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A‑74‑06

2007 CAF 49

Leth Farms Ltd., Wheatland Select Organic Turkey Ltd., et Arnold Leth (appelants)

c.

Le procureur général du Canada et l’Office canadien de commercialisation du dindon (intimés)

Répertorié : Leth Farms Ltd. c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Décary et Ryer, J.C.A.—Vancouver, 14 décembre 2006; Ottawa, 31 janvier 2007.

Agriculture — Appel de la décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre du refus du Conseil national de commercialisation des produits agricoles (le Conseil) d’entendre la plainte des appelants au sujet du calcul de leurs productions commercialisées à l’exportation pour la période réglementée 2003‑2004 au motif que la mesure de réparation ou de redressement demandée outrepassait sa compétence —  Les appelants, des producteurs de dindon biologique du sud de l’Alberta, exportent la quasi‑totalité de leurs produits aux États‑Unis —  Les Alberta Turkey Producers (les ATP) ont attribué aux appelants un contingent de dindon pour la période réglementée 2003‑2004 — Cependant, le Conseil a approuvé la modification du Règlement sur le contingentement de l’Office canadien de commercialisation du dindon (l’OCCD) selon laquelle aucun contingent n’a été attribué aux appelants relativement aux quantités qu’ils souhaitaient commercialiser sur le marché d’exportation pour la période réglementée 2003‑2004 —  Par la suite, les ATP ont demandé à l’OCCD de réduire la pénalité pour commercialisation excessive qui serait infligée à l’Alberta puisqu’elle dépasserait son contingent —  L’OCCD a ensuite renoncé à une tranche de la pénalité pour commercialisation excessive —  Les appelants ont déposé une plainte au Conseil en application de l’art. 7(1)f) de la Loi sur les offices des produits agricoles (la LOPA) affirmant qu’il y avait eu une erreur dans le calcul de leurs productions commercialisées sur le marché d’exportation —  Le Conseil a mal compris la nature de la plainte —  Le Conseil n’a pas respecté ses propres lignes directrices sur les plaintes —  Il devrait se montrer peu disposé à refuser d’instruire une plainte au motif de son incompétence —  La Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que l’élément principal de la mission du Conseil se rapportait à la création d’offices sous le régime de l’art. 6(1)a) de la LOPA et que les éléments prévus aux art. 6(1)b) et c) se limitaient à un rôle de supervision et de facilitation —  De même, la Cour fédérale s’est trompée en se focalisant sur les termes « within its powers » de la version anglaise de l’art. 7(1)f) parce que l’accent mis sur ces termes distrait de l’essence de cette disposition, qui est que le Conseil « prend les mesures qu’il estime appropriées » —  Appel accueilli.

Interprétation des lois —  Appel de la décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre du refus du Conseil national de commercialisation des produits agricoles (le Conseil) d’entendre la plainte au sujet du calcul de productions commercialisées à l’exportation pour la période réglementée 2003‑2004 au motif que la mesure de réparation ou de redressement demandée outrepassait sa compétence —  Il faut tenir compte de l’interdépendance des art. 6(1)b), 7(1)f) et 21 de la Loi sur les offices des produits agricoles (la LOPA) pour établir l’étendue de la compétence du Conseil —  Vu la grande liberté que la LOPA accorde à l’Office canadien de commercialisation du dindon (l’OCCD) touchant la manière d’exercer son activité, le Conseil devrait être habilité à prendre un large éventail de mesures pour contrôler l’activité de l’OCCD, en particulier dans le cas où cette activité donne lieu à une plainte —  Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel de la décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre du refus du Conseil national de commercialisation des produits agricoles (le Conseil) d’entendre la plainte des appelants au sujet du calcul de leurs productions commercia-lisées à l’exportation pour la période réglementée 2003‑2004, ce qui a entraîné une sanction pécuniaire, au motif que la mesure de réparation ou de redressement demandée outre-passait sa compétence. Les appelants produisent du dindon biologique dans le sud de l’Alberta, dont la quasi‑totalité est exportée aux États‑Unis. L’Office canadien de commerciali-sation du dindon (l’OCCD) a instauré un système de contingentement par lequel des contingents sont fixés pour les producteurs de dindon, leur permettant de commercialiser des quantités déterminées de dindon sur les marchés interprovin-cial ou d’exportation sur une période de 12 mois qui commence le 1er mai. Les pouvoirs de répartition et d’administration de ces contingents sont délégués aux offices provinciaux de commercialisation, mais des maximums sont précisés. Les Alberta Turkey Producers (les ATP) ont attribué aux appelants un contingent de 433 534 kg de dindon en poids vif pour la période réglementée 2003‑2004. En novembre 2003, l’OCCD a adopté une modification du Règlement sur le contingentement suivant laquelle aucun contingent n’a été attribué relativement aux quantités que les appelants souhaitaient commercialiser sur le marché d’exportation et le Conseil a approuvé cette modification. Après l’entrée en vigueur du Règlement sur le contingentement, les ATP ont demandé à l’OCCD de réduire la pénalité pour commercialisation excessive qui serait infligée à l’Alberta puisqu’elle dépasserait son contingent, en grande partie du fait des produits commercialisés par les appelants. L’OCCD a adopté une résolution pour renoncer à une tranche des pénalités pour commercialisation excessive de l’Alberta pour la période réglementée 2003‑2004. Les ATP ont informé les appelants de cette résolution et de la pénalité prononcée contre eux. Les appelants ont déposé une plainte auprès du Conseil en application de l’alinéa 7(1)f) de la Loi sur les offices des produits agricoles (la LOPA) affirmant que l’OCCD s’était trompé dans le calcul de leurs productions commercialisées sur le marché d’exportation. Le Conseil a refusé de prendre d’autres mesures au motif que le redressement demandé outrepassait sa compétence.

Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a constaté que la mission du Conseil énoncée à l’article 6 de la LOPA était relativement étroite et que les pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 7 étaient étroitement définis. Elle a conclu que la « règle des choses du même ordre » limitait la portée de l’alinéa 7(1)l) et que les pouvoirs conférés au Conseil par cet alinéa ne comprenaient pas le « pouvoir de directive ». Le point à trancher était celui de savoir si le Conseil a compétence pour instruire la plainte des appelants.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

La conclusion de la Cour fédérale portant que le point à trancher en l’espèce était celui de savoir si l’alinéa 7(1)l) confère au Conseil le « pouvoir de donner des directives » était un excès de raffinement analytique qui a entraîné une erreur de droit.

Il appert des motifs de la décision du Conseil que celui‑ci n’a pas compris correctement la nature de la plainte et qu’il pensait à tort qu’on lui demandait plus que de simplement examiner une erreur supposée dans le calcul des productions commercialisées à l’exportation sur lequel l’OCCD avait fondé sa résolution. En outre, le paragraphe 3 de la partie VI des lignes directrices sur les plaintes du Conseil dispose que celui‑ci peut rejeter une plainte dont l’objet outrepasse sa compétence « après avoir discuté de la situation avec le plaignant ». Cependant, en l’espèce, on n’a pas donné aux appelants la possibilité de discuter ainsi de la situation, en dépit de ces dispositions explicites. Le Conseil devrait se montrer peu disposé à refuser sommairement d’instruire une plainte au motif de son incompétence pour accorder la mesure de redressement demandée. Vu les erreurs commises par le Conseil concernant la nature de la plainte et le fait que ce dernier a contrevenu aux lignes directrices sur les plaintes, sa décision a été annulée.

La Cour fédérale a posé à bon droit qu’il convenait d’examiner les pouvoirs du Conseil dans le contexte de la mission que lui assigne l’article 6. Cependant, ses conclusions selon lesquelles l’élément principal de la mission du Conseil se rapportait à la création d’offices sous le régime de l’alinéa 6(1)a) et que les éléments prévus aux alinéas 6(1)b) et c) se limitaient à un rôle de supervision et de facilitation étaient erronées. On ne trouve rien à l’article 6 qui mènerait à la conclusion que la mission énoncée à l’alinéa 6(1)b) devrait être considérée comme se limitant à des fonctions de supervision ou de facilitation. Qui plus est, la Cour fédérale a interprété l’alinéa 7(1)f) en se concentrant sur les termes « within its powers » de son texte anglais, ce qui l’a amenée à conclure que les pouvoirs du Conseil doivent être limités à ceux qu’énonce le paragraphe 7(1). La Cour s’est ensuite concentrée sur l’alinéa 7(1)l), mais cette approche était erronée parce que l’accent mis sur les termes « within its powers » à l’alinéa 7(1)f) distrayait de l’essence de cette disposition, qui est que le Conseil « prend les mesures qu’il estime appropriées relativement aux plaintes qu’il reçoit ». De même, l’absence, dans le texte français, de l’équivalent de l’expression « within its powers » à l’alinéa 7(1)f) de la LOPA démontre qu’il n’y a pas lieu de leur accorder d’importance particulière dans l’interprétation de l’étendue des pouvoirs du Conseil.

Il faut tenir compte de l’interdépendance de l’alinéa 6(1)b), de l’alinéa 7(1)f) et de l’article 21 de la LOPA pour les interpréter. Les termes « prend les mesures qu’il estime appropriées » de l’alinéa 7(1)f) devraient s’interpréter en fonction de la mission que l’alinéa 6(1)b) assigne au Conseil « de contrôler l’activité des offices afin de s’assurer qu’elle est conforme [à leurs] objets ». La grande liberté que la LOPA accorde à l’OCCD touchant la manière d’exercer son activité est conforme à un large éventail de mesures que le Conseil serait habilité à prendre pour remplir son mandat de contrôle de l’activité de l’OCCD, en particulier dans le cas où cette activité donne lieu à une plainte. Par conséquent, le Conseil devrait ordonner à l’OCCD de corriger une erreur de calcul qu’il aurait commise dans le cadre de son activité.

lois et règlements cités

Alberta Turkey Producers Federal Authorization Order, Alta. Reg. 154/2000.

Décret relatif aux dindons de l’Alberta, C.R.C., ch. 134.

Loi sur les offices des produits agricoles, L.R.C. (1985), ch. F‑4, art. 1 (mod. par L.C. 1993, ch. 3, art. 2), 3 (mod., idem, art. 5), 6 (mod., idem, art. 6), 7 (mod., idem, art. 7), 21, 22.

Ordonnance visant la délégation de contingents de l’Office canadien de commercialisation des dindons, C.P. 1990‑248.

Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des dindons, C.R.C., ch. 647.

Règlement canadien sur le contingentement de la commercialisation du dindon (1990), DORS/90‑231, annexe (mod. par DORS/2004‑72, art. 1).

jurisprudence citée

décision appliquée :

Saskatchewan (Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Revitalisation rurale) c. Canada (Procureur général), 2006 CF 345.

doctrine citée

Conseil national des produits agricoles. Lignes directrices sur le traitement des plaintes présentées au Conseil national des produits agricoles (CNPA) en vertu de l’alinéa 7(1)(f) de la Loi sur les offices des produits agricoles, modifié en octobre 2006, en ligne : <http ://nfpc‑cnpa.gc.ca/francais/publications/plaintes_ lignesdirectrices.html>.

APPEL de la décision de la Cour fédérale ([2006] 3 R.C.F. 633; 2006 CF 68) rejetant la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre du refus du Conseil national de commercialisation des produits agricoles d’entendre la plainte des appelants au sujet du calcul de leurs productions commercialisées à l’exporta-tion pour la période réglementée 2003‑2004 au motif que la mesure de réparation ou de redressement demandée outrepassait sa compétence. Appel accueilli.

ont comparu :

Christopher Harvey, c.r. pour les appelants.

John L. O’Kane pour l’intimé l’Office canadien de commercialisation du dindon.

M. Sean Gaudet pour l’intimé le procureur général du Canada.

avocats inscrits au dossier :

MacKenzie Fujisawa LLP, Vancouver, pour les appelants.

Lawrence, Lawrence, Stevenson, LLP, Brampton (Ontario), pour l’intimé l’Office canadien de commercialisation du dindon.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé le procureur général du Canada.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Ryer, J.C.A. :

INTRODUCTION

[1]Le présent appel porte sur la compétence du Conseil national de commercialisation des produits agricoles (le Conseil), organisme administratif créé par l’article 3 [mod. par L.C. 1993, ch. 3, art. 5] de la Loi sur les offices des produits agricoles, L.R.C. (1985), ch. F‑4 [art. 1 (mod., idem, art. 2)] (la LOPA), dont l’une des fonctions est la surveillance de l’Office canadien de commercialisation du dindon (l’OCCD), qui a lui‑même été institué en application de la partie II de la LOPA.

[2]Les appelants, qui possèdent et exploitent collectivement une entreprise de production, de transformation et de vente de dindon dans le sud de l’Alberta, ont déposé auprès du Conseil, sous le régime de l’alinéa 7(1)f) de la LOPA, une plainte comme quoi l’OCCD avait commis une erreur dans le calcul de leurs productions commercialisées à l’exportation sur une période déterminée et qu’ils avaient fait l’objet d’une sanction pécuniaire par suite de cette erreur. Les appelants demandaient au Conseil d’intervenir pour corriger l’erreur supposée et, en réponse à des demandes d’éclaircissements du Conseil et de ses représentants, ont précisé qu’ils souhaitaient obtenir une [traduction] « [o]rdonnance enjoignant à l’OCCD de calculer correctement la quantité retenue au titre de leurs productions commercialisées sur le marché d’exportation et sur le marché intérieur, conformément aux chiffres réels de ces productions et de cette commercialisation ».

[3]Le Conseil a refusé d’instruire leur plainte au motif que la mesure de réparation ou de redressement qu’ils demandaient outrepassait sa compétence. Les appelants ont alors formé devant la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de cette décision du Conseil, demande que le juge Campbell a rejetée le 24 janvier 2006, par une décision publiée sous la référence [2006] 3 R.C.F. 633.

LE RÉGIME APPLICABLE

[4]La production et la commercialisation du dindon sont étroitement réglementées au Canada, par suite de la convergence des législations fédérale et provinciales, attribuable à un accord fédéral‑provincial conclu en 1973. Une modification de cet accord (l’accord de promotion), effectuée en 1984, prévoit le paiement de pénalités à l’OCCD par l’office provincial concerné dans le cas où la production réelle d’une province dépasserait le contingent attribué à celle‑ci.

[5]La Proclamation visant l’Office canadien de commercialisation des dindons, C.R.C., ch. 647, porte que l’OCCD doit instituer un système de contingente-ment par lequel des contingents sont fixés pour les producteurs de dindon, leur permettant de commercia-liser des quantités déterminées de leurs produits sur les marchés interprovincial ou d’exportation. L’Ordon-nance visant la délégation de contingents de l’Office canadien de commercialisation des dindons, C.P. 1990‑248, prévoit la délégation aux offices provinciaux de commercialisation des pouvoirs de répartition et d’administration des contingents aux fins des commerces interprovincial et d’exportation. En application du Décret relatif aux dindons de l’Alberta, C.R.C., ch. 134, ces pouvoirs sont délégués, pour ce qui concerne l’Alberta, à un organisme appelé Alberta Turkey Producers (les ATP).

[6]Le système de contingentement a été créé en application du Règlement canadien sur le contingen-tement de la commercialisation du dindon (1990), DORS/90‑231 (le Règlement sur le contingentement). Le Règlement sur le contingentement institue un contingent fédéral de commercialisation du dindon sur les marchés interprovincial et d’exportation, applicable à une période de 12 mois qui commence chaque année le 1er mai et qui est désignée « période réglementée » (la période réglementée). Le Règlement sur le contingente-ment contient en outre une annexe qui spécifie la quantité maximale de dindon qu’il est permis de produire dans une province et de commercialiser sur les marchés interprovincial ou d’exportation pour chaque période réglementée. Normalement, on met à jour au moins annuellement l’annexe du Règlement sur le contingentement, afin de fixer le contingent global pour les provinces en fonction des variations du marché du dindon, telles que l’OCCD les perçoit.

[7]L’alinéa 9.b de l’annexe C de l’Accord fédéral‑ provincial prévoyait la conclusion d’un accord distinct entre l’OCCD et les provinces sur le partage des contingents relativement aux nouveaux débouchés d’exportation créés par une province. À cette fin, l’OCCD a élaboré au milieu des années 1980 une politique d’exportation (la Politique d’exportation), qu’il a modifiée à diverses reprises. L’OCCD a par la suite adopté une nouvelle politique d’exportation, entrée en vigueur le 1er décembre 2003 (la Politique d’exportation de 2003), selon laquelle il attribuerait des contingents d’exportation conditionnels à l’office provincial concerné pour répartition entre les producteurs de la province, sous réserve que soient remplis des critères déterminés.

[8]La législation albertaine, en particulier l’Alberta Turkey Producers Federal Authorization Order, Alta. Reg. 154/2000, autorise les ATP à remplir l’ensemble de la mission et à exercer l’ensemble des pouvoirs qui leur ont été délégués en vertu de la législation fédérale susdite. Ainsi, les ATP répartissent entre les producteurs albertains de dindon, pour commercialisation sur le marché albertain et sur les marchés interprovincial et d’exportation, le contingent attribué à l’Alberta sous le régime du Règlement sur le contingentement.

[9]Nous reproduisons ci‑dessous les dispositions de la LOPA qui énoncent les éléments de la mission et les pouvoirs du Conseil qui sont pertinents à l’égard du présent appel [art. 6(1)b) (mod. par L.C. 1993, ch. 3, art. 6), c) (mod., idem), 7(1)d) (mod., idem, art. 7), l) (mod. idem)] :

PARTIE I

CONSEIL NATIONAL DES PRODUITS AGRICOLES

[. . .]

Mission et pouvoirs

6. (1) Le Conseil a pour mission :

a) de conseiller le ministre sur les questions relatives à la création et au fonctionnement des offices prévus par la présente loi en vue de maintenir ou promouvoir l’efficacité et la compétitivité du secteur agricole

b) de contrôler l’activité des offices afin de s’assurer qu’elle est conforme aux objets énoncés aux articles 21 ou 41, selon le cas;

c) de travailler avec les offices à améliorer l’efficacité de la commercialisation des produits agricoles offerts sur les marchés interprovincial, d’exportation et, dans le cas d’un office de promotion et de recherche, sur le marché d’importation ainsi que des activités de promotion et de recherche à leur sujet.

[. . .]

7. (1) Afin de remplir sa mission, le Conseil :

[. . .]

c) examine l’activité des offices et en fait rapport tous les ans au ministre ou, si à son avis les circonstances le justifient, à intervalles plus courts;

d) examine les projets d’ordonnances et de règlements des offices et qui relèvent des catégories auxquelles, par ordonnance prise par lui, le présent alinéa s’applique, et les approuve lorsqu’il est convaincu que ces ordonnances et règlements sont nécessaires à l’exécution du plan de commercialisation ou du plan de promotion et de recherche que l’office qui les propose est habilité à mettre en œuvre;

[. . .]

f) procède aux enquêtes et prend les mesures qu’il estime appropriées relativement aux plaintes qu’il reçoit—en ce qui a trait à l’activité d’un office—des personnes directement touchées par celle‑ci;

[. . .]

l) peut prendre toute autre mesure utile à la réalisation de sa mission

[. . .]

PARTIE II

OFFICES DE COMMERCIALISATION

DES PRODUITS DE FERME

[. . .]

Mission et pouvoirs

21. Un office a pour mission :

a) de promouvoir la production et la commercialisation du ou des produits réglementés pour lesquels il est compétent, de façon à en accroître l’efficacité et la compétitivité;

b) de veiller aux intérêts tant des producteurs que des consommateurs du ou des produits réglementés. [Non souligné dans l’original.]

[10]Le Conseil a publié des lignes directrices [Lignes directrices sur le traitement des plaintes présentées au Conseil national des produits agricoles (CNPA) en vertu de l’alinéa 7(1)F) de la Loi sur les offices des produits agricoles, modifier octobre 2006] (les Lignes directrices sur les plaintes) qui régissent les plaintes déposées devant lui, sous le régime de l’alinéa 7(1)f) de la LOPA, concernant les ordonnances ou règlements, les projets d’ordonnances ou de règlements ou les autres décisions, d’un office qui se rapportent à l’activité de celui‑ci. Les passages pertinents des Lignes directrices sur les plaintes sont les suivants :

IV. GÉNÉRALITÉ DES LIGNES DIRECTRICES

1.             Les Lignes directrices doivent être interprétées libéralement, de façon à assurer que le règlement des plaintes est le plus équitable, le moins coûteux et le plus rapide possible. Pour procurer toute la souplesse requise ou pour éviter toute iniquité, le CNPA ou le Comité peut décider de ne pas tenir compte, en tout ou en partie, des Lignes directrices.

[. . .]

V. MODALITÉS DE DÉPÔT D’UNE PLAINTE

[. . .]

3.             (1) Sous réserve du paragraphe (2), la plainte doit être déposée dans les quinze (15) jours ouvrables suivant la date à laquelle la décision d’un office a été portée ou aurait raisonnablement pu être portée à l’attention du plaignant.

[. . .]

VI. L’ÉTAPE SUIVANT LE DÉPÔT D’UNE PLAINTE

[. . .]

3.             Si le CNPA considère que le plaignant n’est pas directement lésé par l’ordonnance, le règlement, l’ordonnance ou le règlement proposé, ou toute autre décision; que l’affaire n’est pas de la compétence du CNPA; que le plaignant a déposé la plainte trop tard; ou que la plainte est frivole, vexatoire ou autrement immatérielle, le CNPA peut, après avoir discuté de la situation avec le plaignant, rejeter la plainte.

[. . .]

VIII. L’ÉTAPE SUIVANT UNE AUDIENCE ORALE

[. . .]

2.             Le jury prépare un rapport comprenant ses constatations et ses recommandations, qu’il publie et diffuse à toutes les parties.

LES FAITS

[11]Les appelants sont d’importants producteurs et transformateurs de dindon du sud de l’Alberta, attributaires d’un contingent de production et de commercialisation depuis plus de 10 ans. Depuis 2001, les appelants produisent du dindon « biologique », dont la quasi‑totalité est exportée aux États‑Unis.

[12]Les ATP ont attribué aux appelants un contingent de 433 534 kg de dindon en poids vif pour la période réglementée 2003‑2004.

[13]Le 12 juin 2003, les ATP ont demandé à l’OCCD, en vertu de l’article 1.2 de la Politique d’exportation de 2003, un contingent d’exportation à l’égard des productions des appelants à commercialiser sur le marché d’exportation pour la période réglementée 2003‑2004.

[14]Du 12 juin 2003 au 12 janvier 2004, les ATP et l’OCCD ont échangé une quantité considérable de lettres et de renseignements touchant les conditions de l’article 1.2 de la Politique d’exportation de 2003. En outre, les appelants ont essayé en vain de communiquer directement avec l’OCCD concernant ces conditions. Tous ces efforts n’ont pu convaincre l’OCCD que les appelants remplissaient lesdites conditions. Le 12 janvier 2004, l’OCCD a fermé le dossier des appelants, mais il a fait savoir aux ATP que l’affaire pourrait être réexaminée si les appelants lui communiquaient la totalité des renseignements dont il estimait avoir besoin mais n’avait pas reçus.

[15]En fait, l’OCCD avait pris dès avant le 12 janvier 2004 la décision de ne pas attribuer de contingent d’exportation aux appelants pour la période réglementée 2003‑2004, puisqu’il avait adopté en novembre 2003 un projet de modification du Règlement sur le contingentement qui ne prévoyait pas de contingent d’exportation relativement aux quantités que les appelants souhaitaient commercialiser sur le marché d’exportation. Le Conseil a approuvé ce projet de modification du Règlement sur le contingentement en mars 2004, et la modification est entrée en vigueur le 2 avril de la même année [DORS/2004-72, art. 1].

[16]Les appelants n’ont contesté par voie de demande de contrôle judiciaire ni l’adoption du projet de modification du Règlement sur le contingentement par l’OCCD en novembre 2003, ni son approbation par le Conseil en mars 2004.

[17]Après l’entrée en vigueur de la version 2003‑ 2004 du Règlement sur le contingentement, l’OCCD et les APT ont échangé des lettres touchant l’absence de contingents d’exportation conditionnels relativement à la commercialisation des productions des appelants sur le marché d’exportation pour la période réglementée 2003‑2004. Dans une lettre à l’OCCD en date du 6 avril 2004, les ATP déclaraient ce qui suit :

[traduction] La politique actuelle, qui ne prévoit pas la possibilité kilogramme pour kilogramme, est par trop rigoureuse pour ce qui concerne la règle des 59 % en poids vif. Notre exportateur relevant de l’article 1.2 sera mis dans une position de commercialisation tout à fait excessive si l’on applique cette règle. Essentiellement, nous demandons la possibilité d’une position de repli aux conséquences moins rigoureuses pour le cas où les seuils ne seraient pas atteints.

[18]Dans une autre lettre à l’OCCD, en date du 8 juin 2004, les ATP l’ont avisé que l’Alberta aurait probablement dépassé son contingent, en grande partie du fait des produits commercialisés par les appelants, et que la pénalité pour commercialisation excessive qui serait infligée à l’Alberta serait sensiblement réduite s’il accédait à la requête formulée par eux dans leur lettre du 6 avril 2004. Les ATP demandaient [traduction] « qu’il soit tenu pleinement compte [aux exportateurs relevant de l’article 1.2 de la Politique d’exportation de 2003] de leurs productions qui quittent le pays ». Nous notons que les appelants n’ont eu aucune part dans les requêtes formulées par les ATP dans cette correspon-dance.

[19]La déclaration suivante figurait parmi les éléments examinés lors de la réunion du conseil d’administration de l’OCCD des 22 et 23 juin 2004 :

[traduction] Le  bureau  peut vérifier les exportations de 368 484 kg, mais il n’a pas reçu les renseignements nécessaires pour évaluer ces exportations en fonction de l’article 1.2 de la Politique.

Les administrateurs de l’OCCD ont le pouvoir discrétionnaire d’accorder aux ATP la mesure qu’ils demandent dans leur lettre du 7 juin 2004 aux fins de réduction des pénalités pour commercialisation excessive.

[20]Lors de cette réunion, l’OCCD a adopté la résolution suivante (la résolution de juin) :

[traduction] Il est PROPOSÉ par B. Cram, APPUYÉ par P. Ouellette, de renoncer aux pénalités pour commercialisation excessive de l’Alberta pour la période réglementée 2003‑2004 jusqu’à concurrence d’une quantité de 368 474 kg, directement attribuable aux productions commercialisées par Leth Farms sur le marché d’exportation, sous réserve de confirmation par les Alberta Turkey Producers des mesures nécessaires qui seront prises pour contrôler la conformité à la Politique d’exportation de la commercialisation de Leth Farms, renonciation devant prendre effet immédiatement.

[21]Le 7 juillet 2004, l’OCCD a communiqué aux ATP la résolution de juin, accompagnée d’une lettre ainsi libellée :

[traduction] Veuillez trouver ci‑joint la résolution adoptée à la 196e réunion de l’OCCD, qui porte renonciation aux pénalités pour commercialisation excessive de l’Alberta jusqu’à concurrence de 368 474 kg (en poids éviscéré) pour la période réglementée 2003‑2004.

La quantité retenue est celle qui a été exportée selon les documents communiqués par les ATP, établis à partir des exposés de Leth Turkey Farms.

Cette résolution est subordonnée à la condition que les ATP confirment les mesures qu’elles prendront pour faire en sorte que les prescriptions de la Politique d’exportation soient intégralement remplies à l’avenir. Nous croyons comprendre, d’après notre entretien avec les représentants des ATP à Winnipeg, que ces mesures sont en cours d’exécution.

Il ressort clairement des débats de la réunion qu’un traitement spécial de cette nature, rendu nécessaire parce que les exigences de la Politique n’ont pas été remplies, ne peut devenir la règle et qu’il s’agit là d’une mesure destinée à rester exceptionnelle.

[22]Les ATP ont informé les appelants de la résolution de juin par lettre en date du 8 juillet 2004, où l’on peut lire le passage suivant :

[traduction] Les crédits d’exportation accordés par l’Office ont considérablement réduit les niveaux de commercialisation excessive de vos options agricoles.

[23]Cet envoi contenait aussi l’état d’une pénalité de 462 174,07 $ prononcée contre les appelants sur la base du calcul suivant :

[traduction]

PÉNALITÉ POUR COMMERCIALISATION EXCESSIVE EN 2003‑2004,

                                                        FONDÉE SUR UNE PRODUCTION RÉPUTÉE

                                                                       DE 1 268 596 KG (POIDS VIF)

Production réputée                                                                                                                                               1 268 596 kg

Moins déduction marché intérieur                                                                                                                       228 536 kg

Moins crédits d’exportation accordés                                                                                                               447 992 kg

Commercialisation excessive                                                                                                                                592 068 kg

[24]Par suite d’une médiation, les ATP et les appelants sont parvenus à un accord (l’accord de médiation), selon lequel la quantité de commerciali-sation excessive devrait être réduite à 148 471,3 kg, sur la base d’une réduction de la quantité de production réputée. La quantité des « crédits d’exportation » est restée la même1. Cependant, l’accord de médiation pré-voyait que si les appelants parvenaient à obtenir une augmentation de leurs « crédits d’exporta-tion » du Conseil, de l’OCCD ou de la Cour fédérale, l’augmen-tation ainsi obtenue serait portée en déduction de la quantité de commercialisation excessive.

[25]Le 14 juillet 2004, les appelants ont adressé au Conseil une lettre exprimant leur désir de voir réviser la résolution de juin au motif que l’OCCD s’était trompé dans le calcul de leurs productions commercialisées sur le marché d’exportation.

[26]Dans deux lettres aux appelants en date des 20 juillet et 1er octobre 2004, le Conseil a désigné la lettre du 14 juillet 2004 comme étant une plainte et a demandé de plus amples renseignements sur les motifs de cette plainte et le redressement réclamé.

[27]Dans une lettre au Conseil en date du 12 octobre 2004, l’avocat des appelants a exposé les motifs de la plainte, et il a défini la mesure de redressement deman-dée comme étant une ordonnance prescrivant de calculer correctement les productions commercialisées par ses clients sur les marchés d’exportation et intérieur et d’établir les crédits d’exportation en fonction de ces calculs. D’autres lettres ont été échangées par le Conseil et l’avocat des appelants à la fin du mois d’octobre 2004.

[28]Par une lettre en date du 22 novembre 2004, le Conseil a avisé les appelants qu’il n’était pas disposé à prendre d’autres mesures à l’égard de leur plainte, expliquant sa décision dans les termes suivants :

[traduction] Le Conseil a conclu qu’il ne peut vous accorder le redressement que vous demandez, au motif qu’il outrepasserait ainsi sa compétence. En outre, nous savons que l’affaire est devant les tribunaux albertains.

C’est pourquoi le Conseil a décidé qu’il ne pouvait prendre d’autres mesures sur cette question pour l’instant.

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[29]Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, le juge des demandes, le juge Campbell, a conclu que les motifs de la décision du Conseil étaient formulés dans certaines notes d’information envoyées à ses membres et dans certains éléments de la preuve de M. Terrence Hayward, directeur exécutif du Conseil. Les passages pertinents de ces notes d’information et éléments de preuve se trouvent au paragraphe 10 de la décision du juge Campbell. Nous les reproduisons ici :

RECOMMANDATION

Le Conseil ne peut accorder le redressement demandé par le plaignant, n’ayant pas compétence en la matière. Comme les tribunaux de l’Alberta sont maintenant saisis de l’affaire, le Conseil n’est pas disposé à prendre d’autres mesures relativement à cette affaire à l’heure actuelle.

Voici le texte du passage de l’affidavit (dossier du procureur général, à la page 6) :

[traduction]

21. J’ai lu l’affidavit déposé par les demandeurs relativement à la présente demande. Il semblerait, selon ma lecture, qu’ils soient mécontents de la politique d’exportation élaborée par l’OCCD et de son application en ce qui les concerne. Une copie de cette politique est jointe aux présentes sous la cote G. Le Conseil n’a aucun pouvoir de directive en vertu de la Loi pour modifier ou ordonner que soit modifiée la politique d’exportation de l’OCCD.

22. Il ressort aussi de l’affidavit des demandeurs qu’ils se plaignent d’une [traduction] « sanction pour des mises en marché excédentaires intérieures », applicable à la période réglementaire 2003‑2004, s’élevant à 462 174,07 $. Cette sanction a été infligée par l’Alberta Turkey Growers Marketing Board, sur qui le Conseil n’a pas autorité [Non souligné dans l’original.].

Le contre‑interrogatoire s’est déroulé comme suit (dossier de la demande des demandeurs, à la page 69) :

[traduction]

Q             La plainte a été rejetée pour des motifs de compétence, plutôt que pour un motif de procédure ou de délai; est‑ce exact?

R             La plainte n’a pas été rejetée. Aucun suivi ne lui a été donné, sinon l’enquête qu’a effectuée le conseil en vue d’obtenir de M. Leth de l’information pour déterminer ce que le plaignant voulait obtenir, et cela a été pris en compte lorsque le conseil a jugé qu’il n’avait pas le pouvoir de faire ce qu’on lui demandait.

Q            Et le conseil a décidé—je dois avoir cela quelque part— qu’il n’avait pas compétence.

R             D’accorder l’ordonnance demandée, exact.

Q             Et était‑ce parce que le conseil considérait qu’il s’agissait d’une plainte visant la politique d’exportation de l’OCCD plutôt qu’une ordonnance ou un règlement de l’OCCD?

R             Le conseil a reconnu que ce n’était pas une ordonnance ou un règlement de l’OCCD qui était en cause ici. En examinant les documents déposés par le plaignant, le conseil a déterminé que l’action faisant l’objet de la plainte était en réalité une action d’Alberta Turkey Producers à l’égard de laquelle le conseil n’a aucune autorité. [Non souligné dans l’original.]

[30]Les motifs de la demande de contrôle judiciaire étaient formulés dans les termes suivants [au paragraphe 12] :

[traduction] La décision qui a été prise était fondée sur une mauvaise interprétation en matière de compétence et le fait que le droit applicable à cette affaire, bien compris et mis en œuvre, exige que le CNCPA examine la conduite de l’OCCD et s’assure qu’il respecte le mandat qui lui est confié par la loi.

[31]Cependant, le juge des demandes a établi que la seule question à trancher était celle de savoir si le Conseil s’était trompé dans l’interprétation des pouvoirs que lui confère l’article 7 de la LOPA. Il a ensuite précisé, au paragraphe 14, que la question était de savoir si les pouvoirs conférés au Conseil par l’alinéa 7(1)l) comprennent le « pouvoir de donner des directives ».

[32]Le juge des demandes a posé que la portée des pouvoirs énoncés au paragraphe 7 de la LOPA devait être examinée à la lumière de la portée de la mission définie à son article 6. Il a constaté que cette mission avait une définition relativement étroite, faisant observer au paragraphe 17 de sa décision qu’« il ressort clairement de la terminologie employée à l’article 6 que le Conseil n’est pas censé être un exécuteur, mais plutôt un superviseur et un facilitateur voué à des changements positifs ». Il a ensuite déclaré établi que les pouvoirs conférés par l’article 7 sont étroitement définis. Enfin, il a conclu que la « règle des choses du même ordre » devait être appliquée de manière à limiter la portée de l’alinéa 7(1)l) de la LOPA, écrivant ce qui suit au paragraphe 20 :

Par conséquent, en interprétant, conformément à la « règle des choses du même ordre », le pouvoir général conféré par l’alinéa 7(1)l) dans le contexte des fonctions de superviseur et de facilitateur décrites à l’article 6 et des pouvoirs restreints conférés par le paragraphe 7(1) pour s’acquitter de ces fonctions, j’estime que le pouvoir discrétionnaire de « prendre toute autre mesure utile à la réalisation de sa mission » [soulignement ajouté] ne confère certainement pas autre chose de plus qu’un pouvoir de supervision ou de facilitation; en d’autres mots, il n’accorde pas au Conseil un pouvoir de directive lui permettant de prendre une « ordonnance » exigeant que les productions des demandeurs destinées à l’exportation et au marché intérieur soient calculées correctement en conformité avec l’expérience réelle de production et de mise en marché, comme il est demandé dans la lettre du 12 octobre 2004 citée plus haut.

Le juge des demandes a achevé son raisonnement en déclarant que les pouvoirs conférés au Conseil par l’alinéa 7(1)l) de la LOPA ne comprennent pas le « pouvoir de directive » et il a rejeté l’appel.

LA QUESTION EN LITIGE

[33]La question à trancher est celle de savoir si le Conseil a compétence pour instruire la plainte des appelants.

ANALYSE

[34]Le juge des demandes a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision du Conseil selon laquelle il ne pouvait instruire et décider la plainte des appelants de la manière demandée par eux est celle de la décision correcte. Je souscris à cette conclusion.

[35]Le juge des demandes a conclu que le Conseil avait le droit de refuser d’instruire la plainte au motif qu’il n’avait pas compétence pour accorder la mesure de redressement ou de réparation demandée. Il a délimité encore plus étroitement la question en concluant que celle‑ci était de savoir si l’alinéa 7(1)l) de la LOPA confère au Conseil le « pouvoir de donner des directives ». Soit dit avec la plus grande déférence, il s’agissait là d’un excès de raffinement analytique qui a entraîné une erreur de droit.

[36]Pour établir si le Conseil a rendu une décision correcte en refusant d’instruire et de décider de la plainte, il faut interpréter le régime qui lui assigne sa mission et lui confère ses pouvoirs.

[37]Toutes les parties conviennent que la lettre des appelants au Conseil en date du 14 juillet 2004 constitue une plainte au sens de l’alinéa 7(1)f) de la LOPA. Cependant, elles ne semblent pas s’entendre sur la nature de cette plainte.

[38]L’avocat du Conseil et de l’OCCD soutient que la plainte se rapportait au projet de modification du Règlement sur le contingentement pour la période réglementée 2003‑2004 et que, par conséquent, elle a été présentée hors délai. Je dois à regret m’inscrire en faux contre cette proposition. À mon sens, le contenu de la plainte était que la résolution de juin contenait une erreur dans le calcul des productions commercialisées à l’exportation par les appelants pendant la période réglementée 2003‑2004 et que ceux‑ci voulaient faire corriger cette erreur.

[39]La résolution de juin était indubitablement une mesure prise par l’OCCD dans le cadre de son activité. Il se peut que la résolution de juin ait eu pour objet principal la renonciation à une partie de certaines pénalités pour commercialisation excessive établies ou devant être établies contre les ATP, conformément à l’accord de promotion, mais la quantité sur laquelle devait porter la renonciation dépendait du calcul des productions commercialisées par les appelants sur le marché d’exportation. La quantité desdites productions ainsi déterminée par le Conseil avait, et continue d’avoir, un effet direct sur les appelants. Les ATP ont utilisé cette quantité, quelques jours après la résolution de juin, comme facteur pour fixer la pénalité pour commercialisation excessive qu’ils ont prononcée contre les appelants. La pertinence durable de cette quantité ressort à l’évidence de la stipulation de l’accord de médiation selon laquelle toute augmentation de la quantité des productions commercialisées à l’exporta-tion pour la période réglementée 2003‑2004 serait portée en déduction de la pénalité pour commerciali-sation excessive fixée par les ATP à l’égard de cette période. Par conséquent, comme j’ai décidé que la plainte portait sur la résolution de juin et non sur le projet de modification du Règlement sur le contingente-ment, je dois conclure qu’elle a été présentée dans le délai prescrit, puisqu’elle l’a été dans les 15 jours suivant le moment où les appelants ont eu connaissance de ladite résolution, conformément à la partie V, paragraphe 3(1) des Lignes directrices sur les plaintes.

[40]Les motifs de la décision du Conseil, tels que le juge des demandes les a établis, étayent aussi la conclusion que le Conseil n’a pas compris correctement la nature de la plainte. Plus précisément, la déclaration de M. Hayward, directeur exécutif du Conseil, selon laquelle [traduction] «[l]e Conseil n’a aucun pouvoir de directive en vertu de la Loi pour modifier ou ordonner que soit modifiée la politique d’exportation de l’OCCD », indique que le Conseil croyait à tort que les appelants lui demandaient autre chose que de corriger une erreur de calcul supposée dans la résolution de juin. La déclaration de M. Hayward comme quoi la plainte des appelants portait sur la pénalité prononcée par les ATP est une autre indication que le Conseil pensait à tort qu’on lui demandait plus que de simplement examiner une erreur supposée dans le calcul des produc-tions commercialisées à l’exportation sur lequel l’OCCD avait fondé la résolution de juin.

[41]La décision du Conseil de refuser d’instruire la plainte au motif de l’incompétence soulève une autre question, touchant cette fois l’application des disposi-tions des Lignes directrices sur les plaintes. Plus précisé-ment, la partie VI, paragraphe 3 de ces Lignes directrices porte, entre autres choses, que le Conseil peut rejeter une plainte dont l’objet outrepasse sa compétence « après avoir discuté de la situation avec le plaignant ». L’examen des lettres adressées par le Conseil aux appelants et à leur avocat révèle que le Conseil ne parle de son incompétence supposée que dans celle du 22 novembre 2004, où il déclare qu’il n’a pas compétence pour accorder le redressement demandé et qu’il n’est pas disposé à prendre d’autres mesures. On peut se demander ce que les appelants auraient dit si le Conseil les avait informés qu’il ne savait pas s’il lui était permis de [traduction] « prononcer une ordonnance » ou d’exercer un [traduction] « pouvoir de donner des directives » à l’égard d’une décision de l’OCCD. Or on ne leur a pas donné la possibilité de discuter ainsi de la situation, en dépit des dispositions explicites de la partie VI, paragraphe 3 des Lignes directrices sur les plaintes.

[42]Étant donné que c’est à lui‑même, et non au plaignant, qu’il incombe d’établir les mesures de redressement auxquelles, le cas échéant, une plainte doit donner lieu, le Conseil devrait se montrer peu disposé à refuser sommairement d’instruire une plainte au motif de son incompétence pour accorder la mesure de redressement demandée. Il pourrait en effet fort bien arriver que, après avoir instruit la plainte, le Conseil se trouve en position d’accorder un redressement approprié qui serait différent du redressement demandé par le plaignant. Une approche souple de cette nature est compatible avec les dispositions de la partie IV, au paragraphe 1 des Lignes directrices sur les plaintes.

[43]Vu les erreurs commises par le Conseil concernant la nature de la plainte et le fait que ce dernier a contrevenu, de la manière exposée ci‑dessus, aux Lignes directrices sur les plaintes, j’annulerais la décision du Conseil et lui renverrais l’affaire pour instruction de la plainte. À partir de cette conclusion, j’examinerai maintenant l’étendue des pouvoirs du Conseil pour ce qui concerne la décision de la plainte.

[44]Je poserai d’abord en principe que la question du pouvoir du Conseil de décider d’une plainte touchant l’activité de l’OCCD doit être examinée en fonction des faits et circonstances de cette plainte. La partie VIII, paragraphe 2 des Lignes directrices sur les plaintes fait au Conseil l’obligation minimale de publier un rapport comprenant ses constatations et recommandations relatives à la plainte qu’il a instruite. Quant à savoir si un tel rapport aurait satisfait les appelants, c’est là une autre question ouverte, encore que leur avocat ait laissé entendre, à l’audience du présent appel, qu’un tel résultat aurait pu se révéler suffisant. Cela dit, la Cour fédérale a examiné, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire, la question de l’existence d’un pouvoir plus étendu relativement aux plaintes.

[45]Le juge des demandes a posé à bon droit qu’il convient d’examiner les pouvoirs du Conseil, énoncés à l’article 7 de la LOPA, dans le contexte de la mission que lui assigne l’article 6 de la même loi. Cependant, soit dit en toute déférence, je ne souscris pas aux conclusions du juge des demandes selon lesquelles l’élément principal de la mission du Conseil se rapporte à la création d’offices sous le régime de l’alinéa 6(1)a) de la LOPA et que les éléments prévus aux alinéas 6(1)b) et c) du même paragraphe se limitent à un rôle de supervision et de facilitation.

[46]On ne trouve rien à l’article 6 de la LOPA qui mènerait à la conclusion que la mission énoncée à son alinéa 6(1)b)—consistant à contrôler l’activité des offices afin de s’assurer qu’elle est conforme aux objets énoncés à l’article 21—devrait être considérée comme se limitant à des fonctions de supervision ou de facilitation. En fait, le juge Shore paraît avoir retenu la conclusion contraire touchant la nature de la mission du Conseil dans Saskatchewan (Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Revitalisation rurale) c. Canada (Procureur général), 2006 CF 345 (la décision sur l’OCCO), lorsqu’il a examiné les articles 6 et 7 de la LOPA dans le contexte des pouvoirs de l’Office canadien de commercialisation des œufs (l’OCCO), soit l’équivalent de l’OCCD pour la commercialisation des œufs. Le juge Shore formule les observations suivantes aux paragraphes 15 et 16 de cette décision :

Bien que le régime promulgué par le Parlement et le gouverneur en conseil confère à l’OCCO un pouvoir discrétionnaire étendu, ce pouvoir demeure assujetti à certains critères, surtout en ce qui concerne la répartition des contingents supplémentaires. Plus particulièrement, l’OCCO est tenu de prendre en compte certains facteurs (les critères de contingentement supplémentaire) lorsqu’il envisage de prendre un règlement pour établir des contingents supplémentaires. Toute modification du Règlement sur le contingentement doit être approuvée par le Conseil avant d’être adoptée. De plus, la répartition des contingents proposée par l’OCCO de même que d’autres activités opérationnelles de l’OCCO sont assujetties à un mécanisme de plainte prévu par la loi et régi par le Conseil.

Tel que prévu au paragraphe 6(1) de la Loi, la mission du Conseil consiste essentiellement à contrôler l’activité de l’OCCO et des autres offices de même nature « afin de s’assurer qu’elle est conforme aux objets » de ces offices et à conseiller le ministre sur les questions connexes « en vue de maintenir ou de promouvoir l’efficacité et la compétitivité du secteur agricole ». [Non souligné dans l’original.]

[47]Dans la présente espèce, le juge des demandes a interprété l’alinéa 7(1)f) en se focalisant sur les termes « within its powers » de son texte anglais, ce qui semble l’avoir induit à conclure que les pouvoirs du Conseil doivent être considérés comme se limitant à ceux qu’énonce le paragraphe 7(1) de la LOPA. Il s’est ainsi trouvé amené à concentrer son attention sur l’alinéa 7(1)l) de la LOPA. Je dois à regret faire observer que cette approche est erronée, parce que l’accent mis sur les termes « within its powers » distrait de l’essence de cette disposition, qui est que le Conseil « prend les mesures qu’il estime appropriées relativement aux plaintes qu’il reçoit ». Qui plus est, le texte français de l’alinéa 7(1)f) de la LOPA ne contient pas d’équivalent de l’expression « within its powers ». L’absence de ces termes dans le texte français de l’alinéa 7(1)f) de la LOPA milite en faveur de ma thèse qu’il n’y a pas lieu de leur accorder d’importance particulière dans l’interprétation de l’étendue des pouvoirs que cet alinéa confère au Conseil.

[48]L’avocat de l’OCCD fait valoir que le Conseil a déjà conclu dans le cadre d’autres plaintes relevant de l’alinéa 7(1)f) de la Loi qu’il n’a pas compétence pour ordonner à un office de prendre des mesures, mais je note que les éléments qu’il cite à l’appui de cette proposition se rapportent à l’alinéa 7(1)d) de la LOPA et non à son alinéa 7(1)f). Quoi qu’il en soit, le point de savoir si le Conseil possède ou non une telle compétence est une question de droit, pour la résolution de laquelle son opinion n’est pas déterminante.

[49]L’avocat du Conseil a invoqué la décision sur l’OCCO à propos de la thèse que le Conseil ne possède pas le « pouvoir de donner des directives ». Il est vrai que le juge Shore écrit que le Conseil ne possède pas ce pouvoir et ne peut que formuler des recommandations à propos de certaines plaintes sous le régime de l’alinéa 7(1)f) de la LOPA, mais je note aussi qu’il ne cite pas de jurisprudence à l’appui de ces propositions.

[50]Il faut tenir compte de l’interdépendance de l’alinéa 6(1)b), de l’alinéa 7(1)f) et de l’article 21 de la LOPA pour les interpréter. Les termes « prend les mesures qu’il estime appropriées » de l’alinéa 7(1)f) doivent s’interpréter en fonction de la mission que l’alinéa 6(1)b) assigne au Conseil « de contrôler l’activité des offices afin de s’assurer qu’elle est conforme [à leurs] objets ». Les objets de l’OCCD sont énoncés de manière générale à l’article 21 de la LOPA, et ses pouvoirs le sont de manière encore plus générale à l’article 22 de la même Loi. À mon sens, la grande liberté que la LOPA accorde à l’OCCD touchant la manière d’exercer son activité doit nous inciter à considérer comme plutôt large qu’étroit l’éventail des mesures que le Conseil serait habilité à prendre pour remplir son mandat de contrôle de l’activité de l’OCCD, en particulier dans le cas où cette activité donne lieu à une plainte. La nature précise des « mesures appropriées » à prendre par le Conseil à propos d’une plainte déterminée dépend sans aucun doute des faits et circonstances de cette plainte. Cependant, à mon avis, ce serait une mesure appropriée pour le Conseil que d’ordonner à l’OCCD de corriger, sous réserve qu’elle soit établie, une erreur de calcul qu’il aurait commise dans le cadre de son activité.

[51]Étant donné ma conclusion que l’alinéa 7(1)f) de la LOPA confère explicitement au Conseil le pouvoir de prendre des mesures relativement aux plaintes dont il est saisi, et en particulier que le fait d’ordonner à l’OCCD de corriger une erreur de calcul avérée constituerait une telle mesure autorisée, je n’estime pas nécessaire d’examiner le point de savoir si l’alinéa 7(1)l) ou le principe de la compétence par voie de conséquence nécessaire, comme le soutient l’avocat des appelants, conférerait aussi au Conseil le pouvoir d’ordonner à l’OCCD de corriger le calcul des productions des appelants commercialisées sur le marché d’exportation qui a été retenu dans la résolution de juin, dans le cas où l’instruction de la plainte établirait que ce calcul est erroné.

[52]En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision de la Cour fédérale et j’ordonnerais au Conseil d’instruire la plainte des appelants.

La juge Desjardins, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Décary, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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1 L’expression « crédits d’exportation » paraît se rapporter ici à un mécanisme qui était essentiellement utilisé pour établir les contingents d’exportation dans la version de la Politique d’exportation qui a été remplacée par celle de 2003.

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