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A‑165‑05

A‑304‑05

2006 CAF 157

Le commissaire à l’information du Canada (appelant)

c.

Le directeur exécutif du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports et NAV CANADA (intimés)

et

Le procureur général du Canada (intervenant)

Répertorié : Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard, juges Desjardins et Evans, J.C.A.—Ottawa, 28 février; 1er mars; 1er mai 2006.

Accès à l’information — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant des demandes de contrôle judiciaire présentées en application de l’art. 42(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information eu égard aux refus du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (le BST) de communiquer des documents en alléguant l’art. 19 de la Loi sur l’accès à l’information, à savoir l’exception des « renseignements personnels » — Les dossiers contenaient des renseignements sur la situation de l’aéronef, les conditions météorologiques, des aspects liés au contrôle de la circulation aérienne et les propos des pilotes et des contrôleurs — Les renseignements demandés n’étaient pas des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et ils n’étaient pas soustraits à la divulgation en vertu de l’art. 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information — Le sens attribué à l’expression « renseignements personnels » à l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels a été interprété — Les mots « concernant un individu » dans la définition s’entendent de renseignements qui rendent possible l’identification d’un individu — Les « renseignements personnels » correspondent aux renseignements qui doivent être vus comme l’équivalent de renseignements entrant dans le droit d’une personne à la vie privée — La distinction que la Cour suprême du Canada a opérée dans Dagg c. Canada (Ministre des Finances) quant aux renseignements portant sur le poste et les renseignements portant sur la personne était inapplicable puisqu’elle ne vise que les cadres et employés des institutions fédérales tel qu’il est indiqué à l’art. 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels — Qui plus est, les renseignements que NAV CANADA a recueillis durant un vol ne pouvaient être qualifiés de « commerciaux » ou « techniques » — Les renseignements n’étaient pas confidentiels — Par conséquent, les communications du contrôle de la circulation aérienne (ATC) ne satisfaisaient pas aux conditions de l’art. 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information et elles ne pouvaient donc pas être soustraites à la divulgation.

Protection des renseignements personnels — Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant des demandes de contrôle judiciaire présentées en application de l’art. 42(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information eu égard aux refus du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (le BST) de communiquer des documents en alléguant l’art. 19 de la Loi sur l’accès à l’information, à savoir l’exception des « renseignements personnels » — Examen de la notion de vie privée — La vie privée s’entend du droit du particulier de déterminer lui‑même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant — Cette notion intègre celles d’intimité, d’identité, de dignité et d’intégrité de l’individu — Les renseignements en cause ne « concernent » pas un individu parce que les communications du contrôle de la circulation aérienne (ATC) ne visent pas des sujets qui font intervenir le droit de l’individu à sa vie privée — Les renseignements étaient de nature professionnelle, pouvaient faciliter l’identification d’une personne et pouvaient aider à déterminer comment cette personne s’était acquittée de sa tâche, mais n’étaient pas pour autant des renseignements personnels — Le fait que les communications ATC pouvaient être utilisées pour une évaluation des actions de leurs auteurs ne saurait transformer en soi ces communications en des renseignements personnels.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant des demandes de contrôle judiciaire que l’appelant avait présentées en application de l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information relativement à des refus du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (le BST) de communiquer des documents en alléguant l’article 19 de la Loi, à savoir l’exception des « renseignements personnels ». Les dossiers contenaient des renseignements se rapportant à quatre accidents aéronautiques qui avaient été l’objet d’enquêtes distinctes et de rapports publics distincts de la part du BST. Dans chaque cas, les demandeurs des renseignements avaient voulu obtenir communication des enregistrements ou des transcriptions, ou des deux, des communications du contrôle de la circulation aérienne (ATC) faits par NAV CANADA et aujourd’hui en la possession du BST.

Le contenu des communications ATC se limite à la sécurité et à la navigation de l’aéronef, aux activités de l’appareil et à l’échange de messages pour le compte du public. Elles contiennent des renseignements relatifs à la situation de l’aéronef, aux conditions météorologiques, à diverses questions intéressant le contrôle de la circulation aérienne et aux propos échangés par les pilotes et les contrôleurs. Toutes les communications ATC d’entrée et de sortie doivent être enregistrées par NAV CANADA. Lorsque se produit un « accident aéronautique » (défini en partie comme étant tout accident ou incident lié à l’utilisation d’un aéronef), la bande concernée est mise de côté pour que son intégrité soit préservée. Le BST avait statué que les renseignements contenus dans les communications ATC étaient des renseignements personnels, mais que le public y avait accès au sens du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information, et l’intérêt public dans la divulgation des renseignements ne justifiait pas clairement une atteinte à la vie privée. La Cour fédérale a statué que les renseignements demandés étaient des « renseignements personnels » au sens de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information et de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle a précisé que les communications ATC étaient des renseignements « concern[a]nt » un individu et que le contenu des communications était limité à la sécurité et à la navigation d’un aéronef, aux activités de l’appareil et à l’échange de messages pour le compte du public. Tant le personnel au sol, composé de contrôleurs de la circulation aérienne et de spécialistes de l’information de vol, et le personnel navigant étaient concernés. La Cour fédérale a également statué que les renseignements concernaient un individu « identifiable » puisque l’écoute des bandes ATC allait permettre d’identifier l’aéronef, ainsi que le lieu de travail et le sigle professionnel du contrôleur concerné et que celui‑ci avait une expectative raisonnable de confidentialité. Par ailleurs, la Cour fédérale a conclu que les renseignements étaient soustraits à la communication parce que le public « n’[y] avait pas accès » en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information, sauf pour les renseignements relatifs aux accidents survenus à Clarenville, qui avaient déjà été rendus publics. Le point essentiel soulevé était de savoir si les communications ATC étaient des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur l’accès à l’information.

Jugement : l’appel est accueilli.

La Cour fédérale a commis une erreur en disant que les renseignements demandés étaient des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information soustrait à la divulgation les « renseignements personnels », expression définie à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’expression s’entend des « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment » les exemples prévus par la suite. Le mot « notamment » que l’on trouve dans la définition exposée à l’article 3 donne à penser que les mots introductifs doivent être interprétés d’une manière libérale et que l’énumération qui suit n’est pas limitative, mais seulement exemplative. L’article renferme aussi une liste d’exceptions à la définition de « renseignements personnels ». La Cour suprême du Canada a souvent affirmé que la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information doivent être lues ensemble comme s’il s’agissait d’un « code homogène », suivant un « modèle d’interprétation “parallèle” » qui met en équilibre les valeurs antagonistes de l’accès à l’information et de la protection de la vie privée. Toutefois, à l’intérieur de cette législation pondérée, le droit à la vie privée bénéficie d’une préférence dans certains contextes. La jurisprudence a donné une vaste portée à l’expression « renseignements personnels ». Pour ce qui est des mots introductifs de la définition, notamment le mot « concernant » (« about » en anglais), les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, sont pertinents s’il s’agit de renseignements « concernant » un individu et s’ils permettent d’identifier l’individu ou rendent possible son identification. Un individu « identifiable » est une personne dont il est raisonnable de croire qu’elle pourra être identifiée à l’aide des renseignements en cause s’ils sont combinés avec des renseignements d’autres sources. Les « renseignements personnels » doivent cependant être vus comme l’équivalent des renseignements entrant dans le droit d’une personne à la vie privée (article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels). Une interprétation de l’expression « renseignements personnels » fondée sur la notion de vie privée n’établissait pas de façon définitive le champ précis de l’expression « renseignements personnels », mais en saisissait l’essence et suffisait à trancher l’appel.

Le droit à la vie privée peut s’entendre du droit du particulier de déterminer lui‑même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant. La notion de vie privée intègre donc celles d’intimité, d’identité, de dignité et d’intégrité de l’individu. Les renseignements en cause n’étaient pas des renseignements « concernant » un individu puisque le contenu des communications ne portait pas sur des sujets qui faisaient intervenir le droit de l’individu à sa vie privée. Les renseignements en cause étaient de nature professionnelle et non personnelle. Ils auraient pu faciliter l’identification d’une personne et aider à déterminer comment cette personne s’était acquittée de sa tâche dans une situation donnée, mais ils n’étaient pas des renseignements personnels. Il ne s’agissait pas de renseignements concernant un individu, vu qu’ils n’étaient pas en corrélation avec la notion de « vie privée » ni avec les valeurs que cette notion vise à protéger. La Cour fédérale n’a pas bien saisi la fonction des communications ATC et la mission du BST. Les communications ATC, une fois combinées à d’autres renseignements, pourraient bien dans certains cas être utilisées pour une évaluation des actions de leurs auteurs, mais cette éventualité ne saurait transformer ces communications en des renseignements personnels, alors que les renseignements qu’elles contenaient n’avaient pas de contenu personnel.

La Cour fédérale a aussi appliqué erronément l’affaire Dagg c. Canada (Ministre des Finances), qui a été tranchée par la Cour suprême du Canada, quand elle s’est référée au comportement ou à l’action des personnes ayant pris part aux communications ATC. Dans Dagg, la majorité avait souscrit à l’observation du juge La Forest, dissident, selon laquelle l’alinéa 3j) et le sous‑alinéa 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels avaient pour objet d’exempter seulement les renseignements relatifs aux postes et non ceux concernant telle ou telle personne. Les renseignements relatifs au poste ne sont donc pas des « renseignements personnels » alors que les renseignements qui concernent principalement des personnes elles‑mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des « renseignements personnels ». La dernière partie de l’observation du juge La Forest ne visait que les cadres et employés des institutions fédérales, c’est‑à‑dire l’exception contenue dans l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La distinction entre renseigne-ments portant sur le poste et renseignements portant sur la personne était inapplicable, voire hors de propos, quant à la définition générale de « renseignements personnels ». Les employés de NAV CANADA ne sont pas des cadres ou des employés d’une institution fédérale.

La prétention subsidiaire de NAV CANADA selon laquelle les communications ATC étaient exemptées de la divulgation en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information a été rejetée. Cet alinéa précise que le responsable d’une institution fédérale peut refuser de communiquer certains types de renseignements (c.‑à‑d. financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques) si certaines exigences précises sont remplies. Le mot « commercial », appliqué à un renseignement, intéresse en soi le commerce. La prestation, contre rémunération, de services de navigation aérienne ne fait pas en sorte que les renseignements recueillis durant un vol peuvent être qualifiés de « commerciaux » ou « techniques ». Il est inexact aussi de prétendre que l’enregistrement tout entier constitue des renseignements techniques quand seule une partie de cet enregistrement peut ainsi être qualifiée. En outre, les renseignements en cause n’étaient pas confidentiels comme l’exige l’alinéa 20(1)b). La question de la confidentialité doit être tranchée objectivement : les renseignements mêmes doivent être « intrinsèquement confidentiels ». La question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication. Il incombait manifestement aux parties intimées de persuader la Cour du caractère confidentiel des renseignements et elles devaient apporter une « preuve directe » de la nature confidentielle des renseignements en cause. NAV CANADA ne s’était tout simplement pas acquittée de son obligation de produire une preuve démontrant que les communications ATC étaient confidentielles au sens de l’alinéa 20(1)b).

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b).

Convention relative à l’aviation civile internationale, 7 décembre 1944, [1944] R.T. Can. no 36.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1, art. 4 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 1(F); 2001, ch. 27, art. 202), 19, 20(1), 24, 25, 41, 42(1)a), ann. II (mod. par L.C. 1989, ch. 3, art. 38).

Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20, art. 2 (mod., idem, art. 108a); 2003, ch. 22, art. 150(A), 225q)(A)), 9.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21, art. 2, 3 « renseignements personnels » (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144, ann. VII, art. 47(F)), 8(2)a),b),m)(i).

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R‑2, art. 1 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2), 9(2) (mod., idem, art. 6; 1993, ch. 40, art. 24).

Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, L.C. 1989, ch. 3, art. 2 « accident aéronautique », 7 (mod. par L.C. 1998, ch. 20, art. 5), 28 (mod., idem, art. 17), 29(1)a), (6) (mod., idem, art. 18).

Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C‑32, partie II.

Règlement de l’aviation canadien, DORS/96‑433, partie VIII, sous‑partie 2.

Règlement  sur la radiocommunication, DORS/96‑484, art. 6.

jurisprudence citée

décision différenciée :

Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403.

décisions examinées :

Cie H.J. Heinz Co. du Canada ltée c. Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.S. 441; 2006 CSC 13; Olmstead v. United States, 277 U.S. 438 (1928); R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417; R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30; Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (1re inst.) (QL); Canada (Commis-saire à l’information) c. Agence de promotion économique du Canada atlantique, [1999] A.C.F. no 1723 (C.A.) (QL); Wyeth‑Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 257.

décisions citées :

Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), [2006] 1 R.C.F. 605; 2005 CF 384; Sabourin Estate v. Watterodt Estate (2005), 213 B.C.A.C. 301; 44 B.C.L.R. (4th) 244; 34 C.C.L.T. (3d) 193; 2005 BCCA 348; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66; 2003 CSC 8; Ontario (Attorney General) v. Ontario (Information and Privacy Commissioner) (2001), 39 Admin. L.R. (3d) 112; 16 C.P.R. (4th) 460; 154 O.A.C. 97 (C. Div. Ont.); conf. par sub nom. Ontario (Attorney General) v. Pascoe (2002), 22 C.P.R. (4th) 447; 166 O.A.C. 88 (C.A. Ont.); Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d’État), [1994] A.C.F. no 589 (1re inst.) (QL); Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1992] A.C.F. no 144 (1re inst.) (QL); conf. par [1992] A.C.F. no 950 (C.A.) (QL); Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 1 R.C.F. 379; 2005 CAF 215; Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) c. Hi‑Rise Group Inc., 2004 CAF 99; Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F. 480 (1re inst.).

doctrine citée

Canada. Rapport du groupe d’étude établi conjointement par le ministère des Communications et le ministère de la Justice. L’ordinateur et la vie privée. Ottawa : Information Canada, 1972.

Cohen, Stanley A. Privacy, Crime and Terror : Legal Rights and Security in a Time of Peril. Markham, Ont. : LexisNexis Butterworths, 2005.

Concise Oxford Dictionary of Current English, 8th ed. Oxford : Clarendon Press, 1990, « about ».

Fried, Charles. « Privacy » (1968),77 Yale L.J. 475.

McNairn, Colin H. H. and C. D. Woodbury. Government Information : Access and Privacy. Toronto : Carswell, 1992.

Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Le Robert, 1996, « concernant ».

Organisation de l’aviation civile internationale. Annexe 13 à la Convention relative à l’aviation civile internationale : enquêtes sur les accidents et incidents d’aviation, 9e éd. Montréal : OACI, 2001.

Petit Larousse illustré. Paris : Larousse, 2000, « concernant ».

Warren, Samuel D. and Louis D. Brandeis. « The Right to Privacy », [1890‑91] 4 Harv. L. Rev. 193.

Westin, Alan F. Privacy and Freedom. New York : Atheneum, 1970.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale ([2006] 1 R.C.F. 605; 2005 CF 384) rejetant des demandes de contrôle judiciaire présentées en application de l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information eu égard aux refus du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports de communiquer des documents demandés en vertu de la Loi. Appel accueilli.

ont comparu :

Daniel Brunet, Raynold Langlois, c.r., Marlys A. Edwardh et François LeBel pour l’appelant.

Barbara A. McIsaac, c.r. et Gregorios S. Tzemenakis pour l’intimé le directeur exécutif du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports.

Brian A. Crane, c.r. et Graham S. Ragan pour l’intimée NAV CANADA.

Christopher M. Rupar pour l’intervenant.

avocats inscrits au dossier :

Commissariat à l’information du Canada pour l’appelant.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Ottawa, pour l’intimé le directeur exécutif du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports.

Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Ottawa, pour l’intimée NAV CANADA.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]           La juge Desjardins, J.C.A. : Le commissaire à l’information du Canada (le commissaire) fait appel de la décision d’une juge de la Cour fédérale de rejeter quatre demandes de contrôle judiciaire qu’il avait présentées en application de l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‑1. Les demandes de contrôle judiciaire faisaient suite à quatre décisions du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (le BST) de refuser la communication d’une partie quelconque des documents demandés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, en alléguant l’article 19 de cette Loi, à savoir l’exception des « renseignements personnels  ».

[2]           Les dossiers en cause contiennent des renseignements se rapportant à quatre accidents aéronautiques qui avaient été l’objet d’enquêtes distinctes et de rapports publics distincts de la part du BST. Dans chaque cas, les demandeurs des renseignements (trois journalistes et le représentant légal de la succession de la personne décédée impliquée dans l’un des accidents) voudraient obtenir communication des enregistrements et/ou des transcriptions des communications du contrôle de la circulation aérienne (les communications ATC) faits par NAV CANADA et aujourd’hui en la possession du BST.

[3]           La description des accidents, les demandes de communication des renseignements et les décisions pertinentes du BST se trouvent dans le jugement publié de la juge de première instance (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), [2006] 1 R.C.F. 605, juge Snider).

Le jugement de première instance

[4]           La juge de première instance est arrivée à la conclusion que les renseignements demandés étaient des « renseignements personnels » au sens de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information et au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P‑21.

[5]           D’abord, elle a exprimé l’avis que les communications ATC étaient des renseignements « concern[a]nt » un individu. Selon elle, le contenu des communications ATC était limité à la sécurité et à la navigation d’un aéronef, aux activités de l’appareil et à l’échange de messages pour le compte du public. Les communications ATC contenaient des renseignements sur la situation de l’aéronef, sur les conditions météorologiques, sur des aspects liés au contrôle de la circulation aérienne et sur les propos des pilotes et des contrôleurs, à l’exception de quelques lignes, dans l’une des communications, qui contenaient des mentions de noms et d’autres renseignements qui, de l’aveu du commissaire, étaient personnels. Elle a estimé, comme le commissaire, que les enregistrements étaient de nature surtout technique (paragraphe 20). Elle a dit toutefois que, considérés dans leur contexte, ils ne se limitaient pas à cela.

[6]           Deux groupes de personnes étaient concernés : le personnel au sol, composé de contrôleurs de la circulation aérienne et de spécialistes de l’information de vol, et le personnel navigant. Pour établir la nature des communications ATC, la juge de première instance a considéré l’objet pour lequel ces communications étaient établies et utilisées. Elle a relevé qu’une disposition de l’annexe 10, volume II, de la Convention relative à l’aviation civile internationale, signée à Chicago, Illinois, le 7 décembre 1944, [1944] R.T. Can. no 36 (la Convention de l’OACI), rendait obligatoire la consignation des communications ATC. Ces normes étaient intégrées dans la partie VIII, sous‑partie 2, du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96‑433. Cependant, lorsque survenait un accident (mot défini qui sera examiné plus loin), NAV CANADA avait l’obligation d’en informer le BST. Le BST pouvait alors effectuer une enquête, comme il est autorisé à le faire en vertu de l’article 7 [mod. par L.C. 1998, ch. 20, art. 5] de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, L.C. 1989, ch. 3 (la Loi sur le BST). Les bandes étaient alors remises aux enquêteurs. Selon la juge de première instance, il incombait au BST de voir comment les personnes en cause avaient décidé d’accomplir les tâches qui leur incombaient (paragraphe 25 de ses motifs).

[7]           La juge de première instance a reproduit, au paragraphe 14 de ses motifs, la phrase suivante qui apparaît au paragraphe 94 des motifs du juge La Forest, dans l’arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403 (Dagg) :

[. . .] les renseignements qui concernent principalement des personnes elles‑mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des « renseignements personnels ». [Souligné par la juge de première instance.]

[8]           Elle écrivait ce qui suit, aux paragraphes 25 et 26 de ses motifs :

Dans le cadre de la mission qui lui est confiée, le BST doit se pencher sur la manière dont les individus en cause ont accompli les tâches qui leur incombent. Quelle est la cause de l’accident? Y a‑t‑il eu des manquements à la sécurité? Plus précisément, les actions des contrôleurs ou des pilotes en cause ont‑elles contribué à l’accident? Les communications ATC sont un des moyens importants d’évaluer le comportement individuel des personnes concernées. Les communications ATC servent à évaluer la manière dont les contrôleurs de la circulation aérienne et le personnel naviguant ont choisi d’accomplir les tâches qui leur sont confiées. Très simplement, on peut dire que l’unique raison d’être des communications ATC est de permettre, justement, d’évaluer, en cas d’incident, le comportement ou l’action des personnes ayant pris part à ces communications.

Pour ces motifs, je conclus que ces communications « concernent » les individus en cause. [Non souligné dans l’original.]

[9]           Elle a également jugé que les renseignements concernaient un individu « identifiable » (paragraphe 31 de ses motifs) puisque l’écoute des bandes ATC allait permettre d’identifier l’aéronef, ainsi que le lieu de travail et le sigle professionnel du contrôleur concerné. Par ailleurs, les voix des personnes concernées pouvaient être entendues et reconnues. Elle a jugé que ces personnes avaient une expectative raisonnable de confidentialité étant donné que NAV CANADA avait toujours eu pour principe de préserver la confidentialité des communications ATC, que les conventions collectives régissant la relation entre les syndicats et NAV CANADA renfermaient une clause interdisant l’utilisation des bandes au‑delà de ce que requiert la loi, et que tant la Convention de l’OACI que les pratiques internationales militaient en faveur de la non‑ communication des renseignements de cette nature.

[10]         Elle a alors entrepris, comme elle devait le faire, une analyse quant à l’applicabilité du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information. Elle a conclu que les renseignements étaient soustraits à la communication parce que le public « n’[y avait] pas accès », sauf pour les accidents survenus à Clarenville, dont les communications ATC avaient déjà été rendues publiques. Elle a considéré les alinéas 8(2)a) et b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et estimé que ces dispositions ne s’appliquaient pas aux affaires dont elle était saisie. Selon elle, le BST avait validement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui conférait le sous‑alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Elle a donc estimé qu’elle n’avait pas à considérer le paragraphe 20(1), ni l’article 25, de la Loi sur l’accès à l’information, ni à se demander si le paragraphe 9(2) [mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 6; 1993, ch. 40, art. 24] de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R‑2 [art. 1 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2)], contrevenait à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).

[11]         Je suis d’avis que la juge de première instance a commis une erreur en disant que les renseignements demandés étaient des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il ne m’est donc pas nécessaire de décider les autres points soulevés dans le présent appel, si ce n’est le paragraphe 20(1) de la Loi sur l’accès à l’information.

Définition des communications ATC—La mission du BST

[12]         Avant le 1er novembre 1996, les services de navigation aérienne civile étaient assurés par Transports Canada. À cette date, conformément à l’article 9 de la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, L.C. 1996, ch. 20, et à un accord antérieur de transfert conclu entre le gouvernement du Canada et NAV CANADA, NAV CANADA fut investie du mandat exclusif de fournir ces services à l’intérieur de l’espace aérien du Canada et à l’intérieur des autres espaces aériens à l’égard desquels il incombe au Canada de fournir de tels services. NAV CANADA, société privée constituée le 26 mai 1995 en vertu de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, ch. C‑32, a été autorisée à facturer les services en question.

[13]         Les parties intimées ont souligné l’importance des obligations internationales du Canada dans la structuration des politiques se rapportant à la divulgation des communications ATC. L’attention de la Cour a été appelée en particulier sur l’annexe 13 [Enquêtes sur les accidents et incidents d’aviation], article 5.12, de la Convention de l’OACI, qui prévoit que, dans une enquête relative à un accident, un État doit soustraire à la divulgation « toutes les communications entre personnes qui ont participé à l’exploitation de l’aéronef » et doit s’abstenir de communiquer ces documents à des fins autres que l’enquête sur l’accident, « à moins que l’autorité chargée de l’administration de la justice dans ledit État ne détermine que leur divulgation importe plus que les incidences négatives que cette mesure risque d’avoir, au niveau national et international, sur l’enquête ou sur toute enquête ultérieure ». Toutefois, contrairement à ce que prétendent les parties intimées, je ne suis pas persuadée que la divulgation de communications ATC, dans les circonstances qui le justifient, et à la suite d’une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, est nécessairement incompatible avec les obligations internationales du Canada. Une demande présentée en vertu de la Loi sur l’accès à l’information est passée en revue par « l’autorité chargée de l’administration de la justice », et les facteurs dont parle l’article 5.12 peuvent être pris en compte dans le mécanisme établi par cette législation interne.

[14]         Les communications ATC sont régies par l’article 2 [mod. par L.C. 1996, ch. 20, art. 108a); 2003, ch. 22, art. 150(A), 225q)(A)] de la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile et par l’article 6 du Règlement sur la radiocommunication, DORS/96‑ 484. Leur contenu se limite à la sécurité et à la navigation de l’aéronef, aux activités de l’appareil et à l’échange de messages pour le compte du public. Les messages sont transmis sur des fréquences réservées expressément au service aéronautique. Les utilisateurs de ces fréquences ont l’obligation légale de ne pas s’identifier nommément (paragraphe 18 des motifs du jugement de première instance).

[15]         Les communications ATC peuvent être des communications air‑sol, sol‑air ou sol‑sol, c’est‑à‑dire depuis la tour de contrôle vers le personnel navigant en vol ou au sol, ou vers des véhicules au sol. Les contrôleurs communiquent aussi, au moyen d’interphones, avec d’autres tours de contrôle et d’autres véhicules se trouvant sur la piste (Sabourin Estate v. Watterodt Estate (2005), 213 B.C.A.C. 301 (C.A.)). L’objet des communications entre les contrôleurs de la circulation aérienne ou les spécialistes de l’information de vol et l’équipage d’un aéronef est d’assurer la sécurité et l’efficacité du décollage, du vol et de l’atterrissage de l’aéronef et des aéronefs environnants (affidavit de Kathleen Fox, D.A., volume 4, page 834, paragraphe 28).

[16]         Comme je l’ai dit plus haut, toutes les communications ATC d’entrée et de sortie doivent être enregistrées par NAV CANADA. Elles sont conservées pendant une période de 30 jours. Lorsque se produit un « accident aéronautique », la bande concernée est mise de côté pour que son intégrité soit préservée. La bande est mise hors service, placée dans un contenant et entreposée dans un endroit sûr où elle ne peut être altérée.

[17]         L’expression « accident aéronautique » est définie ainsi, à l’article 2 de la Loi sur le BST :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[. . .]

« accident aéronautique » Tout accident ou incident lié à l’utilisation d’un aéronef. Y est assimilée toute situation dont le Bureau a des motifs raisonnables de croire qu’elle pourrait, à défaut de mesure corrective, provoquer un tel accident ou incident.

[18]         La mission du BST est décrite au paragraphe 7(1) de la Loi sur le BST. Le paragraphe 7(2) fait état d’une importante restriction. Les deux dispositions sont ainsi formulées :

7. (1) Le Bureau a pour mission de promouvoir la sécurité des transports :

a) en procédant à des enquêtes indépendantes, y compris des enquêtes publiques au besoin, sur les accidents de transport choisis, afin d’en dégager les causes et les facteurs;

b) en constatant les manquements à la sécurité mis en évidence par de tels accidents;

c) en faisant des recommandations sur les moyens d’éliminer ou de réduire ces manquements;

d) en publiant des rapports rendant compte de ses enquêtes et présentant les conclusions qu’il en tire.

(2) Dans ses conclusions, le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales; ses conclusions doivent toutefois être complètes, quelles que soient les inférences qu’on puisse en tirer à cet égard.

[19]         Le BST explique (au paragraphe 25 de son exposé des faits et du droit) que l’objet de l’enquête sur un accident aéronautique civil est d’élucider les causes possibles de l’accident et de repérer les éléments susceptibles d’être rectifiés, et d’éviter d’autres accidents. L’objet de l’enquête n’est pas d’attribuer les responsabilités, qu’elles soient pénales, civiles ou disciplinaires.

[20]         Les enregistrements contrôle, y compris les communications ATC, bénéficient d’un certain niveau de confidentialité en vertu de la Loi sur le BST. L’alinéa 29(1)a) de la Loi sur le BST définit ainsi un enregistrement contrôle :

29. (1) Au présent article, « enregistrement contrôle » s’entend de tout ou partie de l’enregistrement, de la transcription ou d’un résumé appréciable de toute communication :

a) relative au contrôle de la circulation aérienne ou aux questions connexes, entre les contrôleurs de la circulation aérienne, les équipages d’aéronefs, les conducteurs de véhicules d’aéroport, les spécialistes de l’information de vol ou les personnes qui relaient les renseignements relatifs au contrôle de la circulation aérienne ou aux questions connexes;

[21]         Le paragraphe 29(6) [mod. par L.C. 1998, ch. 20, art. 18] de la Loi sur le BST prévoit expressément qu’un enregistrement contrôle qui a été obtenu par le BST conformément au mandat que lui confie sa loi constituante ne doit pas être utilisé contre les personnes mentionnées au paragraphe (1) (c’est‑à‑dire les contrôleurs de la circulation aérienne, les équipages d’aéronefs, les conducteurs de véhicules d’aéroport, les spécialistes de l’information de vol ou les personnes qui relaient les renseignements relatifs au contrôle de la circulation aérienne ou aux questions connexes) dans des procédures judiciaires ou, sous réserve de la convention collective applicable, dans des procédures disciplinaires. Le paragraphe 29(6) prévoit ce qui suit :

29. (1) [. . .]

(6) Dans les procédures judiciaires ou, sous réserve de la convention collective applicable, dans le cadre de procédures disciplinaires, il ne peut être fait usage contre les personnes mentionnées au paragraphe (1) des enregistrements contrôle obtenus en application de la présente loi.

[22]         Une disposition beaucoup plus rigoureuse protège les « enregistrements de bord » reçus par le poste de pilotage d’un aéronef. L’expression est définie au paragraphe 28(1) [mod., idem, art. 17] de la Loi sur le BST. Le paragraphe 28(1) de la Loi sur le BST et l’article 24 de la Loi sur l’accès à l’information prévoient expressément une exception obligatoire pour ces enregistrements et transcriptions.

[23]         L’article 28 de la Loi sur le BST est ainsi formulé :

RENSEIGNEMENTS PROTÉGÉS

28. (1) Au présent article, « enregistrement de bord » s’entend de tout ou partie soit des enregistrements des communications orales reçues par le poste de pilotage d’un aéronef, par la passerelle ou toute salle de contrôle d’un navire, par la cabine d’une locomotive ou par la salle de contrôle ou de pompage d’un pipeline, ou en provenant, soit des enregistrements vidéo des activités du personnel assurant le fonctionnement des aéronefs, navire, locomotive ou pipeline, qui sont effectués à ces endroits à l’aide du matériel d’enregistrement auquel le personnel n’a pas accès. Y sont assimilés la transcription ou le résumé substantiel de ces enregistrements.

(2) Les enregistrements de bord sont protégés. Sauf disposition contraire du présent article, nul ne peut, notamment s’il s’agit de personnes qui y ont accès au titre de cet article :

a) sciemment, les communiquer ou les laisser communi-quer;

b) être contraint de les produire ou de témoigner à leur sujet lors d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre.

(3) Les enregistrements de bord relatifs à un accident de transport faisant l’objet d’une enquête prévue par la présente loi sont mis à la disposition de l’enquêteur qui en fait la demande dans le cadre de sa mission.

(4) Le Bureau peut utiliser les enregistrements de bord obtenus en application de la présente loi comme il l’estime nécessaire dans l’intérêt de la sécurité des transports, mais, sous réserve du paragraphe (5), il ne peut sciemment communiquer ou laisser communiquer les parties de ces enregistrements qui n’ont aucun rapport avec les causes et facteurs de l’accident de transport faisant l’objet de l’enquête ou avec les manquements à la sécurité.

(5) Le Bureau est tenu de mettre les enregistrements de bord obtenus en application de la présente loi à la disposition :

a) [Abrogé, 1998, ch. 20, art. 17]

b) des coroners qui en font la demande pour leurs enquêtes;

c) des personnes qui participent aux enquêtes coordonnées visées à l’article 18.

(6) Par dérogation aux autres dispositions du présent article, le tribunal ou le coroner qui, dans le cours de procédures devant lui, est saisi d’une demande de production et d’examen d’un enregistrement de bord examine celui‑ci à huis clos et donne au Bureau la possibilité de présenter des observations à ce sujet après lui avoir transmis un avis de la demande, dans le cas où celui‑ci n’est pas partie aux procédures. S’il conclut, dans les circonstances de l’espèce, que l’intérêt public d’une bonne administration de la justice a prépondérance sur la protection conférée à l’enregistrement par le présent article, le tribunal ou le coroner en ordonne la production et l’examen, sous réserve des restrictions ou conditions qu’il juge indiquées; il peut en outre enjoindre à toute personne de témoigner au sujet de cet enregistrement.

(7) Il ne peut être fait usage des enregistrements de bord dans le cadre de procédures disciplinaires ou concernant la capacité ou la compétence d’un agent ou employé relativement à l’exercice de ses fonctions, ni dans une procédure judiciaire ou autre contre les contrôleurs de la circulation aérienne, les régulateurs de trafic maritime, les aiguilleurs, le personnel de bord des aéronefs, navires—y compris, dans ce dernier cas, les capitaines, officiers, pilotes et conseillers glaciologues—ou trains, les conducteurs de véhicules d’aéroport, les spécialistes de l’information de vol, les personnes qui relaient les renseignements relatifs au contrôle de la circulation aérienne ou ferroviaire ou du trafic maritime ou aux questions connexes et les personnes qui assurent le fonctionnement des pipelines.

(8) Pour l’application du paragraphe (6), ont pouvoirs et qualité de tribunal les personnes nommées ou désignées pour mener une enquête publique sur un accident de transport conformément à la présente loi ou à la Loi sur les enquêtes.

[24]         L’article 24 de la Loi sur l’accès à l’information est ainsi formulé :

Interdictions fondées sur d’autres lois

24. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II.

[. . .]

ANNEXE II [mod. par L.C. 1989, ch. 3, art. 38]

Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports

paragraphes 28(2) et 31(4)

[25]         Le BST était au départ d’avis que les renseignements contenus dans les communications ATC étaient des renseignements personnels, mais que le public y avait accès parce que certains des renseigne-ments, à savoir les conversations transmises sur des fréquences radio publiques, pouvaient, avec la technologie adéquate, être interceptés par un membre du public. Par conséquent, le BST considérait que, si une demande d’accès à des communications ATC était faite après la clôture d’une enquête, il n’y avait aucune raison d’en refuser la divulgation.

[26]         Par la suite, on a pensé que les renseignements en cause devaient sans doute être soustraits à la divulgation en vertu de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information. Le BST est arrivé à la conclusion que les communications ATC contenaient des renseignements personnels. Puis le BST devait se demander si les communications ATC devraient de toute manière être divulguées parce que le public avait accès aux renseignements ou parce que l’intérêt public dans la divulgation justifiait clairement une atteinte à la vie privée. Selon le BST, il était impossible de dire que le public avait accès aux renseignements au sens du paragraphe 19(2) de la Loi sur l’accès à l’information, et l’intérêt public dans la divulgation des renseignements ne justifiait pas clairement une atteinte à la vie privée.

[27]         L’appelant souscrivait à l’origine à cette manière de voir. Il l’avait fait notamment dans le cas du vol 111 de Swiss Air en 1998, mais il a depuis changé d’avis.

La norme de contrôle

[28]         Les parties ne contestent pas la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la norme de contrôle est la décision correcte.

[29]         La décision du BST concerne un refus obligatoire de divulgation aux termes du paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information, et elle se doit d’être correcte. Par ailleurs, la juge de première instance siège en tant qu’instance de révision dans une demande fondée sur l’article 41. Elle est investie d’un pouvoir de révision de novo (arrêt Dagg, au paragraphe 107) et sa décision se doit elle aussi d’être correcte.

Le point essentiel soulevé dans le présent appel

[30]         Le point essentiel soulevé dans le présent appel est de savoir si les communications ATC sont des « renseignements personnels » au sens de la Loi sur l’accès à l’information.

La structure de la législation applicable

[31]         Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information soustrait à la divulgation les « renseigne-ments personnels », expression définie à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le paragraphe 19(1) de la Loi sur l’accès à l’information est ainsi formulé :

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[32]         L’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est ainsi formulé :

3. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[. . .]

« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle‑ci visée par règlement;

f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur;

g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;

h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle‑ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;

i) son nom lorsque celui‑ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui‑ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;

k) un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation;

l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui‑ci et la nature précise de ces avantages;

m) un individu décédé depuis plus de vingt ans.

[33]         L’article 4 de la Loi sur l’accès à l’information, qui confère le droit d’accès, prévoit notamment ce qui suit :

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

a) les citoyens canadiens;

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

[34]         Le mot « notamment », que l’on trouve dans la définition de « renseignements personnels », à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, donne à penser que les mots introductifs (« “renseignements personnels” Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable ») doivent être interprétés d’une manière libérale et que l’énumération qui suit n’est pas limitative, mais seulement exemplative. Plus loin, l’article 3 renferme une liste d’exceptions à la définition de « renseignements personnels ». Ces exceptions s’appliquent uniquement « pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information ». L’une de ces exceptions est l’alinéa 3j), qui comprend le sous‑alinéa 3j)(iii).

« Renseignements personnels » : Les principes directeurs d’interprétation

[35]         La Cour suprême du Canada a affirmé à plusieurs reprises que la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information doivent être lues ensemble comme s’il s’agissait d’un « code homogène », suivant un « modèle d’interprétation “parallèle” » qui met en équilibre les valeurs antagonis-tes de l’accès à l’information et de la protection de la vie privée : voir l’arrêt Dagg, aux paragraphes 45 et 55 à 57; [Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 R.C.S. 66], aux paragraphes 21 et 22 (GRC); l’arrêt Cie H.J. Heinz Co. du Canada ltée c. Canada (Procureur général), [2006] 1 R.C.S. 441, aux paragraphes 2, 22, 25 (Heinz). Toutefois, à l’intérieur de cette législation pondérée, le droit à la vie privée bénéficie d’une préférence dans certains contextes, ainsi que l’a récemment confirmé la Cour suprême dans l’arrêt Heinz, au paragraphe 26 :

Cependant, le lien étroit qui existe entre le droit d’accès à l’information et le droit à la vie privée ne signifie pas qu’il y a lieu d’accorder en tout temps une valeur égale à tous les droits. Le régime législatif établi par la LAI et la LPRP indique clairement que, lorsqu’il est question des renseignements personnels  d’un  individu, le droit à la vie privée l’emporte sur le droit d’accès à l’information, sauf dans la mesure prévue par la loi. Les deux lois comportent des interdictions de divulguer des renseignements personnels, plus particulière-ment à l’art. 8 LPRP et à l’art. 19 LAI. Ainsi, bien que le droit à la vie privée soit l’élément déterminant de la LPRP, il est également reconnu et appliqué par la LAI. [Non souligné dans l’original.]

[36]         Dans l’arrêt Dagg, le juge La Forest, qui avait rédigé un avis dissident, mais aux propos duquel les juges majoritaires s’étaient ralliés sur ce point (voir le paragraphe 1), décrivait ainsi la portée de la définition de l’expression « renseignements personnels » (paragraphes 68 et 69) :

Gardant à l’esprit ces principes généraux, je vais maintenant examiner si les renseignements demandés par l’appelant sont des renseignements personnels au sens de l’art. 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La disposition liminaire de cet article définit l’expression « renseignements personnels » comme étant « [l]es renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment ». Selon son sens clair, cette définition est indéniablement large. En particulier, elle précise que la liste des exemples particuliers qui suit la définition générale n’a pas pour effet d’en limiter la portée. Comme l’a récemment jugé notre Cour, cette phraséologie indique que la disposition liminaire générale doit servir de principale source d’interprétation. L’énumération subséquente ne fait que donner des exemples du genre de sujets visés par la définition générale; voir Schwartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, aux pp. 289 à 291. En conséquence, si un document de l’administration fédérale est visé par cette disposition liminaire, il importe peu qu’il ne relève d’aucun des exemples donnés.

Comme l’a souligné le juge en chef adjoint Jerome dans Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Solliciteur général), précité, à la p. 557, la formulation de cet article est « délibérément large » et « illustre tout à fait les efforts considérables qui ont été déployés pour protéger l’identité des individus ». Elle semble destinée à viser tout renseignement sur une personne donnée, sous la seule réserve d’exceptions précises; voir J. Alan Leadbeater, « How Much Privacy for Public Officials? », allocution prononcée devant l’Association du Barreau canadien (Ontario), le 25 mars 1994, à la p. 17. Une telle interprétation s’accorde avec le texte clair de la Loi, avec son historique législatif et avec le statut privilégié et fondamental du droit à la vie privée dans notre culture sociale et juridique. [Non souligné dans l’original.]

[37]Les vues du juge La Forest ont été confirmées à l’unanimité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt GRC, au paragraphe 23.

[38]         Les mots auxquels je dois m’intéresser dans la présente analyse sont les suivants : « “renseignements personnels” Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment » (« “personal information” means information about an identifiable individual that is recorded in any form including »).

[39]         Il faut d’abord considérer le mot « concernant » (about).

[40]         Le Petit Larousse illustré renferme ce qui suit :

concernant : À propos de, au sujet de.

[41]         Le Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française renferme ce qui suit :

concernant : À propos de, au sujet de. relatif (à), 1. touchant […] En ce qui concerne.

[42]         Le Concise Oxford Dictionary of Current English, 8e éd. nous dit que le mot comprend les définitions suivantes :

about : 1 a on the subject of, in connection with (a book about birds; what are you talking about?; argued about money). b. relating to (something funny about this).

[43]         Ces deux mots, « concernant » et « about », nous apprennent peu de choses sur la nature précise des renseignements qui se rapportent à l’individu, si ce n’est pour dire que les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, sont pertinents s’il s’agit de renseignements « concernant » un individu et s’ils permettent d’identifier l’individu ou rendent possible son identification. Il existe des précédents selon lesquels un individu « identifiable » est une personne dont il est raisonnable de croire qu’elle pourra être identifiée à l’aide des renseignements en cause s’ils sont combinés avec des renseignements d’autres sources (Colin H. H. McNairn et Christopher D. Woodbury, Government Information : Access and Privacy (Toronto : Carswell, 1992), à la page 7‑5; Ontario (Attorney General) v. Ontario (Information and Privacy Commissioner) (2001), 39 Admin. L.R. (3d) 112 (C. div. Ont.), confirmé par [sub nom. Ontario (Attorney General) v. Pascoe] (2002), 22 C.P.R. (4th) 447 (C.A. Ont.)).

[44]         Les « renseignements personnels » doivent cependant être vus comme l’équivalent de renseigne-ments entrant dans le droit d’une personne à la vie privée. L’article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels donne le ton en disposant que :

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels relevant des institutions fédérales et de droit d’accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.

[45]         La Loi sur la protection des renseignements personnels, adoptée en 1982 [S.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 111, ann. II], fut l’une des réponses du législateur au développement du droit à la vie privée. Dans un article qui a fait école, intitulé « The Right to Privacy », [1890‑91] 4 Harv. L. Rev. 193, Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis écrivaient ce qui suit, à la page 193 :

[traduction] L’idée que l’individu jouisse d’une protection intégrale de sa personne et de ses biens est un principe aussi ancien que la common law; mais l’on a périodiquement jugé nécessaire de définir à nouveau la nature et l’étendue précises de cette protection. L’évolution politique, sociale et économique impose la reconnaissance de droits nouveaux, et la common law, en sa jeunesse éternelle, se développe afin de répondre aux besoins de la société.

[46]         La notion de vie privée s’est révélée suffisamment vivace pour coller à la description qu’en avait donnée le juge Brandeis (Olmstead v. United States, 277 U.S. 438 (1928), à la page 478), c’est‑à‑dire le [traduction] « droit le plus précieux de l’homme civilisé », et elle a fait son chemin dans les doctrines constitutionnelles des États‑Unis et du Canada (voir Stanley A. Cohen, Privacy, Crime and Terror : Legal Rights and Security in a Time of Peril, (Markham : LexisNexis Butterworths, 2005), à la page 9).

[47]         Dans l’arrêt R. c. Dyment, [1988] 2 R.C.S. 417, aux pages 427 et 428 (juge La Forest) (Dyment), la Cour suprême du Canada s’exprimait ainsi, à propos de la notion de vie privée :

Fondée sur l’autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien‑être. Ne serait‑ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l’ordre public. L’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique.

[48]         Une interprétation de l’expression « renseigne-ments personnels » qui serait fondée sur la notion de vie privée ne permettra pas de répondre d’une manière concluante aux questions intéressant le champ précis de l’expression « renseignements personnels ». Toutefois, comme je m’en explique ci‑après, cette interprétation, si étendue soit‑elle, saisit l’essence de la définition et, à mon avis, elle suffit à trancher le présent appel.

La notion de vie privée

[49]         Dans l’arrêt Dagg, le juge La Forest relevait, au paragraphe 67, que la notion de vie privée est une notion générale quelque peu évanescente, et qu’il était nécessaire de décrire avec plus de précision les droits à la vie privée qui sont garantis. Il s’est référé aux propos qu’il avait tenus dans l’arrêt Dyment, aux pages 429 et 430, où il avait évoqué en ces termes le rapport du groupe d’étude établi conjointement en 1972 par le ministère des Communications et le ministère de la Justice, intitulé L’ordinateur et la vie privée :

Enfin il y a le droit à la vie privée en matière d’information. Cet aspect aussi est fondé sur la notion de dignité et d’intégrité de la personne. Comme l’affirme le groupe d’étude (à la p. 13) : « Cette conception de la vie privée découle du postulat selon lequel l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend. » Dans la société contemporaine tout spécialement, la conservation de renseignements à notre sujet revêt une importance accrue. Il peut arriver, pour une raison ou pour une autre, que nous voulions divulguer ces renseignements ou que nous soyons forcés de le faire, mais les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués. Tous les paliers de gouvernement ont, ces dernières années, reconnu cela et ont conçu des règles et des règlements en vue de restreindre l’utilisation des données qu’ils recueillent à celle pour laquelle ils le font; voir, par exemple, la Loi sur la protection des renseignements personnels. [Non souligné dans l’original.]

[50]         Puis le juge La Forest ajoutait, à la fin au paragraphe 67 de l’arrêt Dagg :

Voir également R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, à la p. 46 (« la vie privée peut se définir comme le droit du particulier de déterminer lui‑même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant »); R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, aux pp. 613 à 615 (le juge L’Heureux‑Dubé, dissidente); Westin, op. cit., à la p. 7 ([traduction] « [l]a vie privée est le droit du particulier [. . .] de décider lui‑même quand, comment et dans quelle mesure des renseignements le concernant seront communiqués à autrui »; Charles Fried, « Privacy » (1968), 77 Yale L.J. 475, à la p. 483 ([traduction] « [l]a vie privée de quelqu’un [. . .] est le contrôle de la connaissance que l’on peut avoir à son sujet »). [Non souligné dans l’original.]

[51]         Le groupe d’étude cité dans l’arrêt Dyment [à la page 429], disait que « l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend » [non souligné dans l’original]. On trouve les mêmes notions d’intimité et d’identité dans le passage de l’arrêt Duarte [R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, à la page 46] cité dans l’arrêt Dagg [à la page 435] : « le droit du particulier de déterminer lui‑même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels le concernant » [non souligné dans l’origi-nal]. Alan F. Westin [Privacy and Freedom, New York : Atheneum, 1970] parle pour sa part du « droit du parti-culier […] de décider lui‑même quand, comment et dans quelle mesure des renseignements le concernant seront communiqués à autrui » (non souligné dans l’original). Charles Fried « Privacy » (1968), 77 Yale L.J. 475, à la page 483] dit quant à lui que « [l]a vie privée de quelqu’un […] est le contrôle de la connaissance que l’on peut avoir à son sujet » (non souligné dans l’original) [cité dans l’arrêt Dagg, à la page 435].

[52]         La notion de vie privée intègre donc celles d’intimité, d’identité, de dignité et d’intégrité de l’individu.

[53]         Les renseignements en cause ne sont pas des renseignements « concernant » un individu. Comme l’a dit la juge de première instance (au paragraphe 18 de ses motifs), le contenu des communications se limite à la sécurité et à la navigation de l’aéronef, aux activités de l’aéronef et à l’échange de messages pour le compte du public. Elles contiennent des renseignements relatifs à la situation de l’aéronef, aux conditions météorologiques, à diverses questions intéressant le contrôle de la circulation aérienne et aux propos échangés par les pilotes et les contrôleurs. Ce ne sont pas là des sujets qui font intervenir le droit de l’individu à sa vie privée.

[54]         Les renseignements contenus dans les documents en cause sont de nature professionnelle et non personnelle. Ils pourraient avoir pour effet de permettre ou de faciliter l’identification d’une personne. Ils pourraient aider à déterminer comment cette personne s’est acquittée de sa tâche dans une situation donnée. Mais ils ne sont pas pour autant des renseignements personnels. Ce ne sont pas des renseignements concernant un individu, vu qu’ils ne sont pas en corrélation avec la notion de « vie privée » ni avec les valeurs que cette notion vise à protéger. Ce sont des renseignements non personnels, transmis par un individu dans un environnement professionnel.

[55]         La juge de première instance n’a pas bien saisi la fonction des communications ATC et la mission du BST quand elle a dit que « l’unique raison d’être des communications ATC est de permettre, justement, d’évaluer, en cas d’incident, le comportement ou l’action des personnes ayant pris part à ces communications » (paragraphe 25). Cette interprétation n’est pas dans l’esprit des paragraphes 7(1), (2) et  29(6) de la Loi sur le BST, et on ne la trouve pas non plus dans les arguments avancés par le BST devant la Cour (paragraphe 25 de son exposé des faits et du droit, mentionné au paragraphe 19 des présents motifs). Les communications ATC, une fois combinées à d’autres renseignements, pourraient bien dans certains cas être utilisées pour une évaluation des actions de leurs auteurs. Cependant, une telle éventualité ne saurait transformer en soi ces communications en des renseignements personnels, alors que les renseignements qu’elles contiennent n’ont pas de contenu personnel.

[56]         La juge de première instance a aussi appliqué erronément l’arrêt Dagg quand elle s’est référée, dans le présent contexte, au comportement ou à l’action des personnes ayant pris part aux communications ATC. Une analyse de l’arrêt Dagg s’impose ici pour développer ma pensée.

L’arrêt Dagg

[57]         Comme je l’ai dit plus haut, la juge de première instance a repris (au paragraphe 14 de ses motifs) la phrase suivante qui apparaît au paragraphe 94 des motifs exposés par le juge La Forest dans l’arrêt Dagg :

[. . .] les renseignements qui concernent principalement des personnes elles‑mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des « renseignements personnels ». [Souligné par la juge de première instance.]

[58]         Elle écrivait plus loin ce qui suit, aux paragraphes 25 et 26 de ses motifs :

Dans le cadre de la mission qui lui est confiée, le BST doit se pencher sur la manière dont les individus en cause ont accompli les tâches qui leur incombent. Quelle est la cause de l’accident? Y a‑t‑il eu des manquements à la sécurité? Plus précisément, les actions des contrôleurs ou des pilotes en cause ont‑elles contribué à l’accident? Les communications ATC sont un des moyens importants d’évaluer le comportement individuel des personnes concernées. Les communications ATC servent à évaluer la manière dont les contrôleurs de la circulation aérienne et le personnel naviguant ont choisi d’accomplir les tâches qui leur sont confiées. Très simplement, on peut dire que l’unique raison d’être des communications ATC est de permettre, justement, d’évaluer, en cas d’incident, le comportement ou l’action des personnes ayant pris part à ces communications.

Pour ces motifs, je conclus que ces communications « concernent » les individus en cause.

[59]         Dans l’arrêt Dagg, la Cour suprême devait dire si les copies des feuilles portant les noms, numéros d’identification et signatures des employés du ministère des Finances qui étaient entrés au travail certaines fins de semaine constituaient des renseignements « “portant sur [leur] poste ou [leurs] fonctions”, au sens de l’exception établie par l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels » (juge Gonthier, arrêt GRC, au paragraphe 20; non souligné dans l’original).

[60]         S’exprimant dans l’arrêt Dagg pour les juges majoritaires, à savoir le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, McLachlin [tel était alors son titre] et Iacobbucci, le juge Cory avait reconnu avec le juge La Forest, dissendent, à l’avis duquel avaient souscrit les juges L’Heureux‑Dubé, Gonthier et Major, que les noms apparaissant sur les feuilles de présence étaient des « renseignements personnels » aux fins de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Toutefois, il écrivait, au paragraphe 1, qu’il était arrivé « à une autre conclusion quant à l’application de l’al. 3 “renseignements personnels” j) » (paragraphe 1).

[61]         Le juge Cory s’était exprimé ainsi (aux paragraphes 5 et 6 de l’arrêt Dagg) :

Le juge La Forest conclut, au par. 94, que l’al. 3j) et le sous‑al. 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels :

[. . .] ont pour objet d’exempter seulement les renseignements relatifs aux postes et non ceux concernant telle ou telle personne. Les renseignements relatifs au poste ne sont donc pas des « renseignements personnels », bien qu’ils puissent incidemment révéler quelque chose au sujet des personnes nommées. Par contre, les renseignements qui concernent principalement des personnes elles‑mêmes ou la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des « renseignements personnels ». [Souligné dans l’original.]

Je  suis  d’accord.  En  outre,  je  conviens  avec   le   juge La Forest qu’« [e]n général, les renseignements concernant le poste [. . .] sont du genre de ceux qu’on trouve dans la description de travail », telles que « les conditions liées au poste, dont les qualités requises, les attributions, les responsabilités, les heures de travail et l’échelle de traitement » (par. 95).

[62]         Le juge Cory disait qu’il souscrivait en principe à cette portion du paragraphe 94 des motifs du juge La Forest,  qui  renferme  les mots également repris par la juge de première instance dans la présente affaire. Il partageait également l’avis du juge La Forest (exprimé au paragraphe 95 de ses motifs) selon lequel « [e]n général, les renseignements concernant le poste […] sont du genre de ceux qu’on trouve dans la description de travail », par exemple « les conditions liées au poste, dont les qualités requises, les attributions, les responsabilités, les heures de travail et l’échelle de traitement ». Toutefois, le juge Cory a appliqué ces conditions différemment (paragraphes 8 et 9 de l’arrêt Dagg). Il s’est dit en désaccord avec le juge La Forest, qui concluait que, puisque les renseignements demandés ne concernaient pas la nature d’un poste, mais l’individu, ils devaient demeurer confidentiels. S’exprimant pour les juges majoritaires, le juge Cory a estimé que les renseignements demandés étaient des renseignements « portant sur son poste ou ses fonctions » et qu’ils n’étaient donc pas des « renseignements personnels ». Il a ordonné que les renseignements demandés soient communiqués.

[63]         Lue dans son contexte, l’observation du juge La Forest, au paragraphe 94 de l’arrêt Dagg (« les renseignements qui concernent […] la manière dont elles choisissent d’accomplir les tâches qui leur sont confiées sont des “renseignements personnels” »), ne concerne à proprement parler que les cadres et employés des institutions fédérales, c’est‑à‑dire l’exception contenue dans l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cette distinction entre renseignements portant sur le poste et renseignements portant sur la personne est inapplicable, voire hors de propos, quant à la définition générale de « renseigne-ments personnels » (« renseignements concernant un individu identifiable ») (voir aussi l’arrêt GRC, aux paragraphes 37 et 38).

[64]         Les employés de NAV CANADA ne sont pas des cadres ou des employés d’une institution fédérale. Les observations du juge La Forest à propos de la pertinence de la distinction entre renseignements portant sur le poste et renseignements portant sur la personne ne s’appliquent donc pas à eux. La juge de première instance a donc commis une erreur en faisant directement cette distinction dans la présente affaire.

L’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information

[65]         Étant arrivée à la conclusion que les communications ATC en cause ici ne sont pas des renseignements personnels selon l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, je dois examiner la question subsidiaire soulevée par NAV CANADA (la seule partie intimée à avoir plaidé cet aspect) : la divulgation de tels renseignements est‑elle interdite en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information? Cet alinéa est ainsi rédigé :

Renseignements de tiers

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

[. . .]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

[66]         Pour que cette disposition soit applicable, il faut montrer que :

(i) les renseignements en cause sont des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques;

(ii) les renseignements sont de nature confidentielle;

(iii) les renseignements sont fournis à une institution fédérale par un tiers; et

(iv) les renseignements ont été traités de façon constante comme des renseignements de nature confidentielle par ce tiers.

[67]         NAV CANADA dit que, dans le cadre de ses activités, elle est requise par la loi de conserver des registres de toutes les radiocommunications échangées entre les contrôleurs et les pilotes. Dans le contexte de ses activités très particulières, NAV CANADA dit que les communications ATC sont des communications « commerciales » au sens de l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information. Elle dit aussi que, parce que les bandes et les transcriptions sont complexes et difficiles à comprendre, elles constituent des renseignements « techniques ».

[68]         Je ne partage pas ce point de vue.

[69]         Le bon sens et l’aide des dictionnaires (Air Atonabee Ltd c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (1re inst.) (QL) (Air Atonabee), au paragraphe 35 nous enseignent que le mot « commercial », appliqué à un renseignement, intéresse en soi le commerce. Il ne s’ensuit pas que, du seul fait que les activités de NAV CANADA consistent à fournir, contre rémunération, des services de navigation aérienne, les renseignements recueillis durant un vol peuvent être qualifiés de « commerciaux ».

[70]         Il est inexact aussi à mon avis de prétendre que l’enregistrement tout entier établi à l’occasion d’un vol constitue des renseignements « techniques » quand seule une partie de cet enregistrement pourrait être ainsi qualifiée, par exemple lorsque sont données des directives précises de vol.

[71]         La deuxième condition de l’exception établie dans l’alinéa 20(1)b) est que les renseignements en cause doivent être de nature confidentielle.

[72]         Selon la jurisprudence, la question de la confidentialité doit être tranchée objectivement : les renseignements mêmes doivent être « intrinsèquement confidentiels » (Société Gamma Inc. c. Canada (Secrétariat d’État), [1994] A.C.F. no 589 (1re inst.) (QL), au paragraphe 8 (Société Gamma); Air Atonabee; Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien‑être social), [1992] A.C.F. no 144 (1re inst.) (QL); confirmée par [1992] A.C.F. no 950 (C.A.) (QL); Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), [2006] 1 R.C.F. 379 (C.A.F.)). Dans la décision Air Atonabee, le juge Mackay proposait la démarche suivante  pour  savoir  si  un  document  donné contenait des « renseignements confidentiels » (au paragraphe 41) :

[. . .] la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c’est‑à‑dire :

a) le contenu du document est tel que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;

c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public.

La Cour a récemment entériné cette manière de voir dans Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) c. Hi‑Rise Group Inc., 2004 CAF 99 (Hi‑Rise).

[73]         C’est manifestement aux parties intimées qu’il appartient de persuader la Cour du caractère confidentiel des renseignements (Canada (Commissaire à l’information) c. Agence de promotion économique du Canada atlantique, [1999] A.C.F. no 1723 (C.A.) (QL), au paragraphe 3 (APECA); Wyeth‑Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 257, au paragraphe 19). Pour s’acquitter de cette obligation de persuasion, les parties intimées doivent apporter une « preuve directe » de la nature confidentielle des renseignements en cause (arrêt APECA, au paragraphe 3), une preuve qui contient « une explication raisonnable [leur] permettant de refuser la communication de documents » (arrêt Wyeth‑Ayerst, au paragraphe 20); « [l]a preuve par affidavit, qui dans l’ordre des choses est vague ou spéculative, ne peut servir d’appui pour justifier une exception en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi » (arrêt Wyeth‑Ayerst, au paragraphe 20).

[74]         À mon avis, NAV CANADA ne s’est tout simplement pas acquittée de son obligation de persuasion, selon la prépondérance de la preuve. Les arguments de NAV CANADA sur cet aspect peuvent être répartis en trois catégories, que j’analyserai successivement : d’abord, NAV CANADA a toujours eu pour principe et comme pratique de préserver la confidentialité des communications ATC; deuxièmement, les attentes raisonnables des pilotes et des contrôleurs militent en faveur d’une telle confidentialité; et troisièmement, une divulgation à des fins d’enquête uniquement est conforme à l’intérêt public.

[75]         D’abord, NAV CANADA s’en rapporte à ses propres politiques et à sa pratique constante pour établir la confidentialité des documents en cause. Cette preuve—qui pour l’essentiel ne fait qu’appuyer une croyance subjective, jusqu’à maintenant non contestée, selon laquelle les documents sont confidentiels—ne suffit pas à satisfaire au critère objectif (arrêt Wyeth‑Ayerst, au paragraphe 21). Cette preuve ne dit pas, par référence aux renseignements effectivement contenus dans les documents en cause, en quoi ou pourquoi les renseignements sont objectivement confidentiels. Le fait que les renseignements aient toujours été tenus confidentiels—et l’affirmation de NAV CANADA sur ce point est contestée par le commissaire—n’est au mieux qu’un facteur à prendre en compte pour savoir si les renseignements sont confidentiels aux fins de l’alinéa 20(1)b) (arrêt Hi‑Rise, au paragraphe 38; arrêt APECA, au paragraphe 4; décision Société Gamma, au paragraphe 8; Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la Condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F. 480 (1re inst.), à la page 487, (la décision Ottawa Football Club)).

[76]         Deuxièmement, NAV CANADA dit que les pilotes et contrôleurs dont les voix et propos sont enregistrés s’attendent légitimement à la confidentialité des communications ATC. NAV CANADA signale à cet égard les dispositions en matière de confidentialité qui se trouvent dans les conventions collectives conclues avec ses syndicats. Ce facteur ne permet cependant pas de trancher la question du statut de tels renseignements au regard de la Loi sur l’accès à l’information : les parties aux conventions collectives ne sauraient, par le seul effet de ces conventions, se soustraire aux dispositions explicites de la Loi sur l’accès à l’information (Hi‑Rise, au paragraphe 38; Ottawa Football Club, à la page 487). De telles conventions pourraient tout au plus être prises en compte en fin d’analyse, au soutien des preuves objectives de confidentialité.

[77]         Troisièmement, NAV CANADA fait valoir que les communications ATC sont transmises au BST sur demande, ainsi que le requiert la loi, à des fins d’enquête uniquement. La confidentialité de ces documents, d’affirmer NAV CANADA, reflète les obligations internationales du Canada aux termes de l’article 5.12, annexe 13, de la Convention de l’OACI (évoqué ci‑dessus, au paragraphe 13 des présents motifs), et elle est conforme à l’intérêt public.

[78]         Les considérations touchant l’intérêt public intéressent effectivement le point de savoir si les documents en cause sont confidentiels aux fins de l’alinéa 20(1)b) : la jurisprudence reconnaît que la confidentialité d’un renseignement est justifiée, en dépit de la Loi sur l’accès à l’information si elle favorise un rapport de confidentialité dans l’intérêt public (voir  Hi‑Rise, au paragraphe 38, et Air Atonabee, au paragraphe 41). Sur ce point, les facteurs à prendre en compte selon la Loi sur l’accès à l’information semblent conformes aux obligations internationales du Canada selon l’article 5.12, qui prévoit que la confidentialité des renseignements doit être préservée à moins que « leur divulgation importe plus que les incidences négatives que cette mesure risque d’avoir, au niveau national et international, sur l’enquête ou sur toute enquête ultérieure ». Toutefois, en l’espèce, NAV CANADA n’a pas expliqué en quoi ni pourquoi le fait de préserver la confidentialité des renseignements en cause ici est conforme à l’intérêt public. Une simple affirmation en la matière ne suffit pas à écarter le droit général d’accès qui est conféré par la Loi sur l’accès à l’information.

[79]         À mon avis, par conséquent, NAV CANADA n’a pas rempli son obligation de prouver que les communications ATC sont confidentielles au sens de l’alinéa 20(1)b). Puisque les deux premières conditions de l’alinéa 20(1)b) ne sont pas observées, il ne m’est pas nécessaire d’examiner les autres conditions énoncées dans cette disposition. J’arrive à la conclusion que l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur l’accès à l’information ne s’applique pas en l’espèce et que les communications ATC en cause ici ne peuvent donc pas être soustraites à la divulgation.

Dispositif pour le dossier A‑165‑05

[80]         L’appel devrait être accueilli, avec dépens dans la présente instance devant la Cour d’appel fédérale, et la décision de la juge de première instance devrait être annulée. Rendant la décision qu’elle aurait dû rendre, je ferais droit aux quatre demandes de contrôle judiciaire et j’ordonnerais au BST de divulguer les documents demandés.

[81]         Le commissaire voudrait obtenir ses dépens en première instance et en appel. Puisque le commissaire, le BST et le procureur général étaient convenus de ne pas requérir l’adjudication de dépens entre eux devant la Cour fédérale, je suis d’avis qu’il ne m’appartient pas de modifier leur entente. Il ne devrait donc pas être adjugé de dépens au commissaire à l’encontre des autres parties devant la Cour fédérale. Compte tenu par ailleurs que le commissaire a fait savoir, devant la Cour fédérale, qu’il ne sollicitait pas de dépens à l’encontre de NAV CANADA, il ne devrait pas être adjugé de dépens au commissaire à l’encontre de NAV CANADA.

Dossier A‑304‑05

[82]         L’appelant fait appel d’une ordonnance d’adjudication de dépens rendue en faveur de NAV CANADA par la juge de première instance le 8 juin 2005.

[83]         Puisque j’arrive à la conclusion, dans le dossier A‑165‑05, que l’appel devrait être accueilli et que la décision de la juge de première instance devrait être annulée, son ordonnance d’adjudication de dépens ne vaut plus. Cet appel devrait être accueilli, et l’ordonnance d’adjudication de dépens rendue par la juge de première instance devrait être annulée.

Le juge en chef Richard : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Evans, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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