A‑155‑05
2006 CAF 229
Pharmascience Inc. (appelante) (défenderesse)
c.
Sanofi‑Aventis Canada Inc. et Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH (intimées) (demanderesses)
et
Le ministre de la Santé et Schering Corporation (intimés) (défendeurs)
Répertorié : Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc. (C.A.F.)
Cour d’appel fédérale, juges Sexton, Sharlow et Malone, J.C.A.—Montréal, 6 et 7 juin; Ottawa, 21 juin 2006.
Brevets — Contrefaçon — Appel d’une décision de la Cour fédérale interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l’appelante pour ses gélules de ramipril avant l’expiration des brevets délivrés aux intimées — Les intimées commercialisent des gélules de ramipril pour le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque; l’appelante demandait au ministre d’approuver l’utilisation de ses gélules de ramipril pour le traitement de l’hypertension seulement — Il s’agissait d’établir la suffisance de l’avis d’allégation affirmant qu’aucune revendication du brevet canadien numéro 1246457 (le brevet ′457) ne serait contrefaite — La juge de première instance n’a pas appliqué le critère juridique approprié lorsqu’elle a décidé que l’avis d’allégation était insuffisant — L’allégation de non‑contrefaçon du brevet ′457 était justifiée — L’interprétation plus restrictive de l’art. 5(1)b)(iv) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) proposée par l’appelante correspond davantage au sens grammatical de cette disposition ainsi qu’à l’économie générale de la Loi sur les brevets — Examen de la jurisprudence apparemment conflictuelle — Le fondement juridique de l’allégation d’invalidité du brevet canadien numéro 1341206 (le brevet ′206) que l’appelante a avancée est le « double brevet » — La juge de première instance a eu raison de conclure que l’allégation d’invalidité du brevet ′206 n’était pas fondée — Appel rejeté.
Interprétation des lois — La question litigieuse principale relative au brevet canadien numéro 1246457 (le brevet ′457) avait trait à l’interprétation de l’art. 5(1)b)(iv) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) — Cette disposition établit ce que doit contenir une allégation de non‑contrefaçon — L’appelante a soutenu que les mots « par elle » signifient que la disposition s’applique uniquement à ses actes qui constitueraient une contrefaçon du brevet ′457 — L’interprétation plus restrictive de l’art. 5(1)b)(iv) du Règlement proposée par l’appelante correspond davantage au sens grammatical de cette disposition ainsi qu’à l’économie générale de la Loi sur les brevets — L’art. 55.2(4) de la Loi sur les brevets et le Règlement visent à prévenir la contrefaçon du brevet par l’appelante et non par les patients — Examen de la jurisprudence apparemment conflictuelle.
Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli une demande afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à l’appelante en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement sur les AC) pour ses gélules de ramipril avant l’expiration des brevets canadiens numéros 1246457 (le brevet ′457) et 1341206 (le brevet ′206). Les intimées, Aventis, produisent et commercialisent des gélules de ramipril sous l’appellation commerciale « Altace » pour être utilisées dans le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque. En 2001, l’appelante, Pharmascience Inc., a soumis au ministre de la Santé une présentation abrégée de drogue nouvelle afin d’obtenir un avis de conformité pour ses gélules projetées de ramipril pour le traitement de l’hypertension seulement. Trois brevets concernant l’« Altace » sont inscrits au registre tenu par le ministre conformément au Règlement sur les AC : soit le brevet canadien numéro 1187087 (le brevet ′087) ainsi que les brevets ′206 et ′457. Le brevet ′206 a été délivré en 2001 par suite d’une demande déposée en 1981, et il appartient maintenant à l’intimée Schering Corporation. Le brevet ′087 a été délivré à Aventis en 1985 par suite d’une demande déposée en 1982, et le brevet ′457 a également été délivré à Aventis en 1988 par suite d’une demande déposée en 1985. L’appelante a prétendu que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet ′206 sont invalides parce qu’elles ne visent pas un élément distinct, au plan de la brevetabilité, de celui visé par les revendications du brevet ′087 et du brevet ′457. Aventis a nié ces allégations. Trois questions ont été soulevées dans l’appel : 1) la juge de première instance a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’avis d’allégation visant le brevet ′457 était insuffisant; 2) l’allégation de non‑contrefaçon du brevet ′457 était‑elle justifiée; et 3) l’allégation d’invalidité du brevet ′206 était‑elle justifiée?
Jugement : l’appel est rejeté.
1) L’avis d’allégation que l’appelante a signifié affirmait qu’aucune revendication du brevet ′457 ne serait contrefaite en cas de fabrication, de construction, d’utilisation ou de vente par elle de ses gélules de ramipril. La juge de première instance a conclu qu’il s’agissait d’une simple affirmation de non‑contrefaçon qui était donc insuffisante. Le principe juridique qui s’appliquait était que l’avis d’allégation était suffisant s’il exposait les fondements de l’allégation de manière assez complète pour que la personne à qui il s’adressait puisse décider de manière éclairée s’il convenait de répliquer à l’allégation en introduisant une instance en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction. La juge de première instance n’a pas appliqué le critère juridique approprié lorsqu’elle a décidé que l’avis d’allégation était insuffisant. Il n’y avait aucune preuve au dossier qui permettait d’établir que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé avaient contraint Aventis de deviner les motifs de l’allégation de non‑ contrefaçon de l’appelante. Au contraire, il ressortait clairement du dossier que l’appelante projetait de commercia-liser son produit pour le traitement de l’hypertension et non pour celui de l’insuffisance cardiaque. La juge de première instance aurait dû écarter la contre‑ preuve produite par l’appelante au lieu de déclarer que l’avis d’allégation était insuffisant. Logiquement, la contre‑preuve ne permettait pas d’établir qu’Aventis n’avait pas suffisamment d’information pour décider de manière éclairée s’il convenait de présenter sa demande.
2) Les déclarations factuelles faites par l’appelante dans son avis d’allégation et son énoncé détaillé sont présumées véridiques, sauf preuve contraire. De tels éléments de preuve n’ont pas été présentés en l’espèce. Par conséquent, l’appelante avait le droit de bénéficier de la présomption qu’elle commercialiserait ses gélules de ramipril pour le traitement de l’hypertension seulement. D’après certains éléments de preuve, en raison des politiques de certaines ou de toutes les provinces en matière d’ordonnances de médicaments concernant les formulaires pharmaceutiques, il est inévitable que, si l’appelante obtient un avis de conformité pour ses gélules de ramipril, certains médecins prescriront ces gélules de ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, certains pharmaciens les délivreront pour cet usage et certains patients les prendront pour cet usage également. La conclusion inévitable était que la contrefaçon du brevet ′457 par des patients est probable si l’appelante obtient l’autorisation de commercialiser ses gélules de ramipril. Cependant, Aventis ne soutenait pas, et elle ne pouvait pas soutenir, que la simple commercialisation par l’appelante de son produit pour le traitement de l’hypertension, sans plus, équivalait à une contrefaçon du brevet ′457 par l’appelante ou que celle‑ci avait incité ou amené d’autres personnes à contrefaire le brevet.
L’appelante a soutenu qu’elle n’était pas obligée, en vertu du Règlement sur les AC, de tenir compte de la possibilité ou de la probabilité que le brevet ′457 soit contrefait par des patients, citant la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social). Aventis a contesté le bien‑fondé de l’interprétation donnée au sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC sur laquelle l’arrêt AB Hassle reposait. L’interprétation donnée dans cet arrêt était correcte. Le sous‑alinéa 5(1)b)(iv) établit ce que doit contenir une allégation de non‑contrefaçon. Cette disposition prévoit que, dans l’allégation de non‑contrefaçon, la société qui fabrique les médicaments génériques doit alléguer que « aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité ». L’appelante a soutenu que les mots « par elle » signifient que la disposition s’applique uniquement à ses actes qui constitueraient une contrefaçon du brevet ′457. Aventis a affirmé que le sous‑alinéa 5(1)b)(iv) devrait recevoir une interprétation plus large, de manière à inclure toute contrefaçon par quiconque du brevet ′457, résultant de quelque façon de la délivrance d’un avis de conformité à l’appelante. L’interprétation proposée par l’appelante correspond davantage au sens grammatical du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC. Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et, par extension, le Règlement sur les AC visent à prévenir la contrefaçon du brevet par l’appelante et non par les patients. Cette interprétation plus restrictive correspond aussi davantage à l’économie générale de la Loi sur les brevets. Même si les paragraphes 45 à 50 de l’arrêt Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), qu’Aventis a invoqués, pourraient donner à penser qu’ils confirment l’interprétation plus large avancée, on devrait considérer, dans cette mesure, qu’ils ont été infirmés par l’arrêt AB Hassle. Comme il n’y avait aucune preuve que l’appelante contreferait le brevet ′457, ou qu’elle inciterait ou amènerait d’autres personnes à le contrefaire, l’allégation de non‑contrefaçon du brevet ′457 était fondée. Même avant l’expiration du brevet ′457 le 13 décembre 2005, il n’y avait aucun motif pour lequel la Cour fédérale aurait pu faire droit à la demande d’Aventis visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à l’appelante pour ses gélules de ramipril.
3) Selon l’allégation d’invalidité du brevet ′206, les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 visaient des éléments qui n’étaient pas brevetables parce qu’ils n’étaient pas distincts des éléments visés par le brevet ′087. L’énoncé détaillé précisait que le fondement juridique de l’allégation était le « double brevet ». Le concept du « double brevet » renvoie à une certaine jurisprudence élaborée pour empêcher les « renouvellements à perpétuité » des brevets. Le renouvellement à perpétuité est le prolongement indu du monopole conféré par la loi au breveté grâce à des brevets successifs obtenus pour des ajouts évidents ou non inventifs. Les revendications du brevet ′206 n’étaient pas identiques à celles du brevet ′087 ou du brevet ′457. Par conséquent, l’allégation d’invalidité, en l’espèce, devait s’entendre comme une allégation de double brevet relatif à une évidence. Pharmascience a soutenu que la question de l’évidence aurait dû être examinée par rapport à 2001, la date de délivrance du brevet, plutôt que par rapport à 1981, la date du dépôt de la demande. Le fait qu’aucun élément de preuve ne démontrait que le brevet ′206 était évident en 2001 a porté un coup fatal à ce volet de l’appel. Néanmoins, l’application de la doctrine du double brevet serait incompatible avec le cadre législatif pertinent. Les inventions divulguées dans les brevets ′087 et ′457 avaient non seulement une portée plus restreinte que les inventions divulguées dans le brevet ′206, mais elles étaient plus récentes (selon les dates respectives de dépôt des demandes). Comme les inventeurs des brevets ′087 et ′457 travaillaient indépendamment de l’inventeur du brevet ′206, on ne pouvait pas raisonnablement conclure que le dépôt de la demande de brevet ′206 constituait une tentative de prolonger indûment la durée du brevet ′087 et du brevet ′457. Au contraire, l’application de la doctrine du double brevet dans les circonstances de l’espèce priverait injustement l’intimée Schering des droits découlant du brevet par suite de la divulgation du brevet ′206. La doctrine du double brevet, issue de la jurisprudence, doit pouvoir évoluer au cas par cas. La juge de première instance a eu raison de conclure que l’allégation d’invalidité du brevet ′206 n’était pas fondée.
lois et règlements cités
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, art. 27(1)a) (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 8), 43, 55.2(1) (édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4), (4) (édicté, idem; 2001, ch. 10, art. 2).
Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870.
Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, art. 5(1)b)(iv) (mod. par DORS/99‑379, art. 2), (1.1) (mod., idem), 6 (mod. par DORS/98‑166, art. 5; 99‑379, art. 3), 8 (mod. par DORS/98‑166, art. 8).
jurisprudence citée
décisions appliquées :
AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2002 CAF 421; conf. [2002] 3 C.F. 221; 2001 CFPI 1264; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2003] 1 R.C.S. v; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533; 2005 CSC 26.
décisions examinées :
Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902; 2004 CSC 34; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153; 2002 CSC 77; Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 402; 2002 CAF 290; conf. 2001 CFPI 1151; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2002] S.C.C.A. no 407 (QL); Commissioner of Patents v. Fabwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49; (1963), 41 C.P.R. 9; 25 Fox Pat C. 99.
décisions citées :
Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1996] A.C.F. no 282 (1re inst.) (QL); Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] A.C.F. no 662 (1re inst.) (QL); AB Hassle c. Apotex Inc., [2006] 4 R.C.F. 513; 2006 CAF 51; Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CAF 270; AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2004 CAF 398; Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401; 2005 CSC 25; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222; Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45; 2002 CSC 76; SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no 3 (C.A.) (QL); Valmet Oy c. Beloit Canada Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 1; 82 N.R. 235 (C.A.F.); Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1381; AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2006 CF 7; Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1461; Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1421; Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2005 CF 1231; H. Lundbeck A/S c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1334; H. Lundbeck A/S c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1145; AB Hassle c. Apotex Inc., 2004 CF 379; AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2004 CF 313; autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] S.C.C.A. no 391 (QL); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067; 2000 CSC 67.
doctrine citée
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
APPEL d’une décision ([2005] 4 R.C.F. 301; 2005 CF 340) par laquelle la Cour fédérale a accueilli une demande afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) relativement à la commercialisation du ramipril pour le traitement de l’hypertension. Appel rejeté.
ont comparu :
Donald H. MacOdrum et Mark S. Mitchell pour l’appelante (défenderesse).
A. David Morrow pour les intimées (demanderesses) Sanofi‑Aventis Canada Inc. et Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH.
Anthony George Creber pour l’intimée (défenderesse) Schering Corporation.
Personne n’a comparu pour l’intimé le ministre de la Santé.
avocats inscrits au dossier :
Lang Michener LLP, Toronto, pour l’appelante (défenderesse)
Smart & Biggar, Toronto, pour les intimées (demanderesses) Sanofi‑Aventis Canada Inc. et Sanofi‑Aventis Deutschland GmbH.
Gowling Lafleur Henderson s.r.l., Ottawa, pour l’intimée (défenderesse) Schering Corporation.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
[1]La juge Sharlow, J.C.A. : Les intimées, Sanofi‑Aventis Canada Inc. et Sanofi‑Aventis Deutsch-land GmbH (ensemble, Aventis), produisent et commer-cialisent des gélules de ramipril sous l’appellation commerciale « Altace ». Les gélules « Altace » sont approuvées pour être utilisées dans le traitement de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque. En 2001, l’appelante, Pharmascience Inc., a soumis au ministre de la Santé une présentation abrégée de drogue nouvelle afin d’obtenir un avis de conformité en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, pour ses gélules projetées de ramipril. Dans cette présentation, Pharmascience comparait ses gélules de ramipril avec « Altace ». Même si les gélules de ramipril de Pharmascience constitueront l’équivalent thérapeutique des gélules « Altace », Pharmascience demande au ministre d’approuver l’utilisation de ses gélules de ramipril pour le traitement de l’hypertension seulement.
[2]Trois brevets concernant les gélules « Altace » sont inscrits au registre tenu par le ministre conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement sur les AC) : les brevets canadiens numéros 1341206 (le brevet ′206), 1187087 (le brevet ′087) et 1246457 (le brevet ′457).
[3]Le brevet ′206 a été délivré à une société remplacée par l’intimée Schering Corporation et appartient maintenant à Schering. Les revendications du brevet ′206 qui sont pertinentes en l’espèce sont les revendications 1, 2, 3, 6 et 12, chacune revendiquant une catégorie de composés. La revendication 1 vise la catégorie la plus large, la revendication 12 la plus limitée (huit composés). Le ramipril figure dans chacune de ces revendications, bien qu’il ne soit pas lui‑même divulgué dans le brevet.
[4]Le brevet ′206 a été délivré en 2001 par suite d’une demande déposée en 1981. Le délai a été le résultat d’une instance en conflit de priorité sous le régime de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4 (telle qu’elle était libellée avant 1989), conflit qui a finalement été réglé en faveur de Schering. Dans l’avis d’allégation qu’elle a signifié relativement à ses gélules de ramipril, Pharmascience a prétendu que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet ′206 sont invalides parce qu’elles ne visent pas un élément distinct, au plan de la brevetabilité, de celui visé par les revendications du brevet ′087 et du brevet ′457.
[5]Le brevet ′087 a été délivré à Aventis en 1985 par suite d’une demande déposée en 1982. Le brevet ′087 revendique certains procédés pour fabriquer le ramipril. Le brevet ′087 a expiré le 4 novembre 2002 et il n’a donc pas à être défendu par Aventis en vertu du Règlement sur les AC. Le brevet ′087 est pertinent en l’espèce seulement parce qu’il est invoqué dans les plaidoiries concernant le brevet ′206 et le brevet ′457.
[6]Le brevet ′457 a été délivré à Aventis en 1988 par suite d’une demande déposée en 1985. Le brevet ′457 revendique le ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Dans l’avis d’allégation signifié par Pharmascience relativement à ses gélules de ramipril, Pharmascience a allégué que le brevet ′457 ne serait pas contrefait parce qu’elle demanderait l’autorisation de produire et de commercialiser ses gélules de ramipril qui ne devraient être utilisées que pour le traitement de l’hypertension.
[7]Les inventeurs du brevet ′457 et du brevet ′087 ont travaillé indépendamment de l’inventeur du brevet ′206.
[8]En 1986, le brevet ′206 a été concédé sous licence à Aventis en contrepartie d’une redevance. Le contrat de licence a été conclu afin d’éviter le risque d’une poursuite en contrefaçon advenant le cas où le brevet ′206 serait délivré (comme il l’a finalement été en 2001). Ni le brevet ′087 ni le brevet ′457 n’ont été invoqués dans l’instance en conflit de priorité qui a retardé la délivrance du brevet ′206. La preuve en l’espèce n’établit pas que Schering était responsable du délai indu dans le règlement du conflit.
[9]Aventis n’a pas accepté les allégations de Pharmascience concernant les brevets ′457 et ′206 et elle a présenté à la Cour fédérale une demande en vertu du Règlement sur les AC afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience pour ses gélules de ramipril avant l’expiration des brevets ′457 et ′206. Schering était une des parties défenderesses dans cette instance parce qu’elle est la propriétaire du brevet ′206.
[10]La demande d’Aventis a été entendue en décembre 2004 et elle a été accueillie, de sorte qu’une ordonnance d’interdiction a été prononcée le 11 mars 2005 (Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., [2005] 4 R.C.F. 301 (C.F.)). Pharmascience interjette maintenant appel devant la Cour et demande que l’ordonnance soit annulée ou, subsidiairement, qu’elle soit modifiée pour que ses effets prennent fin à l’expiration des brevets qu’elle vise.
Première question préliminaire—la durée d’une ordonnance d’interdiction
[11]Une ordonnance rendue en application du Règlement sur les AC interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité cesse d’avoir effet à l’expiration du ou des brevets visés par l’ordonnance. Il n’était donc pas nécessaire dans la présente affaire que Pharmascience demande, comme recours subsidiaire, une ordonnance limitant la durée de l’ordonnance portée en appel pour que ses effets prennent fin à l’expiration des brevets ′457 et ′206 : Zeneca Pharma Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1996] A.C.F. no 282 (1re inst.) (QL).
[12]En ce qui a trait au brevet ′457, l’ordonnance portée en appel a cessé d’avoir effet lorsque le brevet a expiré le 13 décembre 2005, mais elle demeure en vigueur pour ce qui est du brevet ′206, et, à moins d’être annulée en appel, elle le demeurera jusqu’à l’expiration de ce brevet (ou, le cas échéant, jusqu’à la date à laquelle le brevet ′206 sera déclaré invalide dans une autre instance) : voir Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1999] A.C.F. no 662 (1re inst.) (QL).
[13]Il aurait été possible d’éviter la confusion sur ce point si les effets juridiques de l’ordonnance avaient été énoncés de manière plus explicite. L’ordonnance portée en appel signifie ceci :
1) En vertu de l’article 6 [mod. par DORS/98‑166, art. 5; 99‑379, art. 3] du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Pharmascience Inc. en application du Règlement sur les aliments et drogues pour des gélules de ramipril avant l’expiration du brevet canadien numéro 1246457.
2) En vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Pharmascience Inc. en application du Règlement sur les aliments et drogues pour des gélules de ramipril avant l’expiration du brevet canadien numéro 1341206.
Deuxième question préliminaire—pourquoi l’appel visant le brevet ′457 a‑t‑il été entendu?
[14]Le brevet ′457 a expiré le 13 décembre 2005, de sorte que le présent appel est à vrai dire dépourvu d’intérêt pratique pour ce qui est de ce brevet. Mais il ne l’est pas pour ce qui est du brevet ′206. Si l’appel de Pharmascience est accueilli en ce qui concerne le brevet ′206, mais que Pharmascience n’est pas autorisée à poursuivre son appel concernant le brevet ′457, sa réclamation en dommages‑intérêts fondée sur l’article 8 [mod. par DORS/98‑166, art. 8] du Règlement sur les AC pourrait se limiter à la période comprise entre la date d’expiration du brevet ′457 (le 13 décembre 2005) et la date de délivrance de l’avis de conformité. Cela suffit pour justifier que l’appel de Pharmascience soit entendu en ce qui concerne le brevet ′457.
La norme de contrôle
[15]La première question soulevée dans l’appel visant le brevet ′457 est de savoir si la juge a commis une erreur en concluant que l’avis d’allégation était insuffisant. La suffisance d’un avis d’allégation est une question mixte de droit et de fait. La norme de contrôle est celle de l’erreur manifeste et dominante, sauf dans la mesure où il se révèle possible de dégager une question de droit de la conclusion du juge, auquel cas cette question de droit doit être jugée correctement : AB Hassle c. Apotex Inc., [2006] 4 R.C.F. 513 (C.A.F.), au paragraphe 17; Pfizer Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2005 CAF 270, au paragraphe 11; AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2005 CAF 183, au paragraphe 9; et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2004 CAF 398, au paragraphe 25.
[16]La question centrale soulevée dans l’appel visant le brevet ′457 est une question de droit, soit l’interprétation du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) [mod. par DORS/99‑379, art. 2] du Règlement sur les AC. La norme de contrôle applicable à cette question de droit est celle de la décision correcte.
[17]La juge n’a pas estimé nécessaire de décider si Pharmascience avait raison d’alléguer que le brevet ′457 ne serait pas contrefait parce qu’elle a conclu que l’avis d’allégation était insuffisant. Si la juge a commis une erreur en décidant que l’avis d’allégation était insuffisant, la Cour d’appel peut examiner si l’allégation de non‑contrefaçon était fondée ou elle peut renvoyer la question de la justification à la Cour fédérale pour que celle‑ci en décide. Si cette question est tranchée pour la première fois par la Cour d’appel, aucune norme de contrôle ne s’appliquera.
[18]La question soulevée dans l’appel visant le brevet ′206 est de savoir si l’allégation d’invalidité était fondée. À cet égard, il y a un différend portant sur les principes juridiques qui s’appliquent, mais pas de désaccord important sur les faits. La norme de contrôle est celle de la décision correcte.
[19]L’avocat de Schering a laissé entendre qu’il pouvait y avoir deux méthodes différentes pour décider de la norme d’examen en appel lorsque le différend porte sur l’invalidité d’un brevet. En général, la norme d’examen applicable dans un appel interjeté d’une décision rendue en première instance est celle de la décision correcte pour les questions de droit, et celle de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; et H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401. La norme qui s’applique à la contestation d’une décision prise par tout autre décideur, normalement engagée par le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire, est celle de la décision correcte, de la décision raisonnable ou de la décision manifestement déraisonnable, tout dépendant du résultat d’une analyse pragmatique et fonctionnelle des facteurs pertinents (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982).
[20]L’avocat de Schering a fait référence au paragraphe 24 de l’arrêt Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, [2004] 1 R.C.S. 902 (l’affaire du canola), et aux paragraphes 41 et 42 de l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153 (l’affaire AZT), pour justifier la proposition selon laquelle une décision du commissaire aux brevets relative à la validité d’un brevet est une question mixte de droit et de fait pour laquelle la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Je souligne que ces deux arrêts indiquent aussi que la norme de contrôle applicable à une telle décision du commissaire est celle de la décision correcte pour ce qui est des questions de droit (Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 R.C.S. 45). L’avocat de Schering a soutenu qu’il ressort des commentaires formulés dans l’affaire du canola et dans l’affaire AZT, combinés à la présomption légale de validité découlant de l’article 43 de la Loi sur les brevets, qu’une certaine déférence s’impose à l’égard des décisions du commissaire lorsque la validité d’un brevet est en cause.
[21]Ni l’affaire du canola ni l’affaire AZT ne visaient des demandes de contrôle judiciaire d’une décision prise par le commissaire. Il s’agissait plutôt d’appels de jugements rendus par la Cour fédérale après un procès. Il n’est donc pas évident pourquoi la norme de contrôle dans ces affaires n’a pas été celle retenue dans les arrêts Housen c. Nikolaisen et H.L. c. Canada, surtout que la preuve présentée au procès n’aurait pas été la même que celle présentée au commissaire. Il n’est pas clair non plus, d’un point de vue pratique, si les deux normes de contrôle auraient nécessairement eu ou auraient nécessairement dû avoir deux résultats différents. Quoi qu’il en soit, les observations de l’avocat de Schering ne m’ont pas persuadée que l’affaire du canola et l’affaire AZT obligent la Cour à revenir sur sa jurisprudence relative à la norme de contrôle applicable aux procédures engagées en vertu Règlement sur les AC.
Le brevet ′457—suffisance de l’avis d’allégation
[22]Dans l’avis d’allégation qu’elle a signifié relativement à sa présentation abrégée de drogue nouvelle, Pharmascience affirme qu’aucune revendication du brevet ′457 ne serait contrefaite advenant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente par elle de ses gélules de ramipril. L’avis d’allégation contient aussi les déclarations suivantes (dossier d’appel, vol. 1, page 78) :
[traduction] Plus particulièrement, les produits de Pharmascience pour lesquels un avis de conformité est demandé ne seront pas fabriqués, utilisés ou vendus par Pharmascience pour le traitement de l’insuffisance cardiaque et ne constitueront pas une composition servant au traitement de l’insuffisance cardiaque, tel qu’il est allégué dans les revendications du brevet ′457.
La juge a conclu qu’il s’agissait d’une simple affirmation de non‑contrefaçon qui était donc insuffisante parce qu’elle n’indiquait pas en quoi la commercialisation des produits ne comprendrait pas aussi leur commercialisation pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Pharmascience soutient qu’en tirant cette conclusion, la juge a commis une erreur de fait manifeste et dominante ainsi qu’une erreur de droit.
[23]L’élément factuel de la décision de la juge a trait au contenu de l’avis d’allégation et de l’énoncé détaillé des faits et du droit qui l’accompagne. À cet égard, il semble que la juge n’a pas tenu compte des détails suivants concernant la commercialisation et qui se trouvent dans l’énoncé détaillé (dossier d’appel, vol. 1, page 79) :
[traduction] Le ramipril est compris dans la formule I à laquelle il est fait référence dans la revendication 1 du brevet ′457, mais le produit qui sera fabriqué et vendu par [sic] ne sera pas fabriqué ou vendu pour être utilisé dans le traitement de l’insuffisance cardiaque chez des mammifères. Le produit de Pharmascience sera fabriqué et vendu pour le traitement de l’hypertension. Plus particulièrement, la monographie du produit ne mentionnera pas l’insuffisance cardiaque à titre d’usage indiqué, un avis de conformité ne sera pas demandé pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, et la commercialisation du produit par Pharmascience ne fera pas référence au traitement de l’insuffisance cardiaque.
Il y a deux manières de dire qu’un avis d’allégation est « défectueux » ou « insuffisant ». Dans les présents motifs, j’utilise ces mots tels qu’ils sont employés dans AstraZeneca AB c. Apotex Inc., (et une longue suite de décisions antérieures), afin de décrire une décision judiciaire consistant à déterminer si la personne à qui est signifié l’avis d’allégation a suffisamment d’information pour décider s’il y a lieu de demander une ordonnance d’interdiction.
[24]Les mêmes mots sont parfois employés dans ce que j’appellerais leur « sens secondaire », pour décrire une situation où une allégation de non‑contrefaçon n’est pas fondée parce qu’elle passe sous silence une revendication pertinente d’un brevet ou parce qu’elle ne permet pas d’établir la non‑contrefaçon (par exemple, lorsqu’elle se fonde sur une mauvaise interprétation d’une revendication). Un avis d’allégation ne peut pas être déclaré défectueux ou insuffisant dans ce sens secondaire sans que l’allégation ne soit examinée au fond. Parce que la juge dans la présente affaire n’a pas apprécié le bien‑fondé de l’allégation de non‑ contrefaçon, je conclus que lorsqu’elle a employé le mot « insuffisant » pour qualifier l’avis d’allégation, elle n’employait pas ce mot dans son sens secondaire. Ainsi, le principe juridique qui s’applique en l’espèce est que l’avis d’allégation est suffisant s’il expose les fondements de l’allégation de manière assez complète pour que la personne à qui il s’adresse puisse décider de manière éclairée s’il convient de répliquer à l’allégation en introduisant une instance en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction (AstraZeneca AB v. Apotex Inc., au paragraphe 12). Pour les raisons exposées ci‑après, j’ai conclu que la juge n’a pas appliqué le critère juridique approprié lorsqu’elle a décidé que l’avis d’allégation était insuffisant.
[25]Il n’y a aucune preuve au dossier qui permet d’établir que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé ont contraint Aventis de deviner les motifs de l’allégation de non‑contrefaçon de Pharmascience (voir SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no 3 (C.A.) (QL), au paragraphe 27). Au contraire, il ressort du dossier qu’Aventis savait très bien, après que l’avis d’allégation et l’énoncé détaillé lui eurent été signifiés, que Pharmascience projetait de commercialiser son produit pour le traitement de l’hypertension et non pour celui de l’insuffisance cardiaque. Se fondant sur cette information, Aventis a conclu que la contrefaçon du brevet ′457 serait inévitable si un avis de conformité était délivré à Pharmascience pour ses gélules de ramipril. C’est pour cette raison qu’elle a demandé une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement sur les AC.
[26]À l’appui de sa demande d’ordonnance d’interdiction, Aventis a présenté des éléments de preuve se rapportant au fonctionnement des formulaires provinciaux de médicaments, et notamment à la politique des autorités de certaines provinces consistant à exiger, dans certaines circonstances, que les patients aient accès à une version générique, moins coûteuse, du produit breveté, plus dispendieux. Comme le produit de Pharmascience est l’équivalent thérapeutique de l’« Altace » pour le traitement soit de l’hypertension, soit de l’insuffisance cardiaque, cet élément de preuve visait à établir la prétention d’Aventis selon laquelle la contrefaçon du brevet ′457 serait inévitable dès que Pharmascience aurait l’autorisation de commercialiser ses gélules de ramipril.
[27]Pharmascience a répondu à la preuve d’Aventis en déposant des affidavits expliquant l’« interchangea-bilité limitée ». Cette preuve indique que, dans au moins une province, les autorités peuvent autoriser une demande pour que soit inscrit au formulaire un produit générique uniquement pour les conditions pour lesquelles il a été approuvé. L’argument de Pharma-science était, semble‑t‑il, qu’en raison de cette souplesse de la politique provinciale, la contrefaçon ne serait pas inévitable.
[28]La juge a considéré que cette contre‑preuve de Pharmascience était une tentative inadmissible d’élargir le fondement de son allégation de non‑contrefaçon. En supposant que cette conclusion est valide (point sur lequel je n’ai pas à me prononcer), la mesure à prendre consistait à écarter la preuve et non à déclarer que l’avis d’allégation était insuffisant. Logiquement, la contre‑ preuve ne permet pas d’établir qu’Aventis n’avait pas suffisamment d’information pour décider de manière éclairée s’il convenait de présenter sa demande.
Le brevet ′457 — l’allégation de non‑contrefaçon est‑elle fondée?
[29]Je vais maintenant examiner la question de savoir si l’allégation de non‑contrefaçon du brevet ′457 était fondée. Comme la juge n’a pas tranché cette question, la Cour d’appel peut soit trancher la question, soit la renvoyer à la Cour fédérale. À mon avis, les preuves au dossier sont suffisamment claires pour qu’il soit approprié que la Cour d’appel tranche cette question.
[30]Les déclarations faites par Pharmascience dans son avis d’allégation et son énoncé détaillé ont été exposées ci‑dessus; il n’est donc pas nécessaire de les répéter. Il suffit de dire que toutes les déclarations factuelles de Pharmascience dans ces documents sont présumées véridiques, sauf preuve contraire. De tels éléments de preuve n’ont pas été présentés en l’espèce. Par conséquent, Pharmascience a le droit de bénéficier de la présomption qu’elle commercialisera ses gélules de ramipril pour le traitement de l’hypertension seulement.
[31]Pharmascience a fourni quelques précisions sur la manière dont elle entend commercialiser ses gélules de ramipril. Premièrement, Pharmascience cherche à faire approuver ses gélules de ramipril uniquement pour le traitement de l’hypertension. Deuxièmement, l’emballage des gélules de ramipril de Pharmascience sera étiqueté de façon à informer toute personne qui lira la description que ces gélules sont approuvées pour le traitement de l’hypertension. Troisièmement, la monographie précisera que les gélules de ramipril de Pharmascience sont approuvées pour le traitement de l’hypertension et elle ne mentionnera pas que l’on peut, que l’on pourrait ou que l’on devrait utiliser ces gélules pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. L’insuffisance cardiaque et les affections connexes ne seront mentionnées dans la monographie qu’au titre des contre‑indications. Ces mentions ne peuvent pas être interprétées comme une incitation à utiliser les gélules de ramipril de Pharmascience pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.
[32]Aventis souligne que Pharmascience envisage de donner à son produit une apparence semblable à celle du produit « Altace ». Il est pratique courante pour les fabricants de médicaments génériques de donner à leur produit une apparence similaire à celle du produit comparable. Pharmascience a l’intention d’adopter une telle pratique en l’espèce. Les gélules de ramipril de Pharmascience seront de couleur et de forme similaires à celles des gélules «Altace », mais elles porteront le nom « ramipril » et le logo de Pharmascience, et non le nom « Altace ». Toutefois, l’apparence similaire des gélules « Altace » et des gélules de ramipril de Pharma-science ne contredit pas l’affirmation de Pharmascience selon laquelle elle ne commercialisera ses gélules que pour le traitement de l’hypertension parce que l’« Altace » est approuvée pour être utilisée dans le traitement aussi bien de l’hypertension que de l’insuffisance cardiaque.
[33]D’après certains éléments de preuves, et Pharmascience le reconnaît maintenant, en raison des politiques de certaines ou de toutes les provinces en matière d’ordonnances de médicaments concernant les formulaires pharmaceutiques, il est inévitable que, si Pharmascience obtient un avis de conformité pour ses gélules de ramipril, certains médecins prescriront les gélules de ramipril de Pharmascience pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, certains pharmaciens délivreront les gélules de ramipril de Pharmascience pour cet usage et que certains patients prendront des gélules de ramipril de Pharmascience pour cet usage également. Il est probable que cela se produise même si le produit de Pharmascience n’est autorisé par le ministre que pour le traitement de l’hypertension, et peu importe les mesures prises par Pharmascience pour s’assurer que son produit est étiqueté et décrit dans sa monographie comme devant être utilisé uniquement pour le traitement de l’hypertension.
[34]Aux fins du présent appel, je vais présumer, sans pour autant le décider, que tout patient qui prend des gélules de ramipril de Pharmascience pour le traitement de l’insuffisance cardiaque contrefera le brevet ′457. Je vais également présumer, sans pour autant le décider, que l’on pourrait conclure qu’un médecin qui prescrit du ramipril ou un pharmacien qui le délivre a incité à utiliser les gélules de ramipril en contrefaçon du brevet ′457 si ces gélules sont prescrites ou délivrées pour le traitement de l’insuffisance cardiaque. Pharmascience et Aventis sont essentiellement d’accord sur ces points (bien qu’elles conviennent aussi que certains moyens de défense peuvent être établis; aux fins du présent appel, je n’ai pas à examiner cette possibilité). La conclusion inévitable est que la contrefaçon du brevet ′457 par des patients est probable si Pharmascience obtient l’autorisation de commercialiser ses gélules de ramipril.
[35]Aventis ne soutient pas, et elle ne peut pas soutenir, que la simple commercialisation par Pharmascience de son produit pour le traitement de l’hypertension, sans plus, équivaut à une contrefaçon du brevet ′457 par Pharmascience, ou que Pharmascience a incité ou amené d’autres personnes à contrefaire le brevet : voir Valmet Oy c. Beloit Canada Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.). Aventis fait plutôt valoir qu’elle a le droit d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience pour ses gélules de ramipril parce que la contrefaçon du brevet ′457 par des patients est inévitable si cet avis de conformité est délivré.
[36]À l’appui de cet argument, Aventis cite l’arrêt de la Cour d’appel Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 402 (C.A.) (confirmant la décision du juge McKeown dans 2001 CFPI 1151; demande d’autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. rejetée [[2002] S.C.C.A. no 407 (QL)]), communément appelé l’arrêt « Genpharm ». Aventis s’appuie sur les passages suivants de l’arrêt Genpharm, aux paragraphes 50 et 51 :
En l’espèce, si un patient utilise le produit de Genpharm pour l’ostéoporose, les revendications pour l’utilisation que comporte le brevet ′376 de P&G seraient contrefaites. C’est la vente de son produit par Genpharm qui aurait pour effet la contrefaçon. La preuve établit de façon écrasante qu’il est non seulement probable mais inévitable que le produit Gen‑étidronate de Genpharm soit, en cas de délivrance des avis de conformité, utilisé pour le traitement de l’ostéoporose selon le schéma posologique cyclique qui constitue l’invention suivant le brevet ′376.
Il s’ensuit que les allégations de non‑contrefaçon de Genpharm ne sont pas fondées, et qu’il convient, sur le fond du litige, de rendre une ordonnance d’interdiction.
L’argument avancé par Aventis dans le présent appel a été accepté dans une autre affaire, Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1381 (appel en instance).
[37]Pharmascience soutient qu’elle n’est pas obligée, en vertu du Règlement sur les AC, de tenir compte de la possibilité ou de la probabilité que le brevet ′457 soit contrefait par des patients. À l’appui de cet argument, elle cite l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2002 CAF 421 (confirmant la décision du juge O’Keefe dans [2002] 3 C.F. 221 (1re inst.); demande d’autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. rejetée [[2003] 1 R.C.S. v]). Pharmascience s’appuie sur les passages suivants de l’arrêt AB Hassle, aux paragraphes 57 et 58 :
Par conséquent, Apotex ne peut être empêchée d’obtenir un avis de conformité pour le seul motif qu’elle vendra de l’oméprazole. Affirmer le contraire soulèverait de graves questions de politique. S’il y avait une quelconque possibilité qu’un patient consomme un produit générique pour une utilisation brevetée, alors le produit générique ne serait pas approuvé. Cela empêcherait l’autorisation de nouvelles utilisations de médicaments existants, car il est toujours possible que quelqu’un, quelque part, utilise le médicament pour l’objet breveté et interdit. Cette position mènerait à une véritable injustice : comme la société qui fabrique des génériques ne peut raisonnablement contrôler comment chacun dans le monde utilise son produit, empêcher le fabricant de génériques de commercialiser son produit contribuerait à conforter et élargir davantage le monopole des titulaires de brevet. Les titulaires de brevet se trouveraient de ce fait à contrôler effectivement non seulement les nouvelles utilisations d’un composé existant, mais le composé lui‑même, même si celui‑ci n’est pas protégé par le brevet au départ. Les titulaires de brevet auraient ainsi un avantage qu’ils ne devaient pas avoir. En fin de compte, la société serait privée de l’avantage des nouveaux modes d’utilisation des produits pharmaceutiques existants, disponibles à un coût inférieur.
De plus, Apotex ne peut être tenue responsable à l’égard de poursuites en contrefaçon intentées en vertu de la Loi sur les brevets si, contrairement à la preuve présentée à l’audience sur l’avis de conformité, des tiers commettent des actes de contrefaçon après la délivrance de l’avis de conformité, à moins qu’Apotex soit elle‑même impliquée dans ces actes, par exemple en incitant ou amenant les tiers à les commettre. L’arrêt Genpharm ne s’applique pas à la responsabilité du fabricant de génériques aux termes de la Loi sur les brevets à l’égard de toute contrefaçon de brevet par un tiers qui surviendrait après la délivrance de l’avis de conformité.
[38]L’arrêt AB Hassle a été suivi par la Cour fédérale dans plusieurs affaires : AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2006 CF 7 (appel en instance); Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1461 (appel en instance); Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1421 (pas d’appel); Axcan Pharma Inc. c. Pharmascience Inc., 2005 CF 1231 (pas d’appel); H. Lundbeck A/S c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1334 (appel abandonné); H. Lundbeck A/S c. Canada (Ministre de la Santé), 2003 CF 1145 (appel abandonné); AB Hassle c. Apotex Inc., 2004 CF 379 (appel abandonné); AstraZeneca AB c. Apotex Inc., 2004 CF 313 (appel interjeté mais rejeté parce que sans objet; demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée [[2004] S.C.C.A. no 391 (QL)]).
[39]Les passages cités plus haut donnent l’impression d’un conflit entre les arrêts Genpharm et AB Hassle, mais l’apparence de conflit se dissipe en bonne partie si on comprend les décisions à la lumière de leurs faits respectifs.
[40]La contrefaçon inévitable dont il était question dans l’arrêt Genpharm était le résultat de mesures particulières qu’entendait prendre Genpharm pour commercialiser son produit générique et qui avaient amené la Cour d’appel fédérale à conclure que Genpharm commercialiserait en fait son produit pour une utilisation brevetée même si elle niait le faire. Le médicament en cause, l’étidronate disodique, avait été utilisé pendant de nombreuses années pour le traitement de la maladie de Paget et de l’hypercalcémie de malignité. Il était vendu par Procter & Gamble sous la forme de comprimés de 200 mg sous le nom de « Didronel ». Le brevet en question revendiquait l’utilisation de l’étidronate disodique pour le traitement de l’ostéoporose. L’utilisation brevetée de l’étidronate disodique comportait un schéma posologique particulier, le médicament devant être consommé de façon cyclique. Le patient souffrant d’ostéoporose devait prendre un comprimé de 400 mg du médicament pendant un certain nombre de jours déterminé, puis aucun médicament pendant un autre nombre de jours déterminé. Procter & Gamble vendait son médicament pour le traitement de l’ostéoporose sous le nom de « Didrocal ». Le schéma posologique cyclique était facilité par le fait que le « Didrocal » était vendu sous forme de kit ou de plaquettes alvéolaires contenant 14 comprimés, un pour chaque jour de la semaine pour un cycle de deux semaines, mais certains comprimés contenaient le médicament alors que les autres étaient un placebo.
[41]Genpharm a soutenu qu’elle commercialisait son produit pour le traitement de la maladie de Paget et de l’hypercalcémie de malignité, mais elle envisageait de produire des comprimés de 400 mg plutôt que des comprimés de 200 mg, et elle projetait d’utiliser des plaquettes alvéolaires de 14 comprimés qui auraient la même fonction que l’emballage utilisé pour le produit breveté. De plus, la monographie du produit générique faisait état d’études qui comparaient la biodisponibilité du produit générique avec celle du « Didrocal » (le médicament pour le traitement de l’ostéoporose) plutôt qu’avec celle du « Didronel » (le médicament pour le traitement de la maladie de Paget et de l’hypercalcémie de malignité).
[42]L’arrêt AB Hassle a été rendu quelques mois après l’arrêt Genpharm. Le médicament en cause dans l’arrêt AB Hassle était l’oméprazole, reconnu depuis longtemps comme étant utile pour la réduction des sécrétions d’acide gastrique. Le brevet en cause revendiquait l’utilisation de l’oméprazole pour le traitement des infections à Campylobacter (H. pylori). Apotex avait l’intention de commercialiser son propre produit d’oméprazole et elle a allégué que le brevet ne serait pas contrefait parce qu’elle ne demanderait pas que son produit soit approuvé pour le traitement des infections à Campylobacter et qu’elle ne ferait pas mention d’une utilisation à cette fin dans sa monographie de produit. AB Hassle a demandé une ordonnance d’interdiction. La Cour fédérale a rejeté sa demande en raison de l’absence de preuves indiquant qu’il y aurait contrefaçon ou incitation à la contrefaçon de la part d’Apotex. Cet aspect de la décision a été confirmé en appel.
[43]Un argument tiré de l’arrêt Genpharm a été invoqué dans l’arrêt AB Hassle. Cet argument était essentiellement le même que celui qui a été avancé par Aventis en l’espèce : si la contrefaçon d’un brevet d’utilisation est inévitable dès lors qu’un produit générique est approuvé, même pour une autre utilisation, il devrait alors être interdit au ministre d’approuver le produit générique. Cet argument a été rejeté dans l’arrêt AB Hassle pour deux raisons.
[44]Premièrement, la Cour a jugé que l’arrêt Genpharm se distinguait à cause des faits (AB Hassle, paragraphe 54), en raison de la conclusion selon laquelle Genpharm commercialiserait en fait son produit pour une utilisation brevetée, conclusion qui ne pouvait pas être tirée de la preuve présentée dans l’arrêt AB Hassle.
[45]Deuxièmement, la Cour a conclu que l’arrêt Genpharm n’a pas établi que la simple vente par un fabricant de produits génériques d’un médicament faisant l’objet d’un brevet d’utilisation suffit pour constituer une contrefaçon de ce brevet au sens du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC (AB Hassle, paragraphes 55 et 56), confirmant ainsi l’interprétation donnée au sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC par le juge O’Keefe [2002] 3 C.F. 221 (1re inst.), au paragraphe 49).
[46]Si je comprends bien l’argument d’Aventis en l’espèce, elle conteste le bien‑fondé de l’interprétation donnée au sous‑alinéa 5(1)b)(iv) sur laquelle la Cour a appuyé sa décision dans l’arrêt AB Hassle. À mon avis, l’interprétation donnée au sous‑alinéa 5(1)b)(iv) dans l’arrêt AB Hassle est correcte.
[47]L’arrêt qui fait autorité quant aux principes généraux qu’il convient d’appliquer pour interpréter le Règlement sur les AC est Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 533 (habituellement appelé l’arrêt Biolyse). Dans cet arrêt, Biolyse Pharma, un fabricant de médicaments, voulait obtenir un avis de conformité pour une nouvelle drogue contenant le médicament paclitaxel. Sa présentation de drogue nouvelle ne comparait pas sa nouvelle drogue avec d’autres drogues. Bristol‑Myers Squibb (BMS) avait auparavant obtenu un avis de conformité pour sa drogue contenant du paclitaxel, le Taxol. Plusieurs brevets liés au paclitaxel étaient inscrits au registre des brevets pour le Taxol. BMS a soutenu que Biolyse était tenue, en vertu du paragraphe 5(1.1) [mod. par DORS/99‑379, art. 2] du Règlement sur les AC, de signifier un avis d’allégation indiquant les brevets inscrits sur la liste, à défaut de quoi le ministre ne pouvait pas délivrer un avis de conformité à Biolyse.
[48]Biolyse aurait été légalement tenue de signifier un avis d’allégation à BMS seulement si la condition prévue au paragraphe 5(1.1) du Règlement sur les AC avait été remplie :
5. [. . .]
(1.1) [. . .] la personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l’on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d’un avis de conformité à la première personne et à l’égard de laquelle une liste de brevets a été soumise [. . .]
BMS a soutenu que la condition était remplie parce que Biolyse avait déposé une demande d’avis de conformité pour son produit, que son produit contenait du paclitaxel, qui est présent dans le Taxol, et que BMS avait un avis de conformité pour le Taxol à l’égard duquel une liste de brevets avait été soumise.
[49]Le juge Binnie, s’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Biolyse, a dit que la question en litige était un différend quant à l’interprétation à donner au paragraphe 5(1.1) du Règlement sur les AC. Il a fait référence à l’approche moderne d’interprétation législative énoncée dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, dans lequel, comme dans bien d’autres arrêts précédents et subséquents, ont été retenus les mots suivants de Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la page 87 :
[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.
Il a aussi souligné que, dans la même édition, Driedger dit ce qui suit au sujet de l’interprétation des règlements (à la page 247) :
[traduction] Il ne suffit pas de déterminer le sens d’un règlement en l’interprétant au regard de son propre objet et des circonstances dans lesquelles il a été pris; il faut aussi interpréter les termes conférant les pouvoirs dans le contexte global de la loi habilitante. L’objet de la loi transcende et régit l’objet du règlement.
[50]La disposition de la Loi sur les brevets autorisant l’adoption du Règlement sur les AC faisait partie d’un ensemble de modifications apportées à la Loi sur les brevets qui comprenaient l’abolition de l’ancien régime d’octroi de licences obligatoires, la prolongation de la durée des brevets de 17 à 20 ans et l’ajout de plusieurs exceptions aux dispositions concernant la contrefaçon, notamment celle que l’on trouve au paragraphe 55.2(1) [édicté par L.C. 1993, ch. 2, art. 4] de la Loi sur les brevets et est appelée « l’exception relative aux travaux préalables ». Cette exception permet l’utilisation d’inventions brevetées pour certains travaux de recherche et de développement. Le paragraphe 55.2(1) est libellé ainsi :
55.2 (1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.
[51]À l’occasion de la même série de modifications législatives, le paragraphe 55.2(4) [édicté idem; 2001, ch. 10, art. 2] a été ajouté à la Loi sur les brevets pour autoriser le gouverneur en conseil à prendre des règlements dans le but de décourager le recours abusif à l’exception relative aux travaux préalables. Le paragraphe 55.2(4) est libellé comme suit :
55.2 [. . .]
(4) Afin d’empêcher la contrefaçon d’un brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens du paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut prendre des règlements, notamment :
a) fixant des conditions complémentaires nécessaires à la délivrance, en vertu de lois fédérales régissant l’exploitation, la fabrication, la construction ou la vente de produits sur lesquels porte un brevet, d’avis, de certificats, de permis ou de tout autre titre à quiconque n’est pas le breveté;
b) concernant la première date, et la manière de la fixer, à laquelle un titre visé à l’alinéa a) peut être délivré à quelqu’un qui n’est pas le breveté et à laquelle elle peut prendre effet;
c) concernant le règlement des litiges entre le breveté, ou l’ancien titulaire du brevet, et le demandeur d’un titre visé à l’alinéa a), quant à la date à laquelle le titre en question peut être délivré ou prendre effet;
d) conférant des droits d’action devant tout tribunal compétent concernant les litiges visés à l’alinéa c), les conclusions qui peuvent être recherchées, la procédure devant ce tribunal et les décisions qui peuvent être rendues;
e) sur toute autre mesure concernant la délivrance d’un titre visé à l’alinéa a) lorsque celle‑ci peut avoir pour effet la contrefaçon de brevet.
[52]Dans l’arrêt Biolyse, le juge Binnie affirme qu’il faut interpréter le Règlement sur les AC en tenant compte du but visé par le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et les modifications législatives connexes. Son analyse comprend une remarque qui me semble se rapporter à la question de l’interprétation des lois soulevée dans la présente espèce. Il a dit au paragraphe 53 :
Le paragraphe 55.2(4) est expressément destiné à prévenir la contrefaçon par les personnes qui utilisent « l’invention brevetée » en se prévalant des exceptions relatives aux « travaux préalables » […] Voilà tout ce que le gouverneur en conseil est autorisé à réglementer.
[53]Le juge Binnie a poursuivi en concluant que le Règlement sur les AC ne s’appliquait pas dans le cas de la présentation de drogue nouvelle de Biolyse parce que Biolyse voulait faire approuver une nouvelle drogue sans la comparer avec une drogue existante. Comme Biolyse n’était pas visée par le paragraphe 55.2(4), elle ne pouvait pas non plus l’être par le Règlement sur les AC.
[54]Le principe d’interprétation qui se dégage de Biolyse milite contre une interprétation du Règlement sur les AC selon laquelle ledit règlement vise à prévenir toute contrefaçon de brevet. L’arrêt Biolyse va plutôt dans le sens d’une interprétation du Règlement sur les AC voulant qu’il a pour but d’empêcher uniquement la contrefaçon (ou l’incitation à la contrefaçon) par un fabricant de médicaments génériques qui soumet une présentation abrégée de drogue nouvelle contenant l’une des comparaisons requises avec une drogue existante.
[55]Je vais maintenant examiner la partie pertinente du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC qui établit ce que doit contenir une allégation de non‑contrefaçon. Cette disposition prévoit que, dans l’allégation de non‑contrefaçon, le fabricant de médicaments génériques doit alléguer que :
5(1)b) [. . .]
(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l’objet de la demande d’avis de conformité.
[56]Pharmascience soutient que les mots « par elle » signifient que la disposition s’applique uniquement aux actes de Pharmascience qui constitueraient une contrefaçon du brevet ′457 (ce qui, si je comprends bien, inclurait les actes de Pharmascience qui incitent ou amènent d’autres personnes à contrefaire le brevet). Aventis affirme que le sous‑alinéa 5(1)b)(iv) peut recevoir et devrait recevoir une interprétation plus large, de manière à inclure toute contrefaçon par quiconque du brevet ′457, résultant de quelque façon de la délivrance d’un avis de conformité à Pharmascience.
[57]À mon avis, l’interprétation proposée par Pharmascience correspond davantage au sens grammatical du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC ainsi qu’à l’esprit et à l’objet de la législation. Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et, par extension, le Règlement sur les AC visent à prévenir la contrefaçon du brevet par Pharmascience et non par les patients.
[58]L’interprétation plus restrictive proposée par Pharmascience correspond aussi davantage à l’économie générale de la Loi sur les brevets. Le marché que représente le brevet ′087 permet à quiconque d’utiliser l’invention brevetée (c’est‑à‑dire pour fabriquer du ramipril en utilisant l’un des procédés revendiqués) dès l’expiration du brevet en novembre 2002. Si Pharmascience est maintenant empêchée d’obtenir un avis de conformité pour ses gélules de ramipril devant être utilisées uniquement pour le traitement de l’hypertension parce que le résultat inévitable sera la contrefaçon du brevet ′457 par des patients qui utiliseront son produit pour le traitement de l’insuffisance cardiaque, le résultat pratique sera une prolongation artificielle du monopole conféré par le brevet ′087 maintenant expiré. Je ne crois pas que le législateur voulait que le Règlement sur les AC permette un tel résultat. (Ce point est également soulevé dans l’arrêt AB Hassle, au paragraphe 57.)
[59]Je reconnais que certaines affirmations dans l’arrêt Genpharm pourraient donner à penser qu’elles confirment l’interprétation plus large donnée par Aventis au sous‑alinéa 5(1)b)(iv) (voir, par exemple, les paragraphes 45 à 50). J’ai trois commentaires à faire au sujet de ces affirmations. Premièrement, il s’agit de remarques incidentes, faites dans un contexte où la preuve indiquait que Genpharm commercialiserait effectivement son produit pour une utilisation correspondant aux revendications de l’un des brevets énumérés, ce qui n’était pas le cas dans l’arrêt AB Hassle ni en l’espèce. Deuxièmement, la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision dans Genpharm avant que la Cour suprême du Canada rende son arrêt Biolyse. À mon avis, les affirmations contenues aux paragraphes 45 à 50 de Genpharm donnent au sous‑alinéa 5(1)b)(iv) une interprétation qui n’est pas compatible avec l’arrêt Biolyse. Troisièmement, même si je continue de croire que la décision rendue dans l’arrêt Genpharm était correcte, les paragraphes 45 à 50 dudit arrêt, pris isolément, ne représentent pas une interprétation correcte du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC et, dans cette mesure, on devrait considérer qu’ils ont été infirmés par l’arrêt AB Hassle.
[60]Pour ces motifs, je conclus que l’interprétation plus restrictive que propose Pharmascience pour le sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC est correcte. Comme il n’y a aucune preuve que Pharmascience contrefera le brevet ′457, ou qu’elle incitera ou amènera d’autres personnes à le contrefaire, l’allégation de non‑contrefaçon du brevet ′457 est fondée. Par conséquent, même avant l’expiration du brevet ′457 le 13 décembre 2005, il n’y avait aucun motif pour lequel la Cour fédérale aurait pu faire droit à la demande d’Aventis visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience pour ses gélules de ramipril.
[61]Après l’expiration du brevet ′457 le 13 décembre 2005, il était loisible à Pharmascience de modifier sa présentation abrégée de drogue nouvelle pour demander l’approbation de ses gélules de ramipril pour le traitement de l’insuffisance cardiaque ainsi que de l’hypertension, et de modifier ses plans de commercialisation en conséquence.
Le brevet ′206 — l’allégation d’invalidité est‑elle fondée?
[62]Plusieurs revendications du brevet ′206 (les revendications 1, 2, 3, 6 et 12) visent une famille de composés qui comprend le ramipril (même si le brevet ne renferme aucun exposé décrivant spécifiquement le ramipril). L’allégation d’invalidité du brevet ′206 est que les revendications pertinentes (1, 2, 3, 6 et 12) visent des éléments qui ne sont pas brevetables parce qu’ils ne sont pas distincts des éléments visés par le brevet ′087 (qui revendique le ramipril fabriqué selon certains procédés). L’énoncé détaillé précise que le fondement juridique de l’allégation est le « double brevet ».
[63]La juge a conclu que l’allégation d’invalidité n’était pas fondée parce que lorsque la demande relative au brevet ′206 a été déposée en 1981, l’invention divulguée dans ledit brevet n’aurait pas été évidente pour une personne versée dans l’art. Pharmascience semble convenir que la juge a utilisé à bon escient le critère établi en matière d’évidence dans le contexte de son argument relatif au double brevet, mais elle soutient que la question de l’évidence aurait dû être examinée par rapport à 2001, la date de la délivrance du brevet ′206, plutôt que par rapport à 1981, la date du dépôt de la demande. Pharmascience fait valoir qu’en 2001, le brevet ′087 et le brevet ′457 avaient tous deux été délivrés et auraient montré à la personne versée dans l’art l’invention divulguée dans le brevet ′206.
[64]Le principal problème que pose l’argument de Pharmascience quant à la date pertinente pour examiner la question de l’évidence est qu’il n’y a aucune preuve au dossier permettant d’établir que le brevet ′206 aurait été évident en 2001 à partir de l’invention visée par le brevet ′087 ou de l’invention visée par le brevet ′457. L’élément de preuve le plus favorable à Pharmascience sur ce point est l’affidavit du professeur Kluger (dossier d’appel, vol. VII, pages 1756 et 1757). Le professeur Kluger n’a pas été contre‑interrogé et son témoignage n’est pas contesté. Je paraphrase son témoignage comme suit :
En 2001, il aurait été évident pour une personne versée dans l’art que :
1) les revendications du brevet ′087 visent le ramipril lorsqu’il est préparé selon certains procédés;
2) les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet ′206 visent le ramipril, et, par conséquent, elles visent le ramipril lorsqu’il est fabriqué selon l’un ou l’autre des procédés revendiqués dans le brevet ′087;
3) les revendications du brevet ′457 visent certaines compositions de ramipril devant être utilisées dans le traitement de l’insuffisance cardiaque;
4) les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet ′206 visent le ramipril, et, par conséquent, elles visent toute composition de ramipril visée dans les revendications du brevet ′457 pour le traitement de l’insuffisance cardiaque.
Ce témoignage permet d’établir que, pour une personne versée dans l’art, l’existence du ramipril aurait été évidente en 2001 à partir des revendications du brevet ′087 et du brevet ′457. Toutefois, il est très loin de prouver, selon la prépondérance de la preuve, que la gamme de composés visés par l’une ou l’autre des revendications pertinentes du brevet ′206 (même la revendication 12, qui vise huit composés, dont le ramipril) aurait été évidente en 2001 pour une personne versée dans l’art.
[65]Étant donné le témoignage du professeur Kluger, il est même peu probable que l’invention divulguée dans le brevet ′206 aurait été évidente en 1981 lorsque la demande de brevet a été déposée. Ainsi, que la juge ait apprécié l’évidence en 2001 ou en 1981, le résultat serait le même.
[66]Cette conclusion porte un coup fatal à l’appel de Pharmascience en ce qui concerne le brevet ′206. Il n’est pas nécessaire d’examiner si la juge a eu raison de conclure que la doctrine du double brevet ne se limite pas aux cas concernant un seul inventeur. Toutefois, comme cette question a été largement débattue, je vais l’examiner.
[67]Le concept du « double brevet » renvoie à une certaine jurisprudence élaborée pour empêcher les « renouvellements à perpétuité » des brevets. Le renouvellement à perpétuité est le prolongement indu du monopole conféré par la loi au breveté grâce à des brevets successifs obtenus par des ajouts évidents ou non inventifs (Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 37).
[68]Jusqu’à présent, la jurisprudence a défini deux catégories de double brevet. Dans la première catégorie, celle du « brevet pour la même invention », deux brevets sont identiques ou il y a « identité » des revendications des deux brevets. La seconde catégorie, celle du « double brevet relatif à une évidence », a une portée un peu plus large. Dans ce type de double brevet, il n’y a pas « identité » des revendications des deux brevets; cependant le dernier brevet comporte des revendications qui ne sont pas distinctes, au plan de la brevetabilité, de celles de l’autre brevet, ou ne comporte aucune nouveauté ou ingéniosité.
[69]Les revendications du brevet ′206 ne sont pas identiques à celles du brevet ′087 ou du brevet ′457. Par conséquent, l’allégation d’invalidité, en l’espèce, doit s’entendre comme une allégation de double brevet relatif à une évidence. L’exemple classique de double brevet relatif à une évidence est l’arrêt Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49. Farbwerke Hoechst avait présenté une demande de brevet pour un médicament qui était une version diluée d’un autre médicament qu’elle avait déjà fait breveter. Il n’y avait pas identité des revendications. Le juge Judson a néanmoins conclu à l’invalidité du brevet. Il a dit (à la page 53) :
[traduction] Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicinaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention. La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention. En l’espèce, l’addition d’un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d’augmenter le volume et de faciliter ainsi la mesure et l’administration, n’est rien d’autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention.
[70]Aventis et Schering soutiennent que la doctrine du double brevet n’est applicable que lorsque de multiples brevets sont délivrés au même inventeur. En l’espèce, l’inventeur du brevet ′206 n’est pas le même que l’inventeur des brevets ′087 ou ′457. Elles font aussi valoir qu’il serait erroné d’appliquer la doctrine du double brevet en l’espèce parce que cela irait à l’encontre de l’économie de la Loi sur les brevets, dans sa version en vigueur lorsque la demande relative au brevet ′206 a été déposée.
[71]Je conviens avec Aventis et Schering que l’application, en l’espèce, de la doctrine du double brevet serait incompatible avec le cadre législatif pertinent. Les questions relatives à la validité du brevet ′206 sont régies par la Loi sur les brevets dans sa version antérieure à 1989 (l’ancienne Loi sur les brevets). Suivant l’alinéa 27(1)a) [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33, art. 8] de l’ancienne Loi sur les brevets, le premier inventeur avait droit à un brevet, sans égard à la date à laquelle la demande de brevet était déposée, et la période de validité de 17 ans du brevet commençait à la date de délivrance du brevet. Les retards dans le commencement de la période de validité du brevet pouvaient être à l’origine, et ont souvent été à l’origine, d’instances en conflit de priorité. De tels retards étaient inhérents au régime établi par la loi.
[72]Les inventions divulguées dans les brevets ′087 et ′457 ont non seulement une portée plus restreinte que les inventions divulguées dans le brevet ′206, mais elles sont postérieures (selon les dates respectives de dépôt des demandes). Comme les inventeurs des brevets ′087 et ′457 travaillaient indépendamment de l’inventeur du brevet ′206, on ne peut pas raisonnablement conclure, en l’espèce, que le dépôt de la demande de brevet ′206 constituait une tentative de prolonger indûment la durée du brevet ′087 et du brevet ′457. Au contraire, appliquer la doctrine du double brevet dans les circonstances de l’espèce priverait injustement Schering des droits découlant du brevet par suite de la divulgation du brevet ′206, et ce résultat serait simplement causé par le retard dans la délivrance du brevet ′206.
[73]Cela ne signifie pas que je serais disposée à souscrire à l’idée selon laquelle la doctrine du double brevet n’est applicable que lorsqu’il n’y a qu’un seul inventeur. Bien qu’il puisse être difficile d’envisager une affaire mettant en cause plus d’un inventeur qui fait ou pourrait faire l’objet d’une allégation de double brevet, je ne vois aucune raison d’écarter une telle possibilité. À mon avis, la doctrine du double brevet, issue de la jurisprudence, doit pouvoir évoluer au cas par cas.
[74]Pour ces motifs, je conclus que la juge a eu raison de conclure que l’allégation d’invalidité du brevet ′206 n’était pas fondée.
Conclusion
[75]Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens. L’ordonnance d’interdiction datée du 11 mars 2005 a cessé complètement d’avoir effet à l’égard du brevet ′457 à l’expiration dudit brevet, le 13 décembre 2005; toutefois, elle demeure applicable en ce qui a trait au brevet ′206.
Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.
Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.