretenir et d’exploiter des lignes de transmission suivant l’accord TLR. Cet accord n’a pas été renouvelé parce qu’Allstream a refusé d’acquiescer à la demande de la ville d’Edmonton qui réclamait des frais d’occupation très supérieurs aux coûts causaux.
[37]L’absence de contrat entre Allstream et la ville d’Edmonton ne semble pas avoir eu d’effet préjudiciable sur Allstream. Ses lignes sont restées sur place et ses employés continuent d’avoir accès aux terrains servant au TLR pour les entretenir. En fait, Allstream se trouve dans une meilleure situation, puisqu’elle ne paye pas de frais à la ville d’Edmonton.
[38]Il est vrai qu’Allstream a violé son obligation contractuelle d’enlever ses installations à l’expiration et au non‑renouvellement de l’accord TLR. Cependant, la ville d’Edmonton déclare qu’elle n’a pas l’intention d’exercer son droit parce qu’il serait impossible d’exiger que les installations soient enlevées. Elle a donc préféré intenter une action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta afin d’obtenir d’Allstream une indemnité parce qu’elle a continué d’utiliser les terrains servant au TLR pour ses lignes de transmission, sans avoir obtenu son agrément.
[39]Il est clair que les articles 42 à 44 de la Loi ne sont pas directement applicables aux faits de l’espèce. Le paragraphe 43(2) confère aux entreprises de télécommunication le droit d’avoir accès « à toute voie publique ou tout autre lieu public pour la construction, l’exploitation ou l’entretien de leurs lignes de transmission », à condition d’avoir obtenu l’agrément de l’administration municipale (paragraphe 43(3)). Cependant, il ne semble pas nécessaire qu’une entreprise de télécommunication obtienne l’agrément de l’administration municipale pour accéder aux terrains dans le but d’entretenir ou d’exploiter une ligne de transmission, même si Allstream a sollicité dans sa demande l’autorisation d’y accéder dans le but de construire, d’entretenir et d’exploiter ses lignes de transmission et que le CRTC lui a accordé cette autorisation dans sa décision. De la même manière, une administration municipale ne peut pas faire obstacle à une entreprise qui accède à des terrains municipaux dans le but d’entretenir et d’exploiter ses lignes.
[40]Si l’entreprise de télécommunication ne réussit pas à obtenir à des conditions acceptables l’agrément de l’administration municipale pour construire une ligne, elle peut s’adresser au CRTC pour obtenir l’autorisation nécessaire. Je suis d’avis que le mot « construction » ne se limite pas aux activités physiques que sont l’installation ou la mise en place des lignes, mais qu’il fait également référence au maintien en place de ce qui a été construit. Le droit unique de construire serait dépourvu de toute efficacité pour assurer la fourniture de services de télécommunication au public, puisque le propriétaire foncier aurait le droit d’enlever les lignes le lendemain de leur installation. Voilà pourquoi le droit conditionnel conféré par la loi de construire des lignes de transmission comporte le droit qu’elles restent en place après leur installation.
[41]Comme il n’est pas nécessaire pour une entreprise de télécommunication d’accéder à des terrains dans le but de garder ses lignes de transmission en place, cette idée est absente de la disposition permettant l’« accès » et l’exécution de « travaux, notamment de creusage » pour « l’exploitation ou l’entretien » de lignes. Le maintien des lignes en place doit plutôt être considéré comme faisant partie de leur construction.
[42]En l’espèce, les lignes ont été construites et elles sont restées en place en vertu de l’accord TLR qui accordait à Allstream le [traduction] « droit et la licence non exclusifs d’utiliser [. . .] les terrains servant au TLR pour la construction, l’entretien et l’exploitation d’un conduit contenant des câbles de transmission par fibres optiques ». À l’expiration de l’accord, les parties ont été incapables de convenir de conditions qu’Allstream estimait acceptables pour régir le maintien en place des lignes situées sur les terrains servant au TLR et pour permettre à Allstream d’y accéder pour les entretenir et les exploiter. J’estime qu’on peut dire qu’il s’agit en l’espèce d’un différend qui concerne un aspect du droit conditionnel d’Allstream de construire une ligne de transmission et qui relève, par conséquent, de la compétence conférée au CRTC par le paragraphe 43(4) si l’administration municipale a refusé l’agrément à l’entreprise de télécommunication ou lui a imposé des conditions qui lui sont inacceptables.
[43]Dans l’exercice du pouvoir que lui confère le paragraphe 43(4) relativement à la demande d’Allstream, le CRTC dispose, en vertu du paragraphe 42(1), d’un pouvoir large de trancher des questions inextricablement associées à la construction de lignes de transmission, y compris l’octroi d’une autorisation d’accéder aux terrains servant au TLR dans le but d’entretenir et d’exploiter les lignes « selon les éventuelles modalités [. . .] d’indemnisation [. . .] ou autres » que le CRTC estime « justes et indiquées ».
[44]Il était selon moi totalement justifié par la méthode contextuelle et téléologique moderne d’inter-prétation des lois de conclure que la compétence conférée au CRTC par le paragraphe 43(4) s’étend aux aspects qui sont obligatoirement accessoires à la construction. Lorsque cela est possible, il faut interpréter les lois de manière à faciliter la réalisation des objectifs législatifs. Voilà pourquoi le juge Gonthier, qui s’est exprimé au nom de la Cour, a dit dans Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, à la page 1756 :
Les pouvoirs d’un tribunal administratif doivent évidemment être énoncés dans sa loi habilitante, mais ils peuvent également découler implicitement du texte de la loi, de son économie et de son objet. Bien que les tribunaux doivent s’abstenir de trop élargir les pouvoirs de ces organismes de réglementation par législation judiciaire, ils doivent également éviter de les rendre stériles en interprétant les lois habilitantes de façon trop formaliste.
[45]Les objectifs de la Loi sur les télécommuni-cations sont notamment les suivants :
7. La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à :
a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;
b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions—rurales ou urbaines—du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;
c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;
[. . .]
f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle‑ci est nécessaire;
[. . .]
h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication;
[46]La réglementation des télécommunications relève exclusivement du pouvoir législatif fédéral : Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, aux pages 256 à 268. Pour réaliser les objectifs législatifs, il convient d’interpréter la Loi comme établissant un cadre réglementaire complet. Dans le contexte de la présente espèce, il est important de souligner qu’en raison de la rapidité du développe-ment technologique et du rôle accru des forces du marché dans la fourniture de services de télécommu-nication, les parties sont plus réticentes à l’idée de conclure des ententes à long terme, ententes qui étaient plus courantes à l’époque où les versions antérieures des articles 42 à 44 actuels ont été édictées.
[47]À mon avis, l’argument de la ville d’Edmonton selon lequel le CRTC n’a pas compétence pour régler, à la demande d’une entreprise de télécommunication, les différends qui prennent naissance une fois que la ligne de transmission est construite se fonde sur une interprétation indûment restrictive de la Loi. Cela va à l’encontre de l’administration de la Loi de manière à réaliser ses objectifs législatifs qui sont, notamment, de favoriser le développement ordonné des réseaux de télécommunications au Canada.
[48]Premièrement, comme le CRTC l’a fait remarquer dans les motifs de sa décision, il serait absurde d’interpréter la Loi comme si elle exigeait que la ville d’Edmonton enlève ou menace d’enlever les lignes de transmission actuelles avant qu’Allstream puisse présenter une demande au CRTC, en vertu du paragraphe 43(4), pour solliciter l’autorisation d’accéder aux terrains servant au TLR dans le but de construire les lignes qui venaient tout juste d’être enlevées. De toute façon, comme la ville d’Edmonton l’a reconnu, elle ne pouvait pas, de manière réaliste, ordonner l’enlèvement des lignes en dépit de l’obligation contractuelle d’Allstream de les enlever à l’expiration de l’accord visant les terrains servant au TLR.
[49]Deuxièmement, en vertu de l’alinéa 44b), le CRTC peut, sur demande d’une administration municipale ou autre administration publique, ne permettre la construction, l’entretien ou l’exploitation de lignes de transmission qu’en exécution de ses instruc-tions. L’avocat de la ville d’Edmonton a fait valoir que les termes généraux de cette disposition doivent être interprétés de manière restrictive afin de limiter son application aux différends portant sur les méthodes des entreprises de télécommunication pour la construction, l’entretien et l’exploitation de leurs lignes.
[50]Je ne vois aucun motif d’appliquer cette interprétation restrictive. L’article 44 prévoit le tribunal devant lequel les administrations municipales peuvent solliciter toute une série de mesures de redressement relativement à leurs plaintes concernant la construction, l’entretien et l’exploitation de lignes de transmission par des entreprises de télécommunication. Si la ville d’Edmonton avait choisi de présenter une demande en vertu de l’alinéa 44b), le CRTC aurait alors eu compétence pour formuler une solution globale pour régler le différend avec Allstream, y compris la base du calcul des frais. Le fait de considérer que le paragraphe 43(4) habilite le CRTC à trancher la présente affaire à la demande de l’entreprise de télécommunication ne l’habilite toutefois pas à examiner une question qui outrepasse par ailleurs sa compétence.
[51]En revanche, l’interprétation du cadre législatif que propose la ville d’Edmonton permettrait aux administrations municipales d’empêcher le CRTC de résoudre de tels différends en refusant d’utiliser la méthode de redressement que le législateur a prévue expressément à l’alinéa 44b) de la Loi. Une telle approche aurait pour effet de fragmenter l’intégralité du cadre réglementaire fédéral en encourageant le recours aux tribunaux, comme c’est le cas en l’espèce, et de mener à un manque d’uniformité dans le règlement des problèmes qui se posent en matière de télécommu-nications.
[52]Dans la demande qu’elle a présentée en vertu du paragraphe 43(4), Allstream a prétendu avoir été incapable d’obtenir l’accès aux terrains servant au TLR pour « la construction, l’exploitation ou l’entretien » de ses lignes de transmission à des conditions qu’elle estime acceptables. Le CRTC a ordonné aux parties de négocier une structure de frais fondée sur les coûts causaux afin de permettre à Allstream d’avoir accès aux terrains servant au TLR dans le but de « construire, d’entretenir et d’exploiter des lignes de transmission », au paragraphe 113. Les articles 42 à 44 doivent être interprétés comme étant un ensemble complet et exclusif de règles régissant l’accès des entreprises de télécommunication aux lieux publics dans le but de construire, d’entretenir et d’exploiter des lignes de transmission.
Question no 2 : Les terrains servant au TLR constituent‑ils un « autre lieu public » aux fins de l’article 43?
[53]L’argument selon lequel les terrains servant au TLR ne sont pas un « autre lieu public » aux fins des articles 42 à 44 constitue le motif principal pour lequel la ville d’Edmonton a refusé d’élargir l’application de l’AAM renégocié à ces terrains. L’obligation que le différend concerne un « lieu public » limite la portée de la compétence conférée au CRTC par le paragraphe 43(4). La portée de cette expression a également d’importantes répercussions pour d’autres administrations municipales.
i) Norme de contrôle
[54]Cette question fait également appel à l’interprétation législative, plus particulièrement à la question de savoir si les mots « autre lieu public » ne visent que les endroits ayant les mêmes caractéristiques que les voies publiques, ainsi que l’application de cette expression, dûment interprétée, aux faits de l’espèce.
[55]Il a été allégué qu’il y a lieu de faire une distinction avec l’arrêt Barrie Utilities au motif que le problème constitutionnel concernant la compétence du CRTC sur les poteaux électriques des compagnies d’électricité réglementées par les provinces pourrait avoir eu une influence sur l’interprétation de la disposition législative en cause. Cependant, en l’espèce, l’interprétation des mots « autre lieu public » ne soulève pas la moindre question constitutionnelle.
[56]À mon avis, compte tenu des motifs de la décision du juge Gonthier dans l’arrêt Barrie Public Utilities au sujet de la norme de contrôle applicable à l’interprétation, par le CRTC, des dispositions de la Loi sur les télécommunications qui faisaient l’objet dudit litige, cette distinction ne justifie pas le choix d’une norme de contrôle moins exigeante en l’espèce.
[57]Cela signifie que, si le CRTC n’a pas interprété correctement l’expression « autre lieu public », il a alors commis une erreur de droit. Cependant, l’application de cette expression de la Loi aux faits de l’espèce ne peut pas faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte parce qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit et que la compétence de la Cour sur les appels interjetés des décisions du CRTC se limite aux questions de droit et de compétence (paragraphe 64(1)). Une application déraisonnable de la disposition législative aux faits de l’espèce constituerait une erreur de droit. Comme le législateur a prévu un droit d’appel sur des questions de droit, la norme de la décision raisonnable simpliciter est donc la norme adéquate pour le contrôle de la manière dont le CRTC a appliqué la loi aux faits.
ii) Interprétation
[58]L’expression « toute voie publique ou tout autre lieu public » n’est pas définie dans la Loi. La ville d’Edmonton fait valoir, sur le fondement de la présomption ejusdem generis applicable en matière d’interprétation législative, que l’expression « lieu public » doit être interprétée restrictivement, de manière à faire référence uniquement aux endroits ayant les caractéristiques essentielles des voies publiques, à savoir les endroits auxquels ont accès les membres du public et où ils peuvent se déplacer dans leurs propres véhicules.
[59]Les terrains servant au TLR n’ont pas cette dernière caractéristique, puisque le public ne peut se déplacer dans les tunnels que dans des wagons du TLR. Prié de donner des exemples de ce qui pourrait constituer un « lieu public » en vertu de cette définition, l’avocat a proposé les voies d’accès situées devant les centres commerciaux linéaires adjacents à une voie publique, où les clients stationnent leurs voitures.
[60]Ce problème d’interprétation semble découler du fait qu’une grande partie du libellé des articles 43 et 44 a été empruntée à d’anciennes dispositions législatives qui avaient été édictées à l’époque où les lignes de transmission principalement visées étaient des câbles téléphoniques ou télégraphiques fixés à des poteaux installés sur le bord des routes ou des câbles électriques enfouis sous des routes. C’est ainsi que l’expression correspondante dans la Loi des chemins de fer a été tour à tour, à partir de 1899 [S.C. 1888, ch. 29, art. 90 (mod. par S.C. 1899, ch. 37, art. 1)], « chemins, places ou autres lieux publics » [non souligné dans l’original] ou « voie publique, square ou autre lieu public » [non souligné dans l’original] (highway, square or other public place). La signification de l’expression « lieu public » employée en troisième lieu après « voie publique » ou « chemins » et « place » ou « square » aurait pu être influencée par la présence de ces termes plus précis et être interprétée selon le principe ejusdem generis.
[61]Cependant, l’interprétation de l’expression « autre lieu public » doit se fonder davantage sur le contexte contemporain de l’actuelle Loi sur les télécommunications plutôt que sur ses versions antérieures. C’est pourquoi il semble que la suppression du mot « place » dans la loi actuelle a pour effet d’élargir la signification de l’expression « autre lieu public ». Lorsqu’un mot ou une expression plus générale suit un mot seul, la présomption ejusdem generis d’interprétation législative n’est pas très utile. Une liste comportant un seul élément n’établit pas une catégorie unique : Ferguson v. MacLean, [1930] R.C.S. 630, à la page 653.
[62]Même si les avocats n’ont pas été en mesure d’indiquer les objectifs législatifs qui justifieraient de limiter la portée de l’expression « other public place » ou « autre lieu public » aux endroits « assimilables à des voies publiques », ils ont souligné que les dispositions législatives visant l’octroi aux entreprises de télécommunication de l’autorisation d’avoir « accès » à toute voie publique ou tout autre lieu public et d’y « procéder à des travaux, notamment de creusage » [non souligné dans l’original] (enter on and break up) constituent une considération contextuelle importante. Ils ont fait valoir que ces termes ne sont pas adéquats pour décrire l’accès à des structures telles que les tunnels, les stations et les trottoirs du TRL : dans ces contextes, les mots « enter in » dans la version anglaise auraient été plus appropriés que « enter on » et les mots « break up » seraient non pertinents.
[63]Les mots « enter on and break up » (« accès » et « procéder à des travaux ») sont consacrés par l’usage et tirent leur origine des premiers textes de loi régissant les droits d’accès des entreprises de télécommunication réglementées. Les verbes « enter », « break up » et « open » (« entrer », « creuser » et « ouvrir ») figurent dans la Loi sur les chemins de fer depuis 1899. Le fait que le législateur les ait conservés dans le cadre législatif actuel ne doit pas être considéré comme un indice qu’il voulait que les mots « other public place » (« autre lieu public ») ait un sens plus restreint que celui qui découle de leur sens ordinaire ou des objets de la Loi actuelle.
[64]Les articles 42 à 44 de la Loi semblent avoir été rédigés, du moins en partie, par la méthode « couper/coller ». L’historique du libellé législatif ne doit pas déterminer le sens des termes ou expressions employés dans des textes de loi relativement nouveaux si cela a pour effet de faire entrave à l’application efficace de la loi. Ainsi qu’il a déjà été souligné, l’un des objets de la Loi sur les télécommunications est d’encourager le développement efficace et ordonné des réseaux de télécommunications en prévoyant un cadre réglementaire réceptif à l’avancement technologique des télécommunications et à l’entrée en jeu des forces du marché et de la concurrence commerciale.
[65]Les avocats souscrivant à la position de la ville d’Edmonton n’ont pas été en mesure de fournir des raisons compatibles avec le cadre législatif actuel qui permettraient d’interpréter l’expression « autre lieu public » comme signifiant un endroit auquel les membres du public ont accès et où ils peuvent se déplacer dans leurs propres véhicules. On a fait valoir, cependant, que l’interprétation du CRTC est si générale qu’elle rend redondante l’expression « voie publique » et qu’il y a une présomption selon laquelle l’intention du législateur est que chaque mot figurant dans un texte de loi a un rôle précis.
[66]À mon avis, aucune de ces interprétations ne reflète avec exactitude le libellé des articles 42 à 44 principalement parce qu’il a été tiré, sous une forme modifiée, d’anciens textes de loi. Je suis néanmoins convaincu qu’une interprétation plus large des mots « autre lieu public » est davantage conforme au libellé, au contexte et aux objets de la Loi actuelle que l’interprétation proposée par la ville d’Edmonton. En résumé, cette expression ne doit pas viser uniquement les endroits « assimilables à une voie publique ».
[67]Le CRTC n’a pas voulu fournir une définition succincte de cette expression, comme un dictionnaire. Il a plutôt établi des critères pour déterminer si un endroit particulier est un « autre lieu public » aux fins de la Loi. Voici ces critères : la propriété des terrains, les fins auxquelles ils doivent servir et le degré d’accès. J’estime que cette approche fondée sur de multiples facteurs constitue l’approche correcte à adopter pour interpréter l’expression « autre endroit public » utilisée dans la Loi et qu’elle permet au CRTC de porter son attention sur les faits de chaque espèce, ainsi que sur les objectifs législatifs actuels du cadre réglementaire présentement en vigueur.
iii) Application
[68]Appliquant ces critères aux faits, le CRTC a souligné que les terrains servant au TLR appartenaient à la ville d’Edmonton, un organisme public, et qu’ils étaient utilisés pour assurer le transport de passagers acquittant le tarif applicable. De plus, le public jouit d’un accès relativement large aux terrains en cause afin de se déplacer dans des wagons mis en service par le TLR.
[69]À mon avis, compte tenu de ces critères, la conclusion du CRTC selon laquelle les terrains servant au TLR constituent un « lieu public » n’est pas déraisonnable et, par conséquent, ne constitue pas une erreur de droit.
Question no 3 : Le CRTC a‑t‑il commis une erreur de droit en limitant aux coûts causaux les frais qu’Allstream est tenue de payer pour utiliser les terrains servant au TLR?
i) Norme de contrôle
[70]Le CRTC est habilité par le paragraphe 43(4) à imposer des conditions lorsqu’une administration municipale refuse l’agrément à une entreprise de télécommunication ou lui impose des conditions qui lui sont inacceptables :
43. [. . .]
(4) [. . ] [le Conseil] peut, compte tenu de la jouissance que d’autres ont des lieux, assortir l’autorisation des conditions qu’il juge indiquées. [Non souligné dans l’original.]
[71]Le CRTC a une plus grande expertise que la Cour pour fixer les conditions de l’autorisation, y compris le montant des frais. Et cette expertise du CRTC, conjuguée à l’étendue du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par la loi, indique que la Cour doit faire preuve de retenue dans le cadre du contrôle d’une décision rendue en vertu du paragraphe 43(4). Cependant, l’existence d’un droit d’appel limité et le fait qu’il s’agit d’une décision, discrétionnaire certes, mais davantage de nature juridictionnelle que polycentrique, permettent de croire que l’intention du législateur n’était pas d’imposer la norme de contrôle commandant la plus grande retenue.
[72]Par conséquent, le CRTC aura commis une erreur de droit si l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable simpliciter : Fédération canadienne des municipalités c. AT&T Canada Corp., au paragraphe 30.
[73]Dans l’arrêt Allstream Corp. c. Bell Canada, 2005 CAF 247, au paragraphe 31, la Cour a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui commande un plus haut degré de retenue, à l’exercice par le CRTC de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a approuvé les tarifs proposés par Bell pour la fourniture de services par fibres optiques à ses clients. Cependant, cette affaire se distingue de la présente espèce au motif que les décisions concernant l’établissement de tarifs sont de nature plus polycentrique que juridictionnelle et ont une plus large application. Quoi qu’il en soit, il n’est pas pertinent de savoir si la norme de la décision déraisonnable s’applique à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du CRTC dans la présente affaire.
ii) L’imposition de frais d’occupation calculés en fonction des coûts est‑elle déraisonnable?
[74]Compte tenu de l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré au CRTC par le paragraphe 43(4) et de la norme de retenue applicable dans le cadre du contrôle de l’exercice de ce pouvoir, l’appelante a une tâche colossale pour établir que le CRTC a commis une erreur susceptible de contrôle.
[75]L’avocat a invoqué deux principaux moyens pour contester cet aspect de la décision du CRTC. Il a fait tout d’abord valoir qu’il était fondamentalement injuste d’accorder à Allstream et à ses clients l’utilisation des terrains servant au TLR en contrepartie de ce qui semblait être un montant insignifiant, au motif que les tunnels et les stations du TLR avaient déjà été construits pour le système de transport.
[76]Il a été allégué qu’il était impossible que le législateur ait voulu que le CRTC permette à une entreprise de télécommunication de porter atteinte aux droits de propriété d’une administration municipale sans verser une indemnisation adéquate. J’estime, cependant, que si l’on considère cet argument dans le contexte du cadre réglementaire établi par la Loi, il est loin de démontrer que la décision du CRTC était déraisonnable.
[77]Premièrement, quelle que soit l’ « équité » de cette décision dans l’abstrait, ce n’est pas la fonction de la Cour de substituer son avis sur le bien‑fondé de l’affaire à celui du CRTC. Dans ce contexte, l’« équité » est une norme subjective et judiciairement insaisissable. Je voudrais néanmoins signaler que la ville d’Edmonton a accepté une structure de frais fondée sur les coûts causaux lorsqu’elle a renégocié l’AAM concernant les terrains municipaux autres que ceux servant au TLR.
[78]Deuxièmement, en raison de l’octroi aux entreprises de télécommunication d’un droit condition-nel leur permettant d’avoir accès à des voies publiques et à tout autre lieu public dans le but de construire, d’entretenir et d’exploiter leurs lignes de transmission, et à y procéder à des travaux, notamment de creusage, le paragraphe 43(2) de la Loi restreint explicitement les droits de propriété des administrations municipales et des autres administrations publiques afin d’assurer la fourniture de services de télécommunication au public.
[79]L’article 46 [mod. par L.C. 2004, ch. 25, art. 177] de la Loi prévoit une procédure distincte permettant aux entreprises de télécommunication d’exproprier des terrains ou d’acquérir des biens‑fonds dans le but de construire des lignes de transmission, moyennant le paiement de la juste valeur marchande des terrains expropriés. Les parties n’ont pas fait valoir que la décision du CRTC en l’espèce constituait l’expropriation d’un intérêt afférent à un bien‑fonds de la ville d’Edmonton.
[80]Troisièmement, alors que la décision du CRTC a été incontestablement favorable pour Allstream, cette dernière n’en tire pas un bénéfice au détriment des contribuables d’Edmonton, en ce sens qu’Allstream était tenue de dédommager la ville d’Edmonton de toute dépense attribuable à la construction, à l’entretien et à l’exploitation des lignes de transmission sur les terrains servant au TLR.
[81]En fait, la création d’un réseau de télécommunication à la fine pointe de la technologie et à un prix concurrentiel pour desservir le centre‑ville d’Edmonton aura, sans doute, un effet bénéfique pour la ville et ses résidents en entraînant, par exemple, une augmentation des revenus municipaux et des possibilités d’emploi résultant de la rétention, du développement et de l’attraction des commerces.
[82]Le deuxième moyen invoqué pour contester la décision en cause était axé sur le recours par le CRTC à sa décision antérieure dans Ledcor, où il a défendu les « coûts causaux » pour la première fois, pour justifier le paiement de frais d’accès par une entreprise de télécommunication. Il a notamment été allégué que le CRTC a élevé les coûts causaux au statut de principe général, en dépit de l’avertissement donné par la Cour d’appel dans l’arrêt Fédération canadienne des municipalités c. AT&T Canada Corp., au paragraphe 21, selon lequel le principe élaboré par le CRTC dans la décision Ledcor ne lie personne.
[83]Cependant, j’estime que la ville d’Edmonton n’a pas réussi à établir, dans la présente affaire, que le CRTC a illicitement entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire ou n’a pas tenu compte de facteurs dont il aurait dû tenir compte lorsqu’il a ordonné que les frais payables à Allstream soient basés sur les coûts causaux.
[84]Premièrement, le CRTC a dit que la proposition de la ville d’Edmonton de fixer les frais d’occupation à 20 $ le mètre en se basant sur sa formule d’évaluation foncière serait « inadéquate dans les circonstances » (non souligné dans l’original). Il en était ainsi parce que les frais convenus par la ville d’Edmonton en ce qui concerne les terrains ne servant pas au TLR dans le cadre de l’AAM renégocié étaient considérablement inférieurs au tarif de 20 $ le mètre qui, d’après la ville d’Edmonton, était basé sur l’évaluation foncière : au paragraphe 107. La ville d’Edmonton n’a pas proposé un autre tarif.
[85]Deuxièmement, le CRTC a conclu que, s’il imposait les frais d’occupation proposés par la ville d’Edmonton, Allstream se trouverait dans une position concurrentielle désavantageuse par rapport aux autres entreprises parce qu’elle serait la seule entreprise de télécommunication tenue de payer pour avoir accès à des terrains des frais très supérieurs aux coûts causaux. L’un des objectifs de la Loi est de favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication : alinéa 7f). La décision de ne pas imposer à Allstream des frais supérieurs à ceux payés par ses concurrents semblerait conforme à cet objectif.
[86]Troisièmement, le CRTC a rejeté la suggestion de la ville d’Edmonton selon laquelle la juste valeur marchande devrait être déterminée par une mise aux enchères des droits d’utilisation des terrains servant au TLR pour des lignes de transmission au motif que, même s’il y avait plusieurs soumissionnaires potentiels, la ville d’Edmonton était le seul vendeur, puisqu’il n’existe pas d’autres sources d’approvisionnement : au paragraphe 110.
[87]Quatrièmement, le CRTC n’a pas prescrit de méthode particulière d’établissement des coûts causaux. Il était disposé à laisser aux parties la possibilité de négocier une méthode convenable et à intervenir uniquement si elles ne parvenaient pas à s’entendre : aux paragraphes 104 à 105 des motifs du CRTC.
[88]En résumé, je ne suis pas convaincu que, vu les faits de l’espèce, la conclusion du CRTC selon laquelle les frais devraient être basés sur les coûts causaux est viciée par une erreur susceptible de rendre cette décision déraisonnable. Cela ne veut pas dire que, lorsqu’une preuve suffisante est produite, il est interdit au CRTC d’inclure dans le calcul des coûts causaux une fraction des coûts d’entretien récurrents engagés dans les biens fonciers municipaux que l’entreprise de télécommuni-cation utilise pour sa ligne de transmission.
F. CONCLUSION
[89]Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.
Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
La juge Sharlow, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.