IMM‑7131‑05
2006 CF 1055
Leonid Ivanov (alias Leon Ivanov, Leon Id Ivanov, Leoniv Ivanow et Leorid Ivanov) (demandeur)
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)
Répertorié : Ivanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.)
Cour fédérale, juge Kelen—Toronto, 22 août; Ottawa, 1er septembre 2006.
Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a annulé son ordre de 2001 de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur et a rejeté l’appel interjeté en application de l’art. 74(3)b)(i) de la Loi sur l’immigration (l’ancienne Loi) — Le demandeur, un Géorgien, est arrivé au Canada en 1976 à titre de résident permanent — En 1999, le ministre a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur au motif qu’il était une personne visée à l’art. 27(1)d) de l’ancienne Loi parce qu’il avait été déclaré coupable au Canada de plusieurs infractions pour lesquelles les peines infligées satisfaisaient aux exigences énoncées dans cette disposition — Dans le cas d’appels en vertu des art. 74(2) et (3) de l’ancienne Loi, la SAI doit tenir compte des circonstances particulières de l’espèce pour la personne frappée de renvoi, y compris les facteurs énumérés dans l’affaire Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) dans le cadre d’un appel en vertu de l’art. 70(1) — En l’espèce, la SAI devait prendre en compte les difficultés possibles pour le demandeur à l’étranger, même s’il n’a pas présenté une preuve complète ou des observations sur cette question — La SAI n’a pas adéquatement tenu compte dans ses motifs de la question de savoir si le demandeur possédait de la famille au Canada, et la dislocation qui pourrait résulter si la mesure d’expulsion était exécutée — Preuve démontrant que les membres établis de la famille du demandeur étaient malades et qu’ils dépendaient du demandeur — De même, la SAI n’a pas adéquatement tenu compte du temps que le demandeur a passé au Canada et de son degré d’établissement ici — Demande accueillie — Question certifiée.
Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a annulé son ordre de 2001 de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur et a rejeté l’appel interjeté par ce dernier en application du sous‑alinéa 74(3)b)(i) de l’ancienne Loi sur l’immigration (l’ancienne Loi). Le demandeur, un Géorgien, est arrivé au Canada en 1976 à titre de résident permanent. En 1999, le ministre a pris à son encontre une mesure d’expulsion au motif qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(1)d) de l’ancienne Loi parce qu’il avait été déclaré coupable au Canada de plusieurs infractions pour lesquelles une peine d’emprisonnement de plus de six mois avait été infligée, et une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans pouvait l’être. Dans le cadre de l’appel interjeté en application de l’article 70 de l’ancienne Loi, la SAI de la Commission a accordé un sursis de quatre ans à la mesure de renvoi; ce sursis était assorti de huit conditions, notamment de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite. En janvier 2005, à la demande du défendeur, la Commission a réexaminé le sursis au renvoi en application des paragraphes 74(2) et (3) de l’ancienne Loi et de l’article 192 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et a conclu qu’elle ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de l’appelant (le demandeur en l’espèce). Bien que le demandeur ait soulevé quelques questions (dont celles de savoir si la Commission avait fait abstraction d’éléments de preuve qui étaient importants, pertinents et incompatibles avec sa décision, si la Commission avait enfreint son obligation d’agir équitablement en n’informant pas le demandeur que l’intérêt supérieur de son enfant constituait un élément de ce qu’il lui fallait démontrer et si la Commission avait fait défaut dans sa décision d’énoncer des motifs suffisants), les principales questions à trancher étaient celles de savoir quels facteurs la SAI devait prendre en compte lors de l’instruction d’un appel en vertu des paragraphes 74(2) et (3) de l’ancienne Loi et de savoir si elle avait ou non pris en compte les facteurs pertinents pour le demandeur.
Jugement : la demande est accueillie.
Après avoir prévu que la SAI doit tenir compte des « circonstances particulières de l’espèce » dans le cas d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 70(1) de l’ancienne Loi à l’encontre d’une mesure de renvoi, le législateur n’a pas recouru au même libellé aux paragraphes 74(2) et (3), en vertu desquels la SAI peut annuler le sursis à un renvoi et soit accueillir, soit annuler, un appel interjeté en vertu du paragraphe 70(1). Dans le cas d’un appel interjeté en application du paragraphe 70(1), la SAI dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire d’autoriser des résidents permanents faisant face au renvoi de demeurer au Canada et elle doit tenir compte des facteurs établis par la formation de la SAI dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), tels que la famille au Canada et la dislocation qui pourrait résulter de la mesure d’expulsion, la gravité de l’infraction, le degré d’établissement du demandeur au Canada, et l’importance des inconvénients qui pourraient être causés au demandeur s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Cependant, la jurisprudence démontre, à l’égard des paragraphes 74(2) et (3) de l’ancienne Loi, que la SAI doit toujours tenir compte des « circonstances particulières de l’espèce » pour la personne frappée de renvoi, ce qui comprend les facteurs énumérés dans Ribic.
En l’espèce, la SAI n’a pas considéré tous les facteurs de Ribic pertinents que le demandeur a fait valoir. La SAI n’a pas pris en compte l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur en vue de demeurer au Canada, notamment les difficultés possibles pour lui à l’étranger s’il était renvoyé du Canada vers la Géorgie. La SAI était tenue de prendre en compte les difficultés possibles à l’étranger comme facteur pertinent dans ses motifs de décision même si le demandeur n’a pas présenté une preuve complète ou des observations sur cette question. En fait, lorsque le demandeur a témoigné devant la SAI, il a déclaré qu’il subirait des difficultés s’il était renvoyé en Géorgie, ce qui a mené à la conclusion qu’il n’avait aucun lien à la Géorgie, qu’il n’avait là‑bas aucun membre de sa famille, aucun ami et aucun moyen de subsistance. En outre, la SAI n’a pas adéquatement tenu compte dans ses motifs de la question de savoir si le demandeur « possède de la famille au Canada, et la dislocation qui pourrait en résulter si l’ordonnance de déportation était émise ». Il y avait le témoignage tant du demandeur que de la mère du demandeur portant que l’expulsion entraînerait le décès de cette dernière, qui est âgée et en phase terminale, du père du demandeur, qui est âgé et malade ainsi que de sa grand‑mère qui est mourante; ces personnes sont entièrement dépendantes du demandeur pour ce qui est de dispenser l’essentiel des soins. De même, la SAI n’a pas adéquatement tenu compte du temps que le demandeur a passé au Canada et de son degré d’établissement ici, facteur dont elle devait prendre en considération selon l’affaire Ribic. Contrairement à la conclusion à laquelle la Commission est arrivée, le demandeur avait beaucoup plus qu’un « certain degré d’enracinement au Canada ».
La Commission n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve présentés par le demandeur qui étaient importants, pertinents et incompatibles avec sa décision, notamment la preuve relative aux conditions imposées au demandeur pour qu’il conserve un emploi à temps plein et ne trouble pas l’ordre public. Un tribunal est présumé avoir apprécié et pris en compte l’ensemble de la preuve présentée, à moins que le contraire ne soit démontré, et il n’a pas à mentionner chacun des éléments de preuve dans ses motifs, du moment qu’il examine la preuve dans son ensemble. Le décideur doit cependant relever toute la preuve importante, pertinente et contradictoire et y faire référence, faute de quoi la Cour présumera qu’il a fait abstraction de cette preuve.
De même, la Commission n’a pas enfreint son obligation d’agir équitablement en n’informant pas le demandeur que l’intérêt supérieur de son enfant constituait un élément qu’il lui fallait démontrer, ce qui l’a privé d’une occasion adéquate de répliquer. Compte tenu du témoignage du demandeur et du fait qu’il n’a présenté aucune preuve quant au rôle de son enfant dans son établissement au Canada, il était raisonnable pour la Commission de déduire que l’appelant n’était pas présent dans la vie de cette enfant et que l’intérêt supérieur de cette dernière ne serait pas indûment touché par son interdiction de séjour.
Enfin, la Commission n’a pas fait défaut dans sa décision d’énoncer des motifs suffisants. En règle générale, des motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. En l’espèce, la Commission a énoncé des motifs suffisants pour fonder les conclusions qu’elle a tirées relativement aux questions importantes dans le cadre de sa décision, notamment la réadaptation et l’attitude du demandeur, l’ampleur du non‑respect, par le demandeur, des deux conditions du sursis prétendument enfreintes et le risque que le demandeur constitue pour le public.
La question de savoir si la SAI est tenue de prendre en compte tous les facteurs pertinents soulevés dans la preuve du demandeur alors que ce dernier n’a pas fait valoir certains de ces facteurs dans ses observations comme motif pour surseoir à la mesure d’expulsion a été certifiée.
lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46.
Code de la route, L.R.O. 1990, ch. H.8.
Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 27(1)d) (mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16(A)), 70 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 65; 1995, ch. 15, art. 13), 73 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18), 74 (mod., idem; L.C. 1992, ch. 49, art. 67).
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 68, 192, 197.
jurisprudence citée
décision appliquée :
Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL).
décisions examinées :
Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84; 2002 CSC 3; Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1261; Burgess c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1302 (1re inst.) (QL); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.).
décisions citées :
S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; 2003 CSC 29; Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1295 (1re inst.) (QL); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL); Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.); Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312; 20 Imm. L.R. (2d) 296 (C.F. 1re inst.); Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL).
DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision ([2001] D.S.A.I. no 1276 (QL)) par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a annulé son ordre de 2001 de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre le demandeur et a rejeté l’appel interjeté par ce dernier en application du sous‑alinéa 74(3)b)(i) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Demande accueillie.
ont comparu :
Jeinis S. Patel pour le demandeur.
Lorne McClenaghan pour le défendeur.
avocats inscrits au dossier :
Ronald Poulton, Mamann & Associates, Toronto, pour le demandeur.
Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par
[1]Le juge Kelen : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 10 novembre 2005 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a annulé son ordre de 2001 de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre le demandeur et rejeté l’appel interjeté par ce dernier en application du sous‑alinéa 74(3)b)(i) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, maintenant abrogé. Le demandeur a été résident permanent du Canada pendant les 30 dernières années et il fait maintenant l’objet d’une mesure d’expulsion vers la Géorgie, son pays d’origine et de nationalité.
LES FAITS
[2]Le demandeur, un citoyen de la Géorgie âgé de 46 ans, est arrivé au Canada en 1976 à titre de résident permanent. Le 5 octobre 1999, le ministre a pris à son encontre une mesure d’expulsion au motif qu’il était une personne visée à l’alinéa 27(1)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 47, art. 78; ch. 49, art. 16(A)] de l’ancienne Loi sur l’immigration, parce qu’il avait été déclaré coupable au Canada d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été infligé, et une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans pouvait l’être. Le demandeur a été reconnu coupable notamment :
1. en 1987, de possession d’arme, de voies de fait causant des lésions corporelles et d’entrave à la justice, infractions pour lesquelles une peine d’emprisonnement de 15 mois et une probation lui ont été infligées;
2. en février 1994, d’extorsion, de méfait et, sous deux chefs d’accusation, de profération de menaces, infractions pour lesquelles il s’est vu infliger des peines concurrentes de cinq mois d’emprisonnement et de trois ans de probation;
3. en septembre 1997, de trafic de stupéfiants et de possession de produits de la criminalité, infractions pour lesquelles il s’est vu infliger des peines de 30 jours, qui ont été purgées consécutivement à la peine de cinq mois qu’il était déjà en train de purger.
Le sursis au renvoi
[3]Le demandeur a interjeté appel de la mesure de renvoi auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission en vertu de l’article 70 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18; L.C. 1992, ch. 49, art. 65; 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l’immigration. Lors de l’audition de son appel le 15 janvier 2001 [[2001] D.S.A.I. no 1276 (QL)], le demandeur a concédé que la mesure d’expulsion était valide. Le 9 février 2001, la Commission a toutefois accordé au demandeur un sursis de quatre ans à l’exécution de la mesure de renvoi, sursis qu’elle a assorti des huit conditions suivantes :
i. se présenter devant un agent d’immigration tous les six mois à Toronto;
ii. signaler par écrit tout changement d’adresse;
iii. signaler par écrit sans délai toute déclaration de culpabilité;
iv. consentir des efforts raisonnables pour trouver et conserver un emploi à temps plein et signaler sans délai tout changement d’emploi;
v. ne pas sciemment fréquenter des personnes ayant un casier judiciaire ou s’adonnant à des activités criminelles;
vi. ne pas être propriétaire ou en possession d’armes offensives ou d’imitations de telles armes;
vii. s’abstenir de toute consommation illégale ou vente de drogue;
viii. ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite.
LA DÉCISION SOUS EXAMEN
[4]Le 15 janvier 2005, à la demande du défendeur, la Commission a réexaminé le sursis au renvoi en application des paragraphes 74(2) [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 18] et (3) de la Loi sur l’immigration et de l’article 192 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). À l’audience, le demandeur a admis ne pas avoir respecté la condition du sursis l’obligeant à ne pas troubler l’ordre public et à avoir une bonne conduite. Il a toutefois soutenu
1. avoir respecté la condition de consentir des efforts raisonnables pour obtenir et conserver un emploi à temps plein en apportant des soins au foyer à ses parents et à sa grand‑mère;
2. qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier la prise de mesures spéciales.
[5]Dans sa décision datée du 10 novembre 2005, la Commission a, en application du sous‑alinéa 74(3)b)(i) de la Loi sur l’immigration, annulé le sursis au renvoi et rejeté l’appel du demandeur, en énonçant dans ses motifs les conclusions suivantes [aux paragraphes 15 et 16] :
[. . .] il ne s’agit pas d’un cas dans lequel le pouvoir discré-tionnaire de la Section devrait continuer d’être exercé en faveur de l’appelant.
En rendant cette décision, le tribunal a tenu compte de nombreux facteurs qui comprenaient, sans s’y limiter, le degré d’enracinement de l’appelant au Canada, la réadaptation et l’attitude de l’appelant, l’ampleur du non‑respect, par ce dernier, des conditions du sursis de la SAI et le risque que l’appelant constitue pour le public canadien.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[6]Le demandeur a soulevé les questions qui suivent.
1. La Commission a‑t‑elle fait abstraction d’éléments de preuve présentés par le demandeur qui étaient importants, pertinents et incompatibles avec sa décision?
2. La Commission a‑t‑elle enfreint son obligation d’agir équitablement en n’informant pas le demandeur que l’intérêt supérieur de son enfant constituait un élément de ce qu’il lui fallait démontrer, ce qui l’a privé d’une occasion adéquate de répliquer?
3. La Commission a‑t‑elle fait défaut dans sa décision d’énoncer des motifs suffisants?
LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE
[7]La Cour examinera les conclusions de fait de la Commission selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. La question de l’équité procédurale en est une à laquelle la Cour doit appliquer, en tant que question de droit, la norme de la décision correcte (se reporter à cet égard à S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100). La Cour, par conséquent, examinera la première question en litige selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, et les autres questions selon celle de la décision correcte.
LES LOIS PERTINENTES
[8]En l’espèce, les lois pertinentes sont
1. la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR);
2. la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (abrogée par L.C. 2001, ch. 27, art. 274).
Les dispositions pertinentes de ces lois sont reproduites après les présents motifs à titre d’annexe « A ».
ANALYSE
[9]Avant d’examiner les trois questions soulevées par le demandeur, la Cour exposera dans la présente analyse quelle est la nature juridique d’un réexamen par la Section d’appel des conditions d’un sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion en application des paragra-phes 74(2) et (3) de l’ancienne Loi sur l’immigration.
[10]Après avoir prévu que la SAI doit tenir compte des « circonstances particulières de l’espèce » dans le cas d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur l’immigration à l’encontre d’une mesure de renvoi, le législateur n’a pas recouru au même libellé aux paragraphes 74(2) et (3), en vertu desquels la SAI peut annuler le sursis à un renvoi et soit accueillir, soit annuler, un appel interjeté en vertu du paragraphe 70(1). La question à trancher est donc celle de savoir quels facteurs la SAI doit prendre en compte lors de l’instruction d’un appel en vertu des paragraphes 74(2) et (3) et de savoir si, en l’espèce, la SAI a ou non pris en compte les facteurs pertinents pour le demandeur. La Cour soulève cette question ex proprio motu (de son propre chef).
a) Les appels interjetés en vertu du paragraphe 70(1) de la Loi sur l’immigration
[11]Dans Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, la Cour suprême du Canada a statué que, dans le cas d’un appel à l’encontre d’une mesure de renvoi interjeté auprès de la SAI en application du 70(1) de la Loi sur l’immigration :
i) il est à la charge de l’individu frappé de renvoi d’établir les raisons pour lesquelles il devrait être autorisé à demeurer au Canada;
ii) le législateur voulait que la SAI ait un vaste pouvoir discrétionnaire d’autoriser des résidents permanents faisant face au renvoi de demeurer au Canada s’il était équitable de le faire;
iii) la SAI a le droit d’examiner les difficultés possibles à l’étranger lorsqu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’alinéa 70(1)b), pourvu que le pays de destination probable ait été établi par l’individu renvoyé, selon la prépondérance des probabilités;
iv) les facteurs énoncés par la SAI dans Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL), demeurent les facteurs à considérer dans un appel interjeté en vertu de l’alinéa 70(1)b).
S’exprimant au nom de la Cour, le juge Iacobucci a énoncé ces principes dans Chieu, aux paragraphes 57, 66, 90 et 91 :
Deuxièmement, dans les appels relevant de la compétence discrétionnaire de la S.A.I., il a toujours été à la charge de l’individu frappé de renvoi d’établir les raisons pour lesquelles il devrait être autorisé à demeurer au Canada. S’il ne s’acquitte pas de cette charge, la mesure prise par défaut est le renvoi. Les non‑citoyens n’ont pas de droit d’entrer ou de s’établir au Canada : Chiarelli, précité, p. 733, le juge Sopinka. Voir aussi Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, p. 189, le juge Wilson; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, p. 834, le juge La Forest; et Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, p. 1070. En règle générale, l’immigration est un privilège, et non un droit, quoique les réfugiés soient protégés par les garanties de la Convention relative au statut des réfugiés, R.T. Can. 1969 no 6, de 1951 (« Convention de Genève de 1951 »), entrée en vigueur le 22 avril 1954, et mise en vigueur au Canada le 2 septembre 1969, et le Protocole relatif au Statut des Réfugiés, 606 R.T.N.U. 267, entré en vigueur le 4 octobre 1967, et mis en vigueur au Canada le 4 juin 1969. Le juge Martland, au nom de la Cour, dit dans Prata c. Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, p. 380, qu’une mesure de renvoi « établit que, s’il ne peut bénéficier d’aucun privilège particulier, [l’individu faisant appel d’une mesure de renvoi légitime] n’a aucun droit à demeurer au Canada. Par conséquent, [l’intéressé] ne cherche pas à faire reconnaître un droit, mais il tente plutôt d’obtenir un privilège discrétionnaire ».
[. . .]
Le législateur voulait que la S.A.I. ait un vaste pouvoir discrétionnaire d’autoriser des résidents permanents faisant face au renvoi de demeurer au Canada s’il était équitable de le faire. Cela ressort de la formulation non limitative de l’al. 70(1)b), qui n’énumère aucun facteur précis dont la S.A.I. doit tenir compte lorsqu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire qu’il confère. La capacité d’annuler et de suspendre les mesures de renvoi pour des raisons de clémence et d’ordre humanitaire a été accordée à la S.A.I. en partie parce que les dispositions relatives au domicile ont été retirées de la Loi en 1977. L’objet de l’al. 70(1)b) est de donner à la S.A.I. le pouvoir discrétionnaire de déterminer si un résident permanent doit être renvoyé du Canada. Il faut admettre que c’est une disposition inusitée puisqu’elle confère à la S.A.I. un pouvoir discrétionnaire considérable en matière de renvoi de résidents permanents. Mais c’est le législateur qui a décidé de conférer ce pouvoir discrétionnaire. S’il est préoccupé par l’existence d’un pouvoir discrétionnaire administratif si large, il lui est loisible de modifier la loi.
[. . .]
Pour ces motifs, la S.A.I. a le droit d’examiner les difficultés possibles à l’étranger lorsqu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’al. 70(1)b) de la Loi, pourvu que le pays de destination probable ait été établi par l’individu renvoyé, selon la prépondérance des probabilités. Le ministre devrait faciliter la détermination du pays de destination probable devant la S.A.I. chaque fois que cela est possible pour favoriser l’application efficace de la Loi. Les facteurs énoncés dans Ribic, précité, demeurent les facteurs à considérer par la S.A.I. dans un appel en vertu de l’al. 70(1)b). Dans le cadre d’un tel appel, il incombe à l’individu faisant face au renvoi d’établir les motifs exceptionnels pour lesquels on devrait lui permettre de demeurer au Canada. Comme la C.A.I. le dit dans Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] D.S.A.I. no 22 (QL), la prise d’une telle décision discrétionnaire comporte « l’exercice d’un pouvoir spécial ou extraordinaire qui doit être appliqué de façon objective, sans parti pris et de bonne foi, après un examen attentif des facteurs pertinents » (p. 2).
En l’espèce, la S.A.I. n’a pas déterminé si l’appelant avait établi un pays de destination probable. Le pourvoi est donc accueilli avec dépens.
b) L’instruction d’appels en vertu des paragraphes 74(2) et (3) de la Loi sur l’immigration
[12]Bien que la Cour suprême n’ait pas précisé dans Chieu, quels facteurs la SAI doit prendre en compte lorsqu’elle examine s’il convient d’annuler le sursis d’une mesure de renvoi en vertu des paragraphes 74(2) et (3) de la Loi sur l’immigration, la Cour a établi dans diverses décisions que la SAI devait alors toujours tenir compte des « circonstances particulières de l’espèce » pour la personne frappée de renvoi (voir Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigra-tion), [1995] A.C.F. no 1295 (1re inst.) (QL), au paragraphe 18, le juge MacKay; Burgess c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1302 (1re inst.) (QL), au paragraphe 17, le juge Nadon et, plus récemment, Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1261, au paragraphe 23, la juge Snider). Ma collègue la juge Snider a déclaré ce qui suit dans Beaumont, aux paragraphes 22 et 23 :
Les deux parties conviennent qu’en vue de décider d’annuler ou non un sursis, la SAI doit tenir compte des circonstances particulières de l’espèce. Le juge Nadon l’a ainsi reconnu dans la décision Burgess :
La section d’appel énonce la question à régler aux pages 7 et 8 de sa décision, d’une façon correcte à mon avis :
[traduction]
[. . .] Il s’agit de savoir si la formation doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’alinéa 74(3)b) de la Loi. Eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, il faut notamment tenir compte de la situation initiale de l’intimé, des nouvelles condamnations et de la situation dans laquelle l’intimé se trouve depuis que le sursis a été accordé.
Il s’agit donc de se demander si la SAI a bien pris en compte les circonstances particulières de l’espèce.
[13]Dans Burgess, le juge Nadon a statué que les « circonstances particulières de l’espèce » comprennent les facteurs établis par la formation de la SAI dans Ribic. Il énonce ainsi ces facteurs au paragraphe 16 de sa décision :
1) la gravité de l’infraction donnant lieu à l’ordonnance de déportation;
2) la possibilité de réhabilitation;
3) le temps passé au Canada et le degré d’établissement du requérant au Canada;
4) si le requérant possède de la famille au Canada, et la dislocation qui pourrait en résulter si l’ordonnance de déportation était émise;
5) le soutien dont dispose le requérant, non seulement dans sa famille, mais aussi dans son entourage;
6) l’importance des inconvénients qui pourraient être causés au requérant s”il devait être retourné dans son pays d’origine.
c) La décision de la SAI à l’examen en l’espèce
[14]En l’espèce, la SAI n’a pas considéré tous les facteurs de Ribic pertinents que le demandeur a fait valoir. La SAI n’a pas pris en compte l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur en vue de demeurer au Canada, notamment les difficultés possibles pour lui à l’étranger s’il était renvoyé du Canada vers la Géorgie, son pays de nationalité.
[15]La question en l’espèce est celle de savoir si la SAI était ou non tenue de prendre en compte les difficultés possibles à l’étranger—facteur énoncé dans Ribic—du demandeur alors que ce dernier n’a pas présenté une preuve complète non plus que des observations sur cette question. Lorsqu’il a témoigné devant la SAI, le demandeur a déclaré qu’il subirait des difficultés en cas de renvoi en Géorgie. La SAI avait l’obligation de traiter, dans les motifs de sa décision, les difficultés possibles à l’étranger en tant que facteur pertinent. Comme je l’ai déjà dit, la Cour a soulevé la question ex proprio motu et a convié les parties à lui présenter des observations relativement aux « difficultés à l’étranger ».
[16]Voici un extrait du témoignage du demandeur lors de l’audience (page 233 et suivantes du dossier certifié du tribunal) :
[traduction]
AVOCAT : Supposons, supposons que vous soyez expulsé demain. Qu’est‑ce qui leur arrive?
APPELANT : Qu’est‑ce qu’il leur arrive? Plutôt qu’est‑ce qu’il m’arrive?
AVOCAT : Ce que je demande, c’est ce qu’il leur arrive à eux si vous n’êtes pas ici.
APPELANT : Ils vont probablement mourir. Tout simplement mourir. Tout ce pour quoi nous avons travaillé, tout ce que mes parents ont pu créer aura été fait en vain. Tout sera une pure perte.
AVOCAT : Bon. Je comprends cela. Mais je suis davantage intéressé par les répercussions plus immédiates. Ça va? Ce que je veux savoir c’est ce qui arrivera, si vous êtes expulsé, quant aux soins quotidiens dispensés à votre mère et à votre grand‑mère.
APPELANT : Il n’y aura aucuns soins. Ils vont probablement tout simplement mourir. Il n’y aura rien. Et pour être bien honnête, vous savez, si vous décidez de m’expulser, pourquoi ne pas simplement—vous savez, je ne veux même pas vivre. Je ne veux pas vraiment y penser. Vous savez —
AVOCAT : Pourquoi pas?
APPELANT : Si je dois être expulsé, ça ne sert à rien—il n’y a pas un autre pays que je connaisse. C’est la seule chose. J’ai vécu ici, j’ai grandi ici, ce sont les gens que j’aime et le pays que je connais. Et si je suis expulsé, je crois que je ne veux même pas vivre pour être bien honnête. Il n’y a rien, rien de plus pour moi.
Selon l’interprétation que la Cour donne à la transcription et selon ce qu’elle comprend du demandeur, il se pourrait que ce dernier n’ait aucun lien avec la Géorgie, qu’il n’ait là‑bas aucun membre de sa famille, aucun ami et aucun moyen de subsistance. Cette question aurait dû être examinée à l’audience. L’importance des inconvénients qui pourraient être causés au demandeur s’il était expulsé en Géorgie est l’un des six facteurs que la Section d’appel est tenue de prendre en compte. Le demandeur a soulevé cette question dans son témoignage, mais son avocat ne l’a pas fait valoir en tant que facteur. Je ne crois pas que cela excuse la Section d’appel de ne pas avoir pris en compte ce facteur dans ses motifs, et je vais certifier une question à ce sujet.
[17]Un autre facteur énoncé dans Ribic dont la Section d’appel n’a pas adéquatement tenu compte dans ses motifs, c’est la question de savoir « si le requérant possède de la famille au Canada, et la dislocation qui pourrait en résulter si l’ordonnance de déportation était émise ». Il y avait le témoignage tant du demandeur que de la mère du demandeur portant que l’expulsion entraînerait le décès de cette dernière, qui est âgée et en phase terminale, du père du demandeur, qui est âgé et malade, ainsi que de sa grand‑mère, qui est âgée de 97 ans et est mourante. La Section d’appel a déclaré, au paragraphe 33 de ses motifs, que le renvoi du Canada du demandeur allait
[. . .] entraîner des difficultés émotionnelles pour lui et la mère de ce dernier, [malgré quoi] ces considérations ne l’ont pas emporté sur les nombreux facteurs défavorables existants.
J’estime, en toute déférence que le tribunal a sous‑ estimé cette répercussion. Les personnes concernées sont entièrement dépendantes du demandeur pour ce qui est de faire l’épicerie et l’entretien ménager et de dispenser l’essentiel des soins. Le demandeur est la seule personne valide dans le condominium. Selon la preuve, il y a tant de travail à faire à la maison avec ces trois personnes âgées et malades qu’aucun dispensateur de soins à domicile salarié ne supporterait la tâche si le demandeur n’effectuait pas la plus grande part de ce qu’il y a à faire à la maison, en plus d’occuper un emploi à l’extérieur.
[18]Un autre facteur de Ribic dont la Section d’appel doit tenir compte, c’est « le temps passé au Canada et le degré d’établissement du [demandeur] au Canada ». À cet égard, la SAI a tiré la conclusion suivante (au paragraphe 18) :
[. . .] le tribunal détermine que l’appelant a un certain degré d’enracinement au Canada.
En toute déférence encore une fois, j’estime que le demandeur a davantage qu’un « certain degré d’enracinement au Canada ». Le Canada, en effet, est le seul pays où le demandeur soit établi. Il a donc plus qu’un « certain degré d’enracinement au Canada », puisqu’il n’est établi nulle part ailleurs.
[19]La question de savoir si la SAI a considéré tous les facteurs pertinents dans sa décision d’annuler le sursis est une question de droit qui appelle la norme de la décision correcte (se reporter à la décision de la juge Snider dans Beaumont c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), aux paragraphes 19 à 21).
[20]Comme elle a conclu que la SAI n’a pas pris en compte valablement tous les facteurs pertinents dans sa décision d’annuler le sursis, la Cour accueillera la demande de contrôle judiciaire et renverra l’affaire à la SAI pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision. Lorsque la SAI appréciera les facteurs en cause, il lui sera loisible de décider si ceux‑ci l’emportent ou non sur les facteurs favorisant l’annulation du sursis.
[21]Je vais maintenant examiner de manière subsidiaire les trois questions soulevées par le demandeur à l’audience. Ces questions font voir que l’audience devant la Cour portait principalement sur les circonstances entourant la violation de deux des conditions du sursis de 2001 à l’exécution de la mesure d’expulsion. La SAI, de même que les parties, n’avaient pas compris que l’ensemble des circonstances particulières au demandeur étaient des facteurs devant être pris en compte par la Section d’appel lors de son instruction.
1re question en litige : La Commission a‑t‑elle fait abstraction d’éléments de preu-ve présentés par le deman-deur qui étaient importants, perti-nents et incompatibles avec sa décision?
[22]Le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte de son témoignage oral quant
a) à la condition de consentir des efforts raisonnables pour conserver un emploi à temps plein pendant la période de sursis du renvoi, et
b) au motif de sa peine d’emprisonnement lorsqu’il a été reconnu coupable de voies de fait sur sa mère.
Le défendeur soutient pour sa part, et la Cour convient, que la Commission a bel et bien pris en compte et apprécié le témoignage du demandeur avant de tirer comme conclusion raisonnable que ce dernier avait enfreint les conditions du sursis à son renvoi.
[23]Un tribunal est présumé avoir apprécié et pris en compte l’ensemble de la preuve présentée, à moins que le contraire ne soit démontré (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL), au paragraphe 1), et il n’a pas à mentionner chacun des éléments de preuve dans ses motifs, du moment qu’il examine la preuve dans son ensemble (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Le décisionnaire doit cependant relever toute la preuve importante, pertinente et contradictoire et y faire référence, faute de quoi la Cour présumera qu’il a fait abstraction de cette preuve (se reporter à Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.), et Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL), au paragraphe 17).
a) La condition de consentir des efforts raison-nables pour conserver un emploi à temps plein
[24]La Commission n’a pas fait abstraction du témoignage du demandeur selon lequel il estimait que les tâches ménagères qu’il effectuait pour prendre soin de ses parents et de sa grand‑mère satisfaisaient à la condition qui lui avait été imposée de consentir des efforts raisonnables pour conserver un emploi à temps plein. La Commission a traité de ces questions aux paragraphes 12 à 25 de ses motifs, dont voici des extraits :
L’appelant a livré un témoignage détaillé sur le rôle qu’il joue dans sa famille qui, a‑t‑il dit, consiste à prendre presque totalement soin de sa grand‑mère, qui est physiquement invalide, et à vaquer aux tâches ménagères de la maison.
[. . .]
En rendant cette décision, le tribunal a tenu compte de nombreux facteurs qui comprenaient, sans s’y limiter, le degré d’enracinement de l’appelant au Canada, la réadaptation et l’attitude de l’appelant, l’ampleur du non‑respect, par ce dernier, des conditions du sursis de la SAI et le risque que l’appelant constitue pour le public canadien.
[. . .]
Comme cela a été affirmé précédemment, l’appelant et sa mère ont abondamment témoigné sur le rôle que ce dernier joue dans le ménage. L’appelant a déclaré qu’il aide sa grand‑mère à se lever, l’habille, prépare ses repas et la fait manger. Il fait aussi la lessive de cette dernière, deux fois par jour. Il prend soin de son père et fait des tâches ménagères. Il coiffe sa mère et fait d’autres tâches pour elle, parce qu’en plus d’être en phase terminale, cette dernière est paralysée du côté gauche et a du mal à lever son bras gauche.
La mère de l’appelant a confirmé le témoignage de ce dernier. Elle a aussi témoigné sur les difficultés que la famille éprouve pour ce qui est d’obtenir et de conserver de l’aide pour des soins infirmiers. Elle a prétendu que c’est pour ces raisons que la présence de l’appelant au Canada et à la maison est vitale.
Même si le tribunal reconnaît que le témoignage qui lui a été présenté démontre que l’appelant joue un rôle important dans les soins apportés à sa grand‑mère et à ses parents, en pondérant ces facteurs par rapport à d’autres facteurs pertinents, le tribunal a déterminé qu’ils ne l’emportaient pas sur d’autres facteurs pertinents, plus particulièrement le degré de remords et de réadaptation de l’appelant.
La réponse de l’appelant à la question du conseil de l’intimé à savoir pourquoi il n’avait pas trouvé de travail à l’extérieur de la maison a été qu’il avait choisi de rester à la maison et de prendre soin de ses parents et de sa grand‑mère.
En réponse à son conseil, l’appelant a été plus percutant. Il a affirmé qu’il n’avait pas décidé lui‑même de ne pas travailler à l’extérieur. Lorsque son conseil l’a interrogé sur la condition du sursis, il a répondu sans ambages qu’il n’avait pas respecté l’ordonnance, qu’il allait rester à la maison [. . .] et que personne ne l’obligerait à faire quelque chose qu’il ne voulait pas faire. Il a carrément répondu qu’on ne pourrait l’obliger à travailler.
[25]Après examen du dossier, j’en viens à la conclusion que la Commission n’a pas interprété erronément la preuve en considérant à tort la condition imposée comme étant de conserver un emploi, plutôt que de consentir des efforts raisonnables pour chercher et conserver un emploi. Il est bien vrai qu’au paragraphe 24 de ses motifs, la Commission a déclaré :
Étant donné que le fait de conserver un emploi à temps plein était l’une des conditions du sursis dont l’appelant fait l’objet, le tribunal conclut que les réponses de ce dernier sont manifestement en contradiction avec cette condition de son sursis. [. . .]
Bien que la Commission ait ainsi mal formulé la condition au paragraphe 24 de ses motifs, il ressort clairement d’une interprétation juste de la transcription de l’audience qu’elle savait que la condition imposée, c’était en fait que le demandeur consente des efforts raisonnables pour chercher et conserver un emploi à temps plein. Il était raisonnable pour la Commission de conclure que la conduite et les réponses orales du demandeur ne dénotaient pas de tels efforts raisonnables et que la condition du sursis était donc enfreinte. La Commission s’est fondée sur une preuve selon laquelle la mère du demandeur aurait pu, et entendait, chercher hors de la famille une aide ménagère pouvant l’aider dans ses activités quotidiennes de manière à ce que le demandeur puisse obtenir un emploi à temps plein; cela étaye le raisonnement selon lequel le demandeur était en mesure de travailler à l’extérieur pendant la période du sursis au renvoi, mais a choisi de ne pas le faire. Comme je l’ai déjà mentionné, il serait toujours nécessaire pour le demandeur d’aider aux tâches ménagères dans sa famille.
b) La condition de ne pas troubler l’ordre public
[26]Le demandeur a admis à l’audition de son appel ne pas avoir respecté la condition de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite. La Commission a néanmoins apprécié l’ensemble de la preuve et conclu que le demandeur n’avait pas respecté la condition, car
i. il a été déclaré coupable de voies de fait en juin 2003 pour avoir poussé sa mère;
ii. il a été condamné, entre‑temps, en application de plusieurs dispositions du Code de la route [L.R.O. 1990, ch. H.8] et du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46] pour avoir omis de se présenter en Cour et de l’article no 1 du Règlement de la commission des transports de Toronto pour ne pas avoir payé le tarif imposé.
[27]La Commission n’a pas fait abstraction du témoignage du demandeur selon lequel les voies de fait sur sa mère consistaient à l’avoir « poussée gentiment », ni mal interprété son témoignage selon lequel la durée de sa peine d’emprisonnement était fonction de son casier judiciaire chargé plutôt que de facteurs aggravants liés à l’infraction. Le tribunal a ainsi déclaré, au paragraphe 25 de ses motifs :
Pour ce qui est de la condamnation pour voies de fait sur sa mère, le tribunal conclut que l’appelant et sa mère ont essayé de minimiser les circonstances de cette agression. Dans son témoignage, la mère de l’appelant a prétendu qu’elle l’avait frappé et qu’il l’avait ensuite poussée gentiment. Toutefois, le fait est que l’appelant a été déclaré coupable de voies de fait sur elle, infraction pour laquelle il a purgé une peine de 14 jours d’emprisonnement, si l’on tient compte des trois jours de détention présentencielle. Compte tenu de la condamnation de l’appelant et de la peine qui lui a été infligée, le tribunal détermine qu’il y a une raison valable de douter du témoignage de l’appelant et de celui de sa mère à cet égard, et de les rejeter.
J’estime qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que la condamnation pour voies de fait du demandeur pendant la période de sursis à son renvoi violait la condition en cause du sursis.
[28]Le tribunal n’a pas non plus fait abstraction du témoignage du demandeur selon lequel sa mère avait consenti à son retour à la maison, et que son ordonnance de probation avait été modifiée pour lui permettre de retourner à la résidence de ses parents. Aucune preuve documentaire n’a été présentée à la Commission démontrant que la Cour de justice de l’Ontario avait bien modifié cette ordonnance. C’est au demandeur qu’il incombait de produire une telle preuve, et il était raisonnable pour la Commission de conclure que la violation potentielle d’une condition prouvait le manque de respect du demandeur à l’endroit des autorités canadiennes.
2e question en litige : La Commission a‑t‑elle enfreint son obligation d’agir équitable-ment en n’informant pas le demandeur que l’intérêt supé-rieur de son enfant constituait un élément qu’il lui fallait démon-trer, ce qui l’a privé d’une occasion adéquate de répliquer?
[29]La question de l’intérêt supérieur de l’enfant du demandeur n’était pas un élément crucial de la décision de la Commission. Dans ses motifs s’étendant sur 9 pages et comptant 35 paragraphes, la Commission n’a abordé cette question qu’au paragraphe 34 :
Le tribunal souligne qu’aucun élément de preuve n’a été présenté relativement à l’enfant de l’appelant et au rôle que ce dernier joue dans la vie de cet enfant. Le tribunal conclut que l’appelant n’est pas présent dans la vie de cet enfant. En conséquence, le tribunal détermine que l’intérêt supérieur de l’enfant ne serait pas indûment touché par l’interdiction de séjour de l’appelant.
[30]Selon le demandeur, la Commission a manqué à son obligation d’agir équitablement en ne l’informant pas qu’une inférence défavorable serait tirée à moins qu’il ne présente davantage d’éléments de preuve relativement à l’intérêt supérieur de son enfant. Dans son témoignage par affidavit, le demandeur a déclaré avoir dit à la Commission qu’il avait une fille âgée de 6 ans, Marissa. Le demandeur déclare ne pas s’être fait poser d’autres questions sur son enfant, ce qui explique pourquoi il n’a rien dit de plus à ce sujet. Le demandeur estime donc avoir été privé d’une occasion adéquate de répliquer. La Cour n’est pas de cet avis.
[31]La Commission a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant ne serait pas indûment touché par le renvoi du demandeur hors du Canada. Le demandeur a omis de produire une preuve relativement à une question qu’il déclare aujourd’hui être favorable à son appel devant la Commission. C’est au demandeur qu’il incombe de fournir une preuve suffisante au soutien de son appel, et la Commission n’a pas pour sa part l’obligation d’obtenir du demandeur une preuve qui favoriserait cet appel. La Commission n’est d’ailleurs pas en mesure de le faire parce qu’elle ne sait pas à l’avance quelle sera la preuve du demandeur. Si la question de l’intérêt supérieur de l’enfant était bel et bien favorable à son appel, le demandeur aurait dû produire une preuve à ce sujet à l’audience. On ne peut s’attendre à ce que la Commission informe le demandeur sur une question qu’elle ne pouvait nullement deviner être pertinente.
[32]J’examinerai donc ce que le demandeur a véritablement dit dans son témoignage au sujet de son enfant, à la page 248 du dossier certifié du tribunal :
[traduction]
AVOCAT DU MINISTRE : Vous n’avez pas d’enfant, non?
APPELANT : J’ai une enfant.
AVOCAT DU MINISTRE : Vraiment?
APPELANT : Oui.
AVOCAT DU MINISTRE : Je vois.
APPELANT : Bien sûr que j’en ai une.
AVOCAT DU MINISTRE : Avec votre petite amie?
APPELANT : Ouais.
PRÉSIDENT DU TRIBUNAL : Une ancienne petite amie, pas Geraldine Roper.
APPELANT : Je m’excuse?
AVOCAT DU MINISTRE : Je m’excuse?
PRÉSIDENT DU TRIBUNAL : Une ancienne petite amie.
APPELANT : Oui. Je comprends votre inquiétude, Monsieur, et je suis parfaitement d’accord avec vous. J’ai commis une erreur et je vais en payer le prix.
À l’audience, l’avocat du demandeur a fait valoir à la Commission (page 275 du dossier du tribunal) que l’attachement du demandeur envers le Canada était lié à sa famille, plus précisément à son père, à sa mère et à sa grand‑mère :
[traduction]
AVOCAT : [. . .] Il n’y a aucune preuve, j’estime— bien, je vais vous le dire en ces termes. L’attachement du demandeur est essentiellement lié à sa famille, principalement à sa mère, à son père et à sa grand‑mère. Et ils sont tous ici. Il leur a, selon moi, apporté son soutien. L’appelant est bien établi au Canada.
[33]Étant donné que le demandeur décrit son enfant comme une « erreur » dont il va « payer le prix », qu’il n’inclut pas sa fille lorsqu’il parle de sa famille et qu’il n’a présenté aucune preuve ou observation quant au rôle de son enfant dans son établissement au Canada, il était raisonnable pour la Commission de déduire que l’appelant n’était pas présent dans la vie de cette enfant et que l’intérêt supérieur de cette dernière ne serait pas indûment touché par son interdiction de séjour.
3e question en litige : La Commission a‑t‑elle fait défaut dans sa décision d’énon-cer des motifs suffisants?
[34]Le demandeur soutient que la Commission n’a pas étayé sa décision de motifs suffisants.
[35]S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Sexton a précisé, dans VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), aux paragraphes 21 et 22, la norme permettant d’établir ce qui constitue des motifs suffisants dans un cas donné :
L’obligation de motiver une décision n’est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants. Ce qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce. Toutefois, en règle générale, des motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée. Pour reprendre les termes utilisés par mon collègue le juge d’appel Evans [traduction] : « [t]oute tentative pour formuler une norme permettant d’établir le caractère suffisant auquel doit satisfaire un tribunal afin de s’acquitter de son obligation de motiver sa décision doit en fin de compte traduire les fins visées par l’obligation de motiver la décision ».
On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents [Notes omises.].
[36]En l’espèce, la Commission a énoncé des motifs suffisants pour fonder les conclusions qu’elle a tirées relativement aux questions importantes suivantes dans le cadre de sa décision :
1. la réadaptation et l’attitude du demandeur;
2. l’ampleur du non‑respect, par le demandeur, des deux conditions du sursis prétendument enfreintes;
3. le risque que le demandeur constitue pour le public canadien.
Relativement à chaque question, les motifs font voir que la Commission :
i. a pris en compte les témoignages et les observations des parties;
ii. a déclaré comment elle avait tiré ses conclusions de fait et sur quels éléments de preuve principaux elle s’était fondée;
iii. a expliqué comment elle en était arrivée à sa conclusion, écartant ainsi pour le demandeur toute incertitude quant aux motifs de cette conclusion.
Tel que je l’ai déjà mentionné, toutefois, il y a trois facteurs pertinents énoncés dans Ribic que la Section d’appel n’a pas suffisamment pris en compte ou, si elle les a pris en compte, pour lesquels sa décision à leur égard n’était pas suffisamment motivée.
QUESTION CERTIFIÉE
[37]Après l’audience, la Cour a donné comme directive aux parties de lui présenter leurs observations quant à savoir si la Section d’appel avait ou non l’obligation de prendre en compte la question des difficultés à l’étranger pour le demandeur, une question que les parties n’ont pas abordée à l’audience ou devant la SAI, mis à part la présentation d’éléments de preuve restreints sur le sujet par le demandeur. L’avocat du défendeur a soutenu que la Section d’appel [traduction] « avait l’obligation de prendre en compte les difficultés que le renvoi causerait au demandeur. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration estime que cela n’est pas contesté et ne constitue pas une question grave de portée générale ». La Cour n’est pas de cet avis. Si la Section d’appel avait bien l’obligation de prendre en compte les difficultés que le renvoi occasionnerait au demandeur, la question qui se pose alors est celle de savoir si la Section d’appel aurait dû tenir compte de ce facteur alors que le demandeur n’avait pas fait valoir cette question dans ses conclusions finales et qu’il n’avait présenté que des éléments de preuve restreints sur le sujet.
[38]La Cour estime que la présente affaire soulève une question grave de portée générale qui devrait être certifiée pour appel, à savoir :
La Section d’appel est‑elle tenue de prendre en compte tous les facteurs pertinents soulevés dans la preuve du demandeur alors que ce dernier n’a pas fait valoir certains de ces facteurs dans ses observations comme motif pour surseoir à la mesure d’expulsion?
CONCLUSION
[39]La SAI n’a pas valablement pris en compte tous les facteurs pertinents énoncés dans Ribic dans sa décision d’annuler le sursis. Comme il s’agit là d’une question de droit à examiner selon la norme de la décision correcte, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI est annulée et l’affaire est renvoyée à la SAI pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI datée du 10 novembre 2005 est annulée et l’affaire est renvoyée à la SAI pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision.
2. La question grave de portée générale qui suit est certifiée pour appel :
La Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est‑elle tenue de prendre en compte tous les facteurs pertinents soulevés dans la preuve du demandeur alors que ce dernier n’a pas fait valoir certains de ces facteurs dans ses observations comme motif pour surseoir à la mesure d’expulsion?
ANNEXE « A »
1. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27
68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a—compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché—des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.
(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.
(3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.
(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.
[. . .]
PARTIE 5
DISPOSITIONS TRANSITOIRES,
MODIFICATIONS CORRÉLATIVES, DISPOSITION
DE COORDINATION, ABROGATIONS ET ENTRÉE
EN VIGUEUR
[. . .]
192. S’il y a eu dépôt d’une demande d’appel à la Section d’appel de l’immigration, à l’entrée en vigueur du présent article, l’appel est continué sous le régime de l’ancienne loi, par la Section d’appel de l’immigration de la Commission.
[. . .]
197. Malgré l’article 192, l’intéressé qui fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi et qui n’a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.
2. Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (abrogée par L.C. 2001, ch. 27, art. 274)
70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d’appel d’une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants :
a) question de droit, de fait ou mixte;
b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.
[. . .]
73. (1) Ayant à statuer sur un appel interjeté dans le cadre de l’article 70, la section d’appel peut :
a) soit y faire droit;
b) soit le rejeter;
c) soit, s’il s’agit d’un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi, ordonner de surseoir à l’exécution de celle‑ci;
d) soit, s’il s’agit d’un appel fondé sur les alinéas 70(1)b) ou 70(3)b) et relatif à une mesure de renvoi conditionnel, ordonner de surseoir à l’exécution de celle‑ci au moment où elle deviendra exécutoire.
[. . .]
74. (1) Si elle fait droit à un appel interjeté dans le cadre de l’article 70, la section d’appel annule la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel et peut :
a) soit lui substituer celle qui aurait dû être prise;
b) soit ordonner, sauf s’il s’agit d’un résident permanent, que l’appelant fasse l’objet d’un interrogatoire comme s’il demandait l’admission à un point d’entrée.
(2) En cas de sursis d’exécution de la mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel, l’appelant est autorisé à entrer ou à demeurer au Canada aux éventuelles conditions fixées par la section d’appel. Celle‑ci réexamine le cas en tant que de besoin.
(3) Dans le cas visé au paragraphe (2), la section d’appel peut, à tout moment :
a) modifier les conditions imposées ou en imposer de nouvelles;
b) annuler son ordre de surseoir à l’exécution de la mesure, et parallèlement :
(i) soit rejeter l’appel et ordonner l’exécution dès que les circonstances le permettent,
(ii) soit procéder conformément au paragraphe (1).