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 A‑507‑05

2006 CAF 425

Recherches Marines Inc./Marine Research Inc., une corporation dûment constituée selon les lois de la province du Nouveau‑Brunswick (appelante)

c.

Procureur général du Canada (intimé)

Répertorié : Recherches Marines Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Nadon, Pelletier, J.C.A.—Ottawa, 15 novembre; 22 décembre 2006.

Pêches — Appel à l’encontre de la décision de la Cour fédérale, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans a refusé d’octroyer un permis de pêche à des fins scientifiques en vertu du Règlement de pêche (dispositions générales)  — L’appelante a refusé de divulguer des renseignements supplémentaires demandées par le ministère des Pêches et des Océans avant d’émettre le permis — Les art. 8 et 22 du Règlement, qui permettent respectivement au ministre d’exiger des renseignements pertinents supplémentaires et d’assortir le permis de conditions, sont valides en raison de l’application de l’arrêt Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al. — L’exigence du ministre, qui voulait qu’une consultation soit tenue avec les intervenants de la pêche pour compléter la demande, n’était pas déraisonnable — L’obligation de consulter ne se faisait pas dans le cadre d’une condition indiquée au permis, mais plutôt dans le cadre d’une consultation préliminaire à la prise de décision par le ministre d’émettre ou non un permis — L’art. 7 de la Loi donne au ministre une discrétion très large d’émettre ou de refuser d’émettre un permis — Les autres demandes du ministre (quant à l’obtention de protocoles d’échantillonnage et d’informations relatives à l’utilisation des engins de pêche et aux coordonnées géographiques des stations) n’étaient pas déraisonnables non plus, puisqu’il appartient au ministre dans ses discrétions de déterminer la pertinence des renseignements qu’il sollicite — Appel rejeté.


Droit administratif — Appel à l’encontre de la décision de la Cour fédérale, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans a refusé d’octroyer un permis de pêche à des fins scientifiques en vertu du Règlement de pêche (dispositions générales)  — Validité des art. 8 (qui permet au ministre d’exiger  des  renseignements  pertinents   supplémentaires) et 22 (qui permet au ministre d’assortir un permis de conditions) du Règlement — Distinction entre un acte législatif et un acte administratif examinée — Il ressort de l’application de l’arrêt Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al. que les art. 8 et 22 sont valides — Le Règlement énonce les règles de conduite qui peuvent être qualifiées de politique générale — L’art. 22 établit une liste non limitative de sujets précis qui servent de points de repère au ministre dans l’établissement de conditions lors de l’émission d’un permis de pêche — Les art. 43a), b), g) et l) de la Loi servent d’appui à la délégation administrative de l’art. 22 — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel à l’encontre de la décision de la Cour fédérale, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans a refusé d’octroyer à l’appelante un permis de pêche à des fins scientifiques en vertu du Règlement de pêche (dispositions générales) (le Règlement) pris en application de la Loi sur les pêches (la Loi). L’appelante a présenté au ministère des Pêches et des Océans (le Ministère) une demande de permis de pêche à des fins scientifiques. Le projet visait à recueillir les données nécessaires pour produire et mettre en marché des cartes de pêche démontrant la répartition de différentes catégories biologiques et commerciales du crabe des neiges dans le golfe du Saint‑Laurent. Ces cartes étaient principalement destinées aux professionnels de la pêche, mais elles seraient mises à la disposition de tous. L’appelante devait effectuer des sorties en mer pour recueillir les données nécessaires et entendait utiliser divers types d’engins de pêche et faire l’utilisation d’un protocole d’échantillonnage confidentiel pour prélever des espèces non commerciales de crabes pour compléter ses activités. Compte tenu de dangers climatiques, les activités de recherche devaient débuter avant une date précise pour être menées à bien. Étant donné la nature unique de la demande, le Ministère a exigé des informations additionnelles et a demandé à l’appelante de tenir une consultation avec les intervenants de la pêche conformément à une politique, alors en voie d’ébauche, qui s’appliquait aux personnes qui sollicitaient un permis de pêche. L’appelante a appris que le permis serait assujetti à une condition selon laquelle elle se verrait obligée de transmettre au Ministère les données recueillies. L’appelante a cependant refusé de divulguer certaines des informations demandées et sa demande en vue d’obtenir un permis de pêche a été rejetée. Bien que le Ministère ait offert de traiter la question davantage, l’appelante a sollicité le contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada.

Il s’agissait de savoir si les articles 8 (qui permet au ministre d’exiger des renseignements pertinents supplémentaires) et 22 (qui permet au ministre d’assortir un permis de conditions) du Règlement sont invalides et si le rejet de la demande par le ministre était déraisonnable.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La distinction fondamentale entre un acte administratif et un acte législatif est qu’ « [u]n acte législatif est la création et la promulgation d’une règle générale de conduite, sans référence à des cas particuliers; un acte administratif ne peut pas être défini avec précision, mais il comprend l’adoption d’une politique, la formulation et la communication d’une directive spécifique et l’application d’une règle générale à un cas particulier conformément aux exigences de principes, de commodité ou de pratique administrative. » Le Règlement énonce un nombre important de règles de conduite qui peuvent être qualifiées de politique générale. L’article 22 du Règlement est de la même nature que celle des paragraphes 29(4) et (5) du Règlement de pêche de l’Ontario, qui fut déclaré valide comme étant une délégation administrative par la Cour d’appel de l’Ontario dans Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al., décision qui a été confirmée par la Cour suprême du Canada. L’article 22 établit une liste non limitative de sujets précis qui servent de points de repère au ministre dans l’établissement de conditions lors de l’émission d’un permis de pêche. L’article 43 de la Loi, qui énumère les fins admissibles du règlement, notamment les alinéas 43a), b), g) et l) de la Loi, sert d’appui à cette délégation administrative. La validité des articles 8 et 22 du Règlement est régie par l’affaire Peralta. La délégation en l’espèce n’était pas attributive de purs pouvoirs discrétionnaires, ce qui serait invalide. Enfin, il ressort de l’affaire Peralta que le mot « concernant », employé à l’article 22, permet la délégation de l’administration du Règlement.

Pour ce qui est de la décision de la Cour fédérale portant que le ministre n’avait pas agi de façon déraisonnable en exigeant que l’appelante tienne une consultation avec tous les intervenants de la pêche qui pouvaient être affectés par la demande, l’obligation de consulter imposée à l’appelante ne se faisait pas dans le cadre d’une condition indiquée au permis selon l’article 22 du Règlement, mais plutôt dans le cadre d’une consultation préliminaire à la prise de décision par le ministre d’émettre ou non un permis selon l’article 7 de la Loi. L’article 7, qui donne au ministre une discrétion très large, lui permettait de refuser un permis si la consultation demandée n’était pas tenue. La décision de la Cour fédérale n’était donc pas manifestement déraisonnable.

La conclusion de la Cour fédérale portant que l’obtention de protocoles d’échantillonnage était pertinente pour permettre au ministre de déterminer si toutes les mesures avaient été prises afin de minimiser les impacts sur les espèces et leur habitat n’était pas manifestement déraisonnable non plus. Il appartient au ministre dans ses discrétions de déterminer la pertinence des renseignements qu’il sollicite. Enfin, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a statué que la demande par le Ministère d’informations relatives à l’utilisation des engins de pêche, aux coordonnées géographiques des stations ou aux informations recueillies par l’appelante n’était pas déraisonnable.

lois et règlements cités

Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14, art. 34.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14, art. 7, 43 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 12).

Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86‑21.

Règlement de pêche de l’Ontario, C.R.C., ch. 849, art. 29(4),(5), 39(5),(6), 46(2), 59(1), ann. VIII.

Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53, art. 3(4)a), 8, 22 (mod. par DORS/93‑333, art. 4), 27 (mod. par DORS/95‑242, art. 3), 30, 31, 34, 51, 52.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al., Re (1985), 49 O.R. (2d) 705; 7 O.A.C. 283 (C.A.); conf. par sub nom. Peralta c. Ontario, [1988] 2 R.C.S. 1045; Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2006] 3 R.C.F. 610; 2006 CAF 31; Tucker c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2001 CAF 384; confirmant [2000] A.C.F. no 1868 (1re inst.) (QL).

décisions citées :

Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131; Dynamex Canada Inc. c. Syndicat des postiers du Canada, [1999] 3 C.F. 349 (C.A.); Institut canadien des compagnies immobilières publiques et autres c. Corporation de la ville de Toronto, [1979] 2 R.C.S. 2; Butler Metal Products Company Limited c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1983] 1 C.F. 790 (C.A.); Swan c. Canada, [1990] 2 C.F. 409 (1re inst.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

doctrine citée

Brown, Donald J. M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles. Toronto : Canvasback, 1998.

de Smith’s Judicial Review of Administrative Action, 4e  éd. par J. M. Evans. London : Stevens & Sons, 1980.

Garant, Patrice. Droit administratif, 5e éd. Cowansville, Qc : Yvon Blais, 2004.

APPEL à l’encontre de la décision de la Cour fédérale (2005 CF 1287), qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre des Pêches et des Océans a refusé d’octroyer à l’appelante un permis de pêche à des fins scientifiques en vertu de l’article 52 du Règlement de pêche (dispositions générales). Appel rejeté.

ont comparu :

Brigitte Sivret pour l’appelante.

Rosemarie Millar pour l’intimé.

avocats inscrits au dossier :

Brigitte Sivret, Bathurst (Nouveau‑Brunswick), pour l’appelante.

Le sous‑procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge Desjardins, J.C.A. : L’appelante se pourvoit en appel d’une décision rendue par la Cour fédérale (juge Pinard), 2005 CF 1287, laquelle a rejeté sa demande de contrôle judiciaire portant sur le refus du ministre des Pêches et des Océans (le ministre) de lui octroyer un permis de pêche à des fins scientifiques en vertu de l’article 52 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93‑53 (le Règlement) adopté sous l’empire de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F‑14 (la Loi).

A. LE PERMIS DE PÊCHE

[2]Le 12 août 2004, l’appelante, une corporation à but lucratif financée par des investisseurs privés, fit parvenir au bureau régional du ministère des Pêches et des Océans (le Ministère) une demande de permis de pêche à des fins scientifiques.

[3]Le projet visait à recueillir les données nécessaires pour produire et mettre en marché des cartes de pêche démontrant la répartition de différentes catégories biologiques et commerciales du crabe des neiges dans la région sud‑ouest du golfe du Saint‑Laurent. Ces cartes de haute définition, semblables à des cartes de navigation, visaient principalement les professionnels de la pêche. L’appelante prévoyait cependant les rendre accessibles à tous les Canadiens.

[4]Afin de recueillir les données nécessaires, l’appelante projetait d’effectuer au moins 45 jours de sortie en mer entre les mois de septembre et décembre. Elle entendait utiliser divers types d’engins de pêche et faire l’utilisation d’un protocole d’échantillonnage confidentiel qu’elle décrivit comme un « échantillonnage optimisé par stratification selon les termes de la géostatistique et optimisé pour limiter les coûts ». Aucun crabe ne serait débarqué, mais des échantillons d’espèces non commerciales seraient éventuellement prélevés pour des fins de détermination scientifique. Il était impératif que les activités de recherche débutent avant la fin septembre 2004, faute de quoi le projet ne pouvait se réaliser, puisqu’il était trop difficile et dangereux d’effectuer ce genre de sortie l’hiver.

[5]Étant donné la nature unique de la demande, le Ministère exigea de l’appelante des informations additionnelles, en vertu du pouvoir donné au ministre à l’article 8 du Règlement. Le Ministère demanda à l’appelante de lui fournir une copie des protocoles d’échantillonnage, une liste des coordonnées de stations pour chaque type d’engin utilisé ainsi que les coordonnées de l’aire géographique du projet. Il lui demanda aussi de tenir une consultation avec les intervenants de la pêche, soit les regroupements de pêcheurs et les membres des Premières nations qui pêchaient dans les zones visées, et de faire parvenir au Ministère leurs commentaires et réactions face au projet. Une politique, en voie d’ébauche, prévoyait que le Ministère pouvait exiger qu’une personne qui sollicitait un permis de pêche soit tenue de consulter les intervenants de la pêche. Jusqu’alors, il était de coutume que le Ministère procède lui‑même à une telle consultation.

[6]Le Ministère informa l’appelante que le permis serait assujetti à une condition selon laquelle elle se verrait obligée de transmettre au Ministère les données recueillies afin que celui‑ci puisse en faire une analyse subséquente.

[7]Le 23 septembre 2004, l’appelante fit parvenir au Ministère une lettre détaillée de son expert, le Dr Gérard Y. Conan. L’appelante refusa cependant de divulguer certaines des informations qui lui furent demandées. Le 7 octobre 2004, le Ministère communiqua à l’appelante sa décision de ne pas émettre le permis de pêche. Sans les informations demandées, il se dit incapable de compléter son évaluation de la demande.

[8]Dans une lettre subséquente, en date du 3 novembre 2004, le Ministère se déclara prêt à rencontrer l’appelante afin de discuter et clarifier les informations et positions respectives.

[9]L’appelante s’adressa à la Cour fédérale du Canada. Le juge Pinard rejeta la demande de contrôle judiciaire.

B. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTI-NENTES

[10]Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes [art. 43 (mod. par L.C. 1991, ch. 1, art. 12)] :

Baux, permis et licences de pêche


7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries—ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

[. . .]

Règlements

43. Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente loi, notamment :

a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches en eaux côtières et internes;

b) concernant la conservation et la protection du poisson;

c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la manutention, le transport, la possession et l’écoulement du poisson;

d) concernant l’exploitation des bateaux de pêche;

e) concernant l’utilisation des engins et équipements de pêche;

e.1) concernant le marquage, l’identification et l’observation des bateaux de pêche;

e.2) concernant la désignation des observateurs, leurs fonctions et leur présence à bord des bateaux de pêche;

f) concernant la délivrance, la suspension et la révocation des licences, permis et baux;

g) concernant les conditions attachées aux licences, permis et baux;

g.1) concernant les registres, documents comptables et autres documents dont la tenue est prévue par la présente loi ainsi que la façon de les tenir, leur forme et la période pendant laquelle ils doivent être conservés;

g.2) concernant la façon dont les registres, documents comptables et autres documents doivent être présentés et les renseignements fournis sous le régime de la présente loi;

h) concernant l’obstruction et la pollution des eaux où vivent des poissons;


i) concernant la conservation et la protection des frayères;

j) concernant l’exportation de poisson;

k) concernant la prise ou le transport interprovincial de poisson;

l) prescrivant les pouvoirs et fonctions des personnes chargées de l’application de la présente loi, ainsi que l’exercice de ces pouvoirs et fonctions;

m) habilitant les personnes visées à l’alinéa l) à modifier les périodes de fermeture, les contingents ou les limites de taille ou de poids du poisson fixés par règlement pour une zone ou à les modifier pour un secteur de zone. [Je souligne.]

[11]Les dispositions suivantes du Règlement sont aussi pertinentes [art. 22 (mod. par DORS/93-333, art. 4)] :

Demandes de documents

8. (1) Le ministre peut exiger de la personne qui demande un document de fournir :

a) des renseignements qui peuvent être raisonnablement considérés comme pertinents, outre ceux contenus dans la demande;

b) une déclaration solennelle attestant l’exactitude du contenu de la demande ou des renseignements fournis conformément à l’alinéa a).

(2) Toute demande de documents formulée par une société doit être signée par un dirigeant de celle‑ci.

[. . .]

Conditions des permis

22. (1) Pour une gestion et une surveillance judicieuses des pêches et pour la conservation et la protection du poisson, le ministre peut indiquer sur un permis toute condition compatible avec le présent règlement et avec les règlements énumérés au paragraphe 3(4), notamment une ou plusieurs des conditions concernant ce qui suit :

[. . .]

c) les eaux dans lesquelles la pêche peut être pratiquée;

[. . .]

h) le type et la quantité d’engins et d’équipements de pêche qui peuvent être utilisés et leur grosseur ainsi que la manière dont ils doivent être utilisés;

i) l’endroit précis où les engins de pêche peuvent être mouillés;

j) la distance à garder entre les engins de pêche;

[. . .]

t) le délai accordé pour faire parvenir au ministre les résultats et les données obtenus à la suite de la pêche effectuée à des fins expérimentales ou scientifiques;

[. . .]

Permis

51. Il est interdit de pêcher à des fins expérimentales, scientifiques, éducatives ou pour exposition au public à moins d’y être autorisé par un permis.

52. Malgré les dispositions des règlements énumérés au paragraphe 3(4), le ministre peut délivrer un permis si la pêche à des fins expérimentales, scientifiques, éducatives ou pour exposition au public est en accord avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches. [Je souligne.]

[12]Il est utile d’ajouter l’article 34 de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14, ancêtre de l’actuel article 43 de la Loi, et les paragraphes 29(4) et (5), 39(5) et (6), 46(2) et 59(1) du Règlement de pêche de l’Ontario, C.R.C., ch. 849, adopté sous l’autorité de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, ch. F‑14. Je ferai référence à ces dispositions dans l’analyse de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Re Peralta et al. and The Queen in right of Ontario et al. (1985), 49 O.R. (2d) 705 (Peralta), confirmée par la Cour suprême du Canada dans [1988] 2 R.C.S. 1045.

[13]L’article 34 de la Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, c. F‑14, se lit comme suit :

Règlements

34. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements concernant la réalisation des objets de la présente loi et l’application de ses dispositions et, en particulier, peut, sans restreindre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements

a) concernant la gestion et la surveillance judicieuse des pêches côtières et des pêches de l’intérieur;

b) concernant la conservation et la protection du poisson;

c) concernant la prise, le chargement, le débarquement, la manutention, le transport, la possession et l’écoulement du poisson;

d) concernant l’exploitation des bateaux de pêche;

e) concernant l’utilisation des appareils et accessoires de pêche;

f) concernant la délivrance, la suspension et l’annulation des permis et baux;

g) concernant les modalités et conditions auxquelles un permis ou un bail doit être délivré;

h) concernant l’obstruction et la pollution des eaux que fréquente le poisson;

i) concernant la conservation et la protection des frayères;

j) concernant l’exportation, hors du Canada, du poisson ou de toute partie de poisson;

k) concernant la prise ou le transport du poisson ou de toute partie de poisson d’une province du Canada à une autre province;

l) prescrivant les pouvoirs et les fonctions des personnes engagées ou employées à l’administration ou l’application de la présente loi et concernant l’exercice de ces pouvoirs et fonctions; et

m) autorisant une personne engagée ou employée à l’administration ou l’application de la présente loi à modifier une période de temps prohibé ou la quantité maximum de poisson qu’il est permis de prendre, que les règlements ont fixées.

[14]Le Règlement de pêche de l’Ontario, C.R.C., ch. 849, se lit en partie comme suit :

Permis autres que les permis de pêche à la ligne

29. [. . .]

(4) Dans tout permis de pêche commerciale, le Ministre peut désigner

a) les eaux ainsi que les espèces, la taille et la quantité de poisson pour lesquelles le permis est valide;

b) les moyens de capture du poisson pour lesquels le permis est valide;

c) les fins pour lesquelles le poisson peut être pris;

d) le nombre de filets ainsi que les dimensions de leur maille et tout autre engin de pêche qui peuvent être utilisés;

e) les dimensions des filets et d’autres engins de pêche, ainsi que les matériaux utilisés dans leur fabrication;

f) la période pendant laquelle il est permis de se livrer à des opérations de pêche; et

g) la ou les personnes qui peuvent se livrer à des opérations de pêche à la faveur du permis.

(5) Le Ministre peut poser, dans un permis, les termes et conditions qu’il juge à propos et qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du présent règlement.

[. . .]

Conditions spéciales applicables aux permis de pêche au filet maillant

39. (1) Le présent article ne s’applique qu’à la pêche commerciale dans le lac Nipigon.

[. . .]

(5) Il est interdit au titulaire d’un permis de pêche commerciale, à qui ce permis confère le droit d’utiliser au plus 12,000 verges de filet maillant, de prendre, dans l’ensemble, plus de 25 tonnes de doré jaune, d’esturgeon, de truite grise et de poisson blanc.

(6) Il est interdit au titulaire d’un permis de pêche commerciale, à qui ce permis confère le droit d’utiliser plus de 24,000 verges de filet maillant, de prendre dans l’ensemble, plus de 50 tonnes de doré jaune, d’esturgeon, de truite grise et de poisson blanc.

[. . .]

Conditions applicables aux permis de pêche au chalut

46. [. . .]

(2) Nonobstant les termes et conditions du permis de pêche commerciale autorisant l’usage d’un chalut, le titulaire d’un tel permis, en pêchant l’éperlan au chalut dans le lac Érié,

a) ne doit pas prendre plus de 20 tonnes de poisson durant une période de 7 jours se terminant un samedi; et

b) peut prendre et garder, en plus de l’éperlan, tout autre poisson marchand, sauf que, dans l’ensemble, la quantité de doré bleu, perche, doré noir, esturgeon, bar blanc ou doré jaune prise au cours d’une même journée ne doit pas dépasser 10 pour cent du poids total de la prise de cette journée‑là.

[. . .]

Poissons péchés autrement qu’à la ligne et dont la taille ou le poids est inférieur, respectivement, à la taille ou au poids réglementaire

59. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et nonobstant toute disposition du présent règlement, lorsqu’une personne pêche du poisson autrement qu’à la ligne, elle peut retenir une quantité de toute espèce de poissons dont la taille ou le poids est inférieur, respectivement, à la taille ou au poids réglementaire, mais cette quantité ne doit pas dépasser 10 pour cent du poids total de l’espèce prise au moment.

C. QUESTIONS SOULEVÉES DANS CET APPEL

[15]L’appelante soulève trois questions :

1. l’invalidité des articles 8 et 22 [mod. par DORS/93-333, art. 4] du Règlement;

2. la norme de contrôle applicable; et

3. les erreurs du premier juge.

1. L’invalidité des articles 8 et 22 du Règlement

[16]L’appelante soulève, pour la première fois dans ce litige, une question qui n’a fait l’objet d’aucun débat en première instance. Il s’agit de l’invalidité des articles 8 et 22 du Règlement. Il n’y a donc pas lieu de s’interroger sur la norme de contrôle.

a) Prétentions de l’appelante

[17]L’appelante soumet qu’un règlement ne devrait pas attribuer un pouvoir discrétionnaire. Il doit plutôt établir des normes.

[18]En habilitant le gouverneur en conseil à adopter des règlements, le Parlement, selon l’appelante, voulait accorder au gouverneur en conseil une certaine latitude sans par ailleurs lui permettre d’échapper à son obligation d’incorporer sa règle de conduite dans le règlement.

[19]La Cour suprême du Canada condamne vigoureusement, dit l’appelante, la pratique consistant à ne pas exercer un pouvoir réglementaire mais à le transformer en discrétion administrative.

[20]En l’espèce, dit‑elle, les articles 8 et 22 du Règlement n’établissent aucune norme. La Loi, à l’article 43, délègue au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements d’application concernant la gestion et la surveillance des pêches, la conservation du poisson et la délivrance des permis. Le Règlement, par contre, à son article 22, donne carte blanche au ministre pour imposer toute condition qu’il estime souhaitable ou pertinente en autant que cette condition ait pour objet une gestion et une surveillance judicieuse des pêches. Ce type de délégation est invalide, selon l’appelante, qui cite à l’appui les autorités suivantes : Patrice Garant, Droit administratif, 5e éd., Cowansville (Qc) : Yvon Blais, 2004 à la page 341; Brant Dairy Co. Ltd. et autre c. Milk Commission of Ontario et autre, [1973] R.C.S. 131; Dynamex Canada Inc. c. Syndicat des postiers du Canada, [1999] 3 C.F. 349 (C.A.); Institut canadien des compagnies immobilières publiques et autres c. Corporation de la ville de Toronto, [1979] 2 R.C.S. 2; Butler Metal Products Company Limited c. Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada, [1983] 1 C.F. 790 (C.A.); Swan c. Canada, [1990] 2 C.F. 409 (1re inst.).

[21]L’appelante plaide que la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Re Peralta, confirmée par la Cour suprême du Canada, se distingue du cas en l’espèce parce que dans l’affaire Peralta, le Règlement de pêche de l’Ontario, C.R.C., ch. 849, adopté sous l’autorité de la Loi sur les pêcheries (fédérale) dans sa version en vigueur à l’époque (S.R.C. 1970, ch. F‑14), et de l’article 34 de cette Loi (qui correspond à l’article 43 de la Loi), avait divisé les eaux ontariennes en zones spéciales et avait fixé de façon globale les contingents selon les espèces de poissons trouvés dans ces eaux pour les fins de la pêche commerciale. Ainsi la Cour d’appel de l’Ontario, et la Cour suprême du Canada par la suite, n’eurent aucune difficulté, dit‑elle, à juger qu’il y avait une délégation administrative valide au ministre (provincial) des Ressources naturelles de l’Ontario pour fixer, dans chaque cas, des limites quantitatives spécifiques lors de l’émission d’un permis de pêche. L’appelante ajoute qu’en l’espèce, il n’y a aucune politique générale établie par le gouverneur en conseil, si bien que la délégation du gouverneur en conseil au ministre (fédéral) des Pêches et des Océans n’est pas normative et constitue une délégation législative invalide.

b) Analyse

[22]Il est utile, d’entrée de jeu, de rappeler la distinction fondamentale qui doit être faite entre un acte administratif et un acte législatif. Dans Peralta, la Cour d’appel de l’Ontario, qui, on se rappelle, fut confirmée par la Cour suprême du Canada, citait aux pages 728 et 729 un extrait de de Smith’s Judicial Review of Administrative Action, 4e éd., 1980 [à la page 71], lequel explique ainsi la différence entre un acte administratif et un acte législatif :

[traduction] Les actes législatifs et les actes administratifs sont souvent distingués au niveau du général et du particulier. Un acte législatif est la création et la promulgation d’une règle générale de conduite, sans référence à des cas particuliers; un acte administratif ne peut pas être défini avec précision, mais il comprend l’adoption d’une politique, la formulation et la communication d’une directive spécifique et l’application d’une règle générale à un cas particulier conformément aux exigences de principe, de commodité; ou de pratique administrative. [Je souligne.]

[23]Cour d’appel de l’Ontario ajoutait ensuite, à la page 729 :

[traduction] Cet extrait a été cité par le juge Dickson au nom de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Re British Columbia Development Corp. et al. et Friedmann et al. (1984), 14 D.L.R. (4th) 129, [1985] 1 W.W.R. 193, 55 N.R. 298 s.n. British Columbia Development Corp. c. Ombudsman, et il a ajouté (p. 148 D.L.R., p. 321 N.R.):

Je m’appuie en cela sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Re Ombudsman of Ontario and Health Disciplines Board of Ontario, précité. La question en litige en cette affaire portait sur l’étendue de la compétence de l’ombudsman de l’Ontario. L’analyse portait sur le terme « administratif ». Le juge Morden affirme, à la p. 608 :

[traduction] [. . .] le mot « administratif » peut raisonnable-ment s’interpréter comme décrivant les fonctions du gouvernement qui ne sont pas exercées par l’Assemblée législative et les tribunaux. D’une façon générale, il désigne le secteur du gouvernement qui applique la loi et la politique gouvernementale.

Les décisions Booth v. Dillon (No. 3), [1997] V.R. 143 (C.S.), à la p. 144, Glenister v. Dillon, [1976] V.R. 550 (C.S.), à la p. 558, appuient ce point de vue.

Comme je l’ai déjà mentionné, le législateur ne pouvait pas avoir l’intention d’obliger le gouverneur en conseil à délivrer des permis individuels avec des quotas individuels à des milliers de pêcheurs commerciaux, visant différentes zones de pêche dans de grands lacs, puisque le législateur avait précisé en partie au moins le nombre maximal de quotas pour chaque espèce et avait précisé en général les eaux dans lesquelles ils pouvaient être pêchés.

Le juge Dickson a aussi cité (p. 147 D.L.R., p. 312 N.R.) l’extrait suivant de 1 Hals, 4th ed., p. 7, paragraphe 4, sous le titre « Administrative Law » :

[traduction] « Les fonctions gouvernementales se divisent en fonctions législatives, exécutives ou administratives, judiciaires et ministérielles [. . .] [L]’es actes exécutifs et administratifs impliquent la formulation ou l’application d’une politique générale relatives à des situations ou à des cas particuliers, ou encore la prise de décisions discrétionnaires particulières ou leur mise à exécution [. . .] » [Je souligne.]

[24]Ceci étant, il n’existe aucune différence qui rende l’affaire Peralta inapplicable en l’espèce.

[25]La question en litige dans Peralta portait sur la validité d’une délégation de pouvoir selon l’article 34 de la Loi sur les pêcheries (semblable au présent article 43 de la Loi) et des paragraphes 29(4) et (5) du Règlement de pêche de l’Ontario (semblable à l’article 22 du Règlement en cause) au ministre (provincial) des Ressources naturelles de l’Ontario en vertu du Règlement de pêche de l’Ontario (règlement fédéral).

[26]Selon la Cour d’appel de l’Ontario, la décision du ministre des Ressources naturelles de l’Ontario de fixer des contingents individuels découlait de l’application d’une politique générale déterminée selon l’article 34 de la Loi sur les pêcheries et selon les paragraphes 39(5) et (6), 46(2) et 59(1) (ces dispositions ont été reproduites plus haut) et l’annexe VIII du Règlement de pêche de l’Ontario. La Cour d’appel de l’Ontario déclarait, à la page 723 :

[traduction] M. Scott a fait valoir avec force qu’en vertu du paragraphe 29(4) du Règlement de pêche de l’Ontario, le gouverneur en conseil avait en effet renoncé à tous les pouvoirs que lui seul pouvait exercer, en faveur du ministre. Cependant, lorsqu’on examine le Règlement, il est clair que ce n’est pas le cas.  Par exemple, les conditions générales applicables à la pêche commerciale, aux filets droits et aux filets maillants (articles 30 à 43, 46 et 57 à 59) y sont définies. Le Règlement devise les eaux des régions des zones spéciales de l’Ontario et établi des quotas généraux pour la pêche commerciale de certaines espèces dans ces eaux (paragraphes 34, 39(5) et (6), 46(2) et 59(1)). Les types de poissons commerciaux sont précisés dans les définitions et leurs poids minimums sont prévus à l’annexe VIII du Règlement de pêche de l’Ontario. L’objet du Règlement était de prévoir une politique générale et, dans l’établissement des quotas individuels qui respectaient les directives de cette politique, le ministre agissait de façon conforme au Règlement.

[27]La Cour d’appel de l’Ontario affirmait, à la page 727 :

[traduction] Le ministre avait seulement le pouvoir d’agir en fonction du régime général établi par le Règlement de pêche de l’Ontario. Je ne peux pas convenir que le ministre s’était vu déléguer des pouvoirs qui revenaient uniquement au gouverneur en conseil et que le Règlement ne faisait que répéter ce que le législateur avait prévu pour le gouverneur en conseil. Comme je l’ai déjà mentionné, je conclus que l’article 34 donnait au gouverneur en conseil le pouvoir de subdéléguer ses fonctions comme il l’a fait.

[28]Et à la page 729, elle concluait :

[traduction] Le ministre a fixé des quotas individuels pour les pêcheurs commerciaux dans certaines eaux de la province en [traduction] « application de la politique générale en fonction de situations ou de cas particuliers ». Par conséquent, cet acte était administratif et n’était pas visé par l’interdiction sur la délégation réciproque du pouvoir législatif : voir aussi Desrosiers c. Thinel, [1962] R.C.S. 515 aux pages 517, 518 et 519.

[29]Ainsi, le pouvoir du ministre de fixer, dans chaque cas, des limites à la quantité de poissons pêchés ne découlait pas d’une sous‑délégation d’un pouvoir législatif, mais bien d’un pouvoir administratif.

[30]Il est vrai qu’en l’espèce, la situation factuelle est distincte. Le refus du ministre est motivé par l’article 8 du Règlement, étant donné que l’appelante n’a pas fourni les renseignements suffisants, alors que dans Peralta, le ministre (provincial) avait émis un permis comprenant des limites à la quantité de poissons qui pouvait faire l’objet du permis. La Cour d’appel de l’Ontario fut en mesure de citer les dispositions pertinentes du Règlement de pêche de l’Ontario, qui s’apparentaient, d’une façon globale, au contingente-ment du poisson dans les eaux ontariennes.

[31]Ceci étant, le Règlement en l’espèce, même s’il ne peut être rattaché à aucune condition de permis, puisqu’aucun permis n’a été émis, n’en constitue pas moins l’énoncé d’un nombre important de règles de conduite qui peuvent être qualifiées de politique générale. Aussi, les articles 27 [mod. par DORS/95-242, art. 3], qui a trait à l’identification des engins de pêche, 30, à l’obstruction des mailles, 31, à la protection du cul du chalut, et 34, au rejet et gaspillage des poissons, constituent‑ils des exemples de règle de conduite générale susceptible de s’appliquer en l’espèce. À cela, il faut ajouter le Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86‑21, applicable en vertu de l’alinéa 3(4)a) du Règlement. Le Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985 contient des dispositions spécifiques sur la pêche au crabe, lesquelles, au cas de conflit, ont priorité sur les dispositions plus générales du Règlement.

[32]Pour le reste, l’article 22 du Règlement en cause est de la même nature que celle des paragraphes 29(4) et (5) du Règlement de pêche de l’Ontario qui fut déclaré valide dans Peralta comme étant une délégation administrative. L’article 22 du Règlement établit une liste non limitative de sujets précis qui servent de points de repère au ministre dans l’établissement de conditions lors de l’émission d’un permis de pêche. Non seulement les alinéas 43(a), (b) et (g) mais également l’alinéa 43(l) de la Loi servent‑ils d’appui à cette délégation administrative. La validité des articles 8 et 22 du Règlement en cause est régie, à mon sens, par la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans Peralta, laquelle fut confirmée par la Cour suprême du Canada. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une délégation attributive de purs pouvoirs discrétionnaires telle que décrite par le Professeur Patrice Garant comme étant invalide (op. cit., page 341). (Voir aussi Donald J. H. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Canvasback Publishing, 1998, vol. 2, paragraphes 13:2000 et 13:2500).

[33]Je note enfin que l’article 22 du Règlement utilise le mot « concernant » (respecting) dont le sens a été commenté en ces termes par la Cour d’appel de l’Ontario à la page 717 :

[traduction] L’utilisation du mot « concernant » permet la délégation de l’administration du Règlement.

2. La norme de contrôle applicable

[34]Il me faut maintenant déterminer la norme de contrôle applicable.

[35]Dans l’affaire Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2006] 3 R.C.F. 610, notre Cour explique aux paragraphes 13 et 14 :

Dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43, la Cour suprême a traité du rôle de la cour d’appel dans le contrôle d’une décision judiciaire portant sur le contrôle judiciaire d’une décision administrative. La Cour suprême a conclu que « les règles usuelles applicables au contrôle en appel d’une décision judiciaire énoncées dans Housen [. . .] s’appliquent ». L’approche adoptée dans l’arrêt Housen (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235) prévoit que sur une question de droit la cour d’appel révise la décision du tribunal de première instance suivant la norme de la décision correcte (paragraphe 8). Sur toutes les autres questions, la norme de contrôle est l’erreur manifeste et dominante (paragraphes 10, 19 et 28).

Cependant, dans une jurisprudence plus récente, la Cour suprême a adopté le point de vue selon lequel la cour d’appel se met à la place du tribunal de première instance pour réviser la décision administrative. Voir, par exemple, l’arrêt du juge Major Zenner c. Prince Edward Island College of Optometrists, [2005] 3 R.C.S. 645, aux paragraphes 29 à 45. Voir également l’arrêt du juge Berger Alberta (Minister of Municipal Affairs) c. Telus Communications Inc. (2002), 312 A.R. 40 (C.A.), aux paragraphes 25 et 26. La cour d’appel établit la norme de contrôle appropriée puis décide si elle a été appliquée correctement : voir Zenner aux paragraphes 29 et 30. Concrètement, cela signifie que la cour d’appel elle‑même révise la décision administrative en appliquant la norme de contrôle appropriée. [Je souligne.]

[36]Il s’ensuit que la Cour d’appel doit se mettre à la place de la cour de révision. Elle doit décider de la norme de contrôle applicable et doit déterminer si le juge de première instance a commis une erreur dans l’application de cette norme aux faits en cause.

[37]Notre Cour, dans Tucker c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2001 CAF 384, confirmant [2000] A.C.F. no 1868 (1re inst.) (QL), a affirmé que la norme de contrôle d’une décision du ministre prise en vertu de l’article 7 de la Loi est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[38]L’appelante plaide que dans Tucker les parties avaient convenu de l’application de cette norme. En l’espèce, dit‑elle, comme l’émission d’un permis relève du pouvoir discrétionnaire du ministre, il y a plutôt lieu d’appliquer la norme de la raisonnabilité simpliciter à l’instar de la décision de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[39]Il est vrai que dans Tucker, les parties s’entendaient sur la norme de contrôle applicable. L’accord des parties ne fut cependant pas déterminante dans la fixation de cette norme. Même si le premier juge, le juge Rothstein (siégeant ex officio), s’est dit d’accord avec la position des parties, il n’a pas moins développé sa pensée selon les critères jurisprudentiels admis.

[40]En fin d’analyse, la distinction entre la déraisonnabilité manifeste et la déraisonnabilité simpliciter est difficile à apprécier. Il importe surtout de retenir que la retenue judiciaire est plus grande dans le premier cas et moins grande dans le second.

3. Les erreurs du premier juge

a)         La nécessité de consulter

[41]L’appelante plaide que le premier juge a erré en concluant que le ministre n’avait pas agi de façon déraisonnable en exigeant que l’appelante tienne une consultation avec tous les intervenants de la pêche qui peuvent être affectés par la demande.

[42]Le premier juge s’est appuyé, pour ce faire, sur la preuve qui démontrait qu’il était coutume au Ministère de consulter les intervenants susceptibles d’être affectés. Monsieur Charles Gaudet, directeur par intérim, a, en effet, expliqué dans son affidavit (D.A., vol. 1, page 111) que le crabe des neiges est pêché commercialement par plusieurs pêcheurs dans le sud‑ouest du golfe du Saint‑Laurent et qu’avant de prendre une décision pouvant avoir des impacts négatifs, il était coutume que le Ministère consulte les intervenants susceptibles d’être affectés par la décision.

[43]L’obligation de consulter imposée à l’appelante ne se faisait pas dans le cadre d’une condition indiquée au permis selon les termes de l’article 22 du Règlement. Il s’agissait d’une consultation préliminaire à la prise de décision par le ministre d’émettre ou non un permis selon l’article 7 de la Loi.

[44]L’article 7, qui donne au ministre une discrétion très large, lui permettait de refuser un permis si la consultation demandée n’était pas tenue. La conclusion du premier juge n’est donc pas manifestement déraisonnable.

b)         Le protocole d’échantillonnage

[45]Le premier juge a défini (paragraphe 19 de ses motifs) le protocole d’échantillonnage comme se rapportant aux documents qui contiennent les informations sur la méthodologie et les détails des activités de recherche, tels le nombre de stations, le type de chalut, la durée de chaque trait, les parties de crabes mesurées à bord du bateau, etc. Il a conclu que l’obtention de ces protocoles était pertinente en ce que leur étude permettrait au Ministère de déterminer si toutes les mesures étaient prises afin de minimiser les impacts sur les espèces et leur habitat.

[46]L’appelante soumet que le protocole d’échan-tillonnage n’aurait d’incidence que sur la qualité et la fiabilité des résultats obtenus. Selon elle, la qualité des cartes marines qu’aurait produites l’appelante pour des fins commerciales n’avait rien à voir avec les mandats de conservation et protection des stocks et de bonne gestion des pêches. En exigeant la divulgation de ces protocoles, non seulement, dit‑elle, le Ministère outrepassait‑il son mandat, mais, par le fait même, le Ministère tentait de s’approprier la propriété intellectuelle qui appartenait à l’appelante. De plus, soutient l’appelante, pour conclure comme il l’a fait, le premier juge s’est appuyé sur une preuve non crédible, c’est‑à‑dire sur les affirmations faites par M. Charles Gaudet dans son affidavit (D.A., vol. 1, page 111), alors que celui‑ci a reconnu, en contre‑interrogatoire, qu’il appartenait non à lui mais au groupe scientifique de son ministère d’évaluer l’impact du projet sur les espèces et leur habitat (D.A., vol. 2, page 363).

[47]Je suis incapable d’en arriver à la conclusion suggérée par l’appelante que les renseignements sollicités n’étaient pas pertinents et que cette conclusion du premier juge est manifestement déraisonnable. Il appartient au ministre dans sa discrétion de déterminer la pertinence des renseignements qu’il sollicite et dont l’évaluation sera faite par ses délégués, et rien dans le dossier ne permet de conclure qu’il était manifestement déraisonnable d’agir ainsi. Le premier juge n’a donc commis aucune erreur du type de celui qui lui est reproché par l’appelante.

c)         Les engins de pêche, les coordonnés géographiques et les demandes du Ministère quant aux données recueillies

[48]Enfin, rien dans les conclusions du premier juge quant à la demande par le Ministère d’informations relatives à l’utilisation des engins de pêche et aux coordonnées géographiques des stations m’autorise à conclure que le premier juge a erré d’une façon telle qu’il nous faille intervenir. Il en est de même quant à sa conclusion qu’il n’était pas déraisonnable d’exiger que les informations recueillies par l’appelante soient transmises au Ministère.

D. CONCLUSION

[49]Je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Nadon, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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