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A‑473‑05

2006 CAF 326

Jothiravi Sittampalam (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (intimés)

Répertorié : Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Linden, Nadon et Sexton, J.C.A.—Toronto, 25 septembre; Ottawa, 12 octobre 2006.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Renvoi de résidents permanents — Appel d’une décision de la Cour fédérale confirmant la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de prendre une mesure d’expulsion pour criminalité organisée en vertu de l’art. 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’appelant serait membre d’une bande de criminels — L’art. 33 de la Loi permet au décideur de tenir compte de faits passés, présents et futurs pour décider si une personne est interdite de territoire — L’expression « être membre d’une organisation » à l’art. 37(1)a) de la Loi comprend une personne qui n’était pas membre d’une organisation criminelle au moment du rapport d’interdiction de territoire, mais qui l’était auparavant — Sens du terme « organisation » à l’art. 37(1)a) — Les facteurs que la Commission et la Cour fédérale ont pris en considération appuyaient la conclusion portant que la bande à laquelle appartenait l’appelant était une « organisation » — Appel rejeté.

Interprétation des lois — La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que l’appelant était membre d’une organisation criminelle en application de l’art. 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — L’art. 33 de la Loi établit une « règle d’interprétation » qui permet au décideur de tenir compte de faits passés, présents et futurs pour décider si une personne est interdite de territoire — Le terme « organisation » employé à l’art. 37(1)a) doit recevoir une interprétation libérale, sans restriction aucune — L’intention de cette disposition est d’assurer la sécurité des Canadiens et de lutter contre la criminalité organisée — Il faut faire preuve de souplesse lorsqu’on décide si les caractéristiques d’un groupe particulier satisfont aux exigences de la Loi.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale confirmant la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de prendre une mesure d’expulsion contre l’appelant pour criminalité organisée en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). L’appelant, qui est un citoyen du Sri Lanka, est arrivé au Canada en février 1990 et il est devenu résident permanent en juillet 1992. Par suite d’allégations selon lesquelles l’appelant « est ou a été membre d’une organisation connue sous le nom de bande A.K. Kannan », une enquête a été entreprise en janvier 2002, en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration, et s’est poursuivie sous le régime des articles 36 et 37 de la LIPR. Si on considérait qu’il était visé à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, l’appelant serait expulsé vers le Sri Lanka et n’aurait aucun droit d’appel à la Section d’appel de l’immigration en application du paragraphe 64(1) de la LIPR. La Commission a conclu que l’appelant était interdit de territoire pour criminalité organisée en application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR parce qu’il était membre d’une organisation, soit la bande A.K. Kannan, dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle se livrait ou s’était livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a confirmé la décision de la Commission selon laquelle l’appelant était interdit de territoire au Canada. Les questions suivantes ont été certifiées : 1) l’expression « être membre d’une organisation » à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR désigne-t-elle notamment une personne qui n’était pas membre d’une organisation au moment du rapport, mais qui l’était auparavant? et 2) qu’entend-on par « organisation » à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et la bande A.K Kannan est-elle une telle organisation? L’appelant a aussi soulevé la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Commission pouvait tenir compte de certains rapports de police concernant des activités criminelles qui ne s’étaient pas soldées par des déclarations de culpabilité et considérer que ces rapports prouvaient la participation à des activités criminelles.

Arrêt : l’appel est rejeté.

1) La conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’alinéa 37(1)a) de la LIPR vise une personne qui était membre d’une organisation criminelle avant de faire l’objet d’un rapport sur l’interdiction de territoire est conforme au libellé de l’alinéa 19(1)c.2) de l’ancienne Loi sur l’immigration, qui faisait expressément mention des personnes qui « sont ou ont été » membres. L’article 33 de la LIPR réduit la répétition nécessaire des expressions exprimant l’appartenance passée, présente et future, que l’on trouvait dans l’ancienne Loi, en établissant une « règle d’interprétation » qui permet au décideur de tenir compte de faits passés, présents et futurs pour décider si une personne est interdite de territoire. Le libellé de l’article 33 établit clairement que le fait que l’appelant a été membre de la bande A.K. Kannan dans le passé—une conclusion de fait—peut servir de fondement à une conclusion de droit d’interdiction de territoire actuelle. Cette interprétation est compatible avec l’objet des dispositions sur l’interdiction de territoire et la LIPR dans l’ensemble, et avec la jurisprudence. Cependant, un résident permanent peut se soustraire à la règle d’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 37(1)a) s’il convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. La Cour a répondu à la première question certifiée par l’affirmative.

2) Le terme « organisation » n’est pas défini dans la LIPR. Le terme « organisation » employé à l’alinéa 37(1)a) devrait recevoir une interprétation libérale et sans restriction aucune. L’intention qui ressort de la LIPR est de donner la priorité à la sécurité des Canadiens et l’alinéa 37(1)a), en particulier, tente de lutter contre la criminalité organisée. Des décisions récentes appuient cette interprétation. Dans Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), la Cour fédérale a tenu compte de divers facteurs tels que l’identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisationnelle de base, lorsqu’elle a conclu que deux bandes tamoules étaient des « organisations » au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Ces facteurs sont utiles lorsqu’il faut rendre une décision fondée sur cette disposition, mais aucun d’eux n’est essentiel. Il faut faire preuve de souplesse lorsqu’on décide si les caractéristiques d’un groupe particulier satisfont aux exigences de la LIPR étant donné que les organisations criminelles peuvent prendre différentes formes et qu’elles mènent leurs activités dans la clandestinité. Une telle interprétation du terme « organisation » laisse une certaine latitude à la Commission lorsqu’elle doit décider si un groupe peut être considéré comme étant une organisation au sens de l’alinéa 37(1)a). La Cour fédérale, comme la Commission, a bien tenu compte de la loi et a appliqué correctement le droit exposé dans Thanaratnam pour interpréter le terme « organisation ». Elle n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en confirmant la conclusion de la Commission selon laquelle la bande A.K. Kannan est une « organisation » au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

La Commission n’est pas liée par des règles de preuve strictes dans le cadre des audiences portant sur l’admissibilité. La preuve est admissible une fois que le tribunal administratif décide qu’elle est crédible et digne de foi. La Commission a considéré que la preuve provenant des sources de la police était crédible et digne de foi dans les circonstances de l’espèce, ce qu’elle pouvait parfaitement faire dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. La Commission se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité de la preuve qui lui est présentée dans le cadre d’une audience portant sur l’admissibilité. L’appelant n’a pas démontré que les conclusions de la Commission ou l’acceptation de ces faits par la Cour fédérale étaient abusives ou arbitraires. La Cour fédérale a interprété correctement l’alinéa 37(1)a) de la LIPR lorsqu’elle a examiné les conclusions de la Commission.

lois et règlements cités

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 467.1(1) « organisation criminelle » (édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11; 2001, ch. 32, art. 27).

Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, novembre 2000, Rés. AG 55/25.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1(4)d) (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2, art. 19(1)c.2) (mod par L.C. 1996, ch. 19, art. 83), f) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 27(1)a) (mod., idem, art. 16), d) (mod., idem (F)).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1), 33, 34, 35, 36, 37, 64(1), 173.

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Zündel (Re), 2005 CF 295; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, [1998] A.C.F. no 1147 (1re inst.) (QL); Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539; 2005 CSC 51; Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 301; 2004 CF 349; infirmée [2006] 1 R.C.F. 474; 2005 CAF 122.

décisions examinées :

Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; 2002 CSC 33; Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299; 2004 CAF 421; infirmée 2007 CSC 9; Hussenu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 283.

décisions citées :

Veerasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1661; Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2005 CF 1211) confirmant la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié de prendre une mesure d’expulsion contre l’appelant pour criminalité organisée en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Appel rejeté.

ont comparu :

Barbara L. Jackman et Leigh S. Salsberg pour l’appelant.

Meilka Visnic et Alison Engel‑Yan pour les intimés.

avocats inscrits au dossier :

Jackman & Associates, Toronto, pour l’appelant.

Le sous‑procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Linden, J.C.A.: La Cour doit décider en l’espèce si l’appelant est membre d’une organisation criminelle, ce qui l’empêcherait de soumettre en appel à la Section d’appel de l’immigration (la SAI) la question de savoir s’il est interdit de territoire en application de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

[2]Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision rendue par la Cour fédérale en date du 6 septembre 2005; publiée : 2005 CF 1211. La Cour fédérale a alors confirmé la décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) de prendre une mesure d’expulsion à l’égard de l’appelant pour criminalité organisée au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[3]Les questions suivantes ont été certifiées par le juge :

[traduction]

a) L’expression « être membre d’une organisation » à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR désigne‑t‑elle notamment une personne qui n’était pas membre d’une organisation au moment du rapport, mais qui l’était auparavant?

b) Qu’entend‑on par « organisation » à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et la bande A.K. Kannan est‑elle une telle organisation?

[4]L’appelant a soulevé aussi la question de savoir si le juge a commis une erreur en décidant que la Commission pouvait tenir compte de certains rapports et témoignages de policiers, en particulier d’éléments de preuve concernant de prétendues activités criminelles qui n’ont pas donné lieu à des accusations ou à des déclarations de culpabilité.

LES FAITS

[5]Les faits peuvent être résumés brièvement. L’appelant est un citoyen du Sri Lanka âgé de 35 ans. Il est arrivé au Canada en février 1990 et s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. Il est devenu résident permanent le 17 juillet 1992.

[6]L’appelant a été déclaré coupable à trois reprises pour des infractions criminelles : 1) le 24 janvier 1992 pour avoir manqué à un engagement; 2) le 8 juillet 1996 pour trafic de stupéfiant; 3) en février 1998 pour entrave au travail d’un agent de la paix. Il a aussi fait l’objet d’enquêtes quant à son rôle dans de nombreuses infractions commises par une bande—notamment tentative de meurtre, agression armée, voies de fait graves, possession d’une arme dangereuse pour le public, utilisation d’une arme à feu pour commettre une infraction, menaces, extorsion et trafic—qui n’ont toutefois pas mené au dépôt d’accusations contre lui.

[7]La police de Toronto a identifié l’appelant comme étant le chef de la bande A.K. Kannan, l’un des deux groupes tamouls rivaux actifs à Toronto. L’appelant a admis, devant les policiers, avoir déjà fait partie de la bande. Il a aussi reconnu, dans une déclaration faite à la police le 9 avril 2001, que son surnom était « A.K. Kannan », le nom du groupe auquel il appartiendrait.

[8]L’appelant a fait l’objet d’un rapport en application de l’alinéa 27(1)d) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 16(F)] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2 (abrogée) (l’ancienne Loi), en raison de sa déclaration de culpabilité pour trafic de stupéfiant. Il a par la suite fait l’objet d’un autre rapport en application des alinéas 27(1)a) [mod., idem] et 19(1)c.2) [mod. par L.C. 1996, ch. 19, art. 83] de l’ancienne Loi parce qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il se livrait à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’infractions criminelles. Il était allégué que l’appelant [traduction] « est ou a été membre d’une organisation connue sous le nom de bande A.K. Kannan ».

[9]Une enquête a été entreprise en vertu de l’ancienne Loi en janvier 2002. Lorsque la LIPR est entrée en vigueur en juin 2002, l’enquête s’est poursuivie sous le régime des articles 36 et 37 de la LIPR. L’appelant a reconnu qu’il était visé à l’article 36 en raison de sa condamnation pour trafic de stupéfiant, mais il a contesté l’allégation relative à la criminalité organisée.

[10]L’enquête était importante pour l’appelant parce que, si l’on considérait qu’il était visé à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, il serait expulsé vers le Sri Lanka et n’aurait aucun droit d’appel à la SAI en application du paragraphe 64(1) de la LIPR.

[11]Le 4 octobre 2004, la Commission a conclu que l’appelant était interdit de territoire pour criminalité organisée en application de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR parce qu’il était membre d’une organisation, la bande A.K. Kannan, dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu’elle se livrait ou s’était livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation. Incapable d’interjeter appel à la SAI, l’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

[12]Le juge de la Cour fédérale saisi de cette demande a confirmé la décision de la Commission selon laquelle l’appelant était interdit de territoire au Canada. C’est cette décision qui fait l’objet du présent appel.

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[13]Les dispositions de la LIPR les plus pertinentes en l’espèce sont les suivantes :

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

[. . .]

h) de protéger la santé des Canadiens et de garantir leur sécurité;

(i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

[. . .]

33. Les faits—actes ou omissions—mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[. . .]

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

(2) Les dispositions suivantes régissent l’application du paragraphe (1) :

a) les faits visés n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

b) les faits visés à l’alinéa (1)a) n’emportent pas interdiction de territoire pour la seule raison que le résident permanent ou l’étranger est entré au Canada en ayant recours à une personne qui se livre aux activités qui y sont visées.

ANALYSE

Question no 1 : « être » membre d’une organisation

[14]La première question certifiée consiste à décider si l’expression « être membre » d’une organisation employée à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR désigne notamment une personne qui n’était pas membre d’une organisation criminelle au moment du rapport sur l’interdiction de territoire, mais qui en était membre auparavant.

[15]Pour trancher cette question, la Cour doit déterminer l’interprétation qu’il convient de donner au libellé de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. L’interprétation des lois étant généralement considérée comme une question de droit, c’est la décision correcte qui doit s’appliquer comme norme en l’espèce : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8.

[16]Le juge de la Cour fédérale a conclu que l’alinéa 37(1)a) vise notamment une personne qui était membre d’une organisation criminelle avant de faire l’objet d’un rapport sur l’interdiction de territoire. Je suis aussi de cet avis et ce, pour les raisons qui suivent.

[17]En premier lieu, cette interprétation est conforme au libellé de l’ancienne Loi, dans laquelle l’alinéa 19(1)c.2) faisait expressément mention des personnes qui « sont ou ont été membres » :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[. . .]

c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles sont ou ont été membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction au Code criminel ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l’étranger un fait—acte ou omission—qui, s’il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

[18]Le législateur voulait notamment, en adoptant la LIPR, simplifier l’ancienne Loi. C’est exactement ce que fait l’article 33 : il réduit la répétition nécessaire des expressions exprimant l’appartenance passée, présente et future, que l’on trouvait dans l’ancienne Loi, en établissant une « règle d’interprétation » qui permet au décideur de tenir compte de faits passés, présents et futurs pour déterminer si une personne est interdite de territoire.

[19]Si l’on interprétait l’alinéa 37(1)a) comme s’il visait uniquement l’appartenance actuelle à une organisation, l’article 33 serait redondant. La Commission a dit (à la page 49)—et je suis de cet avis— qu’il serait pertinent de tenir compte de la preuve relative au passé d’une personne et à ses projets futurs pour décider si cette personne appartient à une organisa-tion décrite à l’article 37, même si la loi ne le dit pas.

[20]À mon avis, le législateur devait vouloir que l’article 33 ait un certain sens. Le libellé de cette disposition est clair : une conclusion d’interdiction de territoire, laquelle est une conclusion portant sur une question de droit, peut être fondée sur une conclusion de fait concernant l’appartenance passée d’une personne à une organisation. En d’autres termes, le fait que l’appelant a été membre de la bande A.K. Kannan dans le passé—une conclusion de fait—peut servir de fondement à une conclusion de droit d’interdiction de territoire actuelle.

[21]En deuxième lieu, cette interprétation est compatible avec l’objet des dispositions sur l’inter-diction de territoire et la LIPR dans l’ensemble. L’un des objectifs des dispositions sur l’interdiction de territoire est la protection de la société canadienne. Ces dispositions facilitent le renvoi de résidents permanents qui constituent un danger pour la société canadienne en raison de leur conduite, parce qu’ils ont commis des actes criminels, des actes de criminalité organisée, qu’ils ont porté atteinte aux droits de la personne ou au droit international ou commis des actes de terrorisme. L’alinéa 37(1)a) aurait l’effet contraire si l’on interprétait l’expression « être membre » comme si elle ne visait que les personnes qui sont actuellement membres d’une organisation décrite dans cette disposition, car on limiterait ainsi les cas où une personne peut être interdite de territoire, ce qui aurait pour effet d’accroître le danger potentiel pour la sécurité du Canada.

[22]En troisième lieu, si la Cour interprétait l’expression « être membre » comme si elle désignait seulement les membres actuels, cela entraînerait des résultats absurdes que le législateur ne peut pas avoir souhaités. Les articles 34 (terrorisme et sécurité), 35 (crimes contre l’humanité) et 37 (criminalité organisée) de la LIPR, qui emploient l’expression « être membre » ou « occuper un poste de rang supérieur », viseraient seulement la situation actuelle.

[23]Une telle interprétation ferait également en sorte qu’un ancien membre du parti nazi en Allemagne ne pourrait pas être déclaré interdit de territoire parce que, le parti nazi ayant disparu, il ne peut plus en être membre. Aussi, un membre d’une organisation terroriste internationale pourrait renoncer à son appartenance immédiatement avant de demander l’asile et éviter ainsi d’être interdit de territoire puisqu’il ne serait plus membre d’une organisation terroriste. De la même façon, une personne qui est membre depuis 10 ans d’une organisation se livrant à des activités criminelles au Canada pourrait se retirer de l’organisation avant de faire l’objet d’un rapport en application de la LIPR et échapper ainsi à une interdiction de territoire.

[24]En quatrième lieu, la jurisprudence appuie mon interprétation. Dans Zündel (Re), 2005 CF 295, la Cour fédérale s’est penchée sur la question de savoir si des actes répréhensibles commis dans le passé peuvent entraîner une interdiction de territoire en application de l’article 34. Aux termes de l’alinéa 34(1)f), le fait d’« être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a) [espionnage], b) [renversement d’un gouvernement par la force] ou c) [terrorisme] » emporte interdiction de territoire. Le juge Blais a conclu (au paragraphe 18) qu’une décision concernant l’interdiction de territoire fondée sur l’article 34 ne peut tenir compte seulement de la situation actuelle. « [Le ministre peut], en application de l’article 33 de la [LIPR], apporter les preuves d’événements passés, présents ou anticipés justifiant l’interdiction de territoire […] pour des raisons de sécurité. »

[25]Plus récemment, dans Charkaoui (Re), [2005] 2 R.C.F. 299 (C.A.F.), [décision inversée en appel par la Cour suprême du Canada, 2007 CSC 9], la Cour s’est demandé s’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Charkaoui était interdit de territoire en application de l’article 34 en raison de son appartenance à une organisation terroriste. Les juges Décary et Létourneau ont écrit (au paragraphe 105) : « pour fonder l’interdiction de territoire, le ministre doit, aux termes de l’article 33 de la LIPR, avoir des motifs raisonnables de croire que les actes ou omissions mentionnés aux articles 34 à 37 sont survenus, sont en train de survenir ou, et il s’agit là de l’aspect préventif, peuvent survenir. »

[26]La question a également été examinée par le juge Russell dans Hussenu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 283. Dans cette affaire, M. Hussenu prétendait qu’il n’était pas interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR parce qu’il avait cessé d’être membre du Front de libération de l’Érythrée juste avant de demander l’asile. La Cour fédérale a rejeté le contrôle judiciaire et a statué (au paragraphe 39) :

À l’alinéa 34(1)f) de la LIPR se trouvent de fait les mots « membre d’une organisation [. . .] » mais à l’article 33, il est expressément prévu que « [l]es faits—actes ou omissions—mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » [non souligné dans l’original]. Si l’argument du demandeur concernant l’alinéa 34(1)f) était exact sur ce point, l’article 34 ne s’appliquerait pas au terroriste qui cesse d’être membre d’une organisation terroriste juste avant de demander l’asile. Il ne se peut pas que le législateur ait eu l’intention d’exclure pareil demandeur du champ d’application de l’alinéa 34(1)f) et l’article 33 le montre clairement.

[27]L’appelant fait valoir que, si l’alinéa 37(1)a) englobait les anciens membres, les personnes qui auraient été associées à des organisations criminelles dans le passé et qui, après s’être rendu compte que ce n’est pas ce qu’elles voulaient dans la vie, s’en seraient véritablement retirées sans s’être livrées à des activités criminelles ne pourraient jamais obtenir une absolution.

[28]Cet argument n’est pas convaincant. Le paragraphe 37(2) de la LIPR a pour but d’atténuer la sévérité de la règle d’interdiction de territoire lorsque, comme l’appelant le laisse entendre, la preuve démontre qu’une personne s’est véritablement retirée d’une organisation. Un résident permanent peut se soustraire à la règle d’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 37(1)a) s’il convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[29]Compte tenu de tout ce qui précède, je réponds par l’affirmative à la première question certifiée.

Question no 2 : la signification du terme « organisation »

[30]La deuxième question certifiée dans le présent appel exige de la Cour qu’elle détermine ce qu’est une « organisation » au sens de l’alinéa 37(1)a) et, plus particulièrement, si la bande A.K. Kannan est une telle organisation.

[31]La réponse à la première partie de la question, à savoir la signification du terme « organisation » employé à l’alinéa 37(1)a), est une conclusion de droit et est assujettie, quant à la norme de contrôle, à la décision correcte : Housen, au paragraphe 8.

[32]La deuxième partie de la question—la bande A.K. Kannan est‑elle une « organisation » au sens de l’alinéa 37(1)a)?—est une question mixte de fait et de droit, qui exige que la norme juridique soit appliquée aux faits et à la preuve de chaque cas. Dans Housen, la Cour suprême a écrit au paragraphe 36 :

Les questions mixtes de fait et de droit s’étalent le long d’un spectre. Lorsque, par exemple, [une] conclusion [. . .] est entachée d’une erreur imputable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable, une telle erreur peut être qualifiée d’erreur de droit et  elle  est  contrôlée suivant la norme de la décision correcte [. . .] Si le principe juridique n’est pas facilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte de fait et de droit », assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse. Selon la règle générale énoncée dans l’arrêt Jaegli Enterprises, précité, si la question litigieuse en appel soulève l’interprétation de l’ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

[33]À moins que la Cour conclue que le juge a erré en interprétant le droit édicté par l’alinéa 37(1)a), la décision du juge selon laquelle la bande A.K. Kannan est une « organisation » ne sera contrôlée que si la Cour relève dans la décision une erreur manifeste et dominante : Housen, au paragraphe 10.

a) La question de droit : la signification du terme « organisation »

[34]Le terme « organisation » n’est pas défini dans la LIPR. L’appelant soutient que l’absence d’une définition dans la loi peut amener les tribunaux à donner à ce terme une plus grande portée pour qu’il englobe le plus grand nombre d’activités criminelles qui puissent sembler être menées de concert avec d’autres personnes. Selon l’appelant, une définition précise est nécessaire vu les conséquences graves rattachées à l’interdiction de territoire et le fait que la simple appartenance entraîne l’interdiction de territoire. S’appuyant sur le droit international et la jurisprudence en matière pénale, l’appelant prétend que, pour l’application de l’alinéa 37(1)a), une « organisation » doit à tout le moins avoir un but criminel commun et une structure suffisante permettant le partage des bénéfices tirés de ses activités illégales.

[35]Or, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Singh, [1998] A.C.F. no 1147 (1re inst.) (QL), le juge Rothstein, maintenant juge à la Cour suprême, a conclu que le terme « membre » (d’une organisation), employé au sous‑alinéa 19(1)f)(iii) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de l’ancienne Loi, qui avait trait à la menace du terrorisme et de l’espionnage pour la sécurité du Canada, devait être interprété d’une façon libérale et sans restriction. Il a dit au paragraphe 52 :

Le contexte, en ce qui concerne la législation en matière d’immigration, est la sécurité publique et la sécurité nationale, soit les principales préoccupations du gouvernement. Il va sans dire que les organisations terroristes ne donnent pas de cartes de membres. Il n’existe aucun critère formel pour avoir qualité de membre et les membres ne sont donc pas facilement identifiables [. . .] Je crois qu’il est évident que le législateur voulait que le mot « membre » soit interprété d’une façon libérale, sans restriction aucune. Je ne souscris pas à l’avis selon lequel une personne n’est pas un membre au sens de la disposition si elle a adhéré à l’organisation une fois que cette dernière a mis fin à ses activités terroristes.

[36]À mon avis, le terme « organisation » employé à l’alinéa 37(1)a) devrait recevoir la même interprétation « libérale, sans restriction aucune ». L’intention qui ressort de la LIPR est avant tout de donner la priorité à la sécurité des Canadiens. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé la Cour suprême du Canada dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 10 :

Les objectifs explicites de la LIPR révèlent une intention de donner priorité à la sécurité. Pour réaliser cet objectif, il faut empêcher l’entrée au Canada des demandeurs ayant un casier judiciaire et renvoyer ceux qui ont un tel casier, et insister sur l’obligation des résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada [. . .] les objectifs de la LIPR et de ses dispositions relatives aux résidents permanents traduisent la ferme volonté de traiter les criminels et les menaces à la sécurité avec moins de clémence que le faisait l’ancienne Loi.

[37]L’alinéa 37(1)a) semble être une tentative pour lutter contre la criminalité organisée, eu égard au fait que les non‑citoyens membres d’organisations criminel-les constituent une menace aussi grande que les personnes qui sont déclarées coupables d’infractions criminelles graves. Il permet l’expulsion de membres d’organisations criminelles qui ne sont pas déclarés coupables en tant qu’individus mais qui représentent néanmoins un danger.

[38]Des décisions récentes appuient cette interpréta-tion. Dans Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 3 R.C.F. 301 (C.F.), décision infirmée pour d’autres motifs, [2006] 1 R.C.F. 474 (C.A.F.), le juge O’Reilly a tenu compte de divers facteurs lorsqu’il a conclu que deux bandes tamoules (dont la bande A.K. Kannan en cause en l’espèce) étaient des « organisations » au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. À son avis, les deux groupes tamouls avaient « certaines caractéristiques d’une organisation », à savoir « l’identité, le leadership, des liens hiérarchiques lâches et une structure organisation-nelle de base » (au paragraphe 31). Les facteurs énumérés dans Thanaratnam, ainsi que d’autres facteurs comme l’occupation d’un territoire ou la tenue de réunions régulières dans un endroit donné—deux facteurs pris en considération par la Commission—sont utiles lorsqu’il faut rendre une décision fondée sur l’alinéa 37(1)a), mais aucun d’eux n’est essentiel.

[39]Ces organisations criminelles n’ont généralement pas une structure formelle comme une société commerciale ou une association qui est dotée d’une charte, de règlements ou d’un acte constitutif. Elles sont habituellement peu structurées et leur organisation varie énormément. L’absence de structure et le caractère informel d’un groupe ne devraient pas cependant contrecarrer l’objet de la LIPR. C’est pour cette raison qu’il faut faire preuve de souplesse lorsqu’on décide si les caractéristiques d’un groupe particulier satisfont aux exigences de la LIPR étant donné que pareil groupe peut prendre différentes formes et qu’il mène ses activités dans la clandestinité. Il est donc important d’évaluer les différents facteurs utilisés par le juge O’Reilly ainsi que d’autres facteurs semblables qui peuvent aider à déterminer si les caractéristiques essentielles d’une organisation existent dans les circonstances. Une telle interprétation du terme « organisation » laisse une certaine latitude à la Commission lorsqu’elle doit décider si, à la lumière de la preuve et des faits dont elle dispose, un groupe peut être considéré comme étant une organisation au sens de l’alinéa 37(1)a).

[40]En ce qui concerne l’argument de l’appelant selon lequel il faut se servir de la jurisprudence en matière pénale et des instruments internationaux pour savoir ce qu’est une « organisation » criminelle, je n’y souscris pas. Ces documents peuvent servir d’outils d’interprétation, mais ils ne sont pas directement applicables en matière d’immigration. Le législateur a délibérément choisi de ne pas adopter la définition d’« organisation criminelle » qui figure au paragraphe 467.1(1) [édicté par L.C. 1997, ch. 23, art. 11; 2001, ch. 32, art. 27] du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. Il n’a pas non plus adopté la définition de « groupe criminel organisé » de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée [novembre 2000, Rés. AG 55/25] (la Convention). Le libellé de l’alinéa 37(1)a) est différent parce que son objet est différent.

[41]En l’espèce, le juge, comme la Commission, a bien tenu compte de la loi et a appliqué correctement le droit exposé dans Thanaratnam, pour interpréter le terme « organisation ». Par conséquent, aucune erreur de droit n’a été commise relativement à la première partie de la question certifiée.

b) La question de fait : compte tenu des faits en l’espèce, la bande A.K. Kannan est‑elle une « organisation »?

[42]En ce qui concerne la deuxième partie de la question certifiée, l’appelant prétend que le juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’il a confirmé la décision de la Commission selon laquelle la bande A.K. Kannan est une organisation au sens de l’alinéa 37(1)a). Je ne suis pas de cet avis.

[43]La Commission a examiné la preuve qui lui avait été présentée et a conclu qu’il y avait six indices pertinents qui permettaient de croire que la bande A.K. Kannan était une « organisation » en l’espèce : un commandement, une forme élémentaire de hiérarchie, des instructions données par un chef, une identité propre, l’occupation d’un territoire et des lieux de rencontre dans les limites du territoire de la bande en Ontario. La Commission a considéré que la preuve prise dans son ensemble lui permettait de conclure que la bande A.K. Kannan était une organisation, et le juge, prenant en considération la preuve relative à la plupart de ces facteurs, a confirmé cette décision.

[44]L’appelant soutient que la Commission n’a pas tenu compte de son témoignage selon lequel il n’y avait pas d’organisation, ni d’un rapport préparé par le Canadian Tamil Youth Development Centre (le rapport du CTYDC) selon lequel les bandes tamoules sont des associations informelles et sans structure organisation-nelle.

[45]La Commission a conclu que l’appelant n’était pas un témoin crédible et a expliqué en détail les motifs de sa conclusion. En outre, elle a analysé le rapport du CTYDC dans ses motifs. La Commission pouvait soupeser le rapport et lui accorder peu de poids dans le contexte de la preuve contradictoire. L’appelant n’a pas réussi à démontrer que la décision de la Commission était abusive ou déraisonnable.

[46]Par conséquent, le juge n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en confirmant la conclusion de la Commission selon laquelle la bande A.K. Kannan est une « organisation » au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

Question no 3 : la preuve relative aux activités de criminalité organisée

[47]L’alinéa 37(1)a) de la LIPR s’applique lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une organisation dont une personne est membre se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

[48]L’appelant prétend que le juge a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la Commission pouvait accorder de l’importance aux rapports de police concernant des activités criminelles qui ne s’étaient pas soldées par des déclarations de culpabilité et considérer que ces rapports prouvaient la participation de l’appelant ou celle de l’organisation à des activités criminelles.

[49]La Commission n’est pas liée par des règles de preuve strictes dans le cadre audiences portant sur l’admissibilité. Une fois que le tribunal administratif décide que la preuve est crédible et digne de foi, celle‑ci est admissible et la question de savoir comment elle a été obtenue est pertinente seulement pour déterminer le poids qu’il convient d’y accorder : article 173 de la LIPR.

[50]Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées peut être prise en considération lors des audiences en matière d’immigration. Ces accusations ne peuvent toutefois pas être utilisées comme seule preuve de la criminalité d’une personne : voir, par exemple, Veerasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1661, au paragraphe 11; Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, au paragraphe 35.

[51]À cet égard, je suis d’accord avec le juge que la Commission n’a pas considéré la preuve recueillie par la police comme une preuve de la conduite répréhensible de l’appelant. La Commission a plutôt tenu compte des circonstances sous‑tendant les accusations qui ont été portées ou qui ont été envisagées—notamment la fréquence des démêlés de l’appelant avec la police et le fait que d’autres personnes impliquées étaient souvent des membres de la bande—pour démontrer qu’il existait des « motifs raisonnables de croire », une norme moins rigoureuse que la norme applicable en matière civile, que la bande A.K. Kannan se livrait au genre d’activités décrites à l’alinéa 37(1)a).

[52]L’appelant prétend également que la preuve recueillie par la police en l’espèce n’est pas crédible et digne de foi. Bon nombre des rapports de police ont été rédigés avant qu’une enquête appropriée soit menée et n’étaient pas étayés par le témoignage des policiers et des témoins concernés. L’appelant ajoute que la preuve semble indiquer que la police manquait d’objectivité ou, en d’autres termes, que son opinion sur lui était biaisée.

[53]À cet égard, je constate que la Commission a considéré que la preuve provenant des sources de la police était crédible et digne de foi dans les circonstan-ces de l’espèce, ce qu’elle pouvait parfaitement faire dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire. La Commission se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité de la preuve qui lui est présentée dans le cadre d’une audience portant sur l’admissibilité; les conclusions relatives à la crédibilité doivent faire l’objet d’une grande déférence dans le cadre d’un contrôle judiciaire et elles ne peuvent être infirmées que si elles sont abusives ou arbitraires ou ont été tirées sans qu’il soit tenu compte de la preuve : Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [article 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)], alinéa 18.1(4)d) [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27].

[54]L’appelant n’a pas démontré que les conclusions de la Commission ou l’acceptation de ces faits par le juge étaient abusives ou arbitraires. Par conséquent, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle à l’égard de cette question.

[55]Je suis convaincu que le juge a interprété correctement l’alinéa 37(1)a) de la LIPR lorsqu’il a examiné les conclusions de la Commission. Je serais d’avis de répondre ce qui suit aux questions certifiées :

a) l’expression « être membre d’une organisation » à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR désigne notamment une personne qui n’était pas membre d’une organisation au moment du rapport, mais qui en était membre auparavant;

b) le terme « organisation », employé à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, doit être interprété d’une façon libérale et sans restriction. Bien qu’aucune définition précise ne puisse être formulée en l’espèce, les facteurs énumérés par le juge O’Reilly dans Thanaratnam par le commissaire et peut‑être aussi par d’autres personnes sont utiles, mais aucun d’eux n’est essentiel. La structure des organisations criminelles varie, et la Commission doit disposer d’une certaine latitude pour apprécier l’ensemble de la preuve à la lumière de l’objet de la LIPR—donner la priorité à la sécurité—lorsqu’elle décide si un groupe est une organisation aux fins de l’application de l’alinéa 37(1)a). Comme la Commission et le juge l’ont conclu, la bande A.K. Kannan est une telle organisation.

[56]Pour ces motifs, je rejetterais l’appel.

Le juge Nadon, J.C.A : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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