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2006 CF 1482

T‑2277‑03

L’Association canadienne des radiodiffuseurs (l’association demanderesse), Groupe TVA Inc., CTV Television Inc., The Sports Network Inc., 2953285 Inc. (s/n Discovery Channel Canada), Le Réseau des Sports (RDS) Inc., The Comedy Network Inc., 1163031 Ontario Inc., (s/n OutDoor Life Network), Canwest Mediaworks Inc., Société en commandite Global Television Network Québec, Prime TV, General Partnership, CHUM Limited, CHUM Ottawa Inc., CHUM Television Vancouver Inc., et Pulse24 General Partnership (les sociétés demanderesses) (demanderesses)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

T‑276‑04

Vidéotron Ltée, Vidéotron (Régional) Ltée, et CF Cable TV Inc. (demanderesses)

c.

Sa Majesté la Reine (défenderesse)

Répertorié : Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Canada (C.F.)

Cour fédérale, juge Shore—Ottawa, 20 au 28 novembre, 14 décembre 2006.

Droit constitutionnel — Principes fondamentaux —  Taxe ou redevance de nature réglementaire —  Les demanderesses sollicitaient un jugement déclaratoire portant que les droits imposés par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) en application de la partie II du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion sont, en fait, une taxe, et sont donc ultra vires de l’art. 11 de la Loi sur la radiodiffusion (la disposition habilitante) — Les droits de licence de la partie II comportent les cinq caractéristiques d’une taxe —  Ils ne visent pas à permettre le recouvrement des coûts de réglementation de l’industrie de la radiodiffusion —  Les revenus générés sont complètement disproportionnés au coût du régime de réglementation, ils ont été déposés dans le Trésor et ils sont destinés à une fin générale d’intérêt public —  Les droits de licence de la partie II sont donc une taxe et sont ultra vires de l’art. 11 de la Loi sur la radiodiffusion.

Radiodiffusion — Les droits perçus en application de la partie I du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion (les droits de licence de la partie I) visent le recouvrement des coûts de réglementation et d’administration du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) dans le domaine de la radiodiffusion — Les droits perçus en application de la partie II du Règlement (les droits de licence de la partie II) ne visent pas à permettre le recouvrement de ces coûts —  Les droits de licence de la partie II sont déposés dans le Trésor afin d’être utilisés à des fins générales —  Les revenus générés par ces droits sont complètement disproportionnés aux coûts réels ou aux coûts estimatifs justifiés d’Industrie Canada pour gérer le spectre attribué pour la radiodiffusion — Les droits de licence de la partie II sont ultra vires de l’art. 11 de la Loi sur la radiodiffusion, qui autorise le CRTC à fixer des tarifs de droits.

Restitution — Les demanderesses sollicitaient un jugement déclaratoire pour le remboursement des sommes versées conformément à l’article 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion au motif que les redevances imposées à cet article sont ultra vires de l’art. 11 de la Loi sur la radiodiffusion —  Les demanderesses n’ont pas droit à la remise des sommes versées avant la déclaration d’invalidité —  Examen des principes et des motifs qui sous‑tendent cette règle, notamment la protection du Trésor public ainsi que les attentes raisonnables des parties et du contribuable canadien.

Les demanderesses sollicitaient un jugement déclaratoire portant que l’article 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion est ultra vires de l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, qui autorise le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) à fixer des tarifs de « droits », au motif que les redevances imposées à l’article 11 du Règlement sont, en fait, une taxe. De plus, les demanderesses sollicitaient un jugement déclaratoire additionnel pour le remboursement des sommes versées conformément à cet article.

Le Règlement est entré en vigueur le 1er avril 1997. Les droits de licence prévus à la partie I du Règlement (les droits de licence de la partie I) reposent sur une formule dans laquelle il est tenu compte des coûts estimatifs du CRTC ainsi que des recettes des radiodiffuseurs. Les droits de licence de la partie I exigent que les titulaires de licences de radiodiffu-sion contribuent au prorata aux coûts de la réglementation du CRTC, ces droits étant calculés en fonction de leurs revenus bruts respectifs, déduction faite de la franchise applicable. Les droits de licence de la partie I visent le recouvrement des coûts de réglementation et d’administration du CRTC dans le domaine de la radiodiffusion. Les droits de licence prévus à la partie II du Règlement (les droits de licence de la partie II) sont prélevés en plus des droits de licence de la partie I. Ils ne visent pas à permettre le recouvrement par le CRTC des coûts de réglementation de l’industrie de la radiodiffusion et ils ne sont pas calculés en fonction des coûts de fonctionnement du CRTC. Les entreprises de radiodiffusion qui sont obligées d’acquitter les droits de licence de la partie II doivent verser au CRTC une redevance annuelle correspondant à 1,365 % de l’excédent du revenu brut tiré des activités de radiodiffusion sur la franchise applicable. Les droits de licence de la partie II sont entièrement déposés dans le Trésor; ils ne vont pas dans un compte à fins déterminées du Trésor.

Jugement : l’article 11 du Règlement outrepasse l’autorité conférée au CRTC par l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, mais l’application de ce jugement déclaratoire a été suspendue pour une période d’au plus neuf mois; les demanderesses n’ont pas droit à la remise des sommes versées conformément à l’article 11 du Règlement.

Les droits de licence de la partie II comportent les cinq caractéristiques d’une taxe. En effet, il s’agit d’un prélèvement : 1) obligatoire et exigé par la loi (p. ex. le paragraphe 11(4) de la Loi sur la radiodiffusion); 2) imposé sous l’autorité de la législature (article 11 de la Loi sur la radiodiffusion; Règlement); 3) perçu par un organisme public (le CRTC); 4) destiné à une fin d’intérêt public (les droits sont déposés dans le Trésor) et 5) n’ayant aucun rapport raisonnable entre le montant du droit de licence et le coût d’administration du régime de réglementation correspondant.

Plus particulièrement, pour ce qui est de la quatrième caractéristique, les droits de licence de la partie II sont recouvrés par le CRTC et déposés dans le Trésor afin d’être utilisés à des fins générales. Aucune somme précise n’est assignée au CRTC ou à Industrie Canada, ou encore à une fin, à un organisme gouvernemental ou à un ministère précis. En tant que tels, ils ne servent pas au financement d’un régime de réglementation. Quoi qu’il en soit, les revenus générés sont complètement disproportionnés aux coûts réels ou aux coûts estimatifs justifiés d’Industrie Canada pour gérer le spectre attribué pour la radiodiffusion (le spectre de la radiodiffusion). En outre, les droits de licence de la partie II ne constituent pas un paiement pour un service particulier (c.‑à‑d. des frais d’utilisation). Certaines entreprises desquelles les droits de licence de la partie II sont recouvrés n’utilisent pas le spectre de la radiodiffusion et le montant recouvré ne varie pas en fonction du degré d’utilisation du spectre de la radiodiffusion.

Qui plus est, pour ce qui est de la cinquième caractéristique, les droits de licence de la partie II sont calculés en tant que pourcentage du revenu brut tiré des activités de radiodiffusion et non de l’utilisation du spectre de la radiodiffusion. Le coût de réglementation de l’utilisation du spectre de la radiodiffusion par le titulaire d’une licence ne varie pas en fonction de ses recettes. Il n’existe donc aucun lien démontrable entre le montant des droits de licence de la partie II qui est recouvré et tout régime associé de réglementation. La structure tarifaire vise à permettre de percevoir un revenu de beaucoup supérieur à tout besoin ou à toute fin réglementaire raisonnable.

La preuve n’étayait pas les trois objectifs avancés par la Couronne à l’égard des droits de licence de la partie II. 1) Les droits de licence de la partie II ne sont pas un paiement associé aux coûts de gestion du spectre de la radiodiffusion par Industrie Canada. Celle‑ci a son propre régime distinct de réglementation en vue de gérer l’utilisation du spectre de fréquences radiophoniques et d’accorder des licences à cet égard en vertu de la Loi sur la radiocommunication. 2) Il ne s’agit pas non plus d’un paiement associé au privilège lié à l’utilisation du spectre de la radiodiffusion. L’intention exprimée en public pour édicter le Règlement met encore une fois l’accent sur le maintien des revenus et n’énonce pas de justification à l’appui des redevances fondée sur l’idée selon laquelle la redevance est imposée en échange d’un « privilège ». De plus, le spectre de la radiodiffusion n’est pas utilisé pour toutes les activités visées par une licence accordée par le CRTC. Par exemple, les exploitants de services payants et spécialisés et les entreprises de distribution par câble ou qui utilisent des satellites de radiodiffusion directe emploient des câbles à fibres optiques, des câbles coaxiaux dédiés, une liaison par satellite ou une liaison hertzienne, qui ne font pas appel au spectre de la radiodiffusion. 3) Enfin, les droits de licence de la partie II ne constituent pas un paiement associé au privilège se rattachant à la radiodiffusion en raison de ces avantages commerciaux. Bon nombre de radiodiffuseurs exploitent leur entreprise à des fins commerciales sans être tenus d’acquitter ces droits de licence (seules les entreprises dont les recettes sont en sus de la franchise précisée ou qui ont plus de 2000 abonnés paient des droits de licence). En outre, la Couronne n’a mené aucune étude en vue de déterminer la valeur marchande du privilège se rattachant à une licence de radiodiffusion ou en vue de déterminer ce que pourrait être le privilège lié à l’utilisation du spectre de la radiodiffusion et, en mars 2005, aucun examen du rapport existant entre les revenus tirés des droits de licence de la partie II et la valeur que les radiodiffuseurs pouvaient attribuer à une licence n’avait été effectué. Quoi qu’il en soit, la Loi sur la radiodiffusion n’autorise pas le CRTC à imposer un droit pour un privilège ou à obtenir un loyer économique.

Les droits de licence de la partie II sont donc une taxe. Cependant, les demanderesses n’avaient pas droit à la remise des sommes versées. Celui qui paie certains frais à Sa Majesté la Reine conformément à une loi qui est par la suite jugée invalide ne peut pas recouvrer les sommes versées. Ce régime continue à s’appliquer tant que la Cour ne déclare pas que le régime légal pertinent est invalide. Les motifs justifiant cette règle sont principalement la protection du Trésor public et la reconnaissance du fait que, si l’impôt était remboursé, un gouvernement moderne se verrait dans la nécessité d’adopter le moyen inefficace qui consiste à l’imposer de nouveau, soit aux mêmes contribuables, soit à ceux d’une nouvelle génération, afin de financer les opérations gouvernementales (Air Canada c. Colombie‑Britannique). Les considérations d’ordre public ont également un rôle lorsqu’il s’agit de refuser le recouvrement d’une somme versée avant qu’il soit déclaré que les droits en cause sont une taxe ultra vires. Les attentes raisonnables des parties et, ce qui est encore plus important, du contribuable canadien, veulent que le fardeau d’une erreur quant à la viabilité du régime légal envisagé ne passe pas simplement d’un groupe de contribuables à un autre. Quoi qu’il en soit, le fait qu’il est important de maintenir la certitude juridique et d’éviter le chaos fiscal dans les finances de l’État exige clairement qu’un avis soit donné avant qu’un régime de financement soit mis en danger.

lois et règlements cités

An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1688, 1 Will. & Mary, Sess. 2, ch. 2 (R.‑U.).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.‑U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 53.

Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6, art. 25.

Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31, art. 24.

Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233, art. 3.

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R‑2, art. 1 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2), 6(1) (mod., idem, art. 4).

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 2(1) « entreprise de distribution », « entreprise de programmation », « entreprise de radiodiffusion », « radiodiffusion », (2), 3, 11.

Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C‑22.

Loi sur le ministère de la Santé, L.C. 1996, ch. 8, art. 7.

Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1, art. 19.

Loi sur le ministère du Développement social, L.C. 2005, ch. 35, art. 20.

Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, art. 48.


Produce Marketing Act, S.B.C. 1926‑27, ch. 54.

Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion, DORS/97‑144, art. 7, 8, 9, 10, 11.

Règlement général sur la radio, Partie I , DORS/58‑46, art. 5 (mod. par DORS/60‑495, art. 1).

Règlement sur la radiocommunication, DORS/96‑484.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Air Canada c. Colombie‑Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161; Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357; [1931] 2 D.L.R. 193; Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565; Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134; Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004; Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287; 2005 CAF 348; Peel (Municipalité régionale) c. Canada; Peel (Municipalité régionale) c. Ontario, [1992] 3 R.C.S. 762.

décisions différenciées :

Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929; Mount Cook National Park Board v. Mount Cook Motels Ltd., [1972] NZLR 481 (C.A.); 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2007] 2 R.C.F. 446; 2006 CAF 252.

décisions examinées :

Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Canada, 2006 CAF 208; conf. 2005 CF 1217; La Presse, Ltée, La Compagnie de Publication c. Procureur Général du Canada, [1964] R.C.É. 627; inf. par Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60; Renouvellement de la licence d’une entreprise de distribution par câble à Sherbrooke (6 novembre 2003), Décision de radiodiffusion CRTC 2003‑550; Pleau v. Nova Scotia (Supreme Court, Prothonotary) (1998), 186 N.S.R. (2d) 1 (C.S.); Nanaimo Immigrant Settlement Society v. British Columbia (2004), 242 D.L.R. (4th) 394; 202 B.C.A.C. 172; 30 B.C.L.R. (4th) 195; 21 Admin. L.R. (4th) 13; 2004 BCCA 410; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559; 2002 CSC 42; Genex Communications c. Canada (Procureur général), [2006] 2 R.C.F. 199; 2005 CAF 283; Kingstreet Investments Ltée c. Nouveau Brunswick (Ministère des Finances) (2005), 285 R.N.‑B. (2e) 201; 2005 NBCA 56; inf. en partie, [2007] 1 R.C.S. 3;  (2007), 309 R.N.‑B. (2e) 255; 2007 DTC 5041; 2007 CSC 1; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203.

décisions citées :

Urban Outdoor Trans Ad c. Scarborough (City) (2001), 52 O.R. (3d) 607 (C.A.); R. c. Breault (2001), 235 R.N.‑B. (2e) 337; 2001 NBCA 16; St. Francis Xavier Univeristy (Re) (1999), 7 M.P.L.R. (3d) 165 (C.S.N.‑É.); Surdell‑Kennedy Taxi Ltd. v. Surrey (City) (2001), 23 M.P.L.R. (3d) 148; 2001 BCSC 1265; National Westminster Bank plc v. Spectrum Plus Limited & Ors, [2005] UKHL 41; Télébec ltée c. Québec (Régie des télécommunications), [1999] J.Q. no 756 (C.A.) (QL); Garland c. Consumers’ Gas Co., [2004] 1 R.C.S. 629; 2004 CSC 25; R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472; 2002 CSC 14.

doctrine citée

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Budget des dépenses 1997‑1998 : Partie III—Plan de dépenses. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Budget des dépenses 1998‑1999 : Un rapport sur les plans et les priorités. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Budget des dépenses 1999‑2000 : Un rapport sur les plans et les priorités. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Budget des dépenses 2000‑2001 : Un rapport sur les plans et les priorités. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Budget des dépenses 2005‑2006 : Partie III — Rapport sur les plans et les priorités. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23rd ed. by Sir William McKay. London : LexisNexis UK, 2004.

Industrie Canada. Gestion du spectre et Politique des télécommunications. Circulaire d’information sur les radiocommunications (CIR‑42). Guide pour le calcul des droits de licence, mai 2003.

Lovell, John. « From Now On : Temporal Issues in Constitutional  Adjudication » (2005‑2006), 18 N.J.C.L. 1.

Mesures proposées pour encourager la production d’émissions télévisées dramatiques canadiennes de langue anglaise—Appel d’observations, Avis public de radiodiffusion CRTC 2004‑32, 6 mai 2004.

New Zealand. House of Representatives. Report of the Regulations Review Committee : Inquiry into the Constitutional Principles to Apply when Parliament Empowers the Crown to Charge Fees by Regulation, 25 July 1989.

Ordonnance d’exemption des entreprises de distribution de radiodiffusion par câble desservant entre 2 000 et 6 000 abonnés et modification au Règlement sur la distribution de radiodiffusion, Avis public de radiodiffusion CRTC 2004‑39, 14 juin 2004.

Ordonnance d’exemption pour les entreprises de câblodistribution de moins de 2 000 abonnés, Avis public CRTC 2001‑121, 7 décembre 2001.

Projet de règlement sur les droits de licence de radiodiffusion, Avis public CRTC 1966‑149, 22 novembre 1996.

Projet de règlement sur les droits de licence de radiodiffusion : Erratum—Définition de recettes dési-gnées, Avis public CRTC 1996‑149‑1, 29 novembre 1996.

Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion, Avis public CRTC 1997‑32, 20 mars 1997.

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Bureau du Contrôleur général. Guide pour l’établissement des coûts des extrants au Gouvernement du Canada, février 1989.

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Politique sur le recouvrement des coûts et la tarification, 1997.

Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. Politique sur les frais d’utilisation externe, août 2003.

DEMANDE sollicitant un jugement déclaratoire portant que les redevances imposées à l’article 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion sont, en fait, une taxe et qu’elles outrepassent l’autorité conférée au CRTC par l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion et que les sommes que les demanderesses ont versées conformément à l’article 11 du Règlement leur soient remises. Demande accueillie à l’égard du premier jugement déclaratoire, mais pas à l’égard du deuxième.

ont comparu :

Barbara A. McIsaac, c.r., Benjamin Mills et Howard Fohr pour les demanderesses.

Frederick B. Woyiwada, R. Jeff Anderson, Francisco Couto et Alexander Pless pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier :

McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l., Ottawa, pour les demanderesses.

Le sous‑procureur général du Canada pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Shore :

APERÇU

[1]Le respect de la séparation des pouvoirs a toujours constitué l’essence même de la démocratie; il en va encore de même.

[2]Un jugement subsistera ou non, mais si l’on veut assurer le maintien de la démocratie, il ne doit pas y avoir de doute que la séparation des pouvoirs subsistera.

[3]Dans le contexte d’une démocratie, lorsque l’on déroge à une disposition constitutionnelle sans avoir recours à la branche pertinente de l’État qui serait chargée de corriger la situation, il peut être nécessaire sur le plan constitutionnel de prendre des mesures judiciaires précises et restreintes, mais il ne peut être question de militantisme judiciaire; dans un tel contexte, toute autre chose ne serait qu’un prétexte pour une usurpation judiciaire du pouvoir, ce qui comporterait une responsabilité et des conséquences particulières.

[4]Il appartient aux tribunaux judiciaires d’interpréter la loi, mais il appartient à la constitution, sans aucune diminution de sa suprématie, de définir l’étendue de chaque compétence; les tribunaux reconnaissent donc les pouvoirs de chaque branche de l’État, en tenant toujours compte des limites de leur propre compétence et, partant, de la responsabilité qui leur incombe de respecter les restrictions qui leur sont imposées.

[5]Par conséquent, il importe de donner à la branche appropriée de l’État un délai raisonnable pour corriger la situation en ce qui concerne la partie II du Règlement qui est contestée et jugée ultra vires; les tribunaux judiciaires ne sauraient remédier à la situation de leur propre chef.

INTRODUCTION

[6]L’un des principes les plus fondamentaux du droit canadien veut qu’une taxe ne soit perçue qu’avec l’autorisation du Parlement. Ce principe a d’abord été énoncé dans le Bill of Rights de 1688 [An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject, and settling the Succession of the Crown, 1688, I Will. & Mary, Sess. 2, ch. 2 (R.-U.)]; il est maintenant garanti par l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. L’imposition d’une taxe doit se faire au moyen d’une résolution de voies et moyens. Les droits, d’autre part, peuvent être traités différemment.

[traduction] Les prélèvements exigés d’une industrie à des fins utiles à cette industrie sont considérés comme n’étant pas régis par les règles de procédure financières et il n’est donc pas nécessaire de les autoriser au moyen d’une résolution de voies et moyens. Il en va de même pour les droits raisonnables exigés pour la prestation de services [. . .] Toutefois, de nos jours, les lois prévoient souvent l’imposition d’autres types de droits ou de paiements qui, même s’il ne s’agit pas de taxes au sens strict, comportent un nombre suffisant des caractéristi-ques propres à la taxation pour devoir être considérés comme des « redevances exigées de la population » et qui, par conséquent, doivent être autorisés au moyen d’une résolution de voies et moyens présentée par un ministre [. . .] Voici des exemples de cas dans lesquels une résolution de voies et moyens est normalement nécessaire :

(1)          Lorsque le but primordial, ou un but important, de l’imposition du paiement est de percevoir un revenu, en sus du coût de tout service auquel se rapporte le paiement, en particulier lorsqu’aucune limite précise n’est établie pour ce paiement : par exemple, une disposition obligeant les titulaires de licences de radiodiffusion à faire des paiements (de montants non précisés) à l’égard de ces licences. [Note en bas de page omise.]

(Erskine May’s Treatise on The Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, 23e éd., rédigé par Sir William McKay, éditeur. Londres, LexisNexis U.K., 2004, aux pages 897 et 899.)

[7]Si la Couronne affirme qu’un montant est prélevé à titre de droit plutôt qu’à titre de taxe, il lui incombe de soumettre une preuve à l’appui de sa position. Or, toute la preuve mise à la disposition de la Cour étaye la conclusion selon laquelle les droits de la partie II constituent une taxe. Aucun élément de preuve ne permet de conclure qu’il s’agit à vrai dire de droits.

[8]Ces prélèvements ne sont pas liés aux activités se rapportant au système canadien de radiodiffusion, mais s’échappent en fait du régime de réglementation pour aller grossir les coffres de l’État, et ce, pour une fin générale d’intérêt public. Si les droits de licence de la partie II n’étaient pas recouvrés, cela aurait‑il une incidence sur le régime canadien de réglementation de la radiodiffusion? Non.

[9]Si l’obligation d’acquitter les droits de licence de la partie II était éliminée, tous les aspects du régime public et du régime de réglementation seraient encore présents—droits de licence de la partie I, exigences relatives au contenu canadien, contributions au Fonds canadien de télévision, aux fonds indépendants et à la FACTOR [Foundation to Assist Canadian Talent on Records], dépenses obligatoires afférentes à la programmation canadienne et à la programmation communautaire, substitution de signaux identiques, transfert de propriété ou contrôle des contributions, et ainsi de suite. (Voir par exemple le Rapport sur le rendement du CRTC (31 mars 2001), pièce B, onglet 35 (pages 18 à 20); pièce B, onglet 15 (paragraphe 10), onglet 15 (paragraphe 11), onglet 20 (paragraphes 12 à 15). Voir également les exemples mentionnés dans la pièce P‑12 (affidavit de Gerry W. Wall fait le 31 août 2006) ainsi que le témoignage de John Traversy du 21 novembre 2006.)

[10]Si l’obligation relative aux droits de licence de la partie II était supprimée, la fuite d’un montant annuel de plus de 100 millions de dollars du système de radiodiffusion au Trésor prendrait fin. Il n’existe aucun rapport raisonnable entre les redevances et le régime de réglementation. Les droits de licence de la partie II ne sont pas une « redevance de nature réglementaire ». Il s’agit d’une taxe.

PROCÉDURES JUDICIAIRES

[11]L’Association canadienne des radiodiffuseurs et al. (les demanderesses membres de l’ACR) sollicitent un jugement déclaratoire portant que l’article 11 du Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion, DORS/97‑144 (le Règlement) est ultra vires de l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, qui autorise le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) à fixer des tarifs de « droits ». Selon la position prise par les demanderesses membres de l’ACR, les redevances imposées à l’article 11 du Règlement sont, en fait et en droit, des taxes plutôt que des droits.

[12]Si la Cour conclut que ces redevances sont une taxe, la Cour d’appel fédérale a déjà statué, sur une question de droit préliminaire, que l’article 11 du Règlement serait ultra vires de l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, par lequel le pouvoir est conféré (Assoc. canadienne des radiodiffuseurs. c. Canada, 2006 CAF 208).

[13]Par conséquent, la question préliminaire que la Cour doit trancher est de savoir si ces redevances sont des taxes ou s’il s’agit de droits.

[14]Les demanderesses membres de l’ACR sollicitent un jugement déclaratoire additionnel pour le rembourse-ment des sommes versées conformément à l’article 11 du Règlement.

LES FAITS

[15]L’alinéa 11(1)a) de la Loi sur la radiodiffusion prévoit ce qui suit :

11. (1) Le Conseil peut, par règlement :

a) avec l’approbation du Conseil du Trésor, fixer les tarifs des droits à acquitter par les titulaires de licences de toute catégorie;

b) à cette fin, établir des catégories de titulaires de licences;

c) prévoir le paiement des droits à acquitter par les titulaires de licences, y compris les modalités de celui‑ci;

d) régir le paiement d’intérêt en cas de paiement tardif des droits;

e) prendre toute autre mesure d’application du présent article qu’il estime nécessaire.

[16]Conformément à ce pouvoir, le CRTC a pris le Règlement. La partie I du Règlement (articles 7 à 10) traite des « droits de licence de la partie I » (ci‑dessous décrits) et la partie II du Règlement (article 11) traite des « droits de licence de la partie II ». Les droits de licence de la partie I et de la partie II sont payables chaque année par les titulaires de licences de radiodiffusion qui n’en sont pas par ailleurs exemptés.

a)            Droits de licence de la partie I

[17]Les droits de licence de la partie I sont basés sur une formule dans laquelle il est tenu compte des coûts estimatifs du CRTC ainsi que des recettes des radiodiffuseurs. Les droits de licence de la partie I exigent que les titulaires de licences de radiodiffusion contribuent au prorata aux coûts de la réglementation du CRTC, ces droits étant calculés en fonction de leurs revenus bruts respectifs, déduction faite de la franchise applicable.

[18]La formule par laquelle les droits de licence de la partie I sont calculés est décrite en détail aux paragraphes 32 à 40 de l’exposé conjoint des faits.

b)            Droits de licence de la partie II

[19]Les droits de licence de la partie II sont prélevés en plus des droits de licence de la partie I. Les entreprises de radiodiffusion qui sont obligées d’acquitter les droits de licence de la partie II doivent verser au CRTC une redevance annuelle correspondant à 1,365 p. 100 de l’excédent du revenu brut tiré des activités de radiodiffusion sur la franchise applicable.

[20]La formule de calcul des droits de licence de la partie II est décrite en détail aux paragraphes 43 à 51 de l’exposé conjoint des faits.

[21]Les droits de licence de la partie II sont entièrement déposés dans le Trésor; ils ne vont pas dans un compte à fins déterminées du Trésor.

[22]Dans l’exposé conjoint des faits, les parties conviennent des faits ci‑après énoncés.

[23]Le CRTC a recouvré les montants suivants, au titre des droits de licence de la partie II, au cours de chacune des années mentionnées ci‑dessous :                                                                  

    i. 62,9 millions de dollars en 1997‑1998;

   ii.  69,7 millions de dollars en 1998‑1999;

  iii.   75,1 millions de dollars en 1999‑2000;

  iv.  81,6 millions de dollars en 2000‑2001;

   v.  88 millions de dollars en 2001‑2002;

  vi.  92,6 millions de dollars en 2002‑2003;

 vii.   102,5 millions de dollars en 2003‑2004;

viii.    107,2 millions de dollars en 2004‑2005.

Industrie Canada et le spectre de la radiodiffusion

a)      Industrie Canada

[24]Industrie Canada est chargée de gérer tout le spectre de la radio, notamment le spectre consacré à la radiodiffusion (le spectre de la radiodiffusion). Industrie Canada délivre des certificats de radiodiffusion qui sont joints aux licences de radiodiffusion délivrées par le CRTC dans les cas où il faut utiliser le spectre de la radiodiffusion. Industrie Canada n’exige aucun droit additionnel du titulaire d’une licence de radiodiffusion pour le certificat de radiodiffusion.

[25]Les coûts estimatifs engagés par Industrie Canada pour la gestion du spectre de la radiodiffusion sont les suivants :

   i.   13 millions de dollars en 1998‑1999;

  ii.    12 millions de dollars en 1999‑2000;

 iii.    12 millions de dollars en 2000‑2001;

 iv.    9,8 millions de dollars en 2001‑2002;

  v.   10 millions de dollars en 2002‑2003;

 vi.    10,3 millions de dollars en 2003‑2004;

vii.     10 millions de dollars en 2004‑2005.

[26]Les coûts de gestion du spectre de la radiodiffu-sion ne varient pas en fonction des revenus bruts réalisés par les titulaires de licences de radiodiffusion.

b)      Utilisation du spectre de la radiodiffusion

[27]Le spectre de la radiodiffusion n’est pas utilisé pour toutes les activités de radiodiffusion visées par une licence accordée par le CRTC. Seuls les titulaires de licences dont la licence de radiodiffusion peut être identifiée en utilisant un indicatif précis, par exemple « CJOH‑TV », se servent d’un transmetteur utilisant le spectre de la radiodiffusion comme principal moyen de distribution des signaux.

[28]Les entreprises traditionnelles de radiodiffusion et de télédiffusion transmettent des signaux non codés en mode numérique ou analogique que le grand public peut recevoir au moyen d’appareils récepteurs pour consommateurs utilisant le spectre de la radiodiffusion.

[29]Les services payants et spécialisés sont semblables aux postes habituels de radiodiffusion et de télédiffusion, sauf qu’en général ces services ne distribuent pas leurs émissions gratuitement au grand public, et le titulaire d’une licence de service payant et spécialisé n’exploite pas lui‑même de transmetteurs qui distribuent les émissions à des appareils récepteurs pour consommateurs utilisant le spectre de la radiodiffusion. Ces services acheminent plutôt leurs émissions vers des entreprises de distribution, comme les entreprises habituelles de distribution par câble ou des entreprises qui utilisent des satellites de radiodiffusion directe (SRD), qui les ajoutent à la gamme des émissions qu’ils offrent aux abonnés moyennant le paiement de certains frais.

[30]La licence d’entreprise de programmation des services payants et spécialisés est délivrée par le CRTC, mais il n’est pas nécessaire d’obtenir un certificat de radiodiffusion correspondant d’Industrie Canada.

[31]Pour faire parvenir leurs émissions aux entreprises de distribution, les exploitants de services payants et spécialisés emploient habituellement des câbles à fibres optiques, des câbles coaxiaux dédiés, une liaison par satellite stationnaire ou une liaison hertzienne. La distribution d’émissions au moyen de câbles à fibres optiques ou de câbles coaxiaux ne se fait pas au moyen du spectre de la radiodiffusion (ou d’une forme quelconque de spectre électromagnétique). Lorsqu’une liaison hertzienne ou par satellite stationnaire est employée pour l’acheminement des émissions, le spectre utilisé n’est pas le spectre de la radiodiffusion et les titulaires de licences de ces systèmes versent des droits de licence distincts à Industrie Canada.

[32]Les entreprises habituelles de distribution par câble fournissent divers services de programmation à leurs abonnés moyennant le paiement de certains frais. Ces entreprises distribuent leurs émissions au moyen d’une combinaison de câbles à fibres optiques et de câbles coaxiaux; par conséquent, elles n’utilisent pas le spectre de la radiodiffusion pour la partie de leur distribution qui est directement reliée aux abonnés.

[33]Les entreprises de SRD fournissent divers services de programmation à leurs abonnés moyennant le paiement de certains frais. Ces entreprises distribuent leurs émissions au moyen de signaux satellite fournis par un exploitant de service par satellite, comme Télésat Canada. De tels systèmes n’utilisent pas le spectre de la radiodiffusion. Ils utilisent un spectre électromagnétique pour « satellite stationnaire » ou pour « satellite de radiodiffusion » qui fait l’objet d’une licence attribuée à l’exploitant d’un service par satellite plutôt qu’aux titulaires de licences de SRD.

[34]Les entreprises qui exploitent un système de distribution multipoint (SDM) fournissent divers services de programmation à leurs abonnés moyennant le paiement de certains frais. Elles transmettent des signaux numériques codés contenant jusqu’à 100 chaînes de télévision et de radio, que les abonnés autorisés captent à l’aide d’appareils récepteurs exclusifs généralement fournis par les titulaires de licences de SDM.

[35]Les transmissions du SDM utilisent le spectre de la radiodiffusion (le spectre électromagnétique qu’In-dustrie Canada a consacré aux services terrestres de radiodiffusion). La licence d’entreprise de distribution est attribuée par le CRTC. Un certificat de radiodiffu-sion correspondant, précisant les paramètres techniques d’exploitation autorisés du titulaire de licence, est délivré par Industrie Canada. Aucun droit n’est exigé pour ces certificats.

[36]Les entreprises de réseau sont des entreprises dans lesquelles le contrôle de tout ou partie des émissions ou de la programmation d’une entreprise de distribution ou de programmation ou de plusieurs entreprises de distribution ou de programmation est délégué à d’autres entreprises ou personnes « affiliées ».

[37]La plupart des émissions de réseau sont distribuées par satellite stationnaire ou par liaison hertzienne, mais des câbles à fibres optiques et des câbles coaxiaux dédiés peuvent également être employés. Les deux derniers moyens de distribution n’utilisent pas le spectre électromagnétique. Lorsqu’une liaison hertzienne ou une liaison par satellite station-naire, qui n’utilise pas le spectre de la radiodiffusion, est employée pour la distribution des émissions, les titulaires de licences de ces systèmes techniques versent des droits de licence de spectre à Industrie Canada.

Historique relatif aux droits de la partie II

[38]Le Règlement établissant le régime de droits de licence de la partie I et de la partie II est entré en vigueur le 1er avril 1997.

[39]Le 22 novembre 1996, le CRTC a publié l’avis public CRTC 1996‑149 [Projet de règlement sur les droits de licence de radiodiffusion], le 29 novembre 1996, le CRTC a publié l’avis public CRTC 1996‑149‑1 [Projet de règlement sur les droits de licence de radiodiffusion : Erratum—Définition de recettes dési-gnées], et le 20 mars 1997, le CRTC a publié l’avis public CRTC 1997‑32 [Règlement de 1997 sur les droits de licence de radiodiffusion].

[40]L’avis public CRTC 1996‑149 disait qu’à compter du 1er avril 1996, le Conseil du Trésor avait autorisé le CRTC à appliquer la méthode du crédit net à son activité Radiodiffusion, le Parlement autorisant le CRTC à imputer aux recettes les frais directement engagés dans ces activités particulières. Selon la structure tarifaire révisée, il était prévu que chaque titulaire de licence verserait au Conseil les droits de licence de la partie I dans les 30 jours suivant la date de la facture et les droits de licence de la partie II au plus tard le 30 novembre de chaque année.

[41]L’avis public CRTC 1996‑149 était libellé comme suit :

La structure tarifaire révisée vise à créer un système qui, par rapport à la structure actuelle, produirait, sur une période de trois ans, environ le même montant de droits exigibles pour l’ensemble de l’industrie. De plus, en supposant que sa base de financement demeure stable, le Conseil prévoit que les droits de licence payables par chaque entreprise équivau-draient au montant calculé dans le système actuel.

[42]L’avis public CRTC 1997‑32, qui a été publié avec le projet de règlement, était libellé comme suit :

Le Conseil a rédigé son projet de règlement suite à la décision du Conseil du Trésor de l’autoriser à appliquer la méthode du crédit net à son activité Radiodiffusion. En raison de cette décision, le Conseil exigera désormais qu’une partie des droits de licence soit acquittée au 1er avril de chaque année, afin de financer ses dépenses de fonctionnement.

Lorsqu’il a rédigé le projet de règlement, le Conseil a voulu créer, par rapport à la structure des droits en place, un système suivant lequel l’industrie et chaque entreprise paieraient à peu près le même montant de droits sur une période incluant les trois prochaines années, en prenant pour acquis la stabilité du niveau de financement approuvé.

[43]Après avoir énoncé le projet initial relatif à la nouvelle structure tarifaire dans l’avis public CRTC 1996‑149, le CRTC avait reçu des observations dans lesquelles on recommandait l’établissement d’un pla-fond garantissant que la somme des droits de la partie I et de la partie II ne soit pas supérieure au taux qui existait alors, soit 1,8 p. 100 des recettes en sus de la franchise. Le CRTC n’a pas tenu compte de ces observations :

De l’avis du Conseil, le plafond proposé pour les droits de licence n’est pas approprié, étant donné qu’il limiterait sa latitude sur le plan des dépenses. À ce propos, il fait remarquer qu’il arrive parfois qu’une latitude sur le plan des dépenses suivant la méthode du crédit net soit nécessaire pour financer des frais imprévus non récurrents dans une année donnée. Dans ces cas, il se pourrait que les droits soient supérieurs à ceux qui auraient été facturés en vertu de l’ancien règlement.

Lorsqu’il a approuvé le règlement sur les droits de licence, le Conseil du Trésor a donné au Conseil l’autorisation restreinte de dépasser les niveaux de financement autorisés et ce, afin de minimiser les dépenses non récurrentes engagées par le Conseil en sus des niveaux de financement approuvés, et évalués pour les radiodiffuseurs. Le Conseil signale que, suivant la nouvelle structure des droits, tout rajustement permanent des niveaux de financement du Conseil continue-raient [sic] d’exiger l’approbation du Conseil du Trésor et du Parlement.

[44]En ne faisant aucun cas des commentaires formulés à ce moment‑là au sujet d’un plafond sur la somme des droits de la partie I et de la partie II, le CRTC a expressément reconnu que le Conseil du Trésor lui avait donné l’autorisation restreinte de dépasser les niveaux de financement autorisés.

[45]Le CRTC a grandement excédé ce pouvoir restreint en recouvrant des droits de la partie II qui sont de beaucoup supérieurs aux coûts, qui sont eux‑mêmes couverts par les droits de la partie I. Le CRTC a recouvré 25,8 millions de dollars au titre des droits de la partie I pour l’exercice 2004‑2005 et un montant additionnel de 107,2 millions de dollars, au titre des droits de la partie II, pour la même période 2004‑2005. Les droits de la partie II pour l’exercice 2004‑2005 sont de 415 p. 100 supérieurs aux droits de la partie I recou-vrés par le CRTC en vertu de l’autorisation restreinte donnée par le Conseil du Trésor de dépasser le montant lui permettant de recouvrer ses coûts (paragraphes 38 et 52 de l’exposé conjoint des faits, onglet 5, dossier d’instruction).

[46]Les droits de la partie II visent en fait à percevoir des revenus :

[traduction] Le fait qu’il est important d’assurer la certitude juridique et d’éviter le chaos fiscal dans les finances du gouvernement exige clairement qu’un « avis » soit donné avant qu’un régime de perception de revenus tel que celui qui est ici en cause puisse être mis en danger.

(Tableau des principaux arrêts et ouvrages de doctrine de la défenderesse, 10 novembre 2006, résumé de l’arrêt Air Canada c. Colombie‑Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, page 10, article ii.)

Principes à appliquer lorsque le Parlement autorise la Couronne à exiger des droits par règlement

[47]À l’instruction, lorsque M. Dustin Chodorowicz a été contre‑interrogé au sujet du rapport de Nordicity Group Ltd., les demanderesses ont produit la pièce P‑11. Le document comprend trois documents d’abord remis aux demanderesses au moyen de l’affidavit de documents en date du 23 juin 2004 de la défenderesse, déposé dans le dossier T‑276‑04.

[48]Le document, pièce P‑11, était mentionné dans l’annexe I jointe à l’affidavit de documents de M. Ian Ironside, qui a déclaré ce qui suit :

a) il avait été autorisé à faire l’affidavit pour le compte de la défenderesse;

b) il avait étudié attentivement les dossiers de la défenderesse et il avait consulté d’autres personnes pour se renseigner avant de faire l’affidavit;

c) l’affidavit divulguait, au mieux de sa connaissance et de sa croyance, tous les documents qui avaient trait à une question en litige dans l’action et qui avaient été en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la défenderesse mais qui ne l’étaient plus maintenant;

d) il avait énuméré et décrit à l’annexe 1 tous les documents pertinents, ou liasses de documents pertinents, qui étaient à ce moment‑là en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la défenderesse, et à l’égard desquels aucun privilège de non‑divulgation n’était revendiqué.

[49]Le dernier document mentionné à l’annexe 1 accompagnant l’affidavit de documents était décrit comme suit : [traduction] « En liasse, note du 29 septembre 1993 adressée à Anita Biguzs et documents de la troisième Conférence du Commonwealth de 1998 sur la législation déléguée (appendice 6 intitulé « Rapport du Comité d’examen des règlements : Enquête sur les principes constitutionnels à appliquer lorsque le Parlement autorise la Couronne à exiger des droits par règlement » et appendice 7 intitulé « Droits et taxes : Distinction et effets ») ».

[50]Ce document a été présenté à M. Chodorowicz lorsque celui‑ci a été contre‑interrogé le 16 novembre 2006 et il a été produit sous la cote P‑11. L’appendice 6 accompagnant le document était un document de 1989 de la Chambre des représentants de la Nouvelle‑ Zélande, intitulé [traduction] Rapport du Comité d’examen des règlements : Enquête sur les principes constitutionnels à appliquer lorsque le Parlement autorise la Couronne à exiger des droits par règlement» :

[traduction] 8.3 Nous croyons que la fixation de droits dans ces conditions peut rapidement devenir tout simplement une mesure de perception du revenu qui correspond peu ou qui ne correspond pas du tout à la valeur du service réellement fourni. Il pourrait bien être difficile de résister à la tentation de faire plus que de recouvrer ses coûts, en particulier lorsqu’il y a interfinancement. Il semble souhaitable de prévoir certaines garanties.

8.4 Nous reconnaissons que dans certains cas, il est tout à fait approprié d’exiger des droits élevés. De fait, ces droits pourraient être de beaucoup supérieurs au montant permettant le recouvrement des coûts. Si un privilège a été accordé à une personne ou à un groupe à l’exclusion des autres, la question qui se pose est alors davantage d’une nature contractuelle commerciale. Tel était le fondement de la décision de la cour dans l’affaire Mt Cook National Park Board v. Mt Cook Motels Ltd (1972) NZLR 481. Cependant, lorsqu’un montant supérieur aux coûts à recouvrer est recueilli, il existe à notre avis une obligation plus lourde d’en informer le public payeur.

[. . .]

8.6 À notre avis, il est inadmissible que le public ne sache en général pas qu’il verse un montant supérieur au montant des coûts à recouvrer. Nous croyons qu’en pareil cas, le public a le droit d’être au courant de la chose et de savoir pourquoi cela est considéré comme nécessaire.

[51]Le Comité de la Nouvelle‑Zélande a recomman-dé qu’une note explicative accompagnant le texte législatif indique si le revenu prévu dépassera le montant des coûts à recouvrer :

[traduction] 9.4 Nous sommes en faveur d’une procédure d’attestation tant pour la législation principale que pour la législation subordonnée. L’instrument législatif qui fixe en fait le montant d’un droit devrait être accompagné d’une note explicative indiquant si le revenu prévu pour la période de 12 mois à venir dépassera le montant des coûts à recouvrer.

9.5 Dans le cas plutôt inhabituel où un projet de loi présenté à la Chambre fixe le montant des droits, la note explicative accompagnant le projet de loi devrait l’indiquer. Dans les cas plus communs où un règlement ou un décret qui fixe le montant des droits est promulgué, il devrait y avoir une note explicative similaire donnant le même renseignement.

9.6 Selon nous, une telle attestation devrait être libellée comme suit :

« Il est attesté que le revenu estimatif tiré des droits exigibles conformément à la clause (—) au cours de la période de douze mois à venir dépassera (ou ne dépassera pas) le montant des coûts à recouvrer, calculés à l’aide de la formule pertinente énoncée dans les « Lignes directrices relatives à la détermination des coûts des biens et services du secteur public et à leur tarification » publiées par le Bureau de la vérification ».

9.7 Dans le cas où la note explicative indique que le revenu dépassera le montant des coûts à recouvrer, nous croyons que l’attestation devrait en outre renfermer :

a) une explication des raisons pour lesquelles cela est jugé nécessaire dans ce cas particulier;

b) une estimation du montant en sus des coûts, exprimé sous forme de pourcentage.

9.8 Cette procédure d’attestation devrait être suivie dans tous les cas et ce, que le droit soit imposé pour la première fois ou qu’il s’agisse d’un droit existant qui est révisé.

[52]Le Conseil du Trésor du Canada avait et a des attentes similaires. (Guide pour l’établissement des coûts des extrants au Gouvernement du Canada de février 1989 du Conseil du Trésor du Canada, documents qui, comme en conviennent les parties, sont authentiques et pertinents et peuvent être produits en preuve sans autre preuve, volume 1, onglet 8; Politique sur les frais d’utilisation externe, août 2003 du Conseil du Trésor du Canada, documents qui, comme en conviennent les parties, sont authentiques et pertinents et peuvent être produits en preuve sans autre preuve, volume 1, onglet 18.)

[53]De la même façon, dans l’avis public CRTC 1996‑149 et dans l’avis public CRTC 1997‑32, le CRTC tente de mesurer l’excédent et de rassurer ceux qui sont touchés que l’excédent est restreint, compte tenu de l’autorisation restreinte obtenue du Conseil du Trésor. Aucune explication n’est fournie dans l’avis public 1996‑149 ou dans l’avis public 1997‑32 au sujet du régime de financement représentant 415 p. 100 des coûts.

[54]En plus de l’attestation susmentionnée, le Comité de la Nouvelle‑Zélande a recommandé que le Parlement conserve la maîtrise du pouvoir d’imposer des droits, et a en fait approuvé le principe selon lequel « il ne peut y avoir de taxation sans représentation ». Le Comité a fait la recommandation suivante :

[traduction] 11.1 [. . .] que la Chambre réaffirme son droit d’obliger la Couronne à demander au préalable au Parlement l’autorisation d’obtenir du public toute somme aux fins de la Couronne lorsque le prélèvement est obligatoire, à des fins d’intérêt public, et exigé par la loi;

[55]Cela est conforme à l’ordonnance rendue par le juge James Hugessen le 9 septembre 2005, laquelle a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (Assoc. canadienne des radiodiffuseurs c. Canada, 2005 CF 1217 conf. par 2006 CAF 208).

[56]Ce faisant, le Comité de la Nouvelle‑Zélande a repris les quatre critères énoncés dans l’arrêt Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] R.C.S. 357. Un cinquième critère—le fait qu’il doit y avoir un rapport raisonnable entre la somme exigée et le coût du service fourni—a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565. Cela étant, les commentaires du Comité devraient être considérés comme pertinents et faisant autorité au Canada. (Voir également Première nation de Westbank c. British Columbia Hydro and Power Authority, [1999] 3 R.C.S. 134, au paragraphe 22.)

Droits et taxes : La distinction

[57]Le document produit sous la cote P‑11 renfermait également un rapport en date du mois de novembre 1989 préparé pour le compte du Comité canadien mixte permanent d’examen de la réglementation.

[58]Le document reprend également les critères approuvés dans les arrêts Eurig et Lawson, précités, lorsqu’il est question du pouvoir délégué d’imposer des taxes :

[traduction] Selon un principe général fréquemment mentionné, il existe une présomption à l’encontre de l’octroi par le Parlement d’un pouvoir d’imposition. En d’autres termes, si le Parlement veut conférer à l’exécutif ou à un organisme administratif le pouvoir de percevoir une taxe au moyen de la législation déléguée, il doit le faire en des termes clairs et précis [. . .]

(Pièce P‑11, appendice 7, intitulé [traduction] « Droits et taxes : Distinction et effets », à la page 9.)

[59]Le Comité canadien mixte permanent d’examen de la réglementation a traité de la distinction à faire entre les droits et les taxes. Il vaut la peine de citer plus ou moins au complet ces commentaires :

[traduction] Les personnes qui sont responsables de l’examen parlementaire de la législation déléguée ont la tâche importante d’agir comme gardiens du pouvoir exclusif que possède la législature de percevoir de l’argent au moyen de la taxation. Les lois qui prévoient l’octroi de licences ou de permis ou la prestation de services gouvernementaux autorisent habituellement la fixation de droits au moyen de la législation déléguée. De fait, l’octroi du pouvoir d’accorder des licences peut être considéré comme comprenant le pouvoir d’exiger un droit raisonnable pour couvrir les coûts administratifs associés à l’octroi d’un permis ou d’une licence. Toutefois, il se peut que ce pouvoir soit exercé de telle façon que les droits y afférents peuvent d’une façon plus appropriée être considérés comme étant de la nature d’une taxe. Il faut alors considérer l’exercice de ce pouvoir comme ultra vires.

Le droit, en théorie du moins, établit clairement une distinction entre les « droits » et les « taxes ». En général, on dit qu’une taxe est un paiement obligatoire imposé aux fins de la perception d’un revenu à des fins publiques. Par contre, un droit peut être défini comme une redevance pour les services d’agents publics ou pour l’utilisation d’un privilège ou l’exercice d’un droit régi par le gouvernement. Par conséquent, la distinction entre un « droit » et une « taxe » semble découler du but sous‑tendant l’imposition d’une redevance particulière. Lorsqu’une redevance vise simplement à couvrir le coût direct associé à l’octroi d’une licence ou peut‑être à l’administration du régime y afférent, cette redevance est un droit. Toutefois, lorsque le but est principalement de générer un revenu en sus de ces coûts, la redevance sera considérée comme une taxe.

(Pièce P‑11, appendice 7, intitulé [traduction] « Droits et taxes : Distinction et effets », à la page 9.)

[60]La décision La Presse, Ltée, La Compagnie de Publication c. Procureur Général du Canada, [1964] R.C.É. 62, aux pages 635 à 637; [inf. par Procureur général du Canada c. Compagnie de Publication La Presse, Ltée], [1967] R.C.S. 60 [ci-après La Presse], est mentionnée en bas de page dans ce dernier passage comme exemple de droits visant strictement le recouvrement des coûts. Les faits présentés à l’instruction devant la Cour de l’Échiquier dans l’affaire La Presse démontraient expressément que les droits recouvrés étaient proportionnés aux coûts croissants qu’entraînait la réglementation de la radiodiffusion à ce moment‑là et qu’il existait donc un rapport raisonnable.

[61]Comme la défenderesse l’a admis et comme le montrent l’avis public CRTC 1996‑149 et l’avis public CRTC 1997‑32, les droits de licence de la partie I servent au recouvrement des coûts. À cette fin, l’application de la décision La Presse à la présente instance n’a donc plus cours et ne vise pas ou ne justifie pas les droits de la partie II que la défenderesse cherche maintenant à conserver et à continuer de recouvrer.

[62]Le Comité canadien mixte permanent d’examen de la réglementation a ajouté ce qui suit :

[traduction] Le simple fait que le droit exigé produit un revenu excédentaire ne suffit pas en soi pour qu’il soit possible de conclure qu’une redevance donnée est une taxe. Comme lord Atkin l’a fait remarquer dans l’arrêt Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board, « on ne saurait [. . .] s’opposer à un droit de licence qui vise tant à réglementer le commerce qu’à générer un revenu ». Il semble donc qu’un droit puisse même viser à permettre de percevoir un revenu, à condition que ce ne soit pas l’objectif principal.

Cela ne veut pas pour autant dire que le montant imposé ne constitue pas un facteur important lorsqu’il s’agit de déterminer si une redevance particulière est un droit ou s’il s’agit d’une taxe aux fins du revenu. De toute évidence, lorsque les montants recouvrés n’excèdent pas les coûts administratifs, il sera fort difficile de soutenir que la redevance visait à permettre de percevoir un revenu net. D’autre part, plus l’excédent net est élevé, plus la conclusion selon laquelle la redevance était destinée à servir de mécanisme de production d’un revenu sera forte.

[. . .]

Il peut être fort difficile de déterminer le but sous‑tendant la fixation du montant d’un droit, et il s’agira souvent d’une question de déduction. Les comités d’examen doivent se fonder sur les documents explicatifs et sur d’autres instruments extrinsèques lorsqu’ils examinent les droits fixés au moyen de la législation déléguée. Bien sûr, cela suppose que les documents explicatifs sont fournis et qu’ils ont été préparés d’une façon adéquate. Au Canada, le Comité spécial sur les textes réglementaires a recommandé, dans son troisième rapport, que lorsque le pouvoir d’exiger des droits fixés par règlement est conféré, il faut clairement exprimer l’objectif visé. La Commission royale d’enquête sur les droits civils de l’Ontario a également fait une telle recommandation. Cela faciliterait clairement l’évaluation de la validité du droit en cause.

Il a ci‑dessus été mentionné qu’une redevance prélevée de façon continue peut constituer une taxe sur l’exploitation d’une entreprise. Cela introduit un troisième élément dans l’équation. Étant donné qu’une redevance se rattachant à une licence peut constituer soit un droit soit une taxe, une distinction a également été faite en droit entre une redevance se rattachant à une licence et une taxe d’entreprise. On dit généralement qu’une redevance se rattachant à une licence est une condition préalable, alors qu’une taxe d’entreprise est une condition résolutoire. En d’autres termes, une redevance se rattachant à une licence peut être requise avant qu’une entreprise puisse être exploitée ou qu’une profession puisse être exercée. Une taxe d’entreprise est une redevance associée à la profession ou à l’entreprise visée par la licence.

[. . .]

La distinction entre une condition préalable et une condition résolutoire est fort utile. Lorsque le montant de la redevance ne peut pas être déterminé au moment de l’octroi d’une licence, mais qu’il dépend plutôt de circonstances futures, la redevance en question peut à proprement parler être considérée comme une taxe sur l’activité visée par la licence.

[. . .]

Les droits qui sont nettement supérieurs à ce qui peut être considéré comme un montant symbolique peu élevé, ou qui n’ont aucune limite définie, par exemple lorsque seule une formule de calcul est établie, exigeront une résolution des voies et moyens, et ce, probablement parce que de telles redevances peuvent bien générer des revenus nets et constituer de la taxation [. . .]

[. . .]

Des exemples contemporains de cas dans lesquels le Parlement canadien a traité de ces questions sont fort rares. Étant donné que la plupart des droits, des prélèvements ou des autres redevances sont de nos jours fixés au moyen de la législation déléguée, cela n’est pas du tout surprenant. Le Parlement ne disposera que d’un projet de loi autorisant la prise de règlements établissant les droits ou autorisant l’établissement de droits. Il n’est pas nécessairement précisé que les droits doivent être calculés en fonction des coûts à recouvrer. En pareil cas, il est uniquement possible de conclure, comme l’a fait remarquer un président du Parlement britannique, que « le mot “droit” s’entend probablement d’un droit relativement minime. Si un droit élevé était imposé, il devrait être désigné sous un autre nom ».

Il existe énormément d’incertitude au sujet des principes à appliquer pour distinguer un droit d’une taxe. On peut placer une bonne partie du blâme sur le fait que les tribunaux judiciaires hésitent à invalider des droits, même si ces droits visent clairement à produire un revenu. À vrai dire, il sera souvent difficile pour ceux qui contestent un droit de présenter une preuve directe en ce sens, mais on peut difficilement concevoir qu’un tribunal judiciaire puisse, par exemple, éviter l’implication claire de l’imposition d’un droit d’un montant que le tribunal lui‑même a qualifié d’« exorbitant ».

(Pièce P‑11, En liasse, appendice 7, intitulé [traduction] « Droits et taxes : Distinction et effets », pages 9, 10, 11, 12, 14.)

[63]Les commentaires formulés par le Comité canadien mixte permanent d’examen de la réglemen-tation figurent dans un document qui était en la possession de la défenderesse dès le 29 septembre 1993, avant que le CRTC propose la nouvelle structure tarifaire dans l’avis public 1996‑149.

[64]Les commentaires du Comité canadien mixte permanent d’examen de la réglementation ont été formulés par des députés fédéraux qui avaient de l’expérience en matière de législation déléguée et qui étaient chargés de l’examen de pareille législation; ils indiquaient sans doute les attentes légitimes des députés en ce qui concerne :

a) le sens et l’emploi du mot « droit » dans la législation;

b) les notes explicatives accompagnant la présentation par le CRTC du projet de règlement et du Règlement lui‑même dans l’avis public CRTC 1996‑149 et dans l’avis public CRTC 1997‑32 respectivement;

c) l’effet de ces droits une fois recouvrés.

[65]Les commentaires et attentes sont d’autant plus valables étant donné qu’il était reconnu que le Conseil du Trésor n’avait donné au CRTC qu’une autorisation restreinte d’appliquer la méthode du crédit net.

[66]Les commentaires du Comité canadien mixte permanent d’examen de la réglementation se terminent par les recommandations suivantes :

[traduction] Quels sont donc les principes à appliquer lorsque l’on cherche à qualifier une redevance de droit ou de taxe? Nous estimons qu’il convient d’appliquer les lignes directrices suivantes :

1. Le facteur déterminant, lorsqu’il s’agit de faire une distinction entre un droit et une taxe, est le but sous‑tendant la redevance particulière en question. Comme on le dit habituellement, les droits sont exigés en vue de couvrir les coûts administratifs associés à la prestation d’un service, à l’octroi d’un permis ou d’une licence, ou encore à l’octroi de quelque autre privilège, alors qu’une taxe est imposée à des « fins d’intérêt public » plus générales.

[. . .]

2. On peut se contenter d’établir une formule de calcul des droits, mais l’application d’une telle formule devrait être directement liée au coût variable de la prestation d’un service, de l’octroi d’un permis ou d’une licence ou encore de l’octroi d’un privilège. Il arrive souvent que les redevances qui sont censément des droits varient énormément d’une personne à l’autre, alors que les coûts administratifs sont relativement constants. Ainsi, les redevances peuvent être calculées en fonction des actifs nets de la société concernée ou en fonction de la valeur des biens à l’égard desquels un service doit être fourni. De telles redevances doivent toujours être considérées comme des taxes, étant donné qu’une personne se trouvera à subventionner un service fourni à une autre personne. Malheureusement, les tribunaux judiciaires canadiens ont généralement omis de tenir compte de la chose. Toutefois, dans un arrêt australien récent, la Haute cour a dit que, pour savoir si une redevance est un droit ou une taxe, il faut se demander si le montant de la redevance a un « rapport manifeste avec la valeur de ce qui a été acquis ». À notre avis, tel est le point de vue qu’il convient d’adopter.

3. L’idée selon laquelle une licence est une condition préalable, alors que l’imposition d’une taxe d’entreprise est une condition résolutoire, est fort utile et peut s’appliquer à des cas comportant la réglementation d’une activité. Lorsque le montant de la redevance n’est pas déterminé au moment de l’octroi d’une licence, mais dépend plutôt d’un événement futur lié à l’activité autorisée, par exemple la quantité d’une marchandise produite ou commercialisée, le prélèvement devrait toujours être considéré comme étant de la nature de la taxation. En outre, une telle situation devrait à notre avis être considérée comme un cas spécial dans lequel l’intention n’entre aucunement en ligne de compte, et par conséquent le montant de la redevance ou l’existence de revenus nets est sans pertinence.

4. Il a parfois été soutenu qu’une redevance peut être divisée entre la composante « droit » et la composante « taxe ». Étant donné qu’une telle approche aurait pour effet d’autoriser les tribunaux judiciaires à fixer des droits à la place de l’organisme autorisé par la loi à le faire, il semble préférable d’adopter le point de vue suivant : lorsqu’il est conclu qu’une redevance constitue une taxe, la redevance au complet doit être considérée comme ultra vires.

[. . .]

L’application stricte de ces principes donnerait la meilleure assurance possible d’un contrôle parlementaire du lien existant avec le revenu. Toutefois, la tendance ira probablement dans le sens contraire, étant donné que les gouvernements estiment qu’il est de plus en plus intéressant d’appliquer des frais d’utilisation ou des régimes de recouvrement des coûts plutôt que d’ajouter au fardeau fiscal général imposé à la population, qui estime déjà être écrasée sur le plan financier par le coût du gouvernement [. . .]

La législation déléguée qui prescrit des droits devrait tout au moins être accompagnée de documents expliquant le fondement sur lequel repose le montant du droit, ou la formule de calcul applicable, et si les droits sont basés sur le principe du recouvrement des coûts. Si un revenu net est envisagé, le montant y afférent devrait être indiqué. Dans tous les cas, le montant total que l’on prévoit recouvrer au titre des droits devrait également être donné. Au Canada, ces renseignements devraient figurer dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation qui accompagne chaque règlement publié dans la Gazette du Canada. Le but dans lequel les droits peuvent être exigés devrait être clairement énoncé dans la loi habilitante. Enfin, la loi habilitante ne devrait pas être rédigée et ne devrait pas être interprétée de façon à autoriser l’imposition ou le calcul de droits sur une base « administrative ».

(Pièce P‑11, En liasse, appendice 7, intitulé [traduction] « Droits et taxes : Distinction et effets », pages 9, 10, 11, 12, 14.)

[67]Les droits de licence de la partie II ne sont conformes à aucune des recommandations susmention-nées du Comité canadien mixte permanent d’examen de la réglementation. Ces recommandations s’accordent avec les critères énoncés dans l’arrêt Eurig, précité. Elles étaient en la possession du CRTC et ont été jointes à la note en date du 29 septembre 1993 adressée à Mme Anita Biguzs, avec la mention suivante : [traduction] « Le document ci‑joint vous intéressera peut‑être. Il sera intéressant de s’attaquer à cette question. »

[68]À l’instruction, les demanderesses ont également présenté au témoin de la défenderesse, M. Chodorowicz, une copie du document du 19 novembre 1947 dans lequel la question de l’établissement de droits est traitée. Le document ne figurait pas dans le rapport de l’expert de la défenderesse, mais il a été admis à l’instruction étant donné qu’il datait de la même époque que les autres documents de 1947 et de 1948 mentionnés aux notes de bas de page 6, 7 et 8 dans le rapport du 30 juin 1996 de Nordicity Group Ltd. (note de service interne du 26 février 1947 d’A. D. Dunton, président de Radio‑Canada; lettre du 28 septembre 1948 de T. J. Allard; note de service interne du 14 octobre 1948 de H. Palmer; lettre du 21 octobre 1948 de C. P. Edwards; réponse en date du 5 novembre 1948 d’A. D. Dunton—rapport du 30 juin 1996 de Nordicity Group Ltd., paragraphes 10 et 11, page 3; contre‑interrogatoire de M. Dustin Chodorowicz, page 856, transcription de l’instruction).

[69]Comme on l’a fait remarquer à l’instruction, il est reconnu, dans la pièce P‑10, que l’on s’inquiète que la structure tarifaire proposée pourrait constituer [traduction] « un empiétement sur le domaine de l’impôt sur le revenu ». Le témoin expert de la défende-resse avait connaissance de cette lettre et l’avait en sa possession lorsqu’il a rédigé son rapport, mais il l’a exclue pour le motif qu’elle n’avait rien à voir avec les questions en litige (pièce P‑10, 19 novembre 1947, paragraphe 2, contre‑interrogatoire de M. Dustin Chodorowicz, page 856, transcription de l’instruction).

[70]Compte tenu de tout ce qui précède, les droits de licence de la partie II ont les attributs d’une taxe en fait et en droit. Comme l’a démontré la preuve admise par la défenderesse avant l’instruction et la preuve soumise à l’instruction dans la présente espèce, les droits de licence de la partie II comportent les cinq caractéristi-ques d’une taxe, comme nous l’expliquerons plus à fond ci‑dessous.

Les droits sont obligatoires et exigés par la loi

[71]Un droit ou une redevance sera réputé obligatoire et, partant, exigé par la loi chaque fois que le payeur a l’obligation pratique de le verser pour s’acquitter de ses obligations légales (Eurig, précité, au paragraphe 17).

[72]À l’instruction, on a attiré l’attention de l’expert de la défenderesse, M. Ronald Pittman, sur la Décision de radiodiffusion CRTC 2003‑550 [Renouvellement de la licence d’une entreprise de distribution par câble à Sherbrooke], portant sur la licence de Vidéotron ltée à Sherbrooke (Québec), étant donné qu’il s’agissait d’une licence se rapportant à la période que l’expert analysait dans son rapport. La licence, comme les autres, établit un lien entre sa validité et le paiement de droits de licence annuels :

[traduction] La présente licence sera en vigueur du 1er décembre 2003 au 31 août 2010 sur paiement des droits de licence annuels prescrits.

(Décision de radiodiffusion CRTC 2003‑550, licence de Vidéotron ltée à Sherbrooke (Québec), volume de l’exposé conjoint des faits du dossier conjoint de documents, volume III, onglet 12.)

[73]En ce qui concerne cette notion d’« obligation pratique », la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse s’est exprimée comme suit dans la décision Pleau v. Nova Scotia (Supreme Court, Prothonotary) (1998), 186 N.S.R. (2d) 1, au paragraphe 22 :

[traduction] Quant aux critères, et malgré l’assertion du défendeur selon laquelle il n’existe aucune obligation de s’adresser aux tribunaux, l’« obligation pratique » mentionnée par le juge Major existe clairement. Les citoyens lésés, ou qui croient avoir été lésés, ou les citoyens qui se sont vu dénier ou qui croient s’être vu dénier des droits qui leur sont reconnus, peu importe que le présumé transgresseur soit un autre citoyen ou l’État lui‑même, mises à part les mesures d’exécution extrajudiciaires, se verront obligés de chercher à faire confirmer leurs droits par l’ordre judiciaire. Les mesures d’exécution extrajudiciaires sont inacceptables, et par conséquent il existe une obligation pratique de chercher à obtenir réparation auprès des tribunaux.

[74]Dans l’arrêt Lawson, précité, les prélèvements imposés en vertu de la loi intitulée Produce Marketing Act [traduction] (Loi sur la mise en marché des fruits et des légumes) de la Colombie‑Britannique, S.B.C.  1926‑1927, ch. 54, aux fins du contrôle et de la réglementation de la mise en marché de tous les arbres, fruits et légumes cultivés dans le secteur de la province visé par la Loi, ont été considérés comme exigés par la loi, et ce, pour les motifs suivants :

[traduction] En vertu de l’article 13, ils peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires et le certificat signé par le président du Comité constitue une preuve prima facie que le montant mentionné est dû; il semble que l’expéditeur qui ne se conformerait pas à une ordonnance lui enjoignant de verser un montant donné commettrait une infraction en vertu de l’article 15 de la Loi.

(Lawson, précité [à la page 363]; Westbank, précité, au paragraphe 35.)

[75]Si un raisonnement similaire est appliqué dans la présente espèce, il est clair que les droits de licence de la partie II sont obligatoires et exigés par la loi, dans la mesure où le paragraphe 11(4) de la Loi sur la radiodiffusion prévoit ce qui suit :

11. [. . .]

(4) Les droits imposés au titre du présent article et l’intérêt sur ceux‑ci constituent des créances de Sa Majesté du chef du Canada, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant tout tribunal compétent.

Le droit est imposé sous l’autorité de la législature

[76]En l’espèce, les droits de licence de la partie II sont imposés sous l’autorité de la législature conformément à l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion et à l’article 11 du Règlement.

Le droit est perçu par un organisme public

[77]En l’espèce, il est également satisfait au critère voulant que le droit soit prélevé par un organisme public créé par la loi étant donné que les droits de licence de la partie II sont prélevés par le CRTC.

Le droit est destiné à une fin d’intérêt public

[78]Dans l’arrêt Westbank, précité, au paragraphe 30, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’il était important d’identifier le « caractère véritable » de la législation contestée :

Même si, dans l’environnement réglementaire d’aujourd’hui, plusieurs redevances comportent des éléments de taxation et des éléments de réglementation, la tâche essentielle du tribunal est de déterminer si, de par son caractère véritable, l’objet principal du prélèvement est : (1) de taxer, c.‑à‑d., percevoir des revenus à des fins générales; (2) de financer ou de créer un régime de réglementation, c.‑à‑d., être une redevance de nature réglementaire ou être accessoire ou rattaché à un régime de réglementation; ou, (3) de recevoir paiement pour des services directement rendus, c.‑à‑d., être des frais d’utilisation.

[79]Les critères énoncés par la Cour suprême du Canada donnent lieu à l’analyse suivante visant à permettre de déterminer l’objet législatif véritable sous‑tendant les droits de licence de la partie II.

[80]La Couronne a admis ce qui suit :

a) l’intention, en ce qui concerne la structure des droits de la partie I et de la partie II, telle qu’elle est exprimée dans les avis publics CRTC 1996‑149 et 1997‑32, était de créer un système qui, par rapport à la structure antérieure, produirait, sur une période de trois ans, environ le même montant de droits exigibles pour l’ensemble de l’industrie;

b) lorsque les droits de licence de la partie II ont été établis, le CRTC n’avait pas effectué d’études en vue de déterminer quelle pouvait être la valeur marchande du privilège se rattachant à une licence de radiodiffusion;

c) lorsque les droits de licence de la partie II ont été établis, le CRTC n’avait pas effectué d’études en vue de déterminer quelle pouvait être la valeur marchande du privilège se rattachant à l’utilisation du spectre de la radiodiffusion;

d) ni le CRTC ni quelque autre ministère ou organisme de la défenderesse n’ont effectué d’études permettant d’en arriver à une méthode définitive de calcul de la valeur à attribuer à l’un ou l’autre de ces privilèges.

(Dossier d’instruction, onglets 3 et 4.)

[81]Le Budget des dépenses 1997‑1998 : Partie III— Plan de dépenses du CRTC, qui est un rapport au Parlement visant à indiquer les modalités d’utilisation des ressources approuvées par le Parlement, n’indiquait pas que les nouveaux droits de licence de la partie II devaient être imputés au privilège se rattachant à une licence de radiodiffusion. (Documents qui, comme en conviennent les parties, sont authentiques et pertinents et peuvent être produits en preuve sans autre preuve, volume 1, onglet 26.)

Contestation et protestation par les demanderesses

[82]Dans une présentation au Conseil du Trésor avec une lettre datée du 24 janvier 2002, l’ACR a contesté le paiement des droits de licence de la partie II pour le compte de tous ses membres.

[83]Les sociétés demanderesses ont acquitté les droits de licence de la partie II sous toutes réserves pour les années 2001 à 2005, protestations qui étaient faites dans des lettres envoyées au CRTC par les sociétés demanderesses respectives.

[84]Un grand nombre des autres membres de l’ACR qui étaient tenus d’acquitter les droits de licence de la partie II ont acquitté ces droits sous toutes réserves pour les années 2001 à 2005, comme ils l’ont indiqué dans des lettres envoyées au CRTC (exposé conjoint des faits, paragraphes 114 à 118, dossier d’instruction, onglet 5).

QUESTIONS EN LITIGE

[85] 1) La question préliminaire que la Cour doit trancher est de savoir si ces redevances sont des taxes ou des droits.

2) S’il s’agit de taxes, les demanderesses membres de l’ACR sollicitent un jugement déclaratoire portant que les sommes versées conformément à l’article 11 du Règlement doivent leur être remises. Il s’agit de savoir si elles ont droit à ces sommes.

ANALYSE

1) La question préliminaire que la Cour doit trancher est de savoir si ces redevances sont des taxes ou des droits

[86]Le Règlement établissant le régime des droits de licence de la partie I et de la partie II a pris effet le 1er avril 1997. Avant la mise en œuvre de la structure tarifaire de la partie I et de la partie II, le CRTC exigeait un seul droit des radiodiffuseurs qui n’étaient pas par ailleurs exemptés (ancien régime de droits). Selon l’ancien régime de droits, les droits s’élevaient généralement à un montant de base de 25 $, plus 1,8 p. 100 des recettes associées à la radiodiffusion en sus de la franchise (dossier d’instruction, onglets 3 et 4).

[87]Le 22 novembre 1996, le CRTC a publié l’avis public CRTC 1996‑149, le 29 novembre 1996, il a publié l’avis public CRTC 1996‑149‑1, et le 20 mars 1997, il a publié l’avis public CRTC 1997‑32 (exposé conjoint des faits, dossier d’instruction, onglet 5, paragraphe 63; pièce A, volume de l’exposé conjoint des faits du dossier conjoint de documents, volume III, onglets 13 à 15; pièce C, interrogatoire préalable de James Stefanik, onglet K).

[88]L’intention exprimée dans ces avis publics à l’égard de la structure tarifaire de la partie I et de la partie II était de créer un système qui, par rapport à la structure existante, produirait, sur une période de trois ans, environ le même montant de droits exigibles pour l’ensemble de l’industrie  (pièce A, volume III, onglet 13; pièce C, onglet K, page 4).        

LE RÉGIME ÉTABLI PAR LE RÈGLEMENT

[89]L’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion prévoit ce qui suit :

11. (1) Le Conseil peut, par règlement :

a) avec l’approbation du Conseil du Trésor, fixer les tarifs des droits à acquitter par les titulaires de licences de toute catégorie;

b) à cette fin, établir des catégories de titulaires de licences;

c) prévoir le paiement des droits à acquitter par les titulaires de licences, y compris les modalités de celui‑ci;

d) régir le paiement d’intérêt en cas de paiement tardif des droits;

e) prendre toute autre mesure d’application du présent article qu’il estime nécessaire.

(2) Les règlements d’application de l’alinéa (1) a) peuvent prévoir le calcul des droits en fonction de certains critères que le Conseil juge indiqués notamment :

a) les revenus des titulaires de licences;

b) la réalisation par ceux‑ci des objectifs fixés par le Conseil, y compris ceux qui concernent la radiodiffusion d’émissions canadiennes;

c) la clientèle desservie par ces titulaires.

(3) Les règlements pris en application du paragraphe (1) ne s’appliquent pas à la Société ou aux titulaires de licences d’exploitation— pour le compte de Sa Majesté du chef d’une province— d’entreprises de programmation.

(4) Les droits imposés au titre du présent article et l’intérêt sur ceux‑ci constituent des créances de Sa Majesté du chef du Canada, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant tout tribunal compétent.

(5) Les projets de règlement sont publiés dans la Gazette du Canada, les titulaires de licences et autres intéressés se voyant accorder la possibilité de présenter au Conseil leurs observations à cet égard.

a)      Droits de licence de la partie I

[90]Les droits de licence de la partie I sont basés sur une formule qui tient compte des coûts estimatifs du CRTC ainsi que des recettes des radiodiffuseurs. Les droits de licence de la partie I exigent que les titulaires de licences de radiodiffusion contribuent au prorata aux coûts de réglementation du CRTC, calculés en fonction de leurs revenus bruts respectifs, déduction faite de la franchise applicable. Les droits de licence de la partie I visent le recouvrement des coûts de réglementation et d’administration du CRTC dans le domaine de la radiodiffusion, et la Couronne a admis que ces droits permettent de fait le recouvrement de tous ces coûts (pièce C, onglet 2, interrogatoire de Diane Roy, 21 novembre 2006).

b)      Droits de licence de la partie II

[91]Les droits de licence de la partie II sont également imposés conformément au Règlement sur les droits de licence et sont recouvrés par le CRTC.

[92]Les droits de licence de la partie II sont prélevés en plus des droits de licence de la partie I; ils ne visent pas à permettre le recouvrement par le CRTC des coûts de réglementation de l’industrie de la radiodiffusion et ils ne sont pas calculés en fonction des coûts de fonctionnement du CRTC.

[93]Les radiodiffuseurs qui sont obligés d’acquitter les droits de licence de la partie II doivent verser au CRTC une redevance annuelle correspondant à 1,365 p. 100 de l’excédent des revenus bruts tirés des activités de radiodiffusion par l’entreprise de radiodiffusion sur la franchise applicable.

[94]Tous les droits de licence de la partie II sont déposés dans le Trésor. Ils ne vont pas dans un compte à fins déterminées du Trésor et ne sont pas assignés au CRTC, à Industrie Canada ou à un projet particulier. Les revenus qui sont dans le Trésor sont utilisés aux fins générales de l’État (pièce C, onglet 3).

[95]Comme l’a fait remarquer l’expert des demanderesses, Gerry Wall, les droits de licence de la partie II s’échappent effectivement du régime de radiodiffusion au Canada. John Traversy, témoin de la Couronne, a admis que le radiodiffuseur qui acquitte les droits de licence de la partie II ne peut pas prendre l’argent et s’en servir pour le contenu canadien, pour la programmation canadienne, pour le développement d’artistes canadiens ou pour toute activité similaire (témoignage de Gerry Wall, 24 novembre 2006, pages 1074 et 1075; témoignage de John Traversy, 21 novembre 2006, pages 525 et 526).

[96]Le CRTC a recouvré, au titre des droits de licence de la partie II, des montants allant de 62,9 millions de dollars en 1997‑1998 à 107,2 millions de dollars en 2004‑2005 (exposé conjoint des faits, paragraphe 53).

[97]Les sociétés demanderesses acquittent des droits de licence de la partie II. Les montants des droits de licence de la partie II acquittés par une société demanderesse particulière au cours d’une année donnée sont indiqués dans les rapports sur les droits de licence produits sous la cote C‑1. Certains membres de l’ACR, mais pas tous les membres, acquittaient les droits de licence de la partie II, selon leur situation particulière, au cours d’une année donnée (exposé conjoint des faits, paragraphes 26 à 29 et 54 à 56; pièce C‑1, annexe confidentielle du dossier conjoint de documents, volumes I et II).

Les droits de licence de la partie II sont une taxe

[98]Les facteurs qu’il faut évaluer, selon la Cour suprême du Canada, pour déterminer si un prélèvement est une taxe sont ceux de savoir si le prélèvement est : 1) obligatoire et exigé par la loi, 2) imposé sous l’autorité de la législature, 3) perçu par un organisme public, 4) destiné à une fin d’intérêt public, et 5) sans rapport raisonnable entre la somme exigée et le coût du service fourni ou du régime de réglementation qui doit être financé (Lawson, précité; Eurig, précité, aux paragraphes 15 et 21; Westbank, précité, au paragraphe 22).

[99]L’examen de chacun des facteurs énoncés dans les arrêts Lawson, Eurig et Westbank mène à la conclusion inévitable selon laquelle les droits de licence de la partie II sont une taxe.

1)                          Prélèvement obligatoire et exigé par la loi

[100]Cette exigence peut être respectée s’il existe une obligation ou une nécessité juridique ou pratique de payer la redevance en vue de se conformer à des obligations juridiques. Une redevance peut être obligatoire et exigée par la loi même si elle est uniquement payée par des personnes qui se livrent de leur plein gré à l’activité ou à l’exploitation de l’entreprise réglementée. Les redevances peuvent être exigées par la loi si, pour continuer à exercer ses activités, une entreprise est contrainte de verser un montant annuel, si l’omission de le faire peut entraîner l’annulation de tous les services fournis par l’organisme gouvernemental, si la redevance peut entraîner la création d’un privilège sur un bien, ou si la redevance peut être recouvrée par saisie‑gagerie ou par voie d’action en justice (Eurig, précité, au paragraphe 17; Pleau, précité, au paragraphe 22; Air Canada, précité (dissidence de la juge Bertha Wilson); Westbank, précité, au paragraphe 35; Urban Outdoor Trans Ad v. Scarborough (City) (2001), 52 O.R. (3d), 593 (C.A.),  au paragraphe 30).

[101]Pour exercer légalement ses activités de radiodiffusion, le radiodiffuseur qui ne bénéficie pas d’une exemption doit obtenir une licence du CRTC. Selon l’une des conditions, il faut acquitter les droits imposés par le CRTC, notamment les droits de licence de la partie II. Le paragraphe 11(4) de la Loi sur la radiodiffusion prévoit ce qui suit : « Les droits imposés au titre du présent article et l’intérêt sur ceux‑ci constituent des créances de Sa Majesté du chef du Canada, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant tout tribunal compétent. » Si les recettes d’une entreprise de radiodiffusion dépassent la franchise et si l’entreprise doit un certain montant au titre des droits de licence de la partie II, le CRTC prend des mesures en vue d’assurer le paiement des droits qui sont dus et exigibles (exposé conjoint des faits, paragraphes 49 et 51; témoignage de Diane Roy, 21 novembre 2006).

2)      Prélèvement imposé sous l’autorité de la législature

[102]Les redevances sont imposées sous l’autorité de la législature si elles sont imposées conformément à un pouvoir conféré par la loi. Les droits de licence de la partie II sont imposés et recouvrés conformément au Règlement censément édicté en vertu de l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion (Westbank, précité, au paragraphe 36; R. c. Breault (2001), 235 R.N.-B. (2e) 337 (C.A.), au paragraphe 51).

3)      Prélèvement perçu par un organisme public

[103]Un organisme gouvernemental créé par une loi est un organisme public. Le CRTC est un organisme public constitué en vertu de la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, L.R.C. (1985), ch. C‑22, dans sa forme modifiée (St. Francis Xavier University (Re) (1999), 7 M.P.L.R. (3d) 165 (C.S.N.É.), aux paragraphes 21 à 23).

4)      Prélèvement destiné à une fin d’intérêt public

[104]Si l’objet principal du prélèvement est de percevoir un revenu à des fins générales, il s’agit d’une taxe. En examinant ce facteur, les tribunaux qualifieront un prélèvement de taxe si, selon son caractère véritable, l’objet principal est de percevoir un revenu à des fins générales, plutôt que de recevoir un paiement pour un service, ou encore de financer un régime de réglementation (Westbank, précité, aux paragraphes 30 et 31; Breault, précité, aux paragraphes 64 à 68; Surdell‑Kennedy Taxi Ltd. v. Surrey (City) (2001), 23 M.P.L.R. (3d) 148 (C.S.C.‑B.), au paragraphe 42, qui cite Urban Outdoor, aux paragraphes 32 à 36).

[105]Une redevance qui comporte les caractéristiques énoncées dans les arrêts Lawson, Eurig et Westbank sera considérée comme une taxe, à moins d’être imposée « essentiellement à des fins de réglementation ou si cette taxe est indissociable d’une réglementation plus générale » (Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, [1982] 1 R.C.S. 1004, à la page 1070).

i)        Prélèvement visant à percevoir un revenu à des fins générales

[106]Les droits de licence de la partie II sont recouvrés par le CRTC et déposés dans le Trésor afin d’être utilisés à des fins générales. Aucune somme précise n’est assignée au CRTC ou à Industrie Canada, ou encore à une fin, à un organisme gouvernemental ou à un ministère précis.

[107]La Cour a entendu le témoignage de M. John Traversy, qui a déclaré que lorsqu’une réduction des droits de licence de la partie II a été proposée comme mesure possible visant à encourager et à récompenser la production accrue d’émissions dramatiques canadiennes en langue anglaise, le CRTC n’a pas adopté la proposition. L’avis public y afférent indiquait que toute proposition prévoyant des droits moins élevés si les titulaires de licences réalisaient certains objectifs en matière de programmation « exige[ait] néanmoins une modification du Règlement du Conseil et l’approbation du Conseil du Trésor ». On reconnaît ainsi que les droits de licence de la partie II sont recouvrés uniquement [traduction] « aux fins générales du revenu » (témoignage de John Traversy, 21 novembre 2006, aux pages 524 à 527; pièce P‑6, Avis public de radiodiffu-sion CRTC 2004‑32, 6 mai 2004 [Mesures proposées pour encourager la production d’émissions télévisées dramatiques canadiennes de langue anglaise—Appel d’orbservations], aux paragraphes 12 et 62 à 64).

ii)       Prélèvement ne constituant pas un paiement pour un service

[108]Des frais d’utilisation sont exigés à l’égard d’un service précis, et le montant exigé doit être uniquement consacré à la prestation de ce service. De toute évidence, les droits de licence de la partie II n’appartien-nent pas à cette catégorie de droits. (Toutefois, il importe de noter que dans la lettre d’invitation envoyée aux radiodiffuseurs au mois d’août 1999 au sujet de la table ronde portant sur le recouvrement des coûts du CRTC, le CRTC disait que la question des « frais d’utilisation » serait étudiée—voir la pièce C, onglet C.) La Couronne n’a pas qualifié les droits de frais d’utilisation. Les droits de licence de la partie I servent à couvrir ce qu’il en coûte au CRTC pour réglementer la radiodiffusion. Les droits de licence de la partie II génèrent un revenu de beaucoup supérieur au montant nécessaire aux fins de la gestion du spectre de la radiodiffusion. Ils ne sont pas assignés au CRTC ou à Industrie Canada afin de compenser ce qu’il leur en coûte pour la gestion de la réglementation générale de la radiodiffusion ou d’une composante de la radiodiffu-sion. Comme nous le verrons ci‑dessous, les droits de licence de la partie II sont recouvrés de titulaires de licences qui n’utilisent pas le spectre de la radiodiffusion dans leurs activités et le montant recouvré ne varie pas en fonction du degré d’utilisation du spectre de la radiodiffusion. De toute évidence, les droits de licence de la partie II ne sont pas des frais d’utilisation.

iii)      Prélèvement ne servant pas au financement d’un régime de réglementation

[109]Pour qu’une redevance se rattache à un régime de réglementation, il doit exister un rapport entre la redevance et le régime lui‑même. Contrairement à ce principe, les droits de licence de la partie II sont clairement exigés aux fins de la perception d’un revenu à des fins générales.

[110]Selon la position prise par la Couronne, le régime de réglementation est le système canadien de radiodiffusion, et il est « évident » que les coûts de ce régime sont supérieurs aux droits de la partie II. Toutefois, la Couronne n’a soumis à la Cour aucune preuve au sujet de ce que sont ces coûts. D’autre part, il est établi que les droits de licence de la partie I permettent le recouvrement de ce que les activités de radiodiffusion coûtent au CRTC. Le seul autre élément de preuve concernant les coûts se rattachant à un régime de réglementation se rapporte à ce qu’il en coûte à Industrie Canada pour gérer le spectre de la radiodiffusion.

[111]À supposer même (et les demanderesses ne concèdent pas la chose) que le CRTC soit autorisé à recouvrer certaines sommes afin de compenser ce qu’il en coûte à Industrie Canada pour gérer le spectre de la radiodiffusion, les revenus générés par les droits de licence de la partie II sont complètement disproportion-nés aux coûts réels ou aux coûts estimatifs justifiés. Au cours des sept dernières années, les droits de licence de la partie II ont dépassé ce qu’il en coûte apparemment à Industrie Canada pour gérer le spectre de la radiodiffusion, et ce, d’un montant de 539,6 millions de dollars, soit en moyenne 77,1 millions de dollars par année. En 2004‑2005, le montant recouvré par le CRTC au titre des droits de licence de la partie II dépassait les coûts de gestion du spectre de la radiodiffusion d’Industrie Canada d’un montant de 97,2 millions de dollars. Quoi qu’il en soit, les sommes ne sont pas transférées à Industrie Canada, même en théorie, à cette fin. Elles ne peuvent donc pas être considérées comme une redevance visant à couvrir le coût de gestion du spectre de la radiodiffusion.

[112]Cela va à l’encontre des arrêts sur lesquels la Couronne se fonde, comme Ontario Home Builders’ Association, 620 Connaught, et Mount Cook. Dans chacun de ces cas, il a été statué que le prélèvement était un droit, et ce, pour les raisons suivantes : 1) le prélèvement était inférieur à l’ensemble des coûts de réglementation du régime auquel il se rapportait, ou encore il était limité aux coûts réels; 2) les sommes étaient déposées dans des comptes qui permettaient de couvrir directement les coûts de ce régime (Ontario Home Builders’ Association c. Conseil scolaire de la région de York, [1996] 2 R.C.S. 929, aux paragraphes 9, 55 et 56; Mount Cook National Park Board v. Mount Cook Motels Ltd., [1972] NZLR 481 (C.A.), à la page 491; 620 Connaught Ltd. c. Canada (Procureur général), [2007] 2 R.C.F. 446 (C.A.F.), aux paragraphes 9, 44 et 58).

5)      Prélèvement n’ayant aucun rapport raisonnable

[113]Les régimes de réglementation prévoient habituellement le recouvrement et la dépense de fonds par rapport à des coûts estimatifs justifiés. Les tribunaux n’exigeront pas que les montants recouvrés correspon-dent exactement au coût du régime, mais il doit exister un lien démontrable raisonnable entre ceux‑ci. Si le rapport entre le montant du droit de licence et le coût d’administration du régime de réglementation corres-pondant n’est pas suffisamment étroit, la redevance constitue une forme de taxation (Eurig, précité, aux paragraphes 15, 21 et 22).

[114]Les droits de licence de la partie II sont calculés en tant que pourcentage du revenu brut tiré des activités de radiodiffusion et non de l’utilisation du spectre de la radiodiffusion. Le coût de réglementation de l’utilisation du spectre de la radiodiffusion par le titulaire d’une licence ne varie pas en fonction de ses recettes. Il n’existe aucun lien démontrable entre le montant des droits de licence de la partie II qui est recouvré et tout régime associé de réglementation.

[115]La structure tarifaire vise à permettre de percevoir un revenu de beaucoup supérieur à tout besoin ou à toute fin réglementaire raisonnable. Toutes les sommes recouvrées au titre des droits de licence de la partie II sont déposées directement dans le Trésor à des fins générales. Aucune de ces sommes n’est conservée par le CRTC ou désignée pour dédommager Industrie Canada de ses coûts de réglementation.

[116]L’absence de lien raisonnable entre le prélèvement de la partie II et son but allégué est également important dans le contexte de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire 620 Connaught, précitée, au paragraphe 35. Selon le juge John Maxwell Evans, la redevance à payer pour un produit, un droit ou un avantage, tel qu’un droit de permis d’exploitation, doit correspondre d’une façon raisonnable au coût de fonctionnement du régime de réglementation plus général qui permet à la personne concernée de se livrer à ses activités comme elle le fait.

[117]De même, dans l’arrêt Nanaimo Immigrant Settlement Society v. British Columbia (2004), 242 D.L.R (4th) 394 (C.A. C.‑B.), au paragraphe 35, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a mentionné trois facteurs comme preuve indiquant que le prélèvement dans ce cas‑là était une taxe plutôt qu’un droit : a) le montant recouvré était de beaucoup supérieur aux coûts de réglementation du régime; b) il n’y avait aucune tentative sérieuse de faire correspondre le montant recouvré au coût du régime; c) les revenus recouvrés étaient déposés dans le Trésor. Il en va de même pour les faits de la présente espèce, ce qui démontre encore une fois que les droits de licence de la partie II sont une taxe.

[118]La présente Cour devrait examiner le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, précitée, à la page 1077, où il a été statué que, parce que « [t]ous les aspects importants de l’industrie font déjà l’objet de licences, de prohibitions, d’ordonnances », la taxe proposée n’ajoutait « rien au système actuel de réglementation, si ce n’est un revenu » et elle ne pouvait donc pas être considérée comme un aspect du régime plus général de réglementation. Les droits de la partie II visent eux aussi principalement à générer un revenu aux fins générales de l’État. Ces droits n’ajoutent rien à la structure de réglementation—pas même un revenu.

La justification donnée par la Couronne en ce qui concerne les droits de licence de la partie II n’est pas valable

[119]Le premier témoin de la Couronne, Mme Diane Roy, a présenté un tableau dans lequel on compare les sommes que le CRTC aurait recouvrées, d’une façon hypothétique, si l’ancien régime de droits, de 1,8 p. 100 du revenu brut, avait été laissé en place. Les demanderesses membres de l’ACR affirment que cette preuve n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de savoir si les droits de licence de la partie II sont une taxe. De toute évidence, en 1996 (soit l’année précédant celle au cours de laquelle le Règlement a été édicté), les revenus générés par l’ancien régime de droits, de 1,8 p. 100, étaient bien supérieurs aux coûts du CRTC associés à l’activité de radiodiffusion et à ce qu’il en coûtait à Industrie Canada pour gérer le spectre de la radiodiffusion. En 1996‑1997, les droits de licence de radiodiffusion s’élevaient à 77,9 millions de dollars, alors que les coûts de fonctionnement du CRTC semblaient s’élever en tout à environ 34,1 millions de dollars. (Les documents du CRTC indiquent qu’en 1996, les coûts du CRTC associés à l’activité de radiodiffusion étaient d’environ 20 millions de dollars—voir par exemple la pièce C, onglet A, page 1, et le tableau intitulé « Niveaux des ressources du CRTC (000 $) »; voir également la pièce C, onglet B (« 4. Plans de ressources et tableaux financiers », « 5. Plans financiers comparatifs par secteur d’activité », « 3. Rendement financier comparatif par secteur d’activité », « 1.3 Besoins en ressources par direction générale et activité ou secteur d’activité (000 $) ». Un tableau figurant dans le rapport du mois de juin 2003 du Comité permanent du patrimoine canadien montre bien comment le « rapport » entre les coûts du CRTC et les droits de licence de radiodiffusion existant en 1983‑1984 (21,8 millions de dollars pour les droits de licence de radiodiffusion par opposition à 23,6 millions de dollars en tout pour les coûts de fonctionnement du CRTC, probablement attribuables tant à l’activité de réglementation de la radiodiffusion qu’à l’activité de réglementation des télécommunications) a disparu au cours des années ultérieures. Ce témoin n’a fourni, à l’appui de la position de la Couronne, aucune preuve susceptible d’aider la Cour (pièce C, onglet G, page 320—Figure [sic] 8.25 « Évolution des droits de licences du CRTC payés par le secteur privé de la radiodiffusion et celui des télécommunications, 1983‑2001 »).

[120]Le CRTC a tenté après coup de justifier les droits de licence de la partie II en mentionnant les « trois objectifs » qui font maintenant partie de la défense présentée par la Couronne à l’égard du prélèvement. Les motifs maintenant avancés dans le Budget des dépenses du CRTC pour prélever les droits sont :

· obtenir pour le public canadien un rendement équitable en rapport avec l’accès à une ressource publique ou son exploitation (l’utilisation du spectre par les radiodiffuseurs);

· recouvrer les coûts de gestion du spectre de radiodiffusion engagés par Industrie Canada;

· refléter le privilège de détenir une licence de radiodiffusion en raison de ses avantages commerciaux.

(Budget des dépenses 2005‑2006 : Partie III—Rapport sur les plans et les priorités du CRTC, pièce B, onglet 34, à la page 50; voir également la pièce B, onglet 33, page 43.)

[121]Toutefois, la preuve mise à la disposition de la Cour n’établit pas qu’au moment où le Règlement a été édicté, en 1997, les droits de licence de la partie II visaient à imposer des prélèvements reposant sur les « trois objectifs » susmentionnés. Dans l’avis public du CRTC annonçant le projet de règlement sur les droits de licence de radiodiffusion, il était uniquement fait mention des coûts de réglementation du spectre de la radiodiffusion. Un document interne du CRTC préparé en 1996 indique que la nouvelle structure tarifaire visait principalement à simplifier le processus et à faire en sorte que les droits de la partie I et les droits de la partie II correspondent en tout à peu près au montant recouvré selon l’ancien régime de droits (pièce A, onglet 13 : Avis public CRTC 1996‑149, page 5; pièce C, onglet 4 et onglet A [traduction] « Projet de règlement sur les droits de licence de radiodiffusion : Notes de synthèse »).

[122]L’intention exprimée en public pour édicter le Règlement met encore une fois l’accent sur le maintien des revenus et n’énonce pas de justification à l’appui des redevances fondée sur l’idée selon laquelle la redevance est imposée en échange d’un « privilège » :

a) L’avis public CRTC 1996‑149‑1 (29 novembre 1996) était rédigé comme suit :

Le Conseil fait aussi remarquer que le projet de règlement sur les droits de licence fait en sorte que les recettes désignées soient du même type que celles dont il doit être rendu compte en vertu du règlement actuel.

b) L’avis public CRTC 1997‑32 (20 mars 1997), qui a été publié avec le projet de règlement, était rédigé comme suit :

Le Conseil a rédigé son projet de règlement suite à la décision du Conseil du Trésor de l’autoriser à appliquer la méthode du crédit net à son activité Radiodiffusion. En raison de cette décision, le Conseil exigera désormais qu’une partie des droits de licence soit acquittée au 1er avril de chaque année, afin de financer ses dépenses de fonctionnement.

Lorsqu’il a rédigé le projet de règlement, le Conseil a voulu créer, par rapport à la structure des droits en place, un système suivant lequel l’industrie et chaque entreprise paieraient à peu près le même montant de droits sur une période incluant les trois prochaines années, en prenant pour acquis la stabilité du niveau de financement approuvé.

[. . .]

Le Conseil est convaincu qu’en élaborant le nouveau règlement sur les droits de licence, il a répondu fondamentalement à la décision du Conseil du Trésor de l’autoriser à utiliser la méthode du crédit net, tout en conservant un système qui générera des recettes équivalant à celles qui étaient réalisées en vertu du précédent règlement [. . .] n’est donc pas justifiée pour l’instant.

(Pièce A, volume 3, onglet 14 (Avis public CRTC 1996‑149‑1) et onglet 15 (Avis public CRTC 1997‑32, pages 1, 2 et 3); exposé conjoint des faits, paragraphe 66.)

[123]Le Budget des dépenses du CRTC est un rapport annuel adressé au Parlement. Les Budgets des dépenses déposés immédiatement avant et après que le Règlement eut été édicté n’indiquaient pas que les droits de licence de la partie II visaient à permettre de recouvrer des sommes pour les « trois objectifs » sur lesquels le CRTC se fonde maintenant :

a) Dans le Budget des dépenses 1997‑1998 : Partie III—Plan de dépenses du CRTC (déposé avant que le Règlement ait été édicté), il est simplement dit ce qui suit :

Le Conseil doit adopter un nouveau Règlement sur les droits de licence de radiodiffusion, qui entrera en vigueur le 1er avril 1997, suite à une décision du Conseil du Trésor d’autoriser le Conseil à appliquer la méthode du crédit net à son activité Radiodiffusion. Des fonds, sous la forme de recettes de droits de licence, seront désormais exigés le ler avril de chaque année pour financer les dépenses de fonctionnement du Conseil liées à la réglementation de l’industrie de la radiodiffusion.

b) Dans le Budget des dépenses 1998‑1999 : Un rapport sur les plans et les priorités du CRTC, il est déclaré ce qui suit :

Une partie des droits de la Partit [sic] II perçus par le CRTC est affectée aux dépenses d’Industrie Canada pour les services fournis dans le cadre de son activité Gestion du spectre et opérations régionales, notamment l’accréditation des entreprises de radiodiffusion, le programme d’inspection des entreprises de radiodiffusion et les enquêtes sur des plaintes de brouillage de signaux de radiodiffusion.

c) Dans son Budget des dépenses 1999‑2000 : Un rapport sur les plans et les priorités, le CRTC disait qu’il établirait des comités consultatifs officiels avec les clients « payant des droits » en vue d’assurer « la pleine conformité avec la politique du gouvernement concernant le recouvrement et la facturation des coûts ». Toutefois, dans ce document, le CRTC ne faisait pas non plus mention de l’objectif lié au « rendement équitable en rapport avec l’accès au spectre » ou au « privilège de détenir une licence de radiodiffusion » à l’appui des droits de licence de la partie II.

d) Dans la lettre d’invitation envoyée aux radiodiffuseurs pour la table ronde portant sur le recouvrement des coûts du CRTC, au mois d’août 1999, le CRTC indiquait que la discussion se rapporterait au [traduction] « recouvrement des coûts du CRTC et aux frais d’utilisation connexes ».

e) Dans le Budget des dépenses 2000‑2001 : Un rapport sur les plans et les priorités  (c’est‑à‑dire le premier Budget des dépenses déposé devant le Parlement après la « table ronde—CRTC » auprès des radiodiffuseurs, au mois d’août 1999) (voir la pièce C, onglet 8 et onglet C; le Budget des dépenses pour un exercice particulier est déposé devant le Parlement au mois de mars, avant le début de l’exercice—voir la pièce C, onglet 6), il n’est pas fait mention des « trois objectifs » et de fait il n’est pas du tout fait expressément mention des droits de licence de la partie II.

(Pièce B, documents qui, comme en conviennent les parties, sont authentiques et pertinents, onglet 26 (page 39), onglet 27 (page 22), onglet 28 (pages 20 et 34), onglet 29; pièce C, onglet 6 et onglet C.)

[124]Le Budget des dépenses du CRTC déposé devant le Parlement en 2001 indiquait pour la première fois que les droits « port[aient] sur trois questions importantes », qui étaient semblables aux « trois objectifs » susmentionnés sans toutefois être identiques. C’est la première fois que le Parlement était informé des objectifs maintenant invoqués à l’égard des droits de licence de la partie II concernant :

i) les coûts encourus par Industrie Canada pour les services fournis dans le cadre de son activité Gestion du spectre et opérations régionales;

ii) le privilège d’utiliser le spectre de la radiodiffusion;

iii) le privilège de détenir une licence de radiodiffusion en raison de ses avantages commerciaux.

(Pièce B, onglet 30, page 30.)

[125]Ce n’est qu’en 2002 (soit cinq ans après l’entrée en vigueur du Règlement) que le Rapport sur le rendement et le Budget des dépenses du CRTC font mention des « trois objectifs » tels qu’ils sont maintenant énoncés (pièce B, onglet 36, page 45, onglet 31, page 34).

[126]Il importe de noter que ni l’une ni l’autre des personnes qui ont témoigné pour la Couronne au sujet des faits (Mme Roy et M. Traversy) n’a témoigné au sujet du but du régime des droits de licence de la partie II lorsque le Règlement a été édicté en 1997. Mme Roy a témoigné n’avoir nullement pris part à l’élaboration de la nouvelle structure tarifaire. M. Traversy ne se rappelait pas le processus ou le rôle qu’il avait eu, mais il a déclaré avoir eu tout au plus un rôle [traduction] « minime ». La Couronne n’a pas présenté de preuve des discussions internes du CRTC ou des discussions qui avaient eu lieu avec le Conseil du Trésor à l’appui de la prétention fondée sur les « trois objectifs ». Selon la seule preuve dont dispose la Cour, les « trois objectifs » justifiant les droits de licence de la partie II ont été élaborés bien après que le Règlement eut été édicté, en 1997. Il en est conclu que les objectifs ont été élaborés en réponse à la présente action en justice (témoignages de Diane Roy et de John Traversy, 21 novembre 2006).

1) Il ne s’agit pas d’un paiement associé aux coûts de gestion du spectre par Industrie Canada

[127]Même si l’un des objectifs justifiant le recouvrement par le CRTC des droits de licence de la partie II était le recouvrement des coûts d’Industrie Canada associés à la gestion du spectre de la radiodiffusion, il n’est pas fait mention, dans la Loi sur la radiodiffusion, de quelque pouvoir conféré au CRTC aux fins du recouvrement d’argent pour le compte d’Industrie Canada. En outre, la Couronne a admis que les droits de licence de la partie II ne sont pas réellement consacrés à Industrie Canada ou à quelque autre fin précise dans le Trésor.

[128]Industrie Canada a son propre régime distinct de réglementation en vue de gérer l’utilisation du spectre de fréquences radiophoniques et d’accorder des licences à cet égard en vertu de la Loi sur la radiocommu-nication [L.R.C. (1985), ch. R-2, art. 1 (mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 2)], notamment pour ce qui est du spectre attribué pour la radiodiffusion. (exposé conjoint des faits, paragraphe 57).

[129]À l’heure actuelle, Industrie Canada n’exige pas de droits d’un titulaire de certificat de radiodiffusion qui est délivré dans le cas où le spectre de la radiodiffusion doit être utilisé par le titulaire. Le ministère a décidé de ne pas le faire. Industrie Canada a de fait établi des droits pour l’utilisation du spectre de fréquences radiophoniques à d’autres fins. (exposé conjoint des faits, paragraphe 57; demande d’aveux, paragraphe 63; réponse à la demande d’aveux, paragraphe 2(xvi); témoignage de Wayne Stacey, 20 novembre 2006; Industrie Canada, Guide pour le calcul des droits de licence, pièce B, onglet 17; Loi sur la radiocommunication, paragraphe 6(1) [mod. par L.C. 1989, ch. 17, art. 4], pièce D, onglet 6; Règlement sur la radiocommunication [DORS/96-484], pièce D, onglet 7).

[130]Il a été estimé que les coûts engagés par Industrie Canada à l’égard de la gestion du spectre de la radiodiffusion sont passés de 13 millions de dollars en 1998‑1999 à 10 millions de dollars en 2004‑2005. Les coûts de gestion du spectre de la radiodiffusion ne varient pas selon les revenus bruts réalisés par les titulaires de licences de radiodiffusion. Par conséquent, il n’existe aucun lien raisonnable entre ce qu’il en coûte à Industrie Canada pour gérer le spectre de la radiodiffusion et les montants des droits de licence de la partie II ou la méthode par laquelle ces droits sont recouvrés (exposé conjoint des faits, paragraphes 59 et 60).

2) Il ne s’agit pas d’un paiement associé au « privilège » lié à l’utilisation du spectre

[131]Selon la deuxième justification avancée par la Couronne quant aux « trois objectifs » visés par les droits de licence de la partie II, ces droits permettent d’obtenir pour le public canadien un « rendement équitable » en ce qui concerne l’utilisation du spectre de la radiodiffusion par les radiodiffuseurs. Cette justifica-tion ne résiste pas non plus à l’analyse.

[132]Il importe de noter que cet objectif pourrait uniquement s’appliquer à l’utilisation du spectre de la radiodiffusion, étant donné qu’Industrie Canada recouvre des droits d’entités qui transmettent des signaux sur d’autres fréquences du spectre électroma-gnétique. Ainsi, le droit de transmettre sur le spectre des « satellites de radiodiffusion » ou sur le spectre des « satellites stationnaires » fait l’objet d’un paiement distinct par un exploitant de service par satellite titulaire d’une licence d’Industrie Canada l’autorisant à utiliser ce spectre. Dans la mesure où ce spectre est utilisé aux fins de la transmission des signaux du titulaire de licence, ce titulaire verse un droit à l’exploitant du service par satellite et Industrie Canada aurait reçu de l’exploitant un paiement pour l’utilisation du spectre. Le « privilège » que comporte l’utilisation du spectre en pareil cas est déjà payé (exposé conjoint des faits, paragraphes 85 et 91; témoignage de Wayne Stacey, 20 novembre 2006).

[133]La Cour a entendu un témoignage indiquant que la réception liée à la radiodiffusion n’exige pas d’autorisation spéciale d’Industrie Canada et que le spectre de la radiodiffusion n’est pas utilisé pour toutes les activités de radiodiffusion faisant l’objet d’une licence du CRTC. Seuls les titulaires de licences dont la licence de radiodiffusion peut être identifiée par un indicatif précis, par exemple « CJOH‑TV », utilisent un transmetteur utilisant le spectre de la radiodiffusion comme principal moyen de distribution du signal (témoignage de Wayne Stacey, 20 novembre 2006; exposé conjoint des faits, paragraphes 74 et 93).

[134]Les services payants et spécialisés ne se servent pas de transmetteurs distribuant des émissions à des appareils récepteurs pour consommateurs utilisant le spectre de la radiodiffusion et ils n’ont pas à obtenir un certificat de radiodiffusion d’Industrie Canada après avoir obtenu une licence du CRTC. Ils acheminent plutôt leurs émissions jusqu’aux entreprises de distribu-tion comme les systèmes habituels de distribution par câble ou les systèmes de SRD pour qu’elles soient distribuées aux abonnés. Pour acheminer la program-mation vers les entreprises de distribution, les exploi-tants de services payants et spécialisés emploient des fibres optiques ou des câbles coaxiaux (qui n’utilisent pas le spectre de la radiodiffusion), ou des liaisons par satellite stationnaire ou des liaisons hertziennes (pour lesquelles des droits de licence distincts sont versés à Industrie Canada aux fins de la transmission sur ces fréquences du spectre) (exposé conjoint des faits, paragraphes 96, 98 et 99; témoignage de Wayne Stacey, 20 novembre 2006).

[135]Les entreprises habituelles de distribution par câble transmettent leurs émissions au moyen d’une combinaison de fibres optiques et de câbles coaxiaux et n’utilisent pas du tout le spectre de la radiodiffusion dans la partie de leurs installations fixes de distribution qui est reliée directement aux abonnés (exposé conjoint des faits, paragraphe 100; témoignage de Wayne Stacey, 20 novembre 2006).

[136]Les entreprises de SRD distribuent leurs émissions au moyen de signaux transmis par satellite fournis par un exploitant de service par satellite comme Télésat Canada. De tels systèmes utilisent un spectre électromagnétique de « satellite stationnaire » ou de « satellite de radiodiffusion » qui fait l’objet d’une licence accordée à l’exploitant du service par satellite et non aux titulaires de licences de services de SRD. Lorsque des liaisons hertziennes ou des liaisons par satellite stationnaire sont employées pour la réception des émissions par l’entreprise de SRD, des droits de licence distincts sont versés à Industrie Canada par les titulaires de licences de ces systèmes, de sorte que l’on a déjà payé pour le « privilège » se rattachant à l’utilisation du spectre (exposé conjoint des faits, paragraphes 103, 104 et 107; témoignage de Wayne Stacey, 20 novembre 2006).

[137]La plupart des émissions de réseau sont distribuées au moyen de liaisons par satellite stationnaire ou de liaisons hertziennes; toutefois, des câbles à fibres optiques et des câbles coaxiaux dédiés peuvent également être employés. Ces deux derniers moyens de distribution n’emploient pas le spectre électromagné-tique. Lorsque des liaisons hertziennes ou des liaisons par satellite stationnaire, qui n’utilisent pas le spectre de la radiodiffusion, sont employées pour la distribution des émissions, les droits de licence du spectre sont versés à Industrie Canada par les titulaires de licences de ces systèmes techniques (exposé conjoint des faits, paragraphe 113; témoignage de Wayne Stacey, 20 novembre 2006).

[138]La tentative que la Couronne a faite pour justifier les droits de licence de la partie II en tant que « privilège » permettant l’utilisation du spectre de la radiodiffusion ne s’applique donc même pas dans la plupart des cas et, compte tenu des tendances actuelles, la justification est encore moins vraisemblable. La Cour a entendu le témoignage de M. Traversy, selon lequel [traduction] « un pourcentage relativement élevé » des ménages reçoivent leurs émissions de télévision par l’entremise d’entreprises de distribution plutôt que par ondes grâce à l’utilisation du spectre de la radiodiffu-sion. M. Traversy a également témoigné qu’à l’avenir, les revenus des services spécialisés et payants (qui n’utilisent pas le spectre de la radiodiffusion pour transmettre leurs signaux) seront probablement supérieurs à ceux des chaînes de télévision privées classiques (qui utilisent le spectre de la radiodiffusion pour transmettre leurs signaux). Par conséquent, le deuxième des « trois objectifs » de la Couronne ne saurait lui non plus tenir (témoignage de John Traversy, 21 novembre 2006, aux pages 517 et 518; pièce P‑5, article de la Presse canadienne en date du 29 juin 2005).

[139]Quoi qu’il en soit, il n’existe aucun élément de preuve au sujet de la valeur de ce présumé privilège ou de la façon dont 1,365 p. 100 des revenus bruts représente le « rendement équitable » invoqué par la Couronne.

3) Il ne s’agit pas d’un paiement associé au « privilège » se rattachant à la radiodiffusion en raison de ses avantages commerciaux

[140]Malgré la prétention de la Couronne selon laquelle les droits de licence de la partie II représentent une redevance qui est versée pour le privilège se rattachant à la radiodiffusion en raison de ses avantages commerciaux, il est clair que de nombreux radiodiffu-seurs exploitent leur entreprise à des fins commerciales sans être tenus d’acquitter les droits de licence de la partie II. Ici encore, il n’existe aucun lien raisonnable entre les droits de licence de la partie II et le présumé « privilège » se rattachant à la radiodiffusion à des fins commerciales :

a) Selon l’ancien régime de droits, chaque titulaire de licence était tenu de verser un droit de licence minimal, plus un pourcentage des recettes en sus de la franchise applicable. Toutefois, le Règlement a éliminé le droit de licence de base pour toutes les entreprises, et à l’heure actuelle, seules les entreprises dont les recettes sont en sus de la franchise précisée déposent un rapport sur les droits de licence et paient le montant applicable au titre des droits de licence. Par conséquent, plus de 2 000 entreprises de radiodiffusion n’étaient pas tenues d’acquitter les droits de licence afin d’avoir le « privilège » d’exercer leurs activités à des fins commerciales.

b) Par suite de l’avis public CRTC 2001‑121 [Ordonnance d’exemption pour les entreprises de câblodistribution de moins de 2 000 abonnés], le CRTC a révoqué l’obligation de détenir une licence pour plus de 1 300 entreprises de distribution de radiodiffusion qui comptaient moins de 2 000 abonnés, de sorte que celles‑ci ne sont plus tenues d’acquitter les droits de licence de la partie II. De même, l’avis public de radiodiffusion CRTC 2004‑39 [Ordonnance d’exemption des entreprises de distribution de radiodiffusion par câble desservant entre 2 000 et 6 000 abonnés et modification au Règlement sur la distribution de radiodiffusion] exemptait les entreprises de distribution de radiodiffusion par câble qui desservent de 2 000 à 6 000 abonnés, de nombreuses autres entreprises pouvant maintenant exercer leurs activités à des fins commerciales sans être obligées d’acquitter les droits de licence de la partie II. Un grand nombre de ces entreprises auraient par ailleurs été tenues d’acquitter les droits de la partie II.

(Pièce A, onglet 13 (Avis public CRTC 1996‑149, pages 2 et 3); pièce A, onglet 15 (Avis public CRTC 1997‑32; page 2); pièce A, onglet 12 (Avis public CRTC 2001‑121 et Avis public de radiodiffusion CRTC 2004‑39); pièce P‑4 (lettre de Jim Stefanik (CRTC) en date du 3 octobre 2003); témoignage de John Traversy, 21 novembre 2006.)

[141]En outre, ni le Règlement ni quelque autre document préparé avant que le Règlement ait été édicté ne font mention de l’intention d’imposer un droit pour le « privilège » se rattachant à une licence de radiodiffusion (pièce C, onglet 22).

[142]Lorsque les droits de licence de la partie II ont été établis, ni le CRTC ni quelque autre ministère ou organisme gouvernemental n’avaient effectué d’études, que ce soit en vue de déterminer la valeur marchande du « privilège » se rattachant à une licence de radiodiffusion ou en vue de déterminer ce que pourrait être le « privilège » lié à l’utilisation du spectre de la radiodiffusion (pièce C, onglet 5).

[143]En 1997, la Politique sur le recouvrement des coûts et la tarification du Conseil du Trésor prévoyait ce qui suit :

[. . .] la perception de frais d’utilisation ne doit pas simple-ment servir à générer des revenus pour répondre aux besoins en financement d’un ministère ou d’un organisme gouvernemental. Les frais doivent refléter le coût du bien ou du service ou la valeur du privilège conféré.

[. . .]

Avant d’établir le prix du service, on doit déterminer le coût total de prestation du service. C’est le seul moyen de déterminer le prix convenable. Quand [sic] aux droits et privilèges, la facturation au taux du marché est souvent la méthode la plus appropriée [. . .] Lorsqu’un service confère à la fois des bénéfices publics et privés, les frais devraient être inférieurs au coût total.

[144]Même au moment où elle a déposé sa réponse à la demande d’aveux, le 24 mars 2005, la Couronne a admis qu’aucun examen du rapport existant entre les revenus tirés des droits de licence de la partie II et la valeur que les radiodiffuseurs pouvaient attribuer à une licence n’avait été effectué.

[145]Ce n’est que le 11 mars 2005 (bien après que la présente action eut été intentée, au mois de décembre 2003), en réponse à l’engagement qui avait été pris envers le Comité du patrimoine canadien, que le ministère du Patrimoine canadien a lancé une « Demande de propositions » en vue de tenter de « déterminer les différentes méthodes que l’on pourrait utiliser pour établir la valeur économique des licences de radiodiffusion détenues à des fins commerciales » (pièce C, onglet 15 et onglets I et J).

4) Il n’existe aucune preuve de la valeur

[146]La Couronne affirme que les droits de licence de la partie II représentent un « rendement équitable » de la présumée valeur du « privilège ». Toutefois, la notion de « rendement équitable » donne à entendre que la Couronne a mesuré cette valeur et qu’elle a conclu que cette valeur est raisonnable. Lorsque le Règlement a été édicté, il n’y avait pas d’études sur lesquelles le CRTC pouvait fonder l’imposition d’une redevance de 1,365 p. 100 sur les revenus bruts, de sorte qu’il est clair que la Couronne ne peut pas démontrer que le CRTC a imposé le prélèvement afin d’établir un rapport raisonnable entre les droits de licence de la partie II et la valeur du présumé privilège. Même en 2006, le gouvernement essaie encore de déterminer quelle pourrait être la valeur de ce « privilège ».

[147]Les témoins experts de la Couronne n’ont pas soumis de valeur mesurable du privilège susceptible d’aider la Cour à décider s’il y a un rapport raisonnable entre cette valeur et les montants recouvrés au titre des droits de licence de la partie II. C’est ce que M. Lyman a clairement déclaré :

[traduction] Je dois dire au départ que nous n’avons jamais établi la valeur explicite des licences. Il s’agissait de déterminer si les licences avaient une valeur, plutôt que de mesurer cette valeur.

Il est utile de signaler et de démontrer certaines mesures, mais nous ne prétendons pas avoir calculé la valeur totale d’un ensemble donné de licences.

(Evidence of Peter Lyman, November 22, 2006, at page 612, lines 15‑23.)

(Témoignage de Peter Lyman, 22 novembre 2006, à la page 612, lignes 15 à 23.)

[traduction]

Q. Je crois donc comprendre que vous n’exprimez pas aujourd’hui l’opinion selon laquelle ce pourcentage de 1,365 p. 100 des revenus bruts est un rendement équitable pour la valeur de cette licence de radiodiffusion.

R. Comme je l’ai dit, notre rapport traitait de la question de la valeur économique d’une licence et des avantages y afférents.

(Témoignage de Peter Lyman, 22 novembre 2006, à la page 682, lignes 6 à 12.)

[148]De fait, l’avocat de la Couronne a dit ce qui suit :

[traduction]

Me COUTO : Selon les observations que nous avons faites dans notre exposé initial et ici, nous pouvons exiger un montant donné pour quelque chose qui a de la valeur.

LE JUGE SHORE : En effet.

Me COUTO : Il ne s’agit pas ici de savoir si le taux de 1,365 p. 100 est exact.

Selon moi, c’est là que la mesure acquiert de l’importance. Le taux de 1,365 p. 100 est‑il le bon, compte tenu de la valeur de ces licences?

Mais telle n’était pas la question. La question qui se pose ici est de savoir s’il s’agit d’une taxe.

(Témoignage de Peter Lyman, 22 novembre 2006, à la page 638, lignes 9 à 19.)

[149]Par opposition aux vagues assertions que la Couronne a faites au sujet de la valeur du « privilège » se rattachant à une licence de radiodiffusion, une preuve abondante a été soumise à la Cour indiquant que pareil « privilège » avait déjà été payé par un radiodiffuseur, et ce, de bien des façons, indépendamment des droits de licence de la partie II. Ainsi, le CRTC peut assortir la licence de conditions, l’entreprise de radiodiffusion s’engageant :

a) à radiodiffuser un contenu canadien minimal;

b) à contribuer aux fonds pour la production d’un contenu canadien;

c) à contribuer aux fonds associés à d’autres projets.

(Témoignage de John Traversy, 21 novembre 2006.)

[150]M. Traversy, témoin de la Couronne, a reconnu que de tels engagements occasionneront des frais à l’entreprise de programmation. Voici ce qu’il a déclaré :

[traduction] La production d’émissions dramatiques canadiennes coûte fort cher et, par le passé, les émissions de ce genre n’ont pas permis le recouvrement des coûts y afférents dans le système canadien de radiodiffusion.

(Témoignage de John Traversy, 21 novembre 2006, page 521, lignes 15 à 18.)

[151]La Cour a également entendu le témoignage de M. Traversy, selon lequel le CRTC examine les demandes de licences afin de déterminer la façon dont le titulaire éventuel atteindra les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion. La procédure de demande est souvent un « processus concurrentiel ». Le CRTC tient compte des conditions avancées quant au contenu canadien, des contributions que le titulaire éventuel ferait aux fins du développement d’artistes canadiens, de ce qu’il ferait pour servir la communauté locale et des initiatives qui seront prises pour faire en sorte qu’il y ait un bulletin de nouvelles et que de l’information pertinente soit présentée. Le CRTC examine également la rentabilité de l’entreprise, la situation du poste sur le marché et le potentiel économique du titulaire lorsqu’il décide du pourcentage à imposer, au moyen des conditions fixées dans la licence, en ce qui concerne les exigences en matière de programmation canadienne (témoignage de John Traversy, 21 novembre 2006).

5)      L’argument concernant le loyer économique

[152]Selon l’assertion que la Couronne a faite au moyen de son expert, M. Dustin Chodorowicz, les droits de la partie II sont une façon pour elle d’obtenir un loyer économique pour le « privilège » se rattachant à une licence de radiodiffusion ou à l’utilisation du spectre de la radiodiffusion. Toutefois, on ne sait pas trop comment cette preuve établit que les droits ne sont pas une taxe.

[153]M. Chodorowicz a reconnu que l’État obtient souvent le loyer économique attribuable à un « privilège » au moyen de taxes (témoignage de Dustin Chodorowicz, 22 et 23 novembre 2006).

[154]La Couronne demande avec instance à la Cour d’examiner ce qui se passe dans d’autres ressorts, mais la preuve montre que d’autres pays comme la Nouvelle‑ Zélande et l’Australie recouvrent au moyen d’une taxe le loyer économique associé à une licence de radiodiffu-sion (témoignage de Dustin Chodorowicz, 22 et 23 novembre 2006).

[155]L’expert des demandeurs, M. Gerry Wall, a témoigné qu’il serait difficile d’établir une valeur mesurable pour une licence de radiodiffusion (témoigna-ge de Gerry Wall, 24 novembre 2006, page 1046, lignes 23 à 26, page 1047, lignes 1 à 12).

[156]M. Wall a également témoigné que le CRTC obtient en réalité une bonne partie de la valeur qui pourrait être attribuée à une licence par d’autres moyen (pièce P‑12, paragraphes 12 à 29, rapport d’expert de Gerry Wall).

6)      La Loi sur la radiodiffusion n’autorise pas le CRTC à exiger certaines sommes pour un « privilège »

[157]Quoi qu’il en soit, la Loi sur la radiodiffusion n’autorise pas le CRTC à imposer un droit pour un privilège ou à obtenir un loyer économique.

[158]L’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion ne renferme rien qui permette au CRTC d’exiger un montant donné pour un privilège. Si l’on qualifiait les droits de licence de la partie II de redevances pour la fourniture de produits, ou pour l’attribution de droits ou d’avantages, l’article 11 du Règlement serait également ultra vires de l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, lorsqu’il s’agit d’exiger des droits de réglementation.

[159]La disposition légale que la Cour d’appel fédérale examinait dans l’arrêt 620 Connaught, précité (l’article 24 de la Loi sur l’Agence Parcs Canada, L.C. 1998, ch. 31), prévoyait que Parcs Canada pouvait fixer le prix à payer « pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages ». Comme le montre bien la disposition légale en cause dans l’arrêt 620 Connaught ainsi que de nombreuses autres lois, lorsque le législateur entend conférer le pouvoir de recouvrer un droit à l’égard d’un privilège, il le fait. Mentionnons par exemple la Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6, article 25; la Loi sur le ministère de la Santé, L.C. 1996, ch. 8, art. 7; la Loi sur le ministère du Développement social, L.C. 2005, ch. 35, article 20; la Loi sur le ministère de l’Industrie, L.C. 1995, ch. 1, article 19; la Loi sur les océans, L.C. 1996, ch. 31, article 48.

La Couronne n’a pas raison de se fonder sur l’arrêt La Presse

[160]La Couronne se fonde fortement sur l’arrêt La Presse, de la Cour suprême du Canada.

[161]Cet arrêt figure d’une façon prédominante dans l’argumentation de la Couronne et l’avocat de la défenderesse a déclaré que la présente instance [traduction] « a été tranchée d’une façon concluante par la Cour suprême du Canada il y a quarante ans dans l’arrêt La Presse » (transcription du 21 novembre 2006, page 396, ligne 7).

[162]La défenderesse a mal interprété l’arrêt La Presse en ce qui concerne la façon dont la Cour a interprété les faits et la législation qui était alors en vigueur.

a) L’exigence relative à l’existence d’un rapport raisonnable est reconnue dans l’arrêt La Presse

[163]Premièrement, il faut noter que l’arrêt La Presse porte essentiellement sur une objection soulevée à l’encontre de l’effet rétroactif d’un décret. Toutefois, dans la mesure où cet arrêt portait sur la qualification d’une redevance, la majorité de la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit [à la page 74] :

[traduction] Le savant juge de première instance a jugé non fondées les prétentions de l’intimée selon lesquelles l’article 5 du Règlement sur la radio tel qu’il a été édicté par le décret n’était pas valide parce que 1) il imposait une taxe et non un droit de licence, 2) il était injuste et discriminatoire. Je souscris à cet avis et je n’ai pas grand‑chose à ajouter aux remarques que le juge de première instance a faites sur ces deux points.

[164]Selon l’avis exprimé par la Cour de l’Échiquier, que la Cour suprême du Canada partageait, l’organisme de réglementation dans cette affaire‑là [à la page 636] « requ[érait] des revenus substantiels afin de subvenir à la bonne expédition de ses tâches multiples, revenus qui [devaient] s’accroître au rythme même de l’augmen-tation des nécessités de l’exploitation ». Dans la décision La Presse, la Cour de l’Échiquier du Canada a expressément conclu [à la page 636] que les coûts de réglementation de la radiodiffusion allaient en augmentant à ce moment‑là et que les revenus générés par les droits de licence étaient raisonnables par rapport à ces coûts. Comme le juge du procès l’a conclu, [traduction] « le coût total d’administration, de régie [à la page 636], de supervision, d’assistance, de protection, d’octroi de licences, etc., de tous les postes et installations émetteurs relevant du ministère des Transports » pour les années pertinentes était le suivant :

1956‑1957..................................................................................................................................................................... 1,683,185 $

1957-1958.................................................................................................................................................................... 2,061,772 $

1958‑1959..................................................................................................................................................................... 2,235,236 $

1959‑1960..................................................................................................................................................................... 2,403,875 $

1960‑1961..................................................................................................................................................................... 2,731,534 $

[165]Les remarques que la Cour de l’Échiquier a faites sont brièvement résumées dans le sommaire de la décision, à la page 628 :

Pour distinguer une licence d’avec une taxe il faut s’enquérir si le prix exigé par l’État pour le privilège d’exploiter une entreprise n’excède pas et a pour objet seulement de rencontrer le coût actuel de la licence ainsi que de la surveillance et du contrôle de cette entreprise, auquel cas il s’agirait d’une licence et non d’une taxe. Dans le cas contraire, ce serait l’inverse.

[166]Dans la décision La Presse, la Cour de l’Échiquier cherchait à établir un rapport entre le prélèvement et les coûts de l’activité faisant l’objet de réglementation; la Cour suprême du Canada était d’accord avec M. le juge Jacques Dumoulin en ce qui concerne l’analyse que celui‑ci avait effectuée en comparant une taxe à un droit.

[167]Par conséquent, le raisonnement qui a été fait dans la décision La Presse, en ce qui concerne la qualification d’un prélèvement, est précisément le raisonnement que les demanderesses voudraient que la Cour applique. Les droits de licence de la partie II ne visent pas à permettre de couvrir les coûts de réglementation du système de radiodiffusion. Les montants recouvrés au titre des droits de licence de la partie II sont de beaucoup supérieurs au coût de ce régime de réglementation. Les sommes recouvrées sont déposées dans le Trésor et visent à permettre de percevoir un revenu à des fins générales d’intérêt public. Si ces facteurs avaient été présents en 1967, l’affaire La Presse aurait été tranchée d’une façon fort différente.

b)      Régime législatif incompatible

[168]La décision La Presse se rapportait à un régime de réglementation qui ne comprenait pas l’allocation précise de certaines sommes à un système autonome, telles que les sommes recouvrées au titre des droits de licence de la partie I; de plus, les versions française et anglaise du règlement en question étaient incompatibles, ce qui a jeté encore plus de confusion sur la question en litige.

[169]L’alinéa 3(1)a) de la Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233, autorisait le gouverneur en conseil à prescrire un tarif de droits à payer pour les licences accordées aux chaînes commerciales privées de radiodiffusion. Au mois d’octobre 1960, un décret a été adopté en vue de modifier le Règlement général sur la radio, Partie I [DORS/58-46] qui était alors en vigueur et de remplacer l’article 5 par un nouvel article 5 [DORS/60-495, art. 1] . Il convient de reproduire les dispositions légales pertinentes qui ont été examinées dans l’arrêt La Presse.

Loi sur la radio, S.R.C. 1952, ch. 233, article 3 :

3. (1) Le gouverneur en conseil peut

(a) prescrire le tarif des droits à payer pour les licences [. . .]

Règlement général sur la radio, Partie I, article 5 :

5. (1) [. . .]

(2) Sous réserve des dispositions du présent article, la taxe de licence afférente à une station commerciale privée de radiodiffusion pour chaque année de licence [. . .]

(3) Sous réserve des dispositions du présent article, la taxe de licence afférente à une station commerciale privée de radiodiffusion pour chaque année de licence [. . .]

[170]La décision de la Cour de l’Échiquier était rédigée en français. Avec égards, la législation en l’espèce est au mieux ambiguë. On ne peut tout simple-ment pas dire que la présente affaire [traduction] « a été tranchée d’une façon concluante par la Cour suprême du Canada il y a quarante ans dans l’arrêt La Presse ».

La Couronne n’a pas raison de se fonder sur l’arrêt 620 Connaught

[171]La Couronne se fonde sur l’arrêt 620 Connaught, précité, à l’appui de ses arguments.

[172]Dans son exposé initial, la Couronne a cité le juge Evans en disant que [traduction] « l’avantage unique dont jouit celui qui paie le droit établit le lien avec le régime de réglementation ». L’avocat a ajouté que [traduction] « telle [était] exactement la situation dans ce cas‑ci ». Par conséquent, selon une seconde thèse à l’égard de laquelle la Couronne a cité l’arrêt 620 Connaught, les titulaires de licences peuvent se voir imposer des droits parce qu’ils profitent du privilège se rattachant à une licence de radiodiffusion (exposé initial de l’avocat de la Couronne, volume 2, page 410, ligne 17).

[173]Telle n’est pas la thèse qui était en cause dans l’arrêt 620 Connaught.

L’intention visée dans l’arrêt 620 Connaught

[174]L’arrêt 620 Connaught, précité, aux paragraphes 35, 66 et 67, dit essentiellement que lorsqu’un organisme de réglementation est autorisé par la loi à exiger un montant donné pour un privilège, l’avantage tiré de l’activité commerciale réglementée peut entrer en ligne de compte afin d’établir un rapport entre le droit et le régime de réglementation.

[175]L’arrêt 620 Connaught n’étaye pas la thèse selon laquelle il est possible d’exiger un montant donné pour un privilège simplement lorsqu’un avantage commercial est présent. Il établit plutôt la liaison entre le prélèvement et l’avantage lorsque la loi prévoit qu’un droit peut être exigé pour un privilège.

Le pouvoir d’exiger un montant pour un privilège au Canada

[176]Au Canada, le pouvoir d’une entité gouverne-mentale d’exiger un montant pour un privilège découle de la loi. Ce pouvoir doit être expressément conféré par le législateur, comme c’était le cas dans l’affaire 620 Connaught, où la Loi sur l’Agence Parcs Canada, conférait comme suit le pouvoir de fixer le prix à payer :

24. Le ministre peut, sous réserve des règlements éventuellement pris par le Conseil du Trésor, fixer le prix— ou le mode de calcul du prix— à payer pour la fourniture de produits ou l’attribution de droits ou d’avantages par l’Agence.

[177]De plus, comme il en a ci‑dessus été fait mention, les droits exigés dans ce cas‑là étaient directement affectés au budget du parc Jasper.

Mention de l’arrêt Mount Cook

[178]À titre de référence supplémentaire à l’appui du même argument—à savoir que l’avantage autorise l’imposition d’une redevance pour un privilège—la Couronne a cité l’arrêt Mount Cook, précité. Toutefois, elle n’a pas mentionné que le droit prélevé dans cette affaire restait dans le système auquel il se rattachait. Dans l’arrêt Mount Cook, le juge North a expressément fait mention, à la page 487, du système fermé du régime, lorsqu’il a dit ce qui suit :

[traduction] Je ne vois absolument pas pourquoi le Conseil ne devrait pas exiger des droits de licence pour ce privilège, qui lui permettront de réaliser un profit à ajouter à ses recettes générales.

[179]En outre, l’arrêt Mount Cook, précité, était largement fondé sur ce que la cour était d’avis que le Conseil avait [traduction] « le droit d’exiger des frais raisonnables ». Or, en l’espèce, la Couronne n’a pas fixé ce que seraient des frais raisonnables.

2)      S’il s’agit de taxes, les demanderesses membres de l’ACR sollicitent un jugement déclaratoire portant que les sommes versées conformément à l’article 11 du Règlement doivent leur être remises. Il s’agit de savoir si elles ont droit à ces sommes.

La législation actuelle—La Loi sur la radiodiffusion et son importance

[180]Les dispositions suivantes de la Loi sont particulièrement importantes en l’espèce :

a) le paragraphe 2(1), qui renferme les définitions;

b) l’article 3, qui énonce la politique canadienne de radiodiffusion, indique les objectifs du régime de réglementation et établit que le système de radiodiffusion forme un système unique intégré;

c) l’article 11, qui :

i) prévoit expressément que les droits peuvent être calculés en fonction de certains critères que le CRTC juge indiqués, notamment les revenus des titulaires de licences;

ii. ne précise pas (contrairement à d’autres dispositions légales similaires) que les droits sont limités aux coûts de tout service fourni.

La politique canadienne de radiodiffusion

[181]Dans les 20 alinéas figurant au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion, le Parlement a établi une « politique canadienne de radiodiffusion » qui est importante, exhaustive, complexe et ambitieuse.

[182]Au premier alinéa, le Parlement déclare que « le système canadien de radiodiffusion doit être, effective-ment, la propriété des Canadiens et sous leur contrôle ». Au deuxième alinéa, le Parlement établit que le système canadien de radiodiffusion « utilise des fréquences qui sont du domaine public » et offre « un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle ».

[183]Les autres dispositions du paragraphe 3(1) établissent un certain nombre d’objectifs importants et uniques en leur genre pour le système canadien de radiodiffusion. (De fait, le dossier législatif montre que, depuis de nombreuses décennies, la politique canadien-ne de radiodiffusion est axée sur l’intérêt public et met l’accent sur l’identité canadienne.) Ainsi, le système canadien de radiodiffusion doit : a) « sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada »; b) traduire « des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes »; c) « répondre aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des femmes et des enfants canadiens ».

[184]La Cour suprême du Canada a récemment résumé l’exhaustive politique canadienne de radiodiffusion. Le juge Frank Iacobucci, qui rédigeait les motifs au nom de la Cour dans la décision Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, a dit ce qui suit, au paragraphe 47 :

La politique canadienne de radiodiffusion possède un certain nombre de caractéristiques propres et elle établit une orientation incontestablement axée sur la culture. Il y est déclaré qu’au Canada les radiofréquences sont du domaine public, qu’il est fondamental que le système de radiodiffusion soit la propriété des Canadiens et sous leur contrôle et que la programmation offerte par le système de radiodiffusion est « un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle ».

Un système de réglementation unique, assujetti à une seule autorité

[185]Le fait que le système de radiodiffusion constitue un système unique intégré régi par un seul régime de réglementation est établi au paragraphe 3(2) :

3. (1) [. . .]

(2) Il est déclaré en outre que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome.

[186]Dans le contexte de cette disposition, la Cour suprême du Canada a fermement reconnu que le système canadien de radiodiffusion, même lorsqu’une loi autre que la Loi sur la radiodiffusion est en cause, est régi par un seul régime de réglementation. Encore une fois, dans l’arrêt Bell ExpressVu, le juge Iacobucci a dit ce qui suit, au paragraphe 46 :

[. . .] je souscris aux propos suivants du juge LeGrandeur de la Cour provinciale de l’Alberta dans l’affaire Knibb, précitée, par. 38‑39, qu’a fait siens le juge Gibson de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Norsat, précité, par. 35 :

[traduction] La Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la radiocommunication doivent être considérées comme fonctionnant dans le cadre d’un seul régime réglementaire.

[187]À cet égard, les dispositions de l’article 2 mettent l’accent sur le fait que le système de radiodiffusion est pleinement intégré. Ces dispositions montrent clairement, dans les diverses définitions, que les radiodiffuseurs qui n’utilisent pas le spectre des fréquences radiophoniques, comme les entreprises de distribution par câble, font tout aussi partie intégrante du système de radiodiffusion que les entreprises de radio-diffusion. Ainsi, la « radiodiffusion » s’entend de la « [t]ransmission, à l’aide d’ondes radioélectriques ou de tout autre moyen de télécommunication, d’émissions encodées ou non ». (Voir également les définitions suivantes : « entreprise de radiodiffusion », « entreprise de distribution », « entreprise de programmation » et « moyen de télécommunication ».)

[188]La façon dont ces dispositions légales s’appliquent ensemble—en particulier dans le contexte de la délivrance de licences de radiodiffusion—et l’attitude appropriée de la Cour à leur égard ont récemment été résumées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Genex Communications c. Canada (Procureur général), [2006] 2 R.C.F. 199. Au nom de l’ensemble de la Cour, le juge Gilles Létourneau a dit ce qui suit, aux paragraphes 29 à 32 :

Tout d’abord, la compétence d’octroyer, de révoquer ou de renouveler une licence a été expressément et exclusivement confiée par le législateur au CRTC qui est le seul organisme public autonome à qui le Parlement a confié la réglementation et la surveillance du système canadien de la radiodiffusion : voir le paragraphe 3(2) de la Loi. Nous ne pouvons nous l’approprier.

Deuxièmement, l’exercice de cette compétence fait appel à une expertise ainsi qu’à une connaissance du milieu des communications, des politiques de programmation et de diffusion que la Cour ne possède pas. Dans l’affaire Société Radio‑Canada c. Métromédia CMR Montréal Inc., [1999] A.C.F. no 1637 (C.A.) (QL), cette Cour rappelle au paragraphe 6 qu’une demande d’attribution d’une licence, laquelle s’apparente à une demande de renouvellement, « met en cause des éléments de politique économique et culturelle qui relèvent de l’expertise du CRTC et à l’égard desquels l’organisme possède une discrétion ».

Troisièmement, cet exercice doit prendre en compte l’intérêt public qui est reflété dans les nombreux objectifs de la Loi et de la politique de radiodiffusion canadienne. Encore là, la définition de l’intérêt public et la protection que le législateur veut lui accorder nécessitent des connaissances particularisées du domaine des communications et de la politique de la radiodiffusion. À cet égard, la Cour écrit au paragraphe 5 de l’affaire Société Radio‑Canada :

[. . .] la Loi (art. 3) identifie une quarantaine d’objectifs, parfois conflictuels qui doivent guider l’exercice par le CRTC de ses pouvoirs. Il en découle un processus d’adjudication polycentrique impliquant une multitude d’intervenants aux intérêts opposés, lequel processus vise l’implantation des politiques de radiodiffusion définies par la Loi.

Quatrièmement, le renouvellement ou le refus de renou-veler une licence sont la résultante de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La règle de droit en semblable matière est sans équivoque : la Cour n’a pas le pouvoir de substituer sa propre discrétion à celle de l’organisme qui fait l’objet d’une révision. Je reviendrai plus loin et plus en détail sur la norme légale de contrôle d’une décision discrétionnaire.

Présomption de validité—Déclaration d’invalidité comme condition préalable

[189]Il faut faire une distinction entre une déclaration selon laquelle une loi n’est pas valide et la détermination des conséquences juridiques et pratiques en découlant (Air Canada, précité, aux pages 1195 à 1209).

[190]La présente action doit être considérée dans son contexte. Ce qui est ici en litige, comme dans l’affaire Air Canada, est fort différent de tout litige individuel privé. De fait, le contexte dans lequel ces contestations ont lieu n’a pas d’équivalent en droit privé. En l’espèce, il faut établir l’équilibre entre un groupe de contribuables et un autre. Selon la jurisprudence, les revenus de la Couronne sont protégés contre leur épuisement rétroactif incertain (Air Canada, précité).

[191]L’application de principes qui relèvent uniquement de la restitution—une notion de droit privé —n’a jusqu’à maintenant pas de place lorsque des questions sociales et politiques générales mettent en cause la validité d’une loi telle que celle qui est ici en cause, comportant un règlement pris par le CRTC avec l’approbation du Conseil du Trésor (Air Canada, précité, aux pages 1201 et 1203; Loi sur la radiodiffusion, article 11).

[192]Celui qui paie certains frais à Sa Majesté la Reine conformément à une loi qui est par la suite jugée invalide ne peut pas recouvrer les sommes versées. Tant que la cour ne déclare pas que le régime légal pertinent est invalide, ce régime continue à s’appliquer.

[193]Le fondement de cette thèse peut se trouver dans une discussion plus générique de l’application d’un jugement lors du contrôle judiciaire d’une mesure administrative. La question a été traitée le plus récemment dans l’arrêt Canada c. Grenier, [2006] 2 R.C.F. 287 (C.A.F.), au paragraphe 19, où la Cour a souligné, quoique dans une action en dommages‑ intérêts, qu’il est important de maintenir l’effet légitime d’une loi, à moins que les mesures contestées en vertu de la loi ne soient déclarées invalides :

En somme, une décision d’un organisme fédéral, comme celle en l’espèce du directeur, conserve sa force et son autorité légales, demeure juridiquement opérante et produit des effets légaux tant qu’elle n’a pas été invalidée.

[194]L’application des principes sous‑tendant une question telle que celle qui se posait dans l’affaire Grenier a récemment été étudiée dans un article savant de John Lovell intitulé « From Now On : Temporal Issues In Constitutional Adjudication » (2005-2006), 18 N.J.C.L. 1, aux pages 27 à 30; voir également National Westminster Bank plc v. Spectrum Plus Limited & Ors, [2005] UKHL 41, aux paragraphes 4 à 11, 39 et 40 ainsi que 124 et 125.

[195]Dans l’arrêt Air Canada, aux pages 1206 et 1207, la Cour a clairement examiné la position prise par le passé au sujet de sommes versées par suite d’une erreur de droit, c’est‑à‑dire qu’elles n’étaient pas recouvrables, et ce, parce que la certitude, lorsqu’il s’agit de protéger le Trésor, était une considération primordiale si l’on voulait éviter le « chaos fiscal ». Cette idée se manifestait dans la préoccupation exprimée par la cour dans l’arrêt Air Canada :

Somme toute, je suis convaincu que la règle devrait interdire la restitution d’impôts invalides, du moins dans le cas de lois inconstitutionnelles [. . .]

La règle interdisant le remboursement d’impôts inconstitutionnels et ultra vires est une règle exceptionnelle et ne devrait pas s’interpréter d’une façon plus large que ce qui est nécessaire pour assurer le respect des valeurs sur lesquelles elle repose. Ces valeurs sont principalement la protection du Trésor public et la reconnaissance du fait que, si l’impôt était remboursé, un gouvernement moderne se verrait dans la nécessité d’adopter le moyen inefficace qui consiste à l’imposer de nouveau, soit aux mêmes contribuables, soit à ceux d’une nouvelle génération, afin de financer les opérations gouvernementales.

(Voir également Télébec ltée c. Québec (Régie des télécommunications), [1999] J.Q. no 756 (C.A.) (QL).)

[196]En outre, dans l’arrêt Peel (Municipalité régionale) c. Canada; Peel (Municipalité régionale) c. Ontario, [1992] 3 R.C.S. 762, le juge en chef Antonio Lamer a fait remarquer, dans ses motifs concourants, à la page 773, que même les principes de restitution ne dictaient pas la remise de sommes versées avant qu’un régime soit jugé invalide :

Enfin, Peel a avancé au soutien de sa demande de restitution à titre de redressement fondé sur la Constitution l’argument suivant :

[traduction] Il se peut que la restitution soit l’unique redressement pratique qui s’offre aux demandeurs face à une disposition invalide exigeant que des paiements soient effectués. Leur refuser ce redressement pratique découragera de futurs demandeurs de contester la constitutionnalité de telles dispositions et aura pour effet de mettre certaines dispositions à l’abri d’une éventuelle contestation fondée sur la Constitution.

À quoi on peut répondre que la seule perspective de voir mettre fin aux paiements obligatoires devrait suffire pour encourager de futurs demandeurs dans la situation de Peel. Il en a certainement été ainsi dans le cas de Peel quand elle a engagé la suite de contestations qui ont abouti à l’arrêt Peel c. MacKenzie.

[197]Les considérations d’ordre public ont également un rôle lorsqu’il s’agit de refuser le recouvrement d’une somme versée avant qu’il soit déclaré que les droits en cause sont une taxe ultra vires. Les attentes raisonnables des parties, et ce qui est encore plus important, du contribuable canadien, veulent que le fardeau d’une erreur quant à la viabilité du régime légal envisagé ne passe pas simplement d’un groupe de contribuables à un autre (Garland c. Consumer’s Gas Co., [2004] 1 R.C.S. 629, aux pragraphes 54 à 61; voir également Lovell, précité, à la page 41).

[198]Il n’y aurait pas alors de partage équitable du fardeau imposé par les droits contestés en l’espèce. Il serait préférable de s’assurer simplement qu’en ce qui concerne les dispositions contestées qui sont annulées, dans l’avenir, aucuns autres droits ne seront exigés et recouvrés, de sorte que ni les demanderesses ni le contribuable n’assumeront un fardeau. (Voir, par exem-ple, Fridman, G.H.L. Restitution, 2e éd., Scarborough, Ont. : Carswell, 1992, aux pages 39 à 41, en ce qui concerne la « justice distributive ».)

Il faut donner un avis équitable et complet

[199]Quoi qu’il en soit, et subsidiairement, le fait qu’il est important de maintenir la certitude juridique et d’éviter le chaos fiscal dans les finances de l’État exige clairement qu’un « avis » soit donné avant qu’un régime de financement tel que celui qui est ici en cause soit mis en danger. Un avis équitable donné à la Couronne au sujet d’une contestation touchant directement les finances de l’État vise à assurer que la Couronne elle‑ même élabore des plans d’urgence pour contrer les pertes futures possibles de sommes qui sont, à l’heure actuelle, validement recouvrées (Garland, précité, aux paragraphes 57 à 59; Air Canada, précité, aux pages 1203 et 1209; Télébec, précité; Fridman, précité, aux  pages 94, 95 et 99).

Autres obstacles au recouvrement à titre de restitution

[200]De plus, si les demanderesses ont raison et si les dispositions contestées sont ultra vires, les demande-resses n’ont toujours pas droit à la remise des sommes versées en raison des moyens de défense acceptables existant en common law et en droit civil à l’encontre d’une demande de restitution.

[201]Le principe de la validité de facto étant reconnu, il reste que les sommes ont été versées en vertu d’une loi existante qui était alors valide (Garland, précité, aux paragraphes 38 à 47, 48 à 53 et 80 à 84).

Changement majeur possible apporté à la loi applicable

[202]La Cour suprême du Canada a récemment entendu l’affaire Kingstreet Investments Ltée. c. Nouveau‑Brunswick (Ministère des  finances), [la Cour suprême a depuis lors rendu son jugement : [2007] 1 R.C.S. 3]; à la suite d’un appel d’une décision de la Cour d’appel du Nouveau‑ Brunswick [(2005), 285 R.N.-B. (2e) 201. Il s’agissait de savoir dans quelles circonstances une partie peut recouvrer des droits versés en vertu d’une loi ultra vires. L’affaire est en délibéré [La Cour suprême a depuis lors rendu son jugement : (2007), 309 R.N.-B. (2e) 255].

[203]La décision rendue dans l’affaire Kingstreet aura probablement une incidence directe sur la question. De fait, elle aura peut‑être pour effet de rendre non pertinents les arguments d’une partie ou des deux parties. Toutefois, à l’heure actuelle, la décision de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick est une anomalie dans la jurisprudence existante.

[204]Dans des affaires aussi importantes que celle qui nous occupe ici, les tribunaux judiciaires ont habi-tuellement donné à la Couronne la possibilité d’évaluer les ramifications d’une décision annulant une disposition légale et de réagir lorsque ses effets auraient des réper-cussions importantes pour le Trésor ou pour la primauté du droit. Ainsi, dans l’arrêt Eurig, précité, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit, au paragraphe 44 :

Une déclaration immédiate d’invalidité priverait la province des recettes découlant des frais d’homologation, sans lui donner la possibilité de réformer la loi ou de trouver d’autres sources de financement. Les frais d’homologation ont une longue histoire en Ontario, et ils produisent des recettes considérables. À titre d’exemple, la preuve présentée à la Cour a indiqué que, en 1993 et en 1994, les frais d’homologation perçus en Ontario ont totalisé 51,8 millions de dollars et 52,6 millions de dollars respectivement. Ces recettes servent à couvrir les coûts d’administration des tribunaux dans la province. Le fait de supprimer sur‑le‑champ cette source de recettes aurait vraisemblablement des conséquences fâcheuses pour l’administration de la justice dans la province. La déclaration d’invalidité est par conséquent suspendue pendant une période de six mois, de façon à permettre à la province d’examiner la situation.

[205]Dans l’arrêt Corbiere c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, la Cour suprême du Canada a également discuté du fait qu’il est important pour la Cour d’envisager systématiquement de suspendre l’effet d’une décision importante à portée étendue, aux paragaphes 110, 118 et 119 :

Dans la détermination de la réparation convenable, la Cour doit suivre le principe du respect des objectifs visés par la Charte et des valeurs qu’elle exprime, ainsi que le principe du respect du rôle du législateur : Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, aux pp. 700 et 701; Vriend, précité, au par. 148. Le juge Sopinka a bien exprimé le premier principe dans l’arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, à la p. 104 :

Dans le choix d’une réparation convenable en vertu de la Charte, la cour doit veiller avant tout à faire appliquer les mesures les plus propres à assurer la protection des valeurs exprimées dans la Charte et à accorder aux victimes d’une atteinte à leurs droits la réparation qui permet le mieux d’atteindre cet objectif. Voilà ce qui découle du rôle de la cour comme gardienne des droits et libertés consacrés dans la loi suprême du Canada.

[. . .]

À mon avis, les principes susmentionnés tendent à indiquer que la réparation convenable consiste à déclarer invalides les mots « et réside ordinairement sur la réserve » au par. 77(1) et à suspendre pour 18 mois l’effet de cette déclaration d’invalidité. Cette période de suspension des effets est plus longue que celle qui serait normalement accordée, ce afin de donner au législateur le temps nécessaire pour tenir de vastes consultations et répondre aux besoins des différents groupes touchés. Cette mesure permettra également au Parlement, s’il le désire, de modifier par la même occasion le par. 77(2) qui établit la même obligation de résidence dans le cadre des élections des bandes dont les conseillers sont élus par sections électorales, et qui, compte tenu des valeurs exprimées dans la présente décision, devra également être révisé pour assurer sa conformité avec le par. 15(1). La dissociation des mots attentatoires du reste de la loi permettra de faire en sorte que, au cas où le Parlement choisirait de ne pas agir, tous les non‑résidents soient comptés parmi les électeurs pour l’application du par. 77(1), mais que la nature du régime d’administration des affaires des bandes et les conditions d’exercice du droit de vote restent par ailleurs inchangées.

Je reconnais que la suspension de la prise d’effet de la déclaration pour une période aussi longue constitue, suivant les termes utilisés par le Juge en chef dans l’arrêt Schachter, précité, à la p. 716, « une question sérieuse du point de vue de l’application de la Charte, car on se trouve alors à permettre que se perpétue pendant un certain temps une situation qui a été jugée contraire aux principes consacrés dans la Charte ». Toutefois, il s’agit de la réparation qui incarne le mieux le principe du respect des droits garantis par la Charte et celui du respect de la démocratie qui doivent guider le choix de la réparation. Si le Parlement décidait de modifier le régime, il disposera d’un délai convenable pour consulter les personnes touchées par la loi et pour concilier les intérêts en cause d’une manière qui respecte les droits ancestraux ainsi que les droits à la dignité et à l’égalité des membres des bandes. Si le Parlement décidait de ne pas modifier le régime, les membres vivant hors réserve des bandes Indiennes obtiendront alors le droit de voter dans le cadre du régime actuel.

(Voir également Kingstreet [C.A.N.-B.], précité, au paragraphe 32.)

[206]Dans ce genre de contexte, les tribunaux judiciaires ont été prêts à suspendre l’effet d’une ordonnance défavorable pour une période d’au moins six mois. La suspension est accordée parce qu’on reconnaît les effets possibles pour l’État et pour les ressources de la Couronne et non par suite d’une requête formelle visant la suspension d’une telle ordonnance (Eurig, précité; Corbiere, précité; R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472, aux paragraphes 32 à 34).

CONCLUSION

[207]Compte tenu de ce qui précède, il serait inéquitable et peu réaliste de s’attendre à ce que la Couronne examine immédiatement et assimile pleine-ment, en moins de six mois, les nuances et les niveaux de raisonnement qui devraient accompagner la décision rendue dans la présente espèce, et à ce qu’elle réagisse dans ce laps de temps.

JUGEMENT

LA COUR DÉCLARE :

1) Les droits de licence de la partie II prescrits à l’article 11 du Règlement sont une taxe. L’article 11 du Règlement est ultra vires de l’article 11 de la Loi sur la radiodiffusion, qui confère au CRTC le pouvoir de fixer des tarifs de droits; l’application du présent jugement déclaratoire concernant les droits de licence de la partie II prescrits à l’article 11 du Règlement est suspendue pour une période d’au plus neuf mois (soit avant la prochaine date de prélèvement des droits, au mois de novembre) en vue de permettre à la branche concernée de l’État de réagir et de donner effet à la première partie du jugement;

LA COUR ORDONNE :

2) Les sociétés demanderesses et les membres de l’ACR qui acquittent des droits n’ont pas droit à la remise des sommes versées conformément à l’article 11 du Règlement pour les années mentionnées dans les actes de plaidoirie des demanderesses;

3) Les dépens des demanderesses doivent être payés sur la base avocat‑client.

Obiter

Compte tenu des principes démocratiques et constitutionnels, fondés sur la séparation des pouvoirs, il appartient à la branche concernée de l’État et non à la Cour de décider d’une autre politique de réglementation, par suite du présent jugement; de plus, il n’appartient pas à la Cour de mener l’affaire plus loin quant à la question du recouvrement (ou de se substituer à cette branche de l’État); toutefois, il semblerait de plus important au point de vue moral, sinon au point de vue juridique, comme en a décidé la présente cour, que des négociations soient entamées, afin que soit remis ce qui a été conclu, d’une façon réaliste et équitable, au moyen de discussions. Cette remarque incidente tient compte de la présente décision et du droit, tel que l’on considère qu’il existe à l’heure actuelle, compte tenu des jugements déjà rendus par la Cour suprême du Canada, avant que cette dernière fasse connaître sa décision* à la suite de la mise en délibéré de l’affaire Kingstreet1.

En fin de compte, quel sera le précédent établi pour la présente génération et pour les générations à venir? En ce qui concerne les droits exigés pour des services, ou lorsque la chose est précisée, pour le « privilège » se rattachant à un service, quelle sera l’indication donnée au sujet de la façon de remplir les coffres publics? Pour quelles présumées raisons les fonds sont‑ils recueillis et à quelles fins les fonds sont‑ils consacrés? En quoi consiste la comptabilisation finale et où est‑elle? Selon le principe de la séparation des pouvoirs, il appartient à chaque branche de l’État de répondre elle‑même à ces questions dans les limites de sa compétence. Les réponses ou les silences respectifs auront un écho.

Image

1 Le texte qui suit est tiré de réflexions exprimées par des juges de la Cour suprême lors d’une série de dialogues préparés pour le Toronto Star par Me Claire Bernstein, les 20 et 22 mai 1990 :

[traduction]

Q. Pourquoi la loi et les tribunaux tardent‑ils parfois à évoluer?

Madame la juge Beverley McLachlin : « Il s’agit d’établir l’équilibre entre un système stable et la nécessité d’effectuer des changements à cause des changements survenus dans la société, des nouveaux problèmes qui se posent; les anciennes façons de voir les choses ne sont pas toujours appropriées. Mais il est difficile de le faire [. . .] c’est vraiment difficile. Il faut que cet équilibre existe. Il faut faire preuve de la souplesse nécessaire pour permettre au droit d’évoluer en vue de répondre aux nouvelles situations. On ne saurait tenir le droit dans une entrave. Mais, d’autre part, on ne devrait pas changer les choses simplement pour les changer, et ce, parce que la permanence, la stabilité, la certitude sont tout simplement fondamentales en droit. Les gens doivent savoir quelle est la loi, de façon à pouvoir orienter leur conduite et élaborer des plans compte tenu de ce qu’est la loi. Si la loi change tout le temps, il sera difficile de le faire. » Monsieur le juge Brian Dickson, qui était alors juge en chef : « Non. Nous ne sommes pas ici pour arriver à des résultats populaires. Nous sommes ici pour interpréter la constitution et appliquer nos talents au prononcé de jugements dont le pays peut être fier. » Monsieur le juge Antonio Lamer : « Mais il faut bien reconnaître que nous avons le droit de nous tromper. Nous faisons de notre mieux, du mieux possible. Si, collectivement, nous, les neuf juges, arrivons à un résultat que certaines gens—ou un grand nombre de gens—pourraient considérer comme mauvais, peut‑être que dans l’avenir immédiat, cela est mauvais. Mais c’est bien dans un avenir éloigné. Il ne faut pas oublier qu’il existe un autre problème. Nous devons songer non seulement au plaideur immédiat, mais aussi prévoir les effets à long terme de nos décisions »

* Note de l’arrêtiste : Cette décision a depuis lors été rendue, voir ci-dessus.

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